Discours 1999 126

MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE POLONAISE

Vendredi 11 juin 1999

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Vénérés frères dans l'épiscopat,



1. Dans un esprit de gratitude pour le don d'un nouveau pèlerinage dans ma patrie, je vous envoie mon salut cordial, Pasteurs de l'Eglise qui est en Pologne. Je m'adresse à tout l'épiscopat, au Cardinal-Primat en tant que Président de la Conférence, aux cardinaux, aux archevêques et aux évêques. Veuillez accepter que je vous adresse une parole particulière, expression de l'amour fraternel, de la solidarité et du lien permanent avec l'Eglise qui est en Pologne.

Le pèlerinage actuel, le plus long de tous ceux que j'ai accomplis jusqu'à présent, se déroule à la veille du grand Jubilé de l'An 2000, en l'année consacrée au Père. La grâce de la foi et la lumière de l'Esprit Saint qui vit dans l'Eglise nous permettent de saisir la pleine dimension salvifique des événements et des grands anniversaires auxquels ce pèlerinage est lié. Comme à des fils du même «Père [...] céleste» (
Mt 5,45), il nous est donné encore une fois de faire l'expérience de son amour dans la célébration commune. Cet amour révélé dans le Christ constitue le contenu le plus profond de la vie chrétienne: «Or, la vie éternelle, c'est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ» (Jn 17,3).

Parmi les événements historiques et les anniversaires, vus dans la perspective du plan salvifique de Dieu qui concerne également notre époque, nous célébrons ensemble le millénaire de la canonisation de saint Adalbert, le jubilé du millénaire de l'institution de l'organisation ecclésiastique en terre polonaise, avec la première Eglise métropolitaine et l'archidiocèse de Gniezno, ainsi que les diocèses suffragants de Cracovie, de Wroclaw et de Kolobrzeg, et le bicentenaire de l'institution du diocèse de Varsovie. En outre, nous clôturerons le II Synode plénier.



2. Je rends grâce à Dieu pour mes vingt ans de service à la Sainte Eglise, sur le Siège de Pierre, également car durant cette période j'ai pu servir de façon particulière l'Eglise dans ma patrie. Ce moment de mutation historique, nous invite également à nous tourner avec l'espérance chrétienne vers l'avenir, vers le troisième millénaire désormais proche.

La visite actuelle constitue dans un certain sens le couronnement de tous les pèlerinages précédents en Pologne. Son thème le souligne également: «Dieu est amour» (1Jn 4,8). En effet, l'amour est la «Loi dans sa plénitude» (Rm 13,10). «La charité, avec son double visage d'amour pour Dieu et pour les frères, est la synthèse de la vie morale du croyant. Elle a en Dieu sa source et son aboutissement» (Tertio millennio adveniente, TMA 50).



3. L'Evangile des huit béatitudes contenu dans le discours de la montagne, accompagne d'une certaine façon ce pèlerinage et guide notre pensée vers le Christ. Sa vie est la réalisation de toutes les béatitudes et révèle une vision du christianisme valable pour chaque époque. Formés dans cet esprit, les disciples et les confesseurs du Christ seront pour chaque génération des témoins vivants de sa présence salvifique et ils conduiront d'autres hommes vers Dieu qui est Amour. L'Eglise, en tant que «sacrement universel du salut» (Lumen gentium, LG 48), devrait, jour après jour, devenir un signe du Christ vivant pour les siècles des siècles, plus lisible et plus transparent, qui désire «que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité» (1Tm 2,4). La condition indispensable à cette action, c'est-à-dire à la réalisation de la mission salvifique de l'Eglise, est l'amour. C'est sur lui que l'Eglise est édifiée et sur lui qu'elle croît et se développe: «Afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé» (Jn 17,23). L'essence de l'apostolat de tous les membres de l'Eglise est la diffusion de la vérité sur l'amour de Dieu. Faites tout ce que vous pouvez afin que cette vérité soit annoncée, acceptée et réalisée dans la vie des pasteurs et de tous les croyants.

Le discours de la montagne est un programme pour toute l'Eglise. La communauté de la Nouvelle Alliance se réalise lorsqu'elle se fonde sur la loi de l'amour inscrite dans chaque coeur humain (cf. Jr Jr 31,31-33 He 10,16-17). Les béatitudes évangéliques constituent, dans un certain sens, la concrétisation de cette loi et, dans le même temps, elles garantissent un bonheur véritable et durable, qui naît de la pureté et de la paix du coeur, fruits de la réconciliation avec Dieu et avec les hommes.



4. Quel signe éloquent de l'accomplissement de la promesse des béatitudes représentent les nombreux saints et bienheureux! Parmi eux, on peut également compter ceux qui seront élevés à la gloire des autels au cours de ce pèlerinage: la bienheureuse Kinga, dont la canonisation aura lieu à Stary Sacz, le bienheureux Wincenty Frelichowski, élevé aux honneurs des autels il y a quelques jours à Torun, puis la servante de Dieu Regina Protmann, le serviteur de Dieu Edmund Bojanowski et les cent-huit martyrs qui, au cours de l'occupation inhumaine, furent des témoins héroïques de la foi et que l'Eglise proclamera bienheureux dans quelques jours, ici, à Varsovie. Pour l'Eglise de Pologne, ainsi que pour la multitude de fils et de filles de cette terre, ils sont un signe et une exhortation qui rappelle comment la grâce de la sainteté peut fleurir en toute condition et en toute circonstance de la vie, même face aux persécutions, à l'oppression et aux injustices. Parmi ces héros de la foi se trouvent les évêques et les prêtres qui, imitant le Christ Bon Pasteur, n'ont pas hésité à «donner la vie pour leurs brebis» (cf. Jn 10,11).

Chers frères, fixez votre regard sur les exemples lumineux de leur vie, afin que l'amour pour Dieu et pour l'homme croisse dans vos coeurs et dans ceux de tous ceux que vous servez en qualité de pasteurs. Une condition indispensable à un service pastoral fructueux est le lien personnel avec le Christ, qui se manifeste tout d'abord dans la prière et dans l'amour empreint d'esprit de sacrifice pour l'Eglise, notre Mère. «Car le zèle de ta maison me dévore, l'insulte de tes insulteurs tombe sur moi» (Ps 68,10 [69], 10).



