Homélies St Jean-Paul II 143


15 août 1979, Messe en la solennité de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie

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« LE PUISSANT FIT POUR MOI DES  MERVEILLES »

Le 15 août le Saint-Père a concélébré la messe en l’église paroissiale de Castel Gandolfo. Il a prononcé l’homélie suivante :

1. Nous nous trouvons sur le seuil de la maison de Zacharie à Ain-Karim. Marie y arrive, portant en elle le joyeux mystère. Le mystère d’un Dieu qui s’est fait homme dans son sein. Marie vient chez Elisabeth, une personne qui lui est très proche, à qui elle est unie par un mystère analogue ; elle arrive pour partager avec elle sa propre joie.

Sur le seuil de la maison de Zacharie l’attend une bénédiction qui fait suite à ce qu’elle a entendu des lèvres de Gabriel : « Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein !... Oui, bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (
Lc 1,42 Lc 1,45).

Et à ce moment, du fond de l’intimité de Marie, du fond de son silence, jaillit ce cantique qui exprime toute la vérité du grand mystère. C’est le cantique qui annonce l’histoire du salut et révèle le coeur de la Mère : « Mon âme exalte le Seigneur... » (Lc 1,46).

2. Aujourd’hui, nous ne sommes plus sur le seuil de la maison de Zacharie à Ain-Karim. Nous nous trouvons au seuil de l’éternité. La vie de la Mère de Dieu s’est désormais conclue sur la terre. En elle doit maintenant s’accomplir cette loi que l’Apôtre Paul proclame dans son épître aux Corinthiens : la loi de la mort vaincue par la résurrection du Christ. En réalité, « Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts... et de même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ. Mais chacun à son rang » (1Co 15,20 1Co 15,22 1Co 15,23).

Dans, ce rang, Marie est à la première place. Qui, en effet, « appartient au Christ » autant qu’elle ?

Et voici qu’au moment où s’accomplit en elle la loi de la mort, vaincue par la résurrection de son Fils, s’élève de nouveau du coeur de Marie le cantique qui est un cantique de salut et de grâce : le cantique de l’Assomption du ciel. L’Église met à nouveau le Magnificat sur les lèvres de la Mère de Dieu élevée au ciel.



3. Cette nouvelle vérité résonne dans ces mots que Marie a prononcés un jour durant sa visite à Elisabeth : « mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur… car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses » (Lc 1,47 Lc 1,49).

Il les a faites dès le début. Dès le moment de sa conception dans le sein de sa mère Anne, quand l’ayant choisie pour être la Mère de Dieu, il l’a libérée du joug de l’hérédité du péché originel. Puis, tout au long des années de l’enfance, quand il l’a appelée totalement à Lui, à son service, comme l’épouse du Cantique des Cantiques. Puis, lors de l’Annonciation à Nazareth, lors de la nuit de Bethléem et durant les trente années de sa vie retirée dans la maison de Nazareth. Et, successivement, par les expériences des années d’enseignement de son Fils le Christ, les horribles souffrances de la Croix et l’aurore de la résurrection... Vraiment « le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses : Saint est son nom » (Lc 1,49).

En ce moment s’accomplit le dernier acte à dimension terrestre, un acte qui est en même temps le premier à dimension céleste. Au sein de l’éternité.

Marie glorifie Dieu, consciente qu’en vertu de sa grâce toutes les générations allaient la glorifier parce que « la miséricorde de Dieu s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,50).



4. Nous aussi, chers frères et soeurs, louons tous ensemble Dieu de tout ce qu’il a fait pour l’humble servante du Seigneur. Nous le glorifions, nous lui rendons grâces. Ranimons notre confiance et notre espérance, prenons notre inspiration de cette merveilleuse fête mariale.

Dans les paroles du « Magnificat » s’exprime tout le coeur de notre Mère. Elles sont aujourd’hui son testament spirituel. Chacun de nous doit, d’une certaine manière, regarder avec les yeux de Marie sa propre vie, l’histoire de l’homme. Saint Ambroise eut à ce sujet de très belles paroles qu’il me plaît de vous répéter aujourd’hui : « que chacun magnifie le Seigneur avec l’âme de Marie, que chacun exulte dans le Seigneur avec l’esprit de Marie ; si, selon la chair, Une seule est la Mère du Christ, selon la foi toutes les âmes engendrent le Christ : chacun en effet accueille en soi le Verbe de Dieu » (Exp. ev. sec. Lucam II, 26).

Et en outre, chers frères et soeurs, ne devrons-nous pas, nous aussi redire comme Marie : « Il a fait de grandes choses pour moi ? » Car ce qu’il a fait en elle, il l’a fait à nous aussi. Pour nous il s’est fait homme, à nous il a apporté la grâce et la vérité. Il fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers du Ciel.

Les paroles de Marie nous donnent une nouvelle vision de la vie. Une vision de foi persévérante et cohérente. Une foi qui est la lumière de la vie quotidienne ; de ces jours parfois tranquilles, mais souvent orageux et difficiles. Une foi qui éclaire, enfin, les ténèbres de la mort de chacun de nous.

Que ce regard sur la vie et la mort soit le fruit de la fête de l’Assomption.


5. Je suis heureux de pouvoir vivre cette fête avec vous à Castel Gandolfo, parler de la joie de Marie et proclamer sa gloire à tous ceux à qui est cher et familier le nom de la Mère de Dieu et des hommes.




