Discours 1999 12


VOYAGE DU PAPE AU MEXIQUE


À L'ARRIVÉE À L'AÉROPORT INTERNATIONAL DE LA VILLE DE MEXICO

Vendredi 22 janvier 1999

13 Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Cardinaux, chers frères dans l'épiscopat,
Très chers frères et soeurs du Mexique,



1. Comme il y a vingt ans, je viens aujourd'hui au Mexique et c'est pour moi une immense joie de me trouver à nouveau sur cette terre bénie, ou la Vierge de Guadalupe est vénérée comme une Mère bien-aimée. Comme à l'époque, ainsi que lors de mes deux visites successives, je viens en tant qu'Apôtre de Jésus-Christ et Successeur de saint Pierre pour confirmer mes frères dans la foi, en annonçant l'Evangile à tous les hommes et à toutes les femmes. En outre, votre capitale sera à cette occasion le lieu d'une rencontre privilégiée et exceptionnelle pour un rendez-vous historique: avec tous les évêques du continent américain, je présenterai demain, dans la Basilique de Guadalupe, les fruits du Synode qui s'est déroulé à Rome, il y a un an.

Les évêques d'Amérique tracèrent alors les lignes fondamentales de l'action pastorale pour l'avenir, et nous souhaitons que, à partir de la foi que nous partageons, elle puisse répondre pleinement au plan salvifique de Dieu et à la dignité de l'être humain dans le cadre de sociétés justes, réconciliées et ouvertes à un progrès technique qui soit en harmonie avec le progrès moral nécessaire. Telle est l'espérance des évêques et des fidèles qui expriment leur foi catholique en espagnol, en anglais, en portugais, en français et dans les multiples langues propres aux cultures autochtones, qui représentent les racines de ce continent de l'espérance.

Cet après-midi, au siège de la Nonciature, j'aurai la joie de signer l'Exhortation apostolique dans laquelle j'ai réuni les idées et les propositions exprimées par l'épiscopat d'Amérique. A travers la nouvelle évangélisation, l'Eglise désire mieux révéler son identité: être plus proche du Christ et de sa Parole; se montrer authentique et libre de tout conditionnement terrestre; se placer davantage au service de l'homme dans une perspective évangélique; être un ferment d'unité et non de division pour l'humanité qui s'ouvre à de nouveaux et plus vastes horizons, mais qui ne sont pas encore bien définis.



2. Je suis heureux de saluer à présent M. Ernesto Zedillo Ponce de León, Président des Etats-Unis du Mexique, et de le remercier pour les paroles courtoises qu'il a voulu m'adresser pour me souhaiter la bienvenue. A travers vous, Monsieur le Président, je salue tout le peuple mexicain, ce noble et bien-aimé peuple qui travaille, prie et chemine à la recherche d'un avenir toujours meilleur dans les vastes plaines du Sonora ou de Chihuahua, dans les forêts tropicales de Veracruz ou du Chiapas, dans les centres industriels dynamiques du Nuevo León ou de Coahuila, sur les pentes des grands volcans qui s'élèvent dans les vallées sereines de Puebla et de Mexico, dans les ports accueillants de l'Atlantique et du Pacifique. Je salue également les millions de Mexicains qui vivent et travaillent au-delà des frontières nationales. Ce voyage revêtant un caractère continental, je salue également tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, suivent ces événements.

Je salue avec affection mes frères dans l'épiscopat, en particulier le Cardinal Norberto Rivera Carrera, Archevêque-Primat de Mexico, le Président et les membres de la Conférence épiscopale mexicaine, ainsi que les autres évêques qui sont venus de divers pays pour participer aux manifestations de cette visite pastorale et, de cette façon, renouveler et renforcer les liens étroits de communion et d'affection entre toutes les Eglises particulières du continent américain, de l'Alaska à la Terre de Feu. Dans ce salut, mon coeur s'ouvre également avec une grande affection aux bien-aimés prêtres, aux diacres, aux religieux, aux religieuses, aux catéchistes et aux fidèles, auxquels je me donne dans le Seigneur. Veuille Dieu que cette visite qui commence aujourd'hui serve d'encouragement à tous, dans l'effort généreux pour annoncer Jésus-Christ avec une ardeur renouvelée en vue du nouveau millénaire qui approche.



