Discours 1997 - Samedi 15 mars 1997


À UN GROUPE DE GITANS DE LA RÉGION D'ALSACE

Salle des Papes, Vendredi 21 mars 1997

Chers Frères et Soeurs, « Gens du voyage » d'Alsace,


1. Au cours du pèlerinage que vous accomplissez auprès des tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, je suis heureux de vous accueillir. je vous salue très cordialement, ainsi que Mgr Charles Amarin Brand, Archevêque de Strasbourg, et les représentants du Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, qui vous accompagnent.

Nous sommes à la veille de la grande semaine de la Passion du Seigneur. Sa mort sur la Croix traduit de la manière la plus claire l'amour de Dieu pour nous. Le sacrifice de Jésus pour tous les hommes confère à chacun la dignité de personne aimée de Dieu. Tout être humain doit être considéré, aimé et servi parce qu'il est frère du Christ. Quand on ignore cette relation avec le Sauveur, la voie est ouverte aux humiliations ou au mépris, que l'on cherche à légitimer par d'injustes discriminations.

2. Je sais votre attachement à la foi, à l’Eglise catholique et au Pape. Renouvelez sans cesse votre vie de croyants en puisant aux sources de la Parole de Dieu et en demeurant fidèles à la prière communautaire et personnelle. Comme je l'ai dit, en recevant les participants à une rencontre pour la pastorale parmi les Gitans le 8 juin 1995, «il faut une nouvelle évangélisation pour chacun d'entre eux, membre aimé du Peuple de Dieu en pèlerinage»; cette démarche vous aidera à surmonter les tentations qui sont fortes aujourd'hui: se refermer sur soi-même, chercher refuge dans les sectes ou encore dilapider son patrimoine religieux pour se tourner vers un matérialisme qui empêche de reconnaître la présence divine.

3. Votre visite me donne l'occasion de rappeler que, le 4 mai prochain a Rome, j'aurai la joie de proclamer bienheureux Ceferino Jiménez Malla, un Gitan admirable pour le sérieux et la sagesse de sa vie d'homme et de chrétien. Sa vie fut pleinement accomplie, car il l'a vécue saintement dans la fidélité a Dieu et dans le style de vie propre aux Gitans. Il mourut martyr de la foi, serrant contre sa poitrine le chapelet qu'il récitait chaque jour dans une dévotion tendrement filiale a Marie. Il est un bel exemple de fidélité à la foi pour tous les chrétiens, et spécialement pour vous qui êtes proches de lui à cause de liens ethniques et culturels.

A la suite de Ceferino Jiménez Malla, il ne manque sûrement pas parmi vous des personnes capables de promouvoir l'activité pastorale dans votre communauté chrétienne de gens du voyage. Dans l’Eglise locale, les ordinations au diaconat et à d'autres ministères d'hommes de votre peuple sont des faits positifs, et il faudra continuer.

4. Cette rencontre me permet de vous offrir mes meilleurs voeux pour de saintes fêtes pascales, où nous allons célébrer l'événement central de l'histoire du salut, fondement de l'espérance chrétienne. Par le baptême, sacrement de la régénération spirituelle, vous participez à la mort et à la résurrection de Jésus; une vie nouvelle vous est donnée. Pâques est le temps du renouvellement des promesses du baptême: faites-le avec conviction et avec confiance en l'amour du Seigneur. C'est Lui qui vous donnera force et courage dans les difficultés rencontrées sur votre route.

En invoquant la Très Sainte Vierge Marie et les saints qui vous sont chers, je vous donne la Bénédiction apostolique, a vous ici présents, à vos familles et à vos communautés.



AUX ÉVÊQUES FRANÇAIS DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DE L'EST EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 22 mars 1997




Chers Frères dans l'épiscopat,

je suis heureux de vous accueillir au cours de votre visite ad limina. C'est pour vous l'occasion d'affermir la mission que vous avez reçue, grâce à la prière aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, et aux rencontres que vous effectuez dans les différents services de la Curie romaine. Votre présence à Rome manifeste la communion fraternelle qui existe entre le Successeur de Pierre et les évêques diocésains, autour du Christ, qui est la Tête de l'Église. « Nous sommes dans des lieux différents de l'Église, nous ne sommes pas séparés de son Corps, "car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes" [1]. » [2]. Nos entrevues me permettent d'être proche de tous ceux qui, avec vous, s'engagent dans la mission et qui contribuent au dynamisme de la communauté diocésaine.

Le Président de votre Région apostolique de l'Est, Monseigneur Marcel Herriot, a fait un tour d'horizon de vos préoccupations pastorales; je l'en remercie. Cette partie de la France présente bien des contrastes et connaît, parfois à un degré plus élevé, les difficultés de la société dans l'ensemble du pays. Cela ne doit pas démobiliser les fidèles mais, au contraire, les porter à une généreuse solidarité avec les plus démunis de toutes origines. D'autre part, la position de votre région, à l'un des grands carrefours de l'Europe, vous amène à des échanges avec vos voisins qui ne peuvent qu'être profitables pour tous; votre expérience sera précieuse pour préparer la nouvelle assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques, car l'Église en ce continent gagnera à plus de connaissance mutuelle et plus de collaboration fraternelle. Je relève aussi que, dans plusieurs de vos diocèses, la présence d'importantes communautés ecclésiales issues de la Réforme invite à prendre une part active au dialogue oecuménique qui constitue une des grandes tâches à poursuivre à l'aube du troisième millénaire. Pour la vitalité de l'Église, malgré les zones d'ombre, la forte tradition chrétienne de vos contrées inspire confiance pour l'avenir et, vous le dites, les signes d'espérance ne manquent pas.

