Homélies St Jean-Paul II 20109


14 novembre 1979, Ve Assemblée générale de l'Union internationale des supérieures générales (UISG)

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Chapelle Sixtine
Mercredi 14 novembre 1979



Chères soeurs dans le Seigneur,

C’est pour moi une grande joie de me trouver aujourd’hui avec vous qui êtes les déléguées particulièrement autorisées de la grande richesse que constitue la vie religieuse dans l’Église. En effet, grâce à elle, se trouve donné un témoignage particulièrement évident de ce que signifie le don total à l’amour et au service de Dieu. En même temps, je suis heureux de voir et de saluer en vous comme l’image de l’universalité de l’Église : vous représentez ici tous les continents, les différentes cultures, vous manifestez ensemble la réalisation multiforme de la réponse à l’appel du Seigneur. Par votre intermédiaire je désire réaffirmer à toutes les religieuses l’estime et la confiance que l’Église a en elles, en raison non seulement de leur apostolat intelligent, constant et généreux, mais, plus encore, de leur vie de consécration et de don, très souvent caché, d’acceptation joyeuse et courageuse des épreuves et des difficultés inévitables. Je vous demande de transmettre ma bénédiction très spéciale à toutes les Soeurs éprouvées ou fatiguées dans leur corps ou leur âme, à celles qui sont âgées, aux malades dont la vie d’abnégation et de sacrifice est pour l’Église, pour le Pape et pour le Peuple de Dieu une valeur très précieuse, irremplaçable, unique.

Je désire encore que cette célébration eucharistique avec le Pape constitue pour chacune de vous un moment salutaire d’encouragement et de réconfort dans l’accomplissement d’une tâche toujours exigeante, souvent accompagnée du signe de la croix et d’une douloureuse solitude et qui requiert de vous un sens profond des responsabilités, une générosité sans faiblesses et sans défaillances, un constant oubli de vous-mêmes. Vous devez, en effet, soutenir et guider vos consoeurs en cette période postconciliaire, certainement riche d’expériences nouvelles, mais également si exposée aux erreurs et aux déviations que vous cherchez à éviter et à corriger. On sait quelle évolution positive a connu ces dernières années la vie religieuse, comprise dans un esprit plus évangélique, plus ecclésial et plus apostolique. On ne peut cependant ignorer que certains choix concrets, même suggérés par des intentions bonnes, bien que pas toujours éclairées, n’ont pas donné au monde l’image authentique du Christ que la religieuse doit rendre présent parmi les hommes.

En vous trouvant réunies autour de l’autel pour renouveler l’offrande du Christ au Père vous vous sentez intimement invitées à renouveler, en votre nom et aussi au nom de toutes vos consoeurs, la consécration de vous-mêmes qui déjà commencée au baptême, a été rendue définitive et parfaite par les voeux religieux.

1. Accueillez donc ma première exhortation à la prière fervente et persévérante afin que l’importance de la vocation religieuse et la nécessité d’en approfondir la valeur essentielle deviennent toujours plus évidentes dans la vie de l’Église et de la société. En effet, la vie personnelle de chaque religieuse est centrée sur l’amour « sponsal » pour le Christ. C’est ainsi que, modelée par son esprit, elle lui donne toute sa vie, en faisant siennes ses sentiments, ses idéaux et sa mission de charité et de salut. Comme je l’ai déjà dit aux religieuses d’Irlande : « Aucun mouvement de la vie religieuse n’a de valeur s’il n’est en même temps un mouvement vers l’intérieur, vers le centre profond de votre vie, là où le Christ a sa demeure. Ce qui importe le plus, ce n’est pas ce que vous faites, c’est ce que vous êtes en tant que femmes consacrées au Seigneur. » (Discours aux prêtres, aux religieux et religieuses d’Irlande, 1er octobre 1979.)

— Priez pour que chaque soeur en vivant avec joie son rapport unique et fidèle au Christ, trouve dans sa consécration l’accomplissement le plus élevé de sa réalité caractéristique de femme, toute tendue vers le don d’elle-même.

— Priez avec confiance pour que chaque Institut puisse facilement dépasser ses propres difficultés de croissance et de persévérance et pour que votre réunion annuelle contribue à rendre toujours plus parfaite chacune des Congrégation auxquelles vous appartenez.

