Homélies St Jean-Paul II 8979


16 septembre 1979, Messe en mémoire du Pape Paul VI

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« LA  FOI SANS LES OEUVRES EST UNE FOI MORTE »

Chapelle papale à la mémoire de Paul VI

Le 16 septembre a eu lieu en la basilique Saint-Pierre de Rome une messe à la mémoire de Paul VI, à l’occasion du premier anniversaire de sa mort. Déjà le 6 août, à Castel Gandolfo Jean Paul II avait commémoré son illustre prédécesseur, mais une cérémonie solennelle s’imposait à Rome même, pour lui rendre un hommage plus officiel. Voici l’homélie prononcée par le pape :



1. Dans l’Évangile d’aujourd’hui saint Marc nous rapporte un événement que saint Matthieu avait, lui aussi, décrit dans son chapitre 16. Dans les environs de Césarée de Philippe, Jésus interroge ses disciples : « Qui suis-je, au dire des gens ? » (
Mc 8,27). Après diverses réponses Pierre prend la parole et dit : « Tu es le Christ » (8, 29), (ce qui signifie le Messie). Dans l’Évangile de saint Matthieu, la réponse de Pierre est celle-ci : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). A la suite de quoi, Jésus bénit Pierre pour sa foi et lui adresse la promesse qui commence par les mots : « Tu es Pierre » (pierre, roc) (16, 18). Un texte sublime que nous connaissons tous par coeur.

Dans la version de Marc, par contre, immédiatement après que Pierre eut confessé « Tu es le Christ », Jésus passe à l’annonce de sa mort : « Le Fils de l’homme devait beaucoup souffrir, être mis à mort et, après trois jours, ressusciter » (8, 31). Et alors, comme nous le lisons « Pierre se mit à le morigéner » (8, 32). Selon saint Matthieu ce reproche a le sens que voici : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (16, 22). Pierre ne veut pas que le Christ parle de sa passion et de sa mort. Avec son coeur qui aime de manière humaine, il n’est pas capable de les accepter. Celui qui aime veut préserver du mal la personne aimée, même en pensée, même en imagination. Le Christ toutefois le reprend, le reprend même sévèrement. Et ce reproche que nous lisons aujourd’hui dans l’Évangile de saint Marc est encore plus significatif dans le texte de saint Matthieu en raison du contraste avec les paroles que le Christ avait prononcées peu avant pour bénir Pierre et lui annoncer sa primauté dans l’Église. C’est précisément la primauté qui ne permet pas de se soustraire au mystère de la Croix, qui ne permet pas de s’écarter, fût-ce d’un pouce, de sa réalité salvifique.



2. Nous sommes réunis aujourd’hui en cette basilique Saint-Pierre pour commémorer le premier anniversaire de la mort du pape Paul VI. Nous l’avons déjà fait le jour même de l’anniversaire, le 6 août, fête de la Transfiguration du Seigneur ; nous l’avons fait à Castel Gandolfo, dans, cette demeure où, il y a un an, il a conclu sa journée terrestre. Aujourd’hui nous te faisons de manière solennelle en la basilique vaticane où, depuis plus d’un an, repose dans les grottes la dépouille mortelle du grand pape. Sa grandeur trouve son fondement dans le mystère de la croix du Christ. Comme successeur de Pierre, il a accepté cette bénédiction et tout le contenu de la promesse messianique qui avait été faite dans le voisinage de Césarée de Philippe, et il a accepté dans toute sa plénitude le mystère de la croix. Il a porté cette croix non seulement dans ses mains, en marchant durant toutes ces années le long du « Chemin de la Croix » du Colisée de Rome. Il l’a portée en lui-même, dans son coeur, durant toute sa mission : « ... que jamais je ne me glorifié sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ » (Ga 6,14). Ces paroles de l’Apôtre dont il avait choisi le nom en 1963, au début de son pontificat, ont été confirmées par toute sa vie. Paul VI : apôtre du Crucifié, comme le fut l’Apôtre Paul. Et ainsi, comme l’Apôtre Paul, il aurait pu compléter sa confession de se glorifier dans la croix du Christ en disant : « qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde » (ibid.). Et ces paroles constituent probablement la clé essentielle pour comprendre la vie de Paul VI, comme elles l’ont constituée pour comprendre la vie et la mission de saint Paul.



