Discours 1999 78


AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DU QUÉBEC EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Jeudi 22 avril 1999

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Chers Frères dans l'épiscopat,



1. A l'occasion de votre visite ad limina, démarche qui inscrit les communautés catholiques répandues à travers le monde dans la tradition bimillénaire de l'Eglise et qui manifeste votre communion avec le Pape et ses collaborateurs, c'est avec joie que je vous accueille aujourd'hui, vous qui êtes les pasteurs de l'Eglise catholique dans la Région apostolique du Québec. Je salue cordialement Mgr Pierre Morissette, votre président, ainsi que chacun d'entre vous, notamment les deux nouveaux évêques auxiliaires de Montréal, ainsi que les Ordinaires maronite et melkite. Notre rencontre me permet de rejoindre par la pensée les prêtres et les diacres, qui travaillent avec ardeur à vos côtés, les personnes consacrées, qui sont engagées dans l'apostolat et qui ont une mission particulière de prière, ainsi que les fidèles laïcs, qui se dévouent avec vaillance pour servir l'Eglise et la société de leur pays.

Dans vos rapports quinquennaux, vous exprimez votre joie de voir de nombreuses personnes participer à la mission de l'Eglise, chacune selon le service spécifique qui est le sien. Avec vous je rends grâce pour ce dynamisme renouvelé des communautés locales. Aux ministres ordonnés, qui sont vos collaborateurs immédiats et qui portent le poids du jour avec fidélité, transmettez les encouragements affectueux du Successeur de Pierre. Aux religieux et religieuses, aux laïcs de vos diocèses, redites ma confiance et mon estime pour ce qu'ils réalisent en se laissant guider par le Seigneur.



Les jeunes et l'Eglise aujourd'hui

2. Vous êtes la première région apostolique du Canada à accomplir cette année votre visite quinquennale. Avec les différents groupes d'Evêques de votre pays qui vont se succéder dans les semaines à venir, j'ai souhaité aborder des thèmes significatifs pour l'Eglise aujourd'hui, en vous donnant quelques éléments de réflexion, dans l'esprit de ce que le Seigneur a demandé à Pierre: «Affermis tes frères» (
Lc 22,31). Dans vos rapports, vous évoquez la question des jeunes et la pastorale que vous vous attachez à développer avec eux. Aussi m'arrêterai-je davantage aujourd'hui sur certains aspects de cette mission spécifique, sans vouloir toutefois dresser un panorama complet des situations locales et des attentes de la jeunesse, que vous connaissez.



Se mobiliser pour les Journées mondiales de la Jeunesse de l'An 2000

3. L'Eglise au Québec a une riche tradition d'engagement auprès des jeunes, qui sont l'espérance pour l'avenir (cf. Ecclesia in America ). Je me réjouis de l'attention qui est portée à la jeunesse, que ce soit dans les familles, dans les paroisses, dans les institutions scolaires ou dans les mouvements. Je salue vos efforts, ainsi que ceux de nombreux adultes, prêtres, religieux, religieuses, parents, éducateurs, pour proposer la foi aux jeunes, de manière renouvelée et concertée, invitant l'ensemble des communautés locales à se mobiliser dans ce sens, notamment dans la perspective du grand Jubilé et des prochaines Journées mondiales de la Jeunesse, qui auront lieu à Rome. L'année jubilaire est une occasion incomparable pour donner un nouvel élan à la pastorale de la jeunesse.



L'éveil à la foi dans la famille

4. L'éveil à la foi dans le cadre familial est capital; il permet à l'enfant d'avancer dans sa recherche intérieure de Dieu, Père de toute vie, et de découvrir la vérité profonde du mystère chrétien. La prière en famille est aussi une grande richesse, car elle offre à chacun la possibilité d'apprendre les mots de la relation filiale avec le Seigneur. Alors que l'enfant développe son intériorité et qu'il devient capax Dei, comme disent les Pères de l'Eglise, la famille a un rôle irremplaçable et spécifique pour sa formation humaine et spirituelle. La tendre enfance est une période importante pour la découverte des valeurs humaines, morales et spirituelles. Comme vous le reconnaissez vous-mêmes, c'est souvent une occasion pour les parents de s'interroger sur leur propre foi, sur leur attachement au Christ et sur la conformité de leur existence avec l'Evangile. En effet, comment les parents peuvent-ils répondre aux demandes exigeantes des tout-petits et rendre compte de l'espérance qui est en eux s'ils ne prennent pas le temps d'approfondir leur propre démarche chrétienne, de rencontrer le Christ par la prière, par la lecture de l'Ecriture et par la vie ecclésiale? L'Eglise doit aider et épauler les couples et les familles, pour qu'ils puissent prendre conscience de leur mission d'éducateurs de la foi et la réaliser pleinement.



La pastorale des adolescents et des jeunes

5. Vous m'avez fait part des difficultés rencontrées dans la pastorale des adolescents et des jeunes. Vous soulignez cependant que des adultes s'attachent à les accompagner avec zèle, en déployant toutes leurs qualités d'animateurs pastoraux et leur sens ecclésial. Je les encourage à ne pas désespérer s'ils ne voient pas immédiatement les fruits de leur action. Qu'ils n'oublient jamais qu'ils sont des instruments dont l'Esprit Saint se sert mystérieusement! Dans la société actuelle qui ne propose pas un sens à leur existence, les jeunes portent en eux des interrogations et des souffrances qui se caractérisent par des comportements personnels et sociaux pouvant déconcerter ceux qui sont à leurs côtés, notamment les phénomènes de violence et de drogue, ainsi que les attitudes suicidaires. «La jeunesse est le temps d'une découverte particulièrement intense du propre "moi" et du propre "projet de vie"; c'est le temps d'une croissance qui doit se réaliser "en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes" (Lc 2,52)» (Christifideles laici CL 46). L'éducation requiert une infinie patience et une proximité aimante. Cela aide les jeunes à s'aimer et à découvrir qu'ils sont aimés par des adultes et, à travers ces derniers, par Dieu qui leur fait confiance. Je vous invite à développer et à affermir la pastorale des jeunes, notamment en envoyant en mission auprès d'eux des personnes jeunes et particulièrement formées sur le plan spirituel, mais aussi humain et psychologique, prêtres, diacres, personnes consacrées et laïcs.

