Discours 1999 192


AUX PROFESSEURS ET SÉMINARISTES DE PARIS

25 Octobre 1999

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Monsieur le Cardinal,

Chers Amis,


1. Je suis heureux de vous accueillir, professeurs et séminaristes de Paris, avec votre archevêque Monsieur le Cardinal Jean-Marie Lustiger, auquel je m’associe particulièrement à quelques jours de son vingtième anniversaire d’épiscopat. Je salue l’attention que le diocèse de Paris porte à la formation sacerdotale dont l’importance est capitale (cf. décret Optatam totius, préambule). Les éléments qui sont acquis pendant la période de formation, temps de discernement par l’Église, sont pour chaque prêtre comme la charte de sa vie sacerdotale. L’année à la Maison Saint- Augustin vous permet d’approfondir votre Baptême par une relation d’intimité avec le Christ, notamment par la parole de Dieu et les sacrements, afin de répondre à son appel. Vous marchez ainsi résolument sur le chemin de sa Pâque, en devenant à sa suite pauvres, obéissants et chastes. Votre formation au séminaire et la formation permanente vous rendent disponibles pour la mission. Ce que vous avez commencé à pratiquer avec régularité doit demeurer la règle de votre vie: rencontre du Seigneur dans les sacrements, en particulier l’Eucharistie, amour confiant envers l’Église, prière liturgique et personnelle, lectio divina, vie fraternelle, qui est comme l’âme du presbytérium, et sollicitude envers le peuple de Dieu, notamment envers les pauvres.

2. Vous êtes appelés à scruter le mystère chrétien, pour entrer dans l’intelligence de la foi. Ce n’est pas une simple connaissance, mais un chemin de croyant où l'on se laisse d’abord modeler et unifier par le credo afin de proclamer l’Évangile en des termes adaptés à notre temps. L’étude de l’Écriture, lue dans la Tradition, doit être au coeur de votre vie; elle “est comme l’âme de la théologie” (Dei Verbum
DV 24), et, pour répondre à la crise actuelle du sens de l’homme, elle “présuppose et implique une philosophie de l’homme, du monde et plus radicalement de l’être, fondée sur la vérité objective” (encyclique Fides et Ratio FR 66).

3. Par l’ordination sacerdotale, vous serez configurés au Christ Tête et Pasteur. Aimez l’Église de l’amour même dont le Seigneur l’a aimée, se livrant pour Elle (cf. Ep 5,25)! À temps et à contretemps, proclamez le mystère de la Croix par votre vie, par la prédication, par le don des sacrements! Vous serez ainsi, pour vos frères, de vrais pasteurs et de vrais serviteurs, disponibles et prompts à répondre aux exigences de l’annonce du salut, dans le respect et l’obéissance dus à votre évêque.

Je confie votre formation sacerdotale à la Vierge Marie, Mère du Christ et Trône de la Sagesse. Qu’Elle vous apprenne à répondre avec joie à la volonté de Celui qui vous appelle!





AUX PARTICIPANTS À LA CÉRÉMONIE CONCLUSIVE DE L'ASSEMBLÉE INTERRELIGIEUSE Jeudi 28 octobre 1999

28109 Eminents représentants religieux,
Chers amis,



1. Dans la paix que le monde ne peut donner, je vous salue, vous tous réunis ici sur la place Saint-Pierre en conclusion de l'Assemblée interreligieuse qui a eu lieu au cours de ces derniers jours. Tout au long des années de mon pontificat, et en particulier au cours de mes visites pastorales dans les diverses parties du monde, j'ai eu la grande joie de rencontrer d'innombrables autres chrétiens et membres d'autres religions. Aujourd'hui, cette joie est renouvelée ici, auprès de la tombe de l'Apôtre Pierre, dont j'ai pour tâche de poursuivre le ministère dans l'Eglise. Je me réjouis de vous rencontrer tous, et je rends grâce à Dieu tout-puissant qui inspire notre désir de compréhension et d'amitié réciproques. Je suis conscient du fait que de nombreux et vénérés chefs religieux ont parcouru de longues distances pour être présents à cette cérémonie qui conclut l'Assemblée interreligieuse. Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont oeuvré pour promouvoir l'esprit qui rend cette Assemblée possible. Nous venons d'écouter le Message, qui est le fruit de vos délibérations.



