Discours 1999 39


AUX MEMBRES DU COMITÉ D'ORGANISATION DE LA "CONFÉRENCE INTERNATIONALE BETHLÉEM 2000"

Vendredi 19 février 1999

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Excellences,
chers amis,

Je vous souhaite une cordiale bienvenue ce matin, à vous, membres du Comité d'Organisation du Forum international «Bethléem 2000». Je salue en particulier Monsieur l'Ambassadeur Ibra Deguène Ka, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations unies et Président du Comité, ainsi que Sir Kieran Prendergast, Sous-Secrétaire général des Affaires politiques et Représentant du Secrétaire général des Nations unies.

La ville de Bethléem suscite des souvenirs remontant très loin dans l'histoire de l'ancienne Israël, à la figure du roi David (cf.
1S 16,13). Pourtant, c'est la naissance de Jésus-Christ, fils de David, qui confère à Bethléem sa place unique dans l'esprit et dans le coeur du monde. L'Evangile de saint Luc rapporte qu'à la naissance de Jésus, les anges chantaient des chansons de paix sur la terre à tous les peuples de bonne volonté (cf. Lc 2,14). Et bien que l'histoire de Bethléem depuis lors ait souvent été marquée par la violence, la ville représente toujours une promesse de paix et l'assurance que l'espérance humaine de la paix n'est pas vaine.

Le grand Jubilé qui célébrera le deux-millième anniversaire de la naissance de Jésus à Bethléem nous invite à porter notre regard vers un monde où la paix sera garantie. Nous devons tous oeuvrer pour un avenir dans lequel il n'y aura plus de menace à la paix de la part d'un de ceux qui adorent l'unique Dieu, ou de quiconque porte le nom de chrétien, de juif ou de musulman. En particulier, nous devons être confiants qu'il est possible d'édifier la paix au Moyen-Orient. La promesse de paix faite à Bethléem deviendra une réalité lorsque la dignité et les droits des êtres humains faits à l'image de Dieu (cf. Gn 1,26) seront reconnus et respectés.

Puisse le travail de votre Comité aider à assurer que le lieu natal de Celui «qui est pasteur du Peuple de Dieu» (cf. Mt 2,6) rappelle partout aux hommes que la paix est un don de Dieu provenant d'en-haut. Puisse la bénédiction du Seigneur vous assister dans cette noble tâche!




AUX ÉVÊQUES DU GHANA EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Samedi 20 février 1999

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Chers frères dans l'épiscopat,

1. Que le Seigneur de la paix vous donne lui-même la paix en tout temps et de toute manière» (
2Th 3,16). C'est pour moi une grande joie de vous saluer, membres de la Conférence épiscopale du Ghana, et de vous accueillir au Vatican, à l'occasion de votre visite ad limina Apostolorum. C'est pour nous tous un moment de grâce au cours duquel nous célébrons et nous voulons renforcer les liens de communion fraternelle qui nous unissent dans la tâche de témoigner du Seigneur et de diffuser la Bonne Nouvelle du salut. J'adresse une parole particulière de salutation à ceux d'entre vous qui accomplissent leur première visite quinquennale.



Six nouveaux diocèses au Ghana

En effet, depuis la dernière visite de votre Conférence épiscopale à Rome, six nouveaux diocèses ont été établis au Ghana, signe positif du travail qui a été accompli pour le Christ et pour l'édification de son Eglise dans votre pays. Cela est une raison supplémentaire de louer le saint nom de Jésus, à la mention duquel «tous [...] s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et [...] toute langue proclame de Jésus-Christ qu'il est Seigneur à la gloire de Dieu le Père» (Ph 2,10-11).

L'an dernier, votre Eglise locale a célébré deux événements significatifs: le deuxième Congrès eucharistique national et le Congrès pastoral national. Ces importants rassemblements ont servi à confirmer et à accroître l'amour et la dévotion pour le Saint Sacrement, qui est au centre du culte et de la prière catholiques. L'Eglise reçoit de l'Eucharistie la force pour le service et pour l'approche qui caractérisent sa préoccupation pour le bien-être spirituel de ses fils et de tous les peuples. La vie divine que le Christ déverse sur son Eglise dans l'Eucharistie est trop grande pour être contenue et doit être offerte avec une sollicitude bienveillante au monde entier.