3. Depuis qu'il m'a accueilli il y a vingt ans, les bras ouverts et plein d'espérance, le peuple mexicain m'a accompagné le long de nombreux chemins parcourus. J'ai rencontré des Mexicains lors des audiences générales du mercredi et lors des grands événements que l'Eglise a célébrés à Rome et en d'autres lieux de l'Amérique et du monde. Les salutations avec lesquelles ils m'accueillent toujours retentissent encore à mes oreilles: Mexique toujours fidèle et toujours présent!

Je viens dans un pays où la foi catholique servit de fondement au métissage qui a transformé l'antique pluralité ethnique et les rivalités en unité fraternelle et de destin. Il n'est donc pas possible de comprendre le Mexique sans la foi qui fut apportée d'Espagne sur ces terres par les douze premiers franciscains et qui fut consolidée ensuite par les dominicains, les jésuites, les augustins et d'autres prédicateurs de la Parole salvifique du Christ. Outre l'oeuvre d'évangélisation, qui fait du catholicisme une partie intégrante et fondamentale de l'âme de la nation, les missionnaires laissèrent de profondes traces culturelles et de merveilleuses expressions d'art qui sont aujourd'hui motif d'un orgueil légitime pour tous les Mexicains et une riche expression de leur civilisation.

Je viens dans un pays dont l'histoire est traversée, comme des fleuves parfois occultes mais toujours abondants, par trois réalités qui se rencontrent à certains moments et qui à d'autres révèlent leur différences complémentaires, sans jamais se confondre entièrement: l'ancienne et riche sensibilité des peuples autochtones qui aimèrent Juan de Zumárraga et Vasco de Quiroga, que beaucoup de ces peuples continuent à appeler pères, le christianisme enraciné dans l'âme des Mexicains et la rationalité moderne, d'origine européenne, qui a tant de fois voulu exalter l'indépendance et la liberté. Je sais qu'il existe de nombreux esprits clairvoyants qui s'efforcent de faire en sorte que ces courants de pensée et de culture réussissent à conjuguer le mieux possible leurs flux abondants à travers le dialogue, le développement socio-culturel et la volonté de construire un avenir meilleur.

Je viens à vous, Mexicains de toutes les classes et conditions sociales et à vous, frères du continent américain, pour vous saluer au nom du Christ: le Dieu qui se fit homme afin que tous les hommes puissent prendre conscience de leur appel à la filiation divine dans le Christ. Avec mes frères évêques du Mexique et de toute l'Amérique, je viens m'agenouiller devant le manteau du bienheureux Juan Diego. Je demanderai à la Très Sainte Vierge Marie de Guadalupe, à la fin d'un millénaire fécond et tourmenté, qu'au cours du prochain millénaire, au Mexique, en Amérique et dans le monde entier, s'ouvrent des voies sûres de fraternité et de paix. Une fraternité et une paix qui peuvent trouver en Jésus-Christ des bases sûres et de vastes voies de progrès. Dans la paix du Christ, je souhaite à tous les Mexicains d'avoir du succès dans la recherche de la concorde, car ils constituent une grande nation qui les rend frères.



4. Etant déjà agenouillé, en esprit, devant la Morenita du Tepeyac, Reine du Mexique et impératrice d'Amérique, je confie dès à présent à sa sollicitude maternelle le destin de cette nation et de tout le continent. Puissent le nouveau siècle et le nouveau millénaire favoriser une renaissance générale sous le regard du Christ, notre vie et notre espérance, Lui qui nous offre toujours des voies de fraternité et de saine coexistence humaine! Que la Vierge de Guadalupe aide le Mexique et l'Amérique à marcher unis sur ces sentiers sûrs et emplis de lumière!


AUX MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE

Samedi 23 janvier 1999

14
Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Ambassadeurs et chefs de mission,
Mesdames et Messieurs,

1. Je suis profondément reconnaissant à Monsieur le Président Ernesto Zedillo Ponce de Léon pour les paroles courtoises avec lesquelles il m'a présenté aux chefs de mission accrédités au Mexique. Le fait de les présenter au Pape dans cette Résidence officielle de «Los Pinos» est un geste de déférence que j'apprécie beaucoup.

Dans le cadre de cette visite pastorale, je suis très heureux de vous rencontrer, vous qui êtes responsables des relations de vos Etats respectifs avec le Mexique et qui les renforcez à travers le dialogue et la coopération, attestant dans le même temps de l'importance de cette nation dans le monde. Vous représentez en outre la Communauté internationale avec laquelle le Saint-Siège entretient des relations anciennes et solidement établies confirmant une tradition séculaire qui acquiert chaque jour une vigueur renouvelée.



2. Nous vivons dans un monde qui apparaît à la fois complexe et unitaire; les diverses communautés qui le composent se rapprochent toujours plus et les systèmes financiers et économiques dont dépend le développement intégral de l'humanité sont plus vastes et rapides. Cette interdépendance croissante conduit à de nouvelles étapes de progrès, mais comporte également le danger de limiter sérieusement la liberté personnelle et communautaire propre à toute vie démocratique. C'est pourquoi il est nécessaire de favoriser un système social qui permette à tous les peuples de participer activement à la promotion d'un progrès intégral; dans le cas contraire, de nombreux peuples pourraient se voir dans l'impossibilité d'atteindre ce progrès.

Le progrès actuel, qui n'a pas d'égal dans le passé, doit permettre à tous les êtres humains de voir leur dignité garantie et d'acquérir une plus haute conscience de la grandeur de leur destin. Toutefois, le progrès soumet également l'homme - du plus puissant au plus faible du point de vue social et politique - au danger de ne devenir qu'un nombre ou un facteur économique (cf. Centesimus annus
CA 49). Dans ce cas, l'être humain pourrait progressivement perdre la conscience de sa valeur transcendante. C'est cette conscience - parfois claire, parfois implicite - qui rend l'homme différent de tous les autres êtres de la nature.



3. L'Eglise, fidèle à la mission reçue de son fondateur, proclame inlassablement que la personne humaine doit être au centre de tout ordre civil et social et de tout système de développement technique et économique. L'histoire humaine ne peut aller contre l'homme. Cela équivaudrait à aller contre Dieu, dont l'image vivante est l'homme, même lorsque celle-ci est déformée par l'erreur ou la prévarication.

15 Telle est la conviction que l'Eglise veut présenter aux Nations unies ou dans le cadre du dialogue qu'elle entretient avec vous, membres du Corps diplomatique, ainsi qu'avec les autorités que vous représentez dans les divers pays du monde. De ces principes découlent d'importantes valeurs morales et civiles que les évêques d'Amérique réunis à Rome au cours du Synode de 1997 ont mises en relief.



4. Parmi ces valeurs se distinguent celles de la conversion des esprits et de la solidarité entre les divers groupes humains comme éléments fondamentaux pour l'actuelle vie sociale au niveau national et international. La vie internationale exige comme bases certaines valeurs morales communes et certaines règles communes de collaboration. Il ne fait aucun doute que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont nous avons célébré l'an dernier le 50e anniversaire, ainsi que d'autres documents de valeur universelle, offrent des éléments importants dans la recherche de cette base morale, commune à tous les pays ou, tout au moins, à un grand nombre d'entre eux.

Si nous observons l'horizon mondial, nous nous apercevons qu'il existe certaines situations aisément contestables. Le pouvoir des pays industrialisés de- vient chaque jour plus fort par rapport à celui des pays en voie de développement. Dans les relations internationales, on donne parfois la priorité à l'économie plutôt qu'aux valeurs humaines; la liberté et la démocratie font les frais de cet affaiblissement. D'autre part, la course aux armements nous prouve que, si dans de nombreux cas, les ar- mes sont destinées à la défense, dans d'autres, ce sont des instruments véritablement offensifs, utilisés au nom d'idéologies qui ne respectent pas toujours la dignité humaine. Malheureusement, le phénomène de la corruption a envahi de vastes couches du tissu social chez certains peuples, sans que ceux qui en subissent les conséquences aient toujours la possibilité d'exiger la justice et d'identifier les responsabilités. L'individualisme imprègne également la vie internationale, à tel point que les peuples puissants le deviennent chaque jour un peu plus et que les peuples faibles deviennent chaque jour plus dépendants.



5. Face à cet horizon, une conversion correcte des esprits et une solidarité effective s'imposent avec urgence, non seulement théoriques, mais entre les personnes et les groupes humains. C'est ce que, avec le Pape, l'épiscopat latino-américain propose depuis des décennies. C'est ce qu'ont demandé les évêques du continent américain réunis en Synode. A ce propos, il convient de signaler les nombreuses initiatives d'aide aux populations de l'Amérique centrale tout proche, frappées par l'ouragan Mitch, auxquelles le Mexique a participé généreusement avec d'autres nations, apportant ainsi la preuve de son sens commun de fraternité et de solidarité.

L'Amérique est un continent qui englobe des pays grands et techniquement développés et d'autres, relativement petits, dont les degrés de développement sont très divers. Même au sein d'un même pays, comme dans le cas du Mexique, coexistent des situations sociales et humaines très diverses, qu'il est nécessaire d'affronter en conservant toujours un profond respect et le sens de la justice et en utilisant de façon inlassable les ressources du dialogue et de la négociation.

L'Amérique constitue une unité humaine et géographique allant du Pôle nord au Pôle sud. Bien que son passé puise ses racines dans des cultures ancestrales - comme les cultures mayas, olmèques, aztèques ou incas - en étant en contact depuis plus de cinq siècles avec le vieux continent et avec le christianisme, elle s'est transformée en une unité de destin, singulière dans le monde. L'Amérique constitue en soi un espace particulièrement approprié pour promouvoir des valeurs communes capables de garantir une conversion efficace des esprits, en particulier de ceux qui ont des responsabilités nationales et internationales.



6. Ce continent pourrait être le «continent de l'Espérance» si les communautés humaines qui le composent, ainsi que leurs classes dirigeantes, adoptaient une base éthique commune. L'Eglise catholique et les autres grandes confessions religieuses présentes en Amérique peuvent apporter à cette éthique commune des éléments spécifiques qui permettent aux consciences de ne pas être limitées par des idées issues de purs accords de circonstance. L'Amérique et l'humanité tout entière ont besoin de points de référence essentiels pour tous les citoyens et les responsables politiques. «Tu ne tueras pas», «tu ne porteras pas de témoignage mensonger», «tu ne voleras pas et tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain», «tu respecteras la dignité fondamentale de la personne humaine» dans ses dimensions physiques et morales, sont des principes intangibles, inscrits dans le Décalogue commun aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans, et proches des normes des autres grandes religions. Il s'agit de principes qui obligent la personne humaine ainsi que les diverses sociétés.

Ces principes, ainsi que d'autres semblables, doivent constituer un bouclier contre toute atteinte à la vie, de son début à son terme naturel; contre les guerres territoriales et l'utilisation des armes comme instruments de destruction; contre la corruption qui mine de vastes couches de la société, parfois dans des proportions qui vont au-delà des frontières nationales, contre l'invasion abusive de la sphère privée de la part des pouvoirs qui approuvent des stérilisations forcées ou des lois qui limitent le droit à la vie; contre de fausses campagnes publicitaires qui conditionnent la vérité et qui déterminent le style de vie de peuples entiers; contre les monopoles qui cherchent à empêcher de saines initiatives et à limiter la croissance de sociétés entières; contre la diffusion de l'utilisation de drogues qui détruisent la force des jeunes et qui peuvent même les tuer.



7. Beaucoup a été fait dans ce sens. Les conventions internationales ayant pour but de mettre un terme à certains de ces abus abondent. Des groupes de nations s'associent pour créer des espaces économiques où la vie politique, économique et sociale puisse être correctement orientée et mieux protégée par des principes plus justes et conformes aux droits de chaque citoyen, de chaque peuple et de chaque culture.

Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Nous sommes à la fin d'un siècle et d'un millénaire qui, en dépit des grandes victoires remportées par la science et la technique, laissent derrière eux des cicatrices évidentes qui rappellent, parfois de façon tragique, le peu d'attention prêtée aux principes moraux mentionnés. Plutôt que de les voir ultérieurement violés, il est nécessaire que dans le nouveau siècle et dans le nouveau millénaire, leur force éthique, qui possède une obligation morale, se renforce.



8. Aucun autre intérêt, sinon celui de défendre la dignité de l'homme et aucune autre autorité, sinon celle de la Parole divine, ne me poussent à vous faire part de ces considérations. Cette Parole n'est pas la mienne, mais celle de Dieu qui s'est fait homme afin que l'homme devienne son fils. Etranger aux intérêts partisans, je vous offre aujourd'hui ces réflexions dans l'espoir qu'elles puissent vous aider dans votre travail diplomatique et également dans votre vie personnelle, désireux de contribuer à l'édification d'un monde plus humain et plus juste que celui que nous offrent le siècle et le millénaire qui sont sur le point de se conclure. Que dans un avenir proche prédomine le respect pour la vie, pour la vérité et pour la dignité de tout être humain! Telle est la tâche urgente qui vous attend. Que Dieu bénisse l'oeuvre que Vous portez à terme! Qu'il bénisse le Mexique et les pays que vous représentez, dans cette ville privilégiée où l'Amérique et le monde se rencontrent et dialoguent! Merci de votre attention.



AUX MALADES DE L'HÔPITAL "A. LOPEZ MATEOS"

Dimanche 24 janvier 1999

16
Chers frères et soeurs,

1. Comme lors d'autres visites pastorales dans le monde entier, au cours de ce quatrième voyage au Mexique, j'ai également voulu partager avec vous, chers malades hospitalisés dans ce centre qui porte le nom de «Adolfo López Mateos» - et par votre intermédiaire avec tous les autres malades du pays - quelques moments de prière et d'espérance. Je désire vous assurer de mon affection et, dans le même temps, je m'associe à votre prière et à celle de vos proches en demandant à Dieu, par l'intercession de la Très Sainte Vierge de Guadalupe, la légitime santé du corps et de l'âme, la complète identification de vos souffrances avec celles du Christ à la recherche des raisons qui, fondées sur la foi, nous aident à comprendre la signification de la douleur humaine.

Je me sens très proche de tous ceux qui souffrent, ainsi que des médecins et de tout le personnel de la santé qui prêtent leur service aux malades avec abnégation. Je voudrais que ma voix franchisse ces murs pour apporter la voix du Christ à tous les malades et au personnel du monde de la santé, et offrir ainsi une parole de réconfort dans la maladie et d'encouragement dans la mission d'assistance, en rappelant de façon particulière la valeur que la douleur possède dans le cadre de l'oeuvre rédemptrice du Sauveur.

Rester à vos côtés, vous servir avec amour et compétence, n'est pas qu'une oeuvre humanitaire et sociale, mais également et surtout une activité éminemment évangélique, car le Christ lui-même nous invite à imiter le bon samaritain, qui rencontrant sur sa route un homme qui souffrait ne «passa pas outre», mais «fut pris de pitié. Il s'approcha, banda ses plaies [...] et prit soin de lui» (
Lc 10,32-34). De nombreuses pages de l'Evangile nous décrivent la rencontre de Jésus avec des personnes affectées par diverses maladies. Ainsi, saint Matthieu nous dit que «Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple. Sa renommée gagna toute la Syrie, et on lui présenta tous les malades atteints de divers maux et tourments, des démoniaques, des lunatiques, des paralytiques, et il les guérit» (Mt 4,23-24). Saint Pierre, suivant les pas du Christ, fit marcher un impotent près de la porte du Temple appelée la Belle (cf. Ac 3,2-5) et, lorsque le bruit de ce qui était arrivé se répandit, «on allait jusqu'à transporter les malades dans les rues et les déposer là sur des lits et des grabats, afin que tout au moins l'ombre de Pierre, à son passage, couvrit l'un d'eux» (Ibid. Ac Ac 5,15-16). Dès ses origines, l'Eglise, sous la motion de l'Esprit Saint, a voulu suivre l'exemple de Jésus sur cette voie et elle considère donc un devoir et un privilège de rester aux côtés de celui qui souffre, cultivant un amour préférentiel pour les malades. C'est pourquoi, dans la Lettre apostolique Salvifici doloris, j'ai écrit: «L'Eglise, qui naît du mystère de la Rédemption dans la Croix du Christ, a le devoir de rechercher la rencontre avec l'homme d'une façon particulière sur le chemin de la souffrance. C'est dans cette rencontre que l'homme "devient la route de l'Eglise"» (n. 3).



2. L'homme est appelé à la joie et à une vie heureuse, mais il fait quotidiennement l'expérience de nombreuses formes de douleur et la maladie est l'expression la plus fréquente et la plus commune de la souffrance humaine. Face à cela, on se demande spontanément: Pourquoi souffrons-nous? Pour quelle raison souffrons-nous? La souffrance des personnes a-t-elle une signification? L'expérience de la douleur physique ou morale peut-elle être positive? Chacun de nous se sera posé, sans aucun doute, plus d'une fois ces questions, sur un lit de douleur, au cours d'une convalescence, avant de subir une intervention chirurgicale ou lorsqu'on a vu souffrir une personne chère.

Pour les chrétiens, ce sont des interrogations sans réponse. La douleur est un mystère, très souvent insondable pour la raison. Elle appartient au mystère de la personne humaine, qui ne s'éclaire qu'en Jésus-Christ, qui est Celui qui révèle à l'homme sa propre identité. Ce n'est qu'à partir de Lui que nous pourrons découvrir le sens de tout ce qui est humain. La souffrance - comme je l'ai écrit dans la Lettre apostolique Salvifici doloris - «ne peut être transformée par une grâce venant du dehors, mais par une grâce intérieure. [...] Mais un tel processus intérieur ne se développe pas toujours de la même manière. [...] Le Christ, en effet, ne répond ni directement, ni de manière abstraite à cette interrogation humaine sur le sens de la souffrance. L'homme entend sa réponse salvifique au fur et à mesure qu'il devient participant des souffrances du Christ. La réponse qui vient ainsi dans cette participation... est... un appel...: "Suis-moi"! Viens! Prends part avec ta souffrance à cette oeuvre du salut du monde qui s'accomplit par ma propre souffrance! Par ma Croix!» (n. 26). C'est pourquoi, devant l'énigme de la douleur, nous chrétiens pouvons dire avec fermeté: «Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux» (Mt 26,39).



3. La grandeur et la dignité de l'homme consistent à être fils de Dieu et à être appelé à vivre en union intime avec le Christ. Cette participation à sa vie comporte le partage de la douleur. Le plus innocent des hommes - le Dieu qui s'est fait homme - a été une personne qui a profondément souffert, qui a pris sur elle nos erreurs et nos péchés. Lorsqu'Il annonce à ses disciples que le Fils de l'Homme devra beaucoup souffrir, être crucifié et ressusciter le troisième jour, il avertit également que si quelqu'un veut Le suivre, il doit se renier lui-même, prendre sa propre croix et Le suivre (cf. Lc 9,22 et sq.). Il existe donc une relation intime entre la Croix de Jésus - symbole de la douleur suprême et prix de notre liberté véritable - et nos douleurs, les souffrances, l'affliction, les peines et les tourments qui peuvent peser sur notre âme ou s'enraciner dans notre corps. La souffrance se transforme et se transcende lorsqu'on est conscient de la proximité et de la solidarité de Dieu en ces moments. Telle est la certitude que procurent la paix intérieure et la joie spirituelle propre à l'homme qui souffre avec générosité et qui offre sa propre douleur «comme sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu» (Rm 12,1). Celui qui souffre avec ces sentiments n'est pas un poids pour les autres, mais contribue au salut de tous à travers sa propre souffrance.

Ainsi considérés, la douleur, la maladie et les moments sombres de l'existence humaine acquièrent une dimension profonde et porteuse d'espérance. On n'est jamais seul devant le mystère de la souffrance: on est avec le Christ, qui donne un sens à toute la vie: aux moments de paix et de joie, ainsi qu'aux moments de peine et de douleur. Avec le Christ, tout possède un sens, y compris la souffrance et la mort; sans Lui, rien ne peut être pleinement expliqué, pas même les plaisirs légitimes que Dieu a associés aux divers moments de l'existence humaine.



4. La situation des malades dans le monde et dans l'Eglise n'est en aucune façon passive. A ce propos, je désire rappeler les paroles que les Pères synodaux leur adressèrent au terme de leur VIIème Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques: «Nous comptons sur vous pour enseigner au monde entier ce que signifie l'amour. Nous ferons tout notre possible pour trouver la place à laquelle vous avez droit dans la société et dans l'Eglise» (Per Concilii semitas ad Populum Dei Nuntius, n. 12). Comme je l'ai écrit dans mon Exhortation apostolique Christifideles laici: «A tous et à chacun s'adresse l'appel du Seigneur: les malades eux aussi sont envoyés comme des ouvriers dans sa vigne. Le poids qui fatigue les membres du corps et ébranle la sérénité de l'âme, loin de les détourner d'aller travailler à la vigne, les invite à vivre leur vocation humaine et chrétienne et à participer à la croissance du Royaume de Dieu sous des modalités nouvelles et même plus précieuses [...] beaucoup de malades peuvent devenir porteurs de la "joie de l'Esprit Saint au milieu de bien des épreuves " (1Th 1,6) et être des témoins de la Résurrection de Jésus» (CL 53). Dans cette optique, il est opportun d'avoir à l'esprit que ceux qui vivent une situation de maladie ne sont pas seulement appelés à unir leur douleur à la Passion du Christ, mais également à participer activement à l'annonce de l'Evangile, en témoignant, à partir de leur expérience de foi, la force de la vie nouvelle et la joie qui dérivent de la rencontre avec le Seigneur ressuscité (cf. 2Co 4,10-11 1P 4,13 Rm 8,18 et sq. )

A travers ces réflexions, j'ai voulu susciter en chacun de vous des sentiments qui portent à vivre les épreuves présentes avec un sens surnaturel, en sachant voir en elles une occasion pour découvrir Dieu au milieu des ténèbres et des interrogations et pour imaginer les vastes horizons que l'on aperçoit du haut de nos croix quotidiennes.



5. Je désire étendre mon salut à tous les malades du Mexique, dont beaucoup suivent cette visite à la radio ou à la télévision; à leurs proches, à leurs amis et à ceux qui les aident dans ces moments d'épreuve, au personnel médical et paramédical qui offre la contribution de son savoir et ses soins attentifs pour les surmonter ou, tout au moins, les rendre plus supportable, aux autorités civiles qui ont le souci de développer les hôpitaux et les autres centres de soin des divers Etats et de tout le pays. Je désire mentionner en particulier les personnes consacrées qui vivent leur charisme religieux dans le domaine de la santé, ainsi que les prêtres et les autres agents de pastorale qui les aident à trouver dans la foi le réconfort et l'espérance.

Je ne peux que rendre grâce pour les prières et les sacrifices que beaucoup d'entre vous offrent pour ma personne et pour mon ministère de pasteur de l'Eglise universelle.

En remettant ce Message à Mgr José Lizares Estrada, Evêque auxiliaire de Monterrey et Président de la Commission épiscopale pour la Pastorale des Services de la Santé, je vous renouvelle mon salut et mon affection dans le Seigneur et, par l'intercession de la Vierge de Guadalupe, qui dit au bienheureux Juan Diego: «Ne suis-je pas ta santé?» - se manifestant ainsi comme celle que nous, chrétiens, invoquons avec le titre de «Salus infirmorum», je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.



LORS DE LA RENCONTRE AVEC LES QUATRE GÉNÉRATIONS DU SIÈCLE AU STADE AZTÈQUE

Lundi 25 janvier 1999

17

Ière PARTIE - La fin d'un siècle et d'un millénaire à la lumière du Concile Vatican II

Frères et soeurs bien-aimés,

1. D'ici peu se concluront un siècle et un millénaire ô combien importants pour l'histoire de l'Eglise et de l'humanité. En ce moment significatif, vous êtes appelés a prendre une conscience renouvelée du fait que vous êtes les dépositaires d'une riche tradition humaine et religieuse. Votre devoir est de transmettre aux nouvelles générations ce patrimoine de valeurs pour en alimenter la vitalité et l'espérance, les faisant participer à la foi chrétienne qui a forgé leur passé et qui doit caractériser leur avenir.

Il y a mille ans, en l'an 999 de notre ère, la fureur de ceux qui adoraient un dieu violent, se définissant ses représentants, fit disparaître Quetzalcóatl, le roi-prophète des Toltèques, car celui-ci s'opposait à l'utilisation de la force pour résoudre les conflits humains. Peu avant sa mort, il serrait dans ses mains une croix qui, pour lui et ses disciples, symbolisait le point de rencontre entre toutes les idées à la recherche de l'harmonie. Il avait transmis à son peuple ces enseignements élevés: «Le bien s'imposera toujours sur le mal». «L'homme est le centre de tout le créé». «Les armes ne seront jamais les compagnes de la parole; c'est elle qui disperse les nuages de la tourmente afin que pénètre en nous la lumière divine» (cf. Raúl Horta, El humanismo en el Nuevo Mundo, chap. II). Dans ces enseignements - ainsi que dans d'autres - de Quetzalcóatl, nous pouvons voir une «préparation à l'Evangile» (cf. Lumen gentium LG 16) que les ancêtres d'un grand nombre d'entre vous devaient avoir la joie d'accueillir cinq cents ans plus tard.



2. Ce millénaire a été le témoin de la rencontre entre deux mondes, en traçant une route nouvelle dans l'histoire de l'humanité. Pour vous, c'est le millénaire de la rencontre avec le Christ, des apparitions de sainte Marie de Guadalupe sur le Tepeyac, de la première évangélisation et par la suite, de l'établissement de l'Eglise en Amérique.

Les cinq derniers siècles ont laissé une empreinte décisive sur l'identité et le destin du continent. Il s'agit de cinq cents ans d'histoire commune, tissée parmi les populations autochtones et les peuples provenant d'Europe, auxquels s'ajoutèrent successivement ceux provenant d'Afrique et d'Asie. Avec le phénomène caractéristique du métissage, il est devenu évident que toutes les races possèdent une égale dignité et un droit à leur culture. Au cours de ce processus long et difficile, le Christ a été constamment présent sur le chemin des peuples américains, leur donnant comme Mère sa propre mère, la Vierge Marie, que vous aimez tant.



Discours 1999 12