Discours 1997 - Samedi 5 avril 1997


À UN GROUPE DE JEUNES DU DIOCÈSE DE MARSEILLE

Vendredi 11 avril 1997


Chers amis,


Soyez les bienvenus dans la maison des Successeurs de Pierre. Je suis heureux de vous y recevoir, vous, jeunes du diocèse de Marseille qui êtes venus à Rome avec votre archevêque, Monseigneur Bernard Panafieu. Je le salue fraternellement et je le remercie pour les paroles qu'il m'a adressées en votre nom.

Marseille a depuis longtemps sa place dans l'Église. L'Évangile a été annoncé dans votre région et il a produit de nombreux fruits dont vous êtes les héritiers. Votre diocèse a beaucoup reçu et il a su beaucoup donner: la canonisation de Monseigneur de Mazenod l'a rappelé voici quelques mois. À votre tour, vous partez à. la recherche des sources vives de votre foi. Vous avez déjà pu sentir combien l'oeuvre de saint Pierre et de saint Paul avait marqué cette Ville de Rome. Deux mille ans après leur passage, il n'est pas difficile de percevoir les résultats de leur prédication et de mesurer aussi ce qui reste à accomplir pour que a Dieu soit tout en tous » [1].

Les premiers Apôtres avaient entendu le Christ leur dire «venez et voyez » [2]. Vous recevez cet appel qu'il vous revient de transmettre à d'autres.

Viens, et tu verras que je veux transformer ta vie pour l'unir toujours davantage à la mienne!

Viens, et tu verras que ta vie est chargée de sens, de grandeur et de beauté, si tu sais l'offrir!

Viens, et tu verras que je suis toujours avec toi sur la route!

Nous venons de fêter la Résurrection du Seigneur. À Rome, vous communiez à la foi de ceux qui furent les premiers témoins de cette Résurrection; vous pouvez voir le peuple que Dieu ne cesse de faire grandir. Dans le diocèse de Marseille, ce peuple a besoin de vous. Il a besoin que vous soyez des témoins fidèles de l'Évangile et que vous puissiez, avec sérénité, « rendre compte de l'espérance qui est en vous » [3] et dire à tous ceux qui veulent donner sens à leur existence que le Christ ressuscité les attend.

La fête de Pâques, vous le savez, précède de cinquante jours celle de la Pentecôte. Le Christ ressuscité a envoyé l'Esprit Saint à ses Apôtres pour qu'ils annoncent la Bonne Nouvelle « jusqu'aux extrémités de la terre » [4]. Ceux d'entre vous qui se préparent à la confirmation attendent aussi de recevoir l'Esprit de Pentecôte. Grâce à lui, ils seront plus forts pour rendre le témoignage que le Christ leur demande et pour prendre ainsi dans l'Église toute la place qui leur revient.

Chers amis, je suis heureux de vous voir si nombreux: soyez fiers et joyeux d'avoir reçu la grâce de la foi! Soyez toujours ardents à la transmettre, car vous êtes le sel de la terre et vous pouvez apporter beaucoup à ceux qui sont mis sur votre chemin.

À votre Évêque, aux prêtres et à tous vos accompagnateurs, à chacun d'entre vous, à vos parents, à vos frères, à vos soeurs, à tous les membres de vos familles, je donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.

[1] 1Co 15,28.
[2] Jn 1,39.
[3] 1P 3,15.
[4] Ac 1,8.



AUX ÉVÊQUES FRANÇAIS DE LA RÉGION APOSTOLIQUE CENTRE-EST EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Samedi 12 avril 1997



Chers Frères dans l'épiscopat,

1. Alors que s'achève la série des visites ad limina des Évêques de France, je suis heureux de vous recevoir, vous qui êtes les pasteurs de l'Église dans la région Centre Est. Près du tombeau des Apôtres Pierre et Paul, vous êtes venus retrouver la source du dynamisme évangélique qui a stimulé tant de figures illustres de vos Églises particulières, depuis Irénée, François de Sales, Marguerite Marie, Jean-Marie Vianney, Pauline Jaricot, Antoine Chevrier ou les initiateurs du catholicisme social. Aujourd'hui encore ce dynamisme ne cesse de faire vivre les disciples du Christ dont vous avez la charge et dont vous encouragez et guidez le témoignage au coeur de la société.