5. Aux sources de tout renouveau se trouve la Parole de Dieu, «qui a le pouvoir de bâtir l'édifice et de procurer l'héritage parmi tous ses sanctifiés» (Ac 20,32). L'exhortation du Concile oecuménique Vatican II demeure toujours actuelle, affirmant que «la prédication ecclésiastique, comme la religion chrétienne elle-même soit nourrie et régie par la Sainte Ecriture. Dans les Saints Livres, en effet, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux» (Dei Verbum, DV 21). Ce sont tout d'abord les pasteurs qui doivent s'ouvrir à la lumière et à la puissance de Dieu, afin que - comme nous avertit saint Augustin - celui à qui a été confié le saint ministère de la parole ne devienne pas extérieurement un vain prédicateur de la Parole de Dieu, s'il ne l'écoute pas intérieurement (cf. Sermo 179, I: PL 38, 966). «Vivante est, en effet, la Parole de Dieu, efficace» (He 4,12). Puisse-t-elle alimenter votre spiritualité et devenir source d'un apostolat fructueux, conformément au principe de saint Thomas: «contemplata aliis tradere». La Parole de Dieu est un irremplaçable moyen de salut pour les hommes de toutes époques, en elle se trouve une si grande «force et puissance [...] qu'elles constituent, pour l'Eglise, son point d'appui et sa vigueur et, pour les enfants de l'Eglise, la force de leur foi, la nourriture de leur âme» (Dei Verbum, DV 21).



6. Le plus grand devoir pastoral de chacun de vous est la sollicitude pour une immuable transmission du dépôt de la foi. De nos jours, l'Eglise universelle a reçu un instrument précieux, qui sert à cet objectif: le Catéchisme de l'Eglise catholique. Il constitue un signe éloquent de l'unité de l'enseignement dans l'Eglise. Dans la Constitution apostolique Fidei depositum, j'écrivais: «Ce Catéchisme n'est pas destiné à remplacer les Catéchismes locaux dûment approuvés par les autorités ecclésiastiques, les évêques diocésains et les Conférences épiscopales, surtout lorsqu’ils ont reçu l'approbation du Siège apostolique. Il est destiné à encourager et à aider la rédaction de nouveaux catéchismes locaux, qui tiennent compte des diverses situations et cultures, mais qui gardent avec soin l'unité de la foi et la fidélité à la doctrine catholique» (n. 4). La réalisation de ce postulat par les pasteurs de l'Eglise qui est en Pologne est l'une des nécessités les plus urgentes du moment présent. Une catéchèse systématique et globale, comprenant en son sein également la catéchèse des adultes, est indispensable à l'approfondissement et au renforcement de la foi dans le coeur des hommes, d'une foi consciente, d'une foi qui influence la vie et le comportement.



7. Un événement très important pour l'Eglise qui est en Pologne a été le II Synode plénier. Les documents synodaux comprennent dans leur ensemble tous les secteurs les plus importants de la vie de l'Eglise: l'appel universel à la sainteté, l'oeuvre de la nouvelle évangélisation, la liturgie et le culte, le lieu et la mission des catholiques laïcs dans la vie sociale, économique et politique, la présence de l'inspiration évangélique dans la culture, le renouveau et la consolidation de la famille, l'éducation et la formation au sacerdoce et à la vie consacrée. La tâche la plus importante et, sans aucun doute, la plus difficile, revient à présent aux communautés des Eglises locales, à la tête desquelles vous vous trouvez. J'ai à l'esprit l'accomplissement et la réalisation de tout ce qui a été rédigé au cours du Synode comme programme, sous forme de décrets prêts à être réalisés. Je forme des voeux et je prie afin que ce Synode devienne une source d'inspiration et de renouveau de la vie chrétienne dans l'Esprit de l'Evangile.



8. Dans la perspective de l'entrée dans l'Union européenne, une question très importante concerne la contribution créative des croyants à la culture contemporaine. Je répète une fois encore les paroles que j'ai adressées aux évêques polonais, lors de leur dernière visite ad limina, au début de l'année 1998: «L'Europe a besoin d'une Pologne qui croit profondément et qui soit culturellement créative de façon chrétienne, consciente du rôle qui lui a été confié par la Providence. Ce avec quoi la Pologne peut et doit rendre un service à l'Europe est globalement identique à la tâche de la reconstruction d'une communion d'esprit fondée sur la fidélité à l'Evangile dans sa propre maison. Votre nation [...] a beaucoup à offrir à l'Europe, tout d'abord sa tradition chrétienne et la riche expérience religieuse d'aujourd'hui» (14.2.98).

128 Au seuil du troisième millénaire de nouveaux défis historiques se présentent à l'Eglise qui est en Pologne. La Pologne entre dans le vingt-et-unième siècle comme un pays libre et souverain. Cette liberté, pour ne pas être vaine, exige des hommes conscients non seulement de leurs droits, mais également de leurs devoirs: des hommes généreux, animés par l'amour pour la Patrie et par l'esprit de service, qui veulent construire de façon solidaire le bien commun et organiser tous les espaces de liberté dans la dimension personnelle, familiale et sociale. Comme je l'ai déjà souligné plusieurs fois, la liberté exige également une référence constante à la vérité de l'Evangile et à des normes morales stables et éprouvées qui permettent de distinguer le bien du mal. Cela est particulièrement important, précisément aujourd'hui, à l'époque des réformes vécues par la Pologne.

Je suis heureux que les laïcs s'engagent toujours plus pleinement dans la vie de l'Eglise et de la société. Les nombreuses associations et organisations catholiques, en particulier l'Action catholique, et la participation des croyants à la vie publique, économique et politique, en sont l'expression. Je souhaite que les pasteurs soutiennent les fidèles laïcs «afin que, dans un esprit d'unité et à travers un service honnête et désintéressé, en collaboration avec tous, ils sachent conserver et développer sur le plan socio-politique la tradition et la culture chrétienne» (Ad limina 16.1.1998). Dans ce domaine, la doctrine sociale de l'Eglise devrait être d'un grand soutien, celle-ci devant être diffusée afin que «les valeurs et les contenus de l'Evangile imprègnent les domaines de la pensée, les critères d'évaluation et les normes de l'action de l'homme» (Ad limina, 14.2.1998).



