Discours 1999 120


AU NOUVEL AMBASSADEUR DU GABON PRÈS LE SAINT-SIÈGE LORS DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Vendredi 4 juin 1999

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Monsieur l'Ambassadeur,



1. Il m'est agréable d'accueillir Votre Excellence à l'occasion de la présentation des Lettres qui L'accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République gabonaise auprès du Saint-Siège.

J'ai été sensible aux aimables paroles que vous m'avez adressées ainsi qu'aux salutations que vous m'avez transmises de la part de Son Excellence El Hadj Omar Bongo, Président de la République gabonaise. Je vous saurais gré de lui faire parvenir, ainsi qu'au peuple gabonais, les voeux cordiaux de bonheur et de prospérité que je forme pour le pays tout entier, priant Dieu d'accorder à chacun de vivre dans une nation toujours plus fraternelle et solidaire où les dons reçus de Dieu puissent pleinement s'épanouir au bénéfice de tous.



2. Dans votre allocution, vous avez souligné l'importance que le Siège apostolique donne à la recherche de la paix entre les peuples. Il est en effet particulièrement urgent, alors que nous approchons du troisième millénaire, de créer les conditions d'une vie en société qui ne permettent plus d'envisager que la violence puisse être une voie adaptée à la résolution des conflits. Les terribles souffrances qui aujourd'hui encore sont le lot quotidien de tant de peuples, victimes de conflits fratricides, notamment sur le continent africain, devraient inciter les responsables des nations et toutes les personnes de bonne volonté à s'engager résolument dans la recherche de solutions qui respectent la vie humaine et le droit des peuples, offrant la possibilité de progresser vers une véritable réconciliation.

Je me réjouis vivement que, fidèlement attaché aux principes de la paix et de la stabilité du continent, comme vous venez de le mentionner, le Gabon contribue toujours plus efficacement à promouvoir en Afrique centrale des relations harmonieuses et solidaires entre les nations et entre les communautés humaines.



3. Pour qu'un équilibre social durable puisse s'établir, il est nécessaire qu'à l'intérieur de chaque pays le renforcement d'un Etat de droit, fondé sur le respect de toute personne humaine et des exigences fondamentales qui y sont liées, puisse aller de pair avec une gestion de la vie publique qui soit effectivement au service de tous. Aussi j'encourage vivement toutes les personnes qui ont des responsabilités dans la conduite de la nation à ne pas se décourager et à chercher en toutes circonstances le bien commun avec une ferme détermination. En effet, comme je l'ai écrit dans l'Exhortation apostolique Ecclesia in Africa, «concilier des différences extrêmes, dépasser des animosités ethniques anciennes et s'intégrer dans un ordre mondial, tout cela exige de grandes qualités dans l'art de gouverner» (). D'autre part, pour favoriser une gestion honnête du patrimoine commun et permettre aux motifs d'opposition entre les groupes de s'estomper, il est essentiel de développer une solide préparation civique et morale des consciences, qui éduque au sens des responsabilités et à la reconnaissance de chacun dans sa différence. Ainsi pourront s'établir entre toutes les composantes de la société des relations conviviales, dans la justice et l'équité.



4. Monsieur l'Ambassadeur, pour répondre à sa vocation de témoigner, toujours et partout, de l'Evangile du Christ, l'Eglise catholique entend collaborer avec tous ceux qui participent à l'organisation de la société humaine et particulièrement avec ceux qui ont reçu la charge de gouverner. Je me réjouis donc de l'accord qui a été conclu récemment entre votre pays et le Saint-Siège afin de faciliter la mission religieuse de l'Eglise catholique et son service de tous les Gabonais sans distinction, dans le respect de l'indépendance et de l'autonomie de l'Eglise et de l'Etat. Je souhaite que cet accord, fondé sur la reconnaissance de la liberté religieuse et des principes spirituels qui animent votre riche tradition nationale, porte des fruits abondants pour le bien-être et le développement intégral de chacun et de toute la société gabonaise.



5. Permettez-moi aussi, Monsieur l'Ambassadeur, de profiter de cette heureuse occasion pour saluer cordialement par votre intermédiaire les Evêques et tous les catholiques du Gabon. Je connais leur attachement à leur pays et leur engagement résolu à travailler à son développement avec tous leurs compatriotes. Alors que nous allons célébrer le grand Jubilé de l'An 2000, je les invite avec affection à être des artisans toujours plus ardents de la paix et de la fraternité, fermement unis autour de leurs pasteurs dans la foi et dans l'amour.