Je voudrais saluer ici la mémoire du Cardinal Albert Decourtray, qui fut un pasteur zélé de l'archidiocèse de Lyon et un serviteur généreux de l'Église en France. Je remercie Monseigneur Claude Feidt, Archevêque de Chambéry, votre président, pour sa lucide présentation de la vie de vos diocèses. J'ai pu apprécier le sens apostolique des prêtres et constater la place importante tenue chez vous, depuis longtemps, par les laïcs dans la mission de l'Église. La reconnaissance de leur vocation particulière et leur collaboration confiante avec les prêtres permettent de donner une plus grande vigueur à la vie ecclésiale. Je sais aussi que dans votre région l'oecuménisme, dont l'abbé Couturier a été l'un des grands inspirateurs, est une orientation pastorale constante. Qu'au milieu des satisfactions et des difficultés de chaque jour, vos communautés demeurent, pour tous, un signe d'espérance pour l'avenir!

2. Lors de ma récente visite en France, le pèlerinage que j'ai effectué auprès du tombeau de saint Martin à Tours m'a donné l'occasion de rencontrer une assemblée significative de « blessés de la vie ». De cette célébration vous avez voulu faire le symbole de l'engagement résolu de l'Église aux côtés de ceux qui souffrent, des mal aimés de la société et de ceux qui sont laissés pour compte sur les chemins de la vie. C'est de cet aspect essentiel de la mission de l'Église que je voudrais m'entretenir avec vous aujourd'hui.

Les rapports quinquennaux des diocèses de votre pays mettent en lumière les graves problèmes humains auxquels est confrontée la société. Ainsi, la crise économique amène une partie de la population à connaître des situations de pauvreté et de précarité qui atteignent de plus en plus durement les jeunes générations. Le désarroi devant les rudes conditions de la vie, les inégalités sociales, le chômage, dont les causes sont parfois interprétées de façon simpliste, fragilisent les relations entre les différents groupes humains, à l'intérieur de la communauté nationale. Les incertitudes de l'existence peuvent aussi avoir pour conséquence un repli sur soi qui empêche de prêter attention aux appels des plus démunis de son entourage comme à ceux des peuples moins favorisés.

En cette période de mutations profondes, il est heureux que se développe chez beaucoup une nette prise de conscience de l'interdépendance entre les hommes et entre les nations, et de la nécessité de mettre en oeuvre une véritable solidarité comprise comme « la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun; c'est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous » [1]. Les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, sur lesquelles le peuple français a choisi de fonder sa vie collective, expriment en quelque sorte les conditions de la solidarité sans laquelle il n'est pas possible à l'homme de vivre pleinement au milieu de ses frères. La grandeur d'une société se juge à la place qu'elle donne à la personne humaine, et d'abord à celle du plus faible, qui ne peut être considéré uniquement en fonction de ce qu'il possède ou de ce qu'il peut apporter par son activité.

3. Votre Conférence épiscopale est intervenue sur les questions de société à de nombreuses reprises, notamment lors de ses Assemblées plénières ou par l'intermédiaire de sa commission sociale. Récemment encore, vous avez appelé à ne pas regarder comme une fatalité « l'écart social » qui se creuse dans votre pays. Nombreux aussi sont ceux qui, parmi vous, interviennent pour rappeler la tradition évangélique de défendre les plus faibles. Il est important, en effet, que la parole de l'Église se manifeste de façon vigoureuse dans l'opinion publique, pour promouvoir la dignité de l'homme partout où elle est menacée, et pour proposer les principes évangéliques qui donnent sens et valeur à toute vie humaine. Envoyée au coeur du monde pour y annoncer l'Évangile de vie, l'Église a le souci du bien-être de la société entière, dans le respect des convictions de chaque personne et de chaque groupe.

Le conseil national de la solidarité, que vous avez créé il y a quelques années, est un lieu important de concertation et de réflexion pour un engagement et une coordination plus efficaces des organismes d'entraide. Je vous encourage vivement à susciter, à l'échelle des diocèses, les initiatives adaptées aux besoins nouveaux qui se présentent dans les villes et leurs banlieues comme dans les campagnes parfois oubliées. Les nouvelles formes de pauvreté demandent de nouvelles réponses. Les chrétiens sont d'autant plus appelés à la conversion du coeur pour développer, personnellement et collectivement, des modes de vie nouveaux, qui invitent de manière prophétique leurs compatriotes à modifier leurs comportements en sorte que soient surmontées les crises et que chacun puisse avoir sa juste part de la richesse nationale. En faisant preuve de liberté à l'égard de leurs propres biens et en modérant leurs désirs, ils rendront possible un partage effectif avec ceux qui sont dans le dénuement. Que tous soient inventifs dans la recherche de chemins nouveaux! Ainsi s'édifiera un monde renouvelé où la vie est plus forte que la mort et où l'amour domine les forces de l'égoïsme.