L'activité missionnaire de l'Eglise

2. Telle est la vérité qui inspire et qui soutient dans une large mesure l'activité missionnaire de l'Eglise; en effet, comme les Pères du Concile Vatican II l'ont souligné avec une simplicité éloquente, l'Eglise est «missionnaire de par sa nature» (Ad gentes AGD 2). C'est l'une de ses qualités essentielles et celle-ci doit resplendir avec force dans chaque Eglise particulière, car l'Eglise universelle est présente dans chaque Eglise locale avec tout son ensemble d'éléments fondamentaux (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux Evêques et à l'Eglise catholique sur certains aspects de l'Eglise entendue comme Communion, Communionis notio, nn. 7-9). L'énergie et le zèle de la première évangélisation du Ghana doit continuer à constituer une source de force et d'enthousiasme, tandis que vous proclamez le Christ et son Evangile salvifique, en aidant les autres à connaître et à accepter son amour miséricordieux.

A cet égard, votre devoir d'affronter ces questions est particulièrement im- portant pour la vie sociale, économique, politique et culturelle de votre pays. Au cours de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Evêques, les Pères synodaux ont reconnu que la correcte administration des affaires publiques dans les domaines interdépendants de la politique et de l'économie est essentielle pour que fleurissent la justice et la paix sur votre continent (cf. Ecclesia in Africa ). Je suis heureux de remarquer que dans votre Lettre pastorale pour l'Avent 1997, vous avez précisément débattu de ces questions. Comme vous le savez bien, c'est à l'Eglise que revient de façon particulière le devoir d'élever sa voix au nom de ceux qui n'ont pas de voix, devenant ainsi un levain de paix et de solidarité, en particulier là où les personnes sont le plus fragiles et menacées.

A cet égard, vos efforts pour résoudre les tensions ethniques sont particulièrement importants. Les rivalités fondées sur la race ou les origines ethniques n'ont pas leur place dans l'Eglise du Christ et sont particulièrement scandaleuses lorsqu'elles interfèrent avec la vie paroissiale ou détruisent l'esprit de fraternité et de solidarité parmi les prêtres.



Une invitation à la conversion

3. Dans tout cela, vous devez lancer une invitation, bienveillante mais insistante, à la conversion. La conversion est le résultat de la proclamation effective de l'Evangile qui, à travers l'action de l'Esprit Saint dans le coeur de ceux qui l'entendent, conduit à accepter la parole salvifique de Dieu. La première prédication de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ trouve son complément nécessaire dans la catéchèse. La foi atteint sa maturité lorsque les disciples du Christ sont éduqués et formés à une connaissance complète et systématique de sa personne et de son message (cf. Catechesi tradendae CTR 19). Pour cette raison, la formation permanente des laïcs doit continuer à représenter une priorité dans votre mission de prêcher et d'enseigner. Cette formation spirituelle et doctrinale devrait contribuer à aider les laïcs à accomplir leur rôle prophétique dans une société qui ne reconnaît ni n'accepte pas toujours la vérité et les valeurs de l'Evangile. Afin qu'ils puissent accomplir leur rôle dans la nouvelle évangélisation, ils doivent pouvoir voir et juger toutes les choses à la lumière du Christ (cf. Christifideles laici CL 34).

De plus, étant confirmés dans la vérité révélée, les fidèles pourront répondre aux objections soulevées par les adeptes de sectes et de nouveaux mouvements religieux. La catéchèse est particulièrement importante pour les jeunes. Une foi illuminée représente une lampe pour guider leurs pas vers l'avenir et une source de force pour faire face aux défis et aux incertitudes de la vie. La soumission solide et humble à la parole du Christ, telle qu'elle est proclamée de façon authentique par l'Eglise, constitue également la base de votre relation avec les autres Eglises et les communautés ecclésiales, et du dialogue que vous recherchez avec les fidèles de l'Islam et de la religion traditionnelle africaine. A travers votre étude constante de tout ce qui est bon, vrai et noble dans la culture de vos peuples, vous comprendrez plus clairement la façon dont l'évangélisation peut développer des racines toujours plus profondes parmi eux.



Les défis de l'inculturation

42 4. Nous abordons ici le thème important de l'inculturation. Les tentatives concrètes pour promouvoir l'inculturation de la foi exigent une théologie qui soit liée de façon indissoluble au mystère de l'Incarnation et à une anthropologie véritablement chrétienne (cf. Pastores dabo vobis PDV 55). Un discernement véritablement critique et authentiquement évangélique des réalités culturelles ne peut être entrepris qu'à la lumière de la Mort et de la Résurrection salvifiques de Jésus-Christ.

