Discours 1999 164


AUX ÉVÊQUES DU BURUNDI EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Vendredi 10 septembre 1999

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Chers Frères dans l'épiscopat,



1. En ce temps fort de votre ministère épiscopal qu'est la visite ad limina, c'est une grande joie pour moi de vous accueillir, vous qui avez la charge pastorale de l'Eglise catholique au Burundi. Vous êtes venus vous recueillir sur le tombeau des Apôtres Pierre et Paul pour faire croître en vous l'élan apostolique qui les animaient et qui les a conduits jusqu'ici pour être les témoins de l'Evangile du Christ, acceptant pour cela de faire le don total de leur vie. En rencontrant l'Evêque de Rome et ses collaborateurs, vous voulez aussi manifester votre communion avec le Successeur de Pierre et avec l'Eglise universelle. Que le Seigneur bénisse votre démarche et qu'il soit votre appui dans le service du peuple qui vous a été confié !

Le Président de votre Conférence épiscopale, Mgr Simon Ntamwana, a brossé en votre nom un rapide et émouvant tableau de la situation de l'Eglise au Burundi. Je l'en remercie cordialement. Par votre intermédiaire, je salue affectueusement les prêtres, les religieux, les religieuses, les catéchistes et les laïcs de vos diocèses. Que le Seigneur leur donne force et audace pour être, en toutes circonstances, des témoins vigilants de l'amour de Dieu au milieu de leurs frères ! Portez aussi à tous vos compatriotes mes souhaits chaleureux afin que le pays tout entier retrouve rapidement la paix et la prospérité !



2. La vitalité de l'Eglise catholique au Burundi est particulièrement remarquable. Vos rapports quinquennaux mettent en lumière de façon significative les signes de renouveau spirituel qui se manifestent de plus en plus dans la vie de vos diocèses et des communautés religieuses qui y travaillent. Les orientations pastorales que vous avez prises avec zèle pour guider vos fidèles vers le Christ portent déjà des fruits encourageants dont je me réjouis vivement.

En effet, au cours des dernières années, votre pays a connu une situation tragique. Je voudrais, une fois encore, confier à la miséricorde divine les victimes de la violence et dire ma profonde solidarité avec toutes les personnes qui souffrent des conséquences du drame qu'a connu votre pays. Vous-mêmes, chers Frères dans l'épiscopat, vous avez vécu ces événements avec une grande force d'âme. Comme l'Apôtre Paul, vous avez accepté de braver tous les dangers par souci et par amour pour vos Eglises diocésaines et pour votre peuple (cf.
2Co 11,26). Je salue ici la mémoire de Mgr Joachim Ruhuna, archevêque de Gitega, victime de la violence à laquelle il voulait s'opposer de toutes ses énergies. Avec vous, c'est toute la communauté catholique qui a été durement touchée dans ses prêtres, ses religieux, ses religieuses et ses laïcs, qui sont demeurés fermes dans les épreuves, parfois jusqu'au don de leur vie. Parmi tous ces témoins de l'Evangile, les jeunes séminaristes de Buta, par leur sacrifice héroïque, ont donné au nom du Seigneur un exemple magnifique de fraternité qui demeurera un exemple pour les générations futures. Je remercie vivement les pasteurs, les agents pastoraux et tous les fidèles du Burundi pour leur courage et pour leur fidélité au Christ et à l'Église.

Malgré les innombrables difficultés, les catholiques de votre pays ont gardé vivante leur foi dans la présence du Seigneur, qui ne saurait les abandonner et qui ne cesse de les accompagner. La célébration du premier centenaire de l'évangélisation, l'an dernier, a été un signe éclatant de sa vitalité et de son espérance en l'avenir. En ce moment privilégié de son histoire, l'Eglise a voulu manifester solennellement son engagement sur la voie de la réconciliation et de la paix, souhaitant marquer par là le début d'une ère nouvelle pour tous les Burundais en y apportant une contribution active. Que cet anniversaire demeure pour tous les fidèles une source de dynamisme pour la nouvelle évangélisation de leur pays !



3. Dans votre ministère épiscopal, si souvent éprouvant, vous trouvez aide et soutien chez vos prêtres, vos plus proches collaborateurs. En effet, un lien étroit, fondé sur la participation à l'unique sacerdoce du Christ et sur la même mission apostolique, vous unit à eux. "Le rapport avec l'Evêque dans l'unité du presbyterium, le partage de sa sollicitude pour l'Eglise, le dévouement pastoral au service du peuple de Dieu dans les conditions historiques et sociales concrètes de l'Eglise particulière sont des éléments qu'on ne peut négliger quand on veut tracer le portrait du prêtre et de sa vie spirituelle" (Exhortation apostolique Pastores dabo vobis PDV 31). Pour que se développe cette communion effective, indispensable à la vie de l'Eglise, je vous encourage à demeurer toujours plus proches de vos prêtres, partageant avec eux les joies et les peines, les soucis et les espérances de leur vie et de leur ministère. Dans les difficultés de la vie quotidienne, qu'ils trouvent en vous un père attentif qui, dans une attitude de charité et de dialogue, sait les guider, les encourager et parfois, lorsque c'est nécessaire, prendre les décisions opportunes pour leur bien et celui des fidèles.

Je salue très cordialement chacun des prêtres de vos diocèses. Je connais leur dévouement pour le service de l'Eglise et de sa mission. Je les invite avec insistance à avoir une conscience toujours plus vive que la vocation sacerdotale comporte un appel spécifique à la sainteté. Par leur consécration, les prêtres sont configurés au Christ Tête et Pasteur de son Eglise, ce qui les engage à une vie marquée par les comportements de Jésus, Serviteur fidèle qui trouve sa joie et son bonheur dans la réalisation de la volonté de son Père et de la mission qu'il lui a confiée. Que dans leur vie ils donnent une place essentielle à la prière et à la célébration des sacrements, notamment de l'Eucharistie et de la Pénitence, recherchant avec persévérance une authentique rencontre personnelle avec le Seigneur ! Se souvenant qu'ils ont reçu la charge de rassembler et de guider le peuple de Dieu, ils doivent être eux-mêmes des modèles de vie chrétienne, qui aident les fidèles à grandir dans la foi et à s'accueillir les uns les autres pour construire l'Eglise famille de Dieu. Par toute leur existence, et en particulier par leur célibat, accueilli comme un don précieux de Dieu effectivement assumé, qu'ils témoignent d'un amour sans partage pour le Christ et son Eglise, dans une disponibilité pleine et joyeuse pour le ministère pastoral (cf. Pastores dabo vobis PDV 50) ! Dans cet esprit, il vous appartient d'avoir avec eux un dialogue clair et ferme sur les exigences de la vie sacerdotale. Je les exhorte enfin à être, à temps et à contretemps, des messagers ardents de l'amour de Dieu qui ne fait pas de différences entre les personnes, quelle que soit leur origine ou leur condition sociale.

Pour préparer des candidats à vivre toutes les exigences de l'engagement au presbytérat, dans une vie intérieure profonde et dans un esprit de détachement de ce qui n'est pas compatible avec une existence de consacré, la formation humaine, intellectuelle, pastorale et spirituelle donnée au séminaire prend une grande importance. Il convient aussi que l'on enseigne au peuple chrétien la véritable signification de la vocation sacerdotale et religieuse, pour qu'il devienne conscient de sa responsabilité en accompagnant de sa prière les futurs prêtres, religieux, religieuses, et en les aidant à concevoir leur vocation, non comme une promotion sociale, mais comme un service généreux qui leur est demandé pour le bien de l'Eglise et du monde. Pour faire face aux difficultés de la société, je vous invite à vous assurer que dans les séminaires les thèmes de la justice et de la paix sont traités avec vigueur, selon les principes de la Doctrine sociale de l’Église. Ainsi, les futurs pasteurs seront aptes à aider les jeunes générations à comprendre que la justice est beaucoup plus qu’une simple revendication de la part d’une ethnie par rapport à une autre.



4. Dans l'oeuvre d'évangélisation de votre pays, les catéchistes tiennent une place importante. Au cours des dernières années, dans certaines régions, en raison du manque de prêtres, ils ont été les seuls agents pastoraux à demeurer en place. Ils ont pu réunir les fidèles et transmettre la foi. Au nom de l'Eglise, je leur dis toute ma gratitude et je les invite à poursuivre, en communion avec leurs Evêques et leurs prêtres, leur service généreux, pour que le nom du Christ puisse continuer à être annoncé et accueilli. Chers Frères dans l'épiscopat, votre souci est grand de les aider et de les soutenir : qu'ils trouvent toujours en vous des pasteurs proches de leurs préoccupations et désireux de leur donner la formation doctrinale et spirituelle qui leur permettra d'être des collaborateurs compétents et efficaces dans l'évangélisation !

La promotion des communautés de base est aussi un élément essentiel de votre pastorale pour le renouveau de l'Eglise. Ces communautés, où la Bonne Nouvelle est accueillie pour être transmise aux autres, sont des lieux où l'on s'efforce de "vivre l'amour universel du Christ, qui surpasse les barrières des solidarités naturelles des clans, des tribus ou d'autres groupes d'intérêt" (Exhortation apostolique Ecclesia in Africa ). Pour cela, il est nécessaire que leurs membres reçoivent une solide formation à la prière, à l'écoute de la parole de Dieu, ainsi qu'aux vérités de la foi, et qu'ils soient incités à prendre toujours plus efficacement leurs responsabilités de baptisés et de confirmés dans l'Église et dans la société.



5. La responsabilité propre des chrétiens de travailler à rétablir des relations pacifiées et réconciliées entre tous les membres de la nation doit les conduire à envisager que, pour y parvenir de façon durable, il est nécessaire de garantir la justice pour tous. Il est donc urgent de prendre une conscience claire que tous les êtres humains ont une même dignité, qu'ils méritent le même respect, qu'ils sont égaux et qu'ils sont sujets des mêmes droits et devoirs. Comme je l'ai écrit dans mon message pour la Journée mondiale de la paix de 1998, "la paix pour tous naît de la justice de chacun. Nul ne peut se soustraire à un devoir d'une importance si déterminante pour l'humanité. Ce devoir concerne tout homme et toute femme selon leurs compétences et leurs responsabilités" (n. 7). D'autre part, lorsque les pouvoirs publics, au nom de leur responsabilité propre, doivent appliquer des peines, la justice doit toujours être conforme à la dignité de la personne et donc au dessein de Dieu sur l'homme et sur la société. Comme je l'ai écrit dans l'encyclique Evangelium vitae, "la mesure et la qualité de la peine doivent être attentivement évaluées et déterminées" (EV 56). On ne peut pas ne pas déplorer les trop nombreux cas de personnes pour lesquelles on recourt à la peine de mort. Ma pensée se tourne aussi vers les nombreux détenus qui sont victimes de la lenteur des procédures judiciaires, en souhaitant qu’ils voient leurs procès menés à terme sans retard et que leur défense soit correctement assurée. Il importe de tout mettre en oeuvre au sein de la société pour que l’espoir demeure toujours malgré les difficultés, que les personnes aient la possibilité de purger leur peine dans le respect de leur dignité et qu’elles aient la possibilité de se corriger et de s’amender. Dans les circonstances actuelles, votre ministère épiscopal vous appelle en ce domaine à être des veilleurs. Je salue le travail que vous avez entrepris, notamment grâce à la Commission Justice et Paix, pour que la justice triomphe et l’emporte sur le désir de haine et de vengeance, et qu’une véritable éducation à la justice et à la paix soit donnée à tous.

En effet, la promotion de la justice entre les peuples et à l'intérieur de chaque communauté humaine fait partie intégrante du témoignage évangélique. Je vous encourage donc vivement dans votre souci d'aider vos communautés à s'engager toujours plus intensément en vue de construire une société nouvelle fondée sur la justice et la solidarité fraternelle, dans l'harmonie entre toutes ses composantes. Il est urgent que dès la première éducation chacun soit formé aux valeurs morales et civiques, en ayant un sens aigu des droits et des devoirs des personnes et des communautés humaines. En éduquant à la justice, on éduque à la paix. A tous ceux qui aspirent à la justice et à la paix, et particulièrement aux jeunes, je redis avec force : "Gardez toujours vivante en vous la recherche de ces idéaux, et ayez assez de patience et de ténacité pour les poursuivre dans les conditions concrètes où vous vivez. [...] Ayez le goût de ce qui est juste et vrai, même quand s'en tenir à cette règle exige des sacrifices et engage à aller à contre-courant !" (Message pour la Journée mondiale de la paix de 1998, n. 7). Avec vous, j’exhorte les catholiques et les hommes de bonne volonté à être vainqueurs du mal par le bien (cf. Rm 12,21), par des actes de charité fraternelle qui seul peut permettre un avenir au pays, redonner confiance aux populations et créer des relations porteuses d’une véritable espérance. Je vous encourage aussi à prendre toujours plus position contre les violences, d’où qu’elles viennent.

166 Pour permettre à tous les membres du peuple de Dieu de marcher avec détermination sur cette voie, je vous invite à donner une place de choix à l'enseignement de la doctrine sociale de l'Eglise. Il est particulièrement important que les laïcs catholiques s'engagent dans la vie publique pour être "le sel de la terre", en témoignant avec hardiesse, dans leurs activités quotidiennes, de l'amour et de la justice de Dieu. Leur engagement est aujourd'hui d'une grande portée au moment où se recherche un nouveau système institutionnel pour construire une nation unie et solidaire, en dépassant les animosités et en acceptant les différences acceptées comme des richesses pour le bien de tous.



6. Les événements que votre pays a endurés ont conduit de nombreuses personnes à connaître la vie des camps de réfugiés et de personnes déplacées. Malheureusement, cette situation persiste encore. Certes, la résolution de ce grave problème humain passe notamment par le rétablissement de la paix, la réconciliation et le développement économique. Au nom du Christ, l'Eglise, par ses moyens caritatifs, le plus souvent bien limités, doit contribuer à réduire tant de souffrance et tant de misère. Toutefois, elle ne peut oublier le message fondamental qu'elle a reçu de son Seigneur, celui-là même que Jésus proclamait solennellement au début de sa mission, reprenant les paroles du prophète Isaïe : "L'Esprit du Seigneur m'a consacré par l'onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres". Et il ajoutait: "Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture"(cf.
Lc 4,18-21). Il est donc impératif que l'Eglise se souvienne de cet aspect essentiel de sa mission évangélisatrice, et que les catholiques, en union avec les autres chrétiens, soient encouragés à faire preuve d'inventivité pour développer les attitudes de solidarité vivante et de participation active qui manifestent concrètement que tous sont les membres d'un seul corps, se souvenant des paroles de l'Apôtre Paul: "Un membre souffre-t-il ? tous les membres souffrent avec lui" (1Co 12,26).

Le Concile Vatican II, en présentant l'Eglise comme le peuple de Dieu et le Corps du Christ, nous donne des images hautement significatives qui doivent aider ses membres à promouvoir les attitudes de solidarité et de fraternité dans les communautés chrétiennes. Dans cette même perspective, l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du synode des Evêques a eu recours à l'idée force de l'Eglise famille de Dieu afin d'exprimer de manière appropriée la nature de l'Eglise pour l'Afrique. Ainsi les Pères ont mis l'accent sur le fait qu'aucun des membres de l'Eglise, quelle que soit sa place, ne peut être exclu de la table commune du partage ou de la responsabilité de vivre en réelle solidarité avec ses frères.



7. Chers Frères dans l'épiscopat, arrivés au terme de notre rencontre, je me tourne encore vers votre pays bien-aimé pour exhorter tous ses fils et ses filles, chacun au niveau de responsabilité qui est le sien, à s'engager résolument pour construire une société fondée sur la concorde et la réconciliation. Je souhaite vivement qu'un dialogue sincère et fécond se poursuive entre tous les Burundais et débouche sur une paix définitive, afin que tous puissent enfin vivre dans la sécurité et retrouver les chemins de la prospérité et du bonheur. Que Dieu ouvre les coeurs à son Esprit d'amour et de paix ! Que les disciples du Christ se tournent vers le Père de toute miséricorde, dans une attitude de conversion profonde et de prière intense, pour lui demander la force et le courage d'être, avec tous les hommes de bonne volonté, d'infatigables bâtisseurs de paix et de fraternité !

Alors que nous sommes à la veille d'entrer dans le grand Jubilé de l'an 2000, je désire ardemment que ce temps de grâce soit pour l'Eglise au Burundi un nouveau printemps de vie chrétienne et lui permette de répondre avec audace aux appels de l'Esprit. Je confie à la Vierge Marie, Mère du Rédempteur, votre ministère et la vie de vos communautés ecclésiales, afin qu'elle guide vos pas vers son Fils. De grand coeur, je vous donne la Bénédiction apostolique, que j'étends aux prêtres, aux religieux, aux religieuses, aux catéchistes et à tous les fidèles de vos diocèses.



AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE ORGANISÉE PAR LA FONDATION «CENTESIMUS ANNUS - PRO PONTEFICE»

Samedi 11 septembre 1999

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Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs!


1. Je suis heureux, chers membres de la Fondation "Centesimus Annus - Pro Pontifice", de me trouver ici avec vous et vos proches. Je salue Mgr Agostino Cacciavillan, Président de l'Administration du Patrimoine du Siège apostolique, que je remercie des paroles courtoises qu'il m'a adressées. Je salue également Mgr Claudio Maria Celli, Secrétaire de la même Administration, Mgr Daniele Rota et Dom Massimo Magagnin, Assistants nationaux, ainsi que les autres ecclésiastiques présents. Je souhaite également une bienvenue cordiale à vous tous qui n'avez pas voulu manquer ce rendez-vous.

Votre dernière rencontre ne remonte qu'au mois de février dernier, mais vous avez ressenti l'exigence de vous retrouver encore une fois à l'approche de l'Année Sainte de l'An 2000. Le Jubilé constitue, en effet, un grand rendez-vous ecclésial, auquel votre fondation est appelée à collaborer, dans le cadre du Jubilé du Monde du Travail, pour préparer le secteur des agents financiers. Alors que je vous remercie de votre disponibilité, je me réjouis avec vous qui, précisément en vue d'un tel événement, avez opportunément décidé d'approfondir pour l'année prochaine le thème: "Ethique et finance". J'ai connaissance de votre intention d'organiser un congrès international sur ce thème à la veille de la Journée jubilaire. C'est avec satisfaction que je note cette initiative importante et je souhaite qu'elle produise des fruits abondants.

Aujourd'hui, vous avez voulu consacrer une large place à l'intervention de Mgr Miroslav Marusyn, Secrétaire de la Congrégation pour les Eglises orientales, qui vous a parlé de mon récent voyage apostolique en Roumanie et des nombreuses nécessités spirituelles et matérielles qui marquent la vie des Communautés catholiques orientales.



2. Mesdames et Messieurs! Dans votre expérience quotidienne, vous avez l'occasion de constater comment, au sein du phénomène en développement de la globalisation qui caractérise le moment historique actuel, un aspect essentiel et riche de conséquences est celui que l'on appelle la "financiarisation" de l'économie. Dans les relations économiques, les transactions financières ont déjà dépassé de beaucoup les transactions réelles, tant et si bien que le milieu de la finance a désormais acquis une autonomie propre.

Ce phénomène pose de nouvelles questions difficiles, également du point de vue éthique. L'une de celles-ci met en cause le problème du rapport entre la richesse produite et le travail, en raison du fait qu'il est aujourd'hui possible de créer rapidement de grandes richesses sans aucun lien avec une quantité définie de travail accompli. Comme on peut le comprendre, il s'agit d'une situation extrêmement délicate, qui exige une considération attentive de la part de tous.

Dans l'Encyclique Centesimus annus (
CA 58), en traitant de la question de la "mondialisation de l'économie", j'ai attiré l'attention sur la nécessité de promouvoir "de bons organismes internationaux de contrôle et d'orientation, afin de guider l'économie elle-même vers le bien commun", en tenant également compte du fait que la liberté économique n'est que l'un des éléments de la liberté humaine. L'activité financière, selon ses propres caractéristiques, ne peut qu'être orientée au service du bien commun de la famille humaine.

Cependant, on se demande quels sont les critères de valeur qui doivent orienter les choix des agents, également au-delà des exigences de fonctionnement des marchés, dans une situation comme celle d'aujourd'hui où manque encore un cadre juridique et législatif international adapté. Mais encore: quelles sont les autorités appropriées pour élaborer et fournir de telles indications, ainsi que veiller sur leurs applications.

Un premier pas revient aux agents eux-mêmes, qui pourraient travailler pour élaborer des codes éthiques ou de comportement ayant valeur de droit pour le secteur. Les responsables de la Communauté internationale sont ensuite appelés à adopter des instruments juridiques appropriés pour affronter les situations cruciales qui, si elles ne sont pas "dirigées", pourraient avoir des conséquences désastreuses non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique. Et ce seraient certainement les plus faibles à payer les premiers et davantage.



3. L'Eglise, qui est maîtresse d'unité et qui de par sa vocation marche avec les hommes, se sent invitée à en protéger les droits, avec un soin constant en particulier envers les plus pauvres. Avec sa propre doctrine sociale elle offre son aide pour résoudre toutes les problématiques qui dans divers secteurs touchent la vie des hommes, consciente que "bien que l'économie et la discipline morale, chacune dans son domaine, reposent sur des principes propres, ce serait une erreur d'affirmer que l'ordre économique et l'ordre moral sont si disparates et étrangers l'un à l'autre, que le premier en aucun cas ne dépend du second" (Pie XI, Quadragesimo anno, n. 42). Le défi apparaît ardu, en raison de la complexité des phénomènes en question et de la rapidité avec laquelle ils naissent et se développent.

Les chrétiens qui oeuvrent au sein du secteur économique et, en particulier, financier, sont appelés à trouver des voies qui puissent être suivies pour réaliser ce devoir de justice, qui est évident pour eux en raison de leur préparation culturelle, mais qui peut être partagé par quiconque veut placer au centre de chaque projet social la personne humaine et le bien commun. Oui, chacune de vos opérations dans le domaine financier et administratif doit toujours avoir pour objectif de ne jamais porter atteinte à la dignité de l'homme, en élaborant dans ce but des structures et des systèmes qui favorisent la justice et la solidarité pour le bien de tous.



4. Il faut ensuite ajouter que les processus de globalisation des marchés et des communications ne possèdent pas en eux-mêmes une connotation éthiquement négative, et face à ceux-ci une attitude de condamnation sommaire et à priori n'est donc pas justifiée. Toutefois, les choses qui, en principe, apparaissent comme des facteurs de progrès peuvent engendrer, et de fait produisent déjà, des conséquences ambivalentes ou franchement négatives, en particulier au détriment des plus pauvres.

Il s'agit donc de prendre acte du changement et de faire en sorte qu'il se produise au bénéfice du bien commun. La globalisation aura des effets très positifs si elle peut être soutenue par un puissant sens de l'absolu et de la dignité de toutes les personnes humaines et par le principe que les biens de la terre sont destinés à tous. Il existe un espace, dans cette direction, pour agir de façon loyale et constructive, également au sein d'un secteur très exposé à la spéculation. Il n'est pas suffisant pour cela de respecter les lois locales ou les règlements nationaux; il y a besoin d'un sens de justice global, équivalent aux responsabilités qui sont en jeu, en prenant acte de l'interdépendance structurelle des relations entre les hommes au-delà des frontières nationales.

Entre temps, il est très opportun d'appuyer et d'encourager les projets de "finance éthique", de micro crédit et de "commerce juste et solidaire" qui sont à la portée de tous et qui possèdent une valeur positive, également pédagogique, dans le sens de la coresponsabilité globale.



5. Nous sommes au déclin d'un siècle qui a connu également dans ce domaine des changements rapides et fondamentaux. L'imminente célébration du grand Jubilé de l'An 2000 représente une occasion privilégiée pour une réflexion de large envergure sur cette problématique. C'est pourquoi je suis reconnaissant à votre fondation "Centesimus annus", qui a voulu orienter ses travaux à la lumière du grand événement jubilaire, en tenant compte de la perspective que j'ai indiquée dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente. J'ai en effet écrit que "l'engagement pour la justice et pour la paix en un monde comme le nôtre, marqué par tant de conflits et par d'intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé" (TMA 51).

Très chers amis, vous avez compris que l'année jubilaire vous invite à offrir votre contribution spécifique et qualifiée, afin que la Parole du Christ, qui est venu évangéliser les pauvres (cf. Lc 4,18), puisse trouver une réponse. Je vous encourage cordialement dans cette initiative, avec le souhait que, grâce au Jubilé, mûrisse "une nouvelle culture de solidarité et de coopération internationales, où tous - spécialement les pays riches et le secteur privé - assument leur responsabilité à travers un modèle d'économie qui soit au service de chaque personne" (Bulle d'Indiction Incarnationis mysterium, n. 12).

Avec ces sentiments, alors que je souhaite de tout coeur que la Fondation se développe afin d'offrir une collaboration toujours plus efficace au Saint-Siège et à l'Eglise dans l'oeuvre de la nouvelle évangélisation et dans l'instauration de la civilisation de l'amour, je confie chacun de vos projets et de vos initiatives à Marie, Mère de l'Espérance.

Que vous accompagne et vous soutienne également ma Bénédiction, que je vous donne volontiers, ainsi qu'à toutes les personnes qui vous sont chères.




AU NOUVEL AMBASSADEUR D'ITALIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi 13 septembre 1999

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Monsieur l'Ambassadeur,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir et de vous présenter mes voeux les plus chaleureux pour la haute charge d'Ambassadeur d'Italie, que vous commencez officiellement aujourd'hui. En vous remerciant des nobles expressions que vous m'avez adressées, je désire transmettre à mon tour une pensée respectueuse et cordiale à M. Carlo d'Azeglio Ciampi, Président de la République, à qui je renouvelle mes voeux chaleureux de toutes sortes de biens, quelques mois après son élection à la magistrature suprême de la République italienne.

La mission apostolique du Pontife romain ne connaît pas de limites territoriales et Il est, d'une même façon pour tous les peuples, un père attentif et diligent. Toutefois, le rapport qui le lie à Rome et à l'Italie est très particulier: Pierre est venu dans l'Urbs et il a versé son sang ici; de Rome, les Successeurs de Pierre ont promu la diffusion de la Bonne Nouvelle dans le monde. Au cours de deux millénaires cette mission singulière n'a jamais été interrompue, même lorsque, pendant une brève période, des circonstances extérieures ont éloigné les Papes de la ville qui était, et qui demeure, leur Siège naturel.

Ce fait historique, si significatif en lui-même, n'est en aucun cas extérieur et matériel. Le catholicisme a modelé le pays par d'infinis signes de foi et de charité. S'il est vrai que l'Italie détient un record glorieux du nombre d'oeuvres d'art, il est également vrai qu'une grande partie de celles-ci possède une profonde empreinte religieuse, et également souvent une destination religieuse précise. D'un autre côté, il faut reconnaître que l'Italie a beaucoup donné à l'Eglise: à travers des saints d'une envergure exceptionnelle, à travers des personnalités éminentes dans chaque ordre du Peuple de Dieu, à travers des contributions particulières empreintes de génie et de style apportées à la Curie romaine, qui a ainsi su jouer un rôle de médiation efficace dans les tensions et dans les conflits qui ont trop longtemps miné l'unité de l'Europe et menacé la paix dans le monde.

Le XIXème siècle a heureusement surmonté les incompréhensions et les crises qui avaient accompagné la constitution de l'Italie en un Etat national libre. A ce propos, le Pape Paul VI jugea d'une certaine façon comme providentiel le dépassement du pouvoir temporel, qui avait par ailleurs joué un rôle indéniable par le passé. Le nouveau siècle, après l'apaisement des déchirures qui avaient attristé nos pères, a permis d'arriver à une solution équilibrée, qui a trouvé une confirmation également au cours des événements difficiles de ces dernières décennies. Déjà à la fin du premier conflit mondial il était apparu à l'Italie et au Saint-Siège que la discorde du XIXème siècle était désormais possible à résoudre, mais c'est avec les Accords de Latran que l'on parvint finalement à une définition complète des relations. Telles sont les bases fondamentales de la coexistence qui, avec le Traité ont, entre autres, ratifié la constitution d'un «Etat de la Cité du Vatican», doté du minimum d'existence territoriale nécessaire pour assurer au Pontife et au Saint-Siège une souveraineté et une indépendance absolue. Le Concordat, au-delà de la lettre du dispositif, a ensuite revêtu une profonde valeur exemplaire de garantie pour le libre exercice de la vie religieuse qui apparaît comme le premier parmi tous les droits humains, car il est fondamental pour une citoyenneté mûre et moderne que l'inspiration spirituelle puisse se manifester dans toutes ses potentialités.

Monsieur l'Ambassadeur, vous avez rappelé à juste titre la collaboration réciproque entre l'Etat et l'Eglise catholique «pour la promotion de l'homme et le bien du pays» (art. 1 de l'Accord de Révision de 1984). Cette collaboration mérite d'être approfondie et poursuivie pour satisfaire plusieurs aspirations fondamentales, particulièrement ressenties par l'Eglise et les catholiques en Italie. La défense de la dignité humaine dès sa conception appartient certes au droit naturel, mais elle attend de la législation positive de l'Etat une pleine reconnaissance qui dérive de la conscience que dans la maternité se perpétue une valeur indéniable pour la personne et toute la société. La famille, cellule de base de la société et son fondement naturel, demande elle aussi sa reconnaissance effective comme lieu de l'amour de l'homme et de la femme et foyer pour l'espérance de vies nouvelles. De même, c'est dans l'éducation des jeunes générations que l'expérience religieuse de la nation italienne peut se vanter d'une créativité, empreinte de génie, d'institutions scolaires, en grande partie destinées aux personnes moins aisées, qui mérite le respect et un soutien à travers la parité juridique et économique effective entre les écoles publiques et les écoles privées, en surmontant courageusement les incompréhensions et l'esprit sectaire, étrangers aux valeurs de fond de la tradition culturelle européenne.

Au nom de la sollicitude particulière que j'éprouve pour les jeunes générations, je me sens également poussé à demander à toutes les composantes de la société italienne un effort unanime pour surmonter les craintes et les lenteurs et pour parvenir à assurer aux générations naissantes le travail qui libère les personnalités et qui enrichit la coexistence civile.

En puisant à ces ressources fondamentales, l'Italie peut manifester sa vocation dans le contexte européen. Si l'unité du vieux continent n'est pas seulement un fait d'organisation ou un facteur économique, l'Italie chrétienne peut apporter une contribution fondamentale à l'édification d'une Europe de l'esprit, dans laquelle trouvent un accueil et une harmonisation les événements extérieurs, également très importants, de la maison commune. En effet, c'est l'inspiration chrétienne qui peut transformer le regroupement politique et économique en une véritable maison commune pour tous les européens, contribuant à former une famille exemplaire de nations, dont d'autres régions du monde peuvent s'inspirer de façon fructueuse.

Si l'Europe est le premier lieu où peut s'exercer cette présence italienne féconde, on ne peut pas non plus sous-évaluer le réseau inégalable de relations que la place particulière de l'Italie dans la Méditerranée lui assure, faisant d'elle un passage obligé pour les contacts de tout le continent avec les autres rives de la même mer. La contribution que l'on attend de la nation italienne n'est pas seulement économique et culturelle, mais également de pacification et de développement harmonieux dans toutes les initiatives que des projets clairvoyants peuvent élaborer. L'Italie peut vraiment être présente comme artisan de paix, en acquérant un mérite incomparable au sein des nations.

Co-édificatrice d'une Europe de l'esprit, artisan de paix dans la Méditerranée, gardienne de l'antique âme chrétienne qui a constitué son histoire: voilà l'Italie qui appartient à mes espérances! Dans ce but, je souhaite que les croyants et tous les hommes de bonne volonté aient toujours à l'esprit l'objectif de la transcendance. Toujours et partout ils ont l'obligation de ne pas exclure le point de référence de l'Esprit, celui là même qui a animé les consciences les plus vigilantes, qui a donné des fruits incomparables dans tous les domaines et qui a véritablement fait la grandeur et la spécificité de ce pays.

Monsieur l'Ambassadeur, comme vous l'avez rappelé nous sommes à présent au seuil du grand Jubilé de l'An 2000. C'est un motif de réconfort de constater comment la préparation de cet important événement, entendu comme un renouveau intérieur et la redécouverte des valeurs de l'esprit, voit le concours effectif des institutions et des initiatives particulières visant à préparer un cadre global qui aide cette expérience de l'âme.

En exprimant ma satisfaction pour ce que les autorités italiennes réalisent à ce propos, je forme le voeu que la collaboration positive entre le gouvernement italien et le Saint-Siège se poursuive de façon efficace pour préparer une «maison» accueillante à tous les hommes et les femmes de bonne volonté qui traverseront l'Italie et viendront à Rome.

Et alors que je confirme avec ces voeux et ces espérances mon affectueuse participation à l'histoire humaine et civile du Peuple italien, je suis heureux de vous renouveler, Monsieur l'Ambassadeur, mes voeux les plus fervents pour le déroulement de votre mission, alors que je vous donne de tout coeur, ainsi qu'à votre famille et à vos collaborateurs, ma Bénédiction.






Discours 1999 164