3. Comme l’insinue, dans la liturgie d’aujourd’hui, le prophète Isaïe puis le psaume 114-115, la croix a sa propre dimension intérieure, et cette dimension intérieure de la croix, Paul VI l’a connue. Même les « insultes » et les « crachats » ne lui furent pas épargnés (cf. Is Is 50,6) : il dut; les subir comme maître et serviteur de la vérité. Tout comme à son âme ne furent même pas épargnées cette « tristesse et angoisse » dont parle le psalmiste (Ps 114-115). Tristesse et angoisse qui naissent du sens de responsabilité pour les plus grandes valeurs, pour la grande cause que Dieu a confiées à l’homme : cette tristesse et cette angoisse ne peuvent être surmontées que dans la prière ; elles ne peuvent l’être que par la force d’une confiance sans limite. « Bon et juste est le Seigneur, notre Dieu est miséricordieux. Le Seigneur protège les humbles, j’étais dans la misère et il m’a sauvé » (Ps 114-115). Paul VI était l’homme de cette profonde, difficile — et pour cela même — inébranlable confiance. C’est précisément grâce à cette confiance que durant cette période exceptionnelle des grands changements d’après le Concile, il fut la pierre, le roc sur lequel se construisait l’Église.

Aux épreuves internes et externes de l’Église, il répondait avec cette foi, cette espérance et cette confiance inébranlables qui faisaient de lui le Pierre de notre époque. La grande sagesse et l’humilité ont accompagné cette foi, cette espérance et, par là, les ont rendues aussi fermes et inflexibles.



4. Par la parole et par les oeuvres il nous enseignait cette foi salvifique dont parle aujourd’hui de manière si convaincante, saint Jacques : « La foi sans les oeuvres est une foi morte » (Jc 2,17).

Paul VI nous enseigna donc la foi vivante ; il enseigna à toute l’Église la vie de la foi à la mesure de notre époque. Ses grandes encycliques, en particulier Populorum Progressio et, dans une autre dimension, Humanae vitae ne sont rien d’autre que l’enseignement de cette foi vivante liée aux oeuvres. Aujourd’hui on le comprend probablement mieux qu’il y a une dizaine d’années. La cohérence entre la foi et la vie doit filtrer à travers toute oeuvre. Elle doit se manifester dans chaque domaine de notre action.



5. On ne saurait mieux faire, à l’occasion de cette commémoration du grand pasteur que de réentendre sa voix, d’écouter à nouveau ses paroles toujours pleines de foi et de charité.

« En face de la mort et du total et définitif détachement de la vie présente, j’éprouve le besoin de célébrer le don, le bonheur, la beauté, la destinée de cette fugace existence elle-même : Seigneur, je te remercie de m’avoir appelé à la vie, et plus encore de ce qu’en me faisant chrétien, tu m’as régénéré et destiné à la plénitude de la vie... Maintenant que la journée est à son déclin, et que tout finit et se dissipe de cette merveilleuse et dramatique scène temporelle et terrestre, comment, après le don de la vie naturelle, te remercier encore, ô Seigneur, de la faveur supérieure de la foi et de la grâce dans lesquelles uniquement se réfugie à la fin ce qui de mon être survit ?... Je ferme les yeux sur cette terre douloureuse, dramatique et magnifique en appelant encore une fois sur elle la Bonté divine » (Testament, 30 juin 1965, III° année du Pontificat).



6. Quand nous écoutons ces paroles, un an après sa mort, nous avons encore sous les yeux ce trépas. Il s’en va, fatigué, et il nous laisse un grand héritage. La mort l’arrache aux problèmes de ce monde, au ministère du Siège Apostolique. Il semble dire, comme Pierre le dit un jour : « Seigneur, donne-moi l’ordre de venir à toi » (Mt 14,28). Et le Seigneur le fit venir à lui

Nous tous qui participons à ce sacrifice eucharistique pour recommander son âme au Père éternel, nous remercions Paul VI pour tout ce qu’il a fait et pour tout ce qu’il a été pour l’Église. « Tu es heureux, Simon fils de Jonas » (Mt 16,17).