— Priez enfin, sans cesse, pour les vocations religieuses, pour que l’idéal de la vie consacrée, don immense et gratuit de Dieu, exerce un attrait toujours plus grand sur ces nombreux jeunes, qui aspirent à des réalisations plus hautes et plus nobles.

Que le thème choisi par la S. Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers pour la prochaine réunion plénière : « la dimension contemplative de la vie religieuse », soit une occasion privilégiée d’approfondir la valeur fondamentale de la prière. À ce propos, je veux adresser une pensée chaleureuse et pleine de reconnaissance aux religieuses contemplatives, que je remercie de tout coeur de leur intense et constante prière qui constitue une aide irremplaçable dans la mission évangélisatrice de l’Église.

155 2. Ma seconde exhortation, maintenant, veut être une invitation à donner le témoignage religieux requis par notre époque.

Après les années d’expérience consacrées au renouveau de la vie religieuse selon l’esprit de chaque Institut, le moment est venu d’évaluer objectivement et humblement les essais qui ont été faits, pour en discerner les éléments positifs, les déviations éventuelles et, enfin, pour préparer une Règle de vie stable, approuvée par l’Église, qui devra stimuler toutes les religieuses à connaître plus profondément leurs engagements et à les vivre dans une joyeuse fidélité.

Que le premier témoignage soit celui d’une adhésion filiale et d’une fidélité à toute épreuve à l’Église, épouse du Christ. Ce lien avec l’Église doit se manifester dans l’esprit de votre Institut et dans ses tâches apostoliques, parce que la fidélité au Christ ne peut jamais être séparée de la fidélité à l’Église. « Votre adhésion avec générosité et amour au Magistère authentique de l’Église est la solide garantie de la fécondité de tout votre apostolat et la condition indispensable pour bien interpréter les « signes des temps ». (Discours aux religieuses des États-Unis, 7 octobre 1979.)

À l’imitation de Marie, Vierge au coeur toujours disponible à la parole de Dieu, vous devez trouver votre sérénité intérieure, votre joie, dans la disponibilité à la parole de l’Église et de Celui que le Christ a institué comme son Vicaire sur la terre.

Que le second témoignage soit celui de la vie communautaire. Celle-ci est, en effet, un élément important de la vie religieuse, elle est une caractéristique qui, depuis les origines, a été vécue par les personnes consacrées, car les liens spirituels ne peuvent se créer, se développer et se perpétuer que par des rapports quotidiens et prolongés. Une telle vie communautaire, dans la charité évangélique, est étroitement liée au mystère de l’Église, qui est un mystère de communion et de participation, et elle manifeste votre consécration au Christ. Mettez tout en oeuvre pour que cette vie communautaire soit facilitée et aimée de sorte qu’elle devienne un moyen précieux d’aide réciproque et d’épanouissement personnel.

Enfin, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en d’autres circonstances, un dernier témoignage, un témoignage particulier, est aussi celui de l’habit religieux. Celui-ci constitue, en effet, un signe évident de consécration totale à l’idéal du Royaume des Cieux, en considérant toujours les circonstances nécessaires, comme par exemple celles de la Tradition, des différents champs d’apostolat, du milieu, etc. Il est, en outre, le signe d’un détachement définitif des intérêts seulement humains et terrestres. Il est encore le signe d’une pauvreté joyeusement vécue et aimée, dans un abandon confiant à l’action de la providence de Dieu.

Très chères Supérieures générales, vous devez assumer la tâche délicate et parfois difficile mais aussi tellement précieuse, de promouvoir parmi les religieuses tout ce qui peut contribuer à l’union des esprits et des coeurs. Une vie fraternelle, fervente et authentique est indispensable pour que les religieuses puissent surmonter de manière durable les contraintes, les fatigues et les difficultés que comporte une vie de consécration et d’apostolat dans le monde d’aujourd’hui.

Votre tâche, dans l’heureuse réalisation d’une telle vie profondément enracinée dans les valeurs évangéliques, revêt une importance de premier ordre. L’exercice de l’autorité, dans un esprit de service et d’amour envers toutes vos consoeurs est une tâche vitale, même si elle est difficile et si elle demande beaucoup de courage et de dévouement. La supérieure a le devoir d’aider la religieuse à réaliser toujours plus parfaitement sa vocation. Elle ne peut se soustraire à cette obligation, ardue, certes, mais indispensable.