2. J'ai toujours considéré que les chefs religieux jouaient un rôle vital pour alimenter l'espérance de justice et de paix sans laquelle il n'y a pas d'avenir digne de l'humanité. Tandis que le monde s'apprête à vivre la fin d'un millénaire et le début d'un nouveau, il est juste que nous prenions le temps de regarder en arrière, afin de considérer la situation présente et de nous tourner ensemble avec espoir vers l'avenir.
Tandis que nous examinons la situation de l'humanité, est-il exagéré de parler de crise de la civilisation? Nous constatons de grands progrès technologiques, mais ceux-ci ne sont pas toujours accompagnés par de grands progrès spirituels et moraux. Nous constatons également un écart croissant entre les riches et les pauvres, au niveau des personnes et des nations.
Nombreux sont ceux qui font de grands sacrifices pour faire preuve de solidarité envers les personnes qui souffrent de la faim ou de la maladie, mais il manque encore la volonté collective de surmonter les inégalités scandaleuses et de créer de nouvelles structures qui permettront à tous les peuples d'avoir une part équitable des ressources du monde.

Il y a également les nombreux conflits qui éclatent continuellement dans le monde - les guerres entre nations, les conflits armés au sein des nations, des conflits qui persistent comme une plaie suppurante, et qui ont désespérément besoin d'une guérison qui ne semble jamais arriver. Ce sont inévitablement les faibles qui souffrent le plus dans ces conflits, en particulier lorsqu'ils sont arrachés à leurs maisons et obligés de fuir.



3. Ce n'est certainement pas la façon dont l'humanité est appelée à vivre. N'est-il donc pas juste de dire qu'il existe bien une crise de la civilisation, qui ne peut être résolue que par une nouvelle civilisation de l'amour, fondée sur les valeurs universelles de la paix, de la solidarité, de la justice et de la liberté (cf. Tertio millennio adveniente,
TMA 52)?
Certains prétendent que la religion est une partie du problème, car elle freine le chemin de l'humanité vers la paix et la prospérité véritables. En tant qu'hommes religieux, il est de notre devoir de démontrer que ce n'est pas le cas. Toute utilisation de la religion visant à promouvoir la violence est un abus de la religion. La religion n'est pas et ne doit pas devenir un prétexte pour les conflits, en particulier lorsque l'identité religieuse, culturelle et ethnique coïncident. La religion et la paix vont de pair: faire la guerre au nom de la religion est une contradiction flagrante (cf. Discours aux participants à la VI Assemblée de la Conférence mondiale sur la Religion et la Paix, 3 novembre 1994, n. 2). Les chefs religieux doivent clairement montrer qu'ils s'engagent à promouvoir la paix précisément en vertu de leur croyance religieuse.
Le devoir qui nous attend consiste donc à promouvoir une culture du dialogue. Individuellement et ensemble, nous devons montrer que la croyance religieuse inspire la paix, encourage la solidarité, promeut la justice et défend la liberté. Mais l'enseignement seul ne suffit jamais, aussi indispensable soit-il. Il doit donc être traduit en action. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Paul VI, a souligné qu'à notre époque, les personnes portent davantage d'attention aux témoins qu'aux maîtres, qu'ils écoutent les enseignants s'ils sont dans le même temps des témoins (cf. Evangelii nuntiandi, EN 41). Il suffit de penser au témoignage inoubliable de personnes comme le Mahatma Gandhi ou Mère Teresa de Calcutta, pour ne mentionner que deux figures ayant eu un impact considérable dans le monde.