19 août 1979, Messe pour les membres de l'Opus Dei à Castel Gandolfo

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Castel Gandolfo
Dimanche 19 août 1979



Très chers jeunes universitaires et professeurs de l’ « Opus Dei »,

Vous avez désiré vous rencontrer avec le Pape autour de la table eucharistique alors que, venant de diverses universités italiennes, vous êtes réunis à Rome pour participer à une session d’ « aggiornamento » doctrinal et de formation spirituelle. Je vous remercie de ce témoignage de foi et d’amour envers l’Eucharistie et le Pape, vicaire du Christ sur la terre.

Votre institut a pour fin la sanctification de la vie en demeurant dans le monde, à son poste de travail, dans sa profession : vivre l’Évangile dans le monde, en vivant immergés dans le monde, mais pour le transformer et le racheter par l’amour du Christ. Grand idéal vraiment que le vôtre. Dès le début, il a anticipé cette théologie du laïcat qui devait par la suite caractériser l’Église du Concile et de l’après-Concile.

Tels sont en effet le message et la spiritualité de l’ « Opus Dei » : vivre uni à Dieu, dans le monde, dans quelque situation que ce soit, en s’efforçant de devenir meilleur, avec l’aide de la grâce, et en faisant connaître Jésus-Christ par le témoignage de sa vie.

Qu’y a-t-il de plus beau et de plus enthousiasmant que cet idéal ? Insérés et amalgamés dans cette humanité joyeuse et douloureuse, vous voulez l’aimer, l’éclairer, la sauver. Tel est votre objectif, pour lequel nous vous bénissons et nous vous encourageons toujours.

Je vous salue du fond du coeur, en me souvenant de la profonde et émouvante exhortation de saint Paul aux Éphésiens : « Soyez remplis de l’Esprit-Saint. Dites ensemble des psaumes, des hymnes et des chants inspirés chantez et célébrez le Seigneur de tout votre coeur. En tout temps, à tout sujet rendez grâce à Dieu le Père au nom de Notre- Seigneur Jésus-Christ. » (
Ep 5,19-20)

Et ici, précisément, nous voulons nous entretenir dans la prière avec le Christ, dans le Christ et par le Christ ; nous voulons être joyeux de la joie qui vient de la vérité ; nous voulons ensemble louer le Seigneur qui, dans l’immense mystère de son amour, a voulu non seulement s’incarner, mais demeurer avec nous dans l’Eucharistie. La liturgie d’aujourd’hui, en effet, est toute centrée sur ce mystère suprême, et Jésus lui-même est le Maître divin qui nous dit comment nous devons comprendre et vivre ce sacrement sublime et incomparable.

1. Jésus affirme avant tout que l’Eucharistie est une réalité mystérieuse, mais authentique.

Dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus dit bien clairement : « Je suis le pain descendu du ciel… Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde… Ma chair est une vraie nourriture et mon sang un vrai breuvage… Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts. » (Cf. Jn, ch. 6.)

Jésus emploie les mots « chair », « sang », « manger », « boire », tout en sachant qu’il heurte la sensibilité et la mentalité des Juifs. Il parle de sa personne réelle tout entière, qui n’est pas symbolique, et il laisse entendre que son offrande est « sacrificielle », qu’elle se réalisera pour la première fois à la « dernière Cène », en anticipant mystiquement le sacrifice de la croix, et qu’elle se perpétuera tout au long des siècles par la Sainte Messe. C’est un mystère de foi, devant lequel nous ne pouvons que nous mettre à genoux, en adorant silencieusement, en admirant.

145 L’imitation de Jésus-Christ met en garde contre les recherches curieuses et inutiles sur cet insondable sacrement, qui peuvent aussi être dangereuses : « Celui qui scrute la majesté sera accablé par la gloire. » (Livre IV, ch. XVIII, 1.)

Faisant une synthèse entre la doctrine spécifique du Concile de Trente et son encycliqueMysterium fidei, Paul VI, de vénérée mémoire, a dit dans son « Credo du Peuple de Dieu » : « Le Christ ne peut être présent en ce sacrement autrement que par le changement en son corps de la réalité elle-même du pain et par le changement en son sang de la réalité elle-même du vin, seules demeurant inchangées les propriétés du pain et du vin que nos sens perçoivent. Ce changement mystérieux, l’Église l’appelle d’une manière très appropriée « transsubstantiation » (Insegnamenti di Paolo VI, vol. VI, 1968, p. 308).

Tous les Pères de l’Église ont toujours affirmé la réalité de la présence divine. Rappelons seulement le philosophe Justin qui, dans son Apologie exhorte à une adoration humble et joyeuse : « Les prières et l’action de grâce eucharistique étant terminées, tout le peuple présent acclame : « Amen ». En hébreux, « amen » veut dire « ainsi soit-il »… En effet, nous ne le prenons pas comme un pain et une boisson ordinaires. Mais, de même que Jésus-Christ, notre Sauveur, en s’incarnant par la Parole de Dieu a pris chair et sang pour notre salut de même la nourriture, consacrée par une prière d’action de grâce constituée des paroles du Christ et dont se nourrissent par assimilation notre sang et notre chair, est, selon notre doctrine, chair et sang de Jésus incarné. » (Première Apologie, 65-67.)