2. Comme vous le faites apparaître clairement dans vos rapports quinquennaux, parmi les aspects de la pastorale qui vous préoccupent, il y a la question des vocations. Parfois depuis des années, dans certains de vos diocèses, le nombre de jeunes qui acceptent de s'engager dans la voie du sacerdoce ou de la vie consacrée est resté très faible. Les prêtres sont de plus en plus surchargés et ils ne voient pas venir la relève. Mais loin de faiblir dans leur ardeur missionnaire, ils continuent inlassablement à remplir leurs tâches pastorales. Je tiens à saluer leur courage et à leur redire qu'il ne faut pas désespérer, car le Seigneur n'abandonne jamais son Église. La période de crise que vos diocèses traversent ne doit pas faire oublier à l'ensemble de vos communautés diocésaines qu'il convient de poursuivre et d'intensifier les efforts pour transmettre aux jeunes l'appel au sacerdoce et à la vie consacrée, sans déprécier pour autant la vocation au mariage.

3. Plusieurs d'entre vous ont souligné qu'aujourd'hui, les jeunes hésitent à s'engager, par peur de l'avenir et par manque de témoins capables d'être des exemples convaincants et attirants. Il est important que les prêtres et tout le peuple chrétien croient que Dieu continue inlassablement d'appeler des hommes et des femmes à son service, dans le secret des coeurs et à travers le témoignage de la communauté ecclésiale. Tous les fidèles du Christ ont donc à apporter leur contribution pour aider les jeunes à aborder l'avenir sans peur excessive, pour leur faire découvrir la joie qu'il y a à suivre le Christ, pour les aider à prendre confiance en eux-mêmes et à discerner patiemment la voix du Seigneur, comme le fit le Prêtre Élie avec le jeune Samuel [3].

4. Dans ce domaine, la famille a un rôle spécifique à remplir. Les jeunes apprennent d'abord de leurs parents les premières notions de la foi, le chemin de la prière et la pratique des vertus. De même, la disponibilité à répondre à une vocation particulière vient de la disposition filiale d'un cour qui veut faire la volonté du Seigneur et qui sait que le Christ a les paroles de la vie éternelle [4]. Des familles peuvent être inquiètes de voir leurs jeunes s'engager á la suite du Christ, particulièrement dans un monde où la vie chrétienne ne représente pas une valeur sociale attrayante. J'invite cependant les parents à porter sur l'avenir de leurs enfants un regard de foi, a aider les jeunes à réaliser librement leur vocation; c'est à ce prix qu'ils seront heureux dans l'existence, car le Seigneur donne à ceux qu'il choisit la force et les ressources spirituelles nécessaires pour surmonter les difficultés. Le don total de soi au Seigneur et à l'Église est source de joie et « sommet de la charité pastorale » [5]. J'exhorte les fidèles laïcs à s'engager dans la pastorale des vocations et à soutenir les jeunes qui manifestent des dispositions à se consacrer au service de l'Église; certains laïcs participent déjà heureusement aux activités des services diocésains des vocations, mais cela ne doit pas rester la préoccupation de quelques-uns seulement.

Dans cette perspective, il est important que, au sein des communautés chrétiennes, soient clairement reconnues la place du prêtre et celle des personnes consacrées. En particulier, tous doivent se rappeler que la vie ecclésiale ne peut exister sans la présence du prêtre, qui agit au nom du Christ, Tête de l'Église, et qui, en son nom, rassemble le peuple autour de la table du Seigneur et lui transmet le pardon des péchés. De même, l'absence de personnes consacrées, contemplatives ou de vie active, peut faire oublier que l'engagement pour le Royaume des cieux est l'aspect primordial de toute vie chrétienne. Il est clair que si les jeunes n'ont pas des contacts personnels avec des prêtres ou des personnes consacrées, et s'ils ne perçoivent pas la mission spécifique de chacun, il leur sera difficile d'envisager eux-mêmes un tel engagement.

5. Vous constatez que des jeunes qui pensent au sacerdoce et des séminaristes déjà en formation ont vécu des périodes difficiles dans leur existence. Certains demeurent fragiles, parfois à cause d'un contexte social ou familial qui a pu occasionner des blessures longues à se cicatriser, ou bien, comme cela a été constaté au cours des récentes visites canoniques, à cause de la mobilité permanente des familles qui rend difficile un enracinement humain, ou bien à cause des moeurs dégradées qui ont souvent cours dans la société, ou encore du fait de la conversion récente de certains candidats. Il convient donc de les aider structurer leur personnalité, pour devenir la demeure spirituelle dont parle saint Pierre [6]. Cela requiert de votre part et de la part des responsables des services des vocations une attention spéciale, pour conduire avec soin et délicatesse l'étape du discernement et de la préparation. En particulier, il faudra veiller à ce que les formateurs aient les qualités requises et qu'ils maintiennent fermes les lignes essentielles de la formation sacerdotale.

