Discours 1997 - Samedi 25 janvier 1997


AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

Salle du Consistoire, Lundi 27 janvier 1997



Monseigneur le Doyen,

Illustres Prélats auditeurs et
Officiers de la Rote romaine !

1. Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de ce rendez-vous annuel, qui exprime et renforce le lien étroit qui unit votre travail à mon ministère apostolique.

Je salue cordialement chacun d’entre vous, Prélats auditeurs, Officiers et vous tous qui êtes au service du Tribunal de la Rote romaine, membres du « Studio », avocats. Je vous remercie tout particulièrement, Mgr le Doyen, des aimables paroles que vous m’avez adressées, ainsi que des réflexions concises que vous venez d’exprimer

2. Respectant l’habitude de présenter en cette circonstance quelques réflexions sur un sujet qui concerne le droit de l’Eglise et, plus particulièrement, l’exercice de la fonction judiciaire, je voudrais m’attarder quelque peu sur un thème que vous connaissez bien, les conséquences juridiques des aspects personnalistes du mariage. Sans entrer dans des problèmes particuliers qui concernent les divers chefs de nullité du mariage, je me limiterai à rappeler certains grands principes que l’on doit conserver soigneusement en mémoire pour approfondir ce thème.

Dès l’époque du Concile Vatican II, on s’est demandé quelles conséquences juridiques découlaient de la vision du mariage contenue dans la Constitution pastorale Gaudium et spes (GS 47-52). En effet, la nouvelle codification canonique en ce domaine a largement mis en valeur la perspective conciliaire, tout en s’écartant résolument de certaines interprétations extrêmes qui, par exemple, considéraient l’« intima communitas vitae et amoris coniugalis » (ibid., GS GS 48) [“la communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple”] comme une réalité qui n’impliquait pas un « vinculum sacrum » (ibid. GS GS 48) [un lien sacré] comportant une dimension juridique spécifique.

Dans le Code de 1983, se fondent de manière harmonieuse des formulations d’origine conciliaire, comme celle qui concerne l’objet du consentement (cf. CIC CIC 1057 § 2), ainsi que la double orientation naturelle du mariage (cf. CIC CIC 1055, § 1) - où les personnes de ceux qui contractent mariage se trouvent directement au premier plan -, et des principes de la tradition disciplinaire, comme celle de la « favor matrimonii » [“Le mariage jouit de la faveur du droit”] (CIC 1060). Malgré cela, certains symptômes montrent une tendance à opposer, sans possibilité de synthèse harmonieuse, les aspects personnalistes aux aspects plus proprement juridiques. Ainsi, d’une part, la conception du mariage comme don réciproque des personnes semblerait devoir légitimer une tendance doctrinale et jurisprudentielle indéterminée à élargir les qualités requises en matière de capacité ou de maturité psychologique, de liberté et de conscience, nécessaires pour que le mariage soit contracté validement ; d’un autre côté certaines applications de cette tendance, faisant apparaître les équivoques qu’elle comporte, sont à juste titre perçues comme en contradiction avec le principe de l’indissolubilité, non moins fermement rappelé par le Magistère.

L’autorité du Magistère

3. Pour traiter ce problème d'une manière claire et équilibrée, il faut garder clairement le principe que le pouvoir juridique ne se juxtapose pas, tel un corps étranger, à la réalité interpersonnelle du mariage, mais en constitue une dimension vraiment intrinsèque. En effet, les rapports entre les conjoints, comme les rapports entre parents et enfants, sont aussi et constitutivement des rapports de justice, et ils sont donc, en eux-mêmes, des réalités juridiquement importantes. L’amour conjugal, et l’amour parents-enfants, ne sont pas seulement une inclination dictée par l’instinct, ni un choix arbitraire et réversible, mais c’est un amour qui est dû. Aussi, mettre la personne au centre de la civilisation de l’amour n’exclut pas le droit, mais l’exige plutôt, menant à sa redécouverte comme réalité interpersonnelle, et à une vision des institutions juridiques qui mette en relief leur lien constitutif avec les personnes elles-mêmes, tellement essentiel dans le cas du mariage et de la famille.

S’agissant de ces thèmes, le Magistère va bien au-delà de la seule dimension juridique, mais la garde constamment présente à sa pensée. Il s’ensuit qu’une source prioritaire pour comprendre et appliquer correctement le droit matrimonial canonique est le Magistère même de l’Eglise, auquel appartient l’interprétation authentique de la Parole de Dieu sur ces réalités (cf. Dei Verbum DV 10), y compris dans leurs aspects juridiques. Les normes canoniques ne sont que l’expression juridique d’une réalité anthropologique et théologique sous-jacente, et il faut s’y reporter pour éviter également le risque d’interprétations dictées par la facilité. Dans la structure communionnelle du Peuple de Dieu, la certitude de la garantie est donnée par le Magistère vivant des Pasteurs.

4. Dans une perspective d’authentique personnalisme, l’enseignement de l’Eglise implique l’affirmation de la possibilité de la constitution du mariage comme lien indissoluble entre les personnes des conjoints, destiné essentiellement à assurer le bien des conjoints eux-mêmes et celui de leurs enfants. En conséquence, serait en contradiction avec une véritable dimension personnaliste cette conception de l’union conjugale qui, mettant en doute cette possibilité porterait à la négation de l’existence du mariage chaque fois que sont apparus des problèmes de convivialité. A la base d’une telle attitude, il y a une culture individualiste qui est l’antithèse d’un véritable personnalisme. « L’individualisme suppose un usage de la liberté dans lequel le sujet fait ce qu’il veut, “établissant” lui-même “la vérité” de ce qui lui plaît ou lui est utile. Il n’admet pas que d’autres “veuillent” ou exigent de lui quelque chose au nom d’une vérité objective. Il ne veut pas “donner” à un autre en fonction de la vérité, il ne veut pas devenir “don désintéressé” » (Lettre aux familles LF 14).