Je vous dis donc : soyez des adorateurs convaincus de l’Eucharistie dans le plein respect des règles liturgiques, avec un sérieux, une piété et une intelligence qui n’ôtent rien à la familiarité et à la tendresse.

2. Jésus dit aussi que l’Eucharistie est une réalité de salut.

Poursuivant son discours sur « le pain de vie », Jésus ajoute : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement… Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. »

Dans ce contexte Jésus parle de « vie éternelle », de « résurrection glorieuse », de « dernier jour ». Non pas qu’il oublie ou méprise la vie éternelle. Bien au contraire, il parle des talents que chacun doit faire fructifier et il aime ce que font les hommes pour se libérer des différents esclavages et oppressions et pour rendre la vie humaine meilleure.

Mais il ne faut pas tomber dans l’équivoque de l’immanence historique et terrestre. Il faut passer à travers l’Histoire pour parvenir à la vie éternelle et glorieuse. Ce passage est pénible difficile, ambigu parce qu’il doit être méritoire. Et Jésus est vivant, présent sur notre chemin quotidien pour nous aider à réaliser notre véritable destinée, immortelle et heureuse. Sans le Christ, il est fatal que l’on se perde que l’on se trouble et même que l’on désespère. Dante Alighieri, homme de ce monde et homme de foi, génie de la poésie et expert en théologie, en avait eu clairement et lucidement l’intuition lorsque, paraphrasant le Notre Père récité par les âmes du purgatoire, il disait que dans l’aride désert de la vie, sans l’intime union avec Jésus, « manne » du Nouveau Testament, « pain descendu du ciel », l’homme qui veut aller de l’avant avec ses seules forces va en réalité en arrière : « Donne-nous aujourd’hui notre manne quotidienne sans laquelle, dans cet aride désert, recule celui que se donne tant de mal. » (Purgatorio, XI, 13-15.)

C’est seulement par l’Eucharistie qu’il est possible de vivre les vertus héroïques du christianisme : la charité jusqu’au pardon des ennemis ; l’amour pour celui qui nous fait souffrir ; le don de sa propre vie pour son prochain ; la chasteté, à tous les âges et dans toutes les situations de la vie ; la patience, spécialement dans la souffrance et quand on est décontenancé par le silence de Dieu devant les drames de l’Histoire ou de notre propre existence. Soyez donc toujours des âmes eucharistiques pour pouvoir être d’authentiques chrétiens.

3. Jésus, enfin, dit encore que l’Eucharistie doit être une réalité transformante.

C’est l’affirmation la plus impressionnante et la plus prégnante : « Ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. » Ce sont là des paroles graves et exigeantes. L’Eucharistie est une transformation, quelque chose qui engage la vie : « Ce n’est plus moi qui vis disait saint Paul, c’est le Christ qui vit en moi » et le Christ crucifié (
Ga 2, 20, 1Co 2,2). Recevoir l’Eucharistie, c’est se transformer dans le Christ, demeurer en lui, vivre par lui. Le chrétien, finalement, ne doit plus avoir qu’une seule préoccupation, une seule ambition : vivre par le Christ en s’efforçant de l’imiter dans une totale obéissance au Père, en acceptant la vie et l’Histoire, en se donnant totalement à la charité, en étant bon d’une façon compréhensive et cependant austère. L’Eucharistie devient donc un programme de vie.

146 Pour conclure cette méditation, très chers jeunes, je vous confie à la très Sainte Vierge Marie. Que celle qui, pendant trente-trois ans, a pu bénéficier de la présence visible de Jésus qui a entouré son divin Fils de la plus grande attention, de la plus grande délicatesse, vous accompagne toujours dans l’Eucharistie ; qu’elle vous communique ses sentiments d’adoration et d’amour.

Après cette mystique et fraternelle rencontre, retournez à votre travail avec une nouvelle résolution de vivre intensément votre spiritualité :

— Irradiez partout la lumière avec conviction, dans la pleine orthodoxie de la doctrine chrétienne et catholique, avec humilité mais avec courage, en étant parfaitement compétents dans votre profession ;

— Soyez porteurs de paix en aimant tout le monde avec compréhension, respect, sensibilité, patience, en pensant que chaque homme a sa souffrance et son mystère ;

— Soyez enfin des semeurs de joie par votre charité concrète et votre serein abandon à la Providence, en vous souvenant de ces belles paroles du Pape Jean-Paul Ier, de vénérée mémoire : « Nous savons que Dieu a toujours les yeux ouverts sur nous, même s’il nous semble que nous sommes dans la nuit. » (10 septembre 1978)

Que vous accompagne ma paternelle et propitiatoire bénédiction apostolique.



VISITE PASTORALE EN VÉNÉTIE (ITALIE)


26 août 1979, Messe à Canale d'Agordo

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Place de Canale d'Agordo
Dimanche 26 août 1979
Très chers frères et soeurs de Canale d’Agordo,


Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd’hui parmi vous, en ce jour anniversaire de l’élévation au pontificat suprême de votre concitoyen, le très aimé et inoubliable Pape Jean-Paul Ier. Mais je suis aussi profondément ému. En effet, tous, nous nous souvenons encore avec une émotion intacte — et spécialement le Pape qui vous parle et les cardinaux qui ont participé à ce Conclave qui a duré un peu plus d’un jour —, tous, nous nous souvenons de ces phénomènes extraordinaires qu’ont été l’élection, le pontificat et la mort de ce Pape ; tous, nous conservons dans le coeur sa figure et son sourire ; tous, nous avons gravé dans notre esprit le souvenir des enseignements qu’il a multipliés avec un zèle infatigable et un sens pastoral très délicat durant les trente-trois jours de son bref ministère universel ; et tous, nous éprouvons encore dans le coeur la surprise et la stupeur de sa mort inattendue qui l’a brusquement enlevé à l’Église et au monde, mettant fin à un pontificat qui avait déjà conquis tous les coeurs. Le Seigneur nous l’a donné comme pour nous montrer l’image du Bon Pasteur qu’il s’est toujours efforcé d’être en suivant la doctrine et les exemples de son modèle et maître préféré, le Pape saint Grégoire le Grand ; et en l’enlevant à notre regard, mais certes pas à notre amour, il a voulu nous donner une grande leçon d’abandon et de confiance en Celui qui, seul, guide et dirige l’Église, même lorsque changent les hommes et que les événements terrestres semblent parfois incompréhensibles.

En souvenir de ce passage si rapide et si bouleversant, j’ai désiré venir aujourd’hui parmi vous, alors que se termine exactement l’année au début de laquelle la silhouette de Jean-Paul Ier est apparue pour la première fois à la loggia de la basilique du Vatican. Je suis ému je le répète, de me trouver ici, dans le village riant des Dolomites où il a vu le jour dans une famille simple et laborieuse qui peut bien être considérée comme le symbole des bonnes familles chrétiennes de ces vallées montagnardes ; je suis ému de célébrer les saints mystères dans ce lieu où il a reçu la vocation au sacerdoce, suivant l’exemple de tant de vos concitoyens qui au cours des siècles, ont répondu à l’appel divin ; dans ce lieu où il a reçu le saint baptême et la confirmation, où il a célébré pour la première fois la messe, le 8 juillet 1935, et où il est encore retourné comme évêque de Vittorio Veneto, comme patriarche de Venise et comme cardinal de la sainte Église romaine. Et j’aime rappeler qu’il a encore voulu revenir ici, en février de l’année dernière — peu de mois avant son élévation au Siège de Pierre —, pour vous prêcher une brève mission destinée à vous préparer à la fête de Pâques.

147 Il est encore ici au milieu de nous, aujourd’hui. Oui, frères et soeurs bien-aimés de Canale d’Agordo. Il est ici : avec son enseignement, avec son exemple, avec son sourire.

1. Avant tout, il nous parle de son grand et très solide amour de la sainte Église. Dans la seconde lecture de la messe, nous avons entendu que saint Paul, en traçant aux Ephésiens un programme élevé d’amour conjugal, écrit : « Le Christ a aimé l’Église et il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier et de la purifier par le bain d’eau accompagné de la parole, afin de la présenter à lui-même toute glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. » (
Ep 5, 25, s.) Eh bien ! en écoutant ces paroles, ma pensée allait vers ce moment où, dans la majesté de la chapelle Sixtine, en annonçant au monde, d’une voix limpide et claire, son programme pontifical, le Pape Luciani avait dit : « Nous nous mettons entièrement, de toutes nos forces physiques et spirituelles, au service de la mission universelle de l’Église. » (27 août 1978, Insegnamenti di Giovanni Paolo I, 1979, p. 14.)

L’Église ! Il avait appris à l’aimer ici, au milieu de ses montagnes, il en avait vu comme l’image dans son humble famille, il en avait écouté la voix au catéchisme de son curé, il en avait puisé la sève profonde à la vie sacramentelle qui lui était dispensée dans sa paroisse. Aimer l’Église, servir l’Église, a été le programme constant de sa vie. Dans le premier message radiodiffusé au monde, il l’avait encore dit avec des paroles qui résonnent aujourd’hui en nous avec des accents vraiment prophétiques : « L’Église, pleine d’admiration et tendrement penchée sur les conquêtes humaines veut par ailleurs préserver le monde, assoiffé de vie et d’amour, des dangers qui le menacent… En ce moment solennel, nous voulons consacrer tout ce que nous sommes et tout ce dont nous sommes capables à cet objectif suprême, jusqu’au dernier souffle, conscient de la tâche que le Christ nous a confiée. » (Ibid., p. 14 s.)

Comme curé, comme évêque, comme patriarche, comme Pape, il n’a fait que se consacrer tout entier à l’Église, jusqu’au dernier souffle : la mort l’a surpris ainsi, en pleine tâche. Il est mort comme il avait vécu, en se consacrant tout entier à l’Église avec une simplicité désarmante, mais aussi avec une fermeté inébranlable qui était sans crainte parce que fondée sur la lucidité de sa foi et sur la promesse indéfectible donnée par le Christ à Pierre et à ses successeurs.