Pour cette phase préparatoire, certains évêques ont choisi de demander aux candidats, sous des formes variées, une année de propédeutique, initiative qui semble porter de bons fruits. Ainsi, au terme de la première étape, les candidats doivent présenter « des qualités déterrainées: l'intention droite, un degré suffisant de maturité humaine et une connaissance assez ample de la doctrine de la foi, une certaine initiation aux méthodes de prière et un style de vie conforme à la tradition chrétienne » [7]. Pour qu'ils puissent faire face ultérieurement aux différentes tâches du ministère, les jeunes doivent accepter de progresser, afin d'acquérir la nécessaire maturité psychologique, humaine et chrétienne de tout serviteur du Christ et de l'Église. Au cours de l'année propédeutique, les candidats approfondissent notamment le sens de la théologie de l'élection et de l'alliance que Dieu fait avec les hommes. Ils se disposent ainsi à entendre l'appel du Christ et de l'Église, et à vivre dans l'obéissance le chemin de formation proposé par l'évêque et, ensuite, les missions pastorales qui leur seront confiées.

6. En tant que responsables de l'appel des candidats qui seront demain vos collaborateurs dans le sacerdoce, il vous appartient de déterminer l'opportunité d'accueillir des candidats venant d'autres diocèses, selon les dispositions canoniques [8] et pastorales récemment rappelées dans l'« Instruction sur l'admission au séminaire de candidats provenant d'autres diocèses ou d'autres familles religieuses », que vous a adressée la Congrégation pour l'Éducation catholique. À ce propos, un accueil sans discernement peut être dommageable pour les jeunes eux-mêmes, qui, au lieu d'entrer dans une démarche de relation confiante et d'obéissance filiale avec l'évêque de leur diocèse, sont parfois tentés de choisir leur diocèse d'incardination et leurs lieux de formation, selon des critères purement subjectifs; ils deviennent en quelque sorte les maîtres de leur propre formation en fonction de leur sensibilité et non de critères objectifs. Cette attitude ne manquera pas d'affaiblir leur sens du service, leur esprit d'ouverture à la pastorale diocésaine et leur disponibilité pour la mission ecclésiale.

7. Avec l'ensemble de la Conférence épiscopale, vous reprenez les fondements de la formation spirituelle, philosophique, théologique et pastorale des jeunes appelés au sacerdoce. Je me réjouis du travail que vous effectuez actuellement pour achever la nouvelle Ratio studiorum, qui devra désormais régir la formation dans les séminaires en France. C'est en effet aux évêques, en collaboration continue et confiante avec les équipes animatrices des séminaires, qu'il incombe d'organiser les études des candidats au ministère presbytéral, car c'est vous qui les appelez et qui, par l'imposition des mains, les faites entrer dans le presbyterium diocésain.

Le séminaire est une institution centrale dans le diocèse; il participe à la visibilité du Corps du Christ et à son dynamisme pastoral; il contribue à l'unité de toutes les composantes de la communauté chrétienne, car la formation sacerdotale se situe au-delà des sensibilités pastorales particulières. En y effectuant tout ou partie de leur parcours, les séminaristes ont ainsi l'occasion d'être proches de leur évêque, des prêtres et des multiples réalités humaines et ecclésiales locales. Lorsqu'il n'y a pas de séminaire sur place, il importe que l'évêque et ses collaborateurs qui suivent les séminaristes entretiennent des liens organiques avec les séminaires où ils ont envoyé leurs candidats. Il convient aussi, malgré l'éloignement géographique, de trouver les manières de faire connaître aux diocésains, notamment aux jeunes, ces institutions avec toute leur vitalité: si elles sont ignorées, il y a moins de chances qu'y entrent ceux qui entendent l'appel du Seigneur.

8. Composé de personnes venant d'horizons différents, le séminaire doit devenir une famille et, à l'image de cette dernière, permettre à chaque jeune, avec sa sensibilité propre, de mûrir sa vocation, de prendre conscience de ses futurs engagements et de se former à la vie communautaire, spirituelle et intellectuelle, sous la conduite d'une équipe de prêtres et de professeurs spécialement formés en vue de cette mission. Les jeunes se préparent ainsi à être des membres actifs du presbyterium autour de l'évêque.

Au long des cycles successifs, l'accent sera mis sur le principe unifiant de toute vie chrétienne: l'amour pour le Christ, pour l'Église et pour les hommes, car c'est en vivant dans l'amour que l'on est configuré au Christ, pasteur et souverain Prêtre, et c'est par amour que l'on conduit le troupeau du Seigneur. « On ne peut en effet être un bon pasteur, sinon en devenant un avec le Christ et avec les membres de son Corps, par la charité. La charité est le premier devoir du bon pasteur » [9]. La formation à la relation au Christ est donc primordiale, par la prière et la pratique personnelle des sacrements, en particulier de la réconciliation et de l'Eucharistie qui est l'école de la vie sacerdotale; le prêtre est appelé à être l'icône du Christ dans sa vie personnelle et dans les différents actes de son ministère [10]. C'est aussi la vie spirituelle qui rend la mission pleinement féconde.

Il convient encore de développer chez les candidats la pratique des vertus théologales et morales, par un entraînement à la discipline de vie et à la maîtrise de soi. Un futur prêtre doit aussi apprendre à déposer sa vie entre les mains du Sauveur, à se sentir membre de l'Église diocésaine, et, par là, de l'Église universelle, et à conduire son action dans la perspective de la charité pastorale » [11].