L’accomplissement d’un tel devoir demande une prière constante, de la réflexion, des consultations, mais aussi des décisions courageuses dans la conscience de sa propre responsabilité devant Dieu vis-à-vis de l’Église et des religieuses elles-mêmes, qui attendent ce service. La faiblesse, tout comme l’autoritarisme, constituent des déviations également préjudiciables au bien des âmes et à l’annonce du Royaume.

3. Je vous dis enfin, affectueusement : ayez confiance. Soyez toujours courageuses dans votre religieux dévouement, ne vous laissez pas abattre par les difficultés éventuelles, par la diminution de personnel, par les incertitudes qui peuvent peser sur l’avenir. Ne doutez pas de la validité des formes éprouvées d’apostolat dans les domaines de l’éducation des jeunes, de l’action auprès des malades, des enfants, des personnes âgées et de tous ceux qui souffrent.

Soyez sûres que si vos Instituts s’emploient sincèrement à promouvoir parmi les religieuses une fidélité constante, généreuse et dynamique aux exigences de leur vie consacrée, le Seigneur, qui ne se laisse pas vaincre en générosité, vous enverra les vocations désirées, les vocations que vous attendez pour l’avènement de son règne.


Soyez attentives aux suggestions et aux paroles de la Sagesse comme il convient à des personnes qui sont appelées à exercer une haute responsabilité de gouvernement. Avec toutes vos consoeurs, remerciez Dieu de la vocation particulière que vous avez reçue. Marchez dans une sereine confiance sur la voie où vous vous êtes engagées : la consécration totale au Christ et aux âmes. Que Marie très sainte, Mère et modèle de toutes les personnes consacrées, soit votre appui et votre soutien et que ma bénédiction apostolique vous accompagne avec une bienveillance particulière.



25 novembre 1979, Solennité de Christ Roi de l'Univers

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AUX LAÏCS DE ROME

Le témoignage est la mesure de la vie

Le 25 novembre, Fête du Christ-Roi, le Saint-Père a présidé en la basilique Saint-Pierre une concélébration eucharistique.



1. Aujourd’hui dans la basilique Saint-Pierre résonnent les échos de la liturgie d’une fête exceptionnelle. Dans le calendrier liturgique post-conciliaire la fête de notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers, coïncide avec le dernier dimanche de l’année ecclésiastique. Et c’est très-bien ! En effet, la vérité de la foi que nous voulons manifester, le mystère que nous voulons vivre, contiennent, en un certain sens chaque dimension de l’histoire, chaque étape du temps humain, et en même temps elles ouvrent la perspective « d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle » (
Ap 21,1), la perspective d’un royaume « qui n’est pas de ce monde ». (Jn 18,36). Il se peut que l’on comprenne mal ce que signifie la déclaration concernant le « Royaume » que le Christ fit devant Pilate — ce « Royaume » qui n’est pas de ce monde. Mais le contexte de l’événement et le climat dans lequel ces paroles ont été prononcées ne permettent pas de se tromper. Nous devons admettre que le Royaume du Christ grâce auquel s’ouvrent devant l’homme des perspectives supra-terrestres, les perspectives de l’éternité, se forme dans le monde, dans le temporel. Il se forme donc dans l’homme même moyennant « le témoignage à la vérité » (Jn 18,37) que le Christ a rendu en ce moment dramatique de sa mission messianique : devant Pilate, devant la mort sur la Croix que ses accusateurs demandaient à son juge. Ainsi donc, il faut que notre attention se porte non seulement sur le moment liturgique de la célébration solennelle de ce jour, mais aussi sur la surprenante synthèse de vérité qu’il exprime et proclame. C’est pourquoi je me suis permis, avec le Cardinal Vicaire de Rome, d’inviter aujourd’hui les collaborateurs des différents secteurs de l’apostolat des laïcs de toutes les paroisses de notre ville — c’est-à-dire tous ceux qui, se joignant à l’évêque de Rome et aux pasteurs d’âmes de chaque paroisse, acceptent de se faire les témoins du Christ-Roi et cherchent à établir son Royaume dans leur coeur et à le répandre parmi les hommes.



