Discours 1997 - Lundi, 13 janvier 1997


AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DU NORD DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE FRANCE EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 18 janvier 1997




Chers Frères dans l'épiscopat,

1. C'est avec joie que je vous reçois au moment où vous effectuez votre visite ad limina. Par votre pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres Pierre et Paul, et par vos rencontres avec le Successeur de Pierre et ses collaborateurs, vous trouverez un encouragement pour votre mission épiscopale; le Christ fera grandir en vous l'espérance, Lui qui n'abandonne jamais son Église et qui, par son Esprit, la guide, afin qu'elle soit dans le monde signe du salut.

Je remercie Monseigneur Michel Saudreau, Évêque du Havre, président de votre région apostolique, pour ses paroles évoquant l'accueil chaleureux et attentif du peuple de France lors de ma récente visite dans votre pays et pour sa présentation de quelques-unes de vos orientations pastorales communes pour que les hommes découvrent le Dieu Trinité. Votre démarche s'inscrit dans la perspective de la préparation du grand Jubilé.

2. Dans vos rapports quinquennaux, parmi vos préoccupations essentielles, vous évoquez l'avenir du clergé. La pyramide des âges est une source d'inquiétude. Avec vous, les prêtres sont soucieux, car ils ne voient pas venir la relève, et ils ont parfois de la peine à faire face aux nombreuses tâches du ministère. Je comprends vos craintes pour l'avenir des communautés chrétiennes, qui ont besoin de ministres ordonnés. Cependant, je vous invite à l'espérance, en particulier en méditant le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres « Presbyterorum Ordinis », dont nous avons fêté en 1995 le XXXème anniversaire. C'est pour tous ceux qui ont reçu le sacerdoce une occasion de porter un regard nouveau sur la mission qui leur a été confiée par le Seigneur et de « raviver le don spirituel que Dieu a déposé » en eux par l'imposition des mains [1].

Avec vous, je voudrais donc encourager les prêtres, particulièrement les prêtres diocésains, pour que soit affermie et renouvelée une spiritualité du sacerdoce diocésain.Par leur vie spirituelle, ils découvriront dans l'exercice de la véritable caritas pastoralis, un chemin de sainteté personnelle, un dynamisme dans le ministère et une force de proposition pour des jeunes qui hésitent à s'engager dans le sacerdoce.

3. L'exhortation de l'Apôtre à Timothée nous rappelle le lien intime qui existe entre la consécration et la mission. Sans cette unité, le ministère ne serait qu'une fonction sociale. Appelés et choisis par le Seigneur, les prêtres participent à sa mission qui construit l'Église, Corps du Christ et temple de l'Esprit [2]. « Dans l'Église et pour l'Église, ils représentent sacramentellement Jésus-Christ, Tête et Pasteur » [3]. Pris d'entre leurs frères, ils sont d'abord des hommes de Dieu; il est important qu'ils ne négligent pas leur vie spirituelle, car toute l'activité pastorale et théologique « doit en effet commencer par la prière » [4], qui est « quelque chose de grand qui dilate l'âme et unit à Jésus » [5].

4. Dans la relation quotidienne intime avec le Christ qui unifie l'existence et le ministère, il convient de donner la première place à l'Eucharistie, contenant tout le trésor spirituel de l'Église. Elle conforme chaque jour le prêtre au Christ, Souverain Prêtre dont il est le ministre. Et, dans la célébration eucharistique comme dans celle des autres sacrements, le prêtre est uni à son évêque et il assure « ainsi en quelque sorte sa présence dans chacune des communautés chrétiennes » [6]; il donne sa cohésion au peuple de Dieu et le fait grandir, en le rassemblant autour des deux tables de la Parole et de l'Eucharistie, et en offrant aux hommes le soutien de la miséricorde et de la tendresse divines. Puis, la Liturgie des Heures structure ses journées et modèle sa vie spirituelle. La méditation de la Parole de Dieu, la Lectio Divina et l'oraison conduisent à vivre en intimité avec le Seigneur, qui révèle les mystères du salut à celui qui, à l'exemple du disciple bien-aimé, demeure proche de Lui [7].

En présence de Dieu, le prêtre trouve la force de vivre les exigences essentielles de son ministère. Il acquiert la souplesse nécessaire pour faire la volonté de Celui qui l'a envoyé, dans une disponibilité incessante à l'action de l'Esprit, car c'est Lui qui donne la croissance et nous sommes ses coopérateurs [8]. Selon la promesse faite le jour de l'ordination, cette disponibilité se concrétise par l'obéissance à l'évêque qui, au nom de l'Église, l'envoie au milieu de ses frères, pour être le représentant du Christ, malgré sa faiblesse et sa fragilité. Par le prêtre, le Seigneur parle aux hommes et se manifeste à leurs yeux.

5. Dans la société actuelle qui valorise certaines conceptions erronées de la sexualité, le célibat sacerdotal ou consacré, comme sous une autre forme l'engagement dans le sacrement de mariage, rappelle de manière prophétique le sens profond de l'existence humaine. La chasteté dispose celui qui s'y engage à remettre sa vie entre les mains de Dieu, faisant au Seigneur l'offrande de toutes ses capacités intérieures, pour le service de l'Église et pour le salut du monde. Par « la pratique de la continence parfaite et perpétuelle pour le Royaume des cieux », le prêtre renforce son union mystique avec le Christ auquel il se consacre « de manière nouvelle et privilégiée », « sans que son coeur soit partagé » [9]. Ainsi, dans son être et dans son action, il fait librement le don et le sacrifice de lui-même, en réponse au don et au sacrifice de son Seigneur. La chasteté parfaite conduit le prêtre à vivre un amour universel et à se rendre attentif à chacun de ses frères. Cette attitude est source d'une incomparable fécondité spirituelle, « à laquelle aucune autre fécondité charnelle ne peut être comparée [10] et elle dispose en quelque sorte à « accueillir largement la paternité dans le Christ » [11].