Aujourd'hui la charité doit prendre de nouveaux visages. Elle ne peut se réduire à une simple assistance passagère. Elle demande d'avoir « le courage d'affronter le risque et le changement qu'implique toute tentative authentique de se porter au secours d'un autre homme » [2]. Les personnes touchées par l'exclusion ou toute autre forme de pauvreté doivent pouvoir mener une vie de famille digne et subvenir elles-mêmes à leurs besoins, en développant pleinement leurs potentialités. Ainsi, elles ne resteront pas en marge des réseaux sociaux; grâce à leurs frères en humanité, une espérance et un avenir leur seront offerts. On se souviendra que l'attention aux plus pauvres ne doit pas se limiter aux aspects matériels de la vie. Elle doit aussi prendre en considération l'épanouissement spirituel de chacun et favoriser l'accès à la formation et à la culture. La libération qu'apporte le Christ transforme la personne dans tout son être.

4. Il est plus que jamais urgent d'assurer l'éveil et l'éducation de tous les membres de la communauté chrétienne à leurs responsabilités à l'égard des « blessés de la vie ». « Celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas » [3]. Les disciples du Christ sont conviés à suivre leur Maître sur les voies qu'il a lui-même empruntées en donnant sa vie pour l'humanité démunie et meurtrie. Ainsi donc, se situant dans la logique même de l'amour vécu selon le Christ, l'Église doit être tout entière solidaire des plus humbles. Il ne s'agit pas là d'une tâche facultative, mais d'un devoir imprescriptible de fidélité à l'Évangile, de son accueil et de son annonce. Cette fidélité passe par le souci des membres du Corps du Christ les plus fragiles comme de chaque personne humaine. Que les baptisés se mettent à l'écoute des plus pauvres et de leurs aspirations pour être au milieu d'eux de véritables témoins du salut que le Christ apporte à tout homme! Qu'ils acquièrent un véritable sens du partage, expression de leur amour du prochain! La charité « est l'amour des pauvres, la tendresse et la compassion envers notre prochain. Rien ne fait honneur à Dieu comme la miséricorde » [4]!

A travers les « blessés de la vie » c'est le visage même du Seigneur qui se manifeste. Il nous faut sans cesse témoigner que « tout être meurtri dans son corps ou dans son esprit, toute personne privée de ses droits les plus élémentaires, est une vivante image du Christ » [5]. La rencontre du Seigneur conduit donc tout naturellement à se mettre au service des plus petits de ses frères. L'attitude de respect, de partage, de compassion envers les démunis est un reflet de notre fidélité au Christ. Tout chrétien qui, avec sa faiblesse, tend la main à son frère l'aide à se mettre debout et à repartir sur la route, agissant ainsi à la manière du Seigneur lui-même. « La charité, avec son double visage d'amour pour Dieu et pour les frères, est la synthèse de la vie morale du croyant. Elle a en Dieu sa source et son aboutissement » [6].

Lors de votre dernière Assemblée plénière à Lourdes, vous avez rappelé que « par la diaconie de la charité, les diacres sont témoins et ministres de la charité du Christ. Ils portent la responsabilité ministérielle de veiller à ce que la charité soit vécue concrètement » [7]. Je les encourage donc à donner, dans leur ministère diaconal, une place importante à cette mission et à sensibiliser les communautés chrétiennes au service de la charité. Votre région a une longue tradition de catholicisme social, qui doit pousser les fidèles à acquérir une connaissance sérieuse de la doctrine sociale de l'Église en la considérant comme une incitation à la mise en oeuvre de leur foi. Une aide précieuse est aussi apportée par les Instituts catholiques d'études supérieures, spécialisés dans les questions sociales, notamment, dans la recherche des causes des nouvelles situations de pauvreté et dans l'analyse des structures d'injustice qui blessent l'homme, afin de proposer des solutions concrètes.

