Discours 1999 208


MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II AU CARDINAL CASSIDY À L'OCCASION DE LA CONFÉRENCE INTERCONFESSIONNELLE À MOSCOU

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  A mon vénéré Frère le Cardinal Edward Idris Cassidy
Président du Conseil pontifical pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens



Je vous transmets mes salutations cordiales et, à travers vous, je salue tous nos frères et soeurs orthodoxes, catholiques et protestants qui prennent part à la Conférence: «Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et à jamais» (
He 13,8) - le christianisme au seuil du troisième millénaire».

Je suis profondément enthousiasmé par cette initiative du Comité chrétien interconfessionnel de Consultation, car elle est le résultat d'une décision commune des Eglises et des Communions ecclésiales, qui ont traditionnellement accompli leurs activités pastorales sur le territoire du Commonwealth des Etats indépendants et dans les pays de la Baltique. La Conférence ayant pour but la promotion de la coopération croissante entre les chrétiens dans la région, je prie pour que celle-ci inspire tous ceux qui y participent à rendre un témoignage toujours plus convaincant et efficace de l'Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ.

Cette Conférence prend place au seuil du grand Jubilé du 2000ème anniversaire de la naissance du Fils de Dieu, que le Père a envoyé dans le monde pour être son Rédempteur. Lui, qui est «le même hier, aujourd'hui et à jamais», est le centre de la foi chrétienne et de la vérité que son Eglise, par fidélité au commandement qu'il lui a lui-même donné, proclame à chaque génération.

Dans ce contexte, il est important de réfléchir sur la relation qui existe entre le Seigneur et le Maître Jésus-Christ et chaque chrétien et communauté chrétienne, sur la mission que les chrétiens sont appelés à accomplir dans le monde d'aujourd'hui, sur les défis qu'ils doivent affronter, sur le besoin de trouver la force dans Celui qui dit: «Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie» (Jn 14,6).

Cette rencontre à laquelle vous participez, réunira les représentants des Eglises et des communions ecclésiales qui, à travers l'incorporation au Christ de leurs membres au moyen du baptême, partagent déjà une communion réelle, bien qu'imparfaite. La redécouverte de cette fraternité dans le Seigneur permettra aux chrétiens d'approfondir leurs relations, d'intensifier leur coopération, et de s'efforcer d'atteindre cette unité parfaite dans la foi qui est exprimée dans la communion ecclésiale pleine et visible et à laquelle le Seigneur Jésus-Christ appelle ses disciples.

Dieu vous bénisse, vous tous qui participez à cette Conférence. «A Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir» (Ep 3,20), je confie le succès de vos efforts en vue de renforcer la coopération et la communion chrétienne.

Du Vatican, le 18 novembre 1999





AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE EN VISITE AD LIMINA

18 novembre 1999

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Monsieur le Cardinal,
Chers frères dans l'épiscopat!

1. C'est pour moi une grande joie de vous recevoir, ici dans le Palais apostolique: "La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit Saint soient avec vous tous" (
2Co 13,13). Avec ce salut, j'accompagne mes voeux pour votre visite "ad limina", qui vous a conduits à Rome "pour rendre visite à Céphas" (Ga 1,18). Auprès des tombes des Princes des Apôtres, notre pensée se tourne vers Pierre et Paul, les fondateurs "de l'Eglise très grande et très antique" (Saint Irénée, Adv. Haer. III, 3, 2). Bien que leur caractère et leur vocation fussent différents, ils étaient unis par le témoignage de leur foi. Ils se prodiguèrent ensemble pour l'Evangile au service de Dieu et de l'homme. Malgré des tensions momentanées, ils ne rompirent jamais leurs relations, et ils se tendirent même "la main, en signe de communion" (Ga 2,9). En effet, ils savaient que c'était le Seigneur lui-même qui avait constitué Pierre comme Pasteur universel de son troupeau (cf. Jn 21,15-17) et comme fondement visible de l'unité de l'Eglise (cf. Mt 16,18).

Dans le même esprit de communion fraternelle et hiérarchique, je voudrais poursuivre la réflexion commencée avec le précédent groupe d'évêques de votre pays sur l'Eglise comme "sacrement universel du salut" (Lumen gentium LG 48). Alors qu'au cours de la rencontre avec vos frères, j'avais mis en lumière le rôle de l'Eglise dans la société civile de l'Allemagne réunifiée, je voudrais aujourd'hui réfléchir avec vous sur la nature et sur la mission de votre ministère pastoral dans l'Eglise, entendue comme "le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" (Lumen gentium LG 1).