6. Aujourd'hui, la mission est souvent difficile et les formes en sont très variées. Le petit nombre de prêtres fait qu'ils sont souvent sollicités jusqu'à la limite de leurs forces. Je connais les conditions pauvres et pénibles dans lesquelles les prêtres de votre pays acceptent volontairement de vivre leur mission. Je salue leur persévérance et je les invite à ne pas négliger leur propre santé. Il revient naturellement aux évêques, qui le font déjà, de se soucier toujours davantage de leur qualité de vie. Que les prêtres ne perdent pas courage et qu'ils aillent à la rencontre des hommes, pour annoncer l'Évangile et pour faire de tous les hommes des disciples. Il leur appartient de demander aux laïcs de remplir pleinement leur mission spécifique, en suscitant en chacun, selon son charisme, une participation appropriée à la liturgie et à la catéchèse, ou un engagement responsable dans des mouvements et dans différentes instances ecclésiales, pour le bien de l'Église. Ainsi, les prêtres vivront leur ministère en union profonde avec tous les autres membres du peuple de Dieu, appelés à participer à la mission commune, autour de l'évêque. De cette complémentarité, jaillira un nouveau souffle apostolique.

7. Les hommes de notre temps ont soif de vérité; les recherches humaines ne suffisent pas à combler leur désir profond. Ceux qui ont été consacrés doivent être les premiers à présenter le Christ au monde, par la préparation et la célébration des sacrements, par l'explication de l'Écriture, par la catéchèse des jeunes et des adultes, par l'accompagnement de groupes de chrétiens. Dans leur ministère, l'enseignement du mystère chrétien occupe aussi une place essentielle. En effet, comment nos contemporains, affrontés à des cultures et à des sciences qui posent des questions importantes à la foi, pourront-ils suivre le Christ s'ils n'ont pas une connaissance dogmatique et une structure spirituelle fortes? Les homélies dominicales sont donc à préparer avec beaucoup de soin, par la prière et par l'étude. Elles aideront les fidèles à vivre leur foi dans leur existence quotidienne et à entrer en dialogue avec leurs frères.

8. La mission sacerdotale revêt une telle importance qu'elle nécessite une formation permanente. Je vous encourage dans vos diocèses, dans votre région apostolique ou au niveau national, à offrir à vos proches collaborateurs des temps de ressourcement spirituel et théologique. Les trois années préparatoires au grand Jubilé fournissent un cadre particulièrement opportun, en proposant de porter le regard successivement sur le Christ, sur l'Esprit Saint et sur le Père.

L'Église en France est riche en saints pasteurs, modèles pour les prêtres d'aujourd'hui. Je pense en particulier au Curé d'Ars, patron des prêtres du monde, aux membres de l'École française et à saint François de Sales qui présente une démarche sûre pour la vie spirituelle, pour la pratique des vertus et pour le gouvernement pastoral [12], et, dans ce siècle, aux nombreux pasteurs qui restent pour les prêtres d'aujourd'hui de véritables inspirateurs. D'autre part, vous avez un patrimoine ecclésial à garder vivant. La France compte de merveilleuses éditions d'auteurs patristiques et spirituels, qu'il faut saluer et soutenir. Il s'agit d'un trésor de la foi apte à nourrir la vie spirituelle et à conforter la mission. Ce patrimoine permet de trouver des moyens nouveaux pour répondre aux exigences actuelles.

9. La fraternité sacerdotale est essentielle au sein du presbyterium diocésain; elle apporte à chacun soutien et réconfort; elle permet de prier ensemble, de partager les joies et les espérances du ministère, et d'accueillir ses frères dans le sacerdoce avec délicatesse, dans la légitime diversité des charismes et des options pastorales. Je vous exhorte, ainsi que tous les membres du clergé, à demeurer proches des prêtres et des diacres qui vivent des situations personnelles ou pastorales difficiles. Ils ont besoin d'une assistance toute spéciale. Ma pensée va encore à ceux qui sont âgés et qui n'ont plus la force d'accomplir un ministère à plein temps: la plupart d'entre eux peuvent rendre de nombreux services et être des hommes de bon conseil pour leurs confrères.

10. Vous avez peu à peu remis à l'honneur le diaconat permanent, dans l'esprit du Concile oecuménique Vatican II, et vous avez souligné la place que prennent les diacres dans vos diocèses. Ils sont ordonnés « en vue du service » [13] de la communauté ecclésiale et de tous les hommes, dans une collaboration confiante avec leur évêque et avec l'ensemble des pasteurs. En prêchant, en célébrant des baptêmes et des mariages, en exerçant leur ministère dans de nombreux services ecclésiaux, ils accompagnent la croissance spirituelle de leurs frères. Par leur vie professionnelle, par leurs responsabilités au sein de la société et dans leur famille, ils se font serviteurs dans l'Église servante et manifestent concrètement son attention charitable envers tous. Pour réaliser leur mission, ceux qui sont mariés trouvent un soutien important auprès de leur épouse et de leurs enfants.

11. Vous avez aussi souligné le rayonnement des monastères et des centres spirituels. Dans un monde marqué par l'indifférence et par la perte du sens religieux, nos contemporains ont à redécouvrir la valeur du silence, qui permet de se tourner vers le Seigneur, d'unifier leur existence et de lui donner tout son sens. Pour cette redécouverte, les moines et les moniales, ainsi que l'ensemble des religieux et des religieuses, ont un rôle de premier plan. Par une vie toute donnée à Dieu et à leurs frères, ils expriment aux yeux du monde, de manière prophétique, que seul le Christ fait vivre et que seule une existence fondée sur les valeurs spirituelles et morales est source de bonheur véritable [14]. Mais plus encore, les personnes consacrées cherchent à reproduire en elles-mêmes « la forme de vie que le Fils de Dieu a prise en entrant dans le monde » [15]. Cette configuration au mystère du Christ réalise la Confessio Trinitatis propre à la vie religieuse.