5. Dans vos rapports quinquennaux, vous avez rappelé les multiples formes de présence chrétienne dans les lieux de pauvreté et de souffrance de vos diocèses. Ainsi, nombreux sont les chrétiens qui, avec un admirable dévouement, portent assistance aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées, aux malades en fin de vie ou aux victimes des nouvelles maladies. Dans plusieurs de vos diocèses, un effort important a été fait pour créer des structures d'accueil pour les malades et leurs familles. Les chrétiens qui les animent, par leur profonde compréhension des personnes et la part qu'ils prennent à la souffrance de chacun, sont le visage d'amour et de miséricorde du Christ et de son Église à l'égard de ceux qui sont dans l'épreuve.

Beaucoup de fidèles sont engagés, avec une grande générosité, au service de leurs frères plus pauvres dans divers mouvements caritatifs comme le Secours Catholique qui a récemment célébré le 50e anniversaire de sa fondation, ou encore, dans votre région, l'association des Sans Abris. Je voudrais encourager particulièrement aujourd'hui les jeunes qui, dans des mouvements d'apostolat ou d'éducation, comme la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ou le Scoutisme, partagent la condition souvent difficile de leurs camarades et oeuvrent avec eux pour construire une société plus juste où chacun trouvera sa place et pourra vivre décemment. Qu'ils se souviennent que le combat pour la justice est un élément essentiel de la mission de l'Église! Je salue cordialement les membres de la Société de Saint-Vincent de Paul, dont le fondateur Frédéric Ozanam sera prochainement béatifié. C'est un des leurs qui sera ainsi proposé aux jeunes de France comme modèle de fraternité universelle auprès des plus pauvres, lui qui déclarait: « Je voudrais enserrer le monde entier dans un réseau de charité ». J'encourage aussi tous les catholiques qui, d'une façon ou d'une autre, dans les paroisses, les communautés nouvelles, ou dans la vie associative de leur quartier ou de leur village, en collaboration avec leurs concitoyens d'autres courants de pensée, animent des services d'entraide ou de solidarité.

Il est aussi nécessaire que ceux qui ont des responsabilités politiques, économiques et sociales accomplissent leur tâche avec intégrité, en ayant le souci de donner la priorité au bien des personnes et en tenant compte des impacts humains de leurs choix. Une claire conscience de la dignité du travail, conçu en vue de l'épanouissement de l'homme et de l'accomplissement de sa vocation, doit les animer. « Le travail des hommes [...] passe avant les autres éléments de la vie économique, qui n'ont valeur que d'instruments » [8].

6. Il n'est pas toujours facile, dans un contexte de crise sociale, de réagir à un certain affaiblissement de la conscience morale devant la rencontre de personnes d'origines ou de cultures différentes. Les fractures culturelles sont souvent profondes. Elles suscitent des méfiances et des peurs. L'immigré est parfois désigné à l'opinion comme responsable des problèmes économiques.

Le Concile Vatican II souligne que « Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent mutuellement comme des frères, Tous, en effet, ont été créés à l'image de Dieu [...] et tous sont appelés à une seule et même fin, qui est Dieu lui-même » [9]. De ce projet divin, aucun homme ne peut être exclu. Ainsi donc, chacun doit se rendre attentif à celui qui est étranger dans la société. À de nombreuses reprises, vous avez rappelé le devoir exigeant d'accueil fraternel et de reconnaissance mutuelle, soulignant que « sous le regard de Dieu, tous les hommes sont de la même race et du même lignage » [10]. La Révélation nous présente le Christ lui-même comme l'étranger qui frappe à notre porte [11], ce qui incite légitimement la communauté chrétienne à participer à l'accueil et au soutien des frères immigrés dans le respect de ce qu'ils sont et de leur culture, notamment lorsqu'ils sont dans la détresse.

C'est la mission de l'Église de rappeler que dans toute société, l'étranger, comme tout citoyen, a des droits inaliénables, comme ceux de vivre en famille et dans la sécurité, qui, en aucun cas, ne peuvent lui être enlevés. L'élaboration des lois, qui édictent les devoirs nécessaires à la vie en commun, doit être faite en préservant les droits de la personne et dans un esprit qui permette aux citoyens d'apprendre a vivre dans le pluralisme, au bénéfice de tous. Cependant, les problèmes réels posés par l'immigration ne pourront trouver de solution durable sans l'établissement de nouvelles solidarités avec les pays d'origine des immigrés.

