Discours 1996 - Evêché de Tunis, Dimanche 14 avril 1996

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DU MONDE POLITIQUE, CULTUREL ET RELIGIEUX

Palais présidentiel de Carthage, Dimanche 14 avril 1996




Monsieur le Président de la République,
Mesdames, Messieurs,

1. C'est une joie pour moi de me trouver en Tunisie, sur cette terre d'accueil et d'amitié. Je vous remercie très chaleureusement, Monsieur le Président, pour les aimables paroles que vous venez de m'adresser, qui témoignent de l'estime dans laquelle l'Église est tenue dans votre pays. Je remercie aussi les personnalités qui ont bien voulu participer à cette réunion. À travers vous, représentants du monde politique, culturel et religieux, je suis heureux d'avoir encore l'occasion de rencontrer, même brièvement, le peuple tunisien, dont la courtoisie, l'ouverture, et la tolérance sont l'honneur.

Ces qualités du caractère tunisien sont sans doute en partie le résultat de la position géographique de ce pays ainsi que de son histoire. La Tunisie appartient au monde arabe, plus précisément au Maghreb, et également au monde méditerranéen. À travers l'histoire, avec la succession des brillantes civilisations qui se sont rencontrées ici, s'est créé un réseau de relations qui ont laissé leur marque sur le pays. Aujourd'hui encore la Tunisie, qui dans ces dernières décades s'est distinguée pour ses réalisations dans les domaines de l'éducation et de la santé, joue un rôle important dans la coopération et les échanges qui se développent dans la région.

2. Nous assistons ces derniers temps, en effet, à un grand mouvement pour favoriser l'entente et la collaboration entre les pays riverains de la Méditerranée. Le Saint-Siège suit avec beaucoup d'intérêt ces efforts. Certes, on ne peut que se réjouir de la création, par la voie des investissements et des échanges technologiques et culturels, de possibilités d'une plus grande prospérité pour les populations des deux rives de la Méditerranée. Il est essentiel que toutes les couches de la population de ces pays puissent bénéficier des avantages de la croissance économique escomptée. C'est aussi un devoir de justice et d'estime réciproque que, dans ses relations avec les autres, chaque nation puisse garder sa liberté et chaque peuple maintenir son identité propre.

Dans ce contexte, on ne peut qu'encourager tous ceux qui collaborent avec courage à la construction d'une paix juste et durable au Moyen-Orient. Sans une solution équitable aux problèmes de cette région, qui pourrait parler raisonnablement de développement et de prospérité?

3. La coopération internationale devrait donc contribuer à des progrès dans le développement intégral de l'homme et de la société, c'est-à-dire un développement qui ne concerne pas seulement l'aspect économique mais intéresse toutes les dimensions de l'existence humaine. Ce faisant, cette coopération favorisera la stabilité et la paix. Lorsque les aspirations profondes d'un peuple ne sont pas satisfaites, les conséquences peuvent être dévastatrices, conduisant a des solutions simplistes, qui sont des menaces pour la liberté des personnes et des sociétés et que l'on cherchera même â imposer par la violence. Si, par contre, s'ouvrent pour les citoyens des perspectives d'avenir fondées sur une véritable solidarité entre tous, ils seront davantage portés à avancer sur le chemin du progrès véritable de l'homme dans la justice et la concorde.

4. Il est évident que les responsables religieux n'ont pas pour compétence d'apporter des solutions techniques aux problèmes de l'économie moderne et de la coopération internationale. Ils ont cependant une grande responsabilité dans la vie sociale. Ils doivent être, en quelque sorte, la conscience de la société, en rappelant les principes éthiques dont il faut tenir compte dans les choix concrets, en appelant au respect des vraies valeurs humaines, comme le respect de la vie, la dignité de la personne et l'honnêteté. Ils ont aussi pour devoir de parler au nom de ceux qui sont les plus faibles, les plus démunis, dont la voix ne peut se faire entendre.

5. La préoccupation pour les personnes les plus défavorisées de la population n'est pas de la seule responsabilité des autorités publiques; elle doit être le souci de tous. L'Église qui est en Tunisie souhaite, elle aussi, à la place qui est la sienne, contribuer à répondre aux besoins qui se font jour. Ses institutions, dans le domaine social, en faveur du développement, dans l'éducation et la santé, veulent être au service de tous les Tunisiens. Ce sont là des lieux d'une coopération fructueuse entre musulmans et chrétiens, pour contribuer ensemble au bien commun.

6. Ce n'est pas sans émotion, je dois l'avouer, que je viens dans ce pays qui évoque des pages glorieuses de l'histoire du christianisme. Qui pourrait oublier les noms de Cyprien, de Tertullien, d'Augustin? J'en ai fait mémoire ce matin, en priant avec la communauté chrétienne. Mais, comment ne pas mentionner aussi, avec admiration, l'apport de la civilisation arabe et le rôle de ses penseurs notamment dans la transmission des sciences, ou encore les écrits du grand philosophe tunisien Ibn Khaldun, précurseur dans les domaines de la réflexion historique et sociologique?

Les ouvres produites par les grands esprits de ce pays, chrétiens et musulmans, constituent un riche patrimoine qui mérite être connu plus profondément. Et je voudrais évoquer tout particulièrement dans ce contexte l'importance des échanges culturels entre des populations fortement marquées soit par le christianisme, soit par l'islam. De tels échanges doivent être favorisés et soutenus, car, comme je le disais l'an dernier lors de ma visite à l'Organisation des Nations Unies, la culture « est une manière d'exprimer la dimension transcendante de la vie humaine. Le coeur de toute culture est constitué par son approche du plus grand des mystères, le mystère de Dieu » [1]. Mais c'est aussi un fait paradoxal du monde contemporain qu'à l'heure où la communication devient plus facile et plus rapide, la connaissance mutuelle court le risque de rester à un stade superficiel.

7. De notre temps un développement important du dialogue entre musulmans et chrétiens a vu le jour. Pour les catholiques, le Concile Vatican II a constitué un pas décisif, les encourageant à s'ouvrir à ce dialogue et à la collaboration avec les musulmans. Le Concile exhortait chrétiens et musulmans, dans les termes bien connus de la Déclaration « Nostra Aetate », « à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » [2].

Il faut rendre hommage à la Tunisie pour ses initiatives dans ce domaine, par exemple les colloques islamo-chrétiens organisés par le Centre d'Études et de Recherches Économiques et Sociales, la contribution de musulmans tunisiens et de chrétiens vivant en Tunisie, à divers groupes de recherche et de réflexion, dont les travaux sont appréciés. Et j'ai appris avec plaisir que des échanges académiques sont appelés à se développer entre la prestigieuse université de Zaytouna et des universités pontificales à Rome.

8. Permettez-moi encore de réfléchir un instant avec vous sur les conditions nécessaires pour que ce dialogue soit fructueux. Il est indispensable tout d'abord qu'il soit animé par un vrai désir de connaître l'autre. Il ne s'agit pas d'une simple curiosité humaine. L'ouverture à l'autre est, en quelque sorte, une réponse à Dieu qui permet nos différences et qui veut que nous nous connaissions plus profondément. Et pour cela, se situer en vérité les uns par rapport aux autres est une exigence essentielle.

Les partenaires du dialogue seront assurés et sereins dans la mesure où ils seront vraiment enracinés dans leurs religions respectives. Et cet enracinement permettra l'acceptation des différences et fera éviter deux écueils opposés: le syncrétisme et l'indifférentisme. Il permettra également de tirer profit du regard critique de l'autre sur la façon de formuler et de vivre sa foi.

La foi sera aussi à la base de cette forme de dialogue qu'est la collaboration au service de l'homme dont j'ai déjà parlé. Car du fait que nous croyons en Dieu Créateur, nous reconnaissons la dignité de chaque personne humaine créée par Lui. En Dieu nous avons notre origine et en Lui notre destinée commune. Entre ces deux pôles nous sommes sur la route de l'histoire où nous devons cheminer fraternellement dans un esprit d'entraide, afin d'atteindre la fin transcendante que Dieu a établie pour nous.

