Discours 1999 93

AU PRÉSIDENT DE LA ROUMANIE

Vendredi 7 mai 1999

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Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents du Sénat et de la Chambre des Députés,
Messieurs les Membres du Gouvernement et des Corps constitués,
Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique,
Messieurs les Représentants des différentes Communautés religieuses,



1. En répondant à l’invitation que vous m’avez faite de visiter la Roumanie, je suis heureux, Monsieur le Président, de fouler pour la première fois le sol de votre pays. Je vous remercie vivement de votre accueil et des paroles courtoises que vous venez de m’adresser, en votre nom personnel et au nom des Autorités de la Nation. Je salue les membres des Corps constitués et les représentants du peuple roumain, ainsi que les membres des Communautés religieuses et du Corps diplomatique; plus largement, j’adresse mes salutations les plus cordiales aux responsables de la vie publique, ainsi qu’aux personnes qui ont contribué à préparer ma visite et à tous les Roumains.



2. C’est en pèlerin de la paix, de la fraternité et de l’entente au sein des nations, entre les peuples et entre les disciples du Christ que je viens sur votre terre. Au cours des différentes étapes de ma visite, je rencontrerai les diverses communautés ecclésiales, ainsi que le peuple de Roumanie. Je remercie cordialement à Sa Béatitude Théoctiste, Patriarche de Roumanie, pour ses paroles de bienvenue. Notre rencontre et les temps de prière que nous partagerons sont des témoignages éloquents de fraternité évangélique. A la suite du dernier Concile, dans la perspective du grand Jubilé, ce sont des gestes qui marquent de manière significative le chemin de l’unité entre les chrétiens. Je souhaite que les pasteurs et les fidèles fassent, à leur tour, des gestes concrets de dialogue et d’accueil mutuel, qui manifesteront que la charité fraternelle dans le Christ n’est pas une parole vaine mais une composante de la vie chrétienne et de l’Eglise.



95 3. Je tiens aussi à saluer les évêques catholiques de Roumanie, ainsi que tous les membres de leurs communautés latine, grecque-catholique et arménienne. Je les assure de mon affection paternelle. En leur redisant mon admiration pour le travail accompli dans l’épreuve, avec fidélité et courage, je me réjouis de leur action pastorale en communion avec le Successeur de Pierre, signe de l’unité du Corps du Christ et de leur engagement au sein de la société roumaine.

  4. Je suis heureux de rencontrer les membres du Corps diplomatique; leur présence manifeste l’attention que portent les Etats voisins, l’Europe et l’ensemble du monde à la Roumanie, à son développement intérieur et à ses relations extérieures. Je souhaite que la communauté internationale intensifie ses aides en faveur des nations qui, sortant du joug communiste, ont à réorganiser leur vie économique et sociale; ces pays deviendront ainsi des artisans de paix et de prospérité pour leurs habitants et des partenaires encore plus responsables dans la vie internationale.



5. La présence de Représentants des différentes Communautés religieuses m’invite à souligner le rôle essentiel des Églises. Il leur revient d’être des artisans de paix, de solidarité et de fraternité, afin de ne pas se situer comme des antagonistes mais comme des collaborateurs en vue du bien commun, bannissant tout ce qui peut exacerber les oppositions, les passions et les idéologies qui, au cours des décennies passées, ont cherché à l’emporter sur les personnes, sur les communautés humaines locales et sur les principes de liberté et de vérité. Dans le respect de l’autonomie des réalités temporelles, leur mission spirituelle les invite à être des veilleurs dans le monde, pour rappeler les valeurs qui fondent la vie sociale et pour repérer du point de vue humain et spirituel les manquements au respect dû à toute personne, à sa dignité et à ses libertés fondamentales, notamment la liberté religieuse et la liberté de conscience.

6. La Roumanie vit une période de transition déterminante pour son avenir, pour sa participation plus intense à la construction de l’Europe et pour sa présence sur la scène internationale. Ma pensée va vers ceux qui traversent des épreuves, notamment ceux qui sont gravement touchés par la crise économique et ceux qui sont dans des situations de pauvreté ou de maladie, ainsi que les familles qui ont de la peine à subvenir à leurs besoins. J’invite tous les Roumains à faire preuve de solidarité, témoignant ainsi concrètement que la vie sur un même territoire crée des liens forts de fraternité. Personne ne doit se sentir mis à l’écart ou ne doit prendre prétexte de la lenteur des transformations pour désespérer ou pour se désolidariser de la démarche commune. Chacun est responsable de ses frères et de l’avenir du pays.