9. Dans l'esprit de l'Exhortation apostolique Pastores dabo vobis, entourez d'attentions particulières vos frères prêtres ainsi que les séminaristes, afin qu'animés par un esprit de zèle et de charité ils deviennent des prêtres selon le Coeur divin. Le Christ, Prêtre suprême, désire être présent, à travers leurs personnes, au milieu de son peuple «comme celui qui sert» (
Lc 22,27) et «offre la vie pour ses brebis» (cf. Jn 10,15). Cela nous rappelle saint Adalbert, Evêque et martyr, en ce millénaire de sa canonisation. A travers son ministère pastoral et le sang de son martyre, l'Eglise se développa sur les terres polonaises il y a presque mille ans, choisissant son premier siège et son Eglise métropolitaine dans la Gniezno des Piast.

Je saisis l'occasion pour attirer votre attention sur la question importante du soin qui doit être porté aux vocations sacerdotales et religieuses. Il faut développer la pastorale des vocations, et tout d'abord beaucoup prier et exhorter à la prière, afin que les personnes disposées à suivre la voix du Christ ne manquent pas.

C'est avec cette même force que des témoins de la foi comme Antoni Julian Nowowiejski, l'Archevêque Leon Wetmalski, ou l'Evêque Goral, ainsi que le désormais bienheureux Wincenty Frelichowski - et de nombreux prêtres, religieux, religieuses et laïcs, qui seront béatifiés à Varsovie -, invoquent le besoin de saints pasteurs. Le témoignage de leur fidélité héroïque est un grand don moral et un grand encouragement pour ceux qui ont assumé leur service pastoral après eux.

Le grand Jubilé de l'An 2000 oriente de façon particulière notre pensée et notre cur vers la jeunesse, qui au cours du nouveau millénaire formera le visage de l'Eglise et de la nation. La confiance placée dans les jeunes ne déçoit pas, car ils sont particulièrement ouverts à l'authenticité de l'Evangile. J'en ai plusieurs fois fait l'expérience au cours de mes voyages apostoliques. Je remercie de tout cur ceux qui consacrent leur temps et leurs talents à transmettre à la jeune génération le grand patrimoine de la culture, de la tradition et de la religiosité polonaises, qui se soucient de préparer les jeunes au bel amour, au mariage et à la paternité et maternité responsables. Afin que les jeunes puissent répondre aux espérances placées en eux, il faut leur enseigner à puiser leur force au contact direct de Dieu, à la liturgie et aux saints Sacrements, à l'Ecriture Sainte, à la vie et à l'apostolat de l'Eglise. Les jeunes ont eux aussi, en particulier aujourd'hui, besoin d'espérance. Il faut profiter de toutes les occasions pour que coopèrent de façon harmonieuse la famille, l'Eglise, l'école, les autorités locales et l'Etat, pour éloigner les jeunes des dangers dont la civilisation de consommation d'aujourd'hui est porteuse.

Je recommande également à votre attention particulière la plus petite, mais également la plus importante, «communauté de vie et d'amour» (Gaudium et spes, GS 48), qu'est la famille. La société et la nation se désagrègent sans l'existence de familles saines et fortes. Cependant, la stabilité et l'unité de la famille sont aujourd'hui sérieusement menacées. Il faut s'opposer à ce danger, en formant, en collaboration avec tous les hommes de bonne volonté, un climat favorable à la consolidation de la famille. Je suis heureux qu'en Pologne également naissent des mouvements pro-familles, qui diffusent un nouveau style de comportement chrétien, démontrant que là où se trouve le véritable amour et un climat de foi, il y a également de la place pour une vie nouvelle.

Vous connaissez bien ma sollicitude et mes efforts pour la défense de la vie et de la famille. Où que je sois, je ne cesse de proclamer au nom du Christ le droit fondamental de chaque homme, le droit à la vie. Continuez à faire tout votre possible pour sauver la dignité et la santé morale de la famille, afin qu'elle soit forte en Dieu. Que la famille sente la proximité et le respect de l'Eglise, et son soutien dans ses efforts pour conserver son identité, sa stabilité et son caractère sacré. C'est ce que je vous demande de façon particulière en tant que pasteurs.



10. Chers frères! Tout ce que je viens de dire exige une profonde mobilisation et la disponibilité spirituelle de toute la communauté de l'Eglise, et en particulier de ses pasteurs. Je vous adresse encore une fois un appel ardent: soyez, à l'exemple du Christ lui-même, «comme ceux qui servent», soyez «les bons pasteurs qui connaissent leurs brebis et qui sont connus par celles-ci, comme des pères véritables qui excellent dans leur esprit de charité et zèle envers tous» (Christus dominus, CD 16). Je souhaite que, grâce à votre service généreux et plein d'esprit d'abnégation, l'Eglise qui est en Pologne soit attentive à l'égard de ses «frères les plus petits» (cf. Mt 10,42), à l'égard des pauvres, des malades, de ceux qui ont subi des torts, des personnes qui souffrent, de ceux qui ont perdu espoir. Qu'elle serve chacun avec l'immensité des dons salvifiques reçus par le Christ pour le bien de chaque homme. L'évêque, comme le dit le thème de la prochaine Assemblée ordinaire du Synode des Evêques, doit servir l'Evangile du Christ, pour apporter l'espérance au monde.

Jésus-Christ vous a faits pasteurs du Peuple de Dieu en cette période historique qui se trouve à la charnière de deux millénaires. Votre activité apostolique ne peut produire des fruits pour le bien des âmes que grâce à son aide et à sa lumière. «Sans le Christ nous ne pouvons rien faire» (Jn 15,5), sans lui les efforts humains ne servent à rien. Je prie le Seigneur pour qu'il vous accorde des dons abondants, ainsi qu'à l'Eglise qui est en Pologne. Pour l'uvre évangélisatrice commune, je vous confie à la Bienheureuse Vierge Marie, Mère du Verbe incarné, unique Sauveur du monde et je vous bénis de tout coeur.