2. Jésus Christ est « le témoin fidèle » (cf. Ap 1,5)comme dit l’auteur de l’Apocalypse. Il est le témoin fidèle de la domination de Dieu dans la création et surtout dans l’histoire de l’homme. Dieu en effet, comme Créateur et en même temps comme Père, a formé l’homme dès l’origine. Et donc il est toujours présent dans son histoire comme Créateur et comme Père. Il est devenu non seulement le Commencement et la Fin de toute la création, mais il est devenu également le Seigneur de l’histoire et le Dieu de l’Alliance : Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu. Celui qui est, qui était et qui vient, « le Maître-de-tout » (Ap 1,8).

Jésus-Christ, le « Témoin fidèle » est venu au monde précisément pour en rendre témoignage.

Sa venue dans le temps ! Combien concrètement-et de manière suggestive l’avait annoncée le prophète Daniel, dans sa vision messianique, parlant de la venue du « Fils de l’homme » (Dn 7, 13), et décrivant la dimension spirituelle de son règne en ces termes : « A lui furent donnés la domination, la gloire et le règne et tous les peuples, les nations et les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit » (Dn 7, 14). C’est ainsi que le prophète Daniel vit le royaume du Christ plusieurs siècles avant que Jésus ne vînt au monde.



3. Ce qui se passa devant Pilate le vendredi avant Pâques nous permet de débarrasser l’image prophétique de Daniel de toute association impropre. Il se fait que « le Fils de l’homme » lui-même répond à la question que pose le gouverneur romain. Et voici cette réponse : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici-bas ». Pilate, représentant du pouvoir exercé sur le territoire de la Palestine, au nom de la puissance romaine, un homme qui pense selon les catégories temporelles et politiques, ne comprend rien à cette réponse. Il interroge donc une seconde fois : « Tu es donc roi ? » (Jn 18,37).

Et le Christ lui aussi, répond pour la seconde fois. Comme il a, la première fois, expliqué en quel sens il n’est pas roi, cette fois, de même, pour répondre pleinement à la demande de Pilate et, en même temps, à la demande de toute l’histoire de l’humanité, de tous les gouvernants, et de tous les politiciens, il répond ainsi : « Tu le dis ! Je suis roi, et je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix » (cf. Jn 18,37).

Associée à la première, cette réponse exprime toute la vérité sur son royaume : toute la vérité sur le Christ-Roi.



4. Cette vérité contient également les paroles de l’Apocalypse par lesquelles le Disciple favori complète d’une certaine manière, à la lumière du dialogué du vendredi saint, en la résidence de Pilate à Jérusalem, ce qu’en son, temps avait écrit le prophète Daniel. Saint Jean note : « Le voici, qui vient, escorté des nuées (c’est ainsi que s’était exprimé Daniel) ; chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé... oui, Amen ! » (Ap 1,7).

Précisément : Amen ! Ce seul mot scelle, pour, ainsi dire la vérité sur le Christ-Roi, qui n’est pas seulement « le Témoin, fidèle », mais aussi le « Premier-né d’entre les morts » (Ap 1,5). Et s’il est le Prince de la terre et de ceux qui la gouvernent « le Prince des rois de la terre » (Ap 1,5), il l’est pour ceci, surtout pour ceci, et définitivement pour ceci, parce qu’« il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang ; il a fait de nous une royauté de prêtres pour son Dieu et Père » (Ap 1,5-6).



5. Voilà la pleine définition de son royaume ; voilà toute la vérité sur le Christ-Roi. Nous nous sommes rassemblés aujourd’hui dans cette Basilique pour accueillir encore une fois cette vérité, les yeux de la foi grand ouverts et le coeur prêt à donner sa réponse. Car c’est là une vérité qui exige tout particulièrement une réponse. Et pas seulement la compréhension. Et pas seulement l’adhésion de l’intelligence, mais une réponse qui émerge de toute la vie.