7. Quarante années de communisme athée ont laissé des séquelles et des cicatrices dans la chair et dans la mémoire de votre peuple, et ont instauré un climat de méfiance; tout cela ne peut pas disparaître sans un réel effort de conversion des citoyens dans leur vie personnelle et dans les relations avec l’ensemble de la communauté nationale. Chacun doit tendre la main à ses frères, afin que la promotion et le développement soient au bénéfice de tous, en particulier de ceux qui ont subi les effets néfastes des différentes crises du passé. Votre peuple est riche de ressources insoupçonnées, de confiance en soi et de solidarité. Fort de ces valeurs, il est appelé à développer un art de vivre ensemble qui est un supplément d’âme et d’humanité. La solidarité et la confiance exigent de tous les protagonistes de la vie sociale la concertation et le respect des différents niveaux d’intervention, ainsi qu’un engagement persévérant et une attitude d’honnêteté de la part de tous ceux qui ont à gérer les affaires de la société. A partir de là se constitue véritablement une communauté de destin. J’encourage les habitants de la Roumanie à travailler pour édifier une société au service de tous et à se laisser rejoindre par le message du Christ, comme leurs ancêtres l’ont fait dès les temps apostoliques, montrant combien les valeurs chrétiennes, spirituelles, morales et humaines ont une place importante dans la vie de la nation.



8. Les bouleversements issus des événements de 1989 ont augmenté les différences entre les citoyens. Les difficultés dans la transition démocratique mènent parfois au découragement. Le chemin de la vie démocratique passe avant tout par une éducation civique pour tous les citoyens, afin qu’ils puissent prendre une part active et responsable à la vie publique au sein des collectivités locales et à tous les échelons de la société. Formé au sens civique, le peuple prendra conscience que les évolutions ne peuvent être uniquement le fait des structures, mais qu’elles concernent aussi les mentalités. Il convient en particulier que les jeunes puissent retrouver confiance en leur pays et de ne pas être tentés d’émigrer. D’autre part, il est important qu’un Etat soucieux de convivialité et de paix soit attentif à tous les individus qui vivent sur le territoire national, sans exclusive. En effet, une Nation a le devoir de mettre tout en oeuvre pour affermir l’unité nationale, fondée sur l’égalité entre tous les habitants, indépendamment de leur origine et de leur religion, et pour développer le sens de l’accueil de l’étranger.

Certes, les modifications territoriales, qui ont conduit à unir des populations aux appartenances ethniques et religieuses différentes, ont dessiné, surtout en Transylvanie, une mosaïque socioreligieuse complexe. C’est avec la patience et surtout avec la volonté de réussir l’art de vivre ensemble que, grâce à la convivialité nationale et religieuse, les oppositions et les peurs pourront être surmontées. “Il faut passer d’une position d’antagonisme et de conflit à une position où l’un et l’autre se reconnaissent mutuellement comme des partenaires” (encyclique Ut unum sint
UUS 29). Si l’histoire ne peut pas être oubliée, c’est en s’attachant au respect des droits des minorités et au dialogue, en ayant la volonté du pardon et de la réconciliation, que les citoyens peuvent aujourd’hui se retrouver partenaires, et même encore davantage, frères.



9. Je désire enfin mentionner l’accueil que la Roumanie avait si généreusement accordé à mes compatriotes et au gouvernement polonais durant la deuxième guerre mondiale. Je voudrais aussi rendre hommage au sursaut de générosité dont ont été capables de nombreuses personnes lors des événements de 1989. Ce sont, parmi tant d’autres, des signes qui peuvent susciter aujourd’hui encore des attitudes courageuses et persévérantes qui font advenir une société où il fait bon vivre.



10. Je vous sais gré, Monsieur le Président, de m’avoir invité à partager pendant quelques heures l’histoire de votre pays, me permettant ainsi de rencontrer les communautés catholiques et d’accomplir, dans mes contacts avec l’Eglise orthodoxe roumaine, une étape importante sur le chemin de l’unité chrétienne. J’invoque sur vous-même, sur votre famille, sur les personnes présentes, ainsi que sur toute la population de la Roumanie, l’abondance des Bénédictions divines.