L’aspect personnaliste du mariage chrétien comporte une vision intégrale de l’homme qui, à la lumière de la foi, assume et confirme tout ce que nous pouvons connaître par nos forces naturelles. Cette vision se caractérise par un sain réalisme dans la conception de la liberté de la personne, située dans les limites et les conditionnements de la nature humaine sur laquelle pèse le péché, et l’aide jamais insuffisante de la grâce divine. Dans cette optique, qui est propre à l’anthropologie chrétienne, entre aussi la conscience de la nécessite du sacrifice, de l’acceptation de la souffrance et de la lutte, comme de réalités indispensables pour être fidèles à ses devoirs. Dans le traitement des causes matrimoniales, serait donc totalement erronée une conception pour ainsi dire trop « idéalisée » du rapport entre les conjoints, qui pousserait à interpréter comme une authentique incapacité à assumer les charges du mariage la difficulté normale que l’on peut constater dans le cheminement du couple vers l’intégration sentimentale pleine et réciproque.

La vraie nature de la personne humaine

5. Une évaluation correcte des éléments personnalistes exige, par ailleurs, que l’on tienne compte de l’être de la personne et, concrètement, de sa dimension conjugale et de l’inclination naturelle vers le mariage qu’elle entraîne. Une conception personnaliste nourrie d’un pur subjectivisme et, en tant que telle, oublieuse de la nature de la personne humaine - prenant à l’évidence le terme « nature » dans son sens métaphysique -, donnerait lieu à toutes sortes d’équivoques, y compris dans le domaine canonique. Il y a certainement une essence du mariage, décrite par le canon 1055, laquelle imprègne toute la discipline matrimoniale, comme cela ressort des concepts de « propriété essentielle », « élément essentiel », « droits et devoirs matrimoniaux essentiels », etc. Cette réalité essentielle est une possibilité ouverte en principe à tout homme et à toute femme. Et même, elle représente un véritable chemin vocationnel pour la très grande majorité de l’humanité. Il s’ensuit que, dans l’évaluation de la capacité ou de l’acte de consentement nécessaires à la célébration d’un mariage valide, on ne peut exiger ce qu’il n’est pas possible de demander à la majorité des personnes. Il ne s’agit pas de minimalisme pragmatique et d’une solution de facilité, mais d’une vision réaliste de la personne humaine, en tant que réalité toujours en croissance, appelée à faire des choix responsables avec ses potentialités initiales, les enrichissant toujours davantage par son effort propre et l’aide de la grâce.

Dans cette optique, la favor matrimonii et la présomption qui s’ensuit de la validité du mariage (cf. CIC CIC 1060) apparaissent non seulement comme l’application d’un principe général du droit, mais comme une conséquence parfaitement en harmonie avec la réalité spécifique du mariage. Demeure, cependant, la tâche difficile, que vous connaissez bien, de déterminer, même avec l’aide des sciences humaines, ce minimum en dessous duquel on ne pourrait parler de capacité et de consentement suffisant pour un véritable mariage.

6. Tout cela montre bien combien est exigeante et prenante la tâche confiée à la Rote romaine. Par son activité jurisprudentielle qualifiée, non seulement elle veille à assurer la protection des droits de tous les christifideles, mais elle apporte, en même temps, une contribution importante à l’accueil du dessein de Dieu sur le mariage et la famille, dans la communauté ecclésiale comme aussi, indirectement, dans toute la communauté humaine.

Aussi, en vous exprimant ma gratitude, à vous qui, directement ou indirectement, collaborez à ce service, et en vous exhortant a persévérer avec un nouvel élan dans votre travail si important pour la vie de l’Eglise, je vous accorde de tout coeur ma Bénédiction, que j’étends volontiers à tous ceux qui travaillent dans les tribunaux ecclésiastiques, partout dans le monde.



Février 1997


AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DE L'OUEST DE LA FRANCE À L'OCCASION DE LA VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 1er février 1997



Chers Frères dans l'épiscopat,

1. Après les Évêques de votre pays que j'ai déjà reçus, voici que vous venez à votre tour ad limina Apostolorum, vous les pasteurs des diocèses de l'Ouest de la France. J'évoque naturellement ma récente visite à Saint-Laurent-sur-Sèvre, dans le diocèse de Luçon, et à Sainte-Anne-d'Auray, dans le diocèse de Vannes, au mois de septembre dernier. L'accueil chaleureux que j'ai reçu chez vous de la part des fidèles de toute votre région a fait de cet automne commençant un véritable signe de l'éternel printemps de l'Église.

Je remercie vivement Monseigneur Jacques Fihey, Évêque de Coutances et votre Président, pour le bilan synthétique qu'il a présenté en votre nom de la situation pastorale dans votre région apostolique de l'Ouest. Soyez les bienvenus en la demeure du Successeur de Pierre, en la Ville où est exercé dans la continuité le mandat confié par le Christ au Prince des Apôtres qui a rendu au Seigneur le témoignage du sang.

2. La formation des fidèles laïcs représente l'une des activités fréquemment abordées dans vos rapports, avec un sens pastoral que je tiens à encourager. La démarche de votre Conférence épiscopale, qui a conduit à la Lettre intitulée « Proposer la foi dans la société actuelle », permettra de guider utilement vos diocésains et de les stimuler pour que leur témoignage soit toujours plus réfléchi. Je voudrais consacrer cet entretien à souligner quelques points significatifs pour les divers types de formation que vous êtes amenés à donner.

Tout chrétien est constamment invité à approfondir sa foi; cela l'aidera à s'approcher davantage du Christ ressuscité et à être un témoin dans la société. En effet, dans un monde où les personnes ne cessent de parfaire leurs connaissances scientifiques et techniques, les connaissances de foi ne peuvent en rester au catéchisme appris dans l'enfance. Pour grandir humainement et spirituellement, le chrétien a un besoin évident de formation permanente. Sans cela, il risque de ne plus être éclairé dans les choix parfois épineux qu'il a à faire au cours de sa vie et dans l'accomplissement de sa mission chrétienne spécifique, au milieu de ses frères. Car, comme le dit un des plus anciens textes de la littérature patristique, « ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde... La place que Dieu leur a confiée est si belle qu'il ne leur est pas permis de la déserter » [1].

