Discours 1998




1998

Janvier 1998



EN RÉPONSE AUX VOEUX DU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi 10 janvier 1998

Excellences,

Mesdames, Messieurs,

1. L'hommage collectif du Corps diplomatique, au seuil d'une nouvelle année, revêt toujours un caractère d'émouvante solennité et de cordiale familiarité. Je remercie de grand coeur votre Doyen, Monsieur l'Ambassadeur Atembina-Te-Bombo, qui m'a présenté avec courtoisie vos voeux amicaux et évoqué de manière délicate certains aspects de ma mission apostolique.

En ce début de l'année 1998, laissons resplendir pour tous les hommes d'aujourd'hui la lumière qui s'est levée sur le monde le jour de la naissance de l'Enfant-Dieu. Par sa nature même, elle est universelle, sa clarté rejaillit sur tous sans exception. Elle dévoile nos succès comme nos échecs dans la gestion de la création et dans nos missions au service de la société.

2. Fort heureusement les réalisations positives ne manquent pas. L'Europe centrale et orientale a poursuivi sa marche vers la démocratie, se libérant peu à peu du poids et des conditionnements du totalitarisme d'hier. Espérons que ce progrès s'avèrera partout effectif!

Tout près de nous, la Bosnie-Herzégovine connaît tant bien que mal une paix relative, encore que les dernières élections locales aient montré la précarité du processus de pacification entre les diverses communautés. À cet égard, je voudrais inviter avec insistance la communauté internationale à poursuivre ses efforts en faveur du retour des réfugiés dans leurs foyers et du respect des droits fondamentaux des trois communautés ethniques qui composent le pays. Ce sont là des conditions nécessaires à la vitalité de ce pays: mon inoubliable visite pastorale à Sarajevo, au printemps dernier, m'a permis de le percevoir mieux encore.

L'élargissement de l'Union européenne vers l'Est ainsi que les efforts pour une stabilité monétaire devraient conduire à une complémentarité progressive des peuples, dans le respect de l'identité et de l'histoire de chacun d'entre eux. Il s'agit en quelque sorte de partager le patrimoine de valeurs que chaque nation a contribué à faire éclore: la dignité de la personne humaine, ses droits fondamentaux imprescriptibles, l'inviolabilité de la vie, la liberté et la justice, le sens de la solidarité et le refus de l'exclusion.

Toujours dans ce continent, on ne peut qu'encourager le dialogue repris entre les parties qui s'opposent depuis tant d'années en Irlande du Nord. Que tous aient le courage de la persévérance pour surmonter les écueils actuels, là comme en d'autres régions d'Europe!

En Amérique latine, le processus de démocratisation a continué, même si çà et là des réflexes pervers ont pu entraver sa marche, comme l'ont montré les tragiques événements survenus dans la province du Chiapas, au Mexique, quelques jours avant Noël. A la fin de ce mois, si Dieu le veut, je me rendrai en visite pastorale à Cuba. La première visite d'un Successeur de Pierre à cette île me donnera l'occasion de conforter non seulement les catholiques si courageux de ce pays mais encore tous leurs concitoyens dans leurs efforts pour l'avènement d'une patrie toujours plus juste et plus solidaire, où chacun trouve sa place et se voie reconnu dans ses légitimes aspirations.

En ce qui concerne l'Asie, où vit plus de la moitié de l'humanité, on doit applaudir aux conversations entre les deux Corée qui se déroulent à Genève. Leur succès allégerait notablement la tension dans toute la région et encouragerait sans doute un dialogue constructif entre d'autres pays de la région, encore divisés ou antagonistes, les incitant ainsi à adopter une dynamique de la solidarité et de la paix. Les soubresauts financiers qui ont récemment occupé le devant de la scène dans certains pays de cette partie du monde appellent à une sérieuse réflexion sur la moralité des échanges économiques et financiers qui ont conduit au développement considérable de l'Asie, ces dernières années. Une plus grande sensibilité à la justice sociale et davantage de respect des cultures locales pourraient éviter à l'avenir de mauvaises surprises, dont les populations finissent toujours par être les victimes.

Je n'ai pas besoin d'insister pour rappeler l'intérêt avec lequel le Pape et ses collaborateurs suivent l'évolution de la situation en Chine, souhaitant qu'elle favorise l'établissement de rapports sereins avec le Saint-Siège. Cela permettrait aux catholiques chinois de vivre leur foi, pleinement insérés dans la communion de toute l'Église en marche vers le grand Jubilé.