2. Le Fils, envoyé par le Père, a lui-même envoyé les Apôtres en leur disant: "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit" (Mt 28,18-20). Cette mission solennelle du Christ pour l'annonce de la vérité salvifique a été transmise par les Apôtres aux évêques, leurs successeurs. Ils sont appelés à la porter jusqu'aux extrémités de la terre (cf. Ac 1,8), "dans le but d'édifier le corps du Christ" (Ep 4,12) qui est l'Eglise.

Ils accomplissent leur mission en union avec l'Evêque de Rome. En effet, celui-ci, en tant que Successeur de Pierre, est revêtu, en vertu d'une institution divine dans l'Eglise, d'un pouvoir suprême, entier, immédiat, universel, pour le bien des âmes (cf. Christus dominus CD 2). Ayant pour mission, en tant que pasteur de tous les fidèles, de soigner le bien commun de l'Eglise tout entière et le bien des Eglises individuelles, il "préside la communauté universelle dans l'amour" (cf. Ignace d'Antioche, Ad Rom., Préface).

En tant que "Vicaire de l'amour du Christ" (Saint Ambroise, Expositio in Luc., livre X), j'ai récemment considéré de mon devoir de résoudre les divergences qui sont apparues entre vous et dans les Eglises particulières qui vous sont confiées, en cherchant à harmoniser à nouveau les voix individuelles "dans l'unique grande symphonie pour la vie", à laquelle l'Eglise catholique doit rester fidèle à toutes les époques et dans tous les lieux. Je demande au Seigneur de faire en sorte que l'Eglise qui est en Allemagne rende témoignage de façon unanime et claire en faveur de l'Evangile de la vie. Je compte à mon tour sur votre prière, pour qu'il me soit donné de servir de façon cohérente la vérité en tant que premier dépositaire, pour le bien de l'Eglise universelle. Peut-être la Providence m'a-t-elle confiée la chaire de Pierre pour être au seuil du troisième millénaire un "avocat de la vie" passionné. En effet, j'ai dû faire l'expérience, dès ma jeunesse, de la façon dont, au cours d'un chapitre particulièrement obscur de l'histoire de ce siècle tourmenté, la vie humaine a été bafouée et anéantie de façon systématique, non loin de ma ville natale de Wadowice!


3. Les Evêques sont appelés par l'Esprit Saint à jouer le rôle des Apôtres en tant que pasteurs des Eglises particulières. Dans ce but, ils sont revêtus d'un pouvoir propre qui "n'est nullement effacé par le pouvoir suprême et universel; au contraire, il est affermi, renforcé et défendu par lui" (Lumen gentium LG 27). Avec le Souverain Pontife et sous son autorité, les évêques ont pour mission de perpétuer l'oeuvre du Christ, Pasteur éternel. En effet, le Christ donna aux Apôtres et à leurs Successeurs le mandat et le pouvoir de faire des disciples de toutes les nations, de sanctifier les hommes dans la vérité et de les guider (cf. Christus Dominus CD 2).

Insérés dans la noble chaîne de la tradition apostolique, vous participez au don spirituel de Dieu transmis par les Apôtres à leurs collaborateurs (cf. 2Tm 1,6-7). Par l'imposition des mains et par la prière, à chacun de vous ont été conférées les charges d'enseigner, de sanctifier et de gouverner "lesquelles, cependant, de par leur nature, ne peuvent s'exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres" (Lumen gentium LG 21).

Nous désirons nous arrêter ensemble pour réfléchir sur ce en quoi consiste cet engagement de l'évêque. En cette occasion, je répète ce que j'avais déjà souligné, il y a vingt ans, en tant qu'Evêque de Rome, dans ma première lettre pour le Jeudi Saint: "En analysant avec attention les textes conciliaires, il est clair qu'il faut parler d'une triple dimension du service et de la mission du Christ, plutôt que de trois fonctions différentes. En effet, celles-ci sont intimement liées entre elles, elles s'expliquent réciproquement, se conditionnent réciproquement et s'illuminent réciproquement" (Lettre aux prêtres 1979, n. 2).