6. Monsieur l'Ambassadeur, alors que commence officiellement votre mission auprès du Siège apostolique, je vous offre mes voeux cordiaux pour la noble tâche qui vous attend. Soyez assuré que vous trouverez ici, auprès de mes collaborateurs, l'accueil attentif et compréhensif dont vous pourrez avoir besoin.

Sur Votre Excellence, sur les responsables de la nation et sur le peuple gabonais tout entier, j'invoque de grand coeur l'abondance des Bénédictions du Tout-Puissant.







VOYAGE APOSTOLIQUE EN POLOGNE



LORS DE LA CÉRÉMONIE DE BIENVENUE À SON ARRIVÉE EN POLOGNE

Samedi 5 juin 1999, Aéroport Rebiechowo de Gdansk

122   Monsieur le Président de la République de Pologne,
Monsieur le Cardinal-Primat,
Monseigneur l'Archevêque métropolitain de Gdansk,



1. Je rends grâce à la Divine Providence de pouvoir rencontrer pour la septième fois, en tant que pèlerin, mes compatriotes et ressentir ainsi la joie de visiter ma chère patrie. J'embrasse chacun et chacune de tout mon coeur: tout le territoire polonais, ainsi que tous ses habitants. Recevez de ma part un salut d'amour et de paix. Le salut d'un de vos compatriotes, qui vient, mû par les raisons du coeur et qui apporte la bénédiction de Dieu qui «est amour» (
1Jn 4,8).

Je salue Monsieur le Président et je le remercie pour les paroles cordiales qu'il m'a adressées au nom des Autorités de l'Etat de la République de Pologne. Je salue les Cardinaux, Archevêques et Evêques. J'adresse un remerciement sincère à Monsieur le Cardinal-Primat pour ses paroles de bienvenue. Je salue toute l'Eglise de Pologne: les prêtres, les Congrégations masculines et féminines, toutes les personnes consacrées, les étudiants des grands séminaires, ainsi que tous les fidèles, et de façon particulière ceux qui souffrent, les personnes handicapées, les personnes seules et les jeunes. Comment ne pas les saluer après tant de cris? Je vous demande de prier afin que mon service dans la Patrie, qui commence aujourd'hui, apporte les fruits spirituels attendus.



2. Mon pèlerinage dans ma patrie constitue d'une certaine manière le prolongement de celui de 1997. Je le commence sur les côtes de la Mer baltique, à Gdansk, où se sont accomplis de grandes oeuvres et d'importants événements dans l'histoire de notre nation. C'est ici, en effet, en 997 que saint Adalbert termina sa mission apostolique. Il y a deux ans, il me fut donné d'inaugurer avec solennité le Jubilé du millénaire de sa mort et de son martyre. Ce millénaire, commencé à Praga, poursuivi à Gniezno, est aujourd'hui célébré sur les rives de la Baltique à Gdansk. Saint Adalbert est le Patron du diocèse de Gdansk, c'est pourquoi mes premiers pas me conduisent vers cette ville.

Le témoignage de martyre d'Adalbert devint une semence qui engendre la sainteté. Depuis mille ans, l'Eglise sert fidèlement ce mystère de grâce sur la terre des Piast et désire poursuivre avec efficacité ce service, imitant son unique Maître et Seigneur. C'est pourquoi elle tend toujours à se renouveler, afin que, en tout temps soit reconnaissable sur son visage l'image du Christ, «Témoin insurpassable d'amour patient et d'humble douceur» (Tertio millennio adveniente TMA 35). C'est un tel renouveau que se proposait de réaliser le Concile Vatican II, qui sous l'impulsion de l'Esprit Saint, indiqua à l'Eglise les voies le long desquelles marcher au terme du second millénaire, pour apporter dans le monde contemporain l'éternel mystère d'un Dieu qui aime. Le second Synode plénier de l'Eglise en Pologne, inauguré le 8 juin 1991 à Varsovie, que nous conclurons au cours de ce pèlerinage, a pour tâche de rendre toujours actuel cet enseignement conciliaire, afin que le renouveau intérieur du Peuple de Dieu qui a commencé sur la terre polonaise, puisse se poursuivre et s'accomplir de façon fructueuse en contribuant à un nouveau printemps de l'esprit à la mesure des temps vers lesquels nous nous acheminons.

