Discours 1998 - Mercredi 21 janvier 1998

AUX REPRÉSENTANTS DU MONDE DE LA CULTURE DE CUBA

Aula Magna de l'Université de La Havane, Cuba, Vendredi 23 janvier 1998



Monsieur le Président de la République, merci de votre présence.

Messieurs les Cardinaux et chers évêques,
Chers représentants des Autorités universitaires,
Mesdames et Messieurs,

1. C'est pour moi une grande joie de vous rencontrer en ce lieu vénérable de l'Université de La Havane. J'adresse à tous mon salut affectueux et je désire, en premier lieu, remercier le Cardinal Jaime Ortega y Alamino pour les paroles de bienvenue qu'il a bien voulu m'adresser au nom de tous, ainsi que le Recteur de cette Université pour le salut cordial avec lequel il m'a accueilli dans cette « Aula Magna ». C'est ici qu'est conservée la dépouille mortelle du grand prêtre et patriote, le serviteur de Dieu Félix Varela, devant laquelle j'ai prié. Je vous remercie, Monsieur le Recteur, de m'avoir présenté à cette éminente assemblée de femmes et d'hommes qui consacrent leurs efforts à la promotion de la culture authentique dans cette noble nation cubaine.

2. La culture est la forme particulière à travers laquelle les hommes expriment et développent leurs relations avec la création, entre eux et avec Dieu, formant ainsi l'ensemble des valeurs qui caractérisent un peuple et les traits qui le définissent. Entendue de cette façon, la culture possède une importance fondamentale pour la vie des nations et pour le développement des valeurs humaines les plus authentiques. L'Eglise, qui accompagne l'homme sur son chemin qui s'ouvre à la vie sociale et qui cherche les espaces pour son action évangélisatrice, aborde le domaine de la culture à travers sa parole et son action.

L'Eglise catholique ne s'identifie à aucune culture en particulier, mais elle est proche de toutes, avec un esprit ouvert. En proposant avec respect sa propre vision de l'homme et des valeurs, elle contribue à l'humanisation croissante de la société. Dans l'évangélisation de la culture, c'est le Christ lui-même qui agit à travers son Eglise, car par son Incarnation, « il entre dans la culture » et « apporte à chaque culture historique le don de la purification et de la plénitude » (Conclusions de Saint-Domingue, 228).

« Toute culture est un effort de réflexion sur le mystère du monde et, en particulier, de l'homme: elle est une manière d'exprimer la dimension transcendante de la vie humaine » (Discours aux Nations unies, 5 octobre 1995, n. 9, cf. ORLF n. 41, du 10 octobre 1995). En respectant et en promouvant la culture, l'Eglise respecte et promeut l'homme, qui s'efforce pour sa part de rendre sa vie plus humaine et de la rapprocher, bien qu'avec difficulté, du mystère caché de Dieu. Chaque culture possède un noyau profond de convictions religieuses et de valeurs morales qui en constituent «l'âme»; c'est là que le Christ souhaite parvenir grâce à la force salvatrice de sa grâce. L'évangélisation de la culture est une élévation de son «âme religieuse», qui lui communique un dynamisme nouveau et puissant, le dynamisme de l'Esprit Saint, qui lui permet de développer pleinement son potentiel humain. Dans le Christ, chaque culture se sent profondément respectée, valorisée et aimée; car chaque culture reste toujours ouverte, dans ce qu'elle a d'authentique, aux trésors de la Rédemption.

3. Cuba, en raison de son histoire et de sa situation géographique, possède une culture propre qui, dans sa formation, a subi diverses influences: l'influence espagnole, qui apporta le catholicisme; l'africaine, dont la religiosité fut imprégnée de christianisme; celle des différents groupes d'immigrants et l'influence américaine. Il est juste de rappeler l'influence que le séminaire de « San Carlo y San Ambrosio » de La Havane a eue sur le développement de la culture nationale, sous l'influence de figures comme José Agustín Caballero, appelé par Martí «père des pauvres et de notre philosophie», et le prêtre Félix Varela, véritable père de la culture cubaine. La superficialité ou l'anticléricalisme de certains secteurs de cette époque ne sont effectivement pas représentatifs de ce qui a été la véritable caractéristique de ce peuple qui, au cours de son histoire, a considéré la foi catholique comme la source des riches valeurs de l'identité cubaine qui, à côté de ses expressions typiques, telles que les chansons populaires, les débats du monde rural et les recueils de proverbes populaires, possède une profonde empreinte chrétienne. Cela représente aujourd'hui une richesse et une réalité constitutive de la nation.

4. Le Père Félix Varela y Morales est un fils illustre de cette terre, et est considéré par beaucoup comme la pierre angulaire de la nationalité cubaine. Il représente la meilleure synthèse que l'on puisse trouver entre foi chrétienne et culture cubaine. Prêtre exemplaire de La Havane et patriote indiscuté, il fut l'un des grands penseurs qui renouvela, à Cuba au XIXe siècle, les méthodes pédagogiques et les contenus de l'enseignement philosophique, juridique, scientifique et théologique. Maître de générations entières de Cubains, il enseigna que pour être responsable de son existence, la première chose à apprendre est l'art difficile de penser de façon correcte avec sa propre intelligence. Il fut le premier à parler d'indépendance sur cette terre. Il parla également de démocratie, la considérant comme le projet politique le plus adapté à la nature humaine, soulignant en même temps les exigences qui en dérivent.