La jeunesse a besoin d'éducateurs et d'accompagnateurs spirituels compétents, sages et délicats dans leurs manières de les guider, ayant le souci de permettre la maturation progressive des personnes, de semer la parole de Dieu dans les coeurs et d'être au service de leur «rencontre avec le Christ vivant», qui «est un chemin de conversion, de communion et de solidarité» (cf. Ecclesia in America ). Dans ce domaine, il importe que les prêtres proposent aussi à la jeunesse une vie sacramentelle solide, en particulier le sacrement du pardon. Dans la rencontre personnelle avec le ministre du Christ et par l'aveu personnel de ses fautes, le jeune prendra conscience de l'amour du Seigneur et de la réponse qu'il doit lui donner, il se déchargera de son fardeau sur le Seigneur; il apprendra à vivre dans la vérité, il sera guidé sur la route et il trouvera des moyens pour lutter contre le péché.



La conscience de la propre identité chrétienne

6. De plus, je ne saurais trop recommander aux prêtres, aux personnes consacrées et aux laïcs ayant une compétence en ce domaine, de proposer aux jeunes de faire l'expérience de la direction spirituelle, afin de relire les différentes étapes de leur existence sous le regard de Dieu, pour y discerner sa présence et pour faire sa volonté, source de liberté profonde. L'accompagnement par un adulte en qui le jeune a confiance aidera ce dernier à franchir les moments intérieurs les plus difficiles, à analyser son propre comportement, à mettre une échelle de valeurs dans ses décisions, et à entrer en relation toujours plus intime avec le Christ. De même, dans cette démarche de proximité, les adultes sont les interlocuteurs et les témoins dont les jeunes ont besoin pour envisager sereinement leur avenir d'hommes et de chrétiens. Ainsi les jeunes pourront entendre avec confiance l'appel du Christ à avancer au large (cf. Lc 5,4), ils oseront faire apparaître leur identité chrétienne et ils seront des missionnaires auprès de leurs camarades dans une société où, comme vous le dites, la foi a tendance à être privatisée et où, de ce fait, l'Eglise a de la peine à se faire reconnaître.

80 Pour que les jeunes puissent grandir dans la foi, il convient aussi de leur assurer une place et de leur donner leur part de responsabilité, non seulement dans des groupes de leur âge, mais au sein même des communautés locales, pour qu'ils se sentent partie prenante de l'Eglise tout entière, qui prie, qui se rassemble pour la célébration dominicale, qui puise sa force dans la vie sacramentelle et qui vit la charité. Les jeunes prendront ainsi conscience que la société et l'Eglise ont besoin d'eux, et qu'ils sont appelés à servir leurs frères, pour édifier la civilisation de l'amour.

Dans vos diocèses, des grands rassemblements ou des groupes plus restreints sont régulièrement organisés pour aider la jeunesse à réfléchir sur la vie affective et sur la vocation au mariage, lui donnant ainsi le sens et la valeur de la sexualité humaine. Je salue tous les adultes qui sont engagés dans cette démarche éducative et je les invite à poursuivre leur mission, afin de présenter aux jeunes l'enseignement de l'Eglise, qui sera structurant pour leur formation humaine et spirituelle. Dans un monde où la cellule familiale est fragile et où de nombreuses blessures affectent profondément les jeunes, notamment ceux qui subissent les séparations parentales et les recompositions familiales, l'Eglise a le devoir de les éduquer à une vie affective édifiée sur de saines valeurs humaines et morales, pour que demain ils puissent s'engager dans la vie conjugale, conscients de leurs responsabilités et de la mission que cela représente auprès de leur conjoint et des enfants.



Développer une catéchèse organique

7. Tout au long de l'enfance et de l'adolescence, les communautés chrétiennes et les éducateurs doivent être attentifs à développer une catéchèse organique, pour que les jeunes puissent connaître les grandes lignes du mystère chrétien. Dans cet esprit, il est important de donner une suite aux sacrements de l'initiation chrétienne, afin que les enfants puissent vivre une vie spirituelle et ecclésiale profonde qui les aidera tout au long de leur existence. J'invite les fidèles à se mobiliser sans cesse pour transmettre la foi et les valeurs chrétiennes aux enfants. Leur formation ne peut pas consister uniquement dans un apprentissage de matières scientifiques et techniques. Elle doit intégrer les dimensions anthropologique, morale et spirituelle, pour édifier la personnalité des jeunes. J'attire l'attention de tous ceux qui ont une fonction éducative dans des établissements d'enseignement confessionnel, pour que la spécificité et l'identité catholiques, qui sont une richesse, ne soient ni perdues ni mises sous le boisseau.



La pastorale des vocations sacerdotales

8. Parmi les dimensions primordiales du ministère de l'évêque, il y a la pastorale des vocations sacerdotales, qu'il convient d'organiser et de développer sans cesse, grâce à des prêtres et à des laïcs solides et dynamiques, en prenant soin de confier à quelques jeunes prêtres une part active en ce domaine, eux qui peuvent être des modèles et des exemples, et qui sont plus proches des générations qui les suivent par l'âge et par la mentalité. Ils montreront que le ministère presbytéral est source de joie et d'équilibre. La pastorale des vocations requiert aussi l'engagement de tous les protagonistes des Eglises locales. Il s'agit de semer la parole de Dieu dans le coeur de jeunes garçons, d'éveiller en eux le désir de suivre le Christ et de transmettre largement l'appel du Seigneur, en proposant «d'une façon explicite et forte la vocation au presbytérat comme une possibilité réelle pour les jeunes qui ont les dons et les qualités appropriés» (Pastores dabo vobis
PDV 39). Il convient aussi de faire découvrir l'engagement radical que cela suppose, par le don de soi-même au Christ, dans le célibat, pour le service des frères. D'éventuelles confusions qui atténueraient le lien entre le sacerdoce et le célibat ne peuvent être que dommageables à la saine recherche des jeunes et à leur futur engagement sacerdotal. Je me réjouis de ce que, dans certains diocèses, il existe des petits séminaires, dans lesquels les jeunes, tout en poursuivant des études classiques, peuvent se poser réellement la question d'une vocation sacerdotale. Ce sont des pépinières de vocations, qu'il ne faut nullement négliger. J'invite aussi tous les prêtres à être attentifs aux jeunes, à être des éveilleurs de vocations et à leurs proposer sans peur la voie du sacerdoce.