28 septembre 1979, Messe en mémoire du Pape Jean-Paul I


Messieurs les cardinaux.

Frères et Fils très chers.



1. A l’aide des lectures de la liturgie d’aujourd’hui, nous voulons revivre cette journée d’il y a un an, où Dieu rappela à Lui, de façon si inattendue le pape Jean-Paul Ier. Plus que la journée d’aujourd’hui c’est plutôt la nuit du 28 au 29 septembre qui marque le premier anniversaire de la mort de ce successeur sur le siège de saint Pierre sur lequel il resta trente trois jours à peine après son élection. « Magis ostensus quam datus » : il est parti presque avant d’avoir pu commencer son pontificat. Nous avons déjà médité sur son départ inattendu, en visitant son pays natal, Canale d’Agordo, le 26 août, c’est-à-dire le jour anniversaire où, par les votes des cardinaux en conclave, il fut appelé à être l’évêque de Rome.

Il nous revient aujourd’hui de célébrer l’Eucharistie pour le premier anniversaire de sa mort.



2. En écoutant les lectures de la liturgie, nous nous trouvons par deux fois devant l’alternative de la vie que le coeur humain semble souvent opposer à la mort.

Marthe s’adresse au Christ par ces mots : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11,21). Souvent, près de la dépouille des personnes chères, les hommes disent : « pourtant il aurait pu ne pas mourir ; il aurait pu vivre encore... ». Certes, après la mort inattendue de Jean-Paul Ier, beaucoup disaient, pensaient et sentaient aussi : « pourtant il aurait pu vivre encore... pourquoi est-il parti si vite ? ». Marthe, soeur de Lazare, passe de sa vision humaine « et pourtant il aurait pu... si toi Seigneur tu avait été là... » à l’acte de la plus grande foi et espérance : même en ce moment je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu il te l’accordera (Jn 11,22). C’est seulement au Christ que l’on peut s’adresser par ces mots ; lui seul a affirmé qu’il a tout pouvoir sur la mort humaine. Toutefois, le coeur humain oppose souvent à la mort — à cette mort qui est déjà devenue un fait, à cette mort que chacun de nous sait, en définitive, qu’elle est inévitable — une alternative de la possibilité de la vie : et pourtant il pouvait encore vivre.



3. Alors laissons résonner à nouveau la voix apostolique de saint Paul dans notre méditation. Lui aussi oppose la nécessité de la mort à la possibilité de la vie ; cependant il le fait d’une manière pleinement cohérente avec la lumière de la foi, de l’espérance et de la charité, qui brûlaient dans son coeur : « Je me sens pris dans cette alternative : d’une part, j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, ce qui serait, de beaucoup, bien préférable ; mais, de l’autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien » (Ph 1,23-24). L’homme qui vit de la foi, comme Paul, qui aime comme lui, devient, d’une certaine façon le maître de sa propre Mort. Celle-ci ne le surprend jamais.

A quelque moment qu’elle survienne, elle sera toujours acceptée comme une alternative de vie, comme une dimension qui prend tout son sens. « Pour moi certes, la Vie c’est le Christ, et mourir représente un gain » (Ph 1,21). Si le Christ donne à la vie tout son sens, alors l’homme peut penser ainsi à la mort. Il peut l’attendre ainsi ! et il peut l’accepter ainsi !



4. Pénétrons en pensée les paroles des lectures liturgiques de ce jour et cherchons à en suivre la signification. Nous percevons qu’elles veulent nous acheminer à la réponse concernant cette mort inattendue, il y a un an, si imprévue et que, non seulement nous nous rappelons aujourd’hui mais, en un certain sens, que nous revivons. Ces lectures veulent nous donner la réponse à la demande : pourquoi donc Jean-Paul Ier est-il mort ?

Alors nous nous posons une deuxième question : qu’eut été cette vie si elle n’avait pas été interrompue la nuit du 28 au 29 septembre de l’an dernier ? C’est dans le texte de Paul que nous trouvons aussi la réponse à cette interrogation : « ... si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail... » (Ph 1,22). Ainsi donc, non seulement la vie porte témoignage à la mort, mais aussi la mort à la vie.