Ma pensée rejoint aussi l'Église qui est au Viêt-Nam et qui aspire toujours à des conditions d'existence meilleures. Je ne puis oublier non plus les habitants du Timor Oriental, et en particulier les fils de l'Église vivant sur cette terre, qui attendent encore de connaître une existence plus paisible pour pouvoir regarder l'avenir avec davantage de confiance.

Je voudrais ici adresser un salut cordial à la Mongolie, qui a manifesté le désir de nouer des liens plus étroits avec le Siège apostolique.

3. D'une manière plus générale, je retiendrai parmi les aspects positifs de notre bilan la sensibilité accrue dans le monde pour les questions liées à la préservation d'un environnement digne de l'homme ou encore le consensus international qui a permis, voici un mois à peine à Ottawa, la signature d'un traité sur l'interdiction des mines anti-personnel (que le Saint-Siège d'ailleurs s'apprête à ratifier). Tout cela manifeste un respect toujours plus concret envers la personne humaine considérée dans ses dimensions individuelle et sociale, ainsi que dans son rôle de gestionnaire de la création; et cela répond aussi à la conviction que nous ne pourrons être heureux que les uns avec les autres, jamais les uns contre les autres.

Les initiatives prises par les responsables de la communauté internationale en faveur de l'enfance hélas trop souvent flétrie dans son innocence, la lutte contre le crime organisé ou le commerce de la drogue, les efforts entrepris pour contrecarrer l'odieuse traite des êtres humains sous toutes ses formes, montrent bien qu'avec la volonté politique, on peut s'attaquer aux causes des dérèglements qui trop souvent défigurent la personne humaine.

Toutes ces avancées ont d'autant plus besoin d'être consolidées que le monde qui nous entoure demeure une réalité en mutation, dont l'équilibre peut être à tout moment compromis par un conflit imprévu, une crise économique subite ou les conséquences néfastes de l'extension inquiétante de la pauvreté.

4. La fragilité de nos sociétés nous est douloureusement signifiée par des « points chauds » qui sont restés au premier plan de l'actualité et qui ont assombri une fois encore le climat joyeux des célébrations de ces derniers jours.

Je pense tout d'abord à l'Algérie qui, pratiquement chaque jour, est endeuillée par des massacres odieux. Voilà tout un pays otage d'une violence inhumaine qu'aucune cause politique, ni encore moins une motivation religieuse, ne sauraient légitimer. Je tiens à redire clairement à tous, une nouvelle fois, que personne ne peut tuer au nom de Dieu: ce serait abuser du nom divin et blasphémer. Il conviendrait que toutes les bonnes volontés, dans ce pays et ailleurs, s'unissent pour faire en sorte que la voix de ceux qui croient au dialogue et à la fraternité soit enfin entendue. Et je suis convaincu qu'ils constituent la majorité du peuple algérien.

La situation au Soudan ne permet toujours pas de parler de réconciliation et de paix. En outre, les chrétiens de ce pays continuent à être l'objet de graves discriminations dont le Saint-Siège s'est fait l'écho à maintes reprises auprès des autorités civiles, sans que l'on constate encore, hélas, une amélioration notable.

La paix semble s'être éloignée du Moyen-Orient, alors que le processus de paix mis en route à Madrid en 1991 est comme suspendu, quand il n'est pas mis à mal par des initiatives ambiguës ou même violentes. Je pense en ce moment à tous ceux — Israéliens et Palestiniens — qui avaient cultivé ces dernières années l'espérance de voir enfin éclore sur cette Terre Sainte la justice, la sécurité, la paix, une vie quotidienne normale. Qu'en est-il aujourd'hui de cette volonté de paix? Les principes de la Conférence de Madrid et les orientations de la réunion d'Oslo de 1993 ont pavé la route vers la paix. Ils demeurent aujourd'hui encore les seuls éléments valables pour aller de l'avant. Point n'est besoin de s'aventurer sur d'autres chemins. Je voudrais vous assurer et, à travers vous, toute la communauté internationale, que le Saint-Siège, pour sa part, continuera à dialoguer avec toutes les parties concernées afin d'encourager chez les uns et les autres la volonté de sauver la paix et de guérir les plaies de l'injustice. Le Saint-Siège garde envers cette région du monde une constante sollicitude et il conduit son action selon les principes qui l'ont toujours guidé. Le Pape, en particulier, en ces années qui précèdent la célébration du Jubilé de l'an 2000, tourne son regard vers Jérusalem, la Cité Sainte entre toutes, priant chaque jour pour qu'elle devienne bientôt et à jamais, avec Bethléem et Nazareth, un lieu de justice et de paix où juifs, chrétiens et musulmans pourront enfin cheminer ensemble sous le regard de Dieu.