AUX ÉVÊQUES DU SAINT-SYNODE DE L'ÉGLISE ORTHODOXE DE ROUMANIE

Samedi 8 mai 1999, Bucarest

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Béatitude,
Vénérés Métropolites et Evêques du Saint-Synode
de l'Eglise Orthodoxe de Roumanie !



1. Une scène évangélique s'est souvent présentée à mon esprit tandis que je me préparais à cette rencontre si désirée : celle de l'Apôtre André, votre premier évangélisateur, qui, plein d'enthousiasme, se présente à son frère Pierre pour lui annoncer la nouvelle retentissante : «Nous avons trouvé le Messie (ce qui signifie le Christ) !» (
Jn 1,41). Cette découverte changea la vie des deux frères : laissant leurs filets, ils devinrent «pêcheurs d'hommes» (Mt 4,19) et, après avoir été transformés intérieurement par l'Esprit de la Pentecôte, ils se mirent en chemin sur les routes du monde pour porter à tous l'annonce du salut. Avec eux, d'autres disciples continuèrent le labeur évangélique qu'ils avaient entrepris, invitant les nations au salut et «les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit» (Mt 28,19).

Béatitude, vénérés Frères dans l'épiscopat, nous sommes les fils de cette évangélisation. Nous aussi, nous avons reçu cette annonce, nous aussi, nous avons été rachetés dans le Christ. Si nous nous rencontrons aujourd'hui, c'est par un dessein de tendresse de la Très Sainte Trinité qui, à la veille du grand Jubilé, a voulu nous accorder, à nous successeurs de ces Apôtres, de faire mémoire de leur rencontre. L'Église a grandi et s'est répandue dans le monde; l'Évangile a fécondé les cultures. Ici aussi, dans cette terre de Roumanie, des trésors de sainteté, de fidélité chrétienne, acquise parfois au prix de la vie, ont rendu plus précieux ce temple spirituel qu'est l'Église. En ce jour, nous en rendons grâce ensemble à Dieu.



2. L'émotion suscitée par votre visite, Béatitude, à la ville des saints Pierre et Paul, les Coryphées des Apôtres, est toujours vivante en mon esprit. Je garde un souvenir ému de cette rencontre, qui a eu lieu en des temps difficiles pour votre Église. C'est moi maintenant, pèlerin de la charité, qui rends hommage à cette terre imprégnée du sang des martyrs anciens et récents, qui «ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau» (Ap 7,14). Je viens à la rencontre d'un peuple qui a accueilli l'Évangile, qui l'a assimilé et l'a défendu des attaques répétées, le considérant maintenant comme partie intégrante de son patrimoine culturel.

Il s'agit d'une culture patiemment élaborée, dans la ligne de l'héritage de la Rome antique, dans une tradition de sainteté qui a pris naissance dans les cellules d'innombrables moines et moniales consacrant leur temps à chanter les louanges de Dieu et à garder les bras levés, comme Moïse, pour la prière, afin que soit gagnée la bataille pacifique de la foi, au bénéfice des populations de cette terre. La message évangélique est ainsi arrivé jusqu'à la table des intellectuels, dont beaucoup ont contribué, par leur charisme, à promouvoir son assimilation par les nouvelles générations roumaines, lancées dans la construction de leur avenir.

Béatitude, je suis venu ici en pèlerin pour dire combien l'Église catholique tout entière vous est proche par l'affection, dans l'effort des Évêques, du clergé et des fidèles de l'Église orthodoxe roumaine, au moment où un millénaire se termine et où un autre se profile à l'horizon. Je vous suis proche, et c'est avec estime et admiration que je vous soutiens dans le programme de renouveau ecclésial que le Saint-Synode a entrepris dans des domaines aussi essentiels que la formation théologique et catéchétique, pour faire épanouir à nouveau l'âme chrétienne qui ne fait qu'un avec votre histoire. Dans cette oeuvre de renouveau bénie de Dieu, sachez, Béatitude, que les catholiques sont aux côtés de leurs frères orthodoxes, par la prière et par leur disponibilité pour toute collaboration utile. L'unique Évangile attend d'être annoncé par tous ensemble, dans l'amour et dans l'estime réciproque. Combien de champs s'ouvrent devant nous pour une tâche qui nous engage tous, dans le respect mutuel et dans le désir partagé d'être utile à l'humanité pour laquelle le Fils de Dieu a offert sa vie ! Le témoignage commun est un puissant moyen d'évangélisation. La division marque au contraire la victoire des ténèbres sur la lumière.