La formation pastorale ne peut être seulement théorique; à juste titre les séminaires accordent une place notable à des activités d'ordre pastoral sur le terrain, ce qui favorise l'enracinement des jeunes dans la communauté locale. Gardez cependant le souci de maintenir la priorité des études, car si le sérieux approfondissement intellectuel des cycles du séminaire était insuffisant, cela ne pourrait guère être compensé plus tard.

9. Tout cela va de pair avec une formation intellectuelle, philosophique et théologique solide, essentielle pour que les jeunes puissent devenir missionnaires, annonçant à leurs frères la Bonne Nouvelle de l'Évangile et les mystères chrétiens. L'étude occupera donc une place importante et préparera les prêtres à la formation permanente, indispensable au long de leur ministère, car une vie spirituelle qui n'est pas nourrie sans cesse par une démarche intellectuelle risque de s'appauvrir. Cela nécessite une grande passion pour la vérité. Le décret conciliaire « Optatam Totius » a tracé de manière remarquablement équilibrée les grandes orientations des études ecclésiastiques; il convient toujours de s'y référer [12].

Les études philosophiques ne seront pas sous-estimées: elles sensibilisent aux différentes quêtes humaines de Dieu; elles développent une culture qui permet d'être sans cesse en dialogue avec le monde, pour que l'on puisse l'inviter à se tourner vers le Christ; elles donnent enfin des éléments pour développer une anthropologie chrétienne, pour former à l'agir moral et pour rendre compte du mystère chrétien.

Est-il besoin de souligner aussi la place privilégiée qui revient à l'étude de la Parole de Dieu, pour en accueillir le message toujours vivant et pour en être le témoin éclairé? Naturellement, une bonne base dans les différentes branches de la théologie est indispensable pour permettre aux prêtres de répondre aux attentes de leurs contemporains, de les aider à dépasser des présentations superficielles de l'enseignement de l'Église qui ne peuvent les conforter dans la foi. La théologie de la liturgie, en particulier, permet aux ministres de l'Eucharistie et des autres sacrements de célébrer dignement les mystères dont ils sont les intendants, et d'en montrer toute la richesse et toute la portée aux fidèles.

Tout ce que l'on peut dire de la formation intellectuelle des futurs prêtres, et aussi des besoins croissants de la formation des laïcs, m'amène à vous inviter, dans la perspective des années à venir, à consentir l'effort nécessaire pour prévoir une formation académique plus poussée des jeunes prêtres qui en ont les aptitudes, afin qu'ils aient la possibilité de s'engager dans la recherche et d'assurer l'enseignement. D'autre part, il importe aussi que vous développiez vos efforts pour préparer des prêtres au discernement des vocations, à la direction spirituelle et à l'animation de la vie communautaire.

10. Chers Frères dans l'épiscopat, je sais votre sollicitude pour vos séminaires. La visite apostolique récente l'a montré. Je connais aussi vos difficultés, votre inquiétude devant le petit nombre de séminaristes à l'heure actuelle. C'est pourquoi j'ai désiré revenir avec vous sur certains aspects, sans pouvoir les aborder tous ici. Mais je tenais à vous encourager, et à vous assurer une nouvelle fois que l'épreuve actuelle traversée par vos diocèses ne peut être comprise que si l'on regarde dans la foi la Croix du Seigneur. Et, dans la lumière de Pâques, nous entendrons le Seigneur dire aux disciples que nous sommes: « Paix à vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie » [13]. Dans l'espérance, je m'unis à votre prière pour les vocations, pour les séminaristes, les prêtres et les personnes consacrées. De tout coeur, je leur donne, ainsi qu'à vous-mêmes et à l'ensemble de vos diocésains, la Bénédiction Apostolique.

[1] 1Tm 2,5.
[2] S. Paulini Nolani Epistula 2, 3.
[3] Cfr. 1S 3,1-19.
[4] Cfr. Jn 6,68.
[5] Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 23.
[6] Cfr. 1P 2,5.
[7] Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 62.
[8] Cfr. Codex Iuris Canonici, CIC 241-242.
[9] S. Thomae Aquinatis In Ioannem Evangelistam Expositio, 10, 3.
[10] Cfr. Lumen Gentium, LG 21; Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 16 PDV 49.
[11] Cfr. Optatam Totius, OT 8-9.
[12] Cfr. Optatam Totius, singillatim, nn. OT 14-17.
[13] Jn 20,21.



CHEMIN DE CROIX AU COLISÉE

Vendredi Saint, 28 mars 1997


« Christus factus est pro nobis oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis » (Ph 2,8).


1. « Pour nous, le Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la Croix » (cf. Ph Ph 2,8-9). Ces paroles de saint Paul résument le message que veut nous livrer le Vendredi saint. En ce jour, l'Église ne célèbre pas l'Eucharistie, comme pour souligner qu'il est impossible, le jour où fut consommé le Sacrifice sanglant du Christ sur la Croix, de le rendre présent de manière non sanglante par le Sacrement.

La liturgie eucharistique est aujourd'hui remplacée par le rite significatif de l'adoration de la Croix, que je viens de présider à la Basilique Saint-Pierre. Ceux qui ont participé à cette célébration gardent vivantes en eux les émotions éprouvées en entendant les textes liturgiques qui concernent la Passion du Seigneur.

Comment ne pas être touché par la description précise que fait Isaïe de l' « homme des douleurs », méprisé et rejeté par les hommes, qui a pris sur lui le poids de notre souffrance et a été frappé par Dieu pour nos péchés (cf. Is 53,3 s) ?