Il soulignait deux de ces exigences: tout d'abord, qu'il existe des personnes éduquées à la liberté et à la responsabilité, fortes d'un projet éthique propre et bien structuré et qui sachent tirer le meilleur parti de l'héritage de la civilisation et des valeurs éternelles transcendantes, pour être ainsi en mesure d'accomplir des tâches décisives au service de la communauté; et, en deuxième lieu, que les relations humaines, ainsi que le style de la coexistence sociale, favorisent des espaces appropriés où chaque personne puisse, avec le respect et la solidarité nécessaires, jouer le rôle historique qui lui revient pour rendre l'Etat de droit dynamique, ce qui constitue une garantie essentielle de toute coexistence humaine qui se veut démocratique.

Le Père Varela était conscient du fait qu'à son époque, l'indépendance était un idéal encore lointain; c'est pourquoi il se consacra à former des personnes, des hommes de conscience qui ne soient pas méprisants à l'égard des faibles, ni faibles à l'égard des puissants. En exil à New York, il utilisa les moyens à sa disposition: la correspondance personnelle, la presse et ce que nous pouvons considérer comme son oeuvre principale, les « Cartas a Elpidio sobre la impiedad, la superstición y el fanatismo en sus relaciones con la sociedad », un authentique chef-d'oeuvre d'enseignement moral qui constitue son précieux héritage légué à la jeunesse cubaine. Au cours des dernières trente années de sa vie, loin de sa chaire de La Havane, il continua à enseigner de l'étranger, créant ainsi une école de pensée, un style de coexistence sociale et une attitude à l'égard de sa patrie qui doivent éclairer, aujourd'hui encore, tous les Cubains.

Toute la vie du Père Varela fut inspirée par une profonde spiritualité chrétienne. Sa motivation la plus forte, la source de ses vertus, la racine de son engagement avec l'Eglise et Cuba fut: chercher la gloire de Dieu en toute chose. Cela le mena à croire dans la force de ce qui est humble, dans l'efficacité des semences de la vérité, dans la nécessité que les changements vers les réformes profondes et authentiques aient lieu à un rythme adapté. Parvenu au terme de son chemin, peu avant de fermer les yeux à la lumière de ce monde et de les ouvrir à la Lumière éternelle, il accomplit cette promesse qu'il avait toujours faite: « Guidé par la flamme de la foi, je marche vers le sépulcre à côté duquel j'espère, avec l'aide de la grâce divine et de mon dernier souffle faire acte de ma foi solide et prononcer un voeu fervent pour la prospérité de ma patrie » (Lettres à Elpidio, tome I, lettre 6, p. 182).

5. Tel est l'héritage laissé par le Père Varela. Le bien de sa patrie continue à avoir besoin de la lumière éternelle qu'est le Christ. Le Christ est la voie qui mène l'homme à la plénitude de ses dimensions, le chemin qui conduit à une société plus juste, plus libre, plus humaine, plus solidaire. L'amour pour le Christ et pour Cuba, qui illumina la vie du Père Varela, fut profondément enraciné dans la culture cubaine. Rappelez-vous de la flamme qui figure sur le blason de cette Université: elle n'est pas seulement mémoire mais également projet. Les intentions et les origines de cette Université, leur parcours et leur héritage caractérisent sa vocation à être mère de sagesse et de liberté, inspiratrice de foi et de justice, creuset où se fondent science et conscience, maîtresse d'universalité et d'identité cubaine.

La flamme allumée par le Père Varela et qui devait illuminer l'histoire du peuple cubain, fut recueillie, peu après sa mort, par l'éminente personnalité de cette nation que fut José Martí: écrivain et maître au sens le plus complet du terme, profondément démocratique et indépendantiste, patriote et également l'ami loyal de ceux qui ne partageaient pas son programme politique. Il fut surtout un homme éclairé, cohérent avec ses valeurs éthiques et animé par une spiritualité de nature éminemment chrétienne. Il est considéré comme le défenseur de la pensée du Père Varela, qu'il surnomma « le saint cubain ».

6. Dans cette Université est conservée, comme l'un de ses trésors les plus précieux, la dépouille mortelle du Père Varela. Partout à Cuba, l'on voit également des monuments que la vénération des Cubains a élevés à José Martí. Je suis convaincu que ce peuple a hérité des vertus humaines, inspirées par le christianisme de ces deux hommes, car les Cubains partagent de façon solidaire leur identité culturelle. A Cuba, on peut parler d'un « dialogue culturel fécond » qui est la garantie d'une croissance plus harmonieuse et de la multiplication des initiatives et de la créativité de la société civile. Dans ce pays, la plupart des agents de la culture — catholiques et non catholiques, croyants et non croyants — sont des hommes de dialogue, capables de proposer et d'écouter. Je vous exhorte à poursuivre vos efforts pour parvenir à une synthèse dans laquelle tous les Cubains puissent s'identifier, à chercher la façon de consolider une identité cubaine harmonieuse qui puisse comprendre en son sein les multiples traditions nationales. La culture cubaine, si elle est ouverte à la Vérité, consolidera sa propre identité nationale et la fera croître en humanité.

L'Eglise et les institutions culturelles de la nation doivent se rencontrer dans le dialogue et contribuer ainsi au développement de la culture cubaine. Leur chemin et leur finalité sont communs: servir l'homme, cultiver toutes les dimensions de son esprit et rendre fécondes toutes ses relations communautaires et sociales. Les initiatives qui existent déjà dans ce sens doivent trouver un soutien et une continuité dans une pastorale pour la culture, en dialogue permanent avec les personnes et les institutions du milieu intellectuel.