Le don de la vie consacrée

9. Jésus appelle aussi certains jeunes hommes et jeunes femmes à marcher à sa suite d'une façon plus exclusive et à se consacrer totalement à Lui dans la vie religieuse, pour offrir au monde un «témoignage [qui] portera d'abord sur l'affirmation du primat de Dieu et des biens à venir, telle qu'elle se révèle dans la sequela Christi et dans l'imitation du Christ chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l'amour de ses frères et de ses soeurs» (Vita consecrata VC 85). Cet appel du Christ à la vie consacrée est un témoignage éloquent pour le monde d'aujourd'hui, rappelant que le véritable bonheur vient du Christ et que la liberté de la personne humaine ne peut être séparée de la vérité ni de Dieu (cf. ibid, VC 87-91). J'exhorte les religieux et les religieuses à manifester aux jeunes qu'une vie totalement donnée dans un amour radical pour le Christ et pour son Eglise rend heureux.



Participer activement à l'oeuvre de la Création et à l'oeuvre de la Rédemption

10. Je vous encourage à continuer d'animer les forces vives de l'Eglise au Québec pour que tous, dans les familles, dans les paroisses, dans les institutions scolaires, dans les mouvements, collaborent à la mission de marcher avec les jeunes, de les accompagner dans leur croissance, de leur proposer la foi à travers leurs recherches pour qu'ils découvrent, dans la joie, la Bonté du Père, qu'ils vivent de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et qu'ils se laissent conduire par la Force de l'Esprit Saint. Ainsi ils pourront s'ouvrir à l'appel que le Seigneur leur adresse de participer à l'oeuvre de la Création et à l'oeuvre de la Rédemption, dans la fraternité et la solidarité, et donc découvrir que leur vie a un sens, que cela vaut la peine de s'engager dans le sacerdoce, la vie consacrée ou le mariage, de travailler à la poursuite du bien commun dans le monde, de participer de tout coeur à la communion de l'Eglise et à sa mission.



Des Communautés unies en dialogue avec le monde

11. Au terme de notre rencontre, je vous encourage dans la poursuite de votre mission épiscopale, en vous invitant à poursuivre vos collaborations fraternelles et à vous soutenir dans le ministère; ainsi vos Eglises diocésaines seront plus unies et s'entraideront, pour relever les défis qui sont les vôtres en étant des communautés centrées sur Jésus-Christ, en dialogue avec le monde.

Portez les salutations du Successeur de Pierre à tous vos collaborateurs et au Peuple de Dieu qui est confié à vos soins et, de manière particulière, transmettez aux jeunes mon affection. En invoquant l'intercession maternelle de la Vierge Marie, je vous accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique, ainsi qu'à tous vos diocésains.



AUX ENSEIGNANTS, ÉTUDIANTS ET PERSONNEL DE L'UNIVERSITÉ «TOR VERGATA» DE ROME

Jeudi 29 avril 1999

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Monsieur le Recteur Magnifique,
Chers professeurs et invités,
Cher personnel technique et administratif,
Très chers étudiants!



1. Je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui et je rends grâce au Seigneur qui m'offre l'opportunité d'accomplir cette visite à votre Université de Rome «Tor Vergata». Chaque fois que j'ai l'occasion de rencontrer le monde universitaire, mon expérience personnelle d'étudiant, ici à Rome, et mon activité de professeur à l'Université de Lublin et de Cracovie me reviennent à l'esprit.

C'est pourquoi, je salue avec une grande cordialité chacun de vous, chers professeurs, jeunes étudiants et tout le personnel technique et administratif. Je remercie ceux qui m'ont adressé de courtoises paroles de bienvenue: le Recteur Magnifique, le Gouverneur de la Banque d'Italie et une jeune étudiante. J'adresse une pensée déférente au Cardinal-Vicaire, au Ministre de l'Université et de la Recherche scientifique, aux Recteurs des Universités romaines et aux Autorités religieuses et civiles qui ont voulu être présent à cette manifestation significative.



2. «Heureux l'homme qui médite sur la sagesse» (
Si 14,20). Les paroles du Livre du Siracide, que nous venons d'entendre, indiquent la voie maîtresse sur laquelle l'Université se réalise comme communauté d'enseignants et d'étudiants. Le travail intellectuel, animé par ce gaudium de veritate, dont saint Augustin parle avec ferveur dans les Confessions (cf. X, 23), place au centre de l'engagement spéculatif la vérité de l'homme dans son intégralité. La dimension humaniste, selon laquelle la personne est entendue comme sujet et comme fin, fonde la fonction éducative et culturelle de l'Université car, comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer au Siège de l'UNESCO, le 2 juin 1980, «la tâche première et essentielle de la culture en général et également de toute culture est l'éducation» (Insegnamenti, III, 1, [1980], 1644).

Mais l'humanisme authentique ne rend pas l'homme étranger ou antagoniste à Dieu. Au contraire, en s'ouvrant au mystère divin, le véritable humaniste trouve l'espace de sa propre liberté, l'élan d'une recherche qui a pour limites le vrai, le beau et le bien, les traits d'une irremplaçable valeur de formation au service d'un progrès culturel authentique.

82 Les Congrès scientifiques, dont certains sont également promus par votre Université, et qui ont été programmés en vue du Jubilé autour du thème «L'université pour un nouvel humanisme», s'insèrent bien dans cette perspective. Je souhaite de tout coeur qu'ils constituent des occasions propices d'approfondissement scientifique et, dans le même temps, de dialogue et de confrontation entre professeurs et étudiants sur ces thèmes de grand intérêt humain et spirituel. C'est dans cette optique que se situe le Jubilé des professeurs universitaires, à la préparation duquel vous travaillez avec zèle. La célébration du grand Jubilé, dont certains de ses événements les plus significatifs auront lieu sur ce campus, et parmi lesquels j'ai plaisir à mentionner la Journée mondiale de la Jeunesse - qui se déroulera non loin de cette Université -, constituera une occasion particulière pour renouveler en profondeur les perspectives de la recherche dans chaque domaine du savoir humain.



