Discours 1999 6


AU PERSONNEL DES ARCHIVES SECRÈTES VATICANES ET DE LA BIBLIOTHÈQUE APOSTOLIQUE VATICANE

Vendredi 15 janvier 1999

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Très chers frères et soeurs!

1. Je suis très heureux de vous recevoir aujourd'hui, vous qui prêtez votre oeuvre quotidienne aux Archives secrètes du Vatican et à la Bibliothèque apostolique du Vatican, et de vous souhaiter une cordiale bienvenue, que j'étends également volontiers à vos proches. Je salue en particulier Mgr Jorge María Mejía, Archiviste et Bibliothécaire de la Sainte Eglise romaine et je le remercie des paroles courtoises qu'il m'a adressées en votre nom. Je salue également le Père Sergio Pagano, Préfet des Archives secrètes du Vatican, et Dom Raffaele Farina, Préfet de la Bibliothèque apostolique du Vatican.

Le titre de Bibliothécaire, déjà utilisé au IXème siècle par Anastase Bibliothécaire (cf. PL 127-129), est un indice important qui permet de constater l'ancienneté vénérable des institutions auxquelles vous appartenez, ainsi que le lien qui existe entre elles et le Siège apostolique.

En effet, votre travail ne se limite pas à l'engagement, pourtant très important, de conserver les livres et les manuscrits, les Actes des Souverains Pontifes et des dicastères de la Curie romaine, et de les transmettre à travers les siècles, mais il vise surtout à mettre à la disposition du Saint-Siège et des chercheurs du monde entier les trésors de culture et d'art dont les Archives et la Bibliothèque sont l'écrin. C'est précisément pour cette raison que votre tâche est également d'étudier ces trésors de façon attentive et minutieuse, souvent aidés par d'autres spécialistes, afin qu'ils puissent être publiés avec une rigueur scientifique. Le témoignage de ce précieux service est constitué par les diverses collections que la Bibliothèque et les Archives continuent à publier et à diffuser, à la plus grande satisfaction du monde des historiens, des canonistes, des chercheurs en paléographie ainsi que des spécialistes de la littérature classique et de la musique antique. Je voudrais vous remercier pour ce profond engagement, alors que je vous encourage de tout coeur à le poursuivre et à l'approfondir avec une passion constante.



2. On comprend bien l'intérêt et le soin avec lesquels mes vénérés prédécesseurs, en particulier depuis quelques siècles, ont créé, développé et suivi la Bibliothèque apostolique, puis, comme une branche mûre de celle-ci, les Archives pontificales. Je pense à Nicolas V, à Sixte IV, à Sixte V, à Paul V et à tant d'autres Pontifes, jusqu'à Léon XIII, qui décida d'ouvrir les Archives à la recherche scientifique, et à Pie XI, personnellement concerné en qualité de Préfet de la Bibliothèque apostolique par ce noble genre d'intérêt.

Dans la Bibliothèque et dans les Archives les Pontifes ont vu, outre de précieux instruments au service de la culture et de l'art, deux autres importantes qualités, que je désire ici souligner, car elles sont toujours valables et nécessaires, aujourd'hui peut-être davantage que par le passé.

La première est le rapport entre les textes conservés et l'exercice du gouvernement et du ministère du Siège apostolique, en particulier du Magistère pontifical. Ces textes vénérables contiennent et transmettent d'une certaine façon la mémoire même de l'Eglise et donc la continuité de son service apostolique à travers les siècles, avec ses lumières et ses ombres, qui doivent être connues et que l'on doit faire connaître, sans crainte, et même avec une sincère gratitude au Seigneur, qui ne cesse de guider son Eglise parmi les événements qui se déroulent dans le monde.

C'est ce que le Pape Léon XIII avait profondément à l'esprit lorsqu'il voulut que les Archives soient rendues accessibles aux chercheurs, déjà à la date lointaine de 1880. En outre, la merveilleuse décoration du Salon Sistino, projeté par Sixte V, met en lumière la relation existant entre la Bibliothèque et l'exercice du Magistère dans les deux séries de fresques, sur lesquelles on peut, d'une part, voir l'histoire des plus éminentes bibliothèques et, de l'autre, la représentation des Conciles oecuméniques.



3. Il faut ensuite souligner une seconde qualité de la Bibliothèque et des Archives, et donc de votre travail dans l'une et dans l'autre, quel que soit le niveau auquel il se déroule. Il s'agit du service que vous prêtez à l'évangélisation de la culture, ou plutôt, à la nouvelle évangélisation de la culture. Vous savez bien qu'il s'agit d'un engagement central et vital pour l'Eglise dans le monde contemporain, qu'évoquait déjà à travers des paroles éclairées le serviteur de Dieu Paul VI, dans l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (cf. EN
EN 19-20) et à laquelle j'ai plusieurs fois fait référence. Il faut trouver la façon de faire parvenir aux hommes et aux femmes de culture, mais peut-être encore avant aux milieux et aux cercles où la culture actuelle est élaborée et transmise, les valeurs que l'Evangile nous a communiquées, en même temps que celles qui naissent d'un véritable humanisme; les unes et les autres étant en réalité étroitement liées.

En effet, si l'Evangile nous enseigne la primauté absolue de Dieu et l'unique salut dans le Christ Seigneur, il s'agit également de l'unique voie pour apprécier, respecter et aimer véritablement la créature humaine, faite à l'image de Dieu et appelée à être insérée dans le mystère du Fils de Dieu fait homme. Et les vestiges précieux conservés, étudiés et rendus accessibles dans la Bibliothèque et dans les Archives, constituent comme le témoignage vivant de la proclamation constante, de la part de l'Eglise, des valeurs évangéliques, à l'origine du véritable humanisme.



4. Très chers frères et soeurs, voilà clairement définies la grandeur et la dignité de votre service, malgré l'humilité apparente des tâches que vous êtes parfois appelés à accomplir. Soyez conscients que, en les accomplissant, vous rendez un service important au Siège apostolique et en particulier au Successeur de Pierre. Vous contribuez de manière significative à établir les conditions qui permettent aux hommes et aux femmes engagés dans le domaine de la culture de trouver la voie qui les conduit à leur Créateur et Sauveur, et ainsi, également, à la véritable et pleine réalisation de leur vocation spécifique en cette période de transition entre le second et le troisième millénaire.

Nous nous trouvons à la veille du grand Jubilé et il est donc opportun de considérer vos divers engagements, également dans les expositions que vous organisez ou auxquelles vous prêtez votre collaboration- parmi celles-ci il faut souligner celle actuellement en cours dans le Salon Sistino intitulée «Devenir saint» - comme des occasions pour vivre le renouveau spirituel auquel nous sommes tous appelés. Aidez ceux qui viennent à la Bibliothèque ou aux Archives, qui visitent les expositions, où qui consultent le matériel documentaire que vous conservez, à recueillir le message qui se dégage de l'ensemble de ces témoignages: il s'agit d'un message qui renvoie à l'initiative salvifique d'un Dieu miséricordieux, qui est Vérité suprême et Bien infini.



5. Pour conclure, je ressens le devoir de vous lancer un appel qui me tient à coeur: aimez, respectez et défendez ce grand patrimoine constitué au cours des siècles par les Pontifes Romains. Il s'agit des biens précieux et inaliénables du Saint-Siège, qu'il faut conserver jalousement. Seul le Souverain Pontife, comme il est clair, peut disposer d'eux. Que chacun sente donc de son devoir d'administrer avec un soin extrême ces biens du Siège apostolique, en ayant conscience de rendre un service à l'Eglise et au monde.

Avec ces voeux, je bénis de tout coeur chacun de vous, ainsi que votre travail quotidien.



AU CONSEIL RÉGIONAL DU LATIUM

Samedi 16 janvier 1999

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Monsieur le Président de la Junte régionale,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Illustres Membres de la Junte et du Conseil,
Mesdames et Messieurs!



1. C'est avec un véritable plaisir que je souhaite la bienvenue à chacun de vous qui, suivant une heureuse tradition désormais bien établie, avez voulu me rencontrer à l'occasion de la nouvelle année. Je vous remercie pour votre présence et je forme des voeux ardents de prospérité et de paix pour la région du Latium, pour vos personnes et pour vos familles.

Je salue en particulier le Président du Conseil régional, M. Luca Borgomeo. Je suis également heureux d'exprimer ma vive reconnaissance à M. Piero Badaloni, Président de la Junte régionale, pour les paroles cordiales qu'il m'a adressées en votre nom et en celui de ceux que vous représentez.

Votre Région, avec ses institutions de grand mérite, son patrimoine humain et chrétien particulier, les lumières et les ombres de la réalité quotidienne, est appelée dans peu de temps - comme l'a souligné le Président - à faire face à l'événement extraordinaire du grand Jubilé de l'Année Sainte 2000. Je connais l'engagement avec lequel depuis plusieurs années déjà, l'Administration régionale se prépare à cette échéance. Je souhaite que les initiatives proposées contribuent à offrir aux pèlerins un accueil digne de la vocation universelle de la Région et des signes de foi présents en elle.



2. Le Jubilé est un événement spirituel qui concerne en premier lieu la vie des croyants. Toutefois, il n'échappe à personne que l'importance de la naissance du Christ pour l'humanité tout entière, la présence vive et active des chrétiens dans le monde et les exemples de profond renouveau que les célébrations jubilaires proposent à la communauté des croyants, font en sorte que l'influence du Jubilé dépasse le cadre de l'Eglise, et concerne d'une certaine façon également la société et les institutions civiles.

En invitant à fixer le regard sur le mystère du Verbe incarné, dans lequel «le mystère de l'homme trouve sa véritable lumière» (Gaudium et spes
GS 22), le Jubilé sollicite les croyants et les non-croyants à faire face au dessein de salut contenu dans les livres de la Bible, pour en recueillir de précieuses indications en ce qui concerne la grandeur de la personne humaine, qui trouve sa plus grande exaltation dans le Christ. Cette perspective invite les administrateurs à reconsidérer la qualité de leur service aux citoyens, à en comprendre à nouveau les motivations profondes, à en purifier toujours plus les intentions et à en améliorer les réalisations.



3. La tradition biblique, reçue et développée par la Doctrine sociale de l'Eglise, présente le Jubilé comme un temps de rétablissement de la justice de Dieu parmi les hommes. Il s'agit d'un aspect de l'événement jubilaire auquel l'administrateur public ne peut être insensible. C'est à lui en effet, qu'il revient de réaliser les attentes de justice et de solidarité des citoyens, en se demandant toujours si tous les efforts ont été accomplis pour offrir à tous des occasions identiques, en particulier en ce qui concerne l'accès au travail, auquel le Président a fait référence de façon explicite.

La réflexion sur la signification profonde du Jubilé incite les administrateurs publics à collaborer de façon constructive avec toutes les forces sociales économiques, à la recherche d'une paix qui naît du refus des privilèges et du respect des droits de tous, en particulier des plus faibles et des personnes marginalisées. Ils sont également encouragés à devenir les promoteurs du dialogue entre citoyens de diverses cultures et religions présents sur le territoire, à combattre toute forme de racisme et d'intolérance, à aider par tous les moyens ceux qui jusqu'à présent ont été pénalisés dans leurs aspirations authentiques.



4. Mesdames et messieurs, j'ai voulu m'arrêter sur certaines exigences que le Jubilé soumet à l'attention responsable de chaque administrateur. Je souhaite que la fête extraordinaire que nous nous apprêtons à célébrer trouve l'institution que vous représentez prête à l'accueillir et à la réaliser.

Je forme des souhaits afin que la Région du Latium puisse puiser à son histoire, à ses richesses religieuses, culturelles et morales de ses populations et à la volonté de service de ses administrateurs l'énergie et le courage nécessaires pour faire du Jubilé un temps de justice et de paix pour tous.

Je renouvelle à chacun de vous le souhait d'une nouvelle année sereine et féconde de bien et je suis heureux de vous offrir, à vous également, la récente Lettre que j'ai adressée au monde du travail dans le cadre de la Mission dans la Ville. Tandis que je vous assure de mon souvenir dans la prière pour votre tâche difficile, j'invoque de tout coeur sur vous, sur vos familles et sur les bien-aimées populations du Latium la Bénédiction de Dieu.



AU CONSEIL PROVINCIAL DE ROME

Lundi 18 janvier 1999

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Monsieur le Président,
Illustres membres de la Junte et du Conseil provincial de Rome,
Mesdames et Messieurs!

1. Soyez les bienvenus! Je suis heureux de vous accueillir, comme c'est la tradition, au début d'une année nouvelle, mais en particulier au début de votre service à la Communauté provinciale de Rome. Je salue cordialement chacun de vous. Je salue en particulier le Président de la Junte provinciale, M. Silvano Moffa, que je remercie pour les paroles qu'il m'a adressées également au nom de ses collègues.

J'ai écouté avec intérêt les réflexions sur les divers thèmes et c'est avec plaisir que j'ai noté l'engagement de privilégier le respect pour la personne humaine, l'attention au rôle de la famille dans la société et le soutien aux forces sociales qui entendent répondre aux si nombreux défis du moment présent. Je ne peux manquer d'encourager ces projets de bien, en invoquant sur vous et sur votre travail une constante assistance divine.



2. Choisis par la volonté populaire pour exercer un service difficile et responsable à la communauté civile, vous êtes appelés à oeuvrer, dans le cadre de vos compétences spécifiques, afin que ceux qui résident dans la province de Rome ou qui, de quelque façon, sont en contact avec elle, puissent envisager avec espérance le présent et l'avenir. Votre mission revêt une haute importance, et l'Eglise y apporte son soutien désintéressé.

En effet, la communauté chrétienne présente sur un territoire ne se sent pas étrangère à celui-ci, à ses problèmes ni à ses développements. S'il est vrai que l'évangélisation sous ses diverses formes et l'activité politique et administrative ne coïncident pas sur le plan de la fin, ni sur celui des moyens, il est toutefois évident que celles-ci peuvent et doivent se rencontrer dans la mission qui est commune à toutes deux: le service à l'homme. Comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer dans ma première Encyclique, l'homme est «la voie de l'Eglise» (Redemptor hominis
RH 14). L'homme doit toujours être la «voie» de l'engagement politique et de la structure administrative: c'est sur cette voie que l'on peut et doit parcourir un chemin de partage qui emploie les énergies des deux parties.



3. Monsieur le Président, dans votre discours, vous venez de faire référence à des orientations et à des intentions qui entendent guider le travail de la Junte et du Conseil provincial. Je souhaite que ne manque jamais cette tension spirituelle, faite de recherche authentique de la vérité, d'honnêteté et de respect pour l'homme, d'attention au bien commun et d'amour pour les frères.

A cet égard, je me permets d'indiquer certaines lignes de réflexion qui peuvent aider votre action administrative et politique. Avant tout, il est important d'identifier une hiérarchie des problèmes et des interventions. Comment affronter la gestion de la vie collective sans établir une échelle de priorités? Monsieur le Président, vous avez souligné à juste titre que des interventions coordonnées et efficaces sont nécessaires en particulier au profit de ceux qui vivent dans des situations difficiles.

Les anciennes et nouvelles formes de pauvreté sautent aux yeux de tous. La société contemporaine, en dépit des progrès indubitables, apparaît encore marquée par un nombre important d'hommes et de femmes qui ont du mal à vivre dans la dignité. C'est selon l'attention portée à ces frères moins favorisés qu'une structure publique se juge et se caractérise comme un instrument au service de la communauté.

Ceux que l'on appelle les «derniers» risquent autrement d'être oubliés, en devenant un appendice toujours plus grand de la société opulente, au lieu d'être au centre de choix et d'orientations générales. Un réseau d'initiatives est donc indispensable qui, notamment grâce aux ressources du volontariat, vise à récupérer, à promouvoir et à intégrer les individus et les groupes.



4. Dans les paroles de Monsieur le Président, j'ai remarqué une attention importante portée au monde des jeunes. C'est vrai, la jeunesse ne peut manquer de constituer l'une des priorités de l'action politique. Les jeunes générations, parfois même de façon inconsciente, invoquent la culture, des idéaux et une spiritualité authentique, comme antidote à ce vide des valeurs dont ils se sentent menacés. La famille, l'école, les diocèses, les paroisses sont appelées, dans le respect de leurs compétences spécifiques, à placer leurs ressources en commun pour offrir à l'univers des jeunes une société et un avenir d'espérance.

Au début, le Président a souligné à juste titre que cette année sera ouverte la Porte Sainte, à travers laquelle nous entrerons dans le grand Jubilé de l'An 2000. Comment ne pas évoquer cet événement de portée mondiale? C'est à lui que toutes les composantes ecclésiales et civiles sont invitées à apporter leur contribution. Le Jubilé, outre le fait d'être un événement spirituel, est également l'occasion d'un profond renouveau de la société, une proposition de repenser les choix personnels et collectifs, un temps favorable pour donner une direction significative à la vie des individus et des communautés.

Le souhait que je forme de tout coeur est que celui-ci marque pour tous une extraordinaire expérience spirituelle. J'accompagne ce souhait de l'assurance d'un rappel constant au Seigneur pour vous, ainsi que pour la mission que vous êtes appelés à accomplir. Avec ces sentiments, j'invoque la Bénédiction de Dieu sur vous, sur vos familles, sur vos collaborateurs et sur toute la population de la province.



AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

21 janvier 1999

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1. L’inauguration solennelle de l’activité judiciaire du tribunal de la Rote romaine me donne la joie de recevoir ceux qui le composent, pour leur exprimer la considération et la gratitude avec lesquelles le Saint-Siège suit et encourage leur travail.

Je salue et remercie Monseigneur le Doyen, qui a dignement interprété les sentiments de tous ceux qui sont ici présents : il a su exprimer avec passion et profondeur les intentions pastorales qui inspirent votre travail de chaque jour.

Je salue le Collège des prélats Auditeurs, en service ou émérites, les Officiers majeurs et mineurs du tribunal, les avocats près la Rote et les élèves du Studio rotal venus avec leurs proches. A tous, mes souhaits cordiaux pour l’année qui vient de commencer.



2. Monseigneur le Doyen a largement traité de la signification pastorale de votre travail et a montré sa grande importance dans la vie quotidienne de l’Eglise. Je partage ce point de vue et je vous encourage à conserver cette perspective dans toutes vos interventions : elle vous met en pleine harmonie avec la finalité suprême de l’Eglise (cf. CIC
CIC 1742). Une autre fois, déjà, j’ai eu l’occasion de souligner cet aspect de votre fonction judiciaire, en me référant particulièrement aux questions concernant les procès (cf. Discours à la Rote du 22 janvier 1996). Aujourd’hui encore, je vous exhorte à faire prévaloir, dans la solution des cas, la recherche de la vérité, en ne faisant usage des formalités juridiques que comme d’un moyen pour parvenir à cette fin.

Le sujet sur lequel je voudrais m’arrêter au cours de cette rencontre est l’analyse de la nature du mariage et de ses connotations essentielles, à la lumière de la loi naturelle.

On connaît l’apport de la jurisprudence de votre tribunal à la connaissance de l’institution matrimoniale ; elle donne un point de référence doctrinal très solide aux autres tribunaux ecclésiastiques (cf. Discours à la Rote, 1981 et 1984 ; Const. apostol. Pastor bonus ). Cela a permis de cerner toujours mieux le contenu essentiel du mariage à partir d'une connaissance de l’homme plus adéquate.

Cependant, à l’horizon du monde contemporain, se fait jour une dégradation diffuse du sens naturel et religieux du mariage, avec des répercussions préoccupantes aussi bien dans le domaine personnel que public. Comme nous le savons tous, on met aujourd’hui en discussion non seulement les propriétés et les finalités du mariage, mais la valeur et l’utilité même de l’institution. Tout en excluant des généralisations indues, il n’est pas possible d’ignorer, à cet égard, le phénomène croissant des simples unions de fait (cf. Exhort. apostol. Familiaris consortio FC 81) et les insistantes campagnes d’opinion qui visent à ce que l’on accorde la dignité conjugale à des unions même entre des personnes de même sexe.

Je n’ai pas l’intention, en un lieu comme celui-ci, où ce qui l’emporte est l’intention de corriger et de " racheter " des situations douloureuses et souvent dramatiques, d’insister dans le blâme et la condamnation [de ces prétentions]. Je veux plutôt rappeler, non seulement à ceux qui font partie de l’Eglise du Christ Seigneur, mais aussi à toutes les personnes soucieuses du véritable progrès humain, la gravité et le caractère irremplaçable de certains principes qui sont au fondement de la convivialité humaine et, plus encore, à la base de la sauvegarde de la dignité de toute personne.



Les exigences de l’amour conjugal

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3. Le coeur, l’élément principal de ces principes, est le concept authentique d’amour conjugal entre deux personnes d’égale dignité, mais distinctes et complémentaires dans leur sexualité.

A l’évidence, cette affirmation doit être comprise correctement, sans tomber dans une équivoque facile où l’on confond parfois un vague sentiment ou même un fort attrait psycho-physique avec l’amour effectif de l’autre, amour qui repose sur un sincère désir de son bien et qui se traduit par un engagement concret afin de le réaliser. Telle est la claire doctrine qu’a exprimée le Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes
GS 49). C’est par ailleurs une des raisons pour lesquelles les deux Codes de droit canonique que j’ai promulgués, le Code latin et le Code oriental, ont déclaré et indiqué que le bonum coniugum [le bien des conjoints] était lui aussi une finalité naturelle du mariage (cf. CIC 1055 § 1; CIO 776 § 1). Le simple sentiment est lié aux changements de l’âme humaine ; et le seul attrait réciproque qui, souvent, vient surtout de poussées irrationnelles et parfois aberrantes, ne peut avoir de stabilité et est donc facilement, sinon fatalement, exposé à s’éteindre.

L’amor coniugalis [l’amour conjugal] n’est donc pas seulement ni surtout un sentiment ; au contraire, il est essentiellement un engagement envers l’autre personne, un engagement pris par un acte précis de volonté. C’est cela qui qualifie cet amor en le rendant coniugalis.Une fois que l’engagement est donné et accepté par l’intermédiaire du consentement, l’amour devient conjugal et ne perd jamais ce caractère. Ce qui est ici en jeu, c’est la fidélité de l’amour, qui s’enracine dans l’obligation librement assumée. Mon prédécesseur, le Pape Paul VI, a affirmé de manière concise lors d'une rencontre avec la Rote, en 1976 : " Ex ultroneo affectus sensu, amor fit officium devinciens " [ " De sentiment spontané, l’amour se transforme en devoir qui engage "].

Déjà, devant la culture juridique de la Rome ancienne, les auteurs chrétiens se sentirent poussés par l’enseignement évangélique à dépasser le principe bien connu selon lequel le lien conjugal existe pour autant que perdure l’affectus maritalis. A cette conception, qui contenait en elle le germe du divorce, ils opposèrent la vision chrétienne qui ramenait le mariage à ses origines d’unité et d’indissolubilité.



4. Ici, apparaît parfois une équivoque : le mariage est identifié ou au moins confondu avec le rite formel et extérieur qui l’accompagne. Certes, la forme juridique du mariage représente une conquête de la civilisation, car elle lui confère importance et aussi efficacité devant la société qui, en conséquence, lui accorde sa protection. Mais, à vous, juristes, le principe selon lequel le mariage consiste essentiellement, nécessairement et uniquement dans le consentement mutuel qu’expriment ceux qui vont se marier, ne vous échappe pas. Ce consentement n’est autre que la prise d’un engagement, consciente et responsable, au moyen d’un acte juridique par lequel, dans la donation réciproque, les époux se promettent un amour total et définitif. Ils sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis d’une manière également libre, mais, au moment où ils posent cet acte, ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui est dû, et qui a également des conséquences de caractère juridique.

Votre expérience judiciaire vous fait toucher du doigt combien ces principes sont enracinés dans la réalité existentielle de la personne humaine. En définitive, la simulation du consentement, pour ne prendre qu’un exemple, n’a d’autre signification que celle de donner au rite matrimonial une valeur purement extérieure, sans que corresponde au rite la volonté d’un don réciproque d’amour, ou d’amour exclusif, ou d’amour indissoluble, ou d’amour fécond. Comment s’étonner qu’un tel mariage soit voué au naufrage ? Lorsqu'ont disparu le sentiment ou l’attrait, il apparaît privé de tout élément de cohésion interne. Il manque, en effet, cet élément oblatif réciproque qui, seul, pourrait assurer sa durée.

Quelque chose de semblable se passe aussi dans les cas ou, par tromperie, quelqu’un a été amené à contracter mariage, ou bien quand une grave contrainte extérieure a ôté la liberté qui est le présupposé de tout don volontaire d’amour.



L’impossibilité de véritables unions entre personnes du même sexe

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5. A la lumière de ces principes, on peut établir et comprendre la différence essentielle qui existe entre une pure union de fait - même si elle prétend être enracinée dans l’amour - et le mariage, où l’amour se traduit par un engagement non seulement moral mais rigoureusement juridique. Le lien, assumé réciproquement, développe en retour efficacité et force à l’égard de l’amour dont il naît ; il favorise sa persistance au bénéfice du conjoint, des enfants et de la société elle-même.

C’est à la lumière des principes que je viens de mentionner que se révèle toute l’incongruité de la prétention d’attribuer une réalité " conjugale " à l’union entre personnes du même sexe. En tout premier lieu, s’y oppose l’impossibilité objective de faire fructifier cette association par la transmission de la vie, selon le projet inscrit par Dieu dans la structure même de l’être humain. En outre, un autre obstacle se trouve dans l’absence des conditions nécessaires à cette complémentarité interpersonnelle que le Créateur a voulue, tant sur le plan physique et biologique qu’au plan éminemment psychologique, entre l’homme et la femme. Ce n’est qu’entre deux personnes sexuellement différentes que peut se réaliser le perfectionnement de l’individu, dans une synthèse d’unité et de complément mutuel psycho-physique. Dans cette perspective, l’amour n’est pas une fin en lui-même et ne se réduit pas à la rencontre corporelle entre deux êtres, mais il est une relation interpersonnelle profonde qui parvient à son couronnement dans le don réciproque plénier et la coopération avec Dieu Créateur, source ultime de toute nouvelle existence humaine.



6. Comme on le sait, ces déviances par rapport à la loi naturelle, inscrite par Dieu dans la nature de la personne, voudraient trouver leur justification dans la liberté, qui est une prérogative de l’être humain. En réalité il s’agit dune justification qui cache son véritable motif. Tout croyant sait que la liberté est - comme le dit Dante - " le plus grand don que Dieu, dans sa largesse, nous a fait en nous créant, et le plus conforme à sa bonté " (Paradis, 5, 19-21), mais que c’est un don qui doit être bien compris pour ne pas se transformer en une occasion de chute pour la dignité humaine. Concevoir la liberté comme une permission morale ou même juridique d’enfreindre la loi, c’est travestir sa vraie nature. Celle-ci, en effet, consiste en la possibilité qu’a l’être humain de se conformer de manière responsable, c’est-à-dire par un choix personnel, à la volonté divine exprimée dans la loi, pour devenir ainsi toujours plus semblable à son Créateur (cf.
Gn 1,26).

J’écrivais déjà dans mon Encyclique Veritatis splendor : " Assurément, l’homme est libre du fait qu’il peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu. Et il jouit d'une liberté très considérable, puisqu’il peut manger “de tous les arbres du jardin”. Mais cette liberté n’est pas illimitée : elle doit s’arrêter devant “l’arbre de la connaissance du bien et du mal”, car elle est appelée à accepter la loi morale que Dieu donne à l’homme. En réalité, c’est dans cette acceptation que la liberté humaine trouve sa réalisation plénière et véritable. Dieu, qui seul est bon, connaît parfaitement ce qui est bon pour l’homme en vertu de son amour même, il le lui propose dans ses commandements " (VS 35).

La rubrique quotidienne des faits divers apporte malheureusement d’amples confirmations quant aux misérables fruits que de telles aberrations par rapport à la norme divino-naturelle finissent par produire. Il semble que se renouvelle de nos jours la situation dont l’apôtre Paul parle dans sa Lettre aux Romains : " Comme ils n’ont pas jugé bon de garder la vraie connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à une façon de penser dépourvue de jugement. Ils font ce qu’ils ne devraient pas " (Rm 1,28).



7. La référence inévitable aux problèmes du moment présent ne doit pas nous conduire au découragement ni à la résignation. Elle doit au contraire nous stimuler à un engagement plus décisif et plus ciblé. L’Eglise et, en conséquence, la loi canonique reconnaissent à tout homme la faculté de contracter mariage (cf. CIC 1058 CIC 1058 ; CIO 778) : une faculté cependant qui ne peut être exercée que par ceux " qui iure non prohibentur " [qui n’en sont pas empêché par le droit]. Ceux-là sont, en premier lieu, ceux qui ont une maturité psychique suffisante quant à sa double composante : intelligence et volonté, en même temps que la capacité d’accomplir les devoirs essentiels de l’institution matrimoniale (cf. CIC 1095 CIC 1095 ; CIO 818). A cet égard, je ne peux pas ne pas rappeler, une fois encore, ce que j’ai dit, précisément devant ce tribunal, dans mes discours de 1987 et 1988 : un élargissement indu de ces exigences personnelles, reconnues par la loi de l’Eglise, finirait par infliger une très grave blessure à ce droit au mariage qui est inaliénable et échappe à quelque pouvoir humain que ce soit.

Je ne m’arrête pas ici sur d’autres conditions posées par la législation canonique pour que le consentement matrimonial soit valable. Je me limite à souligner la grave responsabilité qui incombe aux Pasteurs de l’Eglise de Dieu de veiller à ce que les futurs époux reçoivent une préparation adéquate et sérieuse : en effet, c’est seulement ainsi que l’on peut susciter chez ceux qui s’apprêtent à célébrer leur mariage les conditions intellectuelles, morales et spirituelles, nécessaires pour prendre conscience de la réalité naturelle et sacramentelle du mariage.

Bien chers Prélats et Officiers, je confie ces réflexions à votre esprit et à votre coeur, en connaissant bien l’esprit de fidélité qui anime votre travail, par lequel vous voulez mettre pleinement en oeuvre les normes de l’Eglise, dans la recherche du vrai bien du Peuple de Dieu. Pour conforter votre travail, je vous accorde affectueusement, à vous tous qui êtes ici présents, ainsi qu’à tous ceux qui sont liés de quelque manière au tribunal de la Rote, ma Bénédiction apostolique.




Discours 1999 6