Pèlerin dans une nation comme la vôtre, riche d'un héritage métis et chrétien, je suis confiant qu'à l'avenir, les Cubains réussiront à édifier une civilisation de justice et de solidarité, de liberté et de vérité, une civilisation d'amour et de paix qui, comme le disait le Père Varela, « soit la base du grand édifice de notre bonheur ». C'est pourquoi je me permets à nouveau de remettre entre les mains des jeunes Cubains ce testament, toujours nécessaire et actuel, du père de la culture cubaine, cette mission que le Père Varela confia à ses disciples: « Dis-leur que je suis la douce espérance de la patrie et qu'il n'y a pas de patrie sans vertu, ni de vertu avec impiété ».




RENCONTRE AVEC LE MONDE DE LA SOUFFRANCE

Sanctuaire de saint Lazare à La Havane, Samedi 24 janvier 1998



Très chers frères et soeurs:


1.Au cours de ma visite sur cette terre je ne pouvais pas ne pas rencontrer le monde de la douleur, car le Christ est très proche de ceux qui souffrent. Je vous salue avec toute mon affection, chers malades, hospitalisés à l'hôpital tout proche « Doctor Guillermo Fernández-Baquero », qui affluez aujourd'hui dans ce Sanctuaire de saint Lazare, l'ami du Seigneur. A travers vous, je désire saluer également les autres malades de Cuba, les personnes âgées qui sont seules et tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit. A travers ma parole et mon affection, je désire toucher chacun de vous, selon l'exhortation du Seigneur: « J'étais [...] malade et vous m'avez visité » (Mt 25,35-36). Que l'affection du Pape, la solidarité de l'Eglise et la chaleur fraternelle des hommes et des femmes de bonne volonté vous accompagnent.

Je salue les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, qui travaillent dans ce centre et à travers elles, je salue également les autres personnes consacrées appartenant à divers Instituts religieux, qui oeuvrent avec amour dans d'autres lieux de cette belle île pour soulager les souffrances de chaque personne dans le besoin. La communauté ecclésiale vous est très reconnaissante car de cette façon, vous contribuez à la mission concrète selon votre charisme particulier, car « l'Evangile devient opérant par la charité qui est la gloire de l'Eglise et le signe de sa fidélité au Seigneur » (Vita consecrata VC 82).

Je désire également saluer les médecins, les infirmiers et le personnel auxiliaire, qui avec compétence et dévouement utilisent les ressources de la science pour soulager les souffrances et la douleur. L'Eglise a une grande estime pour votre travail car, animé par l'esprit de service et de solidarité envers le prochain, il rappelle l'oeuvre de Jésus qui « guérit tous les malades » (Mt 8,16). Je connais les grands efforts qui s'accomplissent à Cuba dans le domaine de la santé, en dépit des restrictions économiques auxquelles le pays est soumis.

2. Je viens en tant que pèlerin de la vérité et de l'espérance au Sanctuaire de saint Lazare, en tant que témoin, dans ma chair, de la signification et de la valeur que revêt la douleur lorsqu'on l'accueille en s'approchant, confiants, de Dieu « riche de miséricorde ». Ce lieu est sacré pour les Cubains, car ici, ceux qui s'adressent avec foi au Christ avec la même certitude que saint Paul: « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4,13), font l'expérience de la grâce. Ici, nous pouvons répéter les paroles avec lesquelles Marthe, soeur de Lazare, exprima sa confiance à Jésus-Christ, obtenant ainsi le miracle de la résurrection de son frère: « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera » (Jn 11,22) et les paroles avec lesquelles, par la suite, elle confessa: « Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde » (Jn 11,27).

3. Très chers frères, d'une façon ou d'une autre, chaque être humain fait l'expérience dans sa propre vie de la douleur et de la souffrance et ne peut manquer de s'interroger sur elles. La douleur est un mystère souvent insondable pour la raison. Il fait partie du mystère de la personne humaine qui ne s'éclaire qu'en Jésus-Christ qui révèle à l'homme son identité. Ce n'est qu'à partir de Lui que nous pourrons trouver le sens de tout ce qui est humain.

« La souffrance en effet », comme je l'ai écrit dans la Lettre apostolique Salvifici doloris, « ne peut être transformée par une grâce venant du dehors, mais par une grâce intérieure [...] Mais un tel processus ne se développe pas toujours de la même manière [...] Le Christ, en effet, ne répond ni directement, ni de manière abstraite à cette interrogation humaine sur le sens de la souffrance. L'homme entend sa réponse salvifique au fur et mesure qu'il devient participant des souffrances du Christ. La réponse qui vient ainsi dans cette participation, [...] est [...] un appel: "Suis-moi!" Viens! Prends part avec ta souffrance à cette oeuvre de salut du monde, qui s'accomplit par ma propre souffrance! Par ma Croix! » (n. 26).

Telles sont la véritable signification et la valeur de la douleur, des souffrances physiques, morales et spirituelles. Telle est la Bonne Nouvelle que je désire vous communiquer. Aux interrogations de l'homme, le Seigneur répond par un appel, par une vocation particulière qui, en tant que telle, a son fondement dans l'amour. Le Christ ne se présente pas à nous avec des explications et des raisons pour nous tranquilliser ou pour nous inquiéter, mais il vient nous dire: Venez avec moi. Suivez-moi sur le chemin de la Croix. La Croix est souffrance. « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive » (Lc 9,23). Jésus-Christ s'est placé à la tête du chemin de la croix: il a souffert le premier. Il ne nous pousse pas à la souffrance, mais la partage avec nous et veut que nous ayons la vie et que nous l'ayons en abondance (cf. Jn 10,10).

La douleur se transforme lorsque nous faisons l'expérience en nous de la proximité et de la solidarité du Dieu vivant: « Je sais moi que mon Défenseur est vivant et [...] je verrai Dieu » (Jb 19,25-26). C'est grâce à cette certitude que l'on acquiert la paix intérieure et c'est à partir de cette joie spirituelle, sereine et profonde, qui jaillit de l'«Evangile de la souffrance», que l'on prend conscience de la grandeur et de la dignité de l'homme qui souffre généreusement et qui offre sa douleur « en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu » (Rm 12,1). De cette façon, celui qui souffre n'est pas un poids pour les autres, mais contribue à leur salut à travers sa souffrance.