Cette réponse, l’Épiscopat de l’Église contemporaine l’a donnée de manière merveilleuse au Concile Vatican II. On aurait même envie en ce moment de tendre la main à ces textes de la Constitution Lumen Gentium qui éblouissent par la simple profondeur de la vérité, aux textes chargés de la plénitude de la « praxis » chrétienne contenus dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes — et à tant d’autres documents qui tirent de ces fondements les conclusions concrètes pour les divers domaines de la vie ecclésiale. Je pense notamment au Décret Apostolicam actuositatem sur l’Apostolat des laïcs. Il est une chose que je demande au laïcat de Rome et du monde, c’est de ne jamais perdre de vue ces merveilleux documents de l’enseignement de l’Église contemporaine. Ils traduisent dans son sens le plus profond ce que signifie « être chrétien ». Ces documents méritent beaucoup plus qu’une simple étude et méditation : si l’on ne cherche pas en eux un appui, il est impossible de comprendre et de réaliser notre vocation et, en l’espèce, la vocation des laïcs, leur apport particulier à l’édification de ce royaume qui, même si « il n’est pas de ce monde » (Jn 18,36), existe toutefois ici-bas, parce qu’il est en nous. Et en particulier, en vous, laïcs !



6. Le Christ est monté sur la Croix comme un Roi unique : comme l’éternel témoin de la vérité. « Je ne suis né et ne suis venu que pour cela : pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Ce témoignage est la mesure de notre oeuvre. La mesure de la vie. La vérité pour laquelle le Seigneur a donné sa vie — et qu’il a confirmée par sa résurrection — est la source fondamentale de la dignité de l’homme. Ce royaume du Christ, comme l’enseigne le Concile Vatican II, se manifeste dans la « royauté » de l’homme. Il faut que, à cette lumière, nous sachions participer à tous les secteurs de la vie contemporaine et les modeler. A notre époque, il ne manque pas, en effet, de propositions adressées à l’homme, il ne manque pas de programmes qu’on invoque pour son bien. Sachons les revoir selon la dimension de la pleine vérité sur l’homme, de la vérité confirmée par les paroles et par la Croix du Christ ! Apprenons à bien les discerner ! Ce qu’ils déclarent est-ce à la mesure de la vraie dignité de l’homme ? La liberté qu’ils proclament sert-elle la royauté de l’être créé à l’image de Dieu, ou, au contraire, prépare-t-elle sa privation ou sa contrainte ? Par exemple : Servent-ils la vraie liberté de l’homme ou expriment-ils sa dignité : l’infidélité conjugale, même sanctionnée par le divorce ; ou le manque de responsabilité à l’égard de la vie conçue, même si la technique moderne enseigne les méthodes pour s’en débarrasser ? Il est certain que le « permissivisme » moral ne se base nullement sur la dignité de l’homme et qu’il n’éduque pas à celle-ci.

Comment ne pas rappeler ici le diagnostic que dans le contexte socio-religieux de notre ville le cardinal vicaire a présenté à votre assemblée du 10 novembre dernier ? Il a indiqué les principales « souffrances » qui tourmentent la ville de Rome : le manque de sécurité sociale des familles pour le logement, le travail, l’éducation des enfants ; le désarroi spirituel et social des immigrés des zones rurales ; l’incommunicabilité entre les familles qui habitent les grands immeubles populaires, sans se connaître et sans avoir le courage de la solidarité ; le délit organisé, particulièrement au service de la drogue ; la violence démente et gratuite et le terrorisme politique ; et il faut y ajouter les multiples manifestations d’immoralité et d’irréligiosité dans la vie privée et dans la vie sociale.

Les causes de ces maux ont été relevées notamment, dans la baisse d’intérêt à l’égard des problèmes de l’éducation et de l’école abandonnés à la merci de forces minoritaires fort perturbatrices ; et dans la désagrégation de la famille soumise à l’action corrosive de multiples facteurs d’environnement et de moeurs. Mais, comme l’a dit M. le cardinal-vicaire, la racine la plus profonde de ce mal se trouve « dans la constante dépréciation de la personne humaine, de sa dignité, de ses droits et devoirs » et du sens religieux et moral de la vie. Le cardinal-vicaire vous a également demandé de prendre courageusement vos responsabilités et de vous engager dans quelques initiatives concrètes, et exactement : la construction d’une authentique communauté chrétienne capable d’annoncer l’Évangile de manière crédible ; l’engagement culturel de recherche, et de discernement critique, en constante fidélité au Magistère, en vue d’un dialogue correct entre l’Église et le monde ; l’engagement à contribuer à l’accroissement du sens de responsabilité sociale, stimulant dans le clergé et chez les fidèles la, solidarité en vue du bien commun, tant de la communauté ecclésiale que de la communauté civile ; l’engagement, enfin, dans la pastorale des vocations, aujourd’hui particulièrement urgente, et dans celle des communications sociales.