J'encourage donc tous les disciples du Christ à répondre à vos appels et à prendre du temps pour développer leur vie chrétienne et leur intelligence de la foi. Le chrétien doit être conscient de cette première vérité: Dieu a fait l'homme à son image et lui a conféré le pouvoir de dominer la création, pour la mettre à son service et pour rendre gloire au Créateur. En le créant être raisonnable, il lui a aussi donné la possibilité d'accéder à une forme de connaissance rationnelle de Dieu, qui, au-delà, l'invite ensuite à entrer dans une démarche de foi.

La formation personnelle a pour intérêt primordial d'offrir aux fidèles la possibilité d'intérioriser toutes les connaissances acquises pour leur permettre d'unifier leur être et leur vie autour de ce point central de la personne que les Pères de l'Église nommaient le « coeur du coeur »; ainsi, du fond de leur âme, ils adhéreront au Christ et ils épanouiront toutes les dimensions de leur existence, en particulier dans leur engagement professionnel et dans la vie sociale. Car tout fidèle a le devoir de participer à l'édification de la société, en se mettant au service de ses frères par la recherche du bien commun. Par son travail, qui lui permet de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, il participe aussi au développement et au perfectionnement de la création.

En vertu de son baptême, le chrétien est appelé à être membre pleinement conscient et actif du Corps tout entier de l'Église: «Dans le Christ, dit saint Paul, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit » [2]. Et, parce qu'il porte en lui le Christ, il est appelé à le faire découvrir à ses frères et à devenir un apôtre, c'est-à-dire un envoyé.

3. Dans les villes et les villages de vos diocèses, des laïcs assument de plus en plus de responsabilités dans la vie ecclésiale. Ils sont disposés à prendre leur part de l'évangélisation; ils assurent des services de catéchèse, d'animation liturgique et de préparation aux sacrements, d'assistance spirituelle aux malades ou aux prisonniers, de réflexion et d'action dans maints domaines de la vie sociale. Pour le faire dans l'esprit de l'Évangile, ils vous demandent souvent de les aider à acquérir la formation nécessaire. Dans vos diocèses, ainsi que l'a fait ressortir Monseigneur Fihey dans son rapport régional, des initiatives multiples sont prises: à l'échelle des diocèses ou même de plusieurs diocèses associés, vous organisez des cycles de formation durant parfois plusieurs années à l'intention des personnes appelées à recevoir des responsabilités; il est remarquable que des fidèles laïcs prennent ainsi les moyens de remplir le mieux possible les fonctions que vous pouvez leur confier.

Plus à la base, des groupes bibliques ou des formations théologiques élémentaires sont proposées aux paroissiens soucieux d'être des témoins de l'Évangile. Je ne puis que vous inviter à poursuivre en ce sens vos efforts déjà très positifs, avec le désintéressement de tout apôtre, car « autre le semeur, autre le moissonneur ».

Tout en sachant combien cela peut présenter de difficultés dans chaque diocèse, je vous demande d'accorder une réelle priorité à la formation de certains prêtres ou laïcs, et aussi de religieux et de religieuses, à qui il faut permettre d'acquérir une compétence confirmée et une expérience durable afin d'être eux-mêmes de bons formateurs. Ce sont là des investissements indispensables, dont les fruits mûriront au cours des années. Votre région bénéficie d'une Université catholique dont le rôle est essentiel dans la formation. À long terme, il convient de préparer des professeurs et des chercheurs qui assureront la relève et donneront un élan à la théologie, en même temps qu'à la pastorale.

4. Je n'entends pas dresser ici des programmes pour les diverses instances de formation; je voudrais plutôt en évoquer quelques caractéristiques essentielles. Spécialement lorsqu'il s'agit de personnes appelées à assurer des services d'ordre pastoral, il convient de veiller a l'équilibre entre l'enseignement et l'engagement effectif dans une mission. En somme, la formation atteindra d'autant mieux son objectif qu'elle concernera des personnes qui vivent une expérience chrétienne active: ne pas isoler le travail intellectuel demandé aux personnes de leur engagement dans la communauté, pour qu'elles progressent dans le sens de l'Église. Et, en même temps que l'on donne des moyens de formation théorique et pratique, on ne négligera pas d'offrir les moyens d'un ressourcement proprement spirituel, c'est-à-dire une initiation suivie à la prière et des temps consacrés aux récollections ou retraites.

5. Comme dans toute formation ou activité catéchétique, l'Écriture sainte occupera une place privilégiée. Ainsi que l'a rappelé le Concile Vatican II dans la constitution dogmatique « Dei Verbum », l'Écriture sainte est l'âme de la théologie [3]. Saint Jérôme disait que « l'ignorance de l'Écriture, c'est l'ignorance du Christ » [4]. Nous savons que, lue dans l'Église, l'Écriture est la terre sur laquelle peut croître l'arbre de la science de Dieu. Le Peuple de Dieu ne peut espérer vivre de la Vie de son Maître s'il ne s'assimile les paroles mêmes qui lui ont été transmises, pour que, croyant au Christ, il ait « la vie en son nom » [5]. Une bonne familiarité avec l'Écriture nourrit la vie spirituelle et permet de participer en profondeur à la liturgie.

Deux millénaires de méditation et de réflexion sur le Mystère du Christ ont conduit l'Église à une intelligence de la foi qu'il appartient à chacun de s'approprier. Les chrétiens, pour ne pas se laisser « ballotter à tout vent de doctrine » [6], tireront profit d'une solide réflexion sur le Credo, ce qui ne veut pas dire nécessairement une étude érudite. Dans la culture diffuse de ce temps, l'image du Christ peut être déformée si l'on néglige d'en découvrir la richesse grâce à l'élaboration faite au cours des âges par les conciles, les Pères, les théologiens, sans oublier les spirituels. L'étude du Credo, correctement conduite, n'a rien d'une démarche intellectuelle gratuite; elle donne une charpente à la foi et aide à la transmettre. C'est dans cet esprit que le Concile Vatican II a clairement montré que l'Église trouve sa raison d'être en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, révélés par l'oeuvre du Christ rédempteur. Le Catéchisme de l'Église catholique a été réalisé pour fournir d'indispensables points de repère, ce que votre Conférence épiscopale, à l'instar d'autres dans le monde, a repris suivant une pédagogie propre à votre culture.