3. Béatitude, tous les deux, dans notre histoire personnelle, nous avons vu les chaînes et fait l'expérience de l'oppression d'une idéologie qui voulait extirper de l'âme de nos peuples la foi dans le Christ Seigneur. Mais les portes de l'enfer n'ont pas prévalu contre l'Église, Épouse de l'Agneau. C'est Lui, l'Agneau immolé et glorieux, qui nous a soutenus dans la détresse et qui maintenant nous permet d'entonner le chant de la liberté retrouvée. C'est Lui que l'un de vos théologiens contemporains a appelé «le restaurateur de l'homme», celui qui guérit l'homme malade et le relève après la longue soumission au lourd fardeau de l'esclavage. Après tant d'années de violence, de répression de la liberté, l'Église peut verser sur les blessures de l'homme le baume de la grâce et le guérir au nom du Christ en disant, comme Pierre au boiteux : «De l'or ou de l'argent, je n'en ai pas; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ, le Nazôréen, marche!» (Ac 3,6). L'Église ne se lasse pas d'exhorter, de supplier les hommes et les femmes de notre temps de se mettre debout, de reprendre leur marche vers le Père, de se laisser réconcilier avec Dieu. Telle est la première charité que l'humanité attend de nous : l'annonce évangélique et la renaissance dans les sacrements, qui se prolongent dans le service des frères.

Béatitude, je suis venu contempler le Visage du Christ gravé dans votre Église; je suis venu vénérer ce Visage souffrant, gage pour vous d'une espérance renouvelée. Votre Église, consciente d'avoir «trouvé le Messie», s'efforce d'amener ses fils et tous les hommes qui cherchent Dieu d'un coeur sincère à le rencontrer; elle le fait par la célébration solennelle de la divine Liturgie et l'action pastorale quotidienne. Cet engagement coïncide avec votre tradition, si riche de figures qui ont su unir une profonde vie dans le Christ avec un généreux service des nécessiteux; un engagement passionné dans l'étude avec un inlassable souci pastoral. Je voudrais rappeler seulement ici le saint moine et évêque Callinicos de Tchernique, si proche du coeur des fidèles de Bucarest.



4. Béatitude, chers frères Évêques, notre rencontre a lieu le jour où la liturgie byzantine célèbre la fête du saint Apôtre et Évangéliste Jean le Théologien. Qui peut mieux que lui, qui fut intensément aimé du Maître, nous communiquer cette vivante expérience d'amour ? C'est cela qui, dans ses lettres, semble être la synthèse de sa vie, le mot qui, dans la vieillesse, quand disparaît ce qui est superflu, lui restait pour marquer son expérience personnelle : «Dieu est Amour». C'est ce qu'il avait contemplé en posant sa tête sur le coeur de Jésus et en levant les yeux sur son côté transpercé, d'où jaillissaient l'eau du Baptême et le Sang de l'Eucharistie. Cette expérience de l'amour de Dieu non seulement nous invite, mais je dirais nous contraint doucement à l'amour, synthèse unique et véritable de la foi chrétienne.

«L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout» (1Co 13,4-7). Ce sont les paroles adressées par l'Apôtre Paul à une communauté tourmentée par des conflits et des tensions; ce sont des paroles valables pour tous les temps. Nous savons bien que ces paroles sont aujourd'hui adressées avant tout à nous. Elles ne servent pas à reprocher à l'autre son erreur mais à démasquer la nôtre, celle de chacun d'entre nous. Nous avons connu des oppositions, des récriminations, des réticences intérieures et des fermetures réciproques. Et pourtant, les uns et les autres, nous sommes témoins que, malgré ces divisions, au moment de la grande épreuve, quand nos Églises semblaient secouées jusque dans leurs fondements, ici aussi, en cette terre de Roumanie, les martyrs et les confesseurs ont su glorifier le nom de Dieu d'une seul coeur et d'une seule âme. C'est précisément en considérant l'oeuvre merveilleuse de l'Esprit, incompréhensible pour la logique humaine, que notre faiblesse trouve sa force et que le coeur retrouve courage et confiance au milieu des difficultés de la situation présente.