211 4. Avant de réfléchir sur la triple dimension du ministère pastoral, je voudrais tout d'abord exalter le centre vers lequel toutes vos activités doivent converger: "Le mystère du Christ comme fondement de la mission de l'Eglise" (Redemptor hominis RH 11). Celui qui, d'une façon ou d'une autre, participe à la mission de l'Eglise doit partir de cette base pour agir de façon cohérente avec son mandat. Cela est valable en premier lieu pour les évêques, qui ont été pour ainsi dire "insérés" dans le mystère du Christ de façon toute particulière. Revêtu de la plénitude du sacrement de l'Ordre, l'évêque est appelé à proposer et à vivre le mystère intégral du Christ (cf. Christus Dominus CD 12) dans le diocèse qui lui est confié. C'est un mystère qui contient "des richesses insondables" (cf. Ep 3,8). Conservons ce trésor! Faisons-le devenir la perle de notre vie! Ne nous lassons pas de le méditer pour en tirer une lumière et une force toujours nouvelles dans l'accomplissement quotidien de notre ministère.

Les hommes et les femmes d'aujourd'hui sont plus sensibles au témoignage de notre vie qu'à la puissance de nos discours. Ils veulent rencontrer en nous des personnes dont l'existence est entièrement donnée à Jésus-Christ "le Fils unique, qui est dans le sein du Père" (Jn 1,18). Ils espèrent que nous aussi, comme les Apôtres, nous saurons transmettre ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché (cf. 1Jn 1,1): transmettre aux autres la foi vécue - tel est le but de la nouvelle évangélisation. En effet, la tâche des pasteurs est d'exposer la doctrine et la discipline chrétienne "d'une façon adaptée aux nécessités du moment, c'est-à-dire en répondant aux difficultés et questions qui angoissent le plus les hommes" (Christus Dominus CD 13). Puisque la Parole de Dieu est vivante et efficace (cf. He He 4,12), elle ne manquera pas d'agir en ceux qui sont "obéissants à la foi" (cf. Rm 1,5) dans la liberté et dans l'amour. Le "Credo" que chaque pasteur exprime dans la Professio Fidei est donc essentiel et nécessaire pour son effort d'enseigner et de vivre les vérités de la foi avec transparence, enthousiasme et courage.


5. Dans le triple ministère des évêques - comme l'enseigne le Concile Vatican II - se détache d'une certaine façon celui de la prédication de l'Evangile. Les pasteurs doivent surtout être "des témoins du Christ devant tous les hommes" (Christus Dominus CD 11), "des hérauts de la foi qui amènent au Christ de nouveaux disciples" (Lumen gentium LG 25). En tant que "fidèles dispensateurs de la parole de vérité" (2Tm 2,15), nous devons transmettre ensemble ce que nous avons nous-mêmes reçu. Il ne s'agit pas de notre propre parole, même si elle est sage, car nous ne prêchons pas nous-mêmes, mais la vérité révélée qui doit être transmise fidèlement et en union avec les autres membres du collège des pasteurs.

Dans vos rapports sur vos diocèses, il apparaît que, en accomplissant votre ministère d'enseigner, vous rencontrez un climat culturel de méfiance et même d'hostilité, car beaucoup de nos contemporains s'opposent à l'exigence d'avoir des certitudes dans la connaissance de la vérité. Une mentalité aujourd'hui très répandue tend à exclure de la vie publique les interrogations à propos des vérités ultimes et à reléguer dans le domaine privé la foi religieuse et les convictions à propos des valeurs morales. Ce processus est arrivé à un point où il semble opportun de se demander quel rôle est encore attribué à Dieu, auquel les Pères de la Loi fondamentale de votre pays, il y a cinquante ans, voulurent faire une référence explicite lorsqu'au début de la constitution, ils rappelèrent "la conscience de la responsabilité devant Dieu et les hommes" (Préambule de la Loi fondamentale de la République fédérale allemande du 23 mai 1949).

On court le danger que les lois, qui exercent une forte influence sur la pensée, ainsi que sur le comportement des hommes, se détachent peu à peu du fondement moral. Cela se produirait cependant au détriment des lois elles-mêmes qui, au fil du temps, seraient considérées uniquement comme des moyens pour organiser la société, sans aucune référence à l'ordre moral objectif. Face à cette situation, je comprends qu'il ne soit pas toujours facile pour vous de prêcher "la parole de la vérité, l'évangile du salut" (Ep 1,13) et d'en favoriser la diffusion.

Malheureusement, la pression psychologique de certains milieux de la société civile en Allemagne pousse également des fidèles catholiques à remettre en question la doctrine de l'Eglise et sa discipline. Dans un climat d'individualisme religieux courant, certains membres de l'Eglise s'arrogent même le droit de choisir en matière de foi les enseignements qui, selon eux, seraient admissibles, et ceux qui en revanche devraient être refusés. Mais les vérités de la foi constituent un ensemble organique qui ne permet pas de telles discriminations arbitraires. Celui qui le fait ne peut pas se considérer cohérent avec la foi qu'il professe.