La souffrance n'est pas seulement de nature physique, comme peut l'être la maladie. Il y a également la souffrance de l'âme, celle que vivent les personnes isolées, persécutées, les détenus pour crimes divers ou pour des raisons de conscience, à cause de leurs idées pacifiques, mais qui ne sont pas partagées. Ces derniers subissent l'isolement et une peine à laquelle leur conscience ne les condamne pas, tandis qu'ils désirent s'intégrer à la vie active à travers des espaces dans lesquels ils puissent exprimer et proposer leurs opinions dans le respect et la tolérance. J'encourage à promouvoir les efforts en vue de la réinsertion sociale de la population pénitentiaire. Il s'agit d'un geste de grande humanité et d'une semence de réconciliation qui fait honneur à l'autorité qui l'encourage, et qui renforce dans le même temps la coexistence pacifique dans le pays. A tous les détenus, à leurs familles qui souffrent à cause de la séparation et qui aspirent à se retrouver, j'envoie mon salut cordial, les invitant à ne pas se laisser abattre par le pessimisme et par le découragement.

Très chers frères: les Cubains ont besoin de force intérieure, de paix profonde et de la joie qui jaillit de l'« Evangile de la souffrance ». Offrez tout cela avec générosité, afin que Cuba « voit Dieu face à face », c'est-à-dire afin que le pays marche à la lumière de son Visage vers le Royaume éternel et universel, pour que chaque Cubain, du plus profond de son être, puisse dire: « Je sais, moi, que mon défenseur est vivant » (Jb 19,25-26). Celui-ci n'est autre que Jésus-Christ, Notre Sauveur.

4. La dimension chrétienne de la souffrance ne se réduit pas seulement à sa signification profonde et à son caractère rédempteur. La douleur invite à l'amour, c'est-à-dire qu'elle doit engendrer solidarité, dévouement, générosité chez ceux qui souffrent et chez ceux qui se sentent appelés à les assister et à les aider dans leurs souffrances. La parabole du Bon Samaritain (cf. Lc 10,29 et sq.), qui nous présente l'Evangile de la solidarité envers le prochain qui souffre, « est devenue un des éléments essentiels de la culture morale et de la civilisation universellement humaine » (Salvifici doloris, n. 29). En effet, dans cette parabole, Jésus nous enseigne que le prochain est celui que nous rencontrons sur notre chemin, blessé et ayant besoin d'aide: il doit être soutenu dans les maux qui l'affligent, à l'aide des moyens adaptés, et il faut s'occuper de lui jusqu'à sa guérison complète. La famille, l'école, les autres institutions éducatives, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires, doivent oeuvrer avec persévérance à l'éveil et à l'affinement de la sensibilité envers le prochain et sa souffrance, dont la figure du Samaritain est le symbole. L'éloquence de la parabole du Bon Samaritain et de l'Evangile tout entier se résume à ceci: l'homme doit se sentir appelé à titre personnel à être le témoin de l'amour dans la douleur. « Les institutions sont très importantes et indispensables; cependant, aucune institution ne peut par elle-même remplacer le coeur humain, la compassion humaine, l'amour humain, l'initiative humaine, lorsqu'il s'agit d'aller à la rencontre de la souffrance d'autrui » (Ibid., n. 29).

Tout cela se réfère aux souffrances physiques, mais cela vaut encore plus pour les multiples souffrances morales et de l'âme. C'est pourquoi lorsqu'une personne souffre dans son âme ou lorsque l'âme d'une nation souffre, la douleur doit inviter à la solidarité, à la justice, à l'édification de la civilisation de la vérité et de l'amour. Un signe éloquent de la volonté d'amour face à la douleur et à la mort, à la prison et à la solitude, aux séparations familiales forcées ou à l'immigration qui divise les familles, doit être le fait que chaque organisme social, chaque institution publique, ainsi que toutes les personnes qui ont des responsabilités dans le domaine de la santé, de l'attention des personnes dans le besoin et de la rééducation des détenus, respectent et fassent respecter les droits des malades, des exclus, des détenus et de leur famille, c'est-à-dire les droits de chaque homme qui souffre. Dans ce sens, la Pastorale de la santé et celle pénitentiaire doivent trouver les espaces nécessaires pour réaliser leur mission au service des malades, des détenus et de leurs familles.

L'indifférence face à la douleur humaine, la passivité face aux causes qui provoquent les souffrances de ce monde, les remèdes immédiats qui ne guérissent pas en profondeur les blessures des personnes et des peuples, constituent de graves omissions. Face à celles-ci, chaque homme de bonne volonté doit se convertir et écouter le cri des personnes qui souffrent.

5. Frères et soeurs bien-aimés: dans les moments difficiles de la vie personnelle, familiale et sociale, les paroles de Jésus nous aident dans l'épreuve: « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26,39). Le pauvre qui souffre trouve dans la foi la force du Christ qui lui dit à travers Paul: « Ma grâce te suffit » (2Co 12,9). Aucune souffrance n'est perdue, aucune douleur n'est vaine: Dieu les accueille tous comme il a accueilli le sacrifice de son Fils Jésus-Christ.

Au pied de la Croix, les bras ouverts et le coeur transpercé, se tient notre Mère, la Vierge Marie Notre Dame des Douleurs et de l'Espérance, qui nous accueille en son sein maternel rempli de grâce et de compassion. Elle constitue un chemin sûr vers le Christ, notre paix, notre vie et notre résurrection.