Tandis qu'elle porte son regard vers l'avenir, l'Eglise confirme dans le même temps son identité formée au cours des deux millénaires à travers la collaboration de tous avec l'Esprit Saint. Cette identité acquiert une expression particulière dans la vie des saints témoins du mystère de l'amour de Dieu. Les béatifications qui auront lieu au cours de ce pèlerinage à Varsovie et à Torun, ainsi que la canonisation à Stary Sqcz, montreront la grandeur et la beauté de la sainteté de la vie et la puissance de l'action de l'Esprit divin dans l'homme. Béni soit Dieu qui «est amour» pour tous les fruits de cette sainteté, pour tous les dons de l'Esprit de ce millénaire qui touche à sa fin.

Une autre raison, très importante, motive ce pèlerinage. Cette année, nous célébrons le millénaire de l'institution, par le Pape Sylvestre II, de l'Eglise métropolitaine indépendante polonaise de Gniezno, constituée de quatre diocèses: Gniezno, Kolobrzeg, Wroclaw et Cracovie. Dans un certain sens, il s'agit du premier fruit de la mort par le martyre de saint Adalbert. La nation, baptisée depuis peu, commença son pèlerinage à travers l'histoire avec ses Pasteurs, Evêques des nouveaux diocèses. Pour l'Eglise qui est en Pologne, ainsi que pour toute la nation, ce fut un grand événement dont nous célébrerons la mémoire à Cracovie.



3. Je suis heureux car ce pèlerinage dans ma patrie commence à Gdansk, une ville entrée pour toujours dans l'histoire de la Pologne, de l'Europe et peut-être même du monde. C'est ici, en effet, que se fit entendre en particulier la voix des consciences qui invoquent le respect de la dignité de l'homme, en particulier du travailleur, la voix qui réclamait la liberté, la justice et la solidarité entre les hommes. Ce cri des consciences arrachées au sommeil a retenti avec tant de force qu'il a laissé place à la liberté tant désirée, qui est devenue et qui continue d'être pour nous un devoir important et un défi pour aujourd'hui et pour l'avenir. C'est précisément à Gdansk que naquit une Pologne nouvelle, dont nous nous réjouissons tant aujourd'hui et dont nous sommes orgueilleux. Je constate avec joie que notre pays a accompli de grands progrès sur la voie du développement économique. Grâce aux efforts de tous ses citoyens, la Pologne peut se tourner avec espérance vers l'avenir. Il s'agit d'un pays qui a gagné au cours des dernières années une reconnaissance particulière et le respect des autres nations du monde. Pour tout cela, béni soit Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Je prie sans cesse afin que le développement matériel du pays aille de pair avec son développement spirituel.



4. Je viens à vous à la veille du grand Jubilé de l'An 2000. Je viens en tant que pèlerin auprès des fils et des filles de ma patrie, avec des paroles de foi, d'espérance et de charité. Au crépuscule de ce millénaire et au seuil des temps nouveaux qui viendront, je veux méditer avec mes compatriotes sur le grand mystère de Dieu qui «est amour». En effet, il «a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle» (Jn 3,16). Avec vous, je m'incline sur cet ineffable mystère de Dieu qui est amour, mystère de l'amour divin et de la miséricorde divine.

Je voudrais tant qu'à travers mon ministère pastoral, au cours de ce pèlerinage, le message de l'amour divin parvienne à tous, à chaque famille et à chaque foyer, à tous mes compatriotes qui habitent en Pologne ou hors de ses frontières, où qu'ils se trouvent.

«La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soit avec nous tous» (cf. 2Co 13,13) et nous accompagnent tout au long des journées de ce pèlerinage dans ma patrie. Loué soit Jésus-Christ!



LORS DE LA BÉNÉDICTION DE LA NOUVELLE ÉGLISE DU SANCTUAIRE DE LA MADONE DE LICHEN

Lundi 7 juin 1999

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1. «Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur!» (
Lc 1,45). Je me présente aujourd'hui comme pèlerin au Sanctuaire de Lichen et je salue Marie avec les paroles d'Elisabeth: «Bienheureuse celle qui a cru». Le texte de Luc nous enseigne que la maison d'Elisabeth fut remplie de joie. Grâce à la lumière accordée d'en-haut, Elisabeth comprend la grandeur de Marie, qui est «pleine de grâce» et est donc «bénie entre les femmes» (cf. Lc 1,42), car elle porte Jésus en son sein - le Sauveur du monde. La scène de la visitation devient particulièrement proche de nous ici, en ce lieu, tant aimé de Marie. En effet, chaque sanctuaire est en quelque sorte la maison d'Elisabeth, qui est visitée par la Mère du Fils de Dieu, pour être proche de son peuple bien-aimé.