97 5. Je suis heureux que, concrètement, il ait été possible d'instaurer ici, en Roumanie, un dialogue fraternel sur les problèmes qui nous divisent encore. L'Église grecque-catholique de Roumanie a subi ces dernières décennies une violente répression, ses droits ont été bafoués et violés. Ses fils ont beaucoup souffert, certains jusqu'au témoignage suprême du sang. La fin de la persécution a rendu la liberté, mais le problème des structures ecclésiales attend encore sa solution définitive. Que le dialogue soit la voie pour guérir les blessures encore ouvertes et pour résoudre les difficultés qui subsistent toujours ! La victoire de la charité sera un exemple non seulement pour les Églises, mais pour toute la société. Je prie Dieu, Père des miséricordes et source de la paix, pour que l'amour, reçu et donné, soit le signe par lequel les chrétiens sont reconnus comme fidèles à leur Seigneur.

Les Églises orthodoxes et l'Église catholique ont parcouru un long chemin de réconciliation : je veux exprimer à Dieu ma gratitude émue et profonde pour tout ce qui a été accompli, et je veux vous rendre grâce à vous-mêmes, vénérés Frères dans le Christ, pour les efforts que vous avez prodigués sur ce chemin. Le moment n'est-il pas venu maintenant de reprendre résolument la recherche théologique, soutenue par la prière et par la sympathie de tous les fidèles, orthodoxes et catholiques ?

Dieu sait si notre monde, et aussi notre Europe, que nous espérions libérée de luttes fratricides, ont besoin d'un témoignage d'amour fraternel, qui l'emporte sur la haine et les querelles et qui ouvre les coeurs à la réconciliation ! Où sont nos Églises quand le dialogue se tait et que les armes font entendre leur langage de mort ? Comment éduquer nos fidèles à la logique des béatitudes, si différente de la façon de raisonner des puissants de ce monde ?

Béatitude, chers Frères dans l'épiscopat, redonnons une unité visible à l'Église, ou alors ce monde sera privé d'un témoignage que seuls les disciples du Fils de Dieu, mort et ressuscité par amour, peuvent lui offrir pour l'amener à s'ouvrir à la foi (cf.
Jn 17,21). Et qu'est-ce qui peut inciter les hommes d'aujourd'hui à croire en Lui, si nous continuons à déchirer la tunique sans couture de l'Église, si nous ne réussissons pas à obtenir de Dieu le miracle de l'unité, en oeuvrant pour lever les obstacles qui empêchent sa pleine manifestation ? Qui nous pardonnera ce manque de témoignage ? J'ai cherché l'unité de toutes mes forces, et je continuerai à me dépenser jusqu'à la fin pour qu'elle soit parmi les préoccupations prioritaires des Églises et de ceux qui les gouvernent par le ministère apostolique.



6. Votre terre est parsemée de monastères. De Saint-Nicodème de Tismana, enfoui dans les montagnes et les forêts, bat le coeur de la prière incessante, de l'invocation du saint Nom de Jésus. Grâce à Paisy Velitchkovsky et à ses disciples, la Moldavie est devenue le centre d'un renouveau monastique qui a rayonné sur les pays voisins à la fin du XVIIIe siècle et par la suite. La vie monastique, qui n'a jamais manqué, même au temps des persécutions, a fourni et fournit encore des personnalités de grande stature spirituelle, autour desquelles a éclos ces dernières années une floraison prometteuse de vocations.

Les couvents, les églises couvertes de fresques, les icônes, les ornements liturgiques, les manuscrits, sont non seulement les joyaux de votre culture mais aussi des témoignages émouvants de foi chrétienne, et d'une foi chrétienne vécue. Ce patrimoine artistique, né de la prière des moines et des moniales, des artisans et des paysans inspirés par la beauté de la liturgie byzantine, constitue une contribution particulièrement significative au dialogue entre l'Orient et l'Occident, ainsi qu'à la renaissance de la fraternité que l'Esprit Saint allume en nous au seuil du nouveau millénaire. Votre terre de Roumanie, entre la latinitas et Byzance, peut devenir terre de rencontre et de communion. Elle est traversée par le Danube majestueux, qui baigne des régions de l'Orient et de l'Occident : que la Roumanie sache, comme ce fleuve, tisser des relations d'entente et de communion entre peuples divers, contribuant ainsi à affermir en Europe et dans le monde la civilisation de l'amour !