Non loin de là, tout un peuple est victime d'un enfermement qui le place dans des conditions de survie aléatoires: j'ai nommé nos frères de l'Irak, soumis à un embargo impitoyable. Entendant les appels au secours qui parviennent sans cesse au Saint-Siège, je me dois d'interpeller la conscience de ceux qui, en Irak ou ailleurs, font passer des considérations politiques, économiques ou stratégiques avant le bien fondamental des populations et je leur demande de faire preuve de compassion. Les faibles et les innocents ne sauraient payer pour des erreurs dont ils ne sont pas responsables. Je prie donc afin que ce pays puisse retrouver sa dignité, qu'il connaisse un développement normal, et qu'il soit ainsi en mesure de rétablir des rapports fructueux avec les autres peuples, dans le cadre du droit international et de la solidarité mondiale.

Nous ne pouvons passer sous silence le drame des populations kurdes qui, ces jours-ci, a retenu l'attention de tous; la nécessaire compassion envers des réfugiés aux abois ne saurait faire oublier la quête de millions de leurs frères, qui sont à la recherche de conditions d'existence sûres et dignes.

Il m'incombe, hélas, de signaler enfin à votre attention le drame des populations de la partie centrale de l'Afrique. Nous avons assisté ces derniers mois à une recomposition régionale des équilibres ethniques et politiques. Toutes vos chancelleries connaissent les événements qui se sont succédé au Rwanda, au Burundi, en République démocratique du Congo et tout récemment au Congo- Brazzaville. Je ne rappellerai donc pas ici les faits, pour évoquer essentiellement les épreuves infligées aux populations: les combats, les déplacements de personnes, le drame des réfugiés, des conditions sanitaires déficientes, une administration défectueuse de la justice... Devant de telles situations, personne ne peut garder la conscience tranquille. Aujourd'hui encore, dans le plus grand silence, on continue à intimider ou à tuer. C'est pourquoi je voudrais ici m'adresser aux responsables politiques de ces pays: si la conquête violente du pouvoir devient la norme, si l'ethnocentrisme continue à tout imprégner, si la représentation démocratique est systématiquement laissée de côté, si la corruption et le commerce des armes sévissent encore, alors l'Afrique ne connaîtra jamais la paix ni le développement, et les générations futures porteront un jugement impitoyable sur ces pages de l'histoire africaine.

Je voudrais également en appeler à la solidarité des pays du continent. Les Africains ne doivent pas tout attendre de l'aide extérieure. Parmi eux, beaucoup de femmes et d'hommes ont toutes les aptitudes humaines et intellectuelles pour relever les défis de notre époque et pour gérer adéquatement les sociétés. Mais il faudrait davantage de solidarité « africaine » pour soutenir les pays en difficulté, et aussi pour que ne leur soient pas imposées des mesures ou des sanctions discriminatoires. Les uns et les autres devraient s'entraider pour l'analyse et l'évaluation des options politiques, et aussi accepter de ne pas participer à la fourniture des armes. Il faudrait plutôt que les pays du continent favorisent la pacification et la réconciliation, si besoin est par le moyen de forces de paix composées de soldats africains. Alors, la crédibilité de l'Afrique serait plus réelle aux yeux du reste du monde et l'aide internationale se ferait sans doute plus intense, dans le respect de la souveraineté des nations. Il est urgent que les différends territoriaux, les initiatives économiques et les droits de l'homme mobilisent les énergies des Africains pour des solutions équitables et pacifiques qui mettent l'Afrique en condition d'aborder le vingt et unième siècle avec davantage d'atouts et de confiance.

5. Au fond, tous ces problèmes révèlent combien la femme et l'homme de cette fin de siècle sont vulnérables. Il est heureux, certes, que les Organisations internationales, par exemple, se préoccupent toujours davantage d'indiquer les critères pour améliorer la qualité de la vie humaine et de prendre des initiatives concrètes. Le Siège apostolique se sent solidaire de ces activités de la diplomatie multilatérale à laquelle il collabore volontiers grâce à ses Missions d'observation. À ce propos, je voudrais seulement mentionner ce matin le fait que le Saint-Siège est associé de manière institutionnelle aux travaux de l'Organisation mondiale du Commerce, dans le but de favoriser le progrès humain et spirituel dans un secteur vital pour le développement des peuples.