Vos rapports font état de la place essentielle prise par les religieux et les religieuses dans la vie pastorale et caritative de vos diocèses. Je salue leur dévouement et leur générosité, particulièrement auprès des jeunes, des malades, des plus éloignés de l'Église et des plus démunis.

12. Au terme de notre rencontre, je voudrais rappeler la dimension mariale de toute vie chrétienne, et plus particulièrement de la vie sacerdotale. Au pied de la Croix d'où naît l'Église, le disciple accueille la Mère du Sauveur. Ils reçoivent ensemble le don du sacrifice du Christ, pour que le mystère de la Rédemption soit annoncé au monde [16].

Enfin, ma pensée se tourne vers les fidèles de vos communautés. Portez à ceux qui sont engagés dans la mission de l'Église, par la prière et par l'action, particulièrement aux prêtres, aux diacres, aux religieux et aux religieuses, ainsi qu'à tous les catholiques de vos diocèses, les salutations cordiales et les encouragements du Pape, en les assurant de ma prière pour que, dans les difficultés présentes, ils gardent l'espérance! Je vous demande aussi de transmettre mon salut affectueux aux évêques émérites de votre région.

Par l'intercession de Notre-Dame et des saints de votre terre, je vous accorde de grand coeur ma Bénédiction Apostolique, ainsi qu'a tous les membres du peuple de Dieu confiés à votre sollicitude pastorale.


[1] 2Tm 1,6.
[2] Cfr. Presbyterorum Ordinis, PO 1.
[3] Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 15.
[4] S. Alberti Magnii Commentarium de theologia mystica, 15.
[5] S. Teresiae a Iesu Infante Manuscrits autobiographiques, MSC 25.
[6] Presbyterorum Ordinis, PO 5.
[7] Cfr. Jn 13,25.
[8] Cfr. 1Co 3,5-9.
[9] Presbyterorum Ordinis, 16
[10] S. Augustini De sancta virginitate, 8.
[11] Presbyterorum Ordinis, PO 16.
[12] Cfr. S. Francisci Salesii Introductio ad vitam devotam.
[13] Lumen Gentium, LG 29.
[14] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Vita Consecrata, VC 15.
[15] Lumen Gentium, LG 44.
[16] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Mater, RMA 45.



À SA SAINTETÉ ARAM I KESHISHIAN, CATHOLICOS DE CILICIE

Samedi 25 janvier 1997




Frère très cher,

Durant la Semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens, Votre Sainteté vient rendre visite à l'Évêque de Rome sur le lieu du martyre des saints Apôtres Pierre et Paul; nous vivons cette rencontre dans l'action de grâce et dans la joie de l'espérance. En accueillant le Pasteur arménien de la Grande Maison de Cilicie, comment ne pas évoquer Paul de Tarse, devenu l'Apôtre par excellence de la communion entre les Églises, saint Nersès IV le Gracieux, le premier Catholicos de Cilicie à entreprendre systématiquement le dialogue oecuménique, et, quelques années plus tard, saint Nersès de Lambron, évêque de Tarse, surnommé « second Paul de Tarse » en raison de son zèle ardent pour l'unité? Aussi, après que le IIème Concile du Vatican
 eut engagé irrévocablement l'Église catholique dans le mouvement oecuménique, les deux Catholicos, de vénérable mémoire, Khoren I et Vasken I, ont-ils eu à coeur de renouer des relations fraternelles avec mon prédécesseur le Pape Paul VI. Enfin, j'ai eu moi-même la joie de recevoir ici en 1983 votre prédécesseur sur le Siège d'Antélias, Sa Sainteté Karékine II, qui, au mois de décembre dernier, en tant que Catholicos d'Etchmiadzine, est de nouveau venu rendre visite au Successeur de Pierre, confirmant ainsi nos liens fraternels.
Votre visite, Sainteté, s'inscrit donc dans notre volonté commune d'aller de l'avant sur le chemin vers la communion parfaite entre l'Église arménienne apostolique et l'Église catholique. Je sais avec quelle détermination vous avez travaillé à la création du Conseil des Églises du Moyen-Orient, puis à son développement pendant les 17 années où vous étiez Prélat de votre Église pour le Liban. Votre expérience du service de l'unité chrétienne s'est enrichie depuis que le Conseil oecuménique des Églises vous a choisi comme Président de son Comité central. Et voici que vous êtes désormais le Catholicos de la Grande Maison de Cilicie.

Notre rencontre n'est pas seulement celle de deux frères, heureux de se connaître et de prier ensemble. Elle signifie aussi notre responsabilité d'aller ensemble de l'avant pour manifester plus visiblement la réalité spirituelle de la communion qui doit lier les chrétiens dans l'unité. Aux voeux que je vous adressais dans mon message à l'occasion de votre intronisation, vous avez aussitôt répondu: « Le Catholicossat de Cilicie approfondira et étendra son engagement oecuménique. Je puis vous assurer que les relations qui existent depuis longtemps entre le Catholicossat de Cilicie et l'Église catholique se poursuivront dans un esprit oecuménique croissant et une vision d'unité chrétienne ».