Voilà, très chers frères et soeurs, quelques lignes d’action pastorale sur lesquelles chacun de vous est invité à se mesurer, adhérant ainsi courageusement et avec cohérence aux exigences issues du baptême et de la confirmation et confirmées, par la participation à l’Eucharistie. Je demande à tous et à chacun de vous de ne pas reculer devant ses propres responsabilités. Je le demande au cours de cette célébration liturgique du Christ-Roi.

En un certain sens, le Christ se trouve devant le tribunal dés consciences humaines, comme autrefois il s’est trouvé devant le tribunal de Pilate. Il nous révèle toujours la vérité, de son royaume. Et ,de partout et toujours lui est posée la même demande : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18,38).

Qu’il soit pour ceci encore plus proche de nous. Que son royaume soit toujours plus en nous. Donnons-lui en échange l’amour auquel il nous a appelé — en Lui aimons toujours plus la dignité de chaque homme !

Alors nous prendrons véritablement part à sa mission. Nous deviendrons les apôtres de son royaume.





Pèlerinage Apostolique en Turquie (28 - 30 novembre 1979)

29 novembre 1979, Messe en la Cathédrale Saint-Esprit à Istanbul

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Jeudi 29 novembre 1979



Frères très chers dans le Seigneur,

« À vous la paix, la charité et la foi, en Dieu le Père et en Notre-Seigneur Jésus-Christ » (cf.
Ep 6,23).

Que ce souhait de l’apôtre Paul aux chrétiens d’Éphèse soit aussi celui que je vous adresse.

Je me tourne d’abord vers le patriarche oecuménique, S. S. Dimitrios Ier, et vers le patriarche arménien, S. B. Shnorhk Kalustian, frères vénérés qui ont voulu s’unir à cette célébration et nous faire ainsi honneur, à nous et à toute notre communauté locale. Je leur exprime ma profonde gratitude.

1. Je vous salue cordialement, frères et fils de l’Église catholique, évêques, prêtres, religieux, religieuses, fidèles laïcs, appartenant aux diverses communautés catholiques de la ville et aux divers rites et je salue aussi, à travers vous, tous les catholiques de ce grand pays. Je vous remercie de votre accueil chaleureux et filial, ainsi que pour la joie que vous me donnez. Je voudrais également adresser mes vifs remerciements à tous ceux qui ont rendu possible ce voyage, et d’une manière particulière aux autorités de ce pays, qui m’ont accueilli avec tant de courtoisie. Ma rencontre avec vous, frères et soeurs dans le Seigneur, me remplit d’une immense joie J’apprécie votre présence active dans cette splendide cité historique, riche de tant de témoignages chrétiens admirables. Et comment oublier que les points essentiels de notre foi ont trouvé leur formulation dogmatique dans les Conciles oecuméniques tenus dans cette ville, ou dans les villes voisines, et qui en portent désormais le nom : Nicée Constantinople, Éphèse, Chalcédoine ? Comment ne pas évoquer avec émotion les Pères de l’Église d’Orient, pasteurs et docteurs, qui sont nés dans cette région ou y ont exercé un apostolat hors pair, en nous laissant des écrits lumineux qui sont aujourd’hui une nourriture et une référence pour toute l’Église, en Occident comme en Orient ? Je pense notamment à saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople, dont le courage, la clarté, la profondeur, l’éloquence en ont fait le modèle du pasteur et du prédicateur. Je pense à toute cette vie contemplative qui a fleuri ici au cours des siècles à l’école des maîtres spirituels, je pense à la fidélité de la foi à travers bien des épreuves. Chers frères et soeurs, aujourd’hui, vous héritez en quelque sorte de ce trésor et de ces exemples qui doivent fructifier dans vos âmes. Je suis heureux de vous voir professer cette foi avec conviction, avec persévérance, en esprit de sacrifice. En divers domaines et de diverses manières, vous rendez un service apprécié à l’Église et à ce pays. Que vous agissiez directement dans le domaine ecclésial ou que vous vous adonniez à des activités culturelles plus générales, ou à l’éducation de la jeunesse, ou aux oeuvres de charité vous voulez exprimer votre foi en servant toujours l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26-27), et en contribuant à construire l’Église de Dieu, édifiée sur le fondement des apôtres et sur la pierre angulaire qu’est le Christ (cf. Ep 2,20)