6. Très chers frères, vous savez que le devoir fondamental de l'évêque, en tant que pasteur, est d'inviter les membres des Eglises particulières qui lui sont confiées à accepter dans toute sa plénitude l'enseignement autorisé de l'Eglise à propos des questions de foi et de morale. Nous ne devons pas nous décourager si notre annonce n'est pas accueillie partout. Avec l'aide du Christ, qui a vaincu le monde (cf. Jn 16,33), le remède le plus efficace pour combattre l'erreur est l'annonce courageuse et sereine de l'Evangile "à temps et à contre temps" (2Tm 4,2).

J'exprime ce souhait en pensant en particulier aux jeunes. Un grand nombre d'entre eux sont exigeants en ce qui concerne le sens et le modèle de leur vie et ils désirent se libérer de la confusion religieuse et morale. Aidez-les dans cette entreprise! En effet, les nouvelles générations sont ouvertes et sensibles aux valeurs religieuses, même si c'est parfois de manière irréfléchie. Elles ont l'intuition que le relativisme religieux et moral ne rend pas heureux et que la liberté sans la vérité demeure vaine et illusoire. En accomplissant le ministère ecclésial d'enseigner en union avec vos prêtres et avec vos collaborateurs dans le service catéchétique, ayez particulièrement soin de la formation de la conscience morale. Sans aucun doute, la conscience morale doit être respectée comme "sanctuaire" de l'homme, où il est seul avec Dieu, dont la voix retentit dans l'intimité du coeur (cf. Gaudium et spes GS 16). Mais rappelez avec une égale ferveur à vos fidèles que la conscience est un tribunal exigeant, dont le jugement doit toujours se conformer aux normes morales révélées par Dieu et proposées avec autorité par l'Eglise avec l'aide de l'Esprit.

Un enseignement clair et univoque à propos de ces questions ne manquera pas d'avoir une influence positive sur le retour nécessaire au sacrement de la réconciliation, aujourd'hui hélas ayant tendance à être abandonné - même dans les régions catholiques de votre pays.


7. Une autre tâche fondamentale des évêques consiste à exercer le devoir de sanctification. "L'évêque doit être considéré comme le grand prêtre de son troupeau: la vie chrétienne de ses fidèles découle et dépend de lui en quelque manière" (Sacrosanctum concilium SC 41). C'est pourquoi l'Evêque est pour ainsi dire le premier ministre de la liturgie de son diocèse et le principal dispensateur des Mystères de Dieu. Dans le même temps, il lui revient d'organiser, de promouvoir et de conserver la vie liturgique dans l'Eglise particulière qui lui est confiée (cf. Christus Dominus CD 15).

A ce propos, je voudrais vivement vous recommander les deux sacrements fondamentaux du Baptême et de l'Eucharistie. Peu de temps après avoir été élevé à la Chaire de Pierre, j'ai approuvé l'Instruction sur le Baptême des Enfants, dans laquelle l'Eglise a confirmé la pratique baptismale des enfants en usage depuis le début. Dans la pratique pastorale de vos Eglises locales, on insiste à juste titre sur l'exigence d'administrer le Baptême uniquement dans le cas où l'on a l'espérance fondée que l'enfant soit éduqué dans la foi catholique, de façon à ce que le sacrement puisse porter des fruits (cf. CIC CIC 868,2). Toutefois, les normes de l'Eglise sont parfois interprétées de façon plus restrictive qu'elles ne veulent l'être. Il arrive ainsi que l'on repousse, ou que l'on refuse même aux parents, le baptême de leur enfant sans motifs suffisants. La prudence et la charité pastorale semblent suggérer une attitude plus compréhensive envers ceux qui, mus par une intention honnête, cherchent à s'approcher de l'Eglise, en demandant le baptême pour leur enfant. La même sollicitude pastorale doit également empêcher les pasteurs d'exiger des choses qui ne sont pas demandées par la doctrine ou par les commandements de l'Eglise. Il est juste que les parents soient préparés de façon adéquate au Baptême de leur enfant par le pasteur des âmes, mais il est également important que le premier sacrement de l'initiation chrétienne soit surtout considéré comme un don gratuit de Dieu le Père à l'enfant. Le caractère libre et gratuit de la grâce n'apparaît jamais de façon aussi évidente qu'à l'occasion du Baptême: "En ceci consiste l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés" (1Jn 4,10).