Et comment rester insensible face au « cri » et aux « larmes » du Christ, évoqués par l'auteur de la Lettre aux Hébreux (cf. He He 5,7) ?

2. En suivant les stations de la Via Crucis, nous avons contemplé les étapes dramatiques de la Passion: le Christ qui porte la Croix, qui tombe sous son poids et meurt sur elle, et qui, au moment suprême de son agonie, prie en disant: « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46), exprimant par là tout son abandon avec confiance.

Aujourd'hui, nous regardons la Croix avec la plus vive attention. Nous méditons sur le mystère de la Croix, qui se perpétue au cours des siècles par le sacrifice de tant de croyants, de tant d'hommes et de femmes associés par le martyre à la mort de Jésus. Nous contemplons le mystère de l'agonie et de la mort du Seigneur, qui continue de nos jours dans la douleur et dans la souffrance d'individus et de peuples durement éprouvés par la violence et par la guerre.

Là où l'homme est frappé et tué, c'est le Christ lui-même qui est offensé et crucifié. Mystère de douleur, mystère d'amour infini!

Recueillons-nous en silence devant cet insondable mystère.

3. « Ecce lignum crucis... », « Voici le bois de la Croix, où fut pendu le Christ, Sauveur du monde. Venez, adorons! »

La Croix brille ce soir avec une intensité extraordinaire au terme de la Via Crucis, ici, au Colisée. Ce lieu de la Rome antique est lié dans la mémoire populaire au martyre des premiers chrétiens. C'est donc un lieu particulièrement indiqué pour revivre, d'année en année, la passion et la mort du Christ. « Ecce lignum Crucis! » Que de frères et de soeurs dans la foi ont pris part à la Croix du Christ au cours des persécutions romaines!

Le texte des méditations qui nous ont guidés au cours de cette Via Crucis a été préparé par notre vénéré frère Karekine Ier Sarkissian, Patriarche Catholicos suprême de tous les Arméniens. Je l'en remercie cordialement et, encore reconnaissant pour la visite qu'il a bien voulu me rendre récemment, je le salue ainsi que tous les chrétiens d'Arménie. Mes salutations vont aussi à l'Archevêque Nersess Bozabalian, qui a pris part à la Via Crucis avec nous, comme représentant du Catholicos de tous les Arméniens. Bien des frères et des soeurs de cette Église et de cette nation ont pris part à la Croix du Christ en faisant le sacrifice de leur vie! Aujourd'hui, en union avec eux et avec tous ceux qui, en tout lieu de la terre, sur tous les continents et dans les différents pays du globe, participent à la Croix du Christ par leur souffrance et par leur mort, nous désirons redire: « Ecce lignum Crucis... », « Voici le bois de la Croix, où fut pendu le Christ, Sauveur du monde. Venez, adorons! »

4. Tandis que les ténèbres de la nuit descendent déjà, image parlante du mystère qui entoure notre existence, nous crions notre foi vers Toi, Croix de notre salut!

Seigneur, un rayon de lumière s'échappe de ta Croix. Par ta mort, notre mort est vaincue et l'espérance de la résurrection nous est offerte. Attachés à ta Croix, nous restons dans une attente confiante de ton retour, Seigneur Jésus, notre Rédempteur!

« Nous acclamons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, dans l'attente de ta venue ».

Amen!

Avril 1997



AUX ÉVÊQUES FRANÇAIS DE LA RÉGION APOSTOLIQUE ÎLE-DE-FRANCE EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 5 avril 1997




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l'épiscopat,

Soyez les bienvenus, Pasteurs de l'Île-de-France. En ce temps de Pâques, je suis heureux de vous accueillir au cours de votre pèlerinage ad limina Apostolorum. Votre démarche manifeste notre communion dans le Christ, pour servir l'Église fondée sur les colonnes que sont les Apôtres, l'Église qui cherche chaque jour à être davantage fidèle à la mission confiée au collège des Apôtres sous la conduite de Pierre.

Mes remerciements vont tout d'abord au Cardinal Jean-Marie Lustiger, Archevêque de Paris, pour la présentation de votre région apostolique. Et je voudrais saluer Monseigneur Olivier de Berranger, qui vient de succéder à Saint-Denis en France au regretté Monseigneur Guy Deroubaix, et l'assurer de ma prière pour son nouveau ministère pastoral. J'accueille aussi avec plaisir, en même temps que les évêques résidentiels d'Île-de-France, Monseigneur Michel Dubost, Évêque aux Armées françaises, et responsable de la préparation des Journées mondiales des Jeunes.

Voici plus de 30 ans que les anciens diocèses de Paris, de Versailles et de Meaux ont été remodelés, avec la création de 5 nouveaux diocèses qui ont pris désormais leur physionomie propre. Cela n'empêche pas une collaboration organique entre vous à divers niveaux, d'autant plus opportune pour le dynamisme des communautés chrétiennes que les ressources des différents secteurs se trouvent de fait assez inégales, notamment en ce qui concerne les agents pastoraux. À l'instar d'autres grandes métropoles dans le monde, vous êtes amenés à la coordination la plus harmonieuse possible de la vie ecclésiale, que demande en particulier une population en déplacements fréquents d'un lieu à l'autre du territoire. Je me rends compte de l'ampleur de vos tâches dans cette importante région active et contrastée, où apparaissent autant les apports positifs que les difficultés de la société actuelle.