Marie, Mère des personnes qui souffrent, consolation des mourants, réconfort chaleureux des découragés: tourne ton regard vers tes fils cubains qui traversent la dure épreuve de la douleur et montre-leur Jésus, fruit béni de ton sein! Amen.



RENCONTRE OECUMÉNIQUE À LA NONCIATURE APOSTOLIQUE DE LA HAVANE

25 janvier 1998

1. En ce jour important, je suis heureux de vous recevoir, représentants du Conseil des Eglises de Cuba et de diverses confessions chrétiennes, accompagnés par quelques représentants de la communauté juive qui participe au Conseil en qualité d'observateur. Je vous salue tous avec une grande affection et je vous assure de la joie que me procure cette rencontre avec ceux qui partagent notre foi dans le Dieu véritable et vivant. Cette atmosphère favorable nous fait dire dès le début: « Voyez! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble! » (Ps 132,1).


Je suis venu dans ce pays en tant que messager de l'espérance et de la vérité, pour encourager et confirmer dans la foi les pasteurs et les fidèles des divers diocèses de cette nation (cf. Lc 22,32), mais j'ai également voulu que mon salut parvienne à tous les Cubains, comme signe concret de l'amour infini de Dieu pour tous les hommes. Au cours de cette visite à Cuba — comme j'ai l'habitude de le faire lors de mes voyages apostoliques —, je ne pouvais manquer de vous rencontrer, afin de partager les efforts visant à rétablir l'unité entre tous les chrétiens et à renforcer la collaboration en vue du progrès intégral du peuple cubain, en tenant compte des valeurs spirituelles et transcendantes de la foi. Cela est possible grâce à l'espérance commune dans les promesses de salut que Dieu nous a faites et qu'il a manifestées en Jésus-Christ, Sauveur du genre humain.

2. Aujourd'hui, solennité de la Conversion de saint Paul, l'Apôtre «saisi par le Christ Jésus» (Ph 3,12), qui à partir de cet instant consacra ses énergies à prêcher l'Evangile à toute la nation, se conclut la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, que nous avons célébrée cette année sur le thème: « L'Esprit vient au secours de notre faiblesse » (Rm 8,26). Cette initiative, commencée il y a de nombreuses années et qui a pris une importance toujours plus grande, a pour but non seulement d'attirer l'attention de tous les chrétiens sur la valeur du mouvement oecuménique, mais également de mettre en évidence de façon pratique et claire les colonnes sur lesquelles doivent se fonder toutes ses activités.

Cette circonstance m'offre l'occasion de réaffirmer, sur cette terre marquée par la foi chrétienne, l'engagement irrévocable de l'Eglise à ne pas se détourner de son aspiration à la pleine unité des disciples du Christ, en répétant constamment avec Lui: « Afin que tous soient un... Père » (Jn 17,21), obéissant ainsi à sa volonté. Cet engagement ne doit manquer dans aucun lieu de l'Eglise, quelle que soit la situation sociale dans laquelle elle se trouve. Il est vrai que chaque nation possède une culture propre et une histoire religieuse propre et que les activités oecuméniques ont donc des caractéristiques distinctes et particulières dans les différents lieux; mais il est surtout très important que les relations entre tous ceux qui partagent la foi en Dieu soient toujours fraternelles. Aucune condition historique et aucun conditionnement idéologique ou culturel ne devraient troubler ces relations, dont le noyau central et l'objectif doivent être uniquement au service de l'unité voulue par Jésus-Christ.

Nous sommes conscients que le retour à la pleine communion exige amour, courage et espérance, des éléments qui naissent tous de la prière persévérante, source primordiale de tout engagement véritablement inspiré par le Seigneur. La prière, tout en favorisant la purification des coeurs et la conversion intérieure, nécessaires pour reconnaître l'action de l'Esprit Saint comme guide des personnes, de l'Eglise et de l'histoire, promeut également la concorde, qui transforme nos volontés et les rend dociles à ses inspirations. De cette façon, une foi toujours plus vive est également alimentée. Tel est l'Esprit qui a guidé le mouvement oecuménique et c'est à ce même Esprit que doivent être attribués les progrès considérables effectués, qui ont permis de surmonter les périodes où les relations entre les communautés étaient caractérisées par l'indifférence réciproque, débouchant dans certains lieux sur une hostilité ouverte.

3. Le profond dévouement à la cause de l'unité de tous les chrétiens est l'un des signes d'espérance présents en cette fin de siècle (cf. Tertio millennio adveniente TMA 46). On peut également l'appliquer aux chrétiens de Cuba, appelés non seulement à poursuivre le dialogue dans un esprit de respect, mais à collaborer d'un commun accord à des projets conjoints qui aident toute la population à progresser dans la paix et à croître dans les valeurs essentielles de l'Evangile, qui confèrent sa dignité à la personne humaine et rendent la coexistence plus juste et solidaire. Nous sommes tous appelés à cultiver un dialogue de la charité quotidien qui fructifiera dans le dialogue de la vérité, offrant à la société cubaine l'image authentique du Christ et encourageant la connaissance de sa mission rédemptrice pour le salut de tous les hommes.

4. Je désire en outre adresser un salut particulier à la Communauté juive ici représentée. Sa présence est une preuve éloquente du dialogue fraternel orienté vers une plus grande connaissance entre les juifs et les chrétiens, qui du côté catholique, a été promu par le Concile Vatican II et qui continue à se développer toujours davantage. Nous partageons avec vous un patrimoine spirituel commun, qui plonge ses racines dans l'Ecriture Sainte. Que Dieu, Créateur et Sauveur, soutiennent les efforts entrepris pour marcher ensemble! Encouragés par la Parole divine, puissions-nous progresser dans le culte et dans l'amour fervent pour Lui, et puisse cela déboucher sur une action efficace en faveur de chaque homme.