2. Frères et soeurs, je rends grâce à la Divine Providence car sur le parcours de mon pèlerinage dans ma patrie, il y a précisément ce Sanctuaire. Je rends grâce de pouvoir vous rencontrer dans le cadre de la nature printanière, pour bénir le nouveau temple en l'honneur de la Mère de Dieu. Je contemple avec admiration cette grande construction qui, dans son élan architectural, est l'expression de foi et d'amour pour Marie et pour son Fils. Grâce soit rendue à Dieu pour ce temple! Ma gratitude s'adresse également aux gardiens de ce Sanctuaire - les Pères mariaux qui, depuis des années, en prennent soin et servent fidèlement les pèlerins. Ce temple est précisément le fruit de leur initiative. Je remercie également les maîtres d'oeuvre et tous ceux qui, à travers leurs offrandes, ont soutenu et soutiennent cette grande oeuvre. Je salue cordialement l'Evêque, Mgr Bronislaw Dembowski, Pasteur du diocèse de Wloclawek, sur le territoire duquel se trouve le sanctuaire. Je salue l'Evêque auxiliaire, l'Evêque émérite, je salue et je remercie pour leur hospitalité le Supérieur général et les Pères mariaux, je salue tout le clergé et les pèlerins venus de diverses parties de la Pologne.



3. Tournons notre regard vers Celle «qui a cru». Marie a cru en l'accomplissement de ce qui lui avait été dit par le Seigneur. Elle a cru la Parole de Dieu selon laquelle Elle, vierge, aurait conçu et donné la lumière à un Fils. L'acte de foi de Marie rappelle la foi d'Abraham, qui à l'aube de l'Ancienne Alliance, crut en Dieu. Voilà la grandeur et la perfection de la foi de Marie, face à laquelle Elisabeth prononce des paroles d'émerveillement. En appelant Marie «bénie entre les femmes», elle indique qu'elle a obtenu la bénédiction grâce à la foi. Bienheureuse Celle qui a cru! L'exclamation d'Elisabeth, pleine d'émerveillement, est pour nous une exhortation afin que nous sachions apprécier tout ce que la présence de Marie apporte dans la vie de chaque croyant.



124 4. Réunis aujourd'hui pour cette prière matinale dans le Sanctuaire de Lichen, aux pieds de notre Mère des Douleurs, implorons-La tous d'intercéder en notre faveur auprès de son Fils, en obtenant pour nous:

Une foi vive, qui de grain de sénevé devienne l'arbre de la vie divine.

Une foi qui se nourrit chaque jour de prière, se renforce par les saints sacrements et puise à la richesse de l'Evangile du Christ.

Une foi forte qui ne craint pas les difficultés, les souffrances ou les échecs, car elle repose sur la conviction que «rien n'est impossible à Dieu» (cf.
Lc 1,37).

Une foi mûre, sans réserve, une foi qui coopère avec la sainte Eglise dans une édification authentique du Corps mystique du Christ.

Nous te remercions, Marie, car tu nous guides incessamment et immanquablement vers le Christ.

Mère du Fils Divin, veille sur nous, veille sur notre fidélité inébranlable à Dieu, à la Croix, à l'Evangile et à la Sainte Eglise, comme tu l'as fait depuis l'aube de notre histoire chrétienne. Protège cette nation qui marche depuis mille ans sur les routes de l'Evangile. Fais en sorte que nous vivions, croissions et persévérions dans la foi jusqu'à la fin.

Ave, Fille de Dieu le Père,
Ave, Mère du Fils de Dieu,
Ave, Epouse de l'Esprit Saint,
Temple de la Très Sainte Trinité.

Amen.



LORS DE LA RENCONTRE AVEC LES RECTEURS DES CENTRES ACADÉMIQUES DE POLOGNE

Lundi 7 juin 1999, Torun

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  Mesdames et Messieurs,
Recteurs magnifiques, doyens et professeurs, hommes de science de la Pologne!