7. Béatitude, chers Pères du Saint-Synode, peu de jours nous séparent désormais du début du troisième millénaire de l'ère chrétienne. Les hommes ont les yeux fixés sur nous, dans l'attente. Ils tendent l'oreille pour entendre de nous, de notre vie plus encore que de nos paroles, l'annonce antique : «Nous avons trouvé le Messie». Ils veulent voir si nous sommes capables, nous aussi, de laisser les filets de notre orgueil et de nos peurs pour «annoncer l'année de grâce du Seigneur.»

Nous franchirons ce seuil avec nos martyrs, avec tous ceux qui ont donné leur vie pour la foi : orthodoxes, catholiques, anglicans, protestants. Depuis toujours, le sang des martyrs est une semence qui donne naissance à de nouveaux fidèles du Christ. Mais pour ce faire, nous devons mourir à nous-mêmes et ensevelir le vieil homme dans les eaux de la régénération, et ressusciter comme créatures nouvelles. Nous ne pouvons décevoir l'appel du Christ et les attentes du monde, ni manquer d'unir nos voix pour que retentisse davantage pour les nouvelles générations la parole éternelle du Christ.

Merci d'avoir voulu être la première Église orthodoxe à inviter dans son pays le Pape de Rome; merci de m'avoir donné la joie de cette rencontre fraternelle; merci pour le don de ce pèlerinage, qui m'a permis de raffermir ma foi au contact de la foi de fervents frères dans le Christ !

«Venez, marchons ensemble dans la lumière du Seigneur !» À Lui soit la gloire pour les siècles des siècles ! Amen.



LORS DE LA CÉRÉMONIE DE DÉPART À L'AÉROPORT DE BUCAREST

Dimanche 9 mai 1999

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  1. Au moment de quitter cette bien-aimée terre de Roumanie, je vous adresse avant tout à vous, Monsieur le Président, mon salut et mon remerciement pour l'accueil que vous m'avez réservé. A travers celui-ci, j'étends ces sentiments à tout le cher peuple roumain qui, en ces jours, m'a entouré avec chaleur et enthousiasme.

J'adresse un salut particulier à Sa Béatitude le Patriarche Théoctiste, aux Métropolites, aux évêques et à tout le peuple de la vénérable Eglise orthodoxe de Roumanie. J'embrasse fraternellement les évêques et les communautés catholiques de rite byzantin et latin, toutes présentes dans mon coeur. Mon salut s'adresse en outre aux autres Confessions chrétiennes et aux membres des autres religions présentes dans le pays.



2. J'ai vécu des journées d'émotion profonde qui laisseront une trace indélébile dans mon esprit. Recevons comme un don de la main de Dieu les événements auxquels nous avons participé ensemble, sachant que nous devons produire des fruits de grâce pour les chrétiens et pour tout le peuple de Roumanie. Votre pays a inscrit dans ses racines une singulière vocation oecuménique. En vertu de sa position géographique et de sa longue histoire, de sa culture et de sa tradition, la Roumanie est comme une maison où Orient et Occident se retrouvent dans un dialogue naturel.

Ici aussi, l'Eglise respire de façon particulièrement évidente avec ses deux poumons. Nous avons pu nous en rendre compte au cours de ces jours. Les uns aux côtés des autres, comme l'étaient Pierre, André et les autres Apôtres recueillis en prière avec la Mère de Dieu dans le premier Cénacle, nous avons vécu une nouvelle Pentecôte spirituelle. Le vent de l'Esprit Saint a soufflé avec force sur cette terre, et nous a poussés à être plus fermes dans la communion et plus audacieux dans l'annonce de l'Evangile. La nouvelle langue qui nous a été donnée, la langue de la communion fraternelle, nous l'avons pratiquée et nous en avons goûté la douceur et la beauté, la force et l'efficacité.



3. Tandis que la porte du Troisième millénaire s'apprête à s'ouvrir, il nous est demandé de franchir nos frontières habituelles pour faire entendre avec une vigueur renouvelée le vent de la Pentecôte dans les pays du vieux continent et jusqu'aux extrémités du monde. Malheureusement, le fracas menaçant des armes semble prévaloir sur la voix persuasive de l'amour et le déferlement de la violence rouvre les blessures que l'on tentait de refermer laborieusement et patiemment.