212 En outre, nous ne pouvons pas parler de renouveau spirituel du diocèse sans que le discours ne se porte sur l'Eucharistie. Une tâche primordiale de votre ministère sacerdotal consiste à réaffirmer le rôle vital de l'Eucharistie comme "source et sommet de toute la vie chrétienne" (Lumen gentium LG 11). Dans la célébration du sacrifice eucharistique, le service des évêques et des prêtres atteint non seulement son sommet, mais la vie de tous les autres membres du Corps du Christ trouve également son centre dynamique. Le manque de prêtres et leur répartition inégale, d'un côté, ainsi que la diminution importante du nombre de ceux qui fréquentent régulièrement la Messe dominicale, de l'autre, constituent un défi que vos Eglises doivent affronter. Pour réagir d'une façon juste, il convient de tenir compte du principe fondamental selon lequel la communauté paroissiale est nécessairement une communauté eucharistique; comme telle, elle doit être présidée par un prêtre ordonné qui, en vertu de son pouvoir sacré et de la responsabilité incontournable qui en découle, offre le sacrifice eucharistique in persona Christi (Pastores dabo vobis PDV 48). Je me rends compte que certains d'entre vous - même dans les régions d'antique tradition catholique - ne sont plus en mesure d'assurer la présence d'un prêtre dans chaque paroisse. Il est évident que cette situation exige une solution provisoire pour ne pas laisser les communautés dans l'abandon, avec le risque d'un appauvrissement spirituel progressif. Le fait que les religieux et les laïcs que vous avez nommés président les fonctions dominicales de la Parole peut être louable dans une situation d'urgence, mais cette situation ne peut pas être considérée satisfaisante à long terme. Au contraire, l'aspect sacramentel incomplet de ces fonctions liturgiques devrait inviter toute la communauté paroissiale à prier le Seigneur avec une ferveur encore plus insistante pour qu'il envoie des ouvriers à sa moisson (cf. Mt 9,38).


8. Je voudrais enfin dire un mot sur la charge du gouvernement qui vous est confié. En accomplissant ce devoir, vous avez certainement devant les yeux l'image du Bon Pasteur, qui n'est pas venu pour être servi mais pour servir (cf. Mt 20,28). L'image est exigeante, d'autant plus que celui qui doit se mesurer à celle-ci sait qu'il vit au milieu des hommes et que, en tant que tel, il est sujet aux faiblesses humaines. Mais cette conscience l'incitera précisément à une compréhension bienveillante envers ceux qui sont confiés à ses soins et à son gouvernement pastoral (cf. Lumen gentium LG 27).

Je vous recommande vivement en particulier les premiers "colocataires" de la maison de vos Eglises locales, c'est-à-dire les prêtres, pour qui, en tant qu'évêques, vous constituez "le principe visible et le fondement de l'unité" (Lumen gentium LG 23). Le service du soin des âmes est exigeant, car souvent, les résultats visibles ne semblent pas récompenser les efforts accomplis, parfois jusqu'à la limite extrême des forces. Beaucoup de pasteurs ont davantage l'impression de devoir travailler dans une carrière aride de pierres, que dans la vigne évangélique. Que dire, ensuite, du vieillissement progressif des prêtres et du manque de vocations qui pèse sur l'avenir des diocèses? Je voudrais vous encourager à être encore plus proches de vos prêtres et de vos séminaristes. Je connais le poids des engagements quotidiens liés à votre ministère. Avec une sollicitude paternelle, je voudrais évoquer les espérances exprimées par le Concile Vatican II avec des paroles claires et pleines de sensibilité: "En raison de cette communion dans le même sacerdoce et le même ministère, les évêques doivent donc considérer leurs prêtres comme des frères et des amis, et se préoccuper, autant qu'ils le peuvent, de leur bien, matériel d'abord, mais surtout spirituel [...] Qu'ils sachent les écouter volontiers, les consulter même, et parler avec eux de ce qui concerne les exigences du travail pastoral et le bien du diocèse" (Presbyterorum ordinis PO 7). "Les évêques doivent entourer d'une miséricorde active les prêtres qui se trouvent d'une façon ou d'une autre en danger ou qui ont défailli sur quelque point" (Christus Dominus CD 16).

Vénérés frères, ne manquez pas de saisir l'occasion pour assurer vos prêtres que l'Evêque de Rome est proche de tous et de chacun d'eux. Leur présence est extrêmement importante. Sans les prêtres, l'évêque n'aurait plus de bras.