«Louange, gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles!» (Ap 7,12).



LORS DE LA VISITE DE L'ÉGLISE DES PÈRES BASILIENS

Vendredi 11 juin 1999

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Loué soit Jésus-Christ!
Chers frères et soeurs!

1. J'adresse un cordial salut à toutes les personnes présentes. Je salue en particulier Mgr Jan, Archevêque métropolitain de Przemysl-Varsovie, ainsi que le Supérieur général de l'Ordre basilien de saint Josaphat, le Protoarchimandrite Dionisos, ainsi que les Supérieurs provinciaux de la Pologne, de l'Ukraine, de la Slovaquie, de la Roumanie et de la Hongrie. J'exprime ma joie pour l'élévation à l'épiscopat de votre Provincial, le R.P. Vladimir, destiné au siège de Wroclaw-Gdansk. Je le salut de tout coeur, ainsi que les prêtres, les religieuses, les frères et les fidèles laïcs de l'Eglise grecque-catholique, qui me sont tous très chers.

Je suis heureux de pouvoir visiter ce temple basilien pour la deuxième fois. Je vins ici pour la première fois en tant que Pontife en 1979, mais les temps étaient différents et la rencontre ne put être annoncée à l'avance. A travers cette visite, j'ai voulu exprimer ma profonde reconnaissance, non seulement à l'Ordre des Pères basiliens, mais à toute l'Eglise grecque-catholique, qui à l'époque était réduite au silence.

Aujourd'hui, la présence nombreuse de la hiérarchie, du clergé, des représentants des communautés religieuses et des fidèles laïcs témoigne du fait que, à nouveau, vous pouvez professer librement votre foi et rendre louange à Dieu, un et trine. Avec vous, je rends grâce à la Divine Providence pour cette rencontre, et je m'exclame avec joie, en même temps que le Psalmiste: «En toi Yahvé nous avons notre abri, nous n'avons jamais été déçus. Tu as été pour nous un roc qui nous accueillait, la maison fortifiée qui nous a sauvés, et qui ne nous a point livré aux mains de l'ennemi. Qu'elle est grande, Yahvé, ta bonté!» (cf.
Ps 30,2-3 Ps 30,9 Ps 30,20.



2. La vie chrétienne est une lutte permanente pour l'avènement du Royaume de Dieu, qui entra dans l'histoire humaine et fut définitivement réalisée par le Christ. Toutefois, ce Royaume n'est pas de ce monde; il est du Père et seul le Père peut le réaliser parmi les hommes. Mais c'est à eux qu'est confiée la tâche de devenir un terrain fertile, dans lequel le Royaume peut se se développer et croître. Il faut parfois supporter de grands sacrifices et des persécutions pour que cela puisse avoir lieu. Au cours des siècles, votre Eglise fut soumise de nombreuses fois à une telle épreuve de fidélité, en particulier sous le régime des tsars, ainsi que sous le régime communiste athée.

Je rends grâce à Dieu pour l'élévation à la gloire des autels de vos frères, qui offrirent le témoignage suprême à Pratulin. Aujourd'hui, tous ensemble, nous nous trouvons devant leurs reliques et leur icône et nous fixons leur exemple lumineux d'une foi simple, sincère et sans limites. Nous rappelons également avec une grande vénération la multitude de nos contemporains «martyrs et confesseurs de la foi en Ukraine [...] Ils ont connu la vérité, et la vérité les a rendus libres. Les chrétiens d'Europe et du monde, se prosternant en prière au seuil des camps de concentration et des prisons, doivent leur être reconnaissants pour la lumière qu'ils ont donnée: c'était la lumière du Christ, qu'ils ont fait resplendir dans les ténèbres. Aux yeux du monde, les ténèbres ont longtemps paru l'emporter, mais elles n'ont pu éteindre cette lumière, car c'était la lumière de Dieu et la lumière de l'homme offensé mais qui ne pliait pas» (Lettre apostolique pour le quatrième centenaire de l'Union de Brest, n. 4, cf. ORLF n. 47, du 21 novembre 1995).

Encouragés par l'exemple de ces courageux témoins de la foi, vous pouvez et vous devez accepter avec courage les grands défis qui vous sont lancés. Aujourd'hui, plus que jamais, les nations ont besoin de la lumière de l'Evangile et des énergies qui s'en dégagent, pour réaliser le Royaume de Dieu dans le monde et dans le coeur des hommes. Nos frères, qui pendant de longues années en furent privés, ont besoin de cette lumière.



3. Je m'adresse de façon particulière à vous, Pères et Frères de l'Ordre basilien de saint Josaphat. Dans la Lettre apostolique Orientale lumen, j'ai écrit: «Le monachisme a depuis toujours été l'âme même des Eglises orientales» (n. 9). Ces paroles peuvent également se rapporter à la Communauté basilienne, qui au cours de sa longue histoire a toujours été une petite partie vivante de l'Eglise grecque-catholique.

Saint Basile le Grand, l'un des plus éminents Pères de l'Eglise orientale, indiqua à ceux qui voulaient se donner totalement à Dieu la voie de la vie monastique, où «le commandement de la charité vécue de façon concrète devient un idéal de coexistence humaine, et au sein duquel l'être humain cherche Dieu sans barrière ni obstacles» (cf. Orientale lumen n. 9). Saint Basile est pour vous le modèle du service parfait à Dieu et à l'Eglise. Toute sa vie fut une réalisation cohérente de la vertu de la foi et de la pratique de l'amour actif, dans l'esprit des conseils évangéliques. Au cours des siècles, l'enseignement de saint Basile porta des fruits mûrs de vie religieuse, en premier lieu en Orient.