Mais on ne doit pas oublier que nos contemporains sont souvent soumis à des idéologies qui leur imposent des modèles de société ou de comportement prétendant décider de tout, de leur vie comme de leur mort, de leur intimité et de leur pensée, de la procréation comme du patrimoine génétique. La nature n'est plus qu'un simple matériau, ouvert à toutes les expériences. On a parfois l'impression que la vie n'est appréciée qu'en fonction de l'utilité ou du bien-être qu'elle peut procurer, que la souffrance est considérée comme dépourvue de signification. On néglige la personne handicapée et le vieillard parce qu’encombrants, on tient trop souvent l'enfant à naître pour un intrus dans une existence planifiée en fonction d'intérêts subjectifs peu généreux. L'avortement ou l'euthanasie en viennent alors rapidement à apparaître comme des « solutions » acceptables.

L'Église catholique — et la plupart des familles spirituelles — savent d'expérience que l'homme est hélas capable de trahir son humanité. Il faut donc l'éclairer et l'accompagner pour que, dans ses errements, il puisse toujours retrouver les sources de la vie et de l'ordre que le Créateur a inscrits au plus intime de son être. Là où l'homme naît, souffre et meurt, l'Église, pour sa part, sera toujours présente afin de signifier que, au moment où il fait l'expérience de sa finitude, Quelqu'un l'appelle pour l'accueillir et donner un sens à son existence fragile.

Conscient de ma responsabilité de Pasteur au service de l'Église universelle, j'ai eu souvent l'occasion de rappeler dans les actes de mon ministère l'absolue dignité de la personne humaine depuis le moment de la conception jusqu'à son dernier souffle, le caractère sacré de la famille comme lieu privilégié de la protection et de la promotion de la personne, la grandeur et la beauté de la paternité et de la maternité responsables, ainsi que les nobles finalités de la médecine et de la recherche scientifique.

Ce sont là des éléments qui s'imposent à la conscience des croyants. Quand l'homme court le risque d'être considéré comme un objet que l'on peut transformer ou asservir à son gré, quand on ne perçoit plus en lui l'image de Dieu, quand sa capacité d'aimer et de se sacrifier est délibérément occultée, quand l'égoïsme et le profit deviennent les motivations premières de l'activité économique, alors tout est possible et la barbarie n'est pas loin.

Excellences, Mesdames, Messieurs, ces considérations vous sont familières, vous qui êtes les témoins quotidiens de l'action du Pape et de ses collaborateurs. Mais j'ai voulu les proposer une fois encore à votre réflexion, car on a souvent l'impression que les responsables des sociétés comme des organisations internationales se laissent conditionner par un nouveau langage, qui semble accrédité par des technologies récentes et que certaines législations admettent ou même ratifient. En réalité, il s'agit de l'expression d'idéologies ou de groupes de pression qui tendent à imposer à tous leurs conceptions et leurs comportements. Le pacte social en est alors profondément affaibli et les citoyens perdent leurs repères.

Ceux qui sont garants de la loi et de la cohésion sociale d'un pays, ou ceux qui guident des organisations créées pour le bien de la communauté des nations, ne peuvent éluder la question de la fidélité à la loi non-écrite de la conscience humaine dont parlaient déjà les anciens et qui est pour tous, croyants ou non, le fondement et le garant universel de la dignité humaine et de la vie en société. Je ne puis que reprendre à ce sujet ce que j'ai écrit naguère: « S'il n'existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l'action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir... » (Encycl. Centesimus annus CA 46). Devant la conscience, « il n'y a de privilèges ni d'exceptions pour personne. Que l'on soit le maître du monde ou le dernier des misérables sur la face de la terre, cela ne fait aucune différence: devant les exigences morales, nous sommes tous absolument égaux » (Encycl. Veritatis splendor VS 96).

6. C'est ainsi que je conclus mon propos, Excellences, Mesdames et Messieurs, en appelant sur chacun de vous, vos familles, les autorités de vos pays et vos concitoyens la protection divine durant toute l'année qui commence. Veuille Dieu Tout-Puissant aider chacun de nous à tracer des chemins nouveaux où les hommes se rencontrent et marchent ensemble! C'est la prière que chaque jour j'élève à Dieu pour l'humanité tout entière, afin qu'elle soit toujours plus digne de ce nom !



AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

Samedi 17 janvier 1998



1. J’ai écouté avec intérêt les paroles par lesquelles, vénéré Frère, en votre qualité de Doyen de la Rote romaine, vous vous êtes fait l’interprète des sentiments des Prélats auditeurs, des « Officiers » majeurs et mineurs du Tribunal, des Défenseurs du lien, des avocats près la Rote, des étudiants du « Studio rotale » et de vos proches qui assistent à cette audience spéciale, à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire. En vous remerciant pour les sentiments que vous avez exprimés, je voudrais aussi, en cette circonstance, vous renouveler mes félicitations pour votre élévation à la dignité d’archevêque, qui constitue une manifestation d’estime à votre égard et de reconnaissance pour l’activité séculaire du Tribunal de la Rote romaine.