5. Pour conclure, je désire vous remercier de votre présence à cette rencontre, tandis que je demande à Dieu de bénir chacun de vous et vos communautés, de vous protéger le long de votre chemin pour annoncer son Nom à vos frères, de vous montrer son visage au sein des milieux que vous servez et de vous accorder la paix dans toutes vos activités.

La Havane, le 25 janvier 1998.

Solennité de la Conversion de saint Paul.

IOANNES PAULUS PP. II


AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE CUBAINE

Dimanche 25 janvier 1998

Chers frères dans l'épiscopat,

1. Je ressens une grande joie de me trouver parmi vous, évêques de l'Eglise catholique qui est à Cuba, en ces moments de réflexion sereine et de rencontre fraternelle, pour partager les joies et les espoirs, les désirs et les aspirations de cette portion du Peuple de Dieu pèlerin sur cette terre. J'ai pu visiter quatre des diocèses du pays, même si, par le coeur, je me suis rendu dans tous. J'ai constaté ces jours-ci la vitalité des communautés ecclésiales, leur capacité à réunir les fidèles, fruit notamment de la crédibilité acquise par l'Eglise, grâce à son témoignage persévérant et à sa parole opportune. Les restrictions des années passées l'ont appauvrie en termes de moyens et d'agents de pastorale, mais ces épreuves l'ont également enrichie, la poussant à faire preuve de créativité et de sacrifice dans l'accomplissement de son service.

Je rends grâce à Dieu, car la croix a été féconde sur cette terre, car de la Croix du Christ jaillit l'espérance qui ne déçoit pas, et qui produit même des fruits abondants. Pendant longtemps, la foi à Cuba a été soumise à diverses épreuves, qui ont été soutenues avec une âme ferme et une charité diligente, dans la conscience que le chemin de la Croix se parcourt avec effort et dévouement, en suivant les traces du Christ qui n'oublie jamais son peuple. En ce moment historique, nous nous réjouissons non pas parce que la récolte s'est conclue, mais parce que, en élevant le regard, nous pouvons contempler les fruits de l'évangélisation qui croissent à Cuba.

2. Un peu plus de cinq siècles se sont écoulés depuis que la Croix du Christ a été plantée sur cette terre belle et féconde, de sorte que sa lumière, qui resplendit au sein des ténèbres, a permis à la foi catholique de s'y enraciner. En effet, cette foi fait réellement partie de l'identité et de la culture cubaine. Cela incite de nombreux citoyens à reconnaître l'Eglise comme leur Mère, qui, à partir de sa mission spirituelle et à travers le message évangélique et sa doctrine sociale, promeut le développement intégral des personnes et la coexistence humaine, fondée sur les principes éthiques et sur les valeurs morales authentiques. Les circonstances dans lesquelles se déroule l'action de l'Eglise ont progressivement changé, et cela suscite une nouvelle espérance pour l'avenir. Il existe toutefois des conceptions réductrices, qui tentent de placer l'Eglise catholique au même niveau que certaines manifestations culturelles de religiosité selon le style des cultes syncrétistes qui, avec tout le respect qu'ils méritent, ne peuvent être considérés comme une religion à proprement parler, mais comme un ensemble de traditions et de croyances.

Comme j'ai pu le constater ces jours-ci, nombreuses sont les attentes et grande est la confiance que le peuple cubain a placée dans l'Eglise. Il est vrai que certaines de ces attentes vont au-delà de la mission même de l'Eglise, mais il est également certain que toutes doivent être écoutées, dans les limites du possible, par la communauté ecclésiale. Chers frères, en demeurant auprès de chacun, vous êtes les témoins privilégiés de cette espérance du peuple, dont de nombreux membres croient véritablement dans le Christ, Fils de Dieu et croient dans son Eglise, qui est restée fidèle en dépit des nombreuses difficultés rencontrées.

3. Je sais combien, en tant que Pasteurs, vous êtes préoccupés par le fait que l'Eglise à Cuba est toujours plus sollicitée et harcelée par un nombre toujours plus important de personnes qui requièrent ses services les plus divers. Je sais que vous ne pouvez pas manquer de répondre à ces pressions, ni cesser de rechercher les moyens qui vous permettent de le faire avec efficacité et une charité zélée. Cela ne vous conduit pas à exiger pour l'Eglise une position prédominante ou exclusive, mais à réclamer la place qui vous revient de droit dans le tissu social où se développe la vie du peuple, en comptant sur les espaces nécessaires et suffisants pour servir vos frères. Recherchez ces espaces avec insistance, non pas afin d'atteindre une forme de pouvoir, qui est étranger à votre mission, mais pour accroître votre capacité de service. Et dans cet engagement, cherchez avec un esprit oecuménique une saine coopération avec les autres confessions chrétiennes et entretenez, en vous efforçant de l'étendre et de l'approfondir, un dialogue franc avec les institutions de l'Etat et les organisations autonomes de la société civile.

L'Eglise a reçu de son divin Fondateur la mission de conduire les hommes à rendre un culte au Dieu vivant et véritable, en chantant ses louanges et en proclamant ses merveilles, professant qu'il n'y a « qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4,5-6). Toutefois, le sacrifice agréable à Dieu est, comme le dit le prophète Isaïe, « défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug, renvoyer libres les opprimés [...] partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir [...] Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra » (Is 58,6-8). En effet, les missions cultuelles, prophétiques et caritatives de l'Eglise sont étroitement liées, car la parole prophétique en défense de l'opprimé et le service caritatif confèrent authenticité et cohérence au culte.