Une saine inculturation ne peut ignorer la conviction claire de l'Eglise que la culture, en tant que création humaine, est inévitablement marquée par le péché et doit être guérie, ennoblie et perfectionnée par l'Evangile (cf. Lumen gentium LG 17). Lorsque les personnes trouveront l'inspiration et la direction à travers le contact avec la parole salvifique de Dieu, elles seront conduites tout naturellement à oeuvrer en vue d'une transformation profonde de la société dans laquelle elles vivent. Le message de l'Evangile pénètre la vie même des cultures, et est incarné en elles précisément en «dépassant leurs éléments culturels incompatibles avec la foi et la vie chrétiennes et en élevant leurs valeurs jusqu'au mystère du salut qui provient du Christ» (Pastores dabo vobis PDV 55). Les défis présentés par l'inculturation sont particulièrement évidents dans les domaines du mariage et de la vie de famille: je loue et j'encourage vos efforts à conduire les couples chrétiens à vivre la vérité et la beauté de leur union matrimoniale en accord avec les exigences de leur nouvelle vie dans le Christ.



Les vocations et la formation des futurs prêtres

5. La croissance de l'Eglise au Ghana et les nombreuses vocations au sacerdoce et à la vie religieuse sont une preuve frappante de l'action de la force de Dieu parmi vous, une force qui continue d'apporter une merveilleuse abondance de fruits. C'est à vous, mes chers frères, que revient la tâche de faire en sorte que ces fruits continuent de mûrir et de se multiplier, en influençant effectivement la vie de ceux qui sont confiés à vos soins.

En me tournant vers ceux qui sont vos plus proches collaborateurs dans votre ministère pastoral, je vous exhorte toujours à porter à vos prêtres un amour particulier et à les considérer comme de précieux collaborateurs et amis (cf. Christus Dominus CD 16). A travers leur ordination, ils participent à la consécration et à la mission de Jésus-Christ (cf. Pastores dabo vobis PDV 16). L'Esprit Saint forme leur coeur selon le modèle du coeur du Christ, le Bon Pasteur, et leur formation doit être telle qu'avec la compassion du Christ lui-même, ils soient prêts à mettre de côté toute ambition terrestre afin d'apporter aux pauvres, aux faibles et aux personnes sans défense la vérité, le réconfort et le soutien de l'Evangile. Le prêtre ne prend pas simplement soin d'une institution; ce n'est pas un homme d'affaire, ni un chef d'entreprise. Il est au contraire un évangéliste et un médecin des âmes; ses qualités, son éducation et ses actions tendent toutes à juste titre vers un seul but: il possède le privilège incomparable d'agir en la personne du Christ. Avec votre amitié et votre soutien fraternel, il sera plus facile pour vos prêtres de se dévouer totalement, dans la chasteté et la simplicité, à leur ministère de service, dans lequel ils trouvent une joie et une paix incommensurables.

Bien sûr, les attitudes et les dispositions d'un véritable Pasteur doivent être alimentées dans le coeur des candidats au sacerdoce bien avant leur ordination. C'est là l'objectif de la formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale apportée au séminaire. La sollicitude dont vous faites preuve pour vos séminaires ne peut qu'apporter un bénéfice à vos communautés locales et contribuer à la diffusion du Royaume de Dieu. Les orientations contenues dans mon Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis, ainsi que les suggestions contenues dans le récent Document de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples suite à la Visite apostolique dans les grands séminaires du Ghana, se révéleront des instruments inestimables pour mesurer l'aptitude des candidats au sacerdoce et améliorer leur formation. Je vous exhorte également à doter vos séminaires de prêtres exemplaires, même si cela signifie faire des sacrifices dans d'autres domaines: car dans la tâche de former des candidats au sacerdoce, rien n'est plus éloquent que l'exemple d'une vie sacerdotale sainte et dévouée. Dans le même temps, des mesures doivent être prises pour garantir que la formation correcte des prêtres se poursuive après l'ordination, en particulier au cours des premières années du ministère sacerdotal.



La vie consacrée

6. Dans la vie de l'Eglise qui est au Ghana, comme ailleurs dans le monde, les Instituts missionnaires et religieux ont accompli un rôle décisif dans la diffusion de la foi et dans la formation des nouvelles Eglises locales (cf. Redemptoris missio RMi 69-70).