6. Mises en lumière par une présentation claire et solide, les données de la foi contribueront efficacement à faire comprendre que l'adhésion au Christ suppose une règle de vie, une loi qui libère au lieu de contraindre. Le lien profond qui existe entre la foi et la morale échappe à beaucoup de nos contemporains qui ne retiennent que des interdits, ainsi que le relèvent bon nombre de vos rapports. Il importe de permettre aux fidèles avertis de bien saisir le sens positif et vital de l'enseignement moral de l'Église. C'est ce qu'il m'a paru nécessaire d'exposer dans les encycliques « Veritatis Splendor » et « Evangelium Vitae » notamment.

Au jour le jour, les catholiques ont besoin de pratiquer un discernement éclairé devant des courants d'opinion dont l'influence se répand et devant lesquels il leur faut rester libres. Qu'il s'agisse de la morale personnelle ou de la morale sociale, un disciple du Christ doit savoir reconnaître où se trouvent vraiment la voie droite, la vérité de l'homme et le respect de la vie. Ce qu'on appelle l'évolution des moeurs ne peut de soi réformer des règles de vie fondées sur la loi naturelle que tout homme de bonne volonté est capable d'appréhender par la droite raison, et sur l'Évangile. Ce que des normes juridiques civiles autorisent ne correspond pas nécessairement à la vérité de la vocation humaine, ni au bien que tout homme doit chercher à accomplir dans ses choix personnels et dans sa conduite vis-à-vis d'autrui.

En somme, dans un contexte culturel qui tend à relativiser la plupart des convictions, le fidèle doit être attaché à la recherche et à l'amour de la vérité. C'est là un principe central. Le Seigneur Jésus a lui-même dit: « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » [7], et il a promis à ses disciples l'Esprit de vérité qui « introduira dans la vérité tout entière » [8]. Cela revient à répéter une fois encore qu'une formation qui aide réellement à vivre la condition chrétienne implique une adhésion intelligente et responsable à la vérité reçue de Dieu par l'Évangile.

7. Il est opportun de rappeler ici que la formation entre dans les objectifs des mouvements qui rassemblent les chrétiens selon différentes finalités et soutiennent le dynamisme des individus. Les mouvements de spiritualité, d'apostolat ou d'entraide, les équipes d'accueil ou de préparation aux sacrements, amènent leurs membres à se mettre au service de frères et soeurs pratiquants occasionnels ou de personnes éloignées de l'Église. Ils peuvent être les meilleurs relais du message chrétien dans des milieux où l'Évangile reste méconnu ou déformé, par leur témoignage de foi et d'amour concret du prochain.

Vous m'avez informé du développement actuel du catéchuménat de jeunes ou d'adultes dans vos diocèses. C'est naturellement un lieu privilégié de formation pour des hommes et des femmes qui aspirent à découvrir la foi dans l'Église. Je me félicite avec vous de l'esprit fraternel et de la compétence des nombreux chrétiens qui accompagnent catéchumènes et néophytes dans leur cheminement.

Prolongeant encore mon propos, je voudrais aussi encourager les fidèles qui oeuvrent dans les médias, chrétiens ou non, à l'échelle du pays ou sur le plan local, afin d'éclairer de nombreux lecteurs ou auditeurs sur le sens de leur vie et celui des événements. La communication sociale des communautés demande des porte-parole bien formés, qui sachent à leur tour apporter des éléments de formation positifs à ceux qui les entendent.

8. D'un autre point de vue, je tiens encore à rappeler que l'action pastorale doit être attentive aux différents états de vie que les fidèles peuvent choisir et qui ont tous une grande valeur. Vécus dans la fidélité au choix initial, ils sont une forme éminente de confession de foi, car ils montrent que, dans les moments de joie comme dans les difficultés, la vie avec le Christ est le chemin du bonheur. C'est le cas de ceux qui sont engagés dans le sacerdoce, dans le diaconat ou dans la vie consacrée, dont j'ai déjà parlé avec les évêques d'une autre région apostolique.

Ceux qui vivent dans le mariage sont les témoins privilégiés de l'alliance de Dieu avec son peuple. Par le sacrement, leur amour humain prend une valeur infinie, car les conjoints rendent présent, de manière particulière, l'amour du Père et ils reçoivent une responsabilité importante dans le monde: engendrer à la vie des enfants appelés à devenir enfants de Dieu et les aider dans leur croissance humaine et surnaturelle. Dans le monde actuel, l'amour humain est souvent bafoué. Les pasteurs et les couples engagés dans l'Église auront particulièrement à coeur d'approfondir la théologie du sacrement du mariage, afin d'aider les jeunes époux et les familles en difficulté à mieux reconnaître la valeur de leur engagement et accueillir la grâce de l'alliance. J'invite les laïcs mariés à témoigner de la grandeur de la vie conjugale et familiale, fondée sur l'engagement et sur la fidélité. Seul le don total rend pleinement libre pour aimer vraiment, non pas simplement selon la dimension affective de son être, mais avec ce qu'il y a de plus profond en soi, pour réaliser l'union des coeurs et des corps, source de joie profonde et image de l'union de l'homme à Dieu à laquelle nous sommes tous appelés.

Je n'oublie pas ceux qui n'ont pas eu la possibilité de réaliser un tel projet de vie. Si leur célibat n'a pas été choisi, ils peuvent, de ce fait, avoir le sentiment que leur vie a en partie échoué. Qu'ils ne perdent pas courage, car le Christ n'abandonne jamais ceux qui se confient à lui! Ils savent se consacrer aux autres et développer des relations fraternelles épanouissantes. Ils sont des exemples pour beaucoup. Ils ont pleinement leur place dans la communauté ecclésiale. En toute condition, une vie donnée est source de joie.