Le respect de la liberté religieuse doit garantir les espaces, les oeuvres et les moyens pour porter à terme ces trois dimensions de la mission de l'Eglise de façon à ce que, à côté du culte, l'Eglise puisse se consacrer à l'annonce de l'Evangile, à la défense de la justice et de la paix et en même temps, promouvoir le développement intégral des personnes. Aucune de ces trois dimensions ne doit être limitée, puisqu'aucune d'elles n'exclut les autres ou ne doit être privilégiée au détriment des autres.

Lorsque l'Eglise réclame la liberté religieuse, elle ne sollicite pas un don, un privilège, une licence qui dépend de situations contingentes, de stratégies politiques ou de la volonté des autorités, mais elle demande la reconnaissance effective d'un droit inaliénable. Ce droit ne peut être conditionné par le comportement de pasteurs ou de fidèles, ni par le renoncement à l'exercice d'une des dimensions de sa mission, ni encore moins par des motifs idéologiques ou économiques: il ne s'agit pas seulement d'un droit de l'Eglise en tant qu'institution, il s'agit également d'un droit de toute personne et de tout peuple. Tous les hommes et tous les peuples seront enrichis dans leur dimension spirituelle dans la mesure où la liberté religieuse sera reconnue et exercée.

En outre, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer: « La liberté religieuse est un facteur de grande importance pour renforcer la cohésion morale d'un peuple. La société civile peut compter sur les croyants qui, par leurs convictions profondes, non seulement ne se laisseront pas facilement enfermer dans des idéologies ou des courants envahissants, mais s'efforceront d'agir conformément à leur aspiration à tout ce qui est vrai et juste » (Message pour la Journée mondiale de la Paix 1988, n. 3).

4. C'est pourquoi, chers frères, vous devez vous engager le plus possible à promouvoir ce qui peut favoriser la dignité et le perfectionnement de l'être humain, qui constitue le premier chemin que l'Eglise doit parcourir pour réaliser sa mission (cf. Redemptor hominis, RH 14). Chers évêques de Cuba, vous avez prêché la vérité sur l'homme, qui appartient au noyau fondamental de la foi chrétienne et qui est unie de façon indissoluble à la vérité sur le Christ et sur l'Eglise. Vous avez su offrir de nombreuses façons un témoignage cohérent du Christ. Chaque fois que vous avez soutenu que la dignité de l'homme se place au-dessus de toute structure sociale, économique ou politique, vous avez annoncé une vérité morale qui élève l'homme et qui le conduit, à travers les chemins insondables de Dieu, à la rencontre avec Jésus-Christ Sauveur. C'est l'homme que nous devons servir dans la liberté au nom du Christ; sinon, ce service serait entravé par des conjonctures historiques ou même, dans certains cas, par des situations arbitraires ou de désordre.

Lorsque l'échelle des valeurs et la politique sont inverties, l'économie et toute l'action sociale, au lieu de se placer au service de la personne, la considèrent comme un moyen au lieu de la respecter comme le centre et la fin de tout processus, et portent atteinte à son existence et à sa dimension transcendante. L'être humain devient alors un simple consommateur, ayant un sens de la liberté très individualiste et réducteur, ou un simple producteur, disposant de peu d'espace de liberté civile et politique. Aucun de ces modèles socio-politiques ne favorise un climat d'ouverture à la transcendance de la part de la personne qui cherche Dieu librement.

Je vous encourage donc à poursuivre votre service de défense et de promotion de la dignité humaine, en prêchant avec un engagement persévérant qu'« en réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné [...] Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Gaudium et spes GS 22). Cela fait partie de la mission de l'Eglise, qui ne peut rester insensible à tout ce qui peut servir le bien authentique de l'homme, ni ne peut rester indifférente à ce qui le menace (cf. Redemptor hominis, RH 14).

5. Je connais bien votre sensibilité de Pasteurs, qui vous pousse à affronter avec une charité pastorale les situations qui menacent la vie humaine et sa dignité. Luttez toujours pour susciter parmi vos fidèles et dans tout le peuple cubain le respect pour la vie, dès le sein maternel, qui exclut toujours le recours à l'avortement, acte criminel. OEuvrez pour la promotion et la défense de la famille, proclamant la sainteté et l'indissolubilité du mariage chrétien face aux maux du divorce et de la séparation, qui sont sources de tant de souffrance. Soutenez avec une charité pastorale les jeunes, qui aspirent à de meilleures conditions pour développer leur projet de vie personnelle et sociale, fondé sur les valeurs authentiques. Il faut suivre avec attention ce secteur de la population, en offrant une formation catéchétique, morale et civile adéquate, qui donne aux jeunes le nécessaire «supplément d'âme» qui leur permet d'apporter un remède à la perte de valeurs et de signification de leur vie au moyen d'une solide éducation humaine et chrétienne.

Avec les prêtres, vos premiers collaborateurs préférés, et les religieux et religieuses qui oeuvrent à Cuba, continuez à accomplir la mission d'apporter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à ceux qui ont soif d'amour, de vérité et de justice. Accueillez les séminaristes avec confiance, en les aidant à acquérir une solide formation intellectuelle, humaine et spirituelle, qui leur permette de se configurer au Christ, Bon Pasteur, et à aimer l'Eglise, son peuple, qu'ils devront servir comme ministres avec générosité et enthousiasme dans un avenir proche; qu'ils soient les premiers à bénéficier de cet esprit missionnaire.