Dans les paroisses, la fraternité des fidèles d'origines diverses manifeste la communion dans le Christ selon la dimension universelle de l'Église, lorsque la parole de chacun peut s'exprimer et est écoutée. D'une manière semblable, la rencontre entre les chrétiens et les croyants d'autres traditions religieuses doit permettre une meilleure connaissance mutuelle afin de participer ensemble à l'édification d'une famille humaine plus unie.

7. Dans l'opinion, une lassitude et une baisse d'intérêt semblent parfois se manifester par rapport aux problèmes à plus long terme du développement des nations les plus pauvres. Pourtant, la paix du monde repose sur la solidarité. D'autre part, on constate que l'action immédiate mobilise souvent davantage les fidèles, alors qu'une prise de conscience plus lucide des graves questions du développement est nécessaire. Le rappel de l'urgence de collaborer au progrès des peuples, de « tout homme et de tout l'homme », fait aussi partie de la mission de l'Église. Une longue tradition existe en France pour exercer concrètement la solidarité de vos Églises particulières avec le Tiers-Monde et particulièrement avec l'Afrique. Je vous invite à donner de plus en plus de vigueur à la coopération entre les Églises locales, en vous mettant toujours plus à l'écoute des besoins de ces Églises et en cherchant à instaurer un véritable partenariat.

Je voudrais saluer ici les nombreuses initiatives que prennent les Congrégations religieuses, des institutions ecclésiales comme la Délégation catholique à la Coopération et bien d'autres organisations d'inspiration chrétienne. Elles traduisent l'attachement effectif de vos communautés aux pays du Tiers-Monde, notamment par l'envoi sur place de personnel religieux et laïc, par le partage des ressources, ou encore, par la prise en charge de l'accueil et de la formation, en France, de prêtres venus de ces pays.

Pour aider vos fidèles et tous les hommes de bonne volonté à prendre à nouveau conscience des graves questions liées aux structures de l'économie mondiale, qui mettent en cause la vie de tant d'hommes et de femmes, je vous invite à faire connaître le récent document publié par le Conseil pontifical « Cor unum », La faim dans le monde. Un défi pour tous, le développement solidaire. En effet, comme je l'ai déjà dit, « il est nécessaire que sur la scène économique internationale, s'impose une éthique de la solidarité, si l'on veut que la participation, la croissance économique et une juste distribution des biens puissent marquer l'avenir de l'humanité » [12].

8. Chers Frères dans l'épiscopat, pour conclure les rencontres que j'ai eues à l'occasion des visites ad limina des Évêques de France, et à la suite de mon récent voyage dans votre pays, je voudrais vous redire ma joie d'avoir partagé les préoccupations et les espérances de votre ministère épiscopal ainsi que d'avoir constaté la vitalité de Église en France. Je souhaite que, à l'occasion de cette visite au Successeur de Pierre, votre prière auprès des tombeaux des Apôtres ainsi que vos entretiens dans les dicastères de la Curie romaine soient pour vous une source de dynamisme et de confiance en l'avenir, en communion avec l'Église universelle. Dans quelques mois, nous nous rencontrerons à nouveau, à Paris, pour les Journées mondiales de la Jeunesse. Ce sera l'occasion pour les catholiques de France, et plus particulièrement pour les jeunes, d'accueillir des frères et des soeurs du monde entier et de partager avec eux leurs convictions évangéliques et leurs engagements à bâtir la civilisation de l'amour. Alors que nous avons entrepris la préparation du grand Jubilé de l'An 2000, à travers vous, j'invite donc avec force tous les catholiques de France à aller à la rencontre et au service de leurs frères. Le Christ les y attend!

À chacun de vous et à tous vos diocésains, je donne de grand coeur la Bénédiction Apostolique.

[1] Sollicitudo rei socialis, n. SRS 38.
[2] Centesimus annus, n. CA 58.
[3] 1Jn 4,20.
[4] Grégoire de Nazianze, De l'amour des pauvres, n. 27.
[5] Rencontre avec les blessés de la vie à Tours, 21 septembre 1996, n. 2.
[6] Tertio millennio adveniente, n. TMA 50.
[7] Le diaconat: un don de Dieu à mettre en oeuvre, 1996.
[8] Gaudium et spes, n. GS 67.
[9] Ibid., n. GS 24.
[10] Lettre des Évêques aux catholiques de France.
[11] Cf. Mt 25,38 Ap 3,20.
[12] Discours à la cinquantième Assemblée générale de l'ONU, 5 octobre 1995, n. 13.


À UN GROUPE DE PÈLERINS DU DIOCÈSE FRANÇAIS DE VANNES

Mardi 15 avril 1997



Chers amis,

votre présence ici me remplit de joie, car vous évoquez une belle journée du dernier pèlerinage que j'ai fait auprès du peuple de Dieu qui est en France. Je remercie Monseigneur François Mathurin Gourvès, Évêque de Vannes, de vous avoir accompagnés jusqu'ici pour me présenter les fidèles dévoués qui se sont dépensés sans compter, dans la discrétion, pour la parfaite organisation de ma visite sur la terre de Bretagne.

En vous saluant très cordialement, je rends grâce avec vous au Seigneur pour la foi et le courage apostolique de tous ceux qui ont porté l'Évangile chez vous il y a tant de siècles, qui l'ont inculturé et fortifié. Et, comme je l'ai dit le 20 septembre, «nous nous tournons vers sainte Anne, apparue à Yves Nicolazic », lui disant: « Ne craignez pas.... Dieu veut que je sois honorée en ce lieu » [1]. Oui, sainte Anne a veillé pour que les Bretons et les fidèles de l'Ouest de la France puissent se rassembler dans la joie, sous la lumière de Dieu, sous le soleil!

Grâce à votre patient travail, les paroisses et les mouvements du diocèse ont pu manifester leur belle vitalité. Je vous salue aujourd'hui comme les témoins des « laïcs de plus en plus nombreux [qui] s'engagent dans l'animation de la communauté chrétienne et dans les structures de la vie publique et sociale » [2]. Dans la ligne de vos devanciers, « soyez des bâtisseurs de l'Église dans les générations nouvelles! » [3].

Et comment ne pas évoquer un instant le magnifique rassemblement des familles que vous avez réalisé dans le cadre impressionnant du Parc du Mémorial tout près de la Basilique de Sainte-Anne? Ma pensée se reporte vers ces parents, ces enfants si nombreux et joyeux, et aussi vers ceux qui font face avec courage à des handicaps. Je fais confiance aux familles chrétiennes, elle sauront annoncer l'Évangile de la vie aux générations actuelles.

Un groupe de jeunes s'est joint à votre pèlerinage à Rome, je les salue avec plaisir. J'espère, chers amis, vous retrouver à Paris au mois d'août. Et je sais qu'auparavant, vous aurez accueilli de nombreux camarades venus d'autres pays. Que ces rencontres, ces réflexions, cette grande prière commune vous affermissent dans la foi et vous aide a préparer votre avenir! Pour vous aussi, je reprends ce que j'ai dit à Sainte-Anne-d'Auray: « L'Église est envoyée à tous les hommes... pour leur annoncer le salut qui leur est offert par Dieu. Les chrétiens sont tous responsables de cette mission » [4].

Merci encore de tout ce que vous avez réalisé avec talent pour ma visite en Bretagne. Que Dieu vous bénisse, ainsi que tous les vôtres!

[1] Ioannis Pauli PP. II Homilia intra Sacrum in civitate « Sainte-Anne-d'Auray », 3, die 20 sept. 1996: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIX, 2 (1996) 402.
[2] Ibid. 4, p. 403.
[3] Ibid.
[4] Ibid. 6, p. 404.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL « COR UNUM »

Salle du Consistoire, Vendredi 18 avril 1997




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

1. Je suis heureux de vous accueillir à l'occasion de la XXIIe Assemblée plénière du Conseil pontifical Cor Unum. Je salue en particulier votre Président, Monseigneur Paul Josef Cordes, que je remercie pour ses paroles de présentation. Je tiens à vous remercier pour votre dévouement quotidien dans votre service d'Église au sein du Conseil et dans les différents organismes catholiques sur tous les continents. Vous êtes des acteurs et des animateurs attentifs, pour faire face aux situations d'urgence, pour réagir à toutes les for mes de pauvreté et d'esclavage, et pour promouvoir le développement intégral des personnes et des peuples. Avec vous, je rends grâce au Seigneur pour ce qu'il nous donne d'accomplir afin de soulager la misère et les souffrances de nos frères.

Votre dicastère, dont le nom évoque l'unanimité de la première communauté chrétienne ? elle n'avait qu'un seul coeur dans la prière, dans la fraction du pain et dans le partage fraternel [1] ?, a la mission de manifester dans l'Église la charité, qui a sa source dans le Christ. Et « l'édification du Corps du Christ se fait dans la charité » [2].

2. Votre Assemblée est d'abord l'occasion de faire le bilan des vingt-cinq ans d'existence du Conseil, créé en 1971 par Paul VI. Vous êtes des intendants de Dieu, chargés de gérer avec soin les dons des fidèles, de sensibiliser les chrétiens aux besoins de leurs frères, de raviver sans cesse les élans de générosité dans l'Église, d'harmoniser et de coordonner les différentes interventions. Par vos programmes d'action et par vos travaux, vous êtes aussi des ferments d'unité dans l'Église et des porteurs d'espérance pour tous les pauvres, qui prennent conscience de la portée de l'Évangile dans la transformation du monde. En conduisant des réflexions théologiques et exégétiques pour approfondir le sens spirituel du service caritatif, vous redonnez ses lettres de noblesse à la charité, qui ne peut pas être réduite à des gestes ponctuels sans engagement à long terme. Dans le même temps, vous avez opportunément développé la formation à la. pratique de la charité, pour que s'étende la civilisation de l'amour aux quatre coins du monde.

Notre société traverse de nombreuses crises: accroissement du nombre de pauvres, de personnes déplacées, de marginaux et de sans-abri; accroissement des inégalités sociales et de formes de travail déshumanisantes. Pour faire face à ces réalités, le Conseil pontifical Cor Unum, auquel le Pape Paul VI a donné une identité spécifique à préserver est essentiel. Dans une vision globale des nécessités de notre monde, il a pour but d'harmoniser les forces et les initiatives des organismes catholiques d'entraide, par l'échange d'informations et par une coopération accrue [3], en étroite collaboration avec les évêques diocésains, qui ont la responsabilité de conduire le peuple de Dieu et d'animer la vie pastorale, ainsi qu'avec l'ensemble des institutions des Églises locales et avec les autres organismes de la Curie romaine concernés par les questions de la charité, entendue au sens large du terme. De même, il lui revient d'entretenir des relations confiantes avec les organismes spécialisés de l'O.N.U., dont je salue la détermination en faveur de l'éradication de la pauvreté, par un programme de grande ampleur, dans l'esprit des engagements du sommet mondial de Copenhague.

Partout où elles sont déployées ? et c'est le sens de la charité ? les actions d'aide, de secours et d'assistance doivent être menées dans un esprit de service et de don gratuit, au bénéfice de l'ensemble des personnes, sans arrière-pensée de tutelle éventuelle ou de prosélytisme, ce qui laisserait imaginer que la charité est réalisée à des fins en partie politiques ou économiques.

3. La présente Assemblée de votre dicastère a aussi pour but de préparer l'Année de la Charité, qui précédera le grand Jubilé de l'An 2000. La contemplation de la Trinité conduit l'homme à vivre dans l'amour et l'ouvre à la charité. Saint Matthieu nous rappelle le lien profond entre la prière et l'aumône. La prière dilate le coeur et rend attentif aux hommes; en développant la fraternité, le partage nous permet de prendre conscience que nous sommes fils d'un même Père [4]. Aussi, est-ce en puisant à la source de l'amour que nous pourrons aimer vraiment [5].

Cette ultime année préparatoire, au cours de laquelle nous tournerons notre regard vers le Père de toute miséricorde, est particulièrement opportune, car « la charité est la forme de toutes les vertus » [6]. La charité nous introduit dans le mystère de Dieu, nous rend disponibles à l'Esprit Saint, nous fait redécouvrir la valeur de la réconciliation avec le Seigneur et avec nos frères [7], et nous conduit à faire des oeuvres bonnes [8].

4. Il importe de raviver sans cesse chez les fidèles le désir de manifester l'amour du Seigneur, qui ne fait pas de différence entre les personnes et qui veut avant tout le bien d'autrui [9]. « Par les oeuvres de charité, on se rend le prochain de celui à qui on fait le bien » [10] et on tend la main à ses frères; l'Église témoigne ainsi que chaque personne vaut mieux que tout l'or du monde; elle sera inquiète tant que des hommes et des femmes seront affrontés à des catastrophes ou à des conflits, mourront de faim, n'auront pas le nécessaire pour se nourrir, se vêtir, prendre soin de leur santé, et faire vivre ceux dont ils ont la charge.

5. Par le témoignage de la charité fraternelle, les disciples du Christ contribuent aussi è la justice, à la paix et au développement des peuples. « La charité représente le plus grand commandement social. Elle respecte autrui et ses droits. Elle exige la pratique de la justice et seule nous en rend capables. Elle inspire une vie de don de soi » [11]. Le désir de faire régner la justice et la paix dans notre monde suppose que l'on se préoccupe du partage des ressources. La charité y contribue, car elle crée des liens d'estime réciproque et d'amitié entre les personnes et les peuples. Elle suscite la générosité des hommes, qui prennent conscience de la nécessité d'une solidarité internationale accrue. Il convient de rappeler que cela ne peut être réalisé sans un véritable service de la charité qui implique non seulement de savoir partager son superflu, mais aussi d'accepter de prendre sur son nécessaire. Comme l 'a très bien montré saint Ambroise de Milan, faire la distinction entre le nécessaire et l'indispensable permet à chacun d'être davantage ouvert à ses frères dans le besoin par une plus grande générosité, de purifier son rapport personnel à l'argent et de modérer son attachement aux biens de ce monde [12].

6. Le Jubilé doit favoriser la prise de conscience par tous les membres de l'Église, et par tous les hommes de bonne volonté, de la coopération nécessaire pour relever le défi du partage, de la distribution équitable des biens et de l'union des forces; ainsi, tous contribueront à l'édification d'une société plus juste et plus fraternelle, prémisses du Royaume, car l'amour est un témoignage du Règne à venir et, seul, il peut transformer radicalement le monde. La charité redonne l'espérance aux pauvres, qui se découvrent vraiment aimés de Dieu; tous ont leur place dans la construction de la société et ont le droit d'avoir ce qui est utile pour leur subsistance.

L'amour pour les pauvres met en évidence l'exigence de la justice sociale, comme le rappelle le document publié l'an dernier par votre dicastère, La faim dans le monde. Mais, en même temps, il convient d'affirmer que la charité va au-delà de la justice, car elle est une invitation à passer de l'ordre de la simple équité à l'ordre de l'amour et du don de soi, pour que les liens tissés entre les personnes soient fondés sur le respect de l'autre et sur la reconnaissance de la fraternité, qui constituent des fondements essentiels de la vie en société.

7. Ceux qui pratiquent la charité réalisent une oeuvre profonde d'évangélisation: « L'esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe de l'Église du Christ » [13]. Parfois, l'action dans la communion est plus éloquente que tous les enseignements; et les gestes joints à la parole sont des témoignages particulièrement efficaces. Les disciples du Seigneur se rappelleront que servir les pauvres et les personnes souffrantes, c'est servir le Christ, qui est la lumière du monde. Par leur vie quotidienne dans l'amour qui vient de Lui, les fidèles contribuent à répandre la lumière dans le monde. La charité est aussi le suprême épanouissement des hommes; elle les conforme au Seigneur et les rend libres face aux biens terrestres. Ils peuvent ainsi s'interroger en vérité pour savoir s'ils possèdent des biens ou s'ils sont possédés par eux, s'ils sont polarisés par les richesses ou si leur coeur est disponible pour leurs frères.

8. Au terme de cette rencontre, chers Frères et Soeurs, je confie l'activité du Conseil pontifical Cor Unum à l'intercession de la Vierge Marie, lui demandant de vous soutenir comme elle a soutenu les Apôtres au Cénacle, dans l'attente de l'Esprit de Pentecôte. A vous tous, à ceux qui collaborent avec vous dans les oeuvres de charité et à ceux qui vous sont chers, j'accorde de grand coeur la Bénédiction Apostolique.

[1] Cf. Ac 2,42-47.
[2] Fulgence de Ruspe, Lettre à Ferrandus, 14.
[3] Cf. Lettre au Cardinal Villot Amoris officio, 15 juillet 1971.
[4] Cf. Mt 6,1-15.
[5] Cf. Centesimus annus, n. CA 25.
[6] S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, II-II 23,8.
[7] Cf. Tertio millennio adveniente, n. TMA 50.
[8] Cf. Jn 15,12-17.
[9] Cf. Veritatis splendor, n. VS 82.
[10] Origène, Commentaire sur le Cantique, I.
[11] Catéchisme de l'Eglise catholique, n. CEC 1889.
[12] Cf. De Nabuthe.
[13] Conc. oecum. Vat. II, Gaudium et spes, n. GS 88



Discours 1997 - Samedi 5 avril 1997