Avant d'aborder les domaines concrets de notre collaboration, il est un événement, Frère bienaimé, que je ne puis évoquer sans émotion et qui nous unit dans l'action de grâce: la terre de la nation arménienne est enfin libre et indépendante! Vous m'avez fraternellement tenu informé du déroulement des événements et, dans votre réponse après votre intronisation, vous me précisiez votre souci premier: « Une collaboration plus étroite sera établie entre le Catholicossat d'Etchmiadzine, en Arménie, et le Catholicossat de Cilicie, à Antélias. Je m'y engage fermement. Le même engagement avait été pris par Sa Sainteté Karékine I, Catholicos de tous les Arméniens ». En effet, c'est dans ce cadre, et, dans le respect des deux juridictions, que nous cherchons ici à approfondir nos relations actuelles.

Le premier lien de notre communion est celui de la foi que nous avons reçue des Apôtres. A ce niveau, je suis heureux que nous soyons parvenus à déclarer explicitement notre foi commune dans l'unique Verbe incarné, vrai Dieu et vrai Homme. De telles déclarations entre l'Église catholique et les Églises copte, éthiopienne et syriaques ont déjà signifié ouvertement l'unité de ces Églises dans la foi au Christ Seigneur, au-delà des incompréhensions séculaires. Nous pouvons rendre grâce à Dieu, car l'Église arménienne apostolique a pu, dans son unité et sa liberté retrouvée, joindre sa voix à cette louange de foi.

Dans cette perspective, deux moments importants des années à venir seront pour nous l'occasion d'une coopération fraternelle, tant dans leur préparation que dans leur célébration: le grand Jubilé du Mystère de l'Incarnation et, l'année suivante, le XVIIème centenaire du Baptême de la Nation arménienne. À l'occasion de cette seconde célébration, toutes les Églises pourront découvrir les richesses spirituelles de l'Église arménienne et s'en inspirer.

Quant au grand Jubilé de l'An 2000, qui conduira à des célébrations marquantes, il exige la conversion du coeur de tout chrétien, pour le bien de sa communauté et celui des relations entre les Églises. Nous sommes appelés à faire en sorte que le Mystère de l'Incarnation, source du salut, entraîne des comportements fraternels et solidaires de tous. Les Églises ne peuvent répondre qu'ensemble à la mission du Sauveur qui vient « annoncer la bonne Nouvelle aux pauvres », en paroles et en actes. L'Église arménienne a appris dans la souffrance le sens d'une solidarité efficace. Sainteté, un champ immense est ici ouvert à la collaboration entre nos deux Églises. Dans cette diaconie, le Maître de la vigne embauche à toute heure: pasteurs et théologiens, hommes et femmes de toutes conditions, tous peuvent y travailler.

Sur le plan de la collaboration pastorale, plusieurs signes nous invitent à poursuivre avec enthousiasme nos efforts communs. Durant l'Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Évêques, l'Archevêque Ardavatz Tertérian était le délégué fraternel du Catholicossat, et j'ai eu la joie de m'entretenir avec lui de cette perspective. Vous-même, Sainteté, avez participé récemment à une réunion des Patriarches catholiques de l'Orient et des Patriarches syriaque-orthodoxe et grec-orthodoxe d'Antioche, et, ensemble, vous avez pu prendre des décisions concernant des problèmes pastoraux communs dans la confiance et la détermination. Il est heureux que de telles concertations se poursuivent périodiquement. Je souhaite aussi que se renforcent les relations fraternelles entre le Catholicossat de Cilicie et le Patriarcat arménien catholique. Tous ces efforts produiront des fruits pour l'unité.

Il est enfin un domaine qui nous tient spécialement à coeur, à vous, Frère très cher, et à moi: celui de la culture. Depuis des décennies, le Catholicossat de Cilicie est le centre créatif et rayonnant de la culture arménienne, à travers son Séminaire de théologie, ses divers instituts et ses multiples éditions, grâce à un grand nombre de clercs et de laïcs spécialisés. Vous savez qu'il existe, en vue d'une plus féconde collaboration, un comité catholique de coopération culturelle, destiné à soutenir la formation de spécialistes. Enfin, permettez-moi d'ajouter un souhait: parce que l'échange des dons spirituels affermit la foi de chacun et qu'il est essentiel à la communion entre les Églises, la traduction des riches écrits de la tradition arménienne dans d'autres langues pourrait être utile à de nombreux chrétiens. Je sais que des textes de mariologie sont déjà traduits, et je souhaite vivement que ce précieux travail s'étende à d'autres domaines de l'expression spirituelle propre à l'âme arménienne.

C'est en communion avec la Toute-Sainte Mère de Dieu et Toujours-Vierge Marie que je prie avec vous notre grand Dieu et Sauveur de bénir notre rencontre et de lui faire porter ses fruits pour sa Gloire et pour qu'advienne son Règne.



DÉCLARATION COMMUNE DE SA SAINTETÉ LE PAPE JEAN-PAUL II ET DE SA SAINTETÉ ARAM I KESHISHIAN, CATHOLICOS DE CILICIE

Au terme de leur rencontre officielle, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et Sa Sainteté Aram I, Catholicos de Cilicie, rendent grâce à Dieu qui leur a permis d'approfondir leur fraternité spirituelle en Jésus-Christ et leur vocation pastorale et évangélisatrice dans le monde. Ce fut une occasion privilégiée de prier et de réfléchir ensemble, pour renouveler leur engagement et leurs efforts communs pour l'unité chrétienne.


La rencontre entre le Catholicos de la Grande Maison de Cilicie et le Pape de l'Église catholique marque une étape importante dans leurs relations. Ces rapports, qui remontent aux débuts du christianisme en Arménie, ont revêtu une importance particulière du XIème au XIVème siècles en Cilicie, et ils continuèrent après l'exil du Siège du Catholicossat de Sis et son installation, en 1930, à Antélias au Liban.