2. Et ici, nous trouvons un autre point de référence, une autre structure significative de sa vie et de son pontificat : l’amour du Christ, Notre-Seigneur. Le Pape Jean-Paul Ier a été le héraut de Jésus-Christ, rédempteur et maître des hommes, vivant l’idéal déjà tracé par saint Paul : « Qu’on nous considère comme des ministres du Christ et des administrateurs du mystère de Dieu. » (1Co 4,1) Son dessein, il l’avait clairement exprimé à l’audience générale du 13 septembre, en parlant de la foi : « Lorsque le pauvre Pape, lorsque les évêques, les prêtres proposent la doctrine, ils ne font rien d’autre que d’aider le Christ. Ce n’est pas notre doctrine, c’est celle du Christ. Nous devons seulement la garder, la présenter. » (Insegnamenti, p. 66.) La vérité, l’enseignement la parole du Christ ne changent pas, même s’ils exigent d’être présentés à chaque tournant de l’Histoire de telle sorte qu’ils soient compréhensibles à la mentalité et à la culture du moment. C’est une certitude qui ne change pas, même si les hommes et les temps changent et même s’ils ne la comprennent pas ou s’ils la refusent. C’est encore et toujours l’attitude inébranlable de Jésus qui, nous dit l’Évangile de ce dimanche n’a en rien atténué ni modifié son enseignement sur l’Eucharistie, même devant l’abandon presque total de ses auditeurs et de ses disciples eux-mêmes. Au contraire, il a placé les apôtres devant l’alternative rigoureuse d’une décision, d’un choix suprême : « Et vous aussi, vous voulez partir ? » (Jn 6,67) Dans la réponse de Pierre, nous reconnaissons l’attitude de Jean-Paul Ier pendant toute sa vie jusqu’au bout : « Seigneur à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6,68 s.) Sa foi, son amour pour Jésus nous ont vraiment confirmés, nous, tous ses frères, en nous enseignant d’une manière très élevée et cohérente l’abandon à la toute-puissante protection du Seigneur Jésus : « Gardant notre main dans celle du Christ nous appuyant sur lui, nous avons nous aussi accédé au gouvernail de ce navire qu’est l’Eglise. Elle est stable et sûre, même au milieu des tempêtes, parce que la présence réconfortante et victorieuse du Fils de Dieu l’accompagne », avait-il déjà proclamé au début de son pontificat (Insegnamenti, p. 13). Il s’est tenu fidèlement à ce programme en suivant les enseignements de son maître bien-aimé de son prédécesseur, saint Grégoire le Grand, en incarnant aux yeux du monde l’image, bonne et encourageante, du divin Pasteur : « Mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de coeur. » (Mt 11,29) C’est ainsi qu’il demeure gravé pour toujours dans nos coeurs.

3. Mais Jésus a vécu par le Père et il est venu pour faire la volonté du Père (cf. Mt 6,10 Mt 12,50 Mt 26,42 Jn 4,34 Jn 5,30 Jn 6,38), il a proposé à l’homme l’image du Père qui pense à nous et qui nous aime de son amour éternel. Eh bien ! nous trouvons encore ici un trait de la figure et de la mission du Pape Albino Luciani : l’amour de Dieu le Père. Avec ce même et profond esprit de foi, il a aussi annoncé avec une extraordinaire énergie l’amour du Père céleste pour les hommes. Comme Josué devant Israël, dans la première lecture de la messe, il a rappelé énergiquement la grande et bouleversante réalité de l’amour de Dieu pour son peuple, la merveilleuse beauté de notre élection à la filiation divine, faisant naître comme alors une réponse vibrante et passionnée de toute l’Église : « Nous aussi, nous voulons servir le Seigneur parce qu’il est notre Dieu. » (Jos 24,18) Tel il s’était révélé tout entier dès la première audience lorsque, en parlant de l’obligation d’être bons, il avait souligné : « Devant Dieu, l’attitude juste est celle d’Abraham, qui a dit : « Je ne suis que cendre devant toi, Seigneur. » Nous devons nous sentir petits devant Dieu. » (6 septembre, Insegnamenti p. 49.) Nous trouvons ici la quintessence de l’enseignement de l’Évangile tel qu’il a été proposé par Jésus et compris par les saints chez qui l’idée de la paternité de Dieu suscite les échos les plus profonds de l’âme : nous pensons à un saint François d’Assise, à une sainte Thérèse de Lisieux.

Jean-Paul Ier a rappelé avec une extraordinaire vigueur l’amour de Dieu pour nous, ses créatures, en le comparant dans la grande ligne du prophétisme de l’Ancien Testament non seulement à l’amour d’un père, mais à la tendresse d’une mère pour ses enfants. Il l’a fait à l’Angélus du 10 septembre avec ces paroles qui ont tant frappé l’opinion publique : « Dieu nous aime d’un amour indéfectible. Nous savons qu’il a toujours les yeux ouverts sur nous, même s’il nous semble que nous sommes dans la nuit. » (Insegnamenti p. 61.) Et à l’audience du 13 septembre : « La tendresse de Dieu pour nous est plus grande encore que le dit le prophète Isaïe. » (Ibid., p. 65 ; cf. aussi audience générale du 27 septembre, ibid., p. 95.) Cet inébranlable sens de Dieu permet de comprendre pourquoi mon prédécesseur avait choisi comme principal sujet de ses catéchèses du mercredi précisément les vertus théologales que l’on appelle ainsi parce qu’elles naissent de Dieu et qu’elles sont un don de lui, incréé et infusé en nous par le baptême C’est sur l’enseignement de la charité, la vertu théologale qui a Dieu pour source et pour origine, pour modèle et pour récompense et qui ne passera pas, que la page terrestre de Jean-Paul Ier s’est fermée, ou plutôt qu’elle s’est ouverte pour toujours, dans l’éternel face-à-face avec Dieu qu’il a tant aimé et qu’il nous a appris à aimer.

Très chers frères et soeurs de Canale d’Agordo !