Je voudrais réitérer ici l'appel que je lançais lors de mon voyage au Sénégal: « Faisons ensemble un effort sincère pour arriver à une compréhension mutuelle plus profonde. Que notre collaboration en faveur de l'humanité, entreprise au nom de notre foi en Dieu, soit une bénédiction et un bienfait pour tout le peuple » [3].

9. Voilà quelques réflexions à l'occasion de cette visite, une visite brève, il est vrai, mais très riche de signification. Je garderai dans mon coeur le souvenir du peuple tunisien et je vous assure de ma prière afin que le Dieu Tout Puissant et Miséricordieux accorde ses abondantes bénédictions à ce pays et à tous ses habitants.

[1] Ioannis Pauli PP. II Oratio ad Generalem Nationum Unitarum Coetum Neo-Eboraci habita, 9, die 5 oct. 1995: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVIII, 2 (1995) 738.
[2] (Nostra Aetate NAE 3).
[3] Ioannis Pauli PP. II Sermo ad Moderatores Religiosos Islamicos Dacariae habitus, 7, die 22 febr. 1992: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XV, 1 (1992) 395.



CÉRÉMONIE DE CONGÉ

Aéroport international de Tunis, Dimanche 14 avril 1996



Monsieur le Président de la République,
Mesdames, Messieurs les Représentants des Autorités de l'État,
Chers amis,

l.. Au terme de la journée mémorable qu'il m'a été donné de passer dans votre pays, je vous remercie d'être venus prendre congé. Soyez assuré, Monsieur le Président, de toute ma gratitude pour votre accueil et pour la manière courtoise dont vous avez bien voulu prendre les dispositions utiles pour mon séjour. Veuillez transmettre l'expression de ma reconnaissance à vos collaborateurs et à toutes les personnes participant aux différents services qui ont organisé dans les meilleures conditions mes rencontres aujourd'hui. Grâce à la courtoise attention de tous, je garderai un précieux souvenir de cette visite en Tunisie.

2. Permettez-moi de dire aussi aux représentants de la presse tunisienne et étrangère mes remerciements cordiaux pour leur présence active, qui a permis à un grand nombre de personnes de s'associer à cette visite du Successeur de Pierre sur la terre illustrée par saint Cyprien et saint Augustin, de même que par tant d'autres hautes figures tout au long de l'histoire de la Tunisie.

3. Au moment de m'éloigner, je voudrais redire à toute la communauté catholique mes sentiments affectueux et reconnaissants pour son accueil. J'encourage vivement mes frères catholiques â persévérer dans une vie fraternelle et une fidélité sans cesse approfondie au commandement de l'amour de Dieu et du prochain, car c'est là la consigne suprême que nous avons reçue de Jésus-Christ.

4. Monsieur le Président, les liens de la Tunisie avec le Siège Apostolique se trouvent heureusement renforcés par les contacts directs pris lors de ce voyage. En vous renouvelant l'expression de ma gratitude, je forme les meilleurs voeux pour votre personne et pour les dirigeants de la nation, afin qu'il vous soit donné de poursuivre votre oeuvre au service de la prospérité et du bien-être du peuple tout entier. Je salue très cordialement tous les habitants de ce pays, avec une affection particulière pour les plus éprouvés et les plus démunis. Que tous soient comblés des bénédictions de Dieu, le Tout-Puissant!



AUX MEMBRES DU «GROUPE RAOUL FOLLERAU»

Salle Clémentine, Samedi 27 avril 1996




Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

1. C'est avec grande joie que je vous accueille en ce lieu et, à travers vous, c'est l'ensemble du «Groupe Raoul Follereau » qu'il me plaît de saluer dans la multiplicité de ses ramifications, avec les membres qui le composent, les familles qu'il représente, les donateurs qui le soutiennent et les centaines de milliers de malades guéris ou en cours de traitement qui constituent sa première raison d'être. Je vous remercie vivement, Monsieur le Président, pour votre présentation chaleureuse de la personne et de l'action de votre fondateur, ainsi que du groupe humanitaire que vous animez.

Je tiens tout d'abord à rendre grâce à Dieu pour les résultats obtenus en un demi-siècle, depuis le jour où Raoul Follereau décida de se consacrer à la lutte contre le fléau de la lèpre qui ravageait des pays entiers et interdisait à des milliers d'êtres humains de mener une existence digne de ce nom. Saisi par la détresse de ces pauvres dont le corps était devenu la plus contraignante des limites, il se mit à leur service avec une ardeur communicative. Comme tout véritable chrétien, il prit au sérieux la phrase du Christ: « Ce que vous aurez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'aurez fait » [1].

Riche personnalité aux nombreuses facettes, Raoul Follereau sut allier des qualités complémentaires dont l'union permit de magnifiques réalisations. Il avait la vertu de compassion: « J'ai toujours été obsédé, écrivit-il, par la misère et plein d'admiration et d'amitié pour ceux qui la combattent à quelque stade que ce soit ». Même s'il avait conscience qu'« on ne peut pas envelopper toute la misère du monde », il n'en fit pas moins le don total de sa personne pour faire reculer la misère: « J'ai pensé qu'il y avait là de quoi remplir largement la vie d'un jeune homme, que j'étais alors. Et je m'y suis consacré ».

2. Forts de cet exemple entraînant, vous avez à coeur de poursuivre son action et vous avez encore devant vous un champ immense, puisque, non contents de combattre la lèpre, vous vous attaquez également à toutes les lèpres! Vous rayonnez depuis Adzopé, premier village des lépreux fondé en 1942, jusque sur tous les continents. Dans les pays lointains comme dans vos villes et dans leurs banlieues, il ne manque pas de détresses cachées, de situations désespérées, de vies brisées auxquelles vous cherchez à apporter le réconfort de la parole et du geste, du sourire et de l'amitié, de la compassion et de l'offrande de vous-mêmes.

Je vous félicite et je vous encourage à oeuvrer avec persévérance dans les pays dévastés par la guerre ou ravagés par les épidémies. «Notre appel, disait Raoul Follereau, gardera toujours sa même actualité ». Il se faisait ainsi l'écho des paroles du Christ: « Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous » [2]. Et vous saurez associer les pus démunis au patient travail qui leur permet de retrouver leur dignité, car vous n'avez jamais affaire à des cas, mais à des personnes.

3. Comme vous l'avez déjà fait, vous coopérerez avec les églises sur tous les continents pour unir vos forces et remporter les victoires de la vie. Je tiens à vous dire avec force mon estime, ma confiance et ma reconnaissance pour tout ce que vous faites. Raoul Follereau vous a tracé un chemin, car il avait lui-même suivi le Christ qui est le Chemin [3]. À son école, vous pourrez discerner ce qui est juste et bon et l'accomplir dans l'enthousiasme.

Que Dieu vous accompagne, chers amis! Qu'Il achève par vous ce qu'Il a Lui-même commencé! Pour vous encourager dans votre action, qui est source d'espérance, je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique et je l'étends à tous ceux qui vous sont chers.

[1] (Mt 25,40).
[2] (Jn 12,8).
[3] Cfr. (Jn 14,6).


Mai 1996

AU CORPS DE LA GARDE SUISSE PONTIFICALE

Lundi 6 mai 1996


Colonel,
Monsieur l'Aumônier,
Chers amis de la Garde Suisse,
Chers Frères et Soeurs,

1. À l'occasion de la prestation de serment de la nouvelle promotion de la Garde Suisse Pontificale, je suis heureux de vous accueillir dans la maison du Successeur de Pierre. Je salue de manière spéciale le Colonel Roland Buchs, qui commande avec un grand dévouement le Corps de la Garde Suisse, et, avec lui, les officiers, les sous-officiers et tous les membres de l'illustre Corps. J'adresse mes voeux cordiaux au nouveau chapelain pour son ministère, et je prie le Seigneur pour celui qui l'a précédé et qui est décédé prématurément. Je souhaite la bienvenue à tous les parents, qui s'associent à cette grande fête. Leur présence témoigne de l'attachement de beaucoup de catholiques suisses à l'Église, et plus particulièrement au Siège de Pierre.

Les lieux où nous sommes sont chargés d'une histoire glorieuse et héroïque; depuis la création de la Garde Suisse, de nombreux jeunes ont rempli la mission que le Corps continue à accomplir aujourd'hui. Par un engagement sans faille et une loyauté à toutes épreuves, certains ont été jusqu'à verser leur sang pour défendre le Pape et pour lui permettre d'assurer sa mission en toute indépendance, veillant essentiellement, comme le dit le Règlement de service en vigueur, à la sécurité de la personne du Pape et de sa résidence.

2.  …



AUX RECTEURS DE LA FÉDÉRATION DES UNIVERSITÉS CATHOLIQUES D'EUROPE

Samedi 11 mai 1996




Monsieur le Cardinal,
Messieurs les Recteurs des Universités catholiques,
Chers amis,

1. Je salue tout d'abord cordialement le Cardinal Pio Laghi, Préfet de la Congrégation pour l'Éducation catholique, qui suit avec attention la vie et le développement des Universités catholiques et qui, avec le Père Giuseppe Pittau, Recteur magnifique de l'Université pontificale grégorienne, a organisé votre rencontre.

Je suis très heureux d'avoir l'occasion d'accueillir les Recteurs des Universités catholiques d'Europe et les membres du Conseil de la Fédération internationale des Universités catholiques. Je me souviens d'une rencontre similaire au début de mon pontificat, en février 1979. J'avais alors dit que les Universités catholiques tenaient dans mon coeur une place toute particulière. De fait, comme je l'ai écrit dans la Constitution apostolique « Ex Corde Ecclesiae », «pendant de longues années, j'ai fait moi même l'expérience bénéfique, qui m'a intérieurement enrichi, de ce qui fait le propre de la vie universitaire: l'ardente recherche de la vérité et sa transmission désintéressée aux jeunes et à tous ceux qui apprennent à raisonner avec rigueur, pour agir avec rectitude et mieux servir la société humaine » [1]. Je puis vous assurer que je garde toujours pour les Universités le même intérêt et le même attachement.

Depuis 1991, les Universités catholiques d'Europe ont constitué une Fédération, une structure qui aide à mieux travailler ensemble et à faire face aux défis et aux exigences qui résultent des transformations survenues ces dernières années. En effet, les changements profonds provoqués par les événements de 1989, la violence fratricide terrible qui a blessé l'Europe depuis cinq ans, les efforts poursuivis par la Communauté européenne pour resserrer les liens politiques et économiques entre ses membres, tandis que de nouveaux pays la rejoignaient: tout cela entraîne, pour l'éducation et la culture en Europe, des conséquences considérables.

2. Une Université catholique, « née du coeur de l'Église », a le grave devoir qui est en même temps un privilège d'élaborer des réponses sérieusement réfléchies à ces défis. « L'Université catholique se distingue par sa libre recherche de toute la vérité relative au monde, à l'homme et à Dieu. Notre époque, en effet, a un urgent besoin de cette forme de service désintéressé qui consiste à proclamer le sens dé la vérité, valeur fondamentale sans laquelle la liberté, la justice et la dignité de l'homme sont étouffées » [2].

Je ne puis que louer et encourager votre engagement dans une réflexion approfondie sur les problèmes que doivent affronter les hommes et les femmes de notre temps, spécialement en ce qui concerne les questions d'ordre éthique qui surgissent dans une société toujours plus complexe

3.

[1] Ioannis Pauli PP. II Ex Corde Ecclesiae, 2.
[2] Ibid. 4.
[3] Ioannis Pauli PP. II Ex Corde Ecclesiae, 7.



À S.Exc. M, SHERIF FAWAZ SHREF, NOUVEL AMBASSADEUR DE JORDANIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi 23 mai 1996



Monsieur l'Ambassadeur,

1. C'est avec une grande satisfaction que je reçois des mains de Votre Excellence les Lettres qui L'accréditent auprès du Siège Apostolique en qualité d'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume hachémite de Jordanie.