2. Frères et soeurs, j’ai désiré célébrer avec vous cette sainte liturgie, particulièrement en cette heureuse circonstance de la fête de l’apôtre saint André. André fut le premier appelé à suivre Jésus. « Venez et voyez », avait dit le Seigneur (Jn 1,39). Et André se mit en marche, il le suivit, et il demeura « auprès de lui ce jour-là ». Et non seulement « ce jour-là » ; il le suivit durant toute sa vie ; il le vit opérer des miracles, guérir les malades, pardonner les péchés, rendre la vue aux aveugles, ressusciter les morts ; il connut sa douloureuse passion et sa mort, et il le vit ressuscité. Et il continua à croire en lui jusqu’au témoignage final du martyre.

La célébration de la fête d’un saint nous rappelle notre propre vocation à la sainteté. Saint Pierre, le frère d’André, nous le rappelle d’une manière stimulante dans sa lettre écrite précisément aux chrétiens d’Asie Mineure : « Montrez-vous saints vous aussi dans toute votre conduite, de même que Celui qui vous a appelés est saint. » (1P 1,15)

157 La vocation chrétienne est sublime et exigeante, et elle serait irréalisable pour nous si l’Esprit de Dieu ne nous donnait pas la lumière pour comprendre et la force nécessaire pour agir. Mais le Christ nous a aussi assurés de son assistance : « Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,20)

Oui, la vocation chrétienne est une vocation à la perfection, pour édifier le Corps du Christ « jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme parfait, à la mesure de la taille de la plénitude du Christ » (Ep 4,13). Fermes dans la foi puissions-nous croître de toutes manières « en pratiquant la vérité dans la charité » (Ep 4,15).

3. Élargissons maintenant notre méditation au mystère de l’Église. Saint André, le premier appelé, patron de l’Église de Constantinople, est le frère de saint Pierre, le choryphée des apôtres, fondateur avec saint Paul de l’Église de Rome et son premier évêque. D’un côté, ce fait nous rappelle un drame du christianisme, la division entre l’Orient et l’Occident, mais il nous rappelle aussi la réalité profonde de la communion qui existe, nonobstant toutes les divergences, entre les deux Églises.

Comme il nous faut remercier le Seigneur d’avoir fit surgir, au cours des dernières décennies, des pionniers éclairés et des artisans infatigables de l’unité, tels que le Patriarche Athénagoras, de vénérée mémoire, et mes grands prédécesseurs, le Pape Jean XXIII — dont cette cité et cette Église conservent avec honneur le souvenir — et le Pape Paul VI qui est venu vous rencontrer avant moi ! Leur action a été féconde pour la vie de l’Église et pour la recherche de la pleine unité entre nos Églises, qui s’appuient sur l’unique pierre angulaire qu’est le Christ et sont édifiées sur le fondement des apôtres.

Les contacts toujours plus intenses de ces dernières années ont fait redécouvrir la fraternité entre nos deux Églises et la réalité d’une communion entre elles, même si elle n’est pas parfaite. L’Esprit de Dieu nous a aussi montré de manière toujours plus claire l’exigence qui s’impose de réaliser la pleine unité afin de rendre un témoignage plus efficace pour notre temps.

Ma visite au Patriarche oecuménique et mon pèlerinage à Éphèse, où Marie a été proclamée « Theotokos « Mère de Dieu», a pour but de servir — dans la mesure où je le puis et pour autant que le Seigneur le permettra — à cette sainte cause. Je remercie la Providence d’avoir guidé mes pas jusqu’en ces lieux.

Nous sommes à la veille de l’ouverture du dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe dans son ensemble. Il s’agit d’une autre phase importante du processus vers l’unité. Ce dialogue sera appelé, en partant de ce que nous avons en commun, à identifier, affronter et résoudre toutes les difficultés qui nous interdisent encore la pleine unité. Demain, je participerai à la célébration de la fête de saint André dans l’église du Patriarcat oecuménique. Nous ne pourrons pas concélébrer. C’est là le signe le plus douloureux du malheur introduit dans l’unique Église du Christ par la division. Mais, grâce à Dieu, nous célébrons désormais ensemble, depuis quelques années, la fête des protecteurs de nos Églises, comme gage et volonté effective de la pleine concélébration ; à Rome, nous célébrons la fête des saints Pierre et Paul en présence d’une délégation orthodoxe, et on célèbre au Patriarcat oecuménique la fête de saint André avec une présence catholique.