130 Le chant qui vous est connu, nous dit: «Réjouis-toi, Basile, hiérarque saint, Patriarche de Césarée, aujourd'hui nous voulons t'honorer». Réjouis-toi à la vue des multitudes de disciples attirés au cours des siècles par l'exemple de ta sainte vie et de ton enseignement ascétique, reste avec nous comme patrimoine perpétuel de tout le christianisme. Réjouis-toi pour tant de tes fils spirituels qui, à travers la sainteté de vie, devinrent les témoins de la grâce de Dieu transformante, et par la profondeur et la perspicacité de l'esprit connaissaient et prêchaient les merveilleux mystères du Père qui donnent la vie. Ils ont confirmé leur fidélité à l'Eglise au cours des siècles, supportant avec courage les persécutions, les souffrances et même la mort. Parmi eux se trouvèrent également des évêques, des pères et des frères de votre Ordre.



4. Chers Pères et Frères!

Au seuil du troisième millénaire chrétien, la Divine Providence vous confie d'importantes tâches à réaliser. En tant que personnes consacrées à Dieu, vous devez être le sel de la terre, signe particulier et modèle de fidélité à la vocation chrétienne sur la voie des conseils évangéliques: pauvreté, chasteté et obéissance. Aujourd'hui, les hommes ont tant besoin de modèles à imiter, en particulier dans les pays où l'Eglise a été soumise à de dures persécutions et à fait l'expérience d'humiliations douloureuses.

Vous êtes appelés à la prière. Puisse-t-elle rythmer les étapes de chaque journée de votre vie. J'ai tout d'abord à l'Esprit la liturgie eucharistique, le choeur commun, la prière privée avec la méditation de l'Ecriture Sainte, la lecture des écrits des Pères orientaux de l'Eglise, en particulier des oeuvres de saint Basile le Grand. Vous avez besoin de prière car, grâce à elle, vous vous sanctifiez et vous vous perfectionnez intérieurement. Le monde a besoin de votre prière, en particulier ceux qui sont à la recherche du sens intérieur de la vie ou de la guérison intérieure.

Le grave devoir de l'observance de vos traditions liturgiques vous incombe. En Orient, le lieu de la célébration de la liturgie, dans toute sa beauté et majesté, furent surtout les monastères. Vous devez observer fidèlement et transmettre aux générations futures de religieux cette antique tradition. «Elle constitue une partie intégrante du patrimoine de l'Eglise du Christ; la première nécessité pour les catholiques consiste à la connaître pour pouvoir s'en nourrir et favoriser, selon les moyens de chacun, le processus de l'unité» (cf. Orientale lumen, n. 1).

Je voudrais également attirer l'attention sur l'important problème de l'unité de l'Eglise. L'Ordre basilien possède de grands mérites dans ce domaine. Vos prédécesseurs se sentaient pleinement responsables de cette unité, pour laquelle le Christ pria avec tant de ferveur au cours de la Dernière Cène: «Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé» (
Jn 17,21). Une figure éminente a été Josaphat Kuncewicz, Evêque et martyr, qui donna sa propre vie pour la grande cause de l'unité de l'Eglise.

L'effort en faveur de l'unité a besoin de la prière, qui transforme notre vie à travers la lumière et la vérité, nous transformant en icône du Christ. C'est pourquoi, l'une des tâches les plus importantes de toutes les communautés religieuses est la prière sincère et permanente. Les chrétiens qui aspirent à l'unité doivent tout d'abord lever les yeux vers le ciel et implorer Dieu de susciter toujours à nouveau le désir de l'unité, grâce à l'inspiration de l'Esprit Saint. L'unité ne peut être atteinte qu'avec l'aide de la grâce divine.

Au cours de l'histoire, vous avez donné le témoignage d'un profond engagement dans les oeuvres d'apostolat, démontrant toujours votre disponibilité à servir l'Eglise. Aujourd'hui, en particulier en Orient, ainsi qu'en Ukraine, l'on ressent un profond besoin d'évangélisation. L'Eglise vous regarde avec espérance et confiance, et elle compte sur votre collaboration. Pour que cette aide puisse produire les fruits attendus, une instruction théologique et une formation spirituelle adaptée sont nécessaires. Ce n'est qu'alors que vous pourrez servir les hommes comme il se doit, en montrant à travers votre vie l'amour de Dieu qui s'est manifesté en Jésus-Christ.



5. Chers frères et soeurs! Conservez votre tradition avec ferveur, comme un patrimoine spirituel particulier. Elle constitue la force de votre vie et de votre action. Rappelez-vous du grand témoignage de fidélité au Christ, à l'Eglise et au Successeur de saint Pierre offert par vos confrères. Ils préférèrent perdre leur vie plutôt que de se séparer du Siège apostolique. Leurs souffrances et leur martyre sont pour votre Eglise une source intarissable de grâce, à l'heure actuelle et pour l'avenir. Vous devez conserver dans vos coeurs ce grand patrimoine de foi, de prière et de témoignage, afin de le transmettre aux générations futures.

La responsabilité de l'Eglise n'est pas seulement la tâche du Pape, des évêques, des prêtres et des religieux. L'Eglise est le Corps mystique du Christ, dont nous sommes tous responsables, sans aucune exception.

Les représentants de votre Eglise sont présents dans ce temple: le clergé, les personnes consacrées, les fidèles laïcs de la Pologne et d'autres pays. Nous formons tous ensemble une communauté réunie dans le Christ.

131 Je prie Dieu afin que l'Eglise grecque-catholique fleurisse d'une authentique vie chrétienne et apporte la Bonne Nouvelle à tous les frères et soeurs, en Ukraine et dans la diaspora. Afin que, dans un esprit de responsabilité, elle conserve l'unité de toute l'Eglise et la soutienne activement à travers l'engagement dans le domaine oecuménique.

Je vous confie à la protection de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l'Eglise.



Mère de Dieu vénérée par les anges
et beaucoup plus célèbre que les séraphins.
Considère de façon bienveillante cette Eglise catholique orientale.
Aide tes enfants, héritiers du baptême de saint Vladimir,
afin qu'ils puissent confesser avec courage
la foi dans Ton Fils
et, comblés de l'amour, deviennent des témoins
de l'ineffable amour de Dieu Un et Trine,
devant ceux qui sont à la recherche de cet amour.
Renforce leur espérance
sur le chemin vers la maison du Père.