5. Ce témoignage que la mort de Jean-Paul Ier a donné à sa vie devient en même temps le testament de son pontificat : « ... je vais rester et demeurer près de vous tous pour votre avancement et la joie de votre foi » (Ph 1,25).

Quel est le mot principal de ce testament ? Peut-être celui qui parle de la « joie de la foi ». Le Seigneur a donné à Jean-Paul Ier trente trois jours sur le siège de saint Pierre, afin qu’il puisse exprimer cette joie, cette joie quasi enfantine.

Cette joie dans la foi est nécessaire pour que puissent s’accomplir les paroles ultérieures de ce testament : que nous combattions unanimes pour la foi de l’Évangile (cf. Ph Ph 1,27). Nous recevons en effet les deux signes indélébiles : le signe de Fils de Dieu dans le baptême et le signe de confesseur, prêt à combattre pour la foi de l’Évangile, dans la confirmation. Jean-Paul Ier, successeur de Pierre, a témoigné dans sa vie de ces deux signes qu’il portait bien imprimés dans son âme, devant la majesté de Dieu. Comme tout vrai chrétien.



6. Nous célébrons l’Eucharistie : la liturgie de la mort et de la résurrection du Christ. Elle devient particulièrement éloquente quand nous la célébrons à l’occasion de la mort d’un homme, durant ses funérailles ou à l’anniversaire de sa mort. A ce sujet je ne peux pas ne pas me rappeler des paroles du vénéré cardinal doyen, interprète de l’émotion universelle, au cours de la cérémonie funèbre de l’an dernier, place Saint-Pierre : « Nous nous demandons : pourquoi si vite ? L’Apôtre nous rappelle dans une exclamation connue, admirable et adorante : "Que les décrets de Dieu sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui, en effet, a jamais connu la pensée du Seigneur ?" (Rm 11,33-34) L’insondable mystère de la vie et de la mort nous est ainsi reproposé dans toute sa grandeur immanente et presque opprimante. » (L’Osservotore Romano, 6 octobre 1978, p. 1).

Face à ce mystère, qui, pour la raison humaine, est vraiment impénétrable et insoluble, aucune réponse ne peut être donnée de l’homme à l’homme. C’est pourquoi nous ne pouvons entendre rien d’autre que ce que Marthe a entendu de la bouche même du Christ : « Ton frère ressuscitera. Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il est mort vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité. Crois-tu ceci ? » (Jn 11,23-26).

Le pape défunt a répondu à cette question avec la foi de toute l’Église : Je crois dans la résurrection des morts ; je crois dans la vie du monde à venir ! Et en même temps il a confessé avec la foi personnelle de sa vie : « ... Le Christ sera glorifié dans mon corps, soit que je vive, soit que je meure » (Ph 1,20).

« Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant... Après mon éveil, il me dressera près de lui et, de ma chair, je verrai Dieu » (Jb 19,25-26).





VOYAGE APOSTOLIQUE AUX ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (1er-8 OCTOBRE 1979)

7 octobre 1979, Messe sur le Capital Mall de Washington

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Chers frères et soeurs en Jésus-Christ,


1. Un jour, en dialoguant avec son auditoire, Jésus se trouva devant des pharisiens qui voulaient lui faire approuver leurs opinions sur la nature du mariage. Il leur répondit en réaffirmant l’enseignement de l’Écriture : « Au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle ; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. » (
Mc 10,6-9)

L’Évangile de Marc rapporte immédiatement après la description d’une scène qui nous est bien familière à tous. Cette scène nous montre l’indignation de Jésus quand il remarque que ses disciples veulent empêcher les gens de lui amener leurs enfants. Et il leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux… Et il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. » (Mc 10,14-16)

En nous proposant ces lectures, la liturgie d’aujourd’hui nous invite tous à réfléchir sur la nature du mariage, sur la famille et sur la valeur de la vie : trois thèmes qui sont étroitement liés entre eux.