L’enseignement du Pape Luciani, votre compatriote, se trouve particulièrement dans ces réalités que je vous ai rappelées : l’amour de l’Église, l’amour du Christ, l’amour de Dieu. Ce sont les grandes vérités du christianisme qu’il a apprises ici, au milieu de vous, dès sa tendre enfance, dans son adolescence pauvre et rude, dans ses jeunes années où il s’est ouvert à l’appel de Dieu. Elles ont tellement imprégné sa vie de prêtre et d’évêque qu’il les a rappelées au monde entier avec le mordant incomparable de son ministère très personnel.

Soyez fidèles à cet héritage si simple mais si grand ! Je me tourne vers les familles qui forment la trame fondamentale de ces terres bénies de Dieu : soyez fidèles aux traditions chrétiennes, continuez à les transmettre à vos enfants, à les respirer comme un second élément naturel, à en donner le témoignage dans votre vie, dans votre travail, dans votre profession. Signalez-vous toujours par l’amour de l’Église, de Jésus-Christ, de Dieu !

Je le répète aux jeunes, espérance de demain, si chers à mon coeur. J’espère ardemment que, selon les exemples que vous avez reçus les vocations sacerdotales et religieuses continueront à éclore au milieu de vous. Je le répète aux émigrants qui cherchent loin de leur patrie, mais avec un coeur demeuré proche de leurs chères montagnes natales, un avenir plus sûr pour eux-mêmes et pour leurs familles. Je le dis aux travailleurs et à tous les frères et soeurs très chers qui m’écoutent. C’est seulement dans l’adhésion fidèle à Dieu qui nous aime et nous a parlé par son Fils, qui nous guide et nous soutient par son Église, que nous pouvons trouver cette noblesse, cette droiture et cette grandeur que rien d’autre au monde ne peut nous donner. C’est de là que naît le privilège du peuple italien dont vous incarnez si bien le caractère et les vertus. C’est seulement ainsi que peut être garantie la continuité de ce patrimoine spirituel qui a donné à la patrie et à l’Église des figures aussi nobles et aussi prestigieuses que l’a été pour le monde entier un homme et un Pape comme Jean-Paul Ier.

148 Si j’ai pensé qu’il était de mon devoir de venir ici, c’est justement pour vous rappeler à vous, habitants de Canale d’Agordo et de Belluno de même qu’à tout le peuple italien, la beauté et la grandeur de votre vocation chrétienne. Je l’ai fait comme continuateur de la mission de mon prédécesseur, qui avait commencé il y a un an comme une aube pleine d’espérance. Comme je l’ai écrit dans ma première encyclique, Redemptor hominis, « déjà le 26 août 1978 lorsqu’il déclara au Sacré-Collège qu’il voulait s’appeler Jean-Paul — un tel double nom était sans précédent dans l’histoire de la papauté —, j’ai vu là un appel éloquent de la grâce sur le nouveau pontificat. Ce pontificat n’ayant duré qu’à peine trente-trois jours, il m’appartient non seulement de le continuer mais, d’une certaine manière, de le reprendre au même point de départ » (n° 2, AAS 71, 1979, p. 259).

Ma présence ici, aujourd’hui, n’exprime pas seulement mon amour sincère pour vous, mais elle est aussi le signe public et solennel de cette tâche qui est la mienne et elle veut témoigner devant le monde que la mission et l’apostolat de mon prédécesseur continueront à briller comme une lumière très pure dans l’Église, avec une présence que la mort n’a pu briser. Au contraire, celle-ci lui a donné un élan et une continuité qui ne disparaîtront jamais.



8 septembre 1979, Visite au Sanctuaire de Loreto

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QUE LA TERRE DEVIENNE LA MAISON DES FAMILLES !

Au cours de la sainte messe Célébrée en plein air durant son pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette,  le 8 septembre, Jean Paul II a prononcé l’homélie suivante :



1. « Ta naissance, ô Vierge Mère de Dieu, a annoncé la joie au monde entier ! »

Voila, c’est aujourd’hui le jour de cette joie. Le 8 septembre, neuf mois après la fête de l’Immaculée Conception de la Mère du Fils de Dieu, l’Église commémore le souvenir de sa naissance. Le jour de la naissance de la Mère incite nos coeurs à se tourner vers le Fils : « De toi est né le soleil de justice, le Christ notre Dieu : il a effacé la malédiction et apporté la grâce, il a vaincu la mort et nous a donné la vie éternelle » (Ant. Benedictus).

Et ainsi, donc, la grande joie de l’Eglise passe du Fils sur la Mère. Le jour de sa naissance est vraiment un préambule et le commencement d’un monde meilleur (origo mundi melioris) comme Paul VI l’a proclamé de manière merveilleuse.

C’est pour cette raison que la liturgie d’aujourd’hui confesse et annonce que la naissance de Marie répand sa lumière sur toutes les Eglises qui sont dans le monde.