Le Pape Jean-Paul II et le Catholicos Aram I se réjouissent de leur rencontre dans le cadre de la Semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens, qui rappelle l'urgence de la communion plénière entre les chrétiens, en vue de l'accomplissement de leur mission essentielle qui est d'abord le témoignage rendu au Christ, mort et ressuscité pour le salut de l'humanité. Pendant deux millénaires, l'unité de la foi en Jésus-Christ, don de Dieu, fut maintenue pour l'essentiel, en dépit de controverses christologiques et ecclésiologiques ayant souvent leur source dans des facteurs d'ordre historique, politique ou socioculturel. Cette communion de foi, déjà affirmée durant les dernières décennies par leurs prédécesseurs lors de leurs rencontres, a été récemment réaffirmée solennellement lors de la rencontre de Sa Sainteté Jean-Paul II avec Sa Sainteté le Catholicos Karekine I. Aujourd'hui également, l'Évêque de Rome, successeur de Pierre, et le Catholicos de Cilicie prient pour que progresse la communion dans la foi en Jésus-Christ, grâce au sang des martyrs et grâce à la fidélité des Pères à l'Évangile et à la Tradition apostolique, en se manifestant dans la riche diversité des traditions ecclésiales respectives. Une telle communauté de foi doit se traduire concrètement dans la vie des fidèles et elle doit nous guider vers la pleine communion.

Les deux chefs spirituels soulignent donc l'importance vitale du dialogue sincère portant sur les domaines théologiques et pastoraux, ainsi que sur d'autres dimensions de la vie et du témoignage des fidèles. Les relations déjà existantes constituent une expérience qui favorise la collaboration directe et fructueuse entre eux. Leurs Saintetés ont la ferme conviction qu'en ce siècle où les communautés chrétiennes se sont engagées plus profondément dans le dialogue oecuménique, un rapprochement sérieux, soutenu par le respect et la compréhension mutuels, constitue la seule voie solide et fiable pour conduire à la pleine communion.

L'Église catholique et le Catholicossat de Cilicie ont aussi devant eux un champ immense de coopération constructive. Le monde actuel, du fait des idéologies qui s'expriment dans des valeurs matérialistes et en raison des ravages de l'injustice et de la violence, présente un véritable danger pour l'intégrité et l'identité de la foi chrétienne. Plus que jamais, l'Église du Christ doit, par sa fidélité à l'Évangile, porter au monde un message d'espérance et de charité et devenir la messagère ardente des valeurs évangéliques. Une collaboration active doit aussi être envisagée dans les domaines de l'étude et de l'enseignement de la théologie, de l'éducation religieuse, de l'évaluation des situations pastorales où il est possible d'agir en commun, de la promotion des valeurs éthiques; et encore, on doit chercher à faire face ensemble à divers problèmes relatifs à la mission et à l'engagement pastoral et spirituel pour le renouveau de la vie chrétienne et pour la transformation de la société. Le Pape et le Catholicos exhortent leurs clergés et leurs fidèles à prendre une part active à ces efforts qui doivent se concrétiser et s'organiser à tous les niveaux, notamment au niveau local où les fidèles sont ensemble confrontés à des situations difficiles. La foi chrétienne pousse aussi à collaborer plus efficacement pour promouvoir la dignité et les droits de tout être humain, ainsi que le droit de tous les peuples à voir reconnues leurs aspirations légitimes et leur identité culturelle.

L'Église arménienne fait face aujourd'hui à des conditions de vie et à des défis qui invitent à rendre plus efficace son témoignage en Arménie, au Nagorny-Karabalch, ainsi que dans la diaspora. Dispersés de par le monde, les fidèles de cette Église vivent dans des contextes où le dialogue est indispensable pour sa vie et pour son témoignage.

Dans les sociétés pluralistes d'aujourd'hui, caractérisées par des échanges, où cultures, religions et civilisations sont en relation et en interaction permanentes, les Églises ont vocation d'être les promoteurs du dialogue. Le contexte moyen-oriental présente une source d'enrichissement mutuel et de témoignage commun pour les chrétiens qui ont, avec leurs concitoyens musulmans, dans une large mesure la même histoire, les mêmes problèmes socio-économiques et le même destin politique. Les Églises sont d'ailleurs convaincues de l'import l'un dialogue avec les Musulmans, et cela entre dans les tâches pour les quelles il y a lieu qu'elles se concertent entre elles. Dans un tel cadre d'ailleurs, le dialogue ne reste pas intellectuel et théorique, mais il porte concrètement sur des éléments de l'existence quotidienne.

Au Moyen-Orient, la présence active et le témoignage dynamique des chrétiens revêtent une importance particulière, car ils sont engagés ensemble dans la lutte pour la justice et la paix. Il est donc indispensable de donner un nouvel élan à la mission spirituelle et sociale des Églises, dans les pays du Moyen-Orient, où apparaissent comme des priorités l'instauration d'une paix juste, globale et durable, et la solution équitable et satisfaisante du problème de la Ville sainte de Jérusalem.

Le Liban, où l'Église catholique et le Catholicossat de Cilicie ont une présence historique et tangible, est un cadre particulier dans lequel s'exerce leur mission. Les efforts des Libanais pour la réconciliation et la reconstruction de leur pays ne doivent pas laisser en marge les valeurs morales et religieuses qui constituent l'identité même de la grande famille libanaise. Qu'ils oeuvrent aussi pour que ce pays retrouve pleinement son identité, faite de liberté et de pluralisme, son unité, sa souveraineté et sa vocation spécifique dans la région et dans le monde!

En cette fin du deuxième millénaire chrétien et à l'approche du XVIIème centenaire de l'Église Arménienne, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et Sa Sainteté Aram I remercient et glorifient la Sainte Trinité qui donne la force spirituelle de rester fermement attaché aux impératifs de la foi apostolique et de la mission pastorale. Ils exhortent leurs clergés et leurs fidèles á 'oeuvrer ardemment en vue de l'amour, de la réconciliation, de la justice et de la paix que demande l'Évangile, dans l'attente de la venue du Royaume de Dieu.