2. C’est pour moi une grande joie de m’arrêter pour réfléchir avec vous sur la parole de Dieu que l’Église nous propose aujourd’hui, d’autant plus que tous les évêques du monde entier discutent actuellement du mariage et de la vie de la famille, tels qu’ils sont vécus dans tous les diocèses et les pays. Les évêques font cela en vue de préparer le prochain Synode mondial des évêques qui a pour thème : « Le rôle de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui. » Et vos évêques ont voulu que l’année prochaine soit une année d’étude, de planification et de renouveau pastoral de la famille. Pour différentes raisons, il y a dans le monde un renouveau d’intérêt pour le mariage, la vie de la famille et la valeur de toute vie humaine.

Ce dimanche marque le début du « Programme annuel pour le respect de la vie », par lequel l’Église qui est aux États-Unis veut confirmer sa conviction concernant le caractère inviolable de la vie humaine à tous ses stades. Par conséquent, tous ensemble, renouvelons notre respect pour la valeur de la vie humaine, en nous souvenant aussi que toute vie humaine a été rachetée par le Christ.

149 3. Je n’hésite pas à proclamer devant vous et devant le monde que toute vie humaine — depuis la conception et à tous ses stades — est sacrée parce que la vie humaine est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Rien ne dépasse la personne humaine en grandeur et dignité. La vie humaine n’est pas seulement une idée ou une abstraction ; elle est la réalité concrète d’un être qui vit, agit, grandit et se développe, d’un être qui est capable d’aimer et de servir l’humanité.

Permettez-moi de rappeler ce que j’ai dit au cours de mon pèlerinage dans ma patrie : « Si l’on enfreint le droit de l’homme à la vie au moment où il commence à être conçu dans le sein maternel, on porte aussi atteinte indirectement à tout l’ordre moral qui sert à assurer les biens inviolables de l’homme. La vie occupe la première place parmi ceux-ci. L’Église défend le droit à la vie non seulement eu égard à la majesté du Créateur qui est le premier donateur de cette vie, mais aussi par respect envers le bien essentiel de l’homme. » (8 juin 1979.)

4. La vie humaine est précieuse parce qu’elle est le don d’un Dieu dont l’amour est infini. Et quand Dieu donne la vie, il la donne pour toujours. En outre, la vie est précieuse parce qu’elle est l’expression et le fruit de l’amour. C’est pourquoi la vie doit prendre son origine dans le contexte du mariage, et c’est pourquoi le mariage et l’amour réciproque des parents doivent être caractérisés par la générosité dans le don mutuel. Le grand péril pour la vie de la famille dans une société où les idoles sont le plaisir, le confort et l’indépendance, c’est que les hommes ferment leurs coeurs et deviennent égoïstes. La peur d’un engagement permanent peut changer l’amour mutuel entre le mari et la femme en deux amours d’eux-mêmes — deux amours qui existent l’un à côté de l’autre jusqu’à ce qu’ils finissent dans la séparation.

Dans le sacrement du mariage, un homme et une femme — qui sont devenus membres du Christ par le baptême et qui ont le devoir de manifester les attitudes du Christ dans leur vie — sont assurés de l’aide dont ils ont besoin pour que leur amour grandisse dans une union fidèle et indissoluble et pour répondre généreusement au don de la paternité. Comme l’a déclaré le Concile Vatican II : « Par le sacrement du mariage, le Christ continue de demeurer avec les époux et de les accompagner pour qu’ils puissent, par leur don mutuel, s’aimer dans une fidélité perpétuelle, comme lui-même a aimé l’Église et s’est livré pour elle. » (cf. Gaudium et spes
GS 48 Ep 5,25)

5. Pour que le mariage chrétien favorise le bien et le développement total du couple, il doit être inspiré de l’Évangile et s’ouvrir ainsi à une vie nouvelle — une vie nouvelle donnée et acceptée généreusement. Les conjoints sont également appelés à créer une atmosphère familiale où les enfants soient heureux et où ils vivent avec plénitude et dignité leur vie humaine et chrétienne.