En vous accueillant aujourd'hui, je me souviens des différentes visites que Sa Majesté le Roi de Jordanie et Son Altesse Royale le Prince héritier ont bien voulu me rendre au cours de ces dernières années, signes de leur attention déférente et cordiale à la mission spécifique du Chef de l'Église catholique. Ces rencontres ont largement contribué à la préparation, à l'établissement et à l'affermissement de nos relations diplomatiques et, plus encore, comme vous venez de le rappeler, à l'approfondissement des liens fraternels entre les catholiques et les musulmans jordaniens.

2. Je me réjouis de votre présence ici comme deuxième Ambassadeur de Jordanie; cela marque un nouveau pas dans les rapports entre le Saint-Siège et votre pays. Je vous remercie des paroles aimables que vous venez de m'adresser; je suis particulièrement sensible à l'attention renouvelée de Sa Majesté le Roi Hussein Ibn Talai et de la famille royale au message de l'Église et à ses interventions en faveur des droits de l'homme. Je vous saurais gré d'exprimer en retour à Sa Majesté mes souhaits déférents pour sa personne et pour sa haute mission au service de tous ses compatriotes, ainsi que les voeux que je forme pour ses proches, pour ceux qui ont la charge de servir la nation et pour l'ensemble du peuple de Jordanie.

À ce propos, je voudrais dire mon estime pour la générosité du Royaume hachémite à l'égard des nombreux réfugiés, accueillis ces dernières années et encore présents sur son sol. Dans ce domaine, vous savez l'intense activité de solidarité que les catholiques jordaniens, bien que peu nombreux, déploient pour venir en aide aux personnes déplacées, en collaboration étroite avec l'ensemble de leurs compatriotes. Partout où ils sont, les membres de l'Église ont à coeur de servir leur pays, à l'intérieur de ses frontières comme au sein de la communauté internationale, ainsi que de promouvoir les relations amicales avec l'ensemble de leurs concitoyens et de participer à la vie publique, économique et culturelle. Dans cet esprit, les catholiques de Jordanie ont le désir et le souci de s'engager toujours davantage dans la vie publique el sociale, ainsi que dans un dialogue interculturel et inter-religieux sincère, en particulier entre musulmans et chrétiens. Je saisis donc cette occasion pour saluer chaleureusement, par votre entremise, la communauté catholique qui vit en Jordanie.

3. Je voudrais souligner de manière spéciale l'attitude courageuse de Sa Majesté le Roi et des Dirigeants de votre pays dans le processus de paix au Proche-Orient, au cours des différentes étapes que nous avons connues ces dernières années; le Royaume hachémite s'est attaché à soutenir les démarches qui ont favorisé le dialogue entre les parties en présence; ces démarches ont permis d'arriver à des accords qui sont une avancée importante. Il reste à souhaiter que les différents États et les divers peuples de la région parviennent désormais à des relations normales et à une vraie convivialité. En effet, dans les négociations parfois difficiles entre les Gouvernements, personne ne dois ménager ses efforts pour que chaque communauté humaine soit reconnue et puisse jouir des mêmes droits. Les différentes missions que vous avez eues personnellement à accomplir au service de la jeunesse de votre pays vous rendent particulièrement attentif aux jeunes du Moyen-Orient, qui sont l'avenir de leurs nations. Leurs aspirations sont pour nous un motif supplémentaire de tout mettre en oeuvre pour leur assurer un avenir de paix, nécessaire à leur propre croissance, à leur santé et à leur éducation, et pour leur donner l'espérance qu'ils auront leur place dans la société de demain. C'est en leur apprenant la voie du dialogue, de la paix et du respect des frères qu'ils seront à leur tour des bâtisseurs de la paix et d'une société plus juste et plus harmonieuse. Dans cette perspective, le Siège apostolique s'engage inlassablement aux côtés de tous ceux qui oeuvrent en faveur de la paix et du bien-être des peuples.

4. Nous savons tous que de nombreuses difficultés régionales demeurent encore; on a vu récemment avec tristesse la reprise de conflits armés qui ont meurtri des populations civiles entières et qui pourraient laisser penser que la concorde et la réconciliation s'éloignent à nouveau pour longtemps. À ce propos, je salue volontiers les efforts inlassables de votre Souverain et des Autorités civiles de votre pays pour faire taire définitivement les armes, qui ne sont jamais un instrument de dialogue ni la voie juste et équitable pour le règlement des conflits entre des personnes et des nations. L'engagement du Gouvernement jordanien et son appui aux démarches de la communauté internationale constituent une source d'espérance pour des responsables politiques et pour les habitants de la région, ainsi que pour tous les hommes de bonne volonté.

Au Moyen-Orient, nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Une nouvelle étape est désormais nécessaire. En effet, il importe de passer d'une paix définie par des accords à la paix réelle et effective entre les peuples et, par-dessus tout, à la paix des esprits, c'est-à-dire à un sens de la concorde, à un désir profond de tous et à des gestes concrets, pour que la paix advienne enfin sur cette terre, si riche de traditions spirituelles et de valeurs morales. Avec l'aide de la communauté internationale qui ne manquera pas de poursuivre ses efforts, les différents pays de la région sont appelés à s'engager toujours plus avant dans la mise en pratique du plan de paix et, d'une manière toute spéciale, dans les négociations spécifiques sur la question importante et délicate du statut définitif de Jérusalem, afin de protéger l'identité de Ville Sainte. Celle-ci est également chère aux trois religions monothéistes. Son histoire, l'existence des lieux saints et la présence des diverses communautés spirituelles lui confèrent une dimension sacrée indéniable; Jérusalem revêt donc une valeur particulière pour les croyants, Juifs, Chrétiens et Musulmans qui y résident comme pour les membres de ces trois traditions religieuses qui vivent dans le monde entier. Je me réjouis qu'elle retienne toute l'attention de Sa Majesté le Roi Hussein, de la famille royale hachémite et du peuple tout entier, car elle est, comme vous le dites, le symbole de la rencontre et de la paix entre tous les croyants.

5. Au long des siècles, dans cette zone qui constitue un carrefour essentiel entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident, les hommes ont acquis un savoir et une compétence reconnues dans le domaine politique et commercial, mais ils se sont aussi attachés à développer leur vie religieuse personnelle et communautaire. A ce propos, je voudrais redire que j'apprécie l'intérêt de la Maison royale pour le dialogue inter-religieux et le soutien qu'elle apporte aux initiatives permettant une meilleure connaissance mutuelle entre les trois religions monothéistes présentes dans la région. Il est certain qu'une meilleure compréhension entre des personnes de sensibilités spirituelles différentes crée un état d'esprit qui, en promouvant la liberté de conscience et la liberté de croyance et de pratique religieuses et un respect toujours plus grand des personnes et de leur dignité fondamentale, favorise le développement des relations pacifiques et la coopération entre les peuples. C'est aussi une exigence morale pour tous les croyants de poursuivre des collaborations fraternelles, de conjuguer leurs efforts et de faire les sacrifices nécessaires pour « avoir la joie de construire ensemble la paix » [1]. Pour sa part, le Saint-Siège a confiance que le dialogue entrepris se poursuivra et que le désir manifesté conduira à une juste solution dans les questions complexes et délicates auxquelles le Moyen-Orient est actuellement affronté. Avec les Autorités jordaniennes, nous espérons que le jour d'une solution pacifique définitive est désormais proche.

6. Au moment où commence votre mission de Représentant du Royaume hachémite de Jordanie auprès du Saint-Siège, je vous offre, Monsieur l'Ambassadeur, mes veux les meilleurs. Par sa position stratégique aux confins de l'Europe et de l'Orient, votre pays a pour vocation de relier des cultures et des traditions longtemps éloignées. Je suis certain que, dans les nouvelles charges que vous commencez à exercer aujourd'hui, vous apporterez une grande contribution à ces liens. Nos relations diplomatiques font déjà apparaître au grand jour une confiance réciproque, fondée sur les mêmes valeurs morales et sur le sens de l'homme, au-delà des vicissitudes de l'histoire. Dans vos fonctions, soyez assuré que vous trouverez toujours auprès de mes collaborateurs le soutien attentif, la compréhension cordiale et l'aide dont vous aurez besoin pour remplir votre nouvelle mission.

Je demande au Très-Haut de combler Votre Excellence et ses proches de ses Bienfaits, ainsi que Sa Majesté le Roi, la famille royale, le peuple jordanien et tous ses dirigeants.


[1] Ioannis Pauli PP. II Nuntius ob diem ad pacem fovendam dicatum pro a. D. 1992, 6, die 8 dec. 1991: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVI, 2 (1991) 1336.


Juin 1996

AUX FIDÈLES VENUS POUR LES CANONISATIONS DE TROIS BIENHEUREUX

Salle Paul VI, Lundi 3 juin 1996




Venerati Fratelli nell’Episcopato e nel Sacerdozio,
Fratelli e Sorelle nel Signore!

1. …

3. Je suis heureux de vous accueillir, chers amis pèlerins venus à Rome pour la canonisation de saint Jean-Gabriel Perboyre. Je salue cordialement mes frères dans l'épiscopat, notamment Sa Béatitude le Patriarche Stephanos II, les Évêques venus de Chine, de Macao, de France et de plusieurs autres pays. J'adresse aussi un salut chaleureux au Révérend Père Robert Maloney, Supérieur général de la Congrégation de la Mission, à ses confrères venus de toutes les provinces du monde, à la famille du nouveau saint, ainsi qu'aux membres et aux amis de la famille spirituelle de Saint Vincent de Paul.

Dans la personne de Jean-Gabriel Perboyre, originaire du diocèse de Cahors, se trouve résumée la vocation missionnaire vincentienne: se donner totalement au Christ dans l'annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres et la formation du clergé. Pendant près de dix ans, Jean-Gabriel a mis à profit ses talents d'éducateur des jeunes dans le diocèse d'Amiens, puis dans la formation des futurs prêtres diocésains à Saint-Flour, et enfin des novices de sa Congrégation à Paris. Mais, ressentie, très jeune, la vocation d'aller jusqu'aux extrémités de la terre annoncer l'Évangile, dans l'esprit même de Monsieur Vincent, se réalisera enfin lorsqu'il sera appelé à partir vers la Chine. « Priez Dieu, disait-il, que ma santé se fortifie et que puisse aller en Chine, afin d'y prêcher Jésus-Christ et de mourir pour lui ». Il partira sur les traces de son propre frère et sur celles du bienheureux François-Régis Clet, son confrère martyrisé en 1820 dans la même région. Dans ce pays, qu'il a aimé, il vivra jusqu'à l'héroïsme son engagement de se mettre pour toujours à la suite du Christ. Jean-Gabriel achèvera ce témoignage de foi dans le partage saisissant des étapes de la Passion du Christ sur un semblable chemin de la croix.

Prêtres de la Mission, et membres de la famille vincentienne, je vous encourage vivement à garder l'amour qui animait votre frère Jean-Gabriel à l'égard du peuple chinois, à maintenir intacte en vous la même aspiration à y annoncer la Bonne Nouvelle du Seigneur Jésus, qui se manifeste avec tant de force dans le martyre de Jean-Gabriel et de ceux qui, aujourd'hui comme hier, acceptent d'aller jusqu'au bout de leur témoignage.

Dans notre monde marqué par tant de pauvretés, de détresses et de désespoirs, la famille vincentienne que vous représentez ici se doit de continuer avec générosité l'oeuvre commencée par Monsieur Vincent. Prêtres de la Mission, Filles de la Charité, associations de laïcs qu'il a fondées ou qui sont nées de son esprit, les conditions actuelles vous invitent à coordonner de mieux en mieux les divers services que vous accomplissez. La belle figure de Jean-Gabriel Perboyre demeure une source d'inspiration missionnaire, un ????l à avancer toujours plus loin sur les chemins de l'Évangile.

4.



Discours 1996 - Evêché de Tunis, Dimanche 14 avril 1996