3. «Heureux l'homme qui médite sur la sagesse». L'auteur saint indique la sagesse et l'intelligence comme dons de Dieu et conquêtes constantes de l'homme. Le vaste domaine de la culture est un terrain fécond de confrontation, d'attention à la personne et aux exigences du bien commun. Il s'agit d'un terrain d'exercice de l'action missionnaire et évangélisatrice.

Comment ne pas penser ici à la mission dans la ville dans les divers milieux, qui concerne tout le diocèse de Rome? Je sais que, dans le contexte de cette importante initiative pastorale, se sont déroulées dans vos Universités de nombreuses rencontres de catéchèse et de réflexion culturelle. En outre, je sais que vous oeuvrez à la relance de la pastorale universitaire avec une grande générosité, la considérant comme la voie privilégiée d'un projet culturel orienté de façon chrétienne, auquel l'Eglise qui est en Italie consacre son attention depuis quelques années.

Dans cette perspective, l'aumônerie universitaire, qui se consacre au soin spirituel des individus et des groupes, a revêtu la physionomie appropriée à un centre pastoral: cette tâche comporte une collaboration plus étroite et active entre les composantes culturelles de la communauté universitaire et les diverses expériences des groupes ecclésiaux présents au sein de l'Université.

Le symbole et le centre de votre action pastorale est la Chapelle, que l'on est en train de construire au coeur du campus universitaire et que vous avez voulu consacrer à saint Thomas d'Aquin. Avec son intelligence ouverte et son intérêt passionné pour la vérité, ce saint sut saisir «l'harmonie qui existe entre la raison et la foi» (Fides et ratio
FR 43). «L'homme qui ouvre positivement sa volonté à la foi - écrit-il - aime la vérité qui croit; il l'approfondit dans son esprit, l'embrasse et cherche des raisons valables à cet acte» (Summa Theologica, II-II II-II 2,10). Il ne s'agit pas de fonder la foi sur la raison, ou de soumettre l'une à l'autre, mais d'illuminer la raison par la lumière de la foi. La culture universitaire a elle aussi besoin de cette lumière.



4. Je suis reconnaissant à ceux qui ont encouragé et soutenu l'initiative d'édifier cette Chapelle, située au milieu des édifices universitaires comme une lampe resplendissante qui «brille pour tous ceux qui sont dans la maison» (Mt 5,15).

Comme je l'ai rappelé l'année dernière aux aumôniers universitaires d'Europe, la Chapelle - chaque Chapelle universitaire - est le lieu de l'esprit, où s'arrêtent en prière et trouvent nourriture et soutien les croyants, qui vivent selon diverses modalités la vie intense de l'Université. C'est un gymnase des vertus chrétiennes, où grandit et se développe la vie baptismale, et où elle s'exprime avec ardeur apostolique. C'est une maison accueillante et ouverte pour tous ceux qui, en écoutant le Maître intérieur, deviennent des chercheurs de la vérité et servent l'homme en se dévouant sans cesse à un savoir qui ne se satisfait pas d'horizons étroits et pragmatiques.

Votre Chapelle est appelée à être un centre qui catalyse l'animation chrétienne de la culture. Je bénirai donc d'ici peu avec un vif plaisir, le calice, la cloche et la statue de la Madone Reine des Apôtres, qui lui sont destinées. En outre, je vous remercie du don des deux ambulances pour la mission humanitaire en faveur des réfugiés du Kosovo. A la solidarité effective que vous avez exprimée à l'égard de ceux qui souffrent des conséquences du douloureux conflit, s'unit le voeu le plus vif que la guerre s'achève au plus tôt et que le fracas des armes cède le pas au dialogue et à la paix. Je confie également ces voeux à votre prière.

Enfin, je voudrais reprendre comme souvenir de notre rencontre l'invitation de saint Thomas d'Aquin, que nous avons écoutée: «Si tu cherches où aller, suis le Christ, car il est la vérité... Si tu cherches où t'arrêter, reste avec le Christ, car il est la vie... Suis donc le Christ si tu veux être sûr. Tu ne pourras pas t'égarer car il est le chemin».

Qu'il en soit ainsi pour chacun de vous, que je confie à la protection maternelle de Marie, Siège de la Sagesse.

Je vous bénis tous de tout coeur.

Mai 1999

AUX PÈLERINS VENUS À ROME POUR LA BÉATIFICATION DE PADRE PIO

Lundi 3 mai 1999

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Très chers frères et soeurs!



1. C'est avec une grande joie que je vous rencontre à nouveau sur cette place, qui a vu s'accomplir hier un événement que vous avez tant attendu: la béatification de Padre Pio de Pietrelcina. Aujourd'hui est le jour de l'action de grâce.

La célébration eucharistique solennelle, présidée par le Cardinal Sodano, mon Secrétaire d'Etat, vient de se conclure depuis peu. Je lui adresse une salutation cordiale, que j'étends à chacun des autres Cardinaux et Evêques présents, ainsi qu'aux nombreux prêtres et fidèles qui sont intervenus.

Je vous embrasse avec une affection spéciale, chers Frères capucins, ainsi que vous, membres de la grande famille franciscaine, qui louez le Seigneur pour les merveilles qu'il a réalisées dans l'humble Frère de Pietrelcina, disciple exemplaire du Poverello d'Assise.

Un grand nombre d'entre vous, chers pèlerins, êtes des membres des Groupes de prière fondés par Padre Pio: je vous salue affectueusement, ainsi que tous les autres fidèles qui, poussés par leur dévotion pour le nouveau bienheureux, ont voulu être présents en cette heureuse circonstance. Je désire, enfin, adresser un salut particulier à chacun de vous, chers malades, qui avez été les préférés dans le coeur et dans l'action de Padre Pio: Merci pour votre présence précieuse!