Pour qu’elle soit joyeuse, la vie familiale demande beaucoup de sacrifices, et aux parents et aux enfants. Chaque membre de la famille doit devenir, d’une manière spéciale, le serviteur des autres, en partageant leurs fardeaux (cf. Ga 6,2 Ph 2,2). Chacun doit être soucieux non seulement de sa propre vie, mais encore de celle des autres membres de la famille, de leurs besoins, de leurs espérances, de leurs idéaux. Les décisions concernant le nombre des enfants et les sacrifices qui en résultent ne doivent pas être prises en ne pensant qu’à augmenter son propre confort ou à garder sa tranquillité de vie. En réfléchissant sur ce point devant Dieu, aidés par la grâce qui vient du sacrement et guidés et par les enseignements de l’Église, les parents se rappelleront qu’il est certainement moins grave de refuser à ses enfants certaines aisances ou avantages matériels que de les priver de la présence de frères et de soeurs qui pourraient les aider à développer leur humanité et à réaliser la beauté de la vie à tous ses stades et dans toute sa variété.

Si les parents comprenaient pleinement les exigences de ce grand sacrement et les possibilités qu’il offre, ils ne manqueraient pas de s’unir à Marie dans un hymne de louange à Dieu, l’auteur de la vie, qui les a choisis comme collaborateurs.

6. Tous les êtres humains devraient considérer chaque personne comme une créature de Dieu unique, appelée à être frère ou soeur du Christ en raison de l’Incarnation et de la Rédemption universelle. Pour nous, le caractère sacré de la vie humaine est fondée sur ces prémisses. Et c’est sur ces mêmes prémisses que se fonde notre célébration de la vie, de toute vie humaine. Cela explique nos efforts pour défendre la vie humaine contre toute influence ou action qui pourrait la menacer ou l’affaiblir. Cela explique également nos efforts pour rendre chaque vie plus humaine dans tous ses aspects. Nous réagirons donc chaque fois que la vie humaine est menacée. Lorsque le caractère sacré de la vie avant la naissance sera attaqué, nous réagirons pour proclamer que personne n’a le droit de détruire la vie avant la naissance. Lorsque l’enfant sera considéré comme une charge, ou comme un moyen de satisfaire un besoin émotionnel, nous interviendrons pour rappeler que chaque enfant est un don unique et sans pareil de Dieu qui a droit à une famille unie dans l’amour. Lorsque l’institution du mariage sera abandonnée à l’égoïsme humain ou réduit à un accord temporaire et conditionnel qui peut être facilement rompu, nous réagirons pour affirmer l’indissolubilité du lien du mariage. Lorsque la valeur de la famille sera menacée par des pressions sociales et économiques, nous réagirons en affirmant que la famille est « nécessaire non seulement pour le bien privé de chaque personne, mais encore pour le bien commun de chaque société, nation et État » (audience générale 3 janvier 1979). Lorsque la liberté sera utilisée pour dominer les faibles pour gaspiller les richesses naturelles et l’énergie et pour refuser aux hommes les besoins essentiels, nous réagirons pour réaffirmer les exigences de la justice et de l’amour social. Lorsque les malades, les personnes âgées ou les moribonds seront abandonnés à leur solitude, nous réagirons en proclamant qu’ils sont dignes d’amour, de sollicitude et de respect.

7. Je fais miennes les paroles que Paul VI a adressées l’an dernier aux évêques américains : « Nous sommes convaincus que tous les efforts qui sont faits pour sauvegarder les droits de l’homme servent effectivement la vie humaine. Tout ce qui, légalement ou de fait, tend à bannir la discrimination basée sur " la race, l’origine, la couleur, la culture, le sexe ou la religion " (cf. Octogesima adveniens, 16), sert à la vie. Lorsque les droits des minorités sont reconnus, lorsqu’une aide est apportée aux handicapés mentaux ou physiques, lorsqu’on permet aux marginaux de se faire entendre, c’est la dignité de l’homme, la plénitude et le caractère sacré de la vie humaine qui sont promus. Tout ce que vous faites dans vos Églises locales pour les écoles catholiques pour la formation à la justice sociale et pour affronter les différents problèmes sociaux concernant la communauté locale, nationale ou internationale, sert la vie. En particulier, tout ce qui contribue à améliorer le climat social, à freiner la permissivité et l’hédonisme, toute assistance apportée à la famille, source de nouvelles vies, soutient effectivement les valeurs de la vie. » (26 mai 1978.)