Avec ma Bénédiction apostolique.

Loué soit Jésus-Christ!

 

DISCOURS AU PARLEMENT POLONAIS

Vendredi 11 juin 1999, Varsovie

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  1. Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Diète,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Premier ministre,
Représentants de la magistrature,
Membres du Corps diplomatique,
Représentants des Eglises et des communautés confessionnelles de Pologne,
Mesdames et Messieurs,
Députés et Sénateurs,

1. Veuillez accepter mon cordial salut et, dans le même temps, mon remerciement pour votre invitation. Je salue également toute la nation polonaise, tous mes chers compatriotes.



«Nous connaissons désormais la profondeur de l'action de la puissance divine»

Il y a vingt ans, au cours de mon premier pèlerinage dans ma patrie, j'invoquais l'Esprit Saint avec les foules réunies en communauté de prière sur la Place de la Victoire, en implorant: «Que ton Esprit descende, et qu'il renouvelle la face de la terre» (2.6.1979). En demandant avec confiance ce renouveau, nous ne savions pas encore quelles auraient été les transformations polonaises. Aujourd'hui, nous connaissons désormais la profondeur de l'action de la puissance divine, qui rend libres, soigne et purifie. Nous pouvons être reconnaissants à la Divine Providence de tout ce que nous avons réussi à obtenir, grâce à une ouverture sincère des coeurs à la grâce de l'Esprit Consolateur. Je rends grâce au Seigneur de l'histoire pour les transformations actuelles en Pologne, pour le témoignage de la dignité et de la fermeté spirituelle de tous ceux qui, en ces jours difficiles, étaient unis par la même sollicitude pour les droits de l'homme, par la même conscience que la vie dans notre patrie pouvait être rendue meilleure, plus humaine. Ce qui les unissait était leur conviction profonde au sujet de la dignité de chaque personne humaine, créée à l'image et à la ressemblance de Dieu et appelée à être rachetée par le Christ. C'est à vous qu'a été confié aujourd'hui ce patrimoine d'efforts courageux et ambitieux, entrepris au nom du plus grand bien de la République de Pologne. C'est de vous que dépend la forme concrète que prendront en Pologne la liberté et la démocratie.



Pour la première fois le Pape intervient devant les Chambres du Parlement polonais réunies

2. Cette rencontre revêt un caractère symbolique multiple. C'est la première fois que le Pape intervient devant les Chambres du Parlement polonais réunies, en présence du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, avec la participation du Corps diplomatique. En cet instant, on ne peut pas manquer de rappeler la longue histoire de la Diète polonaise, qui remonte au XVe siècle, ou bien le glorieux témoignage de sagesse législative de nos ancêtres que l'on retrouve dans la Constitution du 3 mai 1791. Aujourd'hui, en ce lieu, nous nous rendons compte du rôle essentiel exercé dans un Etat démocratique par un ordre juridique juste, dont le fondement devrait être toujours et partout l'homme, la pleine vérité sur l'homme, sur ses droits inaliénables et sur les droits de toute la communauté qu'est la nation.



Que l'homme et son bien authentique se trouvent toujours au centre des efforts législatifs

Je sais bien qu'après de longues années en l'absence d'une pleine souveraineté de l'Etat et d'une vie publique authentique, il n'est pas facile de construire un nouvel ordre démocratique et institutionnel. C'est pourquoi je veux, dès le début, exprimer ma joie pour cette rencontre qui se déroule précisément ici, dans le lieu où, grâce à l'élaboration des lois, sont édifiées les bases durables pour le fonctionnement d'un Etat démocratique et, en son sein, d'une société souveraine. Je voudrais également encourager la Diète et le Sénat, afin qu'au centre de leurs efforts législatifs se trouve toujours l'homme et son bien authentique, selon la formule classique: Hominum causa omne ius constitutum est (le latin peut encore être utilisé, comme pour ma génération). Dans le Message pour la Journée mondiale de la Paix de cette année j'ai écrit: «Quand la promotion de la dignité de la personne est le principe qui nous guide, quand la recherche du bien commun constitue l'engagement prédominant, alors sont posés des fondements solides et durables pour l'édification de la paix. Quand, au contraire, les droits humains sont ignorés ou méprisés, quand la poursuite d'intérêts particuliers prévaut injustement sur le bien commun, alors sont inévitablement semés les germes de l'instabilité, de la rébellion, de la violence» (n. 1). Dans son préambule, le Concordat entre le Siège apostolique et la République de Pologne en parle également de façon très claire: «Le développement d'une société libre et démocratique est fondé sur le respect de la dignité de la personne humaine et de ses droits». L'Eglise en Pologne, qui au cours de toute la période de l'après-guerre est intervenue de nombreuses fois en faveur des droits de l'homme et de la nation malgré le pouvoir du système totalitaire, désire également à l'heure actuelle, dans le cadre de la démocratie, encourager l'édification de la vie sociale, et également de l'ordre juridique qui la réglemente, sur de solides bases éthiques. Dans ce but, est nécessaire une éducation qui sache utiliser de façon responsable la liberté dans sa dimension tant individuelle que sociale, et également - si le besoin se présente - d'une mise en garde à propos des dangers qui peuvent naître d'une vision réductrice de l'essence et de la vocation de l'homme et de sa dignité. Cela appartient à la mission évangélique de l'Eglise, qui apporte ainsi sa contribution spécifique dans l'oeuvre de défense de la démocratie à ses bases mêmes.



134 L'utilisation responsable, dans la vie publique, du don de la liberté recouvrée

3. Le lieu dans lequel nous nous trouvons nous invite à une profonde réflexion sur l'utilisation responsable, dans la vie publique, du don de la liberté recouvrée et sur la nécessité de la coopération en faveur du bien commun. Puisse nous aider, dans une réflexion de ce genre, la réévocation des témoignages héroïques - plutôt nombreux au cours des deux derniers siècles - des Polonais qui aspiraient à un Etat souverain, et qui pour de nombreuses générations de nos compatriotes n'exista que dans leurs rêves, dans les traditions familiales, dans la prière. J'ai tout d'abord à l'esprit l'époque des divisions et la lutte qui s'ensuivit pour reconquérir la Pologne perdue, effacée des cartes de l'Europe. L'absence de cette structure politique fondamentale qui forme la réalité sociale fut toujours ressentie, en particulier durant la dernière guerre mondiale, d'une façon si intense qu'elle conduisit, dans des conditions de danger mortel pour l'existence biologique même de la nation, à la constitution d'un Etat polonais clandestin, qui n'eut pas d'équivalent dans toute l'Europe occupée.

Avant de venir ici, j'ai béni un monument élevé à cet Etat clandestin et à l'armée de la Nation. J'ai ressenti à cette occasion une émotion profonde.



«La rencontre d'aujourd'hui n'aurait pas été possible sans la protestation des ouvriers polonais en août 1980»

Nous nous rendons tous compte du fait que cette rencontre d'aujourd'hui au Parlement n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu la ferme protestation des ouvriers polonais, sur la côte de la Baltique, en ce mémorable mois d'août 1980. Elle n'aurait pas été possible sans «Solidarnosc», qui choisit la voie de la lutte pacifique pour les droits de l'homme et de toute la nation. Il choisit également le principe - universellement accepté à l'époque! - qu'«il n'y a pas de liberté sans solidarité»: sans la solidarité avec l'autre homme, la solidarité qui surmonte les divers genres de barrières de classe, d'idéologie, de culture, et même de géographie, comme pouvait le prouver le souvenir de nos voisins de l'Est. Les événements de l'année 1989, qui marquèrent le début des grands changements politiques et sociaux en Pologne et en Europe, furent - malgré les souffrances, les sacrifices et les humiliations au cours de la guerre et des années suivantes - la conséquence du choix des méthodes de lutte pacifiques pour parvenir à une société de citoyens grands objectifs de la vie collective «l'homme doit suivre, sur son chemin au cours de l'histoire, la voie des plus nobles aspirations de l'esprit humain» (Discours au Siège de l'ONU, 5.10.1995). Il peut et doit tout d'abord choisir une attitude d'amour, de fraternité et de solidarité, l'attitude du respect de la dignité de l'homme, et donc les valeurs qui ont été à l'origine de la victoire, sans qu'ait lieu un conflit nucléaire très dangereux.



Le service à la nation doit être orienté vers le bien commun, qui garantit le bien de chaque citoyen

4. Le souvenir des messages moraux de «Solidarnosc», et donc également de nos expériences historiques si souvent tragiques, devrait aujourd'hui influencer davantage la qualité de la vie collective polonaise, le style de l'action politique ou la façon d'exercer tout autre activité publique, en particulier celle qui est exercée en vertu des élections et donc de la confiance de la société. Le service à la nation doit être orienté vers le bien commun, qui garantit le bien de chaque citoyen. Le Concile Vatican II se prononce de façon très claire à ce propos: «La communauté politique existe [...] pour le bien commun; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification et c'est de lui qu'elle tire l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprend l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement» (Gaudium et spes
GS 74). «Aussi l'ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes et non l'inverse [...] Cet ordre doit sans cesse se développer, avoir pour base la vérité, s'édifier sur la justice, et être vivifié par l'amour; il doit trouver dans la liberté un équilibre toujours plus humain» (Ibid., GS GS 26). Dans la tradition polonaise il ne manque pas de modèles de vies entièrement consacrées au bien commun de la nation. Ces exemples de courage et d'humilité, de fidélité aux idéaux et d'esprit de sacrifice ont suscité de très beaux sentiments et actions chez de nombreux compatriotes, qui de façon désintéressée et avec dévouement ont secouru la patrie, lorsque celle-ci était soumise à de très dures épreuves.



L'exercice de l'autorité politique: un généreux service à l'homme et à la société

Il est évident que la sollicitude pour le bien commun devrait être réalisée par tous les citoyens et devrait se manifester dans tous les secteurs de la vie sociale. Cependant, la sollicitude pour le bien commun est une exigence particulière du domaine de la politique. J'ai présent à l'esprit ceux qui se consacrent entièrement à l'activité politique, ainsi que chaque citoyen en particulier. L'exercice de l'autorité politique dans la communauté et dans les institutions qui représentent l'Etat devrait être un généreux service à l'homme et à la société, et non une recherche de profits personnels ou de groupe, négligeant le bien commun de toute la nation.

Comment ne pas rappeler ici les «Sermons pour la Diète» du prédicateur royal, Dom Pietro Skarga et sa fervente exhortation adressée aux sénateurs et aux députés de la I ère République: «Ayez un coeur magnifique et vaste. Ne limitez pas et ne réduisez pas l'amour au seul domaine de vos maisons ou des profits individuels. Ne l'enfermez pas dans vos maisons et dans vos trésors. Que, de vous, il se déverse sur tout le peuple, comme des hautes montagnes le fleuve se déverse sur les plaines [...] Qui sert sa propre patrie se sert lui-même; car en elle se trouve tout son bien» (cf. Deuxième sermon, De l'amour de la Patrie).

L'Eglise attend avant tout des catholiques laïcs une attitude semblable, imprégnée d'un esprit de service du bien commun. «Les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la "politique", à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun» (Christifideles laici CL 42). Avec tous, ils doivent imprégner les réalités humaines de l'esprit de l'Evangile, de façon à apporter leur contribution spécifique à la promotion du bien commun. C'est une obligation de leur conscience, qui dérive de la vocation chrétienne.



135 Chaque transformation économique doit servir à la formation d'un monde plus humain et plus juste

5. Les défis qui sont lancés à un Etat démocratique exigent une coopération solidaire de tous les hommes de bonne volonté qui, indépendamment de l'option politique ou de l'idéologie, désirent construire ensemble le bien commun de la patrie. En respectant l'autonomie propre à la vie d'une communauté politique, il faut dans le même temps avoir à l'esprit qu'elle ne peut pas être considérée comme indépendante des principes éthiques. Mêmes les Etats pluralistes ne peuvent pas renoncer aux normes éthiques de la vie publique. «Dans de nombreux pays, - ai-je écrit dans l'Encyclique Veritatis splendor - après la chute des idéologies qui liaient la politique à une conception totalitaire du monde - la première d'entre elles étant le marxisme -, un risque non moins grave apparaît aujourd'hui à cause de la négation des droits fondamentaux de la personne humaine et à cause de l'absorption dans le cadre politique de l'aspiration religieuse qui réside dans le coeur de tout être humain: c'est le risque de l'alliance entre la démocratie et le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute référence morale sûre et la prive, plus radicalement, de l'acceptation de la vérité. En effet, "s'il n'existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l'action politique, les idées et les convictions peuvent facilement être exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l'histoire"» (
VS 101).

En partageant la joie pour les transformations positives qui ont lieu en Pologne sous nos yeux, nous ne pouvons que nous rendre également compte du fait que dans une société libre doivent aussi exister des valeurs qui garantissent le bien suprême de tout l'homme. Chaque transformation économique doit servir à la formation d'un monde plus humain et plus juste. Je voudrais encourager les hommes politiques polonais et toutes les personnes engagées dans la vie politique à ne pas épargner leurs efforts pour construire un Etat qui prête une attention particulière aux familles, à la vie humaine, à l'éducation de la jeune génération, qui respecte le droit au travail, qui envisage les problèmes essentiels de toute la nation et qui soit sensible aux besoins de l'homme concret, en particulier du pauvre et du faible.



L'Eglise met en garde contre une vision de l'Europe qui considère exclusivement ses aspects économiques et politiques

6. Les événements d'il y a dix ans en Pologne ont créé une occasion historique afin que le continent européen, ayant définitivement abandonné les barrières idéologiques, retrouve la route vers l'unité. J'en ai parlé plusieurs fois, en développant la métaphore des «deux poumons», avec lesquels l'Europe devrait respirer, rassemblant les traditions de l'Orient et de l'Occident. Mais au lieu de la communauté d'esprit attendue, nous assistons à de nouvelles divisions et de nouveaux conflits. Une situation de ce genre comporte pour les hommes politiques, de science et de culture, ainsi que pour tous les chrétiens un besoin urgent de nouvelles initiatives servant à l'intégration de l'Europe. En pèlerinage sur les sentiers du temps, l'Eglise a lié sa propre mission plus étroitement à notre continent qu'à aucun autre. Le visage spirituel de l'Europe se formait grâce aux efforts des grands missionnaires et grâce au témoignage des martyrs. Il se formait dans les temples élevés avec une grande abnégation et dans les centres de vie contemplative, dans le message humaniste des universités. L'Eglise, appelée à prendre soin de la croissance spirituelle de l'homme comme être social, apportait dans la culture européenne un unique ensemble de valeurs. Elle demeurait toujours convaincue qu'«une politique culturelle authentique doit considérer l'homme dans sa totalité, c'est-à-dire dans toutes ses dimensions personnelles, sans oublier les aspects éthiques et religieux» (Message au Directeur général de l'UNESCO à l'occasion de la Conférence sur les politiques culturelles, 24.7.1982). Comme la culture européenne serait restée pauvre si l'inspiration chrétienne lui avait manqué!

C'est pourquoi, l'Eglise met en garde contre une réduction de la vision de l'Europe, qui la considérerait exclusivement sous ses aspects économiques et politiques, ainsi que contre une relation acritique avec un modèle de vie consumériste. Si nous voulons que la nouvelle unité de l'Europe soit durable, nous devons la construire sur les valeurs spirituelles qui en furent autrefois la base, en tenant compte de la richesse et de la diversité des cultures, et des traditions de chaque nation. En effet, elle doit devenir la grande Communauté européenne de l'Esprit. Ici aussi je renouvelle mon appel au vieux continent: «Europe, ouvre les portes au Christ!».



La Pologne a pleinement le droit de participer au processus de développement du monde et de manière particulière de l'Europe

7. A l'occasion de la rencontre d'aujourd'hui, je désire encore une fois exprimer ma satisfaction pour les efforts cohérents et solidaires visant, depuis que la souveraineté a été recouvrée, à rechercher et à consolider une place sûre pour la Pologne au sein de l'Europe qui s'unit et dans le monde.

La Pologne a pleinement le droit de participer au processus général du progrès et du développement du monde, et en particulier de l'Europe. L'intégration de la Pologne à l'union européenne est depuis le début soutenue par le Siège apostolique. L'expérience historique vécue par la nation polonaise, sa richesse spirituelle et culturelle, peuvent contribuer de façon efficace au bien commun de toute la famille humaine, en particulier à la consolidation de la paix et de la sécurité en Europe.



La liberté exige un effort continu pour la consolider et la vivre de façon responsable

8. Le 60e anniversaire du début de la Seconde Guerre mondiale, qui a lieu cette année, et le 10e anniversaire des événements que nous avons mentionnés, devraient devenir l'occasion pour tous les Polonais d'entreprendre une réflexion sur la liberté comme «don» et, dans le même temps, comme «devoir»; une liberté qui exige un effort continu pour la consolider et la vivre de façon responsable. Que les merveilleux témoignages d'amour pour la patrie, de désintérêt et d'héroïsme, nombreux dans notre histoire, constituent un défi pour se consacrer collectivement aux grands objectifs de la nation, car «le meilleur usage de la liberté est la charité, qui se réalise dans le don et le service» (Redemptor hominis RH 21).

Je souhaite à toutes les personnes présentes et à mes compatriotes de franchir le seuil du troisième millénaire avec espérance et confiance, avec la volonté de construire ensemble la civilisation de l'amour, qui se fonde sur les valeurs universelles de la paix, de la solidarité, de la justice et de la liberté.

Que l'Esprit Saint soutienne sans cesse le grand processus de transformation, qui vise à renouveler le visage de la terre. De notre Terre commune!

  


Discours 1999 126