1. Je suis très heureux car sur l'itinéraire de mon pèlerinage dans ma patrie, il m'est donné à nouveau de vous rencontrer, hommes de science représentant les institutions académiques de toute la Pologne. Il est tout à fait significatif que ces rencontres avec le monde de la science fassent désormais partie intégrante des voyages du Pape sur tous les continents. Il s'agit en effet de moments de témoignage particulier. Ils parlent du lien profond et multiple qui existe entre la vocation des hommes de science et le ministère de l'Eglise, qui dans son essence est «diaconie de la Vérité».

Reconnaissant à la Divine Providence pour la rencontre d'aujourd'hui, je vous salue cordialement, vous tous ici présents, Recteurs magnifiques et représentants des institutions académiques de tout le pays, et à travers vous, ma pensée s'étend à tout le monde de la science en Pologne. J'adresse un salut particulier au Recteur magnifique de l'Université de Torun, qui nous accueille à cette occasion. Je le remercie pour les paroles de bienvenue qu'il m'a adressées au nom de toutes les personnes présentes. Je salue également le Président de la Conférence des Recteurs magnifiques des Universités polonaises, ici présent.



2. Nous nous rencontrons dans une Université qui, en ce qui concerne la date de sa fondation, est une institution relativement jeune. Elle a célébré récemment le 50ème anniversaire de sa fondation. Nous savons toutefois que les traditions culturelles et scientifiques liées à cette ville ont des racines profondes dans le passé et sont liées avant tout à la figure de Nicolas Copernic. Au moment de sa naissance, l'Université de Torun portait le signe des événements dramatiques qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Il est juste de rappeler en cette circonstance que les artisans de cette Université furent en grande partie des scientifiques - issus de l'Université Stefan Batory de Vilnius et de l'Université Jan Kazimierz de Leopoli. Le premier Recteur de l'Université, le Professeur Ludwik Kolankowski, inlassable administrateur de l'Université, vint de Vilnius à Torun. C'est de Vilnius que provint Karol Górski, historien, pionnier des études sur la spiritualité religieuse polonaise, ainsi que de nombreux autres. A son tour, c'est de Leopoli que vint le Professeur Tadeusz Czezowski, philosophe célèbre. De même, vint de Leopoli, le Professeur Artur Hutnikiewicz, éminent chercheur en littérature. Le cercle des professeurs fut renforcé également par des experts venus de la ville de Varsovie, détruite; parmi eux, comment ne pas rappeler Konrad Górski, chercheur extraordinairement féru en littérature. Ceux-là, et de nombreux autres, administrèrent cette Université avec un profond dévouement. Les temps étaient difficiles, mais il s'agissait aussi de temps d'espérance. Et «l'espérance vient de la vérité» - comme l'écrivait Cyprian Norwid. Dans les conditions très difficiles de l'après-guerre, ce fut un moment de preuve pour les personnes et pour leur fidélité à la vérité. Aujourd'hui, l'Université de Torun possède sa propre physionomie et apporte une contribution précieuse au développement de la science polonaise.



3. Notre rencontre a lieu au cours de la dernière année du siècle qui touche à sa fin. Nous trouvant entre deux siècles, tournons nos pensées de façon alternative vers le passé et vers l'avenir. Dans le passé, nous recherchons les enseignements et les orientations pour notre avenir. De cette façon, nous voulons mieux préciser et fonder notre espérance. Aujourd'hui, le monde a besoin d'espérance et recherche l'espérance! Mais l'histoire dramatique de notre siècle, avec les guerres, les idéologies totalitaires criminelles, les camps de concentration et les goulags, ne conduit-elle pas plutôt à céder à la tentation du découragement et du désespoir? Pascal écrivit un jour que la connaissance de sa pauvreté de la part de l'homme engendre le désespoir (cf. Pensées, 75). Pour découvrir l'espérance, il faut élever le regard. Seule la connaissance du Christ - ajoute Pascal - nous libère du désespoir, car en Lui nous connaissons non seulement notre pauvreté, mais également notre grandeur (cf. Ibid., 690, 729, 730).