2. La Divine Providence a voulu que Padre Pio soit proclamé bienheureux à la veille du Jubilé de l'An 2000, tandis que touche à son terme un siècle dramatique. Quel est le message qu'à travers cet événement d'une grande importance spirituelle, le Seigneur veut offrir aux croyants et à l'humanité tout entière?

Le témoignage de Padre Pio, lisible dans sa vie et dans sa personne physique elle-même, nous conduit à penser que ce message coïncide avec le contenu essentiel du Jubilé désormais proche: Jésus-Christ est l'unique Sauveur du monde. En lui, dans la plénitude des temps, la miséricorde de Dieu s'est faite chair, pour apporter le salut à l'humanité, mortellement blessée par le péché. Sa «meurtrissure vous a guéris» (
1P 2,24), répète à tous à travers les paroles de l'Apôtre Pierre le bienheureux Padre, lui dont le corps porta la marque de ces meurtrissures.

En soixante ans de vie religieuse, passées presque tous à San Giovanni Rotondo, il se dévoua entièrement à la prière et au ministère de la réconciliation et de la direction spirituelle. C'est ce que souligna très bien le Serviteur de Dieu le Pape Paul VI: «Voyez la célébrité que connut Padre Pio! [...] Mais pourquoi? [...] Parce qu'il célébrait la Messe humblement, il confessait du matin au soir, et il portait [...] la représentation des stigmates de notre Seigneur. C'était un homme de prière marqué par la souffrance» (20 février 1971).

Tout dévoué à Dieu, portant toujours dans son corps la passion de Jésus, il a été le pain rompu pour les hommes qui ont faim du pardon de Dieu le Père. Ses stigmates, comme ceux de François d'Assise, étaient l'oeuvre et le signe de la miséricorde divine, qui à travers la miséricorde du Christ, a racheté le monde. Ces blessures ouvertes et sanglantes parlaient de l'amour de Dieu pour tous, en particulier pour les malades dans leur corps et dans leur esprit.



3. Et que dire de sa vie, un combat spirituel incessant, soutenu par les armes de la prière, centrée autour des gestes quotidiens sacrés de la Confession et de la Messe? La Messe était le coeur de chacune de ses journées, le plus grand moment de communion avec Jésus, Prêtre et Victime. Il se sentait appelé à participer à l'agonie du Christ, agonie qui se poursuit jusqu'à la fin du monde.

84 Très chers amis, à notre époque, où l'on a encore l'illusion de résoudre les conflits par la violence et la domination, et où l'on cède souvent à la tentation d'abuser de la force des armes, Padre Pio répète ce qu'il dit une fois: «Quelle horreur que la guerre! Dans chaque homme frappé dans sa chair, il y a Jésus qui souffre». Il ne faut pas non plus ignorer le fait que ses deux oeuvres - la «Casa Sollievo della Sofferenza» et les Groupes de prière - ont été conçues par lui en 1940, alors que se profilait en Europe la catastrophe de la seconde Guerre mondiale. Il ne demeura pas inactif, mais de son couvent, perdu dans le Gargano, il répondit par la prière et les oeuvres de miséricorde, par la charité envers Dieu et envers le prochain. Et aujourd'hui, du ciel, il répète à tous que cela est la véritable voie de la paix.



4. Les Groupes de prière et la «Casa Sollievo della Sofferenza»: voilà deux «dons» significatifs que Padre Pio nous a laissés. Pensée et voulue par lui comme hôpital pour les malades pauvres, la «Casa Sollievo della Sofferenza» fut projetée dès le début comme une structure sanitaire ouverte à tous, mais pas pour autant moins équipée que les autres hôpitaux. Padre Pio voulut même qu'elle soit dotée des instruments scientifiques et technologiques les plus avancés, afin qu'elle soit un lieu d'accueil authentique, de respect bienveillant et de thérapie efficace pour toute personne souffrante. N'est-ce pas là un véritable miracle de la Providence, qui continue et se développe, selon l'esprit du Fondateur?

Quant aux Groupes de Prière, il voulut qu'ils soient comme des phares de lumière et d'amour dans le monde. Il désirait que de nombreuses âmes se joignent à lui dans la prière: «Priez - disait-il - priez le Seigneur avec moi, car le monde entier a besoin de prière. Et chaque jour, lorsque votre coeur ressent davantage la solitude de la vie, priez, priez ensemble le Seigneur, car Dieu a besoin lui aussi de nos prières!». Son intention était de créer une armée de personnes en prière, de personnes qui soient un «levain» dans le monde à travers la force de la prière. Et aujourd'hui, l'Eglise tout entière lui est reconnaissante pour cet héritage précieux, admire la sainteté de ce fils et invite chacun à en suivre l'exemple.



5. Très chers frères et soeurs, le témoignage de Padre Pio constitue un puissant rappel à la dimension surnaturelle, qu'il ne faut pas confondre avec le phénomène des miracles, déviation dont il se garda toujours avec fermeté. Que se tournent vers lui en particulier les prêtres et les personnes consacrées.

Il enseigne aux prêtres à devenir des instruments dociles et généreux de la grâce divine, qui guérit les personnes à la racine de leurs maux, restituant à chacun la paix du coeur. L'autel et le confessionnal furent les deux pôles de sa vie: l'intensité charismatique avec laquelle il célébrait les divins mystères est un témoignage plus que jamais bénéfique pour débarrasser les prêtres de la tentation de l'habitude et les aider à redécouvrir jour après jour le trésor inépuisable de renouveau spirituel, moral et social placé entre leurs mains.

Aux personnes consacrées, et en particulier à la Famille franciscaine, il offre un témoignage de fidélité particulière. François était son nom de baptême et, du Père séraphique, il fut, dès son entrée au couvent, un digne disciple, dans la pauvreté, dans la chasteté et dans l'obéissance. Il pratiqua dans toute sa rigueur la règle capucine, embrassant avec générosité la vie de pénitence. Il ne se complaisait pas dans la douleur, mais la choisit comme voie d'expiation et de purification. Comme le Poverello d'Assise, il tendit à la configuration avec Jésus-Christ, désirant seulement «aimer et souffrir» pour aider le Seigneur dans la difficile et exigeante oeuvre de salut. Dans l'obéissance «ferme, constante et de fer» (Lettres, I, 488), son amour inconditionnel pour Dieu et pour l'Eglise trouva sa plus haute expression.