2. Dans la perspective du grand Jubilé de la Rédemption, événement pour toute l'Église, je voudrais aujourd'hui souligner quelques aspects qui marqueront votre ministère, en faisant écho à diverses orientations proposées dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente. La première des trois années préparatoires est en cours. À Paris et dans les autres diocèses de la région, son point culminant sera les Journées mondiales des Jeunes que je vous remercie d'accueillir et de préparer avec enthousiasme. Dites ma gratitude aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, aux laïcs et très spécialement aux jeunes de l'ensemble de votre pays qui se dépensent sans compter pour le bon déroulement de ce rendez-vous mondial de la jeunesse; je sais les efforts qu'ils déploient actuellement pour la réussite de ce temps fort spirituel. Dites-leur la confiance du Pape, qui se réjouit de venir à Paris encourager ceux qui sont appelés à bâtir l'Église du prochain millénaire.

Ce rassemblement, comme je l'ai dit dans le Message aux jeunes du monde à l'occasion des XIIes Journées mondiales, formera « une icône vivante de l'Église ». Sous le signe de la Croix de l'Année sainte, qui aura été reçue par les jeunes des diocèses de toute la France, les regards convergeront vers le Christ. En réponse aux interrogations de tant de jeunes, reprenant à leur manière la question posée par les deux premiers disciples ? « Maître, où demeures-tu? » [1] ?, le Seigneur renouvellera intensément son invitation à venir à sa suite et à le voir, á demeurer avec lui et à le découvrir toujours mieux dans son Corps qui est l'Église. Dans cette marche avec le Christ, les jeunes verront que lui seul peut combler leurs aspirations et leur donner le bonheur véritable.

Par l'organisation des Journées mondiales, vous permettrez aux pasteurs et aux fidèles d'Île-de-France et de tout votre pays de faire la vivante expérience de la communion de l'Église, à travers ses membres des plus jeunes générations. De fait, un des appels du grand Jubilé auquel nous nous préparons est justement l'appel au dialogue entre les fidèles des différentes nations, des différentes spiritualités et des différentes cultures. Dans ce monde où se développent tant de communications, n'est-il pas nécessaire que les membres de l'Église universelle se connaissent mieux et progressent dans la cohésion, car « tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu'un seul corps »? Et saint Paul ajoute: « Ainsi en est-il du Christ » [2]. Et nous savons que l'Apôtre des nations appuie son exhortation à l'unité dans la diversité par l'exaltation de la charité, le plus grand des dons de Dieu [3].

3. Le Jubilé « veut être une grande prière de louange et d'action de grâce surtout pour le don de l'Incarnation du Fils de Dieu et de la Rédemption qu'Il a accomplie » [4]. Et la première année préparatoire, centrée sur Jésus Christ, invite à renforcer la foi au Rédempteur [5]. Il y a là une occasion providentielle d'inviter les fidèles à contempler le visage du Christ et à redécouvrir les sacrements et les voies de la prière. Intérioriser les liens personnels avec le Christ est une condition nécessaire pour accueillir la proposition de vie que comporte l'Évangile et que l'Église se doit de présenter. Il s'agit, au jour le jour, de prendre plus vivement conscience des dons de grâce que comporte le baptême, d'accueillir au fond de l'être la présence du Christ qui sanctifie ceux qui ont été « ensevelis avec lui par le baptême» [6], afin d'entrer dans une vie nouvelle.

Dans les orientations tracées pour préparer le grand Jubilé, j'ai indiqué le baptême comme le premier des sacrements qu'il faut redécouvrir, car il est le « fondement de l'existence chrétienne » [7]. Il est donc heureux que des jeunes reçoivent le baptême au cours des Journées mondiales. Ils représenteront en quelque sorte leurs frères et soeurs qui, dans le monde entier, suivent le catéchuménat des adultes, grâce au soutien des paroisses, des aumôneries et des mouvements de jeunesse. Leur présence et leur témoignage inciteront le grand nombre de ceux qui sont entrés dans l'Église dès leur enfance à mieux prendre la mesure des dons dont ils sont comblés, de leur condition de chrétiens.

4. Ne ménagez pas vos efforts pour que l'accueil de la parole de Dieu soit sans cesse renouvelé: il faut que les fidèles puissent mieux pénétrer l'Écriture, qu'ils s'en rendent familiers et qu'ils s'en approprient le message dans la lectio divina. Dans ce sens, les initiatives prises, à divers niveaux, pour dépasser une lecture de la Bible trop fragmentaire ou trop superficielle sont à encourager. Elles permettent aux baptisés d'entrer de manière réfléchie et méditée dans la Tradition de l'Église qui nous donne la Parole et nous fait connaître la figure du Christ.

Dans votre ministère d'enseignement, veillez à ce que la Personne du Christ soit connue dans toute la richesse de son mystère: le Fils consubstantiel au Père, fait homme pour sauver l'humanité, la réconcilier avec Dieu [8], la rassembler [9]. Comme à d'autres époques, la figure du Christ fait l'objet de présentations réductrices, tracées en fonction de courants et de tendances qui ne prennent en compte qu'une part de la Révélation authentique reçue et transmise par l'Église. Parfois la divinité du Verbe incarné est méconnue, ce qui va de pair avec l'enfermement de l'homme en lui-même; en d'autres cas, la réalité même de l'Incarnation, de l'entrée du Fils de Dieu dans la condition humaine historique, est sous-estimée, ce qui conduit à déséquilibrer la christologie et le sens même de la Rédemption.