Le Christ a montré à l'humanité la vérité la plus profonde sur Dieu et dans le même temps sur l'homme, révélant le Père, qui est «riche de miséricorde» (
Ep 2,4). «Dieu est amour» (1Jn 4,8). C'est précisément le thème qui guide ma visite actuelle dans ma patrie. J'écrivais dans l'Encyclique sur l'Esprit Saint: «Dans sa vie intime, « Dieu est amour », un amour essentiel, commun aux trois Personnes divines: l'Esprit Saint est l'amour personnel en tant qu'Esprit du Père et du Fils. C'est pourquoi « il sonde jusqu'aux profondeurs de Dieu », en tant qu'amour-Don incréé. On peut dire que, dans l'Esprit Saint, la vie intime du Dieu un et trine se fait totalement don, échange d'amour réciproque entre les Personnes divines, et que, par l'Esprit Saint, Dieu «existe» sous le mode du don» (Dominum et vivificantem DEV 10). Cet Amour qui est Don, se donne à l'homme à travers l'acte de la création et de la rédemption. C'est pourquoi: «L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement» (Redemptor hominis RH 10).

C'est précisément cette vérité sur le «Dieu-amour» qui devient source de l'espérance du monde et qui indique la voie de notre responsabilité. L'homme peut aimer, car d'abord, il a été aimé de Dieu. Saint Jean nous enseigne: «Quant à nous, aimons [Dieu], puisque lui [Dieu] nous a aimés le premier» (1Jn 4,19). La vérité sur l'amour de Dieu apporte la lumière également sur notre recherche de la vérité, sur notre travail, sur le développement de la science, sur toute notre culture. Nos recherches et notre travail ont besoin d'une idée-maîtresse, d'une valeur fondamentale pour donner un sens et unir dans un même courant les efforts des chercheurs, la réflexion des historiens, la créativité des artistes et les découvertes des ingénieurs, qui se développent à un rythme vertigineux. Existe-t-il une autre idée, une autre valeur ou une autre lumière capable de donner un sens à l'engagement multiple des hommes de science et de culture, sans limiter dans le même temps leur liberté créative? Eh bien, cette force, c'est l'amour, qui ne s'impose pas à l'homme de l'extérieur, mais qui naît de l'intérieur, dans son coeur, comme sa propriété la plus intime. L'homme a pour seul devoir de lui permettre de naître et d'en imprégner sa sensibilité, sa réflexion que ce soit dans le laboratoire, dans l'amphithéâtre du séminaire et des universités, ou également dans les ateliers d'art.



4. Nous nous rencontrons aujourd'hui à Torun, dans la ville appelée «la ville de Copernic», dans l'Université qui a pris son nom. La découverte faite par Copernic et son importance dans le cadre de l'histoire et de la science, nous rappelle l'opposition toujours vive qui existe entre la raison et la foi. Bien que pour Copernic, sa découverte soit devenue une source d'admiration encore plus profonde pour le Créateur du monde et pour la puissance de la raison humaine, pour de nombreuses personnes, elle fut un motif pour opposer la raison à la foi. Quelle est la vérité? La raison et la foi sont-elles deux réalités qui doivent s'exclure réciproquement? Dans la divergence entre la raison et la foi s'exprime l'un des grands drames de l'homme. Celui-ci est dû à plusieurs raisons. En particulier au Siècle des Lumières, le rationalisme exacerbé et unilatéral conduisit à la radicalisation des positions dans le domaine des sciences naturelles et dans celui de la philosophie. La scission, apparue de cette manière, entre la foi et la raison, provoqua des dommages irréparables non seulement à la religion, mais également à la culture. Dans le feu des polémiques attisées, on oubliait souvent le fait que la foi «ne craint donc pas la raison, mais elle la recherche et s'y fie. De même que la grâce suppose la nature et la porte à son accomplissement, ainsi la foi suppose et perfectionne la raison» (Fides et ratio FR 43). La foi et la raison sont comme «les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité» (Ibid., FR FR 1 introduction). Aujourd'hui, il faut oeuvrer en faveur de la réconciliation entre la foi et la raison. J'ai écrit dans l'Encyclique Fides et ratio: «La foi, privée de la raison, a mis l'accent sur le sentiment et l'expérience, en courant le risque de ne plus être une proposition universelle. Il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande; au contraire, elle tombe dans le grand danger d'être réduite à un mythe ou à une superstition; de la même manière, une raison qui n'a plus une foi adulte en face d'elle n'est pas incitée à s'intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l'être [...] A la "parrhèsia" de la foi doit correspondre l'audace de la raison» (FR 48). Au fond, il s'agit du problème de l'unité intérieure de l'homme, toujours menacée par la division et par l'atomisation de sa connaissance, à laquelle manque le principe unificateur. Dans ce domaine, un devoir particulier s'impose aujourd'hui à la recherche philosophique.