Je renouvelle le souhait que l'on arrive finalement à déposer les armes pour se rencontrer à nouveau et entreprendre des dialogues de communion et de paix nouveaux et plus efficaces! A cet égard, un rôle important revient aux chrétiens, quelle que soit la confession à laquelle ils appartiennent. Ils sont appelés aujourd'hui à vivre et à manifester avec une plus grande audace leur fraternité, afin que les peuples puissent être encouragés, et même poussés à retrouver et à consolider ce qui les rassemble. L'événement spirituel que nous avons vécu, béni par saint Dimitri et par les saints martyrs des dernières années, est une expérience qu'il faut préserver et transmettre, dans l'espérance que le nouveau millénaire qui s'ouvre à nous soit un temps de communion renouvelée entre les Eglises chrétiennes et de découverte de la fraternité entre les peuples. Tel est le rêve que j'emporte avec moi tandis que je quitte cette terre qui m'est chère.



4. Je voudrais vous confier ce rêve à tous. En particulier, je voudrais le confier aux jeunes. Oui, à vous, chers jeunes de Roumanie! J'aurais voulu vous rencontrer personnellement, mais malheureusement, cela n'a pas été possible. Ce soir, je fais miennes les paroles à travers lesquelles Pierre, alors que le jour de la Pentecôte se terminait, annonça à tous ceux qui l'écoutaient l'accomplissement de la promesse de Dieu: «Je répandrai de mon esprit sur toute chair. Alors vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes» (
Ac 2,17). En ces jours, l'Esprit vous remet, chers jeunes, le «rêve» de Dieu: que tous les hommes fassent partie de sa famille, que tous les chrétiens soient une seule chose. Entrez avec ce rêve dans le nouveau Millénaire!

Vous qui vous êtes libérés du cauchemar de la dictature communiste, ne vous laissez pas tromper par les rêves fallacieux et dangereux de la consommation. Eux aussi détruisent l'avenir. Jésus vous fait rêver une Roumanie nouvelle, une terre où l'Orient et l'Occident puissent se rencontrer dans la fraternité. Cette Roumanie est placée entre vos mains. Construisez-là ensemble, avec audace. Le Seigneur vous la confie. Confiez-vous à Lui, sachant que «si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs» (Ps 126,1 [127]).

Que le Seigneur bénisse la Roumanie, qu'il bénisse son peuple, qu'il bénisse l'Europe!



AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES OEUVRES PONTIFICALES MISSIONNAIRES

Vendredi 14 mai 1999

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Monsieur le Cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat,
Très chers Directeurs nationaux,
Chers collaborateurs et collaboratrices des Oeuvres pontificales missionnaires!



1. J'adresse avec joie à chacun de vous mon salut cordial, en commençant par Monsieur le Cardinal Jozef Tomko, Préfet de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples, que je remercie pour les paroles avec lesquelles il s'est fait l'interprète de vos sentiments. Je salue Mgr Charles A. Schleck, Secrétaire-adjoint de la Congrégation et Président des Oeuvres pontificales missionnaires; les Secrétaires généraux des Oeuvres et vous, en particulier, chers Directeurs nationaux, qui êtes les premiers à porter le poids de l'animation et de la coopération missionnaire dans vos pays. Mon salut affectueux s'étend à tous vos collaborateurs et à vos collaboratrices qui, poussés par le zèle évangélique, ont a coeur de proclamer l'amour du Père céleste à chaque homme et dans chaque situation de vie.



2. En vous accueillant, je désire embrasser tous ceux qui travaillent, prient et souffrent pour la mission évangélisatrice de l'Eglise. Ils sont très nombreux: du personnel apostolique qui, «ad vitam», a fait de cette mission la raison de son existence, et qui continue à être l'exemple le plus élevé du dévouement à la cause de l'Evangile, aux personnes qui, dans leurs diverses conditions de vie, souvent dans le silence et l'anonymat, s'engagent dans l'animation et dans la coopération missionnaire.

Apportez leur mon salut et mon encouragement à soutenir toujours la mission «ad gentes», qui est nécessaire pour annoncer l'Evangile à ceux qui ne connaissent pas encore le Christ, unique Sauveur du genre humain. Je pense en particulier à ceux qui, face aux difficultés de tout genre, persévèrent fidèlement là où l'Esprit les a conduits, parfois jusqu'à l'offrande de leur propre vie. Rendons grâce à Dieu pour leur généreux témoignage, conscients que «Sanguis martyrum, semen christianorum». A travers leur vie offerte sans réserve, ces frères et soeurs manifestent au monde, souvent sceptique à l'égard des valeurs authentiques, l'amour illimité et éternel de Dieu le Père.