4. De plus, la force du témoignage réside dans le fait qu'il est partagé. C'est un signe d'espérance que dans de nombreuses parties du monde, des associations interreligieuses ont été établies afin de promouvoir des réflexions et des actions communes. Dans certains lieux, les chefs religieux ont été des instruments de médiation entre des parties en conflit. Ailleurs, on a fait cause commune pour protéger les enfants à naître, pour promouvoir les droits des femmes et des enfants et pour défendre les innocents. Je suis convaincu que l'intérêt croissant pour le dialogue entre les religions représente l'un des signes d'espérance présents dans la dernière partie de ce siècle (cf. Tertio millennio adveniente, TMA 46). Pourtant, il faut continuer. Une plus grande estime mutuelle et une confiance croissante doivent conduire à une action commune encore plus efficace et coordonnée au nom de la famille humaine. Notre espérance naît non seulement des capacités du coeur et de l'esprit humains, mais comme une dimension divine qu'il est juste de reconnaître. Ceux d'entre nous qui sont chrétiens croient que cette espérance est un don de l'Esprit Saint, qui nous appelle à élargir nos horizons, à regarder au-delà de nos besoins personnels et des besoins de nos communautés particulières, vers l'unité de toute la famille humaine.
L'enseignement et l'exemple de Jésus-Christ ont donné aux chrétiens un sens précis de la fraternité universelle de tous les peuples. La conscience que l'Esprit de Dieu est à l'oeuvre là où il veut (cf. Jn 3,8), nous empêche d'émettre des jugements hâtifs et dangereux, car elle suscite la reconnaissance de ce qui se cache dans le coeur des autres. Cela ouvre la voie à la réconciliation, à l'harmonie et à la paix. De cette conscience spirituelle jaillit la compassion et la générosité, l'humilité et la modestie, le courage et la persévérance. Ce sont des qualités dont l'humanité a toujours plus besoin tandis qu'elle s'approche du nouveau millénaire.



5. Tandis que nous nous réunissons ici aujourd'hui, peuples de nombreuses nations représentant de nombreuses religions du monde, comment ne pas rappeler la rencontre à Assise, il y a treize ans, pour la Journée mondiale de Prière pour la Paix? Depuis cette époque, l'"esprit d'Assise" a été maintenu vivant à travers diverses initiatives dans différentes parties du monde. Hier, ceux d'entre vous qui participaient à l'Assemblée interreligieuse se sont rendus à Assise pour l'anniversaire de cette rencontre mémorable de 1986. Vous êtes allés solliciter une fois de plus l'esprit de cette rencontre et puiser une nouvelle inspiration de la figure du Poverello de Dieu, l'humble et joyeux saint François d'Assise. Laissez-moi répéter ici ce que j'ai dit au terme de cette journée de jeûne et de prière:
"Le fait même que, de diverses régions du monde, nous soyons venus à Assise est en soi un signe de ce chemin commun que l'humanité est appelée à parcourir. Ou bien nous apprenons à marcher ensemble dans la paix et l'harmonie, ou bien nous partons à la dérive pour notre ruine et celle des autres. Nous espérons que ce pèlerinage à Assise nous aura réappris à prendre conscience de l'origine commune et de la destinée commune de l'humanité. Puissions-nous y voir une préfiguration de ce que Dieu voudrait que soit le cours de l'histoire de l'humanité: une route fraternelle sur laquelle nous nous accompagnons les uns les autres vers la fin transcendante qu'il établit pour nous" (Discours lors de la conclusion de la Journée mondiale de Prière pour la Paix, Assise, 27 octobre 1986, n. 5, cf. ORLF n. 44 du 4 novembre 1986).
Notre rencontre ici aujourd'hui, sur la place Saint-Pierre, représente une autre étape de ce voyage. Dans toutes les nombreuses langues de la prière, demandons à Dieu de nous illuminer, de nous guider et de nous donner la force afin que, en tant qu'hommes et femmes qui puisent leur inspiration de leur croyance religieuse, nous puissions oeuvrer ensemble pour édifier l'avenir de l'humanité dans l'harmonie, la justice, la paix et l'amour.






AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DES RÉGIONS DU CANADA OCCIDENTAL EN VISITE "AD LIMINA"

Samedi 30 octobre 1999

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Chers frères dans l'épiscopat,

1. Dans l'amour du Christ à travers lequel "nous avons reçu grâce et apostolat" (
Rm 1,5), je vous salue, chers évêques d'Alberta, British Columbia, Manitoba, Saskatchewan, des territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du nouveau territoire de Nunavit, à l'occasion de votre visite ad limina Apostolorum. Le ministère que nous avons reçu comporte non seulement de grandes joies, mais aussi parfois de lourds fardeaux et même des peines. Vous apportez tout cela aux Tombeaux des Apôtres, afin de pouvoir apprendre une fois de plus de leur témoignage éternel que, quels que soient les fardeaux et les peines, le ministère apostolique que nous avons reçu est en effet une grande joie pour nous et pour tout le Peuple de Dieu, car ce n'est rien d'autre que la joie de prêcher l'Evangile, qui est "une force de Dieu pour le salut de tout homme" (Rm 1,16). En revivant cette joie ici, à Rome, vous réaffirmez les liens de communion hiérarchique avec le Successeur de Pierre et avec tout le Collège des Evêques, qui représente le signe et la garantie la plus certaine de l'unité et de la persévérance de l'Eglise dans la foi une, sainte, catholique et apostolique.