Rome, le 25 janvier 1997.

IOANNES PAULUS PP. II ARAM I KESHISHIAN


AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DU SUD-OUEST DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE FRANÇAISE EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 25 janvier 1997




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l'épiscopat,

Au cours de votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres, je suis heureux de vous accueillir, vous qui êtes les pasteurs des dix diocèses de la Région apostolique du Sud-Ouest de la France. Avec vous, j'invoque Pierre et Paul, colonnes de l'Église. Que le premier des Apôtres et l'Apôtre des nations vous obtiennent de mener à bien votre ministère pastoral avec la lumière et la force que donne l'Esprit du Seigneur!

Je remercie le Cardinal Pierre Eyt, Archevêque de Bordeaux et Président de votre Région apostolique, pour ses réflexions éclairantes sur la situation de l'Eglise dans vos diocèses. Les difficultés et les limitations dont vous souffrez sont mises en évidence, mais on peut rendre grâce aussi pour de nombreuses manifestations du dynamisme bien réel de vos communautés.

2. En ce moment, beaucoup de diocèses sont amenés à se réorganiser, et notamment à regrouper ou à remodeler leurs structures territoriales. En effet, des changements importants ont eu lieu et se poursuivent dans le peuplement et dans l'activité économique. Les manières de vivre se modifient. Il faut aussi noter une plus grande mobilité des personnes, dont les centres d'intérêt et la culture évoluent. La physionomie de la société change très sensiblement.

Pour l'Église, les faits les plus apparents sont la diminution du nombre de prêtres et, souvent, la diminution du nombre de pratiquants. Les causes de ces évolutions inquiétantes sont complexes et l'on ne peut ignorer l'influence des transformations de la société sur la pratique des fidèles et des communautés chrétiennes depuis longtemps implantées sur ces terres; ainsi, les modifications institutionnelles sont loin d'être entraînées par les seules évolutions des effectifs du clergé. Des coutumes et des habitudes respectables aujourd'hui délaissées peuvent être regrettées par certains, mais il ne s'agit pas de cultiver la mémoire nostalgique d'un passé d'ailleurs parfois idéalisé, ni de blâmer personne. Dans les rapports quinquennaux, vos analyses montrent que vous êtes lucides sur la situation et actifs pour continuer de bâtir dans des conditions nouvelles.

Des changements interviennent aussi, et de manière positive, dans le comportement des catholiques. Vous avez fait état de parcours spirituels, de conversions, d'engagements au sein de l'Église, qui manifestent un riche renouveau qualitatif de la foi et de l'action chrétienne. On voit une vraie source d'espérance dans la disponibilité d'un nombre appréciable de laïcs à jouer un rôle plus actif et plus diversifié dans la vie ecclésiale, et à prendre les moyens de se former sérieusement pour cela.

Dans ce contexte, votre mission essentielle de pasteurs vous incite à renouveler l'organisation des communautés. Vous avez montré que les évolutions sont conduites grâce à de larges consultations qui ne portent pas seulement sur les conditions pratiques des regroupements de paroisses ou de la création d'unités pastorales nouvelles. Il s'agit pour les prêtres et les fidèles de déterminer les conditions dans lesquelles la Bonne Nouvelle pourra être annoncée, le Peuple de Dieu guidé et rassemblé par la présence sacramentelle du Christ. Les synodes diocésains ont souvent été le cadre d'une maturation remarquable des baptisés, découvrant mieux leurs inaliénables responsabilités et leur complémentarité dans la vie ecclésiale.

En fonction des situations actuelles et des structures renouvelées que vous êtes amenés à établir, je désire simplement vous faire part de quelques réflexions sur la vie des ensembles pastoraux. Mon intention est de vous encourager, avec le clergé et les fidèles des diocèses de votre pays, à fonder toujours mieux sur le roc du Christ et dans la communion de toute l'Église l'accomplissement quotidien de la mission commune.

3. Les forces vives de beaucoup de vos diocèses, en mettant en oeuvre les changements que je viens d'évoquer, ont bien saisi l'importance de l'implantation territoriale de l'Église: dans une bonne coordination avec les autres ensembles pastoraux, c'est essentiellement la paroisse qui fait exister concrètement l'Église, en sorte qu'elle soit ouverte à tous. Quelle que soit sa dimension, elle n'est pas une simple association. Elle doit être un foyer où se rassemblent les membres du Corps du Christ, ouverts à la rencontre de Dieu Père plein d'amour et Sauveur en son Fils, incorporés par l'Esprit Saint dans l'Église au moment de leur baptême et disposés dans l'amour fraternel à l'accueil de leurs frères et soeurs, quelles que soient leurs conditions ou leurs origines.

L'institution paroissiale est destinée à assurer les grandes fonctions de l'Église: la prière commune et la lecture de la Parole de Dieu, les célébrations et principalement celle de l'Eucharistie, la catéchèse des enfants et le catéchuménat des adultes, la formation continue des fidèles, la communication propre à faire connaître le message chrétien, les services caritatifs et de solidarité, l'activité locale des mouvements. En somme, à l'image du sanctuaire qui en est le signe visible, c'est un édifice à bâtir ensemble, un corps à faire vivre et grandir ensemble, une communauté où l'on reçoit les dons de Dieu et où les baptisés donnent généreusement leur réponse de foi, d'espérance et d'amour aux appels évangéliques. En ce temps où les structures pastorales sont amenées à se renouveler, il sera bon de reprendre en profondeur l'enseignement ecclésiologique du Concile Vatican II, dans la constitution sur l'Église « Lumen Gentium » et dans les divers documents d'orientations concernant notamment les prêtres et les laïcs.