Je connais bien la collaboration compétente que votre Tribunal apporte au Successeur de Pierre dans l’accomplissement de sa tâche dans le domaine judiciaire. C’est un travail précieux, qui ne se fait pas sans sacrifices de la part de personnes hautement qualifiées dans le domaine juridique, et qui ont la préoccupation constante que l’activité du tribunal corresponde aux besoins pastoraux de notre temps.

Comme il se devait, Mgr le Doyen a rappelé que, au cours de cette année 1998, il y aura 90 ans que la Constitution apostolique Sapienti consilio, par laquelle mon vénéré Prédécesseur saint Pie X réorganisa la Curie romaine, avait aussi redéfini la fonction juridictionnelle et la compétence de votre Tribunal. C’est à juste titre qu’il a rappelé cet anniversaire, faisant une brève allusion au passé afin surtout d’envisager les engagements futurs dans la perspective des exigences qui se dessinent.

Le juge, « prêtre du droit » dans la société ecclésiale

2. L’occasion m’est donnée aujourd’hui de vous proposer quelques réflexions, tout d’abord sur la configuration et la place de l’administration de la justice et, par conséquent, du juge dans l’Eglise, puis, en second lieu, sur quelques problèmes qui concernent plus concrètement et directement votre travail judiciaire.

Pour comprendre le sens du droit et du pouvoir judiciaire dans l’Eglise — dans son mystère de communion, la société visible et le Corps mystique du Christ constituent une seule réalité (cf. Lumen gentium LG 8) —, il semble nécessaire, dans notre rencontre de ce jour, de réaffirmer tout d’abord la nature surnaturelle de l’Eglise et sa finalité essentielle et inaliénable. Le Seigneur l’a constituée pour être le prolongement et la réalisation au cours des siècles de son oeuvre universelle de salut, qui fait aussi retrouver la dignité originelle de l’homme en tant qu’être rationnel, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tout a un sens, tout a une raison, tout a une valeur dans l’oeuvre du Corps mystique du Christ, uniquement selon la ligne directrice et la finalité de la rédemption de tous les hommes.

Dans la vie de communion de la « societas » ecclésiale, signe dans le temps de la vie éternelle qui bat dans la Trinité, les membres sont élevés, par un don de l’amour divin, à l’état surnaturel, obtenu et toujours recouvré par l’efficacité des mérites infinis du Christ, Verbe fait chair.

Fidèle à l’enseignement du Concile Vatican II, le Catéchisme de l’Eglise catholique, affirmant que l’Eglise est une de par sa source, nous rappelle : « De ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes l’unité d’un seul Dieu, Père, et Fils, en l’Esprit Saint » (CEC 813). Mais dans le même temps, ce Catéchisme affirme : « Lorsque la charité mutuelle et la louange unanime de la Très Sainte Trinité nous font communier les uns aux autres, nous tous, fils de Dieu qui ne faisons dans le Christ qu’une seule famille, nous répondons à la vocation profonde de l’Eglise » (CEC 959).

Aussi, le juge ecclésiastique, authentique « sacerdos juris » dans la société ecclésiale, ne peut-il pas ne pas être appelé à mettre en oeuvre un véritable « officium caritatis et unitatis ». Votre tâche est donc d’autant plus prenante et en même temps d’une grande valeur spirituelle, puisque vous devenez les artisans effectifs d’une singulière diaconie pour tout homme et encore plus pour le « fidèle du Christ ».

C’est là l’application correcte du droit canonique, que présuppose la grâce de la vie sacramentelle, qui favorise cette unité dans la charité, parce que le droit dans l’Eglise ne pourrait avoir une autre interprétation, un autre sens et une autre valeur sans manquer à la finalité essentielle de l’Eglise elle-même. De même, aucune activité judiciaire qui se déroule devant ce Tribunal ne peut faire exception à cette perspective et à ce but suprême.

3. Cela vaut depuis les procédures pénales, pour lesquelles la recomposition de l’unité ecclésiale signifie le rétablissement d'une pleine communion dans la charité, pour en arriver, en passant par les procès en matière contentieuse, aux procédures vitales et complexes qui touchent au statut personnel et, en premier lieu, à la validité du lien matrimonial.

Il serait superflu de rappeler ici que la « manière » selon laquelle sont menés les procès ecclésiastiques, doit elle aussi se traduire dans des comportements aptes à exprimer ce souffle de charité. Comment ne pas penser à l’icône du bon Pasteur qui se penche vers la brebis égarée et blessée, lorsque nous voulons nous représenter le juge qui, au nom de l’Eglise, rencontre, traite et juge la condition d’un fidèle qui s’est adressé à lui avec confiance ?