Ce rappel à grands traits amène à souligner l'importance de la catéchèse, comme je l'ai fait dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente [10]. Et je voudrais encourager à nouveau tous ceux qui s'engagent, avec une généreuse disponibilité, dans la conception et l'animation de la catéchèse des enfants, des jeunes et aussi des adultes. Plus généralement, c'est toute une pastorale de l'intelligence, de la culture éclairée par la foi, qu'il est indispensable de développer. Vos rapports font état de multiples organisations de formation, comme l'École cathédrale à Paris ou les différents centres diocésains actifs dans les mêmes domaines. L'approche du grand Jubilé devrait intensifier ces efforts, pour que davantage de baptisés soient prêts à témoigner de la richesse du mystère chrétien. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il est proposé aux participants des Journées mondiales de la Jeunesse de suivre une catéchèse confiée à des évêques des cinq continents. Cela leur donnera le goût de poursuivre ultérieurement leur recherche dans leurs diocèses, afin d'acquérir une formation spirituelle à la mesure des questions suscitées par leurs connaissances scientifiques et techniques [11].

5. L'Évangile n'aurait pas toute sa force d'expérience vécue si l'Église n'était vivifiée par l'Esprit Saint, c'est pourquoi il est au centre des thèmes proposés pour la deuxième année préparatoire à l'An 2000. L'Esprit de vérité, qui vient du Père, rend témoignage au Christ; et le quatrième Évangile ajoute aussitôt: « Mais vous aussi, vous témoignerez » [12]. Aux jeunes comme à l'ensemble des fidèles, il revient de prendre en charge la mission universelle confiée par le Christ à ses disciples: mission ardue, à vues humaines, mais mission possible grâce aux dons de l'Esprit répandus dans tout le corps ecclésial solidaire. Vous évoquez volontiers le fait que les jeunes, au moment de demander le sacrement de la confirmation, montrent un réel engagement dans la foi et dans la mission de l'Église. Puissent-ils recevoir de leurs pasteurs et de leurs communautés les appuis nécessaires pour faire fructifier les dons reçus et persévérer dans leur résolution! Les Journées mondiales, de même que la préparation du Jubilé, pourront être de véritables pierres milliaires sur la route des jeunes qui prennent le relais de la mission ecclésiale.

6. Le Jubilé sera un temps privilégié de conversion. Nous aurons à faire saisir davantage à nos frères et soeurs chrétiens, comme à tous nos contemporains, que le message chrétien est une Bonne Nouvelle de libération du péché et du mal, en même temps qu'un appel fort à revenir au choix du bien. Il faut rendre grâce pour l'amour miséricordieux du Père, toujours prêt au pardon. Il semble que, dans l'esprit de beaucoup, la démarche de pénitence soit souvent mal comprise, parce qu'on l'isole en quelque sorte de la double et inséparable loi positive de l'amour pour Dieu et pour le prochain, et également parce qu'on s'en remet trop à l'effort humain pour progresser et que, par ailleurs, on n'est pas toujours disposé à reconnaître la portée réelle de sa responsabilité dans les actes posés. La véritable conversion est don gratuit de Dieu, accueilli dans la joie et l'action de grâce, et avec la décision de conformer son existence à la condition d'enfants de Dieu que le Rédempteur nous a acquise. Si le sens chrétien de la pénitence était mieux compris, le sacrement de la réconciliation ne connaîtrait pas la désaffection que nous constatons et nos contemporains s'affermiraient dans l'espérance.

La redécouverte de l'amour bienveillant de Dieu, au plus intime des consciences, prendra tout son sens si le Jubilé est aussi le temps de l'amour des pauvres et des plus défavorisés, d'un renouvellement en profondeur des liens sociaux. Le sens traditionnel de l'année jubilaire comporte comme une remise à neuf des relations entre les personnes dans la société entière; il faudrait faire comprendre à tous que cette étape dans notre histoire est une occasion privilégiée de réconciliation et nous tourne vers un avenir plus convivial. La mémoire commune doit être clarifiée et purifiée, c'est-à-dire que, reconnaissant les faiblesses et les fautes des uns et des autres avec lucidité, libérés d'anciens germes de division ou même de rancoeurs, nous pourrons mieux répondre aux défis de notre temps. Car, dans le monde actuel, il y a tant à faire pour bâtir la paix, pour promouvoir le partage des biens de la création, pour assurer le respect de la vie et la dignité de la personne! Ces enjeux devraient être clairement présentés à l'approche du nouveau millénaire.

7. Pasteurs et fidèles, animés par l'amour pour l'humanité, ont à déchiffrer les attentes du monde de ce temps, avec ses doutes, ses souffrances. On ne peut annoncer la Bonne Nouvelle sans saisir les besoins profonds des personnes, sans réagir aux cassures qui meurtrissent la société. Pour le dire d'un mot, devant une civilisation en crise, que la sécularisation éloigne de ses racines spirituelles, il faut répondre par l'édification de la civilisation de l'amour [13]. Nous nous devons de proposer spécialement cet objectif aux jeunes qui prennent leur place dans l'Église et la société; affermis dans l'espérance, ils seront prêts à marcher avec le Christ aux côtés de l'homme d'aujourd'hui, en lui faisant reconnaître sa présence par leur témoignage.