5. Aux hommes de science et aux hommes de culture a été confiée une responsabilité particulière en ce qui concerne la vérité - la rechercher, la défendre et vivre selon elle. Nous connaissons bien les difficultés liées à la recherche humaine de la vérité, parmi lesquelles priment aujourd'hui le scepticisme, l'agnosticisme, le relativisme et le nihilisme. On cherche souvent à persuader l'homme que le temps de la certitude au sujet de la connaissance de la vérité est définitivement révoqué et que nous sommes irrévocablement condamnés à une absence totale de sens, au caractère provisoire de la connaissance, à une instabilité et une relativité constantes. Dans une telle situation, il semble urgent de confirmer la confiance fondamentale dans la raison humaine et sa capacité à connaître la vérité - même celle absolue et définitive. L'homme est en mesure d'élaborer pour lui une conception uniforme et organique de la connaissance. La fragmentation du savoir détruit l'unité intérieure de l'homme. L'homme aspire à la plénitude de la connaissance, car il est un être qui de par sa nature recherche la vérité (cf. Fides et ratio FR 28) - et ne peut vivre sans elle. Il faut que la science contemporaine, et en particulier la philosophie actuelle, retrouvent - chacune dans son milieu - la dimension de sagesse qui consiste dans la recherche du sens définitif et global de l'existence humaine.

La recherche de la vérité s'accomplit non seulement dans un travail individuel en bibliothèque ou dans un laboratoire, mais elle possède également une dimension communautaire. «La perfection de l'homme, en effet, ne se trouve pas dans la seule acquisition de la connaissance abstraite de la vérité, mais elle consiste aussi dans un rapport vivant de donation et de fidélité envers l'autre. Dans cette fidélité qui sait se donner, l'homme trouve pleine certitude et pleine sécurité. En même temps, cependant, la connaissance par croyance, qui se fonde sur la confiance interpersonnelle, n'est pas sans référence à la vérité: en croyant, l'homme s'en remet à la vérité que l'autre lui manifeste» (Fides et ratio FR 32). Cela est certainement une expérience chère à chacun de vous. La vérité peut également être atteinte grâce aux autres, dans le dialogue avec les autres, et pour les autres. La recherche de la vérité et son partage avec les autres représente un service social important, auquel les hommes de science sont appelés de façon particulière.



6. De grands défis se présentent aujourd'hui à la science, - et également à la science polonaise. Le développement sans précédent des sciences et le progrès technique engendrent des interrogations fondamentales en ce qui concerne les limites des expérimentations, et en ce qui concerne le sens et les orientations du développement technique, les limites de la domination de l'homme sur la nature et sur le milieu naturel. Ce progrès est dans le même temps une source de fascination et de peur. L'homme craint toujours plus les produits de sa liberté. Il se sent en danger. C'est pourquoi, il est plus que jamais important et actuel de rappeler la vérité fondamentale selon laquelle le monde est don de Dieu Créateur qui est Amour, et l'homme-créature est appelé à dominer de façon prudente et responsable le monde de la nature, et non pas à le détruire de façon inconsidérée. Il faut se rappeler également que la raison est le don de Dieu (pour saint Thomas, la raison est le plus grand don de Dieu), signe de la ressemblance à Dieu, que chaque homme porte en soi. C'est pourquoi, il est très important de rappeler constamment qu'une véritable liberté dans la recherche scientifique ne peut se passer du critère de la vérité et du bien. La sollicitude pour la conscience morale et pour le sens des responsabilités de la personne de la part des hommes de science a atteint aujourd'hui le rang d'impératifs fondamentaux. C'est précisément à ce niveau que se décident le destin de la science contemporaine, et, dans un certain sens, le destin de toute l'humanité. Il faut enfin rappeler, qu'il faut faire preuve d'une gratitude permanente pour ce don, qui pour l'homme est un autre homme - celui grâce auquel, avec lequel et par lequel il s'inscrit dans la grande aventure de la recherche de la vérité.



7. Je connais les difficultés qui assaillent aujourd'hui les institutions académiques polonaises: que ce soit le corps enseignant ou les étudiants. La science polonaise, comme toute notre Patrie, se trouve à présent dans une phase de profondes transformations et de réformes. Je sais également qu'en dépit de cela, les chercheurs polonais remportent des succès significatifs, dont je me réjouis et pour lesquels je vous félicite tous.