La communion dans la prière nous conduira à la pleine communion dans l’Eucharistie. J’ose espérer que ce jour est proche. Personnellement, je le souhaiterais très proche. N’avons-nous pas déjà en commun la même foi eucharistique et les véritables sacrements, en vertu de la succession apostolique ? Souhaitons que la communion totale dans la foi, notamment dans le domaine ecclésiologique, permettra bientôt cette pleine « communicatio in sacris ». Déjà mon vénéré prédécesseur, le Pape Paul VI, avait désiré voir ce jour, tout comme le Patriarche Athénagoras Ier ; ainsi s’exprimait-il en parlant de ce dernier aussitôt après sa mort : « Toujours il résumait ses sentiments en une seule et suprême espérance : celle de pouvoir avec nous boire au même calice, c’est-à-dire célébrer ensemble le sacrifice eucharistique, synthèse et couronnement de la commune identification ecclésiale avec le Christ. Cela, nous l’avons aussi tant désiré ! Maintenant ce désir irréalisé doit demeurer notre héritage et notre engagement. » (Angélus du 9 juillet 1972.) (2) Pour ma part, en reprenant cet héritage, je partage ardemment ce désir, que le temps et les progrès dans l’union ne font qu’aviver.

4. Je sais que vous aussi, catholiques de cette ville et de toute la Turquie, vous êtes conscients de l’importance que revêt la recherche de la pleine unité entre les chrétiens. Je sais que vous priez et que vous travaillez dans ce but, et que vous avez des contacts fraternels avec l’Église orthodoxe et avec les autres chrétiens de votre ville et de votre pays. Je vous en suis profondément reconnaissant.

Je sais aussi que vous cherchez des rapports d’amitié avec les autres croyants qui invoquent le nom du Dieu unique, et que vous êtes des citoyens actifs et loyaux de ce pays où vous formez une minorité. Je vous y encourage de tout coeur.

Que Dieu vous bénisse ! Qu’il bénisse vos communautés, vos familles, vos personnes, spécialement ceux qui souffrent et pour lesquels j’aurai une intention particulière. Et qu’il vous accorde toujours ce dont vous avez besoin pour lui rendre dans votre vie un témoignage toujours plus fidèle.

158 5. Et maintenant, chers frères et soeurs, je vous invite à prier avec ferveur, au cours de ce sacrifice eucharistique, pour la pleine communion de nos Églises. Le progrès dans l’unité s’appuiera sur nos efforts, sur nos travaux théologiques, sur nos démarches répétées, et spécialement sur notre charité mutuelle ; mais c’est en même temps une grâce du Seigneur. Supplions-le d’aplanir les obstacles qui ont retardé jusqu’ici la marche vers la pleine unité. Supplions-le de donner, à tous ceux qui collaborent au rapprochement, son Esprit-Saint qui les conduira vers la vérité entière, qui élargira leur charité, qui les rendra impatients de l’unité. Suppliez-le pour que nous-mêmes, pasteurs des Églises-soeurs , nous soyons les meilleurs instruments en cette heure de l’Histoire, pour régir ces Églises, c’est-à-dire pour les servir comme le veut le Seigneur, et servir ainsi l’unique Église qui est son Corps. Au cours du second millénaire, nos Églises s’étaient comme figées dans leur séparation. Voici que le troisième millénaire du christianisme est à nos portes. Puisse l’aube de ce nouveau millénaire se lever sur une Église qui a retrouvé sa pleine unité, pour mieux témoigner, au milieu des tensions exacerbées de ce monde, de l’amour transcendant de Dieu, manifesté en son Fils Jésus-Christ.

Dieu seul connaît les temps et les moments. Pour nous, veillons et prions, dans l’espérance, avec la Vierge Marie, la Mère de Dieu, qui ne cesse de veiller sur l’Église de son Fils, comme elle a veillé sur les apôtres. Amen.



Homélies St Jean-Paul II 20109