Quel réconfort de sentir près de nous Padre Pio, qui voulut être simplement «un pauvre qui prie»: frère du Christ, frère de François, frère de celui qui souffre, frère de chacun de nous. Puisse son aide nous guider sur la voie de l'Evangile et nous mettre à la suite du Christ avec toujours plus de générosité!

Que la Vierge Marie, qu'il aima et fit aimer avec une profonde dévotion, nous obtienne cela. Que son intercession, que nous invoquons avec confiance, nous obtienne cela.

J'accompagne ces souhaits de la Bénédiction apostolique, que je vous donne de tout coeur, chers pèlerins ici présents, ainsi qu'à ceux qui sont unis spirituellement à cette rencontre joyeuse.



AUX ÉVÊQUES DE L'ONTARIO EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Mardi 4 mai 1999

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Chers Frères dans l'épiscopat,



1. Dans l'espérance glorieuse de Pâques, je vous souhaite la bienvenue, évêques de l'Ontario, en me réjouissant avec vous de ce que la promesse pascale «ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné» (
Rm 5,5). Je prie pour qu'au cours de ces journées de votre visite ad limina Apostolorum, l'Esprit Saint qui a ressuscité Jésus d'entre les morts fasse ressentir son action puissante dans vos coeurs, afin que vous puissiez goûter à nouveau de sa paix et de sa joie dans «le service sacerdotal de l'Evangile de Dieu» (Rm 15,16). Vous provenez de villes, grandes et petites, de vastes espaces du Canada rural, de cultures anglophones et francophones et des Eglises de l'Est et de l'Ouest. Mais vous êtes venus aux tombes des Apôtres, unis en tant que frères dans la communion hiérarchique, en tant que Pasteurs apportant les joies et les espérances, les peines et les préoccupations du Peuple de Dieu que le Christ vous a appelés à servir. Le ministère des évêques est complexe et exigeant, et ses nombreuses tensions peuvent parfois gêner notre vision de ce que le Christ nous appelle à être et à faire. Ce séjour à Rome est un moment que le Seigneur vous donne pour prendre du recul et vous concentrer sur ce qui compte véritablement, pour faire le point sur votre ministère à la lumière de l'amour du Seigneur pour son Eglise, et pour programmer l'avenir avec toujours plus de courage et de confiance.

Il s'agit d'une heure de grand défi pour la communauté catholique, mais également d'une période de grâce abondante; et nous qui guidons le Peuple de Dieu dans son pèlerinage ne pouvons ignorer le don qui nous est offert aujourd'hui. Nous nous trouvons au seuil d'un nouveau millénaire, à une époque de profonds changements culturels qui, comme le millénaire qui touche à sa fin, est chargé d'ambiguïtés. Pourtant, au milieu des problèmes et des contradictions, l'Eglise tout entière se prépare à célébrer le grand Jubilé du 2000ème anniversaire de la naissance du Sauveur, dans l'assurance que la miséricorde de Dieu fera de grandes choses pour nous (cf. Lc 1,49). Il existe des signes qui montrent que le Christ, la plénitude de la miséricorde de Dieu, emprunte des voies nouvelles et merveilleuses. Comme à d'autres moments importants de son histoire, l'Eglise est sous jugement: et elle sera jugée selon qu'elle réussit à reconnaître et à répondre aux exigences de cette «heure de grâce». Plus que tout autres, nous, évêques, sommes jugés: «Or ce qu'en fin de compte on demande à des intendants, c'est que chacun soit trouvé fidèle» (1Co 4,2).



2. Le souvenir de l'Assemblée spéciale pour l'Amérique du Synode des Evêques est encore vivant à mon esprit: et comment pourrait-il en être autrement, ayant vécu une expérience si profonde de communion épiscopale dans le «souci de toutes les Eglises» (2Co 11,28)? De Mexico, l'Exhortation apostolique Ecclesia in America est allée jusqu'à vous et aux prêtres, religieux et fidèles laïcs de vos diocèses comme une invitation sincère à s'engager en vue de la «nouvelle évangélisation». L'Exhortation apostolique contient de nombreux éléments de pensée et d'action; et c'est sur l'un de ceux-là que je désire réfléchir avec vous aujourd'hui. L'Exhortation souligne qu'«évangéliser la culture urbaine constitue un défi formidable pour l'Eglise qui, de même qu'elle a su pendant des siècles évangéliser la culture rurale, de même aujourd'hui est appelée à accomplir une évangélisation urbaine méthodique et capillaire» (). Ce à quoi les Pères synodaux ont appelé n'est rien d'autre que l'évangélisation que j'ai décrite comme «nouvelle dans son ardeur, ses méthodes et son expression» (Discours à l'Assemblée du CELAM, 9 mars 1983, 3); et une telle évangélisation est certainement nécessaire à la veille du troisième millénaire chrétien, en particulier dans les grands centres urbains où vit un pourcentage croissant de la population. Comme l'ont observé les Pères du Synode, l'Eglise en Europe et ailleurs a réussi par le passé à évangéliser la culture rurale, mais cela ne suffit plus. Une nouvelle tâche importante se présente maintenant, et il est impensable que nous ne réussissions pas dans l'évangélisation des villes. «Il est fidèle celui qui vous appelle: c'est encore lui qui fera cela» (1Th 5,24).