2. Il semble que la lumière que la fête de la naissance de Marie fait rayonner sur l’Eglise de la terre italienne brille de manière toute particulière ici à Lorette, dans l’admirable sanctuaire qui est aujourd’hui le but de notre pèlerinage commun. Dès le début de mon pontificat, j’ai éprouvé ardemment le désir de venir en ce lieu ; j’ai toutefois préféré attendre ce jour, celui de la présente fête. Me voici ici aujourd’hui, tout spécialement heureux qu’à mon premier pèlerinage participent également des cardinaux et évêques, de nombreux prêtres et religieuses et une foule de pèlerins provenant en majorité des diverses villes de cette région d’Italie. En communion avec tous, je désire apporter ici aujourd’hui les chaleureuses paroles de vénération qui jaillissent de tous les coeurs et, en même temps de la tradition séculaire de cette terre que la Providence a choisie comme siège de Pierre et qui, par la suite a été illuminée par le rayonnement de ce sanctuaire que la profonde piété chrétienne a lié de manière toute particulière au souvenir du mystère de l’Incarnation. Je suis très reconnaissant pour l’invitation qui m’a été adressée, d’abord par le cardinal Mozzoni, président de la Commission cardinalice pour le sanctuaire, puis par l’archevêque Loris Francesco Capovilla dont la personne nous rappelle la figure du Serviteur de Dieu, le pape Jean XXIII et son pèlerinage à Lorette à la veille de l’ouverture du concile Vatican II.

Je ne saurais non plus passer sous silence le fait que dans le voisinage du sanctuaire se trouvent le cimetière où reposent les corps des soldats polonais, mes compatriotes. Durant la seconde guerre mondiale, ils sont morts au combat sur cette terre, en luttant « pour votre liberté, et pour la nôtre » comme l’exprime une antique devise polonaise. Ils sont tombés ici et peuvent reposer tout près du sanctuaire de la Vierge Marie dont le mystère de la naissance répand sa lumière dans l’Église en terre polonaise comme dans l’Église en terre italienne. Eux aussi, ils participent de manière invisible au pèlerinage de ce jour.



3. Le culte rendu en cette terre à la Mère de Dieu est, selon une antique et vivante tradition, lié à la Maison de Nazareth. La maison où, comme le rappelle aujourd’hui l’Évangile, Marie vécut après son mariage avec Joseph. La maison de la Sainte Famille. Une maison est toujours et avant tout le sanctuaire de la mère de famille. C’est avec sa maternité que, d’une manière particulière, elle le crée. Il est nécessaire qu’en venant au monde les fils de la famille humaine aient un toit sur la tête. Toutefois, comme nous le savons, la maison de Nazareth ne fut pas le lieu où naquit le Fils de Marie et Fils de Dieu. Tous les prédécesseurs de Jésus qui figurent dans la généalogie présentée dans l’Évangile selon saint Matthieu lu aujourd’hui sont vraisemblablement venus au monde sous un toit. A lui, cela n’a pas été donné. Il est né à Bethléem, comme un exilé, dans une étable. Et il lui fut impossible de venir dans la maison de Nazareth, à cause de la cruauté d’Hérode, Pour cela, il dut fuir Bethléem pour gagner l’Egypte ; ce n’est qu’après la mort du roi que Joseph osa ramener Marie et l’Enfant dans la maison de Nazareth.

Et depuis ce moment cette maison fut le centre de la vie quotidienne, le lieu où se déroula la vie cachée du Messie, la maison de la Sainte Famille. Elle fut le premier temple, la première église sur laquelle, avec sa maternité, la Mère de Dieu fit rayonner sa lumière. Elle l’illumina de la lumière émanant du grand mystère de l’Incarnation, du mystère de son Fils.

C’est sous le rayon de cette lumière que, dans votre pays ensoleillé, croissent les maisons familiales. Il y en a tant ! Des sommets des Alpes et des Dolomites que j’ai pu approcher le 26 août dernier en visitant la terre natale du pape Jean Paul Ier, jusqu’à la Sicile. Tant et tant de maisons ! tant de familles ; grâce à la tradition chrétienne et mariale de votre patrie, chacune d’elle maintient un certain lien spirituel avec cette lumière qui émane de la maison de Nazareth, et particulièrement aujourd’hui : le Jour de la naissance de la Mère du Christ.

Peut-être même cette lumière que répand la tradition de la maison de Nazareth à Lorette réalise-t-elle quelque chose d’encore plus profond ; elle fait que tout ce pays, que votre patrie devienne comme une grande maison familiale. La grande maison, habitée par une grande communauté qui se nomme « Italie ». Il faut remonter bien loin dans la réalité historique et même peut-être jusque dans la préhistoire pour découvrir ses racines les plus anciennes. Un étranger comme moi, conscient de la réalité qui constitue l’histoire de son propre pays, pénètre dans cette réalité avec un respect tout particulier, une attention pleine de recueillement. Comment cette grande communauté humaine dont le nom est « Italie » s’est-elle développée en partant de ces très antiques racines ? Et les hommes qui la constituent aujourd’hui comment sont-ils unis à ces générations qui ont traversé la terre depuis l’époque de la Rome ancienne jusqu’à l’époque actuelle ? Le successeur de Pierre dont la place est fixée en permanence sur cette terre depuis les temps de la Rome impériale, a le droit et le devoir, étant témoin de tant de changements et en même temps de toute l’histoire de votre terre, a le droit et le devoir, dis-je, de poser ces questions.

Et le droit de poser cette question l’a notamment le pape qui est fils d’une autre nation, le pape dont les compatriotes reposent ici à Lorette, dans le cimetière de guerre. Et cependant il sait pourquoi ils sont tombés ici. L’antique adage romain pro aris et focis l’explique de la meilleure des façons. Ils sont tombés pour chaque autel de la foi et pour chaque foyer de la terre natale qu’ils voulaient préserver de la destruction. Parce que, au milieu de toutes les transformations de l’histoire dont les hommes sont les artisans, et surtout les peuples et les nations, la maison reste toujours comme une arche d’alliance des générations, comme la tutrice des valeurs les plus profondes, des valeurs humaines et divines. Aussi, pour préserver ces valeurs, la famille et la patrie n’épargnent pas leurs propres enfants.