Tout en respectant l'autonomie interne légitime établie pour les communautés religieuses, l'Evêque doit les aider à remplir - au sein de l'Eglise locale - leur obligation à témoigner de la réalité de l'amour de Dieu pour son peuple. En tant que Pasteurs du troupeau du Christ, vous devriez exhorter les Supérieurs à un discernement attentif de l'aptitude des candidats à la vie religieuse et les aider à fournir une solide formation spirituelle et intellectuelle, que ce soit avant ou après la profession. Plus les religieux de votre diocèse vivront de façon fidèle et dévouée leur engagement au Christ dans la chasteté, la pauvreté et l'obéissance, plus les hommes et les femmes du Ghana comprendront que «le Royaume de Dieu est tout proche» (Mc 1,15).



«Servir et non pas être servis»

7. Dans l'accomplissement de vos nombreux devoirs, vous et vos prêtres devez toujours être attentifs aux besoins humains et spirituels de votre peuple. Le temps et les ressources employés dans des structures diocésaines et paroissiales ou dans des projets de développement, ne devraient jamais l'être aux dépens des personnes; ces structures et projets ne devraient pas non plus empêcher le contact personnel avec ceux que Dieu nous a appelés à servir. De même, les rencontres entre les évêques et les prêtres ne devraient pas se limiter au débat de questions administratives, mais devraient également fournir une occasion de parler des joies et des difficultés personnelles, spirituelles et pastorales du ministère sacerdotal. Les questions financières exigent une grande équité et solidarité et des efforts doivent être accomplis afin de partager les contributions reçues. Dans le même temps, des mesures devraient être prises afin d'aider les communautés locales à atteindre une plus grande indépendance économique, afin que l'Eglise qui est au Ghana soit moins dépendante de l'aide extérieure. La mission pastorale de l'Eglise et le devoir de ses ministres «de servir et non pas d'être servis» (Mt 20,28), doivent être considérés comme le souci principal dans tous les domaines.

Chers frères dans l'épiscopat, les paroles que je vous ai adressées aujourd'hui ont pour but de vous offrir mon encouragement dans le Seigneur. Je suis pleinement conscient des difficultés quotidiennes de votre ministère et du dévouement généreux avec lequel vous accomplissez votre service. Je vous confie, ainsi que vos diocèses, au soin bienveillant de Marie, Reine des Apôtres. Je prie pour que vos efforts pour conduire l'Eglise qui est au Ghana à une célébration joyeuse et féconde du Jubilé à venir, «une année de grâce du Seigneur» (Tertio millennio adveniente TMA 11), soit couronnée d'un grand succès. A travers cet événement important, puissiez-vous, ainsi que votre peuple, faire l'expérience de la grâce infinie du «nouvel Avent» que l'Esprit prépare pour toute l'Eglise de Dieu (ibid., TMA TMA 23). Dans cet espoir, je vous donne de tout coeur, ainsi qu'aux prêtres, aux religieux et aux laïcs de vos communautés locales, ma Bénédiction apostolique.



AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE

Samedi 27 février 1999

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1. Je vous souhaite la bienvenue, éminents membres de l'Académie pontificale pour la Vie, réunis à Rome à l'occasion de votre Assemblée générale annuelle! En adressant à chacun de vous un salut cordial, je remercie le Président, le Professeur Juan De Dios Vial Correa des aimables paroles à travers lesquelles il s'est fait l'interprète de vos sentiments à tous. Je salue également les évêques présents: Mgr Elio Sgreccia, Vice-président de l'Académie pontificale pour la Vie, et Mgr Javier Lozano Barragán, Président du Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé, à laquelle l'Académie pontificale est liée.

J'adresse une pensée particulière à l'inoubliable premier Président, le Professeur Jérôme Lejeune, qui nous a quittés il y a presque cinq ans, le 3 avril 1994. Il a voulu profondément cette nouvelle Institution, presque comme un testament spirituel pour la sauvegarde de la vie humaine, en prévision des menaces croissantes qui se profilaient à l'horizon.