9. Chers frères! Je vous ai proposé quelques observations qui me tiennent à coeur sur les concepts de maître, prêtre et guide. Elles entendent stimuler votre réflexion sur le triple ministère pastoral qui vous est confié pour l'Eglise dans votre patrie. Conscient du grand dévouement avec lequel vous exercez le ministère épiscopal, je voudrais terminer mon discours en vous témoignant ma satisfaction fraternelle et reconnaissante. Dans chaque situation, que nous réconforte la pensée que Jésus-Christ ne nous a pas pris à son service comme des "dirigeants", mais qu'il nous a consacrés ministres de ses Mystères.

Enfin, je confie votre existence et votre mission comme pasteurs de vos troupeaux à l'intercession de Marie, Mère du Christ et Mère de l'Eglise. Que descende sur vous, sur les prêtres, les diacres, les religieux et les laïcs de vos diocèses l'abondance des grâces célestes, dont le gage est la Bénédiction apostolique que je donne à tous de tout coeur.




À L'ASSEMBLÉE PLENIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL DE LA CULTURE

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Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers amis,



1. À l'occasion de l'Assemblée plénière du Conseil pontifical pour la Culture, je suis heureux de vous accueillir, me réjouissant du thème choisi pour cette session, Pour un nouvel humanisme chrétien, au seuil du nouveau millénaire, thème essentiel pour l'avenir de l'humanité, car il invite à prendre conscience que la personne humaine occupe une place centrale dans les différents domaines de la société. D'autre part, la recherche anthropologique est une dimension culturelle nécessaire à toute pastorale et une condition indispensable pour une profonde évangélisation. Je remercie le Cardinal Paul Poupard pour les aimables paroles par lesquelles il s'est fait votre interprète.



2. À quelques semaines de l'ouverture du grand Jubilé de l'An 2000, temps de grâce exceptionnel, la mission d'annoncer le Christ se fait plus pressante; beaucoup de nos contemporains, spécialement les jeunes, éprouvent de grandes difficultés à percevoir ce qu'ils sont en vérité, submergés et désorientés par la multiplicité des conceptions de l'homme, de la vie et de la mort, du monde et de sa signification.

Trop souvent, les conceptions de l'homme véhiculées dans la société moderne sont devenues de véritables systèmes de pensée qui ont tendance à se détourner de la vérité et à exclure Dieu, croyant ainsi affirmer la primauté de l'homme, au nom de sa prétendue liberté et de son plein et libre épanouissement; en agissant ainsi, ces idéologies privent l'homme de sa dimension constitutive de personne créée à l'image et à la ressemblance de Dieu. Cette mutilation profonde devient aujourd'hui une véritable menace pour l'homme, car elle conduit à penser l'homme sans aucune relation avec la transcendance. C'est une tâche essentielle pour l'Église dans son dialogue avec les cultures de conduire nos contemporains à la découverte d'une saine anthropologie, en vue de les faire parvenir à une connaissance du Christ, vrai Dieu et vrai homme. Je vous sais gré d'aider les Églises locales, par vos réflexions, à relever ce défi, "pour renouveler de l'intérieur et pour transformer à la lumière de la Révélation les visions de l'homme et de la société qui modèlent les cultures", comme le soulignait le récent document publié par le Conseil pontifical pour la Culture Pour une pastorale de la culture (n. 25). Le Christ ressuscité est une Bonne Nouvelle pour tous les hommes, car il a "le pouvoir de rejoindre le coeur de toute culture, pour le purifier, le féconder, l'enrichir et lui donner de se déployer à la mesure sans mesure de l'amour du Christ" (ibid., n. 3). C'est ainsi qu'il convient de faire naître et de développer une anthropologie chrétienne pour notre temps qui soit le fondement d'une culture, comme l'ont fait nos devanciers (cf. encyclique Fides et ratio
FR 59), anthropologie qui doit prendre en compte les richesses et les valeurs des cultures des hommes d'aujourd'hui, en y semant les valeurs chrétiennes. La diversité des Églises d'Orient et d'Occident ne témoigne-t-elle pas, dès les origines, d'une inculturation féconde de la philosophie, de la théologie, de la liturgie, des traditions juridiques et des créations artistiques? De même que dans les premiers siècles de l'Église, avec saint Justin, la philosophie est passée au Christ, car le christianisme est "la seule philosophie sûre et profitable" (Dialogue avec Tryphon, 8, 1), de même il est de notre devoir de proposer aujourd'hui une philosophie et une anthropologie chrétiennes qui préparent la voie à la découverte de la grandeur et de la beauté du Christ, le Verbe de Dieu. Et il est certain que l'attrait du beau, de l'esthétique, conduira nos contemporains à l'éthique, c'est-à-dire à mener une vie belle et digne.