3. Notre rencontre se situe à l'approche du grand Jubilé de l'An 2000, célébration du salut que le Père a offert à tous les hommes. Cela nous pousse spontanément à rappeler, encore une fois, que «la mission du Christ Rédempteur confiée à l'Eglise, est encore bien loin de son achèvement. Au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d'ensemble porté sur l'humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service» (Redemptoris missio
RMi 1), selon la volonté du Père «qui veut que tous les hommes soient sauvés» (1Tm 2,2).

Votre Assemblée, qui a cette année pour thème: «La coopération missionnaire en l'An 2000: animation, vocation, personnel, aide spirituelle et matérielle», a été préparée à travers la célébration de Journées pastorales adaptées. Au cours de celles-ci, vous vous êtes arrêtés pour réfléchir sur l'Instruction sur la coopération missionnaire «Cooperatio missionalis», publiée le 1er octobre dernier. Ce document, en affirmant la valeur permanente de la mission ad gentes, offre des normes pratiques qui permettent d'orienter au mieux les initiatives des Oeuvres pontificales missionnaires et d'autres réalités, coordonnées par la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples.



4. Toute l'Eglise «a reçu le mandat de réaliser le plan de salut universel, qui naît, depuis l'éternité, de la "source d'amour", c'est-à-dire de la charité de Dieu le Père» (Cooperatio missionalis, n. 1). L'Apôtre Paul affirme qu'il rend un culte spirituel à Dieu «en annonçant l'Evangile de son Fils» (Rm 1,9). En effet, la proclamation de l'amour inconditionné de Dieu pour tous les hommes est une tâche qui naît de la conscience de son absolue valeur salvifique. Ce n'est qu'en reconnaissant cet amour et en se remettant à lui que l'homme peut vivre selon la vérité (cf. Gaudium et spes GS 19,1). On comprend alors pourquoi «l'évangélisation missionnaire... constitue le premier service que l'Eglise peut rendre à tout homme et à l'humanité entière» (Redemptoris missio RMi 2). Cet amour du Père, révélé par et dans le Fils fait homme, pousse l'Eglise à la mission: pour coopérer à celle-ci les chrétiens reçoivent l'Esprit Saint, «le protagoniste de toute mission ecclésiale: dont l'action ressort éminemment dans la mission ad gentes» (Ibid., RMI RMi 25).



5. A vous, membres du Conseil supérieur des Oeuvres pontificales missionnaires, ainsi qu'à vos collaborateurs, revient une responsabilité primordiale dans l'animation et la formation missionnaire du Peuple de Dieu. C'est pourquoi, je vous encourage à poursuivre avec un effort renouvelé cet engagement, que vous accomplissez déjà avec une grande générosité. La preuve en est, entre autres, l'augmentation permanente de votre fonds central de solidarité, formé principalement par les petites contributions de nombreuses personnes - les «pauvres veuves» de l'Evangile - qui pour offrir prennent sur ce qui leur est nécessaire. Cela permet de subvenir à l'activité pastorale des Eglises dépourvues de moyens matériels ou de personnel apostolique suffisant.

Votre tâche et votre dévouement personnel en tant que Directeurs des Oeuvres pontificales missionnaires sont donc indispensables. C'est à vous qu'il est demandé d'«informer et former le Peuple de Dieu en ce qui concerne la mission universelle de l'Eglise, de faire naître des vocations ad gentes, de susciter la coopération à l'évangélisation» (Redemptoris missio RMi 83), avec un esprit véritablement universel, conscients que les Oeuvres pontificales missionnaires ont le monde entier pour horizon. L'universalité est la qualité la plus importante et caractéristique des Oeuvres, qui participent ainsi à la sollicitude du Pape pour toutes les Eglises (cf. 2Co 11,28).

Je vous confie, ainsi que votre service, à l'assistance attentive de Marie, Mère de l'Eglise et Etoile de l'évangélisation. Je vous assure de mon souvenir constant dans la prière et je donne de tout coeur une Bénédiction apostolique spéciale à chacun de vous, que j'étends bien volontiers à tous vos collaborateurs dans le travail d'animation missionnaire.





Discours 1999 93