Ces intentions essentielles supposent que le dialogue reste ouvert avec les divers courants de la société, Dans des échanges sincères, au-delà des polémiques, on pourra discerner les signes d'espérance de l'époque. Et pour que ces échanges portent tous leurs fruits, il convient de préparer les chrétiens à les mener de manière éclairée, à la fois fermes dans leur foi et animés de sympathie vis-à-vis de ceux qui ne la partagent pas ou la contestent. Ils sauront apporter les explications nécessaires devant les présentations réductrices du christianisme que l'on constate fréquemment. Ils auront le souci constant d'exprimer de manière positive le sens chrétien de l'homme dans la création, le message de l'espérance, les exigences morales qui découlent de la foi; et ils feront pénétrer l'esprit évangélique dans l'ordre temporel [14]. Pasteurs et laïcs ont à poursuivre leurs efforts pour aller au fond des problèmes, en dialogue avec les personnes, et aussi avec l'opinion sur laquelle influent les médias. Dans cet ordre d'idées, la lettre des évêques aux catholiques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, sera un guide particulièrement utile.

8. Comme je l'ai dit l'an dernier au Comité qui prépare le grand Jubilé, « le renouveau apostolique que l'Église veut accomplir en vue du Jubilé passe à travers la redécouverte authentique du Concile Vatican II » [15], dans la fidélité et l'ouverture, dans une attitude constante d'écoute et de discernement à l'égard des signes des temps. Car le Concile a apporté une « contribution marquante à la préparation du nouveau printemps de vie chrétienne qui devra être révélé par le grand Jubilé » [16]. Il nous a donné l'exemple d'une attitude humble et lucide. Il a manifesté aussi la grandeur de l'héritage que nous avons reçu et que l'Église nous transmet, notamment grâce à l'exemple de tant de saints et de martyrs qui jalonnent notre histoire jusqu'à l'époque où nous vivons.

Nous sommes au temps du dialogue oecuménique fraternel avec les chrétiens qui aspirent à la pleine unité. Le désir de faire de nouveaux pas déterminants sur la voie de l'unité se fait légitimement plus fort; ce serait un beau fruit du Jubilé que d'intéresser l'ensemble des fidèles au mouvement oecuménique. Inspirez et développez ce qui se fait déjà chez vous dans ce sens. Le dialogue avec les autres Églises et Communautés ecclésiales ne peut vraiment aboutir que si les fidèles partagent l'esprit de ce dialogue dans les diocèses, les paroisses et les mouvements.

Le Concile avait aussi ouvert les chemins du dialogue inter-religieux, avec les croyants d'autres traditions spirituelles: dans le respect mutuel et la reconnaissance de ce que chacun porte de vrai et de bon, sans confusions hâtives et dans une recherche exigeante de la vérité, des relations interpersonnelles confiantes permettront de progresser vers l'harmonie de la famille humaine voulue par Dieu.

9. Chers Frères dans l'épiscopat, au seuil du troisième millénaire, conduisez le peuple de Dieu dans son pèlerinage, à travers le monde, à la suite du Christ qui mène vers le Père, par son Esprit. Nous mettrons très spécialement à l'honneur le sacrement de l'Eucharistie, mémorial authentique du Sacrifice rédempteur et présence réelle du Christ dans l'Église jusqu'à la fin des temps. Puisse votre ministère de dispensateurs des mystères de Dieu entraîner vos diocésains dans la célébration du Jubilé comme une grande louange de la Trinité sainte qui appelle le monde à se laisser saisir par son amour!

Au long de la route, Marie accompagne l'Église, elle qui est pour tous modèle de foi vécue, d'écoute de l'Esprit dans l'espérance, d'amour parfait de Dieu et du prochain. « Sa maternité, commencée à Nazareth et vécue suprêmement à Jérusalem au pied de la Croix, sera reconnue [...] par tous les enfants de Dieu comme une invitation affectueuse et pressante à revenir vers la maison du Père en écoutant sa voix maternelle: "Faites ce que le Christ vous dira" [17] » [18].

En attendant notre grande rencontre de Paris au mois d'août pour les Journées mondiales de la jeunesse, je confie au Seigneur, à Notre-Dame et aux saints patrons de vos diocèses votre ministère et vos communautés. De tout coeur, je vous donne, ainsi qu'à tous vos diocésains, la Bénédiction Apostolique.


[1] Jn 1,38.
[2] 1Co 12,12.
[3] Cf. 1Co 13,13.
[4] Tertio millennio, n. TMA 32.
[5] Cf. ibid., n. TMA 42.
[6] Rm 6,4.
[7] Tertio millennio, n. TMA 41.
[8] Cf. 2Co 5,20.
[9] Cf. Jn 11,52.
[10] N. TMA 42.
[11] Cf. Vatican II, Gaudium et spes, nn. GS 14-16.
[12] Cf. Jn 15,26-27.
[13] Cf. Tertio millennio. n. TMA 52.
[14] Cf. Vatican II, Apostolicam actuositatem, n. AA 5.
[15] 4 juin 1996, n. 5.
[16] Tertio millennio, n. TMA 18.
[17] Cf. Jn 2,5.
[18] Tertio millennio, n. TMA 54.



Discours 1997 - Samedi 15 mars 1997