4. Comme vous le voyez, chers frères et soeurs, je viens à Lorette pour relire le mystérieux destin du premier sanctuaire mariai élevé sur la terre italienne. En effet, la présence de la Mère de Dieu au milieu des fils de la famille humaine et au sein des divers pays de la terre en particulier nous dit tant de choses sur les nations et sur les communautés elles-mêmes.

Et je viens aussi durant la période de préparation d’une tâche importante qu’après l’invitation du Secrétaire de l’Organisation des Nations-Unies il convient que j’assume devant la haute assemblée de l’organisation la plus représentative du monde contemporain. Ici, dans ce sanctuaire, je viens chercher la lumière par l’intercession de Marie, notre Mère. Déjà dimanche dernier durant la rencontre de l’Angélus à Castel Gandolfo, j’ai demandé de prier pour le pape et pour son importante mission devant l’ONU. Cette demande je la répète une nouvelle fois aujourd’hui.

Il s’agit en effet de travailler, de collaborer afin que, sur la terre que la Providence a destinée à l’habitation des hommes, la maison de la famille, symbole de l’unité et de l’amour, triomphe de tout ce qui menace cette unité et l’amour entre les hommes : la haine, la cruauté, la destruction, la guerre. Afin que cette maison familiale devienne l’expression des aspirations des hommes, des peuples, des nations, de l’humanité ; et ceci, malgré tout ce qui lui est contraire, qui l’élimine de la vie des hommes, des nations et de l’humanité ; qui ébranle ses fondements tant socio-économiques qu’éthiques. C’est en effet sur l’unité et sur l’amour qu’est basée toute maison : que ce soit celle que se construit chaque famille ou, également celle qu’avec l’effort d’entières générations se construisent les peuples et les nations : la maison de leur propre histoire ; la maison de tous et la maison de chacun.



5. Voilà l’inspiration que je trouve ici à Lorette. Voilà l’impératif moral que je désire emporter d’ici. Voilà, en même temps, le problème que, précisément devant la tradition de la Maison de Nazareth et devant le visage de la Mère du Christ à Lorette, je désire recommander et confier de manière particulière à son coeur maternel, à la toute puissance de son intercession (omnipotentia supplex).

Comme je l’ai déjà fait à Guadalupe au Mexique puis à Jasna Gôra à Czestochowa en Pologne, je désire en cette rencontre de Lorette rappeler cette consécration au Coeur Immaculé de Marie qu’il y a vingt ans, le 13 septembre 1959 les pasteurs de l’Eglise italienne ont faite à Catane, lors de la conclusion du XVI° congrès eucharistique national. Et je désire rappeler les paroles que dans un message radiophonique mon prédécesseur Jean XXIII de vénérée mémoire, adressa aux fidèles à cette occasion : « Nous pensons, plein de confiance, qu’en vertu de cet hommage à la Vierge Très-Sainte tous les Italiens vénéreront en elle, avec une ferveur accrue, la Mère du corps mystique dont l’Eucharistie est symbole et centre vital ; qu’ils imiteront en elle le modèle le plus parfait de l’union avec Jésus notre chef ; qu’ils s’uniront à Elle dans l’offrande de la Victime divine et qu’ils imploreront d’elle pour l’Eglise les dons de l’Unité, de la paix et surtout une plus abondante floraison de vocations sacerdotales. De cette manière la consécration deviendra motif d’un engagement toujours plus sérieux dans la pratique des vertus chrétiennes, un moyen de défense extrêmement efficace contre les maux qui nous menacent et une source de prospérité même temporelle, selon les promesses du Christ » (ASS 51 ; 1959 ; 713).

Tout ce qui a trouvé, il y a vingt ans, son expression dans l’acte de consécration à Marie accompli par les pasteurs de l’Eglise italienne, aujourd’hui, je veux non seulement le rappeler, mais aussi le répéter de tout coeur, le renouveler et en faire d’une certaine manière ma propriété puisque par les insondables décrets de la Providence, il m’est échu d’accepter le patrimoine des évêques de Rome au Siège de Saint-Pierre.



6. Et je le fais avec la plus profonde conviction de la foi, de l’intelligence et du coeur tout ensemble. Parce qu’en cette difficile époque et de même au cours des temps qui viennent, seul le véritable grand amour pourra sauver l’homme.

Seulement grâce à lui, cette terre, l’habitation de l’humanité, peut devenir une maison : la maison des familles, la maison des nations, la maison de la famille humaine tout entière. Sans amour, il n’y a pas sur la terre de maison pour l’homme. Même s’il élevait les édifices les plus beaux et les aménageait de la manière la plus moderne, l’homme serait condamné à vivre privé de tout.

Accepte, ô Notre-Dame-de-Lorette, ô Mère de la maison de Nazareth, ce pèlerinage, le mien, le nôtre : il est une grande prière commune pour la maison de l’homme de notre époque : pour la maison qui prépare les fils de toute la terre à la maison éternelle du Père dans le ciel.




Homélies St Jean-Paul II 143