3. L'humanisme chrétien peut être proposé à toute culture; il révèle l'homme à lui-même dans la conscience de sa valeur propre et il lui donne d'accéder à la source même de son existence, le Père Créateur, et de vivre son identité filiale dans le Fils Unique, "premier-né de toute créature" (Col 1,15), avec un coeur dilaté au souffle de son Esprit d'amour. "Devant la richesse du salut opéré par le Christ, les barrières qui séparaient les diverses cultures tombent" (encyclique Fides et ratio FR 70). La folie de la Croix, dont parle saint Paul (cf. 1Co 1,18), est une sagesse et une puissance qui dépassent toutes les limites culturelles pouvant être enseignées à toutes les nations.

L'humanisme chrétien est en mesure d'intégrer les meilleures acquisitions des sciences et des techniques pour le plus grand bonheur de l'homme. Il en conjure en même temps les menaces contre sa dignité de personne, sujet de droits et de devoirs, et contre son existence même, si gravement mise en cause aujourd'hui, dès sa conception et jusqu'au terme naturel de son existence terrestre. Car si l'homme mène une vie humaine grâce à la culture, il n'est de culture réellement humaine que de l'homme, par l'homme et pour l'homme, c'est-à-dire tout l'homme et tous les hommes. L'humanisme le plus authentique est celui-là même que la Bible nous dévoile dans le dessein d'amour de Dieu pour l'homme, dessein devenu plus admirable encore par le Rédempteur. "En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné" (Concile Oecuménique Vatican II, Gaudium et spes GS 22).

La pluralité des démarches anthropologiques, qui est une richesse pour l'humanité entière, peut aussi engendrer le scepticisme et l'indifférence religieuse; c'est un défi qu'il convient de relever avec intelligence et courage. L'Église ne craint pas la légitime diversité, qui fait apparaître les riches trésors de l'âme humaine. Au contraire, elle s'appuie sur cette diversité pour inculturer le message évangélique. J'ai pu m'en rendre compte dans les différents voyages que j'ai effectués sur tous les continents.



4. À quelques semaines de l'ouverture de la Porte Sainte, symbole du Christ dont le coeur largement ouvert est prêt à accueillir tous les hommes et toutes les femmes de toutes cultures au sein de son Église, je souhaite vivement que le Conseil pontifical pour la Culture poursuive ses efforts, ses recherches et ses initiatives, notamment en soutenant les Églises locales et en favorisant la découverte du Seigneur de l'histoire par ceux qui sont immergés dans le relativisme et l'indifférence, ces visages nouveaux de l'incroyance. Ce sera une façon de donner à ces personnes l'espérance dont elles ont besoin pour édifier leur vie personnelle, pour participer à la construction de la société et pour se tourner vers le Christ, Alpha et Oméga. En particulier, je vous invite à soutenir les communautés chrétiennes, qui n'en ont pas toujours les moyens, pour qu'elles portent une attention renouvelée au monde si diversifié des jeunes et de leurs éducateurs, des scientifiques et des chercheurs, des artistes, des poètes, des écrivains et de toutes les personnes engagées dans la vie culturelle, afin que l'Église relève les grands défis de la culture contemporaine. Cela est vrai tout autant en Occident que dans les terres de mission.

Je tiens à vous renouveler l'expression de ma reconnaissance pour le travail accompli, et, en vous confiant à l'intercession de la Vierge Marie, qui a su donner à Dieu un oui sans réserve, et aux grands docteurs de l'Église, je vous accorde volontiers, ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers, une particulière Bénédiction apostolique, en gage de ma confiance et de mon estime.

Au Vatican, le 19 novembre 1999.






AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRAL D'ALLEMAGNE EN VISITE "AD LIMINA"

20 novembre 1999

214

Monsieur le Cardinal,
Chers frères dans l'épiscopat!