9. A l'occasion de ma récente visite en France, j'ai dit que j'appréciais la vitalité de l'Église dans votre pays, malgré les difficultés qu'elle rencontre. Je suis convaincu que vos initiatives dans les domaines de la formation des fidèles, ainsi que votre souci d'aider chacun à se réaliser dans la communauté et à témoigner dans la société, porteront leurs fruits dans ce temps de renouveau qu'est l'approche du grand jubilé.

Chers Frères dans l'épiscopat, à travers vous, vos diocésains sont présents ici. En l'année du centenaire de la mort de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, nous confions à son intercession vos personnes, votre ministère, ainsi que tous les fidèles de votre Région apostolique. C'est en pensant à eux tous que, de grand coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.


[1] Epistula ad Diognetum, 6.
[2] Ep 2,22.
[3] Cfr. Dei Verbum.
[4] S. Hieronymi Commentarium in Isaiam, prologus.
[5] Jn 20,31.
[6] Ep 4,14.
[7] Jn 14,6.
[8] Ibid. Jn 16,13.



Mars 1997

À S.E. M. SIMÉON AKÉ, NOUVEL AMBASSADEUR DE LA CÔTE D'IVOIRE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi 3 mars 1997




Monsieur l'Ambassadeur,

Il m'est agréable de vous souhaiter la bienvenue au Vatican, où j'ai le plaisir d'accueillir Votre Excellence à l'occasion de la présentation des Lettres qui L'accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Côte-d'Ivoire auprès du Saint-Siège.

J'ai été sensible aux sentiments cordiaux de Son Excellence Monsieur le Président Henri Konan Bédié dont vous vous êtes fait l'interprète. En retour, je vous saurais gré de lui transmettre les voeux fervents que je forme pour sa personne et pour l'accomplissement de sa haute fonction au service de ses compatriotes. J'adresse aussi mes chaleureuses salutations au peuple ivoirien et à ses dirigeants, et je prie Dieu d'accompagner les efforts de chacun sur les chemins du développement intégral et de la prospérité de la nation, dans la concorde et la solidarité.

Dans votre allocution vous avez tenu à exprimer l'attachement de la Côte-d'Ivoire à l'édification d'une société harmonieuse, respectueuse de la diversité culturelle et religieuse de sa population et accueillante à tous. La reconnaissance mutuelle et la compréhension entre toutes les composantes de la nation sont en effet une condition essentielle de la paix sociale et du véritable développement du pays. Les injustices et les refus de l'autre, quant à eux, produisent des mésententes qui mènent le plus souvent à l'affrontement et à la ruine. Une démocratie authentique, respectant le pluralisme et fondée sur le dialogue, ainsi que sur les valeurs africaines de vie communautaire et de partage, ne peut que consolider l'unité nationale et l'état de droit.

Je me réjouis de l'engagement de la Côte-d'Ivoire pour promouvoir la paix dans votre région. Le dialogue et la négociation sont l'unique voie assurée pour apaiser les tensions et régler les conflits. Alors que le continent africain connaît de dramatiques événements, on ne peut que souhaiter ardemment voir partout le recours aux moyens pacifiques l'emporter sur la violence pour régler les différends afin que les armes se taisent et que les peuples connaissent le temps de la paix et de la prospérité.

Comme vous l'avez souligné dans votre courtoise allocution, Monsieur l'Ambassadeur, la mission universelle de l'Église l'amène à oeuvrer pour la concorde entre les nations et entre les personnes. Dans mon message pour la Journée mondiale de la paix, j'ai écrit que, dans ce monde blessé par la guerre, « de nombreux facteurs peuvent intervenir positivement sur le rétablissement de la paix, tout en sauvegardant les exigences de la justice et de la dignité humaine. Mais aucun processus de paix ne pourra jamais être engagé si ne s'affermit chez les hommes une attitude de pardon sincère » [1]. Le pardon et la réconciliation sont les chemins qui permettent de consolider les liens de solidarité des personnes et des peuples. C'est de cette solidarité que naîtra la paix. Comment ne pas souhaiter que s'établisse enfin partout une véritable « civilisation de l'amour »!

Votre présence au Vatican, en qualité d'Ambassadeur, à la suite de la longue et estimée mission de Monsieur l'Ambassadeur Joseph Amichia, témoigne de l'importance que veut donner votre nation aux motivations d'ordre spirituel et religieux dans ses projets de développement de la société et d'épanouissement des personnes. En effet, « un monde meilleur n'adviendra que s'il est construit sur les fondations solides de sains principes éthiques et spirituels » [2]. Vos nobles paroles témoignent de l'esprit dans lequel vous vous proposez de réaliser la haute mission qui vous est impartie, contribuant encore à approfondir les relations déjà anciennes qui unissent la Côte-d'Ivoire et le Saint-Siège.

Permettez-moi, Monsieur l'Ambassadeur, de saisir cette occasion pour saluer, par votre intermédiaire, l'Église catholique en Côte-d'Ivoire, qui a connu récemment le développement et l'affermissement de ses structures. Je garde présents à ma pensée et a ma prière ses Pasteurs et ses fidèles, dans l'heureux souvenir de mes visites dans votre pays. Alors que nous nous sommes engagés dans la préparation immédiate du grand Jubilé de l'An 2000, je les encourage vivement à redécouvrir les exigences de leur baptême, qui est le fondement de leur unité dans le Christ. Je les invite aussi, dans une collaboration sincère avec tous leurs compatriotes, à prendre part avec courage à l'édification de la nation, dans le droit et la justice, en recherchant toujours l'unité et la fraternité entre tous les citoyens.

Alors que commence officiellement votre mission auprès du Siège apostolique, je vous offre mes meilleurs voeux pour son heureux accomplissement. Soyez assuré que vous trouverez toujours ici un accueil attentif et une compréhension cordiale de la part de mes collaborateurs.

Sur Votre Excellence, sur sa famille ainsi que sur le peuple ivoirien et sur ses dirigeants, j'invoque de grand coeur l'abondance des Bénédictions divines.

[1] Ioannis Pauli PP. II Nuntius ob diem ad pacem fovendam dicatum pro a. D. 1997, 1, die 8 dec. 1996: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIX, 2 (1996) 928 s.
[2] Ioannis Pauli PP. II Ecclesia in Africa, .



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU ZAÏRE EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Lundi 3 mars 1997

Chers Frères dans l'épiscopat,

1. Je suis heureux de vous accueillir au Vatican au moment où vous effectuez votre visite ad limina. Pasteurs de l'Église au Zaïre dans les provinces ecclésiastiques de Bukavu, de Kisangani et de Lubumbashi, par votre pèlerinage auprès du tombeau des Apôtres, vous êtes venus renouveler votre engagement au service de la mission du Christ et de son Église et renforcer vos liens de communion avec le Successeur de Pierre.

Vous venez d'un pays qui connaît une crise généralisée et profonde, sur laquelle votre Conférence épiscopale s'est prononcée à diverses reprises. Cette crise se traduit par la corruption et l'insécurité, les injustices sociales et les antagonismes ethniques, l'état de total abandon dans lequel se trouvent l'éducation et la santé, la faim et les épidémies... A tout cela s'ajoute maintenant une guerre, qui touche particulièrement vos diocèses, avec toutes ses conséquences tragiques. Que de souffrances pour les Zaïrois! En ces moments dramatiques, je souhaite que vous trouviez ici réconfort et force afin de poursuivre avec assurance votre mission épiscopale au milieu du peuple qui vous a été confié. Je remercie vivement Monseigneur Faustin Ngabu, Président de la Conférence épiscopale du Zaïre, pour ses paroles éclairantes sur la vie de l'Église dans votre pays; elles manifestent l'espérance de vos communautés au milieu de leurs épreuves. Je salue avec une particulière affection les prêtres, les religieux, les religieuses, les catéchistes et tous les fidèles de votre région, et je les encourage à être, dans l'adversité, de véritables disciples du Christ.

Et je voudrais rappeler avec émotion le souvenir de ceux qui, chez vous, ont témoigné héroïquement de l'amour de Dieu jusqu'au bout: Monseigneur Christophe Munzihirwa, Archevêque de Bukavu, plusieurs de vos prêtres diocésains, des personnes consacrées, ainsi que des laïcs qui ont fait l'offrande de leur propre vie pour sauver leurs frères. Comme vous l'avez dit vous-mêmes, il semble que l'Église soit « particulièrement ciblée dans les événements de la guerre et des violences actuelles au Zaïre » [1]. Que ces sacrifices soient un stimulant pour l'oeuvre de l'Église dans votre région et obtiennent de Dieu pour tout le peuple les bienfaits de la paix et de la réconciliation!

2. Vous avez à coeur de rester très proches des prêtres, vos collaborateurs immédiats. Je connais la situation difficile qui est souvent la leur. Je les encourage cordialement dans leur service généreux du Christ et de leurs frères. L'Église leur est profondément reconnaissante pour leur ministère, qui fait naître et grandir le Peuple de Dieu dans votre pays. Je les exhorte à garder « la fidélité à leur vocation, dans un don total à leur mission et en pleine communion avec leur évêque » [2]. Vous-mêmes soyez pour chacun d'eux un père et un guide dans le sacerdoce, attentifs à leur vie et à leur ministère!

Au milieu de la communauté chrétienne, les prêtres doivent être des modèles de vie évangélique, manifestant une cohérence effective entre ce qu'ils annoncent et ce qu'ils vivent. Dans leur ministère pastoral, ils auront soin d'exclure « tout ethnocentrisme et tout particularisme excessif, en prônant la réconciliation et une vraie communion entre les différentes ethnies » [3]. Ils trouveront la source de leur courage apostolique et de leur fidélité aux engagements de leur ordination, particulièrement au célibat, dans un profond amour du Christ, qui se traduira par la fréquentation régulière des sacrements et par la prière qui unifie leur vie. Je les engage aussi à redécouvrir de plus en plus profondément la dignité et les obligations de la vocation sacerdotale, qui excluent dans la vie du prêtre les activités qui ne sont pas en consonance avec elles.

Pour répondre de façon toujours plus appropriée aux exigences du ministère sacerdotal, la formation permanente est une nécessité impérative, qui doit être présente tout au long de la vie afin « d'aider le prêtre pour que son être et son agir soient dans l'esprit et selon le style de Jésus le Bon Pasteur » [4].

3. C'est une responsabilité essentielle pour chaque évêque d'exercer une sollicitude tout à fait privilégiée à l'égard de la formation des futurs prêtres et de la vie des séminaires. En effet, « le premier représentant du Christ dans la formation sacerdotale est l'évêque » [5]. Pour que les séminaires soient de véritables communautés de formation au sacerdoce, il est indispensable que les candidats soient bien connus, afin de permettre un discernement sérieux de leurs motivations avant de les accepter, sachant aussi que « l'appel intérieur de l'Esprit a besoin d'être confirmé par l'appel authentique de l'évêque » [6]. Une formation humaine, intellectuelle et morale de bon niveau permettra au futur prêtre d'acquérir une maturité suffisante afin qu'il soit capable de vivre son sacerdoce dans un équilibre personnel éprouvé et de favoriser la rencontre entre le Christ et les hommes auxquels il sera envoyé. Je vous invite à être vigilants sur la qualité de la formation spirituelle donnée dans les séminaires. « Pour tout prêtre, la formation spirituelle constitue le "coeur" qui unifie et vivifie son "être" et son "agir " de prêtre » [7]. Les futurs ministres de l'Évangile doivent s'engager résolument sur un chemin de sainteté pour devenir des pasteurs selon le coeur de Dieu.

La constitution d'équipes de professeurs et de directeurs spirituels est souvent une grande difficulté. Je souhaite vivement que, malgré les sacrifices qui en résultent pour d'autres secteurs pastoraux, vous puissiez y engager les prêtres les plus dignes et les plus aptes à ce ministère si important pour la vie et pour l'avenir de l'Église. Il est nécessaire de préparer à ce travail des prêtres capables et conscients des besoins réels de l'Église. Une collaboration entre les diocèses d'une même région pourra aider à traiter cette question avec plus d'efficacité.

4. Comme vous l'avez relevé dans vos rapports, la vie religieuse est bien implantée dans votre pays, et de plus en plus de jeunes répondent à l'appel de Dieu. Avec vous, je me réjouis de cette grâce que le Seigneur fait à l'Église au Zaïre. Dans la période difficile que traverse votre nation, le témoignage des personnes consacrées doit spécialement être mis en lumière: « Une fonction particulière de la vie consacrée est de maintenir vive chez les baptisés la conscience des valeurs fondamentales de l'Évangile, en rendant « le témoignage éclatant et éminent que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu sans l'esprit des Béatitudes » [8].

Je salue avec une particulière affection les religieux et les religieuses qui, avec grande abnégation, se consacrent au service de leurs frères pauvres, malades, déplacés, exilés, ou qui, de diverses manières et dans des situations difficiles, travaillent à l'établissement de plus de justice et de fraternité, parfois au risque de leur vie. Je les encourage de tout cour à poursuivre leurs engagements, dans une oblation totale d'eux-mêmes: « Regardez vers l'avenir, où l'Esprit vous envoie pour faire encore avec vous de grandes choses » [9]. Le monde d'aujourd'hui a besoin de leur témoignage prophétique du service de Dieu et de l'amour pour les hommes, où se révèle la présence du Seigneur au milieu du peuple dans l'épreuve. Ce témoignage prophétique, qui s'exprime à travers la vie communautaire comme signe de communion ecclésiale, doit être prolongé par une véritable fraternité vécue dans le presbyterium diocésain entre les religieux et les membres du clergé séculier.

Dans votre pays, plusieurs Instituts de droit diocésain sont nés ces dernières années, manifestant la vitalité de vos Églises locales. Je souhaite qu'ils soient suivis avec beaucoup d'attention, notamment en ce qui concerne la formation adéquate de leurs membres, afin que ces communautés se développent selon les normes de la vie consacrée prévues par l'Église. L'exhortation apostolique «Vita Consecrata » sera une aide précieuse pour réfléchir à la signification et à la mission de la vie religieuse dans le monde d'aujourd'hui.

5. Les difficultés économiques et sociales de la société ont un impact négatif sur beaucoup de jeunes. Dans vos rapports, vous avez souvent souligné les blessures qui les marquent et les conséquences douloureuses qui en résultent pour leur avenir. La pastorale de la jeunesse est l'une de vos préoccupations majeures. Les institutions scolaires et universitaires de l'Église catholique apportent une contribution importante à la formation humaine et spirituelle des jeunes générations, face aux grandes nécessités que connaît votre pays. Vous voulez aussi être attentifs à ceux qui n'ont pas accès à l'école ou qui en sont rejetés, comme à ceux qui sont sans travail, livrés à eux-mêmes, sans espoir pour demain. Tant d'obstacles à leur épanouissement doivent encore être vaincus! En vous encourageant à demeurer toujours plus proches d'eux et à l'écoute de leurs questions, avec les Pères du Synode africain, je voudrais à nouveau plaider avec vigueur en leur faveur: « Il faut trouver une solution à leur impatience à prendre part à la vie de la nation et de l'Église » [10]; et je renouvelle aux jeunes du Zaïre l'appel qui a été lancé par ce Synode à tous les jeunes d'Afrique: prenez en charge le développement de votre nation, aimez la culture de votre peuple, travaillez à sa redynamisation, fidèles à votre héritage culturel, en perfectionnant votre esprit scientifique et technique et surtout en rendant témoignage de votre foi chrétienne [11]! Je les invite à ne pas perdre courage, mais à affronter les défis de leur existence avec la force que leur donne le Christ et en cherchant à établir une vraie solidarité humaine pour construire l'avenir. Dans ce monde, ils sont appelés à vivre la fraternité, non pas comme une utopie mais comme une possibilité réelle; dans cette société, ils ont à construire, en vrais missionnaires du Christ, la civilisation de l'amour [12].

6. Dans vos diocèses, les fidèles sont amenés à vivre et à coopérer avec leurs frères d'autres confessions chrétiennes. « Unis au Christ dans leur témoignage en Afrique, les catholiques sont invités à développer un dialogue oecuménique avec tous les frères baptisés des autres confessions chrétiennes, afin qu'advienne l'unité pour laquelle le Christ a prié et qu'ainsi leur service des populations du continent rende l'Évangile plus crédible aux yeux de ceux et de celles qui cherchent Dieu » [13]. Toutefois, pour qu'elles puissent conduire en vérité les fidèles du Christ sur les chemins de l'unité, il convient que ces relations fraternelles avec les autres chrétiens se construisent dans une connaissance réciproque sincère et dans le respect de ce qui constitue la communauté à laquelle on appartient.

7. Les sectes et les nouveaux mouvements religieux sont aujourd'hui un défi auquel l'Église dans votre région est amenée à faire face avec persévérance. Afin de permettre aux catholiques d'opérer les discernements nécessaires et de répondre aux questions posées par l'activité de ces groupes, il est primordial de guider les fidèles vers une prise de conscience renouvelée de leur identité chrétienne, par l'approfondissement de leur foi dans le Christ, unique Sauveur des hommes. En leur présentant d'une façon simple et claire le message évangélique, centré sur la personne du Seigneur Jésus vivant et agissant dans son Église, on les aidera à opérer une réelle conversion du coeur. Une bonne connaissance de la Parole de Dieu, enracinée dans la Tradition, les conduira à acquérir une spiritualité authentique et à découvrir les richesses de la prière, personnelle et communautaire, avec l'inculturation qui permet à chacun de se sentir pleinement participant. Le Catéchisme de l'Église catholique offre une aide de premier ordre pour cette tâche de formation. Enfin, on travaillera à renforcer l'unité du Peuple de Dieu dans les communautés ecclésiales, où l'on mettra l'accent « sur l'attention à l'autre, la solidarité, la chaleur des relations, l'accueil, le dialogue et la confiance » [14].

8. Chers Frères dans l'épiscopat, alors que votre pays vit un temps de grande épreuve et se trouve à un tournant décisif pour son avenir, j'engage vivement les catholiques du Zaïre à contribuer avec leurs compatriotes à l'édification d'une société conviviale, où tous les citoyens seront également reconnus et respectés dans leur dignité. Je souhaite que les élections prévues pour les prochains mois puissent avoir lieu et qu'elles permettent à votre pays de mettre en place un véritable État de droit. Les communautés chrétiennes doivent être particulièrement sensibilisées à leurs responsabilités en ce qui concerne la promotion de la justice et la défense des droits humains fondamentaux. Depuis de nombreuses années, et encore récemment, vous vous êtes adressés à tous les Zaïrois, prêtant votre voix aux sans-voix, pour rappeler les exigences de la justice et de la paix, ainsi que pour encourager et former le peuple qui vous est confié. Je connais le rôle courageux joué par les catholiques dans le long processus de démocratisation que traverse votre pays ainsi que dans la recherche du dialogue pour une société meilleure. Par cet engagement, l'Église ne veut servir en aucune manière une politique partisane. Elle souhaite favoriser la recherche de l'authentique bien de l'homme et de sa vie en société.

Je vous invite donc à persévérer dans la proclamation du message d'espérance de l'Évangile, en incitant les fidèles à la connaissance de la doctrine sociale de l'Église pour travailler efficacement à l'avènement de la justice et de la solidarité. Les communautés chrétiennes doivent aussi s'engager avec toujours plus de détermination à travailler à la réconciliation entre tous, en rejetant toutes formes de discrimination et de violence, qui détruisent l'homme et la collectivité. « Tout baptisé doit en quelque sorte se sentir "ministre de la réconciliation", en ce sens que, réconcilié avec Dieu et avec ses frères, il est appelé à construire la paix par la force de la vérité et de la justice » [15]. Le temps de préparation à Pâques dans lequel nous nous trouvons nous remémore l'urgente nécessité du retour vers Dieu et de la conversion du coeur comme chemin vers la paix.

9. Rejoignant par la pensée et la prière les victimes de la guerre qui s'étend dans l'Est de votre pays, je renouvelle de façon pressante mon appel pour que cessent les combats. Je souhaite vivement que les parties concernées par la crise de la Région des Grands Lacs s'engagent rapidement sur le chemin du dialogue et de la négociation pour trouver une issue pacifique aux problèmes dramatiques qui se posent, dans le respect des principes de l'intangibilité des frontières internationalement reconnues, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque État. Comme vous l'avez récemment écrit, « l'unité nationale reste à préserver, à soutenir et à consolider » [16]. A cette fin, la communauté internationale y compris les Organisations régionales africaines doit « accroître son action politique » [17], trouvant, en même temps, des solutions rapides au tragique problème humain et moral des très nombreux réfugiés rwandais qui demeurent au Zaïre, dans des camps ou dispersés dans la forêt, ainsi que de la multitude des déplacés zaïrois. Aucun homme de bonne volonté ne peut ignorer le sort de ces personnes, qui, dans les régions touchées par les violences, vivent dans des conditions qui sont une insulte à la dignité humaine, et dont la vie est constamment en danger. Personne ne peut s'en désintéresser!

Je déplore vigoureusement les attaques contre les personnes, ainsi que les saccages et les destructions dont ont été victimes les institutions et les biens de l'Église dans plusieurs de vos diocèses, alors que, dans de nombreux cas, c'étaient les seules structures sociales qui fonctionnaient encore. Je vous invite à entreprendre avec courage le relèvement des oeuvres qui permettent à l'Église d'assurer effectivement sa mission et d'être une expression de la charité du Christ à l'égard des plus pauvres et des plus abandonnés. Pour une réelle entraide, comme cela s'est réalisé à plusieurs occasions, je souhaite que les Églises particulières du Zaïre ainsi que l'Église universelle acceptent un partage généreux de leurs ressources par solidarité avec vos communautés.

10. Au terme de notre rencontre, chers Frères dans l'épiscopat, je vous engage à poursuivre avec assurance votre combat pour la paix et votre engagement pour la recherche de la fraternité. Alors que nous nous préparons à la célébration du grand jubilé de l'An 2000 en méditant, cette année, sur la personne de Jésus Christ, unique Sauveur du monde, avec toute l'Église qui est au Zaïre, soyez les témoins ardents de l'espérance qu'il apporte à notre humanité, car « l'espérance ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » [18]! Me tournant vers la Vierge Immaculée, et vers ceux et celles qui, comme la bienheureuse Anuarite et le bienheureux Isidore Bakanja, sont des exemples de courage de la foi et de la charité pour l'Église dans votre pays, je donne de grand coeur la Bénédiction Apostolique à chacun de vous ainsi qu'à l'ensemble de vos diocésains, priant le Seigneur de la Paix de combler le peuple zaïrois tout entier de l'abondance de ses dons.

[1] Zairensium Episcoporum Nuntius, die 31 ian. 1997.
[2] Ioannis Pauli PP. II Ecclesia in Africa, .
[3] Ibid., .
[4] Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 73.
[5] Ibid., PDV 65.
[6] Ibid. PDV 65
[7] Ibid., PDV 45.
[8] Ioannis Pauli PP. II Vita Consecrata, VC 33.
[9] Ibid., VC 110.
[10] Ioannis Pauli PP. II Ecclesia in Africa, .
[11] Cfr. ibid.
[12] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Nuntius scripto datus ad iuvenes ob XII mundialem diem iuventuti dicatum, 8, die 15 aug. 1996: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, XIX, 2 (1996) 186.
[13] Eiusdem Ecclesia in Africa, .
[14] Ibid., .
[15] Ioannis Pauli PP. II Nuntius scripto datus ob diem ad pacem fovendam dicatum pro a. D. 1997, 7, die 8 dec. 1996: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIX, 2 (1996) 936.
[16] Zairensium Episcoporum Nuntius, die 31 ian. 1997.
[17] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Sermo ad Legatorum Ordinem, apud Sanctam Sedem, 3, die 13 ian. 1997: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XX, 1 (1997) 92.
[18] Rm 5,5.



Discours 1997 - Samedi 25 janvier 1997