3. Le phénomène de la mégalopole est présent depuis longtemps, et l'Eglise n'a pas tardé à rechercher la meilleure façon d'y répondre. Dans sa Lettre apostolique de 1971, Octogesima adveniens, le Pape Paul VI soulignait combien l'urbanisation croissante et irréversible représente un défi important à la sagesse humaine, à l'imagination et au pouvoir d'organisation (n. 10). Il soulignait combien l'urbanisation dans une société industrielle bouleverse les voies et les structures de vie traditionnelles, engendrant pour les personnes «une nouvelle solitude [...] dans une foule anonyme [...] dans laquelle elles-mêmes se sentent étrangères» (ibid.). Cela produit également ce que le Pape a appelé des «nouveaux prolétariats» aux marges des grandes villes, «une ceinture de pauvreté qui proteste en silence contre le luxe qui se déverse de manière flagrante des centres de consommation et de gaspillage» (ibid.). Il en ressort une culture de discrimination et d'indifférence, «se prêtant à de nouvelles formes d'exploitation et de domination» qui minent profondément la dignité humaine. Ce n'est pas là toute la vérité sur la mégalopole moderne, mais il s'agit d'une partie cruciale qui présente à l'Eglise et en particulier aux pasteurs, un défi urgent et incontournable. L'urbanisation, cela est vrai, crée de nouvelles opportunités, crée de nouveaux modes de communauté, encourage de nombreuses formes de solidarité; mais dans la «lutte contre le péché» (cf. He He 12,4) c'est souvent la sombre face cachée de l'urbanisation qui occupe votre attention pastorale immédiate.

Depuis 1971, la vérité des remarques du Pape Paul VI est devenue plus claire à mesure que le processus d'industrialisation s'est poursuivi et accru. Les Pères du Synode ont souligné que le flux des personnes dans les villes est souvent causé par la pauvreté, le manque d'opportunités et de service dans les zones rurales (Ecclesia in America ). L'attirance devient plus forte car les villes détiennent les promesses d'emploi et de divertissement, et semblent être les réponses à la pauvreté et à l'ennui lorsqu'en fait, elles en engendrent de nouvelles formes.

Pour de nombreuses personnes, en particulier les jeunes, la ville devient une expérience de déracinement, d'anonymat et d'inégalité, provoquant une perte d'identité et de sens de la dignité humaine. Le résultat est souvent la violence qui frappe maintenant tant de grandes villes, en particulier dans vos pays. Au centre de la violence, il y a la protestation engendrée par une déception enracinée: la ville promet tant de choses et n'en offre que si peu et à si peu de personnes. Ce sens de déception est également lié à une perte de confiance dans les institutions - politiques, juridiques et éducatives, mais également dans l'Eglise et dans la famille. Dans un tel monde, un monde de profondes absences, les cieux semblent fermés (cf. Is 64,1) et Dieu semble bien lointain. Cela devient un monde profondément sécularisé, unidimensionnel qui peut apparaître comme une prison à tant de personnes. Dans cette «ville de l'homme», nous sommes appelés à édifier «la ville de Dieu»; et face à une tâche si immense, nous sommes peut-être tentés, comme le prophète Jonas à Ninive, de perdre courage et de fuir devant la tâche (cf. Jon Jon 4,1-3 Octogesima adveniens Jon 12). Mais, comme pour Jonas, le Seigneur lui-même nous conduira résolument le long du chemin qu'il a choisi pour nous.



4. Les Pères du Synode n'ont pas promu une nouvelle évangélisation urbaine de manière indéterminée: ils ont précisé des éléments de l'activité pastorale qu'une telle évangélisation requiert. Ils ont parlé du besoin d'«une évangélisation urbaine méthodique et capillaire par la catéchèse, la liturgie et la manière même d'organiser ses structures pastorales» (Ecclesia in America ). Ici nous avons donc trois éléments très précis: la catéchèse, la liturgie, et l'organisation des structures pastorales - éléments qui sont radicalement liés aux trois dimensions du ministère de l'Evêque: enseigner, sanctifier et gouverner. A ce sujet, chers Frères, nous touchons le point central de ce que le Christ nous appelle à être et à faire dans la nouvelle évangélisation.

Ces trois dimensions ont pour objectif une expérience nouvelle et plus profonde de la communauté dans le Christ, qui est la seule réponse efficace et durable à une culture marquée par le déracinement, l'anonymat et les inégalités. Là où cette expérience est fragile, on peut s'attendre à ce que davantage de fidèles se détachent de la religion ou dérivent vers des sectes et vers des groupes pseudo-religieux, qui s'appuient sur leur faiblesse et se développent parmi les chrétiens déçus par l'Eglise pour quelque raison que ce soit. On ne peut plus s'attendre à ce que les gens viennent dans nos communautés spontanément; il doit plutôt y avoir une nouvelle impulsion missionnaire dans les villes, avec des hommes et des femmes dévoués, notamment des jeunes, qui s'engagent au nom du Christ pour inviter les gens à rejoindre la communauté ecclésiale. C'est un élément central de l'organisation des structures pastorales, qui est requis pour une nouvelle évangélisation des villes. Cette dernière donnera un nouvel élan du même ordre que celui qui a permis la naissance de l'Eglise sur votre terre: en particulier l'engagement héroïque de Jean de Brébeuf et d'Isaac Jogues, de Marguerite Bourgeoys et Marguerite d'Youville. Mais maintenant, le but est la ville, et c'est là que le nouvel héroïsme missionnaire doit briller avec autant d'éclat que cela s'est produit dans le passé, mais autrement. Cela dépendra en grande partie de l'élan et du dévouement des missionnaires laïcs urbains; ceux-ci auront aussi besoin du service de prêtres vraiment zélés, qui seront eux-mêmes habités par l'esprit missionnaire et qui sauront comment allumer cet esprit chez les autres. Il est vital que les séminaires et les maisons de formation soient clairement vus comme des écoles pour la mission, formant des prêtres qui pourront aider les fidèles à devenir les nouveaux évangélisateurs dont l'Eglise a désormais besoin.



5. Lorsque les fidèles répondent à l'appel du Seigneur et cherchent à entrer davantage dans la communauté croyante, ils doivent être conduits à demeurer en intimité avec le Christ, à travers la vie cultuelle et la catéchèse, dont les Pères du Synode ont parlé. Le lieu privilégié pour cette expérience reste la paroisse, malgré tous les grands changements qui s'y déroulent dans le contexte urbain d'aujourd'hui (cf. Ecclesia in America ). Il est vrai que la paroisse a besoin de s'adapter pour faire face aux changements actuels rapides; mais il est aussi certain que la paroisse s'est montrée, dans le passé, capable d'extraordinaires adaptations et qu'elle en sera encore capable aujourd'hui.