1. En vous aimant "tous tendrement dans le coeur du Christ Jésus" (
Ph 1,8) je vous salue, en accueillant en vous le troisième groupe d'évêques allemands en visite ad limina. Je rends grâce au Père céleste pour l'engagement qui nous rassemble dans la diffusion de l'Evangile (cf. Ph Ph 1,5) et pour la communion de foi et d'amour qui nous unit dans le service au Peuple de Dieu. Avec vous, je salue les Eglises particulières que vous présidez avec un grand dévouement. Poussés par le "souci de toutes les Eglises" (2Co 11,28), je vous invite à assurer les prêtres, les diacres, les religieux et les laïcs de vos diocèses que le Pape partage leurs joies et leurs tristesses et prie pour leur croissance constante dans la grâce de la sainteté de vie. Sous cet aspect, votre visite ad limina devient un pèlerinage spirituel. En effet, votre venue ne constitue pas seulement l'accomplissement d'une obligation administrative ou juridique du ministère pastoral, mais elle est également un témoignage de fraternité authentique et d'union dans l'amour du Christ, Pasteur Suprême (cf. 1P 5,4), qui envoie ses ministres à l'Eglise en pèlerinage dans le temps "pour que, participant à son pouvoir, ils fassent de tous les peuples ses disciples, pour qu'ils les sanctifient et les gouvernent" (Lumen gentium LG 19).

Comme je l'ai fait au cours de deux rencontres précédentes avec les évêques de votre pays, je voudrais réfléchir également aujourd'hui sur certains aspects fondamentaux du "sacrement universel du salut" (Lumen gentium LG 48). Je développerai ma réflexion autour du thème fondamental de l'Eglise comme mystère. Dans le cadre des diverses activités quotidiennes du ministère pastoral, nous devons nous occuper de nombreuses choses. Il convient, de temps en temps, de s'accorder des périodes de réflexion pour ôter le voile de l'apparence, dans lequel notre regard demeure souvent emprisonné, et pour découvrir ainsi que ce qu'il y a de vraiment essentiel est caché sous les apparences.


2. J'ai plaisir à réévoquer une pensée formulée par mon prédécesseur de vénérée mémoire, le Pape Paul VI, dans son Encyclique Ecclesiam suam, à propos de l'Eglise et de la conscience qu'elle a de sa propre réalité et de sa mission. Son invitation, adressée il y a trente-cinq ans aux Pères au cours des travaux du Concile Vatican II, peut aujourd'hui servir de clef de lecture pour scruter jusqu'au bout les "signes des temps" au seuil du troisième millénaire: "L'Eglise doit en ce moment réfléchir sur elle-même pour se confirmer dans la science des desseins divins sur elle-même, pour retrouver plus de lumière, une nouvelle énergie et une plus grande joie dans l'accomplissement de sa propre mission et pour déterminer les meilleurs moyens de rendre plus étroits, efficaces et bienfaisants ses contacts avec l'humanité" (n. 1). Nous devons rendre grâce à Dieu car l'Eglise de notre temps s'engage elle aussi, avec la force du Seigneur ressuscité, à "révéler fidèlement au milieu du monde le mystère du Seigneur, encore enveloppé d'ombre, jusqu'au jour où, finalement, il éclatera dans la pleine lumière" (Lumen gentium LG 8).

On ne doit cependant pas oublier que l'Eglise elle-même, en tant que "signe et instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain", est un mystère. A juste titre, le premier chapitre de la Constitution dogmatique Lumen gentium s'intitule "Le mystère de l'Eglise". On ne peut donc pas réformer l'Eglise de manière authentique, si l'on ne part pas du présupposé qu'elle est mystère. L'Assemblée spéciale du Synode des Evêques, convoquée pour les vingt ans de la clôture du Concile, a évoqué à nouveau ce qu'il avait affirmé: "En tant que communion avec Dieu vivant, Père, Fils et Esprit Saint, l'Eglise est, dans le Christ, "mystère" de l'amour de Dieu présent dans l'histoire humaine" (Message, II). Cette vérité doit inspirer l'enseignement, le service et le soin des âmes de toute l'Eglise. C'est sur cette conviction que se fondent également les documents post-synodaux du Magistère pontifical, qui entend promouvoir un renouveau de l'Eglise qui corresponde aux besoins de nos contemporains.


3. En outre, on observe que ce même Synode spécial de 1985 se sentait, à juste titre, obligé d'élever la voix en signe d'avertissement. Les évêques réunis en Assemblée soulignaient qu'"une lecture partielle et sélective du Concile et une présentation unilatérale de l'Eglise comme structure purement institutionnelle, privée de son mystère", ont causé de graves carences, surtout dans certaines associations laïques qui "considèrent de façon critique l'Eglise, comme une pure institution" (Document final, n. 4). En conséquence, de nombreuses personnes revendiquent le droit de construire l'Eglise comme s'il s'agissait d'une sorte de "multinationale" gouvernée par des hommes plus ou moins intelligents. Mais en réalité, l'Eglise en tