Homélies St Jean-Paul II 28679


29 juin 1979, Solennité des apôtres Pierre et Paul

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1. La liturgie de ce jour nous mène comme chaque année dans la région de Césarée de Philippe ou Simon fils de Jonas cueillit ces paroles sur les lèvres mêmes du Christ : "Tu es heureux... car cette révélation t'es venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux" (
Mt 16,17).

Pierre a entendu ces paroles, tombées des lèvres de Jésus après que celui-ci eut demandé : "Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme ?" et que lui-même eut répondu : "Tu es le Messie (Christos), le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,13 Mt 16,16).

Cette réponse se situe au centre même de l'histoire de Simon que le Christ a commencé à appeler Pierre.

Le lieu ou ces paroles ont été prononcées est un lieu historique. Lors de sa visite en Terre Sainte comme pèlerin, le Pape Paul VI a témoigné d'une attention toute particulière à ce lieu. Chaque successeur de Pierre doit y retourner par la pensée et par le cœur. C'est là qu'a été reconfirmée la foi de Pierre "...cette révélation t'es venue ni de la chair ni du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux" (Mt 16,17).

Le Christ a entendu ce que peu auparavant Pierre a confessé. Le Christ voit dans l'âme de l'Apôtre qui confesse. L'œuvre du Père dans cette âme est parfaite. Elle a touché l'intelligence, la volonté et le cœur, indépendamment de "la chair" et "du sang"; indépendamment de la nature et des sens. Par le Saint-Esprit elle a atteint l'âme de l'homme simple, du pêcheur de Galilée. La lumière intérieure jaillie de cette œuvre trouve son expression dans cette affirmation : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16).

Ce sont des mots très simples. Mais ils expriment une vérité surhumaine. La vérité surhumaine, divine s'exprime à l'aide de mots simples, de mots très simples. Comme le furent les paroles prononcées par Marie au moment de l'Annonciation. Comme 1'étaient les paroles de Jean-Baptiste au Jourdain. Comme le sont les paroles de Simon dans le voisinage de Césarée de Philippe : Simon que le Christ a appelé Pierre.

Le Christ voit dans l'âme de Simon. On dirait qu'il admire l'œuvre que le Père a accomplie en elle à l'intervention du Saint-Esprit : voilà, en confessant la vérité sur l'origine divine de son Maître, Simon participe de la Connaissance divine, de cette science insondable que le Père a du Fils, que de même le Fils a du Père.

Et le Christ dit : "Tu es heureux, Simon fils de Jonas" (Mt 16,17).

2. Ces paroles se trouvent au centre même de l'histoire de Simon Pierre.

Cette bénédiction n'a jamais été retirée. Gomme ne s'est jamais estompée dans l'âme de Pierre cette confession qu'il fit en ce temps-là dans les environs de Césarée de Philippe.

Toute sa vie, jusqu'à la dernière heure, il l'a passée avec elle. Avec elle il a passé cette terrible nuit de l'arrestation de Jésus dans le jardin de Gethsémani: la nuit de sa propre faiblesse, de sa faiblesse la plus grande qui l'a mené à renier l'homme... mais qui n'a cependant pas détruit sa foi en le Fils de Dieu. L'épreuve de la croix a été compensée par le témoignage de la Résurrection. A la confession faite dans la région de Césarée de Philippe elle apporta un argument définitif.

Et maintenant, animé par cette foi en le Fils de Dieu, il allait au-devant de la mission que le Seigneur lui avait confiée.

Lorsqu'il se trouva dans la prison de Jérusalem, emprisonné et condamne à mort, sur ordre d'Hérode, il parut que cette mission ne durerait pas longtemps.

Mais Pierre fut libéré par la même force qui l'avait appelé. Il était encore destiné à une longue démarche.

Une démarche qui, selon les indications confirmées d'ailleurs par de scrupuleuses recherches, a pris fin seulement le 29 juin, soixante - huitième année de notre ère conventionnellement calculée à partir de la naissance du Christ.

Au terme de cette démarche, l'Apôtre Pierre, autrefois Simon fils de Jonas, s'est trouvé ici à Rome, ici, en ce lieu où nous nous trouvons, sous l'autel où se célèbre maintenant l'Eucharistie.

"La chair et le sang" ont été totalement détruits ; ils ont été soumis à la mort. Mais ce qu'un jour lui avait révélé le Père (cf. Mt 16,17) a survécu à la mort de la chair ; c'est devenu le début de la rencontre éternelle avec le Maître auquel il a jusqu'au bout rendu témoignage. Le début de la bienheureuse Vision du Fils du Père.

Il est devenu également l'inébranlable fondement de la foi de l'Eglise : sa pierre ; son roc.

"Tu es heureux, Simon fils de Jonas" (Mt 16,17).

3. Dans la liturgie de ce jour, qui unit la commémoration de la mort et de la gloire des saints apôtres Pierre et Paul, nous lisons le passage suivant de l'épître à Timothée : "Quant à moi, mon très cher, voici que mon sang va se répandre en libation et que le moment est venu de ramener les voiles. J'ai combattu jusqu'au bout le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai conservé ma foi. Et voici que maintenant pour moi est préparée la couronne de justice qu'en retour le Seigneur me donnera ce jour-là, lui, le juste Juge, et non seulement a moi, mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition" (2Tm 4,6-8).

Parmi tous ceux qui ont aimé la manifestation du Seigneur, Paul de Tarse a certainement été plus que tout autre l'amant singulier, le combattant intrépide, le témoin inflexible.

"Le Seigneur (...) est resté proche de moi" ; souvenons-nous bien de la manière et du lieu où cela s'est passé ; nous souvenons de ce qui s'est passé près des murs de Damas ? "Le Seigneur, lui, est venu près de moi et m'a rempli de sa force afin que, par moi, le message fut proclamé et qu'il parvint aux oreilles de tous les païens" (2Tm 4,17).

En un raccourci grandiose, Paul expose l'œuvre de toute sa vie. Il en parle d'ici, de Rome, à son disciple favori, au moment où s'annonce la fin de sa vie toute entière dédiée à l'Evangile.

Et, encore au bout de cette étape, cette conscience du péché et de la grâce, garde toute sa pénétration, la conscience de la grâce qui surmonte le péché et ouvre le chemin à la gloire : "Le Seigneur me délivrera de toute entreprise perverse et me sauvera en me prenant dans son royaume céleste" (2Tm 4,18).

L'Eglise romaine évoque aujourd'hui d'une manière particulière, le souvenir de deux regards tournés vers la même direction : la direction du Christ crucifié et ressuscité. Le regard de Pierre agonisant sur la croix et celui de Paul mourant sous le glaive.

Ces deux regards emplis de foi — de cette foi qui a comblé leur vie jusqu'à la dernière heure et a jeté les bases de la lumière divine dans l'histoire de l'homme sur la terre — subsistent dans notre mémoire.

En ces jours, revivifions avec une force particulière notre foi dans la Christ.

Dans cette perspective, je suis heureux de saluer la délégation envoyée par mon frère bien-aimé, le Patriarche œcuménique Dimitrios Ier pour prendre part à cette célébration des coryphées des apôtres, les saints Pierre et Paul, prouvant ainsi que les relations entre nos deux Eglises s'intensifient de plus en plus dans un effort commun vers la pleine unité.




1er juillet 1979, Concélébration avec les nouveaux cardinaux

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Basilique Saint-Pierre
Dimanche 1er juillet 1979

L’ÉGLISE COMME SIGNE DE LA VOLONTÉ SALVIFIQUE DE DIEU

Le 1er juillet le Saint-Père a présidé une concélébration eucharistique avec les quatorze nouveaux cardinaux créés lors du Consistoire du 30 juin, à qui il a remis l’anneau cardinalice.


Très chers frères et soeurs,

1. Je voudrais, avec vous, contempler l’Église entièrement « soumise au Christ » (cf.
Ep 5,24) comme une épouse fidèle. Ces derniers jours, que nous avons vécus en méditant ensemble le sacrifice des saints apôtres Pierre et Paul, nous obligent à rechercher la manifestation du mystère de leur vocation dans le témoignage de foi et d’amour qu’ils ont donné jusqu’à la mort. Cette manifestation, nous la trouvons tout au long de l’histoire de l’Église, tout au long des siècles et des générations de ses fils et de ses filles fidèles, de ses serviteurs et de ses pasteurs en remontant ainsi à cet amour sublime de notre Rédempteur et Seigneur qui « a aimé l’Église et s’est livré pour elle, il a ainsi voulu la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave… ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable » (Ep 5,27).

Je voudrais aujourd’hui aller avec vous en pèlerinage spirituel à cet amour sublime, à ce coeur transpercé sur la croix et ouvert à l’Église. De ce pèlerinage nous devons tous revenir « purifiés, revigorés et sanctifiés » à la mesure de ces jours.

Voilà l’Église, fruit de l’amour insondable de Dieu dans le coeur de son Fils. Voilà l’Église, qui porte les fruits de l’amour des saints apôtres, des martyrs, des confesseurs et des vierges, de l’amour des générations entières.

Voilà l’Église, pour nous à la fois mère et épouse, objet de notre amour, de notre témoignage et de notre sacrifice, de notre service et de notre travail inlassable. L’Église pour laquelle nous vivons afin de nous unir au Christ dans un unique amour ; pour laquelle, vénérables et chers frères, créés cardinaux au Consistoire d’hier, vous devez vivre désormais encore plus intensément, en vous unissant au Christ dans un unique amour pour elle.

2. L’Église est dans le monde. Vous en êtes tous le témoignage vivant dans le monde, vous qui venez de tant d’endroits géographiquement éloignés, mais en même temps spirituellement proches.

L’Église est dans le monde comme un signe de la volonté salvifique de Dieu. N’est-elle pas le corps de celui que le Père a consacré par l’onction et envoyé dans le monde ? « Il m’a envoyé porter joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le coeur brisé, proclamer aux captifs l’évasion…, réconforter tous les endeuillés… Leur donner ce diadème et non pas de la cendre, un onguent marquant l’enthousiasme et non pas le deuil. » (Is 61,1-3)

L’Église ne devra-t-elle pas être tout cela ? Ne devra-telle pas vivre de tout cela si elle doit répondre à la mission de salut de celui qui est son époux et son chef ?

Vous le savez très bien vénérables frères et chers fils — et toutes les Églises dont vous venez le savent aussi — dans quel langage de réalités, d’expériences, d’aspirations, de tristesses, de souffrances, de persécutions et d’espérances il faut traduire ce très ancien texte prophétique d’Isaïe pour qu’il dise, dans le langage de notre temps, combien l’Église est enracinée dans le monde ; combien elle désire être, dans le monde un signe vivant de la volonté de salut du Père éternel pour tout homme et toute humanité, cette Église de notre époque difficile, de ce second millénaire qui touche à sa fin, de ce temps de tensions et de menaces extrêmes, ou de peurs et d’attentes immenses.

3. Dans tous les temps, cette Église est simple de la même simplicité que lui a inspirée notre Seigneur et Maître par les paroles de l’Évangile. Combien peu il faut pour que l’Église « commence à exister » parmi les hommes ! « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20) ; et « si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux » (Mt 18,19).

Combien peu il faut pour que l’Église existe, si elle se multiplie et se répand ! Ce sont ces deux ou trois, réunis au nom du Christ et unis par lui dans la prière avec le Père, qui en décident. Combien peu il faut pour que cette Église existe partout, même là où, selon les « lois humaines, elle n’existe pas et ne peut pas exister, et où elle est condamnée à mort ! Combien peu il faut pour qu’elle existe et réalise sa substance la plus profonde !

Et pour que vive son éternelle jeunesse ! C’est cette même Église qu’ont vue les premiers chrétiens, qui « étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières… Ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité du coeur. Ils louaient Dieu et trouvaient un accueil favorable auprès du peuple tout entier » (Ac 2, 42, 4647), comme nous le lisons aujourd’hui à la seconde lecture dans les Actes des apôtres. Cette lecture éveillé en nous non seulement des souvenirs mais des désirs : ceux de la simplicité de l’Épouse qui vient de connaître le sacrifice d‘amour de son Époux crucifié et bénéficie de sa fécondité créatrice dans l’Esprit-Saint lorsque, ainsi que nous le lisons, « le Seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux qui trouvaient le salut » (Ac 2,48).

Cette Église est simple de la simplicité qui lui est propre.

Et elle est forte de cette unique force qu’elle a reçue du Seigneur, de celle-là et d’aucune autre. « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. » (Mt 18,18)

Voilà la qualité propre de cette force de l’Église. Ni l’homme ni l’humanité ne connaissent une force semblable, dans aucune autre dimension de leur vie individuelle ou sociale. L’Église ne tire cette force d’aucun domaine de sa vie temporelle, d’aucune réserve de la nature… Cette force vient de Dieu et de Dieu seul, directement de Dieu ; elle est rachetée par le sang de son Rédempteur et Époux. C’est la force de l’Esprit-Saint.

Et elle s’allie avec ce qu’il y a de plus profond dans l’homme. Par la foi l’espérance et la charité, elle cherche — et elle cherche immuablement — les solutions dans le ciel de ce qui ne peut être pleinement résolu sur la terre.

4. Vénérables et chers frères, combien nous nous réjouissons de ce que vous, les nouveaux cardinaux vous épousez aujourd’hui cette Église à l’exemple du Christ. Le signe de ces épousailles est l’anneau que tout à l’heure je vous mettrai au doigt.

Combien nous nous réjouissons de ces épousailles qui apportent à la vie du Peuple de Dieu, sur toute la terre, un nouvel amour, une nouvelle assurance d’amour, une nouvelle efficacité de l’amour, comme nous l’espérons, de cet amour dont nous avons été aimés et dont nous devons nous aimer les uns les autres. Cet amour qui vient de l’Époux et est pour l’Époux.

Cet amour dont l’Église doit être aimée avec une nouvelle ferveur par chacun de vous.

Cet amour par lequel l’Église doit de nouveau d’exprimer dans toute la simplicité et la force qu’elle a reçues du Seigneur.

Cet amour par lequel l’Église doit de nouveau devenir l’épouse « sans tache ni ride » pour l’Époux.

C’est cet amour que je souhaite pour vous et pour tout le peuple de Dieu qui est à Rome et dans le monde. Je remets ce voeu entre les mains de la Mère de l’Église, épouse de l’Esprit-Saint.

Amen.


2 juillet 1979, Messe à la "Grotte de Lourdes" dans les Jardins du Vatican, pour les pèlerins de Piacenza

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Très chers amis,

1. Notre rencontre, ce matin en cet endroit si suggestif qui nous conduit, par la pensée et par le cœur, à la Grotte de Lourdes, lieu privilégié et béni où la Très Sainte Vierge Marie apparut à la petite Bernadette, a une signification bien précise : c'est une rencontre familiale près de l'autel du Seigneur et sous le regard de la Vierge Marie, avec le Secrétaire d'Etat, le nouveau Cardinal Agostino Casaroli, mon plus proche collaborateur, avec l'Evêque et des représentants du clergé de son diocèse natal, Piacenza, et avec ses parents et amis.

C'est pour moi un moment de joie toute particulière, qui m'offre l'occasion de manifester mes sentiments d'affection et de vive satisfaction à celui qui, après de longues années de généreux dévouement au service total et direct du Saint-Siège et du Pape, est chargé maintenant de l'importante et lourde responsabilité de Secrétaire d'Etat.

Je me fais un devoir de remercier vivement le Cardinal Casaroli pour la sollicitude et pour la sagesse avec lesquelles il s'est prodigué pour le bien de l'Eglise, et pour avoir accepté une charge si haute et si importante ; et je vous invite tous à l'assister avec une constante et fervente prière pour que le Seigneur lui accorde toujours sa lumière, son aide et ses encouragements.

Je me réjouis également avec le Diocèse de Piacenza qui a su, grâce à la sérieuse et affectueuse formation de ses séminaristes, offrir au service de l'Eglise tant de prêtres et d'éminentes personnalités. Je ne puis que souhaiter de tout cœur qu'il y ait dans votre diocèse de saintes vocations sacerdotales toujours plus nombreuses, pour répondre aux besoins locaux et à ceux de l'Eglise universelle.

Je salue de la manière la plus cordiale les membres de la famille du Cardinal Casaroli, les assurant que je prends vivement part à leur joie sincère en ces jours significatifs autant qu'importants.

2. Prenant appui sur la Parole de Dieu qui a été lue durant la liturgie de ce jour, tâchons d'en retirer quelques bonnes directives pour notre vie.

Avant tout, nous avons devant les yeux la scène décrite par saint Jean l'Evangéliste : nous sommes sur le Mont Calvaire : il y a une croix, une croix sur laquelle est cloué Jésus ; et il y a, tout près, la mère de Jésus entourée de quelques femmes, il y a aussi le disciple préféré, Jean précisément. Le mourant parle, le souffle haletant dans l'agonie : "Femme, voici ton fils !". Puis, s'adressant au disciple : "Voici ta mère !". L'intention est évidente : Jésus veut confier sa mère aux soins de son disciple bien-aimé.

Seulement cela. Derrière l'épisode, si simple en apparence, les anciens Pères de l'Eglise ont entrevu une signification théologique bien plus profonde. Déjà Origène identifiait 1'apôtre Jean avec chaque chrétien et, après lui, on a fait de plus en plus appel à ce texte pour justifier la maternité universelle de Marie.

C'est une conviction qui a un fondement précis dans le fait révélé : comment ne pas penser, en effet, en lisant ce passage, aux mystérieuses paroles de Jésus durant les noces de Cana (cf.
Jn 2,4) quand, à une demande de Marie, il répondit en l'appelant "Femme", comme maintenant, et renvoyant le début de sa collaboration avec elle en faveur des hommes, au moment de la Passion, son "heure", comme il a l'habitude de l'indiquer (cf. Jn 7,30 Jn 8,20 Jn 12,27 Jn 13,1 Mc 14,35 Mc 14,41 Mt 26,45 Lc 22,53).

Marie est entièrement consciente de la mission qui lui est confiée ; nous la trouvons aux débuts de la vie de l'Eglise en compagnie des Apôtres qui se préparent à l'imminent événement de la Pentecôte, comme nous le rappelle la première lecture de la Messe. Dans ce récit de Luc le nom de Marie se détache sur celui des autres femmes : la communauté primitive, réunie à l"'étage supérieur" se serre en prière autour d'elle, qui "est la mère de Jésus", comme pour chercher protection et réconfort face aux inconnues d'un avenir chargé d'ombres menaçantes.

3. L'exemple de la communauté chrétienne des origines a une valeur de paradygme : nous aussi, dans les vicissitudes, même si diverses, de notre époque, nous ne pouvons faire mieux que de nous recueillir autour de Marie, reconnaissant en elle la Mère du Christ, du Christ total, c'est-à-dire de Jésus et de l'Eglise, notre Mère. Et d'apprendre d'elle. Apprendre quoi ?

Avant tout, apprendre à croire. Marie a été appelée "bienheureuse" parce qu'elle a su croire (cf. Lc 1,45). Sa foi fut la plus grande que jamais ait eue un être humain; plus grande que la foi même d'Abraham. Le "Saint", en effet, qui était né d'elle, "s'éloignait d'elle en grandissant, se hissait plus haut qu'elle, vivait à une distance infinie : l'avoir engendré et nourri et vu dans son abandon, et ne pas se laisser égarer bassement devant cette majesté, mais aussi ne pas hésiter dans son amour quand sa protection maternelle se trouva surmontée, et croire de tout cela que c'était juste ainsi et qu'en cela s'accomplissait la volonté de Dieu : ne jamais se lasser, ne jamais tiédir, mais tenir ferme et faire pas à pas et avec lui, le chemin que, dans son caractère secret, suivait la personne de son Fils — voilà sa grandeur" (R. Guardini, Il Signore, Milan 1964, pp. 28-29).

Et c'est aussi la première leçon qu'elle nous donne.

Puis il y a la leçon de la prière : une prière "assidue et d'un même cœur" (Ac 1,14). Dans nos communautés souvent on se réunit pour discuter, pour examiner des situations, pour élaborer des programmes. Ce peut être du temps bien employé. Il est toutefois nécessaire de répéter que le temps le plus utile, celui qui donne leur sens et leur efficacité aux discussions et aux projets, est celui consacré à la prière. En elle, en effet, l'âme se dispose à accueillir le "Consolateur" que le Christ a promis d'envoyer (cf. Jn 1,26) et auquel il a confié la mission de "nous conduire vers la vérité tout entière" (cf. Jn 16,13).

Il y a encore autre chose que Marie nous enseigne par son exemple : elle nous dit qu'il est nécessaire de demeurer dans la communion avec la communauté hiérarchiquement organisée. Parmi les personnes rassemblées dans le Cénacle de Jérusalem saint Luc rappelle en premier lieu les onze Apôtres, dont il cite les noms, bien qu'il en ait déjà établi la liste dans son Evangile (cf. Lc 6,14 et sv.). Il y a en tout ceci une "intention" évidente. Si, avant la Pâque de la Résurrection du Seigneur, les Apôtres constituaient la suite spéciale du Seigneur, ils apparaissent désormais comme des hommes à qui le Christ Ressuscité a confié les pleins pouvoirs et une mission : ils sont donc les responsables de l'œuvre de salut que l'Eglise doit réaliser dans le monde.

Marie est avec eux : et, même, sous un certain aspect, elle leur est subordonnée. La communauté chrétienne se construit "sur le fondement des apôtres". C'est là la volonté du Christ. Marie, la Mère, l'a joyeusement acceptée. Sous cet aspect-là également, elle est pour nous un modèle à suivre.

Nous allons maintenant poursuivre la célébration de la Messe. L'expérience du Cénacle revit mystiquement dans notre assemblée liturgique. Marie est avec nous. Nous l'invoquons, nous nous confions à elle. Elle soutiendra de son aide, l'intention, que nous renouvelons ici, de l'imiter généreusement.



MESSE POUR LES OBSÈQUES DU CARDINAL OTTAVIANI

60879 Lundi 6 août 1979

Les funérailles du cardinal Ottaviani se sont déroulées le lundi 6 août en la basilique Saint-Pierre où Jean Paul II, interrompant son séjour à Castelgandolfo, a présidé le rite funéraire. Durant la concélébration — 13 cardinaux étaient présents à l’autel — le Saint-Père a prononcé l’homélie suivante :


Ecce sacerdos magnus, qui in diebus suis placuit Deo et inventus est justus (cf.
Si 44,16-17), telles sont les paroles qui viennent spontanément sur mes lèvres au moment où nous offrons à Dieu le sacrifice eucharistique et où nous nous préparons à dire un dernier adieu à notre vénéré frère, le cardinal Alfredo Ottaviani. Il fut vraiment un grand prêtre, d’une piété remarquable, d’une fidélité exemplaire au service de la sainte Église et du Siège apostolique, qui a exercé son ministère et pratiqué la charité chrétienne avec zèle. Et il fut en même temps un prêtre romain, qui possédait cet esprit typique, peut-être difficile à définir, que reçoivent comme un héritage ceux qui sont nés à Rome — comme lui qui y était né dix ans avant la fin du XIXe siècle — et qui s’exprime par un attachement particulier à Pierre et à la foi de Pierre, et aussi par une sensibilité aiguë pour ce qu’est, fait et doit faire l’Église de Pierre.

C’est pourquoi j’ai parlé de « fidélité exemplaire » . Et maintenant qu’il est mort, après une longue et laborieuse existence il est plus facile de voir dans cette fidélité la caractéristique constante de toute sa vie. C’était vraiment une fidélité à toute épreuve. Sans vouloir retracer les étapes de son activité dans les différents ministères auxquels l’ont appelé ses grandes capacités et la confiance des Souverains Pontifes, il s’est toujours distingué par cette qualité morale particulière qui est faite de cohérence, de dévouement, d’obéissance. Comme substitut de la Secrétairerie d’État, puis comme assesseur, pro-secrétaire, pro-préfet et préfet de ce qui était alors la Congrégation du Saint-Office ; comme prélat, évêque et cardinal, il a fait preuve de ces qualités qui le caractérisaient et l’identifiaient aux yeux de tous ceux — et ils étaient nombreux, à Rome ou ailleurs — qui le connaissaient et l’estimaient. Étant responsable du dicastère auquel est institutionnellement confiée la protection du patrimoine sacré de la foi et de la morale catholiques, il a manifesté cette vertu par son comportement perspicace et attentif, dans la conviction — objectivement fondée et de plus en plus mûrie en lui par l’expérience des choses et des hommes — que la rectitude de la foi, c’est-à-dire l’orthodoxie, est un patrimoine auquel on ne saurait renoncer et qu’elle est la condition première de la rectitude des moeurs ou orthopraxie. Son sens juridique élevé, qui dès sa jeunesse en avait fait un maître célèbre et écouté pour de nombreux prêtres, l’a soutenu dans son travail tenace pour la défense de la foi.

Toujours disponible, toujours prêt à servir l’Église, il a discerné, même dans les réformes, un signe providentiel des temps, de sorte qu’il a su et voulu collaborer avec mes prédécesseursJean XXIII et Paul VI, comme il l’avait déjà fait avec Pie XII et encore avant avec Pie XI. Sa vie a été littéralement dépensée pour le bien de la sainte Église de Dieu. Notre frère a toujours été en toutes choses « un homme de Dieu équipé pour toute oeuvre bonne » (2Tm 3,17). Et c’est là une référence essentielle, une base précieuse pour bien situer sa physionomie spirituelle et morale.

Il fut aussi un homme d’un grand coeur sacerdotal. Nombreux sont encore ceux qui se souviennent de son ministère quotidien au milieu des jeunes du patronage de Saint-Pierre. À côté d’autres prêtres et prélats romains qui ne sont pas oubliés, il fut pour eux un ami et un frère et je dirai même un père attentif et affectueux. Sa présence n’était pas une diversion pour faire oublier l’aridité et l’ennui d’un travail de bureau mais une exigence spontanée, intentionnelle et généreuse de son programme de prêtre, une « prestation » exigée par sa vocation.

Il était né pauvre dans le quartier populaire du Trastevere et cette origine explique sa tendresse, sa préférence pour les pauvres, les petits, les orphelins. Et maintenant, ce sont précisément ces âmes innocentes qui — à côté de tant de prêtres et de laïcs ayant reçu du cardinal Ottaviani la lumière de la sagesse, l’exemple de la simplicité, le remède de la miséricorde — intercèdent pour lui devant l’autel du Seigneur pour qu’il reçoive bien vite la récompense du « bon et fidèle serviteur » (cf. Mt Mt 25,21).

Par une singulière coïncidence, cette cérémonie a lieu à l’heure où, il y a exactement un an, mon cher prédécesseur Paul VI quittait ce monde. Et j’aime évoquer avec vous la voix robuste et émue du cardinal qui, le 21 juin 1963 avait annoncé publiquement l’élévation au pontificat du cardinal Giovanni Battista Montini. Dans le ton même de sa voix, qui ne faisait que reprendre la formule latine habituelle Habemus Papam, transparaissait la satisfaction de l’ancien maître voyant exalter un collègue et ami, si digne d’estime, qui devait inaugurer dans l’Église et pour l’Église une période intense, prometteuse. L’un et l’autre, chacun dans son poste de responsabilité, avec les différences manifestes de leur personnalité propre, ont maintenant achevé le cycle de leur existence terrestre pour entrer définitivement — comme tous nous le souhaitons et le demandons dans la prière — dans ce royaume où leur foi ardente et intrépide les avait introduits en espérance.

À l’un et à l’autre, que le Seigneur donne maintenant le repos dans sa lumière et dans sa paix.Amen.



14 août 1979, Messe pour les Clarisses et les Soeurs basiliennes à Castel Gandolfo

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Couvent des Clarisses d’Albano, Rome
Mardi 14 août 1979



Très chères Soeurs dans le Seigneur,

C’est avec une grande joie et une vive émotion que je célèbre la sainte messe ici, avec vous et pour vous qui menez votre vie contemplative près de ma résidence d’été.

Parmi toutes les personnes que le Pape aime et approche, vous êtes certainement les plus précieuses parce que le Vicaire du Christ a extrêmement besoin de votre aide spirituelle, et il compte surtout sur vous qui, par vocation divine, avez choisi « la meilleure part » (
Lc 10,42), c’est-à-dire le silence, la prière, la contemplation, l’amour exclusif de Dieu.

Vous n’avez pas abandonné le monde pour échapper aux difficultés du monde ou pour vous désintéresser des problèmes qui tourmentent l’humanité. Ces problèmes, vous les portez tous dans votre coeur, et, sur la scène agitée de l’Histoire, vous accompagnez l’humanité de vos prières, de votre soif de perfection et de salut.

D’une façon cachée, mais authentique, vous êtes présentes à la société et plus encore à l’Église. Et moi aussi je tourne les yeux avec confiance vers vos mains jointes et je confie à l’ardeur de votre charité l’obsédante mission du Pontificat suprême.

Je voudrais méditer avec vous les enseignements et les pensées que nous inspire la liturgie aujourd’hui, à partir de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre dans le saint Évangile.

1. Jésus nous rappelle avant tout la réalité consolante du royaume des cieux.

La question que les apôtres posent à Jésus est très symptomatique : « Qui est le plus grand dans le royaume des cieux ? »

Ils avaient discuté entre eux de questions de préséance, de carrière, de mérites, dans un esprit encore terrestre et intéressé. Ils voulaient savoir qui était le premier dans ce royaume des cieux dont parlait toujours le Maître.

Jésus en prend occasion pour purifier l’idée fausse que s’en font les apôtres et pour les acheminer vers le vrai sens de son message : le royaume des cieux, c’est la vérité du salut révélée par lui ; c’est « la grâce », c’est-à-dire la vie de Dieu qu’il apporte à l’humanité par l’incarnation et la rédemption ; c’est l’Église, son Corps mystique, le Peuple de Dieu qui l’aime et le suit ; c’est finalement la gloire éternelle du paradis, à laquelle toute l’humanité est appelée.

Jésus, en parlant du royaume des cieux, veut nous apprendre que la vie humaine n’a de valeur que dans la perspective de la vérité, de la grâce et de la gloire à venir. Tout doit être accepté et vécu avec amour et par amour, dans la réalité eschatologique révélée par lui : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux… » (Lc 12,33) « Restez en tenue de travail et gardez vos lampes allumées. » (Lc 12,35)

2. Jésus nous enseigne la bonne façon d’entrer dans le royaume des cieux.

Saint Matthieu nous rapporte que Jésus, appelant un enfant, le plaça au milieu d’eux et dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le royaume des cieux. » (Mt 18,2-4)

Telle est la bouleversante réponse de Jésus : la condition indispensable pour entrer dans le royaume des cieux, c’est de devenir petits et humbles comme des enfants.

143 Il est clair que Jésus ne veut pas obliger le chrétien à demeurer dans un perpétuel infantilisme, une ignorance satisfaite, en étant insensible aux problèmes de son temps. Absolument pas. Mais il présente l’enfant comme le modèle pour entrer dans le royaume des cieux à cause des valeurs qu’il symbolise.

— L’enfant est avant tout innocent, et pour entrer dans le royaume des cieux, la première chose c’est la vie de la grâce, c’est-à-dire l’innocence, conservée ou retrouvée, en excluant le péché qui est toujours une manifestation d’orgueil et d’égoïsme.

— En second lieu, l’enfant vit dans la foi et la confiance en ses parents et il s’abandonne, il s’en remet totalement à ceux qui le guident et qui l’aiment. Le chrétien doit pareillement être humble et s’en remettre en toute confiance au Christ et à l’Église. Le grand danger, le grand ennemi, c’est toujours l’orgueil, et Jésus insiste sur la vertu d’humilité parce que devant l’infini on ne peut être qu’humble. L’humilité est vérité. Elle est aussi signe d’intelligence et source de sérénité.

— L’enfant, enfin, se contente de petites choses qui suffisent à le rendre heureux : une petite réussite, une bonne note bien méritée, un compliment le remplissent de joie.

Pour entrer dans le royaume des cieux, il faut avoir des sentiments grands, immenses, universels, mais il faut savoir se contenter de petites choses, de tâches faites par obéissance, de la volonté de Dieu telle qu’elle s’exprime dans le fugitif instant présent, des joies quotidiennes données par la Providence. Il faut faire de tout travail, aussi obscur et modeste qu’il soit, un chef-d'oeuvre d’amour et de perfection.

Pour entrer dans le royaume des cieux, il faut se convertir à la petitesse. Rappelons-nous la géniale intuition qu’eut sainte Thérèse de Lisieux en méditant sur ce texte de l’Écriture : « Si quelqu’un est vraiment petit, qu’il vienne à moi. » (
Pr 9,4) Elle découvrit que la « petitesse » était comme un ascenseur qui l’emporterait plus vite et plus facilement vers les cimes de la sainteté : « Tes bras, ô Jésus, sont l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au ciel. Pour cela, je n’ai pas du tout besoin d’être grande ; il faut au contraire que je reste petite, que je le devienne toujours plus. » (Histoire d’une âme, manuscrit C chapitre X MSC 10)

3. Enfin, Jésus nous fait aspirer au royaume des cieux.

« Quel est votre avis ? demande Jésus. Si un homme a 100 brebis et que l’une d’entre elles vienne à s’égarer, ne va-t-il pas laisser les 99 autres dans la montagne pour aller à la recherche de celle qui s’est égarée ? Et s’il parvient à la retrouver, en vérité je vous le déclare, il en a plus de joie que des 99 qui ne se sont pas égarées. Ainsi votre Père qui est aux cieux veut qu’aucun de ces petits ne se perde. » (Mt 18,12-14) Ces paroles sont à la fois dramatiques et consolantes : Dieu a créé l’homme pour le faire participer à sa gloire et à son bonheur infinis. Il a voulu pour cela qu’il soit intelligent et libre, « à son image et à sa ressemblance ». Nous assistons malheureusement avec angoisse à la pollution morale qui dévaste l’humanité et qui méprise spécialement les petits dont parle Jésus.

Que devons-nous faire ? Imiter le Bon Pasteur et avoir constamment le souci du salut des âmes. Sans oublier la charité matérielle et la justice sociale, nous devons être convaincus que la charité la plus sublime est la charité spirituelle, c’est-à-dire le souci du salut des âmes. Et les âmes se sauvent par la prière et le sacrifice. Telle est la mission de l’Église.

Vous particulièrement, les moniales, les âmes consacrées, vous devez, comme Abraham sur la montagne, implorer de l’infinie bonté de Dieu la miséricorde et le salut. Et que votre joie soit de savoir que beaucoup d’âmes se sauvent précisément à cause de votre prière.

Très chères Soeurs, à la veille de l’Assomption de la très Sainte Vierge Marie au ciel, en cette douce et mystique atmosphère, je vous confie toutes à ses soins maternels et je conclus sur ces paroles que Paul VI, de vénérée mémoire, avait prononcées au début de son pontificat : « La Sainte Vierge nous apparaît, aujourd’hui plus que jamais, dans sa lumière surnaturelle, maîtresse de vie chrétienne. Elle nous dit : vivez bien vous aussi. Sachez que la destinée qui fut anticipée pour moi à l’heure où s’est terminé mon chemin temporel, sera la vôtre en son temps ; notre Mère du ciel est là-haut, elle nous voit et elle nous attend avec son regard très tendre… De ses yeux très doux, elle nous regarde avec amour et, comme une mère, elle nous encourage affectueusement… » (Discours du 15 août 1963)




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