Je désire exprimer ma satisfaction pour toute l'activité de recherche rigoureuse et de vaste information que l'Académie pontificale a su mettre en place et réaliser durant ce premier quinquennat de vie. Le thème que vous avez choisi pour votre réflexion, «la dignité des mourants», veut apporter une lumière de doctrine et de sagesse sur un point qui est, sous certains aspects, nouveau et crucial. La vie des mourants et des malades graves, en effet, est exposée aujourd'hui à un ensemble de dangers, qui se manifestent parfois sous la forme de traitements déshumanisants, ou encore dans le manque de considération, ou même dans l'abandon, qui peut aller jusqu'à la solution de l'euthanasie.



2. Le phénomène de l'abandon des mourants, qui se diffuse dans la société développée, a diverses racines et de multiples dimensions, bien présentes dans votre analyse.

Il existe une dimension socio-culturelle, qui prend le nom d'«occultation de la mort»: les sociétés, organisées sur le critère de la recherche du bien-être matériel, ressentent la mort comme un non-sens, et, dans l'intention d'en effacer la question, en proposent parfois l'anticipation indolore. La soi-disant «culture du bien-être» comporte souvent l'incapacité de saisir le sens de la vie dans les situations de souffrance et de limitation, qui accompagnent l'approche de l'homme à la mort. Une telle incapacité est grave lorsqu'elle se manifeste au sein d'un humanisme fermé au transcendant, et se traduit souvent par la perte de la confiance pour la valeur de l'homme et de la vie.

Il existe ensuite une dimension philosophique et idéologique, sur la base de laquelle on fait appel à l'autonomie absolue de l'homme, comme s'il était l'auteur de sa vie. Dans cette optique, on s'appuie sur le principe de l'auto-détermination et l'on arrive également à exalter le suicide et l'euthanasie comme des formes paradoxales d'affirmation et à la fois de destruction de son moi.

Il existe en outre une dimension médicale et d'assistance qui s'exprime à travers une tendance à limiter le soin des malades graves, envoyés dans des structures sanitaires qui ne sont pas toujours capables de fournir une assistance personnalisée et humaine. La conséquence est que la personne hospitalisée perd souvent contact avec sa famille et est soumise à une sorte d'acharnement technologique qui porte atteinte à sa dignité.

Il y a, enfin, l'influence occulte de la soi-disant «éthique utilitariste», qui réglemente de nombreuses sociétés avancées sur la base de critères de productivité et d'efficacité: dans cette optique, le malade grave et les mourants qui ont besoin de soins prolongés et qualifiés sont ressentis, sous le rapport coût-bénéfice, comme un poids et un sujet passif. Cette mentalité encourage donc une baisse du soutien en ce qui concerne la phase de déclin de la vie.



44 3. Tel est le contexte idéologique auquel puisent les campagnes d'opinion toujours plus fréquentes visant à la mise en place de lois en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté. Les résultats déjà obtenus dans certains pays, parfois à travers des sentences de la Cour suprême, ou encore à travers des votes émanant du Parlement, confirment la diffusion de certaines convictions.

Il s'agit du progrès de la culture de la mort, qui ressort également d'autres phénomènes découlant, d'une façon ou d'une autre, d'un manque de valorisation de la dignité humaine: tel est le cas, par exemple, des personnes qui meurent à cause de la faim, de la violence, de la guerre, du manque de contrôle de la circulation, du manque d'attention aux normes de sécurité sur le lieu de travail.

Face aux nouvelles manifestations de la culture de la mort, l'Eglise a le devoir de rester fidèle à son amour pour l'homme «qui est la première route qu'elle doit parcourir» (Redemptor hominis
RH 14). Elle a aujourd'hui le devoir d'illuminer le visage de l'homme, en particulier le visage des mourants avec toute la lumière de sa doctrine, avec la lumière de la raison et de la foi; elle a le devoir d'appeler à rassembler, comme elle l'a déjà fait en diverses occasions cruciales, toutes les forces de la communauté et des personnes de bonne volonté, afin qu'autour des mourants se resserre avec une ardeur renouvelée un lien d'amour et de solidarité.

L'Eglise est consciente que le moment de la mort est toujours accompagné par une densité particulière de sentiments humains: il y a une vie terrestre qui s'accomplit; la rupture des liens affectifs, de génération, mais aussi de liens sociaux, qui font partie du plus profond de la personne; il y a dans la conscience du sujet qui meurt et de celui qui l'assiste un conflit entre l'espérance en l'immortalité et l'inconnu, qui trouble également les esprits les plus éclairés. L'Eglise élève sa voix afin que l'on ne porte pas offense aux mourants, mais que l'on se consacre avec une sollicitude bienveillante à les accompagner, tandis qu'ils s'apprêtent à franchir le seuil du temps pour s'introduire dans l'éternité.



4. «La dignité des mourants» est enracinée dans sa condition de créature et dans sa vocation personnelle à la vie immortelle. Le regard plein d'espérance transfigure la décomposition de notre corps mortel. «Quand donc cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole qui est écrite: la mort a été engloutie dans la victoire» (1Co 15,54 cf. 2Co 5,1).

C'est pourquoi, l'Eglise, en défendant le caractère sacré de la vie également chez les mourants, n'obéit à aucune forme d'absolutisation de la vie physique, mais enseigne à respecter la véritable dignité de la personne, qui est créature de Dieu et aide à accepter de façon sereine la mort, lorsque les forces physiques ne peuvent plus être soutenues. J'ai écrit dans l'Encyclique Evangelium vitae: «La vie du corps dans sa condition terrestre n'est pas un absolu pour le croyant: il peut lui être demandé de l'abandonner pour un bien supérieur [...] Toutefois, personne ne peut choisir arbitrairement de vivre ou de mourir; ce choix, en effet, seul le Créateur en est le maître absolu, lui en qui "nous avons la vie, le mouvement et l'être" (Ac 17,28)» (EV 47).

De là découle une ligne de conduite morale envers le malade grave et les mourants qui est contraire, d'une part, à l'euthanasie et au suicide (cf. ibid., EV EV 61) et, d'autre part, aux formes «d'acharnement thérapeutique» qui ne représentent pas un réel soutien à la vie et à la dignité des mourants.

Il est opportun de rappeler ici le jugement de condamnation de l'euthanasie entendue au sens propre comme «une action ou une omission qui, de soi et dans l'intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur», dans la mesure où elle constitue une «grave violation de la Loi de Dieu» (ibid., EV EV 65). Il faut également tenir compte de la condamnation du suicide dans la mesure où celui-ci «du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu'il comporte le refus de l'amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs de justice et de charité envers le prochain, envers les différentes communautés dont on fait partie et envers la société dans son ensemble. En son principe le plus profond, il constitue un refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et sur la mort» (ibid., EV EV 66).



5. L'époque à laquelle nous vivons exige la mobilisation de toutes les forces de la charité chrétienne et de la solidarité humaine. Il faut en effet faire face au nouveau défi de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. A cette fin, il ne suffit pas de s'opposer, dans l'opinion publique et dans les parlements, à cette tendance de mort, mais il faut également engager la société et les structures mêmes de l'Eglise à une digne assistance aux mourants.

Dans cette perspective, j'encourage volontiers tous ceux qui promeuvent des oeuvres et des initiatives pour l'assistance des malades graves, des malades mentaux chroniques, des mourants. Que ceux-ci s'engagent, si nécessaire, à adapter les oeuvres d'assistance déjà existantes aux nouvelles nécessités, afin qu'aucun mourant ne soit abandonné ou laissé seul et sans assistance face à la mort. C'est la leçon que nous ont laissée tant de saints et de saintes au cours des siècles et également récemment Mère Teresa de Calcutta, avec ses sages initiatives. Il faut éduquer chaque communauté diocésaine et paroissiale à prendre soin de ses personnes âgées, à soigner et à visiter ses malades à domicile et dans les structures spécifiques, selon les nécessités.

L'éveil des consciences dans les familles et dans les hôpitaux ne manquera pas de favoriser une application plus vaste des «soins palliatifs» chez les malades graves et les mourants, afin de soulager les symptômes de la douleur, en leur apportant dans le même temps un réconfort spirituel à travers une assistance assidue et attentive. De nouvelles oeuvres devront être créées pour accueillir les personnes âgées non autonomes qui se retrouvent seules, mais il faudra surtout promouvoir une organisation étendue pour apporter un soutien économique, outre que moral, à l'assistance à domicile: en effet, les familles qui veulent garder chez elles les personnes gravement malades, sont soumises à des sacrifices parfois très lourds.

Les Eglises locales et les Congrégations religieuses ont parfois l'occasion d'offrir dans ce domaine un témoignage de pionniers, conscientes de la Parole du Seigneur au sujet de ceux qui se prodiguent pour soulager les malades: «J'étais malade et vous m'avez soigné» (Mt 25,36).

Que Marie, la Mère des douleurs qui a assisté Jésus mourant sur la croix, diffuse dans l'Eglise-mère son esprit et l'accompagne dans l'accomplissement de cette mission.

Je donne à tous ma Bénédiction.

Mars 1999

AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES LAÏCS À L'OCCASION DE LEUR XVIIème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Lundi 1er mars 1999

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Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l'épiscopat,
Chers frères et soeurs,

1. Votre Assemblée plénière, qui se déroule ces jours-ci à Rome, me donne l'agréable occasion de cette rencontre avec vous, qui êtes les collaborateurs du Pape pour le service des laïcs du monde entier. Mon salut et mes remerciements vont tout d'abord au Président du Dicastère, Monsieur le Cardinal James Francis Stafford, et au Secrétaire, Mgr Stanislaw Rylko; ils s'adressent aussi à chacun des membres et aux consulteurs du Conseil pontifical pour les Laïcs, ainsi qu'à tout le personnel.

Au centre des travaux de votre assemblée plénière vous envisagez la place importante que tient le sacrement de la Confirmation dans la vie des laïcs. Cette réflexion se situe dans la suite logique de celle que vous avez menée sur le Baptême au cours de votre précédente assemblée. En effet, comme l'enseigne le Catéchisme de l'Eglise catholique, «la Confirmation parfait la grâce baptismale [...], donne l'Esprit Saint pour nous enraciner plus profondément dans la filiation divine, nous incorporer plus fermement au Christ, rendre plus solide notre lien avec l'Eglise, nous associer davantage à sa mission et nous aider à rendre témoignage de la foi chrétienne par la parole accompagnée des oeuvres» (
CEC 1316). La «créature nouvelle», régénérée par la grâce baptismale, devient témoin de vie nouvelle dans l'Esprit et annonciatrice des grandes oeuvres de Dieu. «Le confirmé - explique saint Thomas - reçoit le pouvoir de professer publiquement la foi chrétienne, comme par une charge officielle (presque ex officio)» (S. Th., III 72,5, ad. 2; cf. CEC CEC 1305).



2. «Les laïcs, confesseurs de la foi dans le monde d'aujourd'hui». Le thème choisi pour votre assemblée plénière contient tout un programme de vie: devenir «confesseurs de la foi» par la parole et par les oeuvres. N'est-ce pas une invitation providentielle pour les laïcs au seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne? A la veille du Jubilé, en ce kairòs particulier, toute l'Eglise est appelée à se présenter humblement devant le Seigneur, à faire un sérieux examen de conscience, à reprendre le chemin d'une profonde conversion, le chemin de la maturité chrétienne, de la fidèle adhésion au Christ dans la sainteté et dans la vérité, le chemin de l'authentique témoignage de la foi. Cet examen de conscience ne peut pas ne pas concerner la réception du Concile oecuménique Vatican II - l'événement ecclésial qui a le plus marqué notre siècle - ainsi que son enseignement éclairant sur la dignité, la vocation et la mission des laïcs.

Le rendez-vous jubilaire incite donc chaque laïc chrétien à se poser des questions fondamentales: Qu'ai-je fait de mon Baptême? Comment est-ce que je réponds à ma vocation? Qu'ai-je fait de ma Confirmation? Ai-je fait fructifier les dons et les charismes de l'Esprit? Le Christ est-il le «Tu» toujours présent dans ma vie? Mon adhésion à l'Eglise, mystère de communion missionnaire, ainsi que l'a voulu son Fondateur et telle qu'elle est réalisée dans sa Tradition vivante, est-elle vraiment pleine et profonde? Dans mes choix, suis-je fidèle à la vérité proposée par le Magistère ecclésial? Ma vie conjugale, familiale et professionnelle est-elle imprégnée de l'enseignement du Christ? Mon engagement social et politique s'enracine-t-il sur les principes évangéliques et sur la doctrine sociale de l'Eglise? Quelle est ma contribution à l'édification de modes de vie plus dignes pour l'homme et à l'inculturation de l'Evangile dans les grands changements en cours?



3. Avec le Concile Vatican II, «grand don de l'Esprit Saint à l'Eglise au déclin du deuxième millénaire» (Tertio millennio adveniente TMA 36), nous avons fait l'expérience de la grâce d'une Pentecôte renouvelée. Nombreux sont les signes d'espérance qui en ont jailli pour la mission de l'Eglise; je n'ai jamais cessé de les indiquer, de les souligner, de les encourager. Je pense entre autres à la redécouverte et à la mise en valeur des charismes qui ont favorisé une communion plus vive entre les diverses vocations au sein du peuple de Dieu, à l'élan renouvelé de l'évangélisation, à la promotion des laïcs, à leur participation et à la coresponsabilité dans la vie de la communauté chrétienne, à leur apostolat et à leur service dans la société. A l'aube du troisième millénaire, ces signes incitent à attendre une «épiphanie» mûre et féconde du laïcat.

En même temps, cependant, comment ignorer le fait que malheureusement beaucoup de chrétiens, oublieux des engagements de leur Baptême, vivent dans l'indifférence, succombant à la compromission avec le monde sécularisé? Comment ne pas évoquer ces fidèles qui, tout en étant actifs à leur manière dans les communautés ecclésiales, mais se laissant attirer par le relativisme propre à la culture actuelle, ont du mal à accepter les enseignements doctrinaux et moraux de l'Eglise, auxquels tout baptisé est appelé à adhérer?

Je souhaite donc que les laïcs ne se dérobent pas à cet examen de conscience, afin de pouvoir franchir la Porte sainte du troisième millénaire pénétrés de la vérité et de la sainteté des authentiques disciples de Jésus-Christ. «Vous êtes le sel de la terre [...]. Vous êtes la lumière du monde [...]. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux» (Mt 5,13-16). Le monde a besoin du témoignage d'«hommes nouveaux» et de «femmes nouvelles» qui, par la parole et par les oeuvres, rendent le Christ présent d'une manière toujours plus forte. Car la seule réponse complète et surabondante aux attentes de vérité et de bonheur du coeur de l'homme c'est le Christ. C'est lui la «pierre angulaire» de la construction d'une civilisation plus humaine.



46 4. Le Conseil pontifical pour les Laïcs, par ses initiatives, a joué au cours des dernières années un rôle important dans la croissance des fidèles laïcs. Parmi les initiatives récentes, je rappelle avec plaisir le rassemblement mondial des jeunes à Paris en août 1997, la rencontre avec les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles le 30 mai 1998 sur la Place Saint-Pierre, le document sur «La dignité et la mission des personnes âgées dans l'Eglise et dans le monde», publié à l'occasion de l'Année internationale des personnes âgées, proclamée par les Nations unies pour 1999, et principe d'orientation pour la préparation du Jubilé des personnes âgées. Je sais que votre Dicastère est déjà engagé dans la préparation des Journées mondiales de la Jeunesse de l'an 2000 et que, en collaboration avec d'autres Dicastères de la Curie romaine, il organise pour le mois de juin de cette année un séminaire sur le thème: «Les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles dans la sollicitude pastorale des Evêques».

5. Dans la ligne des enseignements du Concile Vatican II et de l'Exhortation apostolique Christifideles laici, d'autres initiatives du Conseil pontifical pour les Laïcs, qui concernent le vaste et fécond domaine du laïcat catholique, se réaliseront au cours de l'année jubilaire. Sur l'une d'entre elles, de grande importance, je m'arrêterai un moment: le Congrès mondial de l'apostolat des laïcs, prévu à Rome pour le mois de novembre 2000. Ce congrès, qui pour ceux qui y participeront sera avant tout un événement jubilaire, pourra servir à récapituler le cheminement du laïcat depuis le Concile Vatican II jusqu'au grand Jubilé de l'Incarnation. Tout en situant ce congrès dans la continuité avec des rencontres semblables qui se sont déroulées dans le passé, on devra en approfondir le profil et les buts particuliers. Se déroulant vers la fin de l'an 2000, il sera enrichi de tout ce qui aura été vécu en cette année de grâce du Seigneur et il indiquera aux laïcs les tâches qui les attendent dans les divers domaines de la mission et du service de l'homme au commencement du troisième millénaire.



6. Chers frères et soeurs, je conclus ces réflexions en souhaitant que les travaux de votre Assemblée plénière portent beaucoup de fruits dans la vie de l'Eglise. J'accompagne de mes prières les initiatives de votre Dicastère pour le grand Jubilé et j'en confie les résultats à l'intercession de la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l'Eglise. A vous tous ici présents, à vos familles, à ceux qui vous sont chers, je souhaite des grâces abondantes pour l'année jubilaire et je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Discours 1999 39