8. Beaucoup reste à faire pour pouvoir aider ceux dont la vie est menacée et redonner espoir à ceux qui ont peur de la vie. Il faut du courage pour résister aux pressions et aux faux « slogans », pour proclamer la dignité suprême de chaque vie et pour exiger que la société elle-même la protège. Un éminent Américain, Thomas Jefferson, a dit : « Le souci de la vie humaine et le bonheur, et non pas leur destruction, sont le juste objectif d’un bon gouvernement, le seul qui soit légitime. » (31 mars 1809.) Je tiens donc à adresser mes félicitations à tous les membres de l’Église catholique et des autres Églises chrétiennes, à tous les hommes et femmes partageant l’héritage judéo-chrétien, à tous les hommes de bonne volonté, qui unissent leurs efforts pour défendre la plénitude de la vie et pour promouvoir tous les droits de l’homme.

Notre célébration de la vie fait partie de notre célébration de l’Eucharistie. Par sa mort et sa résurrection, Notre- Seigneur et Sauveur est devenu pour nous « le Pain de vie » et le gage de la vie éternelle. En lui, nous trouvons le courage, la persévérance et la créativité dont nous avons besoin pour promouvoir et défendre la vie dans nos familles et dans le monde entier.

Chers frères et soeurs, nous avons confiance que Marie, Mère de Dieu et Mère de la vie, nous donnera son aide afin que notre manière de vivre reflète toujours notre admiration et notre reconnaissance pour l’amour que Dieu nous donne et qui est vie. Nous savons qu’elle nous aidera à utiliser chaque jour qui nous est donné comme une occasion pour défendre la vie avant la naissance et pour rendre plus humaine la vie de tous nos frères, où qu’ils soient.

Que l’intercession de la Vierge du Rosaire, dont nous célébrons aujourd’hui la fête, nous obtienne de parvenir tous un jour à la plénitude de la vie en Jésus-Christ Notre- Seigneur. Amen !



10 octobre 1979, Messe pour les participants à la 3ème Assemblée Plénière du Conseil Pontifical pour les Laïcs

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Chapelle Matilde
10 Octobre 1979



Chers Frères et Soeurs,

IL EST FACILE D’ÉVOQUER la vie du cher Monseigneur Marcel Uylenbroeck en écoutant les lectures de l’Ecriture Sainte: Dieu l’a mis à l’épreuve, au cours d’une maladie inexorable, qui l’a atteint dans la pleine force de l’âge et au moment où il accomplissait pour l’Eglise un service important et apprécié; il a accepté cette épreuve, dans la foi; il l’a même offerte pour l’Eglise. Le Christ, le maître de maison, l’a trouvé alors qu’il tenait sa lampe allumée, la lampe de la charité et de l’espérance. Dieu a accepté son holocauste. Dans la vie, comme dans la mort, dit saint Paul, nous appartenons au Seigneur.

Sa vie, Monseigneur Uylenbroeck l’avait, vous le savez, consacrée au Seigneur, avec un souci particulier de l’évangélisation. Très tôt, il participa, comme laïc, à l’apostolat des jeunes du monde ouvrier, dans la JOC belge; puis, comme prêtre, aumônier national puis international de ce mouvement. Quand Paul VI le nomma Secrétaire du Conseil des Laïcs voici dix ans, il y apportait donc une expérience très utile pour comprendre la vie des laïcs et leur apostolat organisé. Et c’est là que beaucoup d’entre vous, que moi-même, nous l’avons vu à l’oeuvre. Il savait y accueillir avec bienveillance les activités multiformes des associations de laïcs, comme autant de fruits de la vie chrétienne où l’Esprit Saint a sa part. Il aidait les responsables à réfléchir, à confronter leur action avec celle des autres dans l’Eglise universelle, avec les orientations du Saint-Siège, à en approfondir les mobiles; en même temps, il contribuait au service du Pape. Autant de tâches qui sont l’honneur et le devoir du Conseil pontifical pour les Laïcs.