Il me semble que le souci qui préside aux réorganisations devenues nécessaires est de permettre à la paroisse de remplir effectivement les fonctions que je viens d'évoquer. Il convient donc qu'elle ne soit pas trop petite et aussi, dans la mesure du possible, qu'elle reste proche des fidèles pratiquants et de l'ensemble de leurs frères. Même lorsqu'un ensemble nouveau réunit les membres de l'Église de plusieurs localités, il importe de faire le maximum pour sauvegarder le patrimoine historique, matériel mais aussi humain, en faisant tout ce qui est possible pour que les chrétiens aient le soutien spirituel nécessaire, ou encore pour que les sanctuaires restent des lieux de prière habités et pour que les coutumes de dévotion populaire ne tombent pas dans l'oubli.

4. Une question primordiale est évidemment celle des responsables. Pour guider et animer les unités pastorales, s'impose et se développe la collaboration des prêtres et des laïcs. Autour du pasteur, les conseils pastoraux, les équipes animatrices et les relais pastoraux jouent un rôle indispensable. Ils permettent notamment d'articuler le mieux possible les divers échelons de la vie ecclésiale: la communauté locale parfois petite, mais qui est un relais vivant et actif, la paroisse elle-même, puis le secteur ou la zone pastorale plus vaste, et enfin l'ensemble du diocèse. Il est important de veiller à ce que les échanges soient nourris dans les deux sens: que les responsables entendent les appels venus de la base, et que tous soient rejoints par les orientations données par ces mêmes responsables, á commencer par celles de l'Évêque.

Tout cela suppose que les prêtres et les laïcs coordonnent clairement, sans confusions, ce qui relève du sacerdoce ministériel et du sacerdoce universel, selon l'enseignement du Concile dans la constitution sur l'Église, ainsi que je l'ai souligné à Reims [1]. Les fidèles laïcs qui exercent des charges ecclésiales savent qu'ils ne se substituent pas au prêtre, mais qu'ils coopèrent à une oeuvre commune, celle de toute l'Église.

L'un des premiers soucis des pasteurs et des fidèles qui ont des responsabilités est de promouvoir l'unité harmonieuse de la communauté. C'est une condition essentielle pour que l'Église locale soit un signe transparent de la présence du Christ, au regard des baptisés qui ne participent pas à sa vie quotidienne comme de l'ensemble de la société. Entre les chrétiens, les diversités sont grandes, de milieux sociaux, de cultures ou de centres d'intérêt, et aussi de charismes. La vocation des paroisses est précisément de permettre à chacun de s'exprimer et d'entrer dans l'unité du corps formé de membres différents mais complémentaires. Ne cessons pas de méditer les leçons de saint Paul à cet égard [2].

En particulier, il ne faut pas renoncer à ce que la communauté ecclésiale soit un lieu de rencontre des générations, malgré les distances souvent constatées. Sans attendre passivement, les adultes doivent garder le contact avec les jeunes, savoir les accueillir, écouter leurs requêtes, comprendre leurs difficultés et leurs inquiétudes pour l'avenir, leur donner une place de plein droit, les associer aux responsabilités. Les synodes diocésains en ont eu souvent la préoccupation; il convient de faire le maximum pour permettre aux jeunes de poursuivre leur formation chrétienne entre eux, comme ils le désirent souvent, mais aussi pour les aider à s'intégrer dans le monde des adultes auquel ils ont beaucoup à apporter. Je reviendrai sur la pastorale des jeunes, mais je tiens à souligner dès maintenant qu'il faut rester attentif à ne pas l'isoler de l'ensemble de la vie pastorale.

5. La vitalité de la communauté ecclésiale apparaît dans sa fidélité à la mission confiée par le Seigneur à ses disciples: l'évangélisation. Nous sommes dépositaires et porteurs de la Bonne Nouvelle. Sous toutes ses formes, l'apostolat consiste d'abord à transmettre et à proposer la Parole du salut et la connaissance du Verbe qui est Chemin, Vérité et Vie. Seule la Parole de Dieu peut éclairer vraiment la route de chacun, donner un sens plénier à la vie de famille, à l'activité professionnelle et aux mille tâches de la vie sociale, ouvrir à l'espérance.

La Parole que nous acclamons dans la liturgie, et pour laquelle nous rendons gloire à Dieu, s'adresse directement aux fidèles présents. La communauté rassemblée doit elle-même être sans cesse évangélisée: chaque fidèle a toujours besoin de se laisser interpeller par le Christ, de se convertir à l'écoute de la Parole qui porte de grandes exigences mais qui est aussi un don inestimable, car elle est l'annonce du salut, de la réconciliation, de la victoire de la vie sur la mort.

Ouvrir les enfants et les jeunes à l'accueil de la Parole de vie, c'est là une mission capitale d'évangélisation pour les communautés. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie » [3], nous avons à l'annoncer de génération en génération. L'éveil à la foi de tout-petits, la catéchèse et l'initiation chrétienne doivent mobiliser le maximum de dévouement de personnes qui acceptent de s'y consacrer et d'acquérir des compétences, sans pour autant que les autres paroissiens se désintéressent de ce qui demeure une mission de tous.

Ne devrait-on pas aussi interroger sans cesse les catholiques sur ce qu'ils font pour proposer le message du Christ à ceux qui ne viennent qu'occasionnellement à l'église, aux baptisés qui laissent enfouies la grâce reçue dans leur enfance? Qu'ils trouvent près d'eux des témoins convaincus, accueillants, respectueux de l'itinéraire de chacun mais prêts à rendre compte de l'espérance qui est en eux [4]! Il y a un bonheur de croire et il faut savoir le partager.

Et si l'on est pénétré par la grâce de la foi vivifiée par l'espérance et animée par la charité, aucun aspect heureux ou malheureux de la vie du quartier ou du village ne peut laisser insensible. Alors, l'évangélisation prendra des formes diverses dans la solidarité sociale, la vie familiale, le travail, les relations de voisinage. Un témoin isolé connaît ses limites, mais des témoins stimulés par la communauté sauront mieux partager « l'espérance qui ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » [5].

Dans le cadre des paroisses ou des secteurs pastoraux, je le rappelle d'un mot, les mouvements et associations de fidèles apportent un précieux stimulant à la mission, en restant attentifs à une bonne coordination et à une bonne intégration dans l'ensemble. Ils aident à mûrir la vie spirituelle, à former les jeunes, à partager le souci apostolique dans les différents milieux de vie, à rendre efficaces et continus l'accueil et le service des plus démunis [6].

Aujourd'hui encore, je voudrais encourager les fidèles de vos diocèses à renouveler leurs engagements dans l'évangélisation, personnellement, en famille et dans les groupes constitués. Ils seront heureusement stimulés par la « Lettre aux catholiques de France » récemment adoptée par votre Conférence épiscopale.

6. Ayant abordé la question de l'animation responsable des communautés par les prêtres et les laïcs et celle des missions d'évangélisation, il convient à présent d'évoquer brièvement le coeur de la vie ecclésiale: car la paroisse est le lieu principal de la célébration des sacrements et, en particulier, de l'Eucharistie, source de la sanctification de tous les états de vie. La vocation d'une paroisse ne peut se définir qu'en fonction de la structure sacramentelle de l'Église. C'est là que nous est visiblement signifiée la présence du Christ dans le mystère pascal. A la Messe, convergent les offrandes de tous, celles des bonheurs et des souffrances, des efforts de l'apostolat, des services fraternels de toute nature, Le Seigneur associe à son propre sacrifice ceux de tous ses frères. Il nous rassemble dans son Esprit Saint, il affermit la foi et la charité, il écoute notre supplication pour demander au Père d'étendre au monde entier la réconciliation, le salut et la paix, il nous unit avec les saints de tous les temps dans l'attente de la communion plénière dans son Royaume.

Il est vrai que bien des fidèles souffrent de ce que la Messe ne peut plus être célébrée aussi près de chez eux et aussi souvent que naguère; les prêtres sont moins nombreux et plus éloignés. Il n'en est que plus important de donner sa pleine valeur à l'Eucharistie. Une communauté s'appauvrit si elle ne retrouve avec ferveur ce lien vital avec le Seigneur, source de toute vie chrétienne et de tout apostolat. Le rassemblement eucharistique est le lieu où cette réalité fondamentale de la foi se reconnaît de manière tangible.

Aucun effort n'est à épargner pour que soient rendus accessibles les dons majeurs que sont les sacrements à toutes les étapes de l'existence. La vie chrétienne s'ouvre par la grâce sanctifiante du baptême; l'entrée des jeunes dans la maturité chrétienne est affermie par la confirmation; la constitution du couple et la fondation de la famille sont consacrées par la participation à l'Alliance dans le mariage; dans l'affrontement au mal et au péché, la grâce du pardon et de la réconciliation est accordée et signifiée explicitement par le sacrement de pénitence; la souffrance est unie à la Croix dans le sacrement des malades. Au centre de la mission des communautés chrétiennes, la préparation aux sacrements est évidemment primordiale.

Sans doute une conscience plus vive des dons confiés par le Seigneur à son Église invitera à valoriser les vocations au ministère sacerdotal, pour que la parole de Dieu soit donnée, que le Christ soit rendu sacramentellement présent, et que le peuple de Dieu soit guidé. Que vos communautés pastorales ne cessent de supplier le Seigneur d'appeler des jeunes à se consacrer tout entiers afin de le servir auprès de leurs frères!

7. Il est vrai que l'ampleur de la mission peut paraître dépasser les possibilités de communautés qui ont conscience de leurs limites et de leurs pauvretés. C'est dans la foi qu'elles doivent redécouvrir qu'elle sont à l'image du Fils de l'homme, et de son groupe restreint de disciples qui avaient leurs faiblesses; pourtant, ils ont posé les fondations de l'Église, qui a reçu la promesse de la fidélité du Christ Bon Pasteur.

La pauvreté du nombre, des moyens et des capacités doit inviter à s'appuyer vraiment sur le Seigneur. L'Église se sait vulnérable mais les signes de la grâce apparaissent dans le dynamisme apostolique dont vous êtes témoins et dont nous avons à remercier le Christ qui n'abandonne pas son troupeau, mais le guide par l'Esprit Saint.

Que votre rencontre avec l'Évêque de Rome vous fortifie dans votre ministère! Portez mon salut affectueux et mes encouragements aux prêtres diocésains, aux diacres, aux religieux et aux religieuses, aux laïcs qui s'engagent dans les conseils pastoraux et les équipes d'animation ou les fonctions de relais pastoraux, aux malades, à l'ensemble des fidèles, afin qu'ils progressent dans leurs diverses missions de baptisés, dans l'unité organique de l'Église Corps du Christ.

J'invoque sur vous tous et sur vos communautés diocésaines l'intercession maternelle de Notre-Dame et la grâce des Bénédictions divines.


[1] Ioannis Pauli PP. Il Sermo in Cathedrali templo Remensi, 4, die 22 sept. 1996: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIX, 2 (1996) 440.
[2] Cfr. 1Co 12.
[3] 1Jn 1,1.
[4] Cfr. 1P 3,15.
[5] Rm 5,5.
[6] Cfr. Apostolicam Actuositatem, AA 24; Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, CL 30.



Discours 1997 - Lundi, 13 janvier 1997