Mesdames et Messieurs, je veux vous remercier une fois de plus pour la rencontre d'aujourd'hui. Je veux vous assurer de ma profonde participation aux problèmes de la culture polonaise, aux problèmes de la science polonaise. Je vous salue cordialement et à travers vous, je salue tous les milieux académiques de la Pologne, que vous représentez: les professeurs et les étudiants, ainsi que tout le personnel administratif et technique, et j'invoque la Bénédiction de Dieu sur chacun de vous.





LORS DE LA BÉNÉDICTION DE LA NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE DE L'UNIVERSITÉ DE VARSOVIE

Vendredi 11 juin 1999

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  Messieurs!



Je voudrais saluer cordialement tous ceux qui se sont réunis dans ce nouveau bâtiment de la Bibliothèque de l'Université de Varsovie, - attendue depuis longtemps - pour prendre part à la cérémonie de sa bénédiction. Je salue cordialement le Cardinal-Primat, le Recteur magnifique ainsi que le Conseil, les professeurs de l'Université et le Recteur élu. Je me réjouis de la présence des recteurs et des professeurs d'autres institutions académiques de Varsovie. Je salue le Ministre de l'Education, les représentants de l'Académie polonaise des sciences et les représentants du monde de la culture.

La Bibliothèque est une institution qui, à travers son existence même, témoigne du développement de la culture. En effet, elle est constituée par le trésor d'oeuvres écrites, dans lesquelles l'homme exprime sa créativité, son intelligence, sa connaissance du monde et des hommes et également la capacité de domination de soi, de sacrifice personnel, de solidarité et de travail en faveur du développement du bien commun (cf. Centesimus annus
CA 51). Dans une collection de livres, gérée de façon systématique, aux anciens manuscrits et incunables sont ajoutés des livres nouveaux et des périodiques. Le tout constitue un signe éloquent de l'unité des générations qui se succèdent, en formant à partir d'une variété de temps et de questions, un patrimoine de culture et de science. La Bibliothèque est donc un temple particulier de la créativité de l'esprit humain dans lequel se reflète le Souffle divin, qui accompagnait l'oeuvre de la création du monde et de l'homme. Si nous recherchons un motif à la présence du Pape dans ce bâtiment et à la cérémonie même de la bénédiction, il faut remonter précisément à ce moment où Dieu créa l'homme à son image et à sa ressemblance, et l'invita à coopérer à l'oeuvre de la création du bien et de la beauté. Tout cela met en évidence le fait que l'homme répond à une telle invitation; dans un certain sens, cela renvoie à Celui qui est la Cause première de l'existence. Si donc, nous nous trouvons aujourd'hui en ce lieu qui rassemble les fruits du travail de création de l'homme, notre référence à Dieu, emplie de gratitude, est juste, tout comme notre désir qu'Il bénisse cet édifice; que le souffle de son Esprit soit présent et devienne une source d'inspiration pour les générations futures d'hommes de culture et de science.

L'invitation adressée au Pape de bénir ce magnifique édifice est un signe éloquent du fait que le milieu académique de la capitale adopte une attitude positive à l'égard du patrimoine que le christianisme légua au cours des siècles à la culture et à la science de la Patrie; elle est le signe que celui-ci apprécie sa valeur méta-temporelle; qu'il désire non seulement puiser ultérieurement en lui, mais également le multiplier, apportant au trésor commun de la culture des fruits d'études contemporaines et de recherches. Il s'agit d'un signe particulier qu'il existe une conscience croissante que l'Eglise et les milieux scientifiques sont alliés de façon naturelle pour servir l'homme.

Je voudrais enfin exprimer l'espérance que cette construction marque, conformément aux attentes des habitants de la capitale, le début du rajeunissement du quartier universitaire de Powisle, qui changera le visage de Varsovie. Puisse cet effort commun des autorités de l'Etat, des autorités de la ville et de celles académiques, porter d'ultérieurs fruits tout aussi magnifiques que cet édifice, que j'ai l'occasion de bénir. Je souhaite que cette bibliothèque devienne le lieu dans lequel ceux qui puisent à ses riches ressources trouvent l'orientation et la réalisation de la noble passion de la recherche de la vérité.

Que Dieu vous bénisse tous!




Discours 1999 120