Et en marge de ce travail, il continuait à s’intéresser, à Rome même, et en dehors, aux jeunes de tout milieu, consacrant son temps et ses forces apostoliques, dans ses contacts ou dans sa correspondance, à les réconforter, à les éclairer, à les entraîner sur une voie meilleure, en s’inspirant de l’Evangile.

Avec tous ceux qui en ont bénéficié, nous allons offrir ce labeur, en demandant au Seigneur de récompenser ce bon serviteur, et de lui accorder sa lumière, sa paix, sa joie, dans la vie éternelle.

Ce travail, vous l’avez poursuivi d’une façon particulière tout au long de cette Assemblée générale. Ce n’est pas le lieu de développer ce propos, mais, d’un mot, je tiens à remercier et encourager vivement les membres et les consulteurs du Conseil, dont certains sont venus de loin, ainsi que toutes les personnes qui prêtent quotidiennement leur concours à l’activité de ce Dicastère. J’ai moi-même participé comme membre du Conseil – ce temps n’est pas si loin – à un tel travail de confrontation et de réflexion. Comme Pape, je compte sur votre apport pour éclairer, soutenir, harmoniser le dynamisme des laïcs, à travers le monde entier, et pour m’apporter, à moi-même et au Saint-Siège, vos informations et vos suggestions, et en particulier celles de votre Assemblée.

151 Les paroisses demeurent les lieux privilégiés où les laïcs de tout milieu et de toute association peuvent se réunir pour célébrer l’Eucharistie, notamment le culte dominical, pour la prière, pour l’animation catéchétique, etc. Mais il importe aussi qu’existent, en liaison avec elles, d’autres relais, d’autres centres, à une échelle plus vaste ou au contraire plus réduite, afin de pourvoir aux besoins spécialisés du peuple de Dieu en matière d’éducation, de catéchèse, d’assistance, d’aide sanitaire, de promotion sociale, etc. Ils permettent une participation plus directe du laïcat et une action plus adaptée. C’était précisément le thème de votre Assemblée: la formation de telles communautés locales à la base; il s’agit de les encourager, tout en garantissant leur authenticité évangélique et leur qualité ecclésiale. C’est très important pour la vitalité de l’Eglise, pour son insertion et son témoignage dans le monde contemporain.

Il était opportun aussi de revoir les critères des organisations internationales catholiques, et le statut de leurs assistants ecclésiastiques, car le rôle du laïc, le rôle du prêtre, le lien avec l’Eglise et le Magistère doivent être bien définis.

Les femmes en particulier doivent trouver exactement le rôle qui leur revient dans l’Eglise et faire bénéficier celle-ci de toutes leurs ressources de foi et de charité.

N’oublions pas non plus que le prochain Synode attire déjà l’attention de toute l’Eglise sur un apostolat irremplaçable: celui de la famille.

Pour vous, contribuez a faire que toute cette action de laïcs soit inspirée par la foi – c’est dire l’importance de la révision de vie avec l’Evangile, et de la prière; qu’elle soit inspirée par la fidélité à l’Eglise, par le souci, non pas d’uniformité, mais d’unité, de communion; qu’elle soit inspirée surtout par l’espérance.

De nombreux signes – j’en ai été témoin en Irlande et aux Etats-Unis – manifestent aujourd’hui les ressources merveilleuses de foi et de dynamisme chrétien qui sont au coeur de nos contemporains, spécialement des jeunes. Et même lorsque ces signes sont moins évidents – nous devons travailler dans la foi et la patience – nous savons du moins que Dieu est fidèle à ses promesses et qu’il fera porter du fruit à ceux qui prennent le risque de bâtir leur vie sur le roc de l’Evangile. Courage! Son Esprit ne manque point à ceux qui le prient, avec la Vierge de la Pentecôte, et qui font, comme elle, tout ce que le Seigneur leur dira. En vous bénissant de tout coeur, je prie Dieu de fortifier votre espérance. Et qu’il donne le bonheur éternel à celui qui nous a précédés dans la Maison du Père, à notre ami, Monseigneur Marcel Uylenbroeck.

Amen.


Homélies St Jean-Paul II 8979