Encouragez les fidèles laïcs à vivre leur vocation avec confiance et espérance, à travers leur présence dans tous les secteurs de la vie sociale, en témoignant de la vérité sur le Christ et sur l'homme; en cherchant, avec les autres personnes de bonne volonté, des solutions aux divers problèmes moraux, sociaux, politiques, économiques, culturels et spirituels que la société doit affronter; en participant avec efficacité et humilité aux efforts pour surmonter les situations parfois critiques qui concernent chacun, afin que la nation accède à des conditions de vie toujours plus humaines. Les fidèles catholiques, comme les autres citoyens, ont le devoir et le droit de contribuer au progrès du pays. Le dialogue civil et la participation responsable peuvent ouvrir de nouveaux chemins pour l'action des laïcs, et il est souhaitable que les laïcs engagés continuent à se préparer à l'étude et à l'application de la doctrine sociale de l'Eglise pour illuminer à travers elle tous les milieux.

Je sais que votre sollicitude pastorale n'a pas négligé ceux qui, en diverses circonstances, ont abandonné leur patrie, tout en continuant à se sentir les fils de Cuba. Dans la mesure où ils se considèrent Cubains, ils doivent collaborer avec sérénité et un esprit constructif et respectueux, au progrès de la nation, en évitant des confrontations inutiles et en promouvant un climat de dialogue constructif et de compréhension réciproque. Aidez-les, à partir de la prédication des hautes valeurs de l'esprit, et avec la collaboration d'autres épiscopats, à être des promoteurs de paix et de concorde, de réconciliation et d'espérance, à rendre concrète la solidarité généreuse avec leurs frères cubains dans le besoin, démontrant ainsi le lien profond avec leur terre d'origine.

Je souhaite que, dans votre action pastorale, vous, évêques catholiques de Cuba, réussissiez à obtenir un accès progressif aux moyens modernes les plus adaptés pour accomplir votre mission évangélisatrice et éducatrice. Un Etat laïc ne doit pas craindre, mais apprécier la contribution morale et éducative de l'Eglise. Dans ce contexte, il est normal que l'Eglise ait accès aux moyens de communication sociale: radio, presse et télévision, et qu'elle puisse disposer de ses propres ressources dans ces domaines pour réaliser l'engagement de l'annonce du Dieu vivant et véritable à tous les hommes. Dans cette oeuvre évangélisatrice, les publications catholiques qui peuvent servir de façon plus efficace à l'annonce de la vérité non seulement aux fils de l'Eglise, mais également à tout le peuple cubain, doivent être développées et enrichies.

6. Ma visite pastorale a lieu à un moment très particulier pour la vie de toute l'Eglise: la préparation au grand Jubilé de l'An 2000. En tant que pasteurs de cette portion du peuple de Dieu pèlerin à Cuba, vous participez à cet esprit et à travers le Plan de Pastorale globale, vous encouragez toutes les communautés à vivre le « nouveau printemps de vie chrétienne qui devra être révélé par le grand Jubilé si les chrétiens savent suivre l'action de l'Esprit Saint » (Tertio millennio adveniente TMA 18). Que ce Plan même apporte une continuité au contenu de la visite et à l'expérience de l'Eglise incarnée, solidaire et prophétique, qui veut se mettre au service de la promotion intégrale des Cubains. Cela exige une formation adéquate qui, comme vous l'avez souhaité, «rétablisse l'homme en tant que personne dans ses valeurs humaines, éthiques, civiles et religieuses et le rende capable d'accomplir sa mission dans l'Eglise et dans la société» (II ENEC, Memoria, p. 38), pour laquelle sont nécessaires «la création et le renouveau des diocèses, des paroisses et des petites communautés qui encouragent la participation et la coresponsabilité et qui vivent dans la solidarité et dans le service leur mission évangélisatrice» (ibid.).

7. Chers frères, pour conclure ces réflexions, je désire vous assurer que je repars à Rome avec une grande espérance dans l'avenir, en voyant la vitalité de cette Eglise locale. Je suis conscient de l'importance des défis qui se présentent à vous, mais également de l'esprit juste qui vous anime et de votre capacité à les affronter. Ayant confiance en tout cela, je vous encourage à poursuivre «le ministère de la réconciliation» (2Co 5,18), afin que le peuple qui vous a été confié, surmontant les difficultés du passé, progresse le long des voies de la réconciliation entre tous les Cubains sans exception. Vous savez bien que le pardon n'est pas incompatible avec la justice et que l'avenir du pays doit se construire dans la paix, qui est le fruit de la justice même et du pardon offert et reçu.

Continuez à être des « messagers de bonnes nouvelles » (Is 52,7), afin que se renforce une coexistence juste et digne, dans laquelle tous puissent trouver un climat de tolérance et de respect réciproque. En tant que collaborateurs du Seigneur, vous êtes le champ de Dieu, l'édifice de Dieu (cf. 1Co 3,9), de sorte que les fidèles trouvent en vous d'authentiques maîtres de vérité et des guides diligents de leur peuple, engagés à obtenir son bien-être matériel, moral et spirituel, en tenant compte de l'Exhortation de l'Apôtre saint Paul: « Que chacun prenne garde à la manière dont il [...] bâtit. De fondement, en effet, nul ne peut en poser d'autre que celui qui s'y trouve, c'est-à-dire Jésus-Christ » (1Co 3,10-11).

Le regard fixé sur notre Sauveur, qui est «le même hier, aujourd'hui et à jamais» (He 13,8), et plaçant tous les désirs et toutes les espérances dans la Mère du Christ et toutes de l'Eglise, vénérée ici sous le titre très doux de « Nuestra Señora de la Caridad del Cobre », en gage d'affection et signe de la grâce qui vous accompagne dans votre ministère, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.



Discours 1998 - Mercredi 21 janvier 1998