Cependant, devant toute adaptation, il faut garder clairement présent à l'esprit que c'est par-dessus tout l'Eucharistie qui révèle la vérité immuable de la vie chrétienne. C'est pourquoi la liturgie est aussi centrale, et il est nécessaire que les Evêques et les prêtres fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer que la vie cultuelle de l'Eglise, spécialement la Messe, sera centrée sur la présence réelle du Seigneur - «parce que l'Eucharistie constitue l'entière richesse spirituelle de l'Eglise» (Presbyterorum Ordinis PO 5). Cela requiert à la fois une catéchèse systématique des jeunes et des adultes, ainsi qu'un profond esprit de fraternité entre tous ceux qui se rassemblent pour célébrer le Seigneur. On ne doit pas laisser l'anonymat des villes envahir nos communautés eucharistiques. De nouvelles méthodes et de nouvelles structures doivent être trouvées pour construire des ponts entre les personnes, de sorte que se réalise réellement cette expérience d'accueil mutuel et de proximité que la fraternité chrétienne requiert. Il se pourrait bien que cette expérience et que la catéchèse qui doit l'accompagner soient mieux accomplies dans des communautés plus réduites, comme cela est précisé dans l'exhortation post-synodale: «On peut peut-être trouver un moyen de renouvellement paroissial, particulièrement urgent dans les paroisses des grandes villes, en considérant la paroisse comme une communauté de communautés» (Ecclesia in America ). Une telle réalisation demandera d'être accomplie prudemment, pour ne pas engendrer de nouvelles formes de fractures; mais il se pourrait aussi qu'il soit «plus facile, au sein de ce contexte humain, de se retrouver pour écouter la Parole de Dieu, pour réfléchir, à sa lumière, sur les divers problèmes humains, et pour mûrir des choix responsables, inspirés par l'amour universel du Christ» (ibid. EIA ).

Non seulement les paroisses, mais aussi les écoles catholiques et d'autres institutions doivent s'ouvrir aux urgences pastorales nécessaires pour évangéliser les villes. Mais, pour cela, elles doivent s'assurer que leur identité catholique n'est en aucune façon affectée par les influences liées à la sécularisation. Au Canada, ces influences sont parfois lourdes, et vous, chers Frères, vous avez lutté pour leur résister. Je vous exhorte fortement à poursuivre ce chemin avec courage et lucidité, de manière à ce que les institutions catholiques, précisément à cause de leur identité catholique, puissent efficacement contribuer à l'oeuvre d'évangélisation, importante pour l'Eglise. Tout cela fait profondément partie de la tâche de vigilance que le Christ a confiée aux Evêques.



6. Pourtant, il ne faut jamais oublier que les développements au niveau de la structure pastorale et de la stratégie ne visent qu'un seul objectif: conduire les personnes au Christ. Telle était la vision simple et lumineuse du Synode, et cela est reflété dans l'Exhortation post-synodale. C'est certainement ce à quoi tendent les personnes, bien qu'elles-mêmes parfois ne le voient pas. L'Ecriture ne laisse aucun doute sur le fait que l'on ne peut rencontrer le Christ hors de l'expérience de la communauté chrétienne. Nous ne pouvons pas avoir le Christ sans l'Eglise, la communauté de foi et la grâce salvifique. Sans l'Eglise, il est certain que nous créerions une idée du Christ à notre propre image, lorsque notre véritable devoir est de lui permettre de nous créer à son image. Le Nouveau Testament est également tout à fait clair dans sa description de la rencontre avec le Christ. Nous le voyons en particulier lors de la période de Pâques, lorsque nous lisons les comptes-rendus des apparitions du Seigneur ressuscité qui furent les semences mêmes du christianisme entendu comme une religion non seulement d'illumination, mais plus exactement de rencontre. Les Evangiles nous disent que la rencontre avec le Christ est toujours inattendue, perturbatrice et contraignante. L'appel du Christ, comme l'appel de Dieu dans l'Ancien Testament, arrive à ceux qui ne l'attendent pas, - à une époque, dans un lieu et d'une façon qu'ils n'auraient jamais pu prévoir. Elle est perturbatrice dans la mesure où la vie ne pourra plus jamais être la même: il y a toujours un effet bouleversant dans l'appel du Christ qui dit «Suivez-moi» (Mt 4,19) avec toute la conversion de vie que cela comporte. Et, finalement, ceux qui rencontrent le Christ reçoivent toujours de lui la mission de continuer à partager avec d'autres le don qu'ils ont reçu eux-mêmes (cf. Mt 28,19-20). Telle est donc la triple forme de la rencontre avec le Christ qui conduit les personnes plus profondément dans la communauté de foi, et qui demeure le seul objectif de leur chemin de foi dans l'Eglise.



7. Dans une communauté davantage consciente de la présence du Christ, la mégalopole trouvera le signe de Dieu poindre derrière une culture de déracinement, d'anonymat et d'inégalité. On nourrira la culture de la vie que vous, chers frères vous êtes efforcés de promouvoir en permanence; et cela engendrera en retour une culture de la dignité humaine, ce véritable humanisme qui est enraciné dans l'acte créateur de Dieu et qui est toujours un signe de la puissance rédemptrice du Christ. Une telle communauté sera la semence de «la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu» (Ap 21,2). Nous sommes ceux qui avons vu cette vision de l'Eglise: c'est pourquoi «nous avons appris qu'il y a une Cité de Dieu et nous avons voulu être les citoyens de cette Cité» (Saint Augustin, Cité de Dieu, XI, 1), où «nous serons calmes et verrons; nous verrons et nous aimerons; nous aimerons et nous louerons» (ibid., XXII, 30).

Avec la louange de la Très Sainte Trinité dans nos coeurs et sur nos lèvres, nous nous tournons vers Marie «Mère de l'Amérique» (Ecclesia in America ). Puisse-t-elle, elle à travers laquelle la lumière jaillit sur le monde, faire la lumière sur votre chemin tandis que vous allez avec votre peuple à travers les ténèbres à la rencontre du Seigneur ressuscité. Confiant l'Eglise qui est en Ontario à son soin infaillible, et invoquant la miséricorde infinie de Dieu sur vous, ainsi que sur les prêtres, les religieux et les fidèles laïcs, je vous donne avec joie ma Bénédiction apostolique.




Discours 1999 78