Mais, au fond, c’est l’esprit même du droit canonique qui exprime et réalise cette finalité de l’unité dans la charité: on doit en tenir compte aussi bien dans l’interprétation et l’application de ses différents canons, que — et surtout — dans la fidèle adhésion à ces principes doctrinaux qui, en tant que substrat nécessaire, donnent sens et substance aux canons. J’ai écrit, en ce sens, dans la Constitution Sacrae disciplinae leges par laquelle j’ai promulgué le Code de droit canonique de 1983 : « Si, cependant, il n’est pas possible de traduire parfaitement en langage canonique l’image conciliaire de l’Eglise, le Code doit néanmoins être toujours référé à cette même image comme à son exemplaire primordial dont, par sa nature même, il doit exprimer les traits autant qu’il est possible » (AAS 75,1983, p.XI).

Comprendre correctement le droit du mariage

4. A cet égard, il serait difficile de ne pas penser tout particulièrement aux causes qui sont les plus nombreuses dans les procès soumis à l’examen de la Rote romaine et des Tribunaux de toute l’Eglise : je fais allusion aux causes de nullité de mariage.

Dans ces causes, l’« officium caritatis » doit s’exprimer au plan doctrinal comme au plan plus proprement processuel. Dans ce domaine, la fonction spécifique de la Rote romaine apparait comme principale, en tant que mise en oeuvre d’une jurisprudence sage et univoque à laquelle doivent se conformer, comme à un modèle faisant autorité, les autres Tribunaux ecclésiastiques. Il ne devrait pas en aller autrement pour la publication, désormais, de vos décisions judiciaires concernant la substance du droit ainsi que les problèmes de procédure.

Au-delà de la valeur des jugements particuliers prononcés à l’égard des parties intéressées, les sentences rotales contribuent à comprendre correctement et à approfondir le droit matrimonial. Cela justifie donc le rappel continu — que l’on trouve dans ces sentences — des principes inaliénables de la doctrine catholique en ce qui concerne la conception naturelle du mariage, avec les obligations et les droits qui lui sont propres, et plus encore de tout ce qui appartient à sa réalité sacramentelle, quand il est célébré entre deux baptisés. L’exhortation de saint Paul vient ici à notre aide : « Proclame la parole, interviens à temps et à contretemps... Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide » (2Tm 4,2-3). Un avertissement qui, sans aucun doute, reste valable aujourd’hui encore.

Un examen sérieux mais plus rapide des causes introduites

5. Mon âme de Pasteur n’oublie pas le problème angoissant et dramatique que vivent les fidèles dont le mariage a échoué sans faute de leur part et qui, avant d’obtenir une éventuelle sentence ecclésiastique qui en déclare légitimement la nullité, contractent une nouvelle union dont ils voudraient qu’elle soit bénie et consacrée devant un ministre de l’Eglise.

Déjà en d’autres occasions, j’ai attiré votre attention sur la nécessité qu’aucune norme processuelle, purement formelle, ne représente un obstacle à la solution, dans la charité et l’équité, de ces situations : l’esprit et la lettre du Code de droit canonique actuellement en vigueur vont dans cette direction. Mais, avec cette préoccupation pastorale, je ressens la nécessité que les causes matrimoniales soient menées à leur terme avec le sérieux et la célérité que requièrent leur nature même.

A cet égard, et dans le but de favoriser une administration toujours meilleure de la justice, aussi bien du point de vue substantiel que processuel, j’ai créé une Commission inter-dicastères chargée de préparer un projet d’instruction sur le déroulement des procès concernant les causes matrimoniales.

6. Mais étant donné ces exigences indispensables de vérité et de justice, l’« officium caritatis et unitatis », qui a servi de cadre aux réflexions que je viens d’exposer, ne pourra jamais signifier un état d’inertie intellectuelle, qui aurait de la personne qui est l’objet de votre jugement une conception étrangère à la réalité historique et anthropologique, limitée et même invalidée par une vision liée culturellement à une partie ou l’autre du monde.

Les problèmes que l’on rencontre dans le droit matrimonial — Mgr le Doyen y a fait allusion au début de cette rencontre — exigent de votre part, en particulier de vous qui composez ce Tribunal ordinaire d’appel du Saint-Siège, une attention intelligente aux progrès des sciences humaines, à la lumière de la Révélation chrétienne, de la Tradition et du Magistère authentique de l’Eglise. Conservez avec vénération tout ce que le passé nous a transmis de saine doctrine et de culture, mais accueillez avec discernement, pareillement, ce que le moment actuel nous présente de bon et de juste. Bien plus, laissez-vous toujours guider uniquement par le critère suprême de la recherche de la vérité, sans penser que la justesse des solutions soit liée à la pure conservation d’aspects humains contingents ni au frivole désir d'une nouveauté qui ne serait pas en consonance avec la vérité.

En particulier, la compréhension correcte du « consentement matrimonial », fondement et cause de l’engagement nuptial, en tous ses aspects et toutes ses implications, ne peut être réduit exclusivement à des schémas désormais acquis, sans aucun doute encore valables aujourd’hui, mais qui sont perfectibles par le progrès dans l’approfondissement des sciences anthropologiques et juridiques. Même dans son autonomie et sa spécificité épistémologique et doctrinale, le droit canonique doit, surtout aujourd’hui, profiter de l’apport d’autres disciplines morales, historiques et religieuses.

Dans ce délicat processus interdisciplinaire, la fidélité à la vérité révélée sur le mariage et sur la famille, interprétée de manière authentique par le Magistère de l’Eglise, constitue toujours le point définitif de référence et l’impulsion véritable pour un profond renouveau de ce secteur de la vie ecclésiale.

Ainsi, le 90ème anniversaire de l’activité de la Rote restaurée devient un motif d’élan nouveau vers l’avenir, dans une attente idéale que se réalise aussi de manière visible dans le Peuple de Dieu qui est l’Eglise, l’unité dans la charité.

Que l’Esprit de vérité vous éclaire dans votre lourde tâche, qui est un service des frères qui recourent à vous, et que ma Bénédiction, que je vous donne avec affection, soit le gage de la continuelle et bénéfique assistance divine.



VOYAGE APOSTOLIQUE À CUBA (21-26 JANVIER 1998)


CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Mercredi 21 janvier 1998




Monsieur le Président,

Monsieur le Cardinal et chers Frères dans l'épiscopat,
Messieurs les Représentants des Autorités,
Messieurs les membres du Corps diplomatique,
Bien-aimés frères et soeurs de Cuba,

1. Je rends grâce à Dieu, Seigneur de l'histoire et de notre destin, qui m'a permis de me rendre sur cette terre, définie par Christophe Colomb comme « la plus belle que des yeux humains aient jamais vue ». En arrivant sur cette île où fut plantée, il y a plus de cinq cents ans, la Croix du Christ — Croix aujourd'hui jalousement conservée comme un trésor dans l'église paroissiale de Baracoa, située à l'extrémité orientale du pays —, je vous salue tous avec une émotion particulière et une grande affection.

Le jour heureux est arrivé, ce jour tant désiré où je peux répondre à l'invitation que les évêques de Cuba m'ont adressée il y a déjà longtemps, et que le Président de la République m'a également formulée et répétée personnellement au Vatican à l'occasion de sa visite au mois de novembre 1996. Cela me remplit de joie de visiter cette Nation, d'être parmi vous et de pouvoir partager ainsi des journées pleines de foi, d'espérance et d'amour.

2. Je suis heureux d'adresser un salut tout d'abord à M. le Président Fidel Castro Ruz, qui est venu m'accueillir et auquel je désire manifester ma gratitude pour ses paroles de bienvenue. J'exprime également ma gratitude aux membres des autres autorités ici présentes, ainsi qu'au Corps diplomatique et à tous ceux qui ont apporté leur précieuse collaboration à la préparation de cette Visite pastorale.

Je salue avec une profonde affection mes frères dans l'épiscopat, en particulier le Cardinal Jaime Ortega y Alamino, Archevêque de La Havane et chacun des autres évêques cubains, ainsi que tous ceux qui sont venus d'autres pays pour participer aux célébrations de cette visite pastorale et renouveler et renforcer ainsi, comme en tant d'autres occasions, les liens étroits de communion et d'affection de leurs Eglises particulières avec l'Eglise qui est à Cuba. En vous saluant, mon coeur s'ouvre également avec une grande affection aux bien-aimés prêtres, diacres, religieux, religieuses, catéchistes et fidèles, dont je suis le débiteur devant le Seigneur en tant que Pasteur de l'Eglise universelle (cf. Const. dogm. Lumen gentium LG 22). En chacun de vous, je vois l'image de cette Eglise locale, tant aimée et toujours présente dans mon coeur, et je me sens extrêmement solidaire de ses aspirations et de ses désirs légitimes. Dieu veuille que cette visite qui commence aujourd'hui contribue à raviver en tous l'engagement à accomplir les efforts nécessaires pour satisfaire ces attentes grâce à la contribution de chaque Cubain et avec l'aide de l'Esprit Saint. Vous êtes et devez être les acteurs de votre histoire personnelle et nationale.

Je salue également cordialement tout le peuple cubain, en m'adressant à tous sans exception: hommes et femmes, personnes âgées et jeunes, adolescents et enfants; aux personnes que je rencontrerai ainsi qu'à celles qui, pour différentes raisons, ne pourront pas participer aux diverses célébrations.

3. En accomplissant ce voyage apostolique, je viens au nom du Seigneur pour vous confirmer dans la foi, vous animer dans l'espérance, vous encourager dans la charité; pour partager votre profond esprit religieux, vos peines, vos joies et vos souffrances, célébrant, en tant que membres d'une grande famille, le mystère de l'Amour divin et en le rendant plus profondément présent dans la vie et dans l'histoire de ce noble peuple, qui a soif de Dieu et des valeurs spirituelles que l'Eglise, au cours de ces cinq siècles de présence sur l'île, n'a jamais cessé de dispenser. Je viens en tant que pèlerin de l'amour, de la vérité et de l'espérance, avec le désir de donner une nouvelle impulsion à l'oeuvre évangélisatrice que, même dans les difficultés, cette Eglise locale poursuit avec vitalité et dynamisme apostolique, en s'acheminant vers le troisième millénaire chrétien.

4. En accomplissant mon ministère, j'ai toujours annoncé la vérité sur Jésus-Christ, qui nous a révélé la vérité sur l'homme, sa mission dans le monde, la grandeur de son destin et sa dignité inviolable. A cet égard, le service à l'homme constitue le chemin de l'Eglise. Je viens aujourd'hui partager avec vous ma conviction profonde que le Message de l'Evangile conduit à l'amour, au dévouement, au sacrifice et au pardon, de telle façon que si un peuple parcourt ce chemin, cela veut dire que c'est un peuple qui a l'espérance d'un avenir meilleur. C'est pourquoi, dès les premiers instants de ma présence parmi vous, je veux vous dire avec la même force qu'au début de mon pontificat: « N'ayez pas peur d'ouvrir votre coeur au Christ », laissez-Le entrer dans votre vie, dans vos familles, dans la société, afin que de cette manière, tout soit renouvelé. L'Eglise lance à nouveau cet appel, convoquant chacun sans exception: les personnes, les familles, les peuples, afin qu'en suivant fidèlement Jésus-Christ, ils découvrent le véritable sens de leur vie, qu'ils se mettent au service de leurs prochains, qu'ils transforment leurs rapports familiaux, professionnels et sociaux, et tout cela pour le bénéfice croissant de la patrie et de la société.

5. L'Eglise qui est à Cuba a toujours annoncé Jésus-Christ, même si parfois, elle a du le faire avec un nombre insuffisant de prêtres et dans des circonstances difficiles. Je désire exprimer ma reconnaissance aux si nombreux croyants cubains, pour leur fidélité au Christ, à l'Eglise et au Pape, pour le respect qu'ils ont montré pour les traditions religieuses les plus authentiques héritées de leurs ancêtres ainsi que pour l'esprit courageux et persévérant de dévouement dont ils ont fait preuve dans leurs souffrances et leurs aspirations. Tout cela a été récompensé en de nombreuses occasions par la solidarité manifestée par les autres communautés ecclésiales d'Amérique et du monde entier. Aujourd'hui, comme toujours, l'Eglise qui est à Cuba désire pouvoir disposer de l'espace nécessaire pour continuer à servir chacun conformément à la mission et aux enseignements de Jésus-Christ.

Bien-aimés fils de l'Eglise catholique qui est à Cuba: je sais combien vous avez attendu le moment de ma visite et vous savez combien je l'ai désiré. C'est pourquoi j'accompagne par la prière mes voeux pour que cette terre puisse offrir à tous un climat de liberté, de confiance réciproque, de justice sociale et de paix durable. Puisse Cuba s'ouvrir, avec toutes ses magnifiques possibilités, au monde et puisse le monde s'ouvrir à Cuba, afin que ce peuple, qui comme tout homme et toute nation, recherche la vérité, oeuvre pour aller de l'avant, aspire à la concorde et à la paix, puisse se tourner vers l'avenir avec espérance.

6. En plaçant mon espérance dans le Seigneur et me sentant profondément uni aux bien-aimés fils et filles de Cuba, je vous remercie de tout coeur pour cet accueil chaleureux par lequel commence ma visite pastorale, que je confie à la protection maternelle de la Très Sainte « Virgen de la Caridad del Cobre ». Je bénis de tout coeur, et de façon particulière, les pauvres, les malades, les exclus et tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit.

Loué soit Jésus-Christ.

Merci beaucoup.




Discours 1998