2. L'approche du grand Jubilé et le nouveau millénaire nous encouragent à méditer sur le mystère du temps, qui est d'une importance fondamentale dans la Révélation et la théologie chrétienne (cf. Tertio millennio adveniente TMA 10). Car c'est dans le temps que le monde a été créé et c'est dans le temps que le dessein de Dieu pour la rédemption du monde s'est réalisé, atteignant son sommet dans l'Incarnation du Fils de Dieu. Puisque le temps est le lieu de la création et de la rédemption, nous pouvons dire que dans le "Verbe incarné, le temps devient une dimension de Dieu, qui est en lui-même éternel" (ibid. TMA TMA 10). C'est de là que découle le devoir de l'Eglise de sanctifier le temps, ce qu'elle fait en particulier dans la commémoration liturgique des événements de l'histoire du salut et dans la célébration des occasions et des anniversaires particuliers. Cette sanctification du temps est une reconnaissance de la vérité proclamée par l'Eglise à la veille de Pâques, selon laquelle tous les temps et toutes les époques appartiennent au Christ (cf. Liturgie de la Lumière). "Le Christ est le Seigneur du temps; il est son commencement et son achèvement; chaque année, chaque jour, chaque moment est inclu dans son Incarnation et dans sa Résurrection pour se retrouver ainsi dans la "plénitude des temps"" (Tertio millennio adveniente TMA 10 cf. Incarnationis mysterium, n. 1; Dies Domini, n. 15). Sanctifier le temps signifie donc reconnaître ce que Dieu a fait du temps dans Jésus, et comment le temps s'est lui-même transfiguré dans le Mystère pascal.

Pour le monde non racheté, le temps est toujours un motif de terreur, car il conduit inexorablement à faire l'expérience des limites de la vie et de l'énigme de la mort. Toute religion, donc, traite d'une certaine façon des questions les plus fondamentales: Qu'est ce que l'homme? Quel est le but de la vie? Qu'y a-t-il après cette existence terrestre? (cf. Gaudium et spes GS 10). Dans la Résurrection de Jésus-Christ, la peur du temps est détruite une fois pour toutes, car si la mort perd son aiguillon au moment de la Pâque (cf. 1Co 15,55), le temps le perd également. C'est la Résurrection qui brise la barrière apparemment insurmontable entre le temps et l'éternité et ouvre la voie à la pleine expérience du temps en tant que don et défi. Dans ce sens, saint Paul presse les disciples du Christ à "tirer bon parti de la période présente, car nos temps sont mauvais" (Ep 5,16). Son appel est particulièrement significatif lorsqu'il s'applique aux responsabilités de l'Evêque pour la vie de la communauté chrétienne confiée à ses soins.


3. Enfin, c'est en raison de l'Incarnation et de la vision sacramentelle qu'elle comporte (cf. Orientale lumen, n. 11), que l'Eglise est si profondément engagée dans le monde, dans le temps, et donc dans tout ce qui est humain. Parce que le Verbe s'est fait chair, le corps humain est important; de même que les conditions physiques, sociales et culturelles de la famille humaine.
Parce que le Verbe s'est fait chair dans le temps, l'histoire humaine est importante; la vie quotidienne des hommes et des femmes est importante. Dans cette perspective, nous pouvons dire que l'Eglise est "du monde" dans un sens très positif, tout comme Dieu lui-même était du monde lorsqu'il envoya son Fils parmi nous en tant qu'homme. De cette façon, être du monde signifie que l'Eglise est engagée de tout coeur dans l'histoire et la culture, mais afin de les transformer, de transformer la peur en joie avec la puissance de l'Evangile.

Pourtant, le christianisme est également une eschatologie. Le Nouveau Testament ne laisse aucun doute sur le fait que nous vivons "les derniers jours", que le monde tel que nous le connaissons disparaît et qu'il n'est en aucun cas absolu, encore moins divin. Il est vrai que même dans le Nouveau Testament, nous voyons des signes de l'affaiblissement de la première ferveur eschatologique, lorsque disparaît l'attente initiale d'un retour imminent du Seigneur. Mais, en dépit de cette reformulation de l'attente eschatologique, l'Eglise n'a jamais cessé d'attendre le retour du Seigneur, qui sera la fin du monde mais également le plein accomplissement de sa rédemption.
Ainsi, la compréhension chrétienne du dimanche comme le "huitième jour", qui puise à la riche symbolique eschatologique du Sabbat juif afin d'évoquer "le siècle à venir" (cf. Dies Domini, n. 26), nous rappelle non seulement le début lorsque Dieu a fait toutes les choses, mais indique la fin lorsqu'il restaurera toutes les choses dans le Christ (cf. Ep 1,10).

La vie chrétienne comprend donc des éléments de l'Incarnation et de l'eschatologie: et notre préoccupation première en tant que Pasteurs consiste à nous assurer qu'il existe un équilibre entre eux, que les Eglises que nous présidons au nom du Christ ne sont ni trop du monde, ni trop éloignées du monde, qu'elles sont "dans le monde mais pas du monde" (cf. Jn 17, 11, 15-16). Ici, la question de la relation entre l'Eglise et le monde est cruciale; elle a représenté un thème fondamental du Concile Vatican II et reste une question centrale pour la vie de l'Eglise à l'aube du nouveau millénaire, en particulier dans votre pays. La réponse que nous apporterons à cette question déterminera le parcours que nous établirons pour résoudre d'autres questions importantes.


4. Comme pasteurs, il nous faut guider le troupeau du Christ sur un chemin qui doit éviter les tentations de supprimer ou de développer exagérément la séparation entre l'Eglise et le monde, entre le message chrétien et la culture qui prévaut dans le monde actuel; l'Evangile n'enseigne ni la suppression ni l'exagération; ni l'une ni l'autre n'est fidèle à l'enseignement du Concile, ni ne peut être la voie d'un avenir que Dieu a en vue pour l'Eglise. Nous avons besoin d'une autre voie, et l'enseignement du Pape Paul VI peut nous aider à la trouver. L'Encyclique Ecclesiam suam a souvent été considérée à juste titre comme "l'Encyclique du dialogue", car elle met en évidence avec beaucoup de détails ce que le Pape Paul VI décrivait comme l'"attitude" que l'Eglise devrait adopter dans cette période de l'histoire du monde (cf. ch. III), une attitude qui engage à la fois un style et une méthode pour rejoindre la société moderne. Certes, les circonstances ont changé depuis les années où l'Encyclique Ecclesiam suam a été écrite, mais son enseignement sur le dialogue de l'Eglise avec le monde demeure au moins aussi pertinent maintenant qu'il ne l'était en 1964. Paul VI utilisait la formule colloquium salutis. Ce dialogue (colloquium) a son fondement dans ce qu'écrivait saint Jean, "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle" (Jn 3,16). L'Eglise a pour les hommes et les femmes de tous les temps et de tous les lieux un don précieux qu'elle ne peut pas manquer de leur apporter, même lorsque son offre est mal comprise ou refusée.


5. Une partie intégrale de ce don est la vérité sur la personne humaine, créée à l'image de Dieu, vérité pleinement révélée en Jésus-Christ et confiée à l'Eglise. Nous, évêques, ne devons par-dessus tout jamais perdre confiance dans l'appel que nous avons reçu à servir humblement et résolument cette vérité en tant que maîtres et pasteurs appelés à défendre la vérité et à la répandre dans un moment crucial de l'histoire, alors que de nouvelles connaissances, de nouvelles technologies et un bien-être matériel sans précédent poussent à entrer dans un "monde nouveau" de responsabilité et d'épanouissement humains. La défense de la dignité inaliénable et de la valeur de la vie elle-même est la première défense à effectuer. Comme vous l'avez souligné dans vos enseignements, l'"Evangile de la vie" n'est pas pour les chrétiens une simple opinion; il est une dimension essentielle de notre obéissance à Dieu. Chacun a une obligation sérieuse d'être au service de cet Evangile: "Nous sommes tous activement impliqués, et nous ne pouvons éluder notre responsabilité de faire un choix inconditionnel en faveur de la vie" (Encyclique Evangelium vitae EV 28). Dans la catéchèse, dans l'éducation, dans le domaine de la recherche et de la pratique médicales, parmi les législateurs et les responsables de la vie publique, ainsi que dans les médias, un grand effort doit être fait pour présenter l'"Evangile de la vie" dans la pleine force de sa vérité.

196 Comme pasteurs, nous sommes pleinement conscients que de nombreuses vérités se font entendre aujourd'hui sur les questions fondamentales du comportement humain, de sorte que, dans de nombreux cas, les exhortations et l'enseignement de la morale chrétienne deviennent des combats pénibles. Beaucoup d'entre vous m'ont dit combien ils ont été aidés dans la grande tâche de la formation par le Catéchisme de l'Eglise catholique. Ce résumé de l'enseignement de l'Eglise peut être un outil très efficace pour transmettre une profonde et solide connaissance de la foi et des règles de la vie chrétienne, dans les paroisses, les écoles, les universités et les séminaires. Au cours des dernières décennies, il y a eu des cas où les efforts pour rendre les vérités de la foi plus accessibles, spécialement dans la catéchèse des enfants et des jeunes, ont conduit à vider le message chrétien de son essence et de sa puissance. Il n'y a sans doute rien de plus urgent dans notre ministère pastoral, rien pour lequel nous ayons une plus grande responsabilité devant le Seigneur, que d'assurer la transmission de la foi qui nous a été communiquée par les Apôtres.


6. Enseigner la foi et évangéliser signifie proclamer au monde une vérité absolue et universelle; mais il est de notre devoir de parler de manière appropriée et éloquente, qui rende les personnes réceptives à cette vérité. En considérant ce que cela comporte, Paul VI a spécifié quatre qualités, qu'il a appelées perspicuitas, lenitas, fiducia, prudentia - clarté, douceur, confiance et prudence (Ecclesiam suam, n. 81).

Parler avec clarté signifie que nous devons expliquer de façon compréhensible la vérité de la Révélation et les enseignements de l'Eglise. Nous ne devrions pas simplement répéter, mais expliquer. En d'autres termes, nous avons besoin d'une nouvelle apologétique, tournée vers les besoins d'aujourd'hui, qui garde à l'esprit que notre tâche ne consiste pas simplement à prévaloir dans les discussions, mais à conquérir les âmes, à s'engager non pas dans des querelles idéologiques, mais à faire valoir et à promouvoir l'Evangile. Une telle apologétique aura besoin de trouver une "grammaire" commune avec ceux qui voient les choses différemment et qui ne partagent pas nos affirmations, pour que nous ne finissions pas par parler des langues différentes, même si nous utilisons la même langue.

Cette nouvelle apologétique aura également besoin de respirer un esprit de douceur, d'humilité compatissante qui comprend les angoisses et les interrogations des personnes et qui ne s'empresse pas de déceler en elles la mauvaise volonté ou la mauvaise foi. Dans le même temps, elle ne donnera pas lieu à un sens sentimental de l'amour et de la compassion du Christ détachée de la vérité, mais elle insistera au contraire sur le fait que le véritable amour et la véritable compassion peuvent exiger des demandes radicales, précisément parce qu'elles sont inséparables de la vérité qui seule nous libère (cf.
Jn 8,32).

Parler avec confiance signifiera que, bien que les autres puissent nier notre compétence spécifique ou nous reprocher les manquements des membres de l'Eglise, nous ne devons jamais perdre de vue le fait que l'Evangile de Jésus-Christ est la vérité à laquelle tous les peuples aspirent, quelque distants, réticents ou hostiles qu'ils semblent.

Et, enfin, la prudence, que Paul VI appelle la sagesse pratique et le bon sens, et que Grégoire le Grand considère être la vertu des courageux (Moralia, 22, 1) signifiera que nous devons apporter une réponse claire aux personnes qui demandent: "Que devons-nous faire?" (Lc 3, 10, 12, 14). Le Pape Paul VI a conclu en affirmant que parler avec perspicuitas, lenitas, fiducia et prudentia "fera de nous des sages, fera de nous des maîtres" (Ecclesiam suam, n. 83). C'est ce à quoi nous sommes appelés avant tout, chers frères, maîtres de la vérité, qui ne cessons jamais de prier pour "la grâce de voir la vie dans sa plénitude et le pouvoir d'en parler de façon efficace" (Grégoire le Grand, In Ezechielem, I, 11, 6).


7. Ce que nous enseignons n'est pas une vérité que nous avons établie, mais une vérité révélée qui nous est parvenue à travers le Christ comme un don incomparable. Nous sommes envoyés pour proclamer cette vérité et pour appeler ceux qui nous entendent à ce que l'Apôtre Paul définit comme l'"obéissance à la foi" (Rm 1,5). Puissent les martyrs canadiens, dont vous célébrez la mémoire avec une joie particulière en ce 350 anniversaire de leur mort, ne jamais cesser d'enseigner aux fidèles du Christ au Canada la vérité de cette obéissance et de cette mort à eux-mêmes afin de vivre pour le Christ. Puissent-ils enseigner à l'Eglise qui est au Canada le mystère de la Croix, et puisse la semence de leur sacrifice apporter une riche moisson dans les coeurs canadiens! Je confie tout le foyer de Dieu qui est dans votre pays à l'intercession de la Vierge Marie, Reine des Apôtres et Reine des Martyrs, et à la protection de saint Joseph, son époux. Sur vous, sur les prêtres, les religieuses et les religieux, ainsi que sur les fidèles laïcs de vos diocèses, j'invoque de tout coeur ma Bénédiction apostolique.

Novembre 1999

VOYAGE DU PAPE JEAN PAUL II EN INDE ET EN GÉORGIE


AUX REPRÉSENTANTS DES AUTRES RELIGIONS ET DES AUTRES CONFESSIONS CHRÉTIENNES

Dimanche 7 novembre 1999

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Eminents responsables religieux,
Chers amis,

1. C'est pour moi une grande joie de visiter une fois de plus la bien-aimée terre d'Inde et d'avoir l'occasion en particulier de vous saluer, représentants des différentes traditions religieuses, qui incarnez non seulement les grands progrès du passé, mais également l'espérance d'un avenir meilleur pour la famille humaine. Je remercie le gouvernement et le peuple de l'Inde pour l'accueil qui m'a été réservé. Je viens parmi vous comme pèlerin de paix et comme voyageur sur la route qui conduit à la satisfaction complète des plus profonds désirs humains. A l'occasion du Diwali, la fête des lumières, qui symbolise la victoire de la vie sur la mort, du bien sur le mal, j'exprime l'espoir que cette rencontre parle au monde entier des choses qui nous unissent: notre origine commune, notre destin commun, notre responsabilité commune pour le bien-être et le progrès des personnes, notre besoin de lumière et de force que nous recherchons dans nos convictions religieuses. Au cours des siècles et de tant de manières, l'Inde a enseigné la vérité que les grands maîtres chrétiens proposent, c'est-à-dire que les hommes et les femmes, "par instinct", sont profondément orientés vers Dieu et Le cherchent dans la profondeur de leur être (cf. Saint Thomas d'Aquin, Summa theologiae, III 60,5, 3). Sur cette base, je suis convaincu qu'ensemble, nous pourrons emprunter avec succès le chemin de la compréhension et du dialogue.


2. Ma présence ici parmi vous, veut être un signe ultérieur du fait que l'Eglise catholique désire instaurer de façon toujours plus intense le dialogue avec les religions du monde. Elle considère que ce dialogue est un acte d'amour qui puise ses racines dans Dieu lui-même. "Dieu est amour", proclame le Nouveau Testament, "celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui [...] aimons-nous, puisque lui nous a aimés le premier [...] celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas" (
1Jn 4, 16, 19-20).

Le fait que les religions du monde deviennent toujours plus conscientes de leur responsabilité commune pour le bien-être de la famille humaine, est un signe d'espérance. Il s'agit d'une part cruciale de la globalisation de la solidarité qui doit exister, si l'on veut que le monde à venir soit sûr. Ce sens de responsabilité partagée augmente au fur et à mesure que nous découvrons ce que nous avons en commun en tant qu'hommes et femmes religieux.

Qui de nous ne doit pas affronter le mystère de la souffrance et de la mort? Qui de nous ne considère pas la vie, la vérité, la paix, la liberté et la justice comme des valeurs hautement importantes? Qui de nous n'est pas convaincu que la bonté morale est sainement enracinée dans l'ouverture de la société et de l'individu au monde transcendant de la divinité? Qui de nous ne croit pas que la voie vers Dieu exige la prière, le silence, l'ascétisme, le sacrifice et l'humilité? Qui de nous n'est pas préoccupé par un progrès scientifique et technique qui devrait être accompagné par une conscience morale et spirituelle? Et qui de nous ne croit pas que les défis auxquels la société se trouve confrontée aujourd'hui ne peuvent être affrontés qu'en édifiant une société fondée sur les valeurs universelles de la paix, de la solidarité, de la justice et de la liberté? Et comment pouvons-nous le faire si ce n'est à travers la rencontre, la compréhension réciproque et la coopération?


3. Le sentier qui s'ouvre à nous est difficile et nous avons toujours la tentation de choisir un chemin d'isolement et de division qui conduit au conflit. Cela, à son tour, déchaîne ces forces qui font de la religion un prétexte pour la violence, comme nous l'observons trop souvent dans le monde. Récemment, j'ai accueilli avec beaucoup de joie au Vatican les représentants des religions du monde réunis pour développer les résultats du Rassemblement d'Assise de 1986. Je répète ici ce que j'ai déclaré face à cette éminente Assemblée: "La religion n'est pas et ne doit pas devenir un prétexte pour les conflits, en particulier lorsque l'identité religieuse, culturelle et ethnique coïncident. La religion et la paix vont de pair: faire la guerre au nom de la religion est en contradiction flagrante". Les responsables religieux, en particulier, ont le devoir de faire tout leur possible pour garantir que la religion soit ce que Dieu désire: une source de bonté, de respect, d'harmonie et de paix! C'est la seule façon d'honorer Dieu dans la justice et la vérité!

Notre rencontre nous demande de lutter pour discerner et accueillir tout ce qui est bon et saint en nous, afin que nous puissions reconnaître, protéger et promouvoir les vérités morales et spirituelles qui seules garantissent l'avenir du monde (cf. Nostra aetate NAE 2). Dans ce sens, le dialogue n'est jamais une tentative pour imposer nos opinions aux autres, car un dialogue de ce genre prendrait la forme d'une domination spirituelle et culturelle. Cela ne signifie pas abandonner nos convictions. Cela veut dire que, fermes dans ce que nous croyons, nous écoutons avec respect les autres, en cherchant à discerner ce qui est bon et saint et ce qui favorise la paix et la coopération.


4. Il est essentiel de reconnaître qu'il existe un lien étroit et indissoluble entre la paix et la liberté. La liberté est la prérogative la plus noble de la personne humaine et l'une des exigences principales de la liberté est le libre exercice de la religion dans la société (cf. Dignitatis humanae DH 3). Aucun Etat, aucun groupe n'a le droit de contrôler, que ce soit directement ou indirectement, les convictions religieuses d'une personne, ni ne peut revendiquer à juste titre le droit d'imposer ou d'empêcher la profession publique et la pratique de la religion ou l'appel respectueux d'une religion particulière à la libre conscience des personnes. En faisant mémoire cette année du cinquantième anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme, j'ai écrit que "la liberté religieuse constitue le coeur même des droits humains. Elle est tellement inviolable qu'elle exige que soit reconnue à la personne la liberté même de changer de religion, si sa conscience le demande. Chacun, en effet, est tenu de suivre sa conscience en toute circonstance et personne ne peut être contraint d'agir contre elle (cf. Article 18)" (Message pour la Journée mondiale de la Paix 1999, n. 5).


5. En Inde, la voie du dialogue et de la tolérance a été la voie poursuivie par les grands empereurs Ashoka Akbar et Chatrapati Shivaji, par des hommes sages tels que Ramakrishna Paramahamsa et Swami Vivekananda ainsi que par des figures lumineuses comme le Mahatma Ghandi, Gurudeva Tagore et Sarvepalli Radhakrishnan, qui ont compris de manière profonde que servir la paix et l'harmonie est un devoir sacré. Il existe des personnes qui, en Inde et ailleurs, ont apporté une contribution significative à l'approfondissement de la conscience de notre fraternité universelle et qui nous orientent vers un avenir dans lequel nous satisferons notre désir profond de franchir la porte de la liberté car nous le ferons ensemble. Choisir la tolérance, le dialogue et la coopération comme chemin pour l'avenir signifie protéger ce qu'il y a de plus précieux dans le grand patrimoine religieux de l'humanité. Cela sert également à garantir qu'au cours des prochains siècles, le monde ne soit pas privé de l'espérance qui est la lymphe vitale du coeur humain. Que le Seigneur du ciel et de la terre nous le concède à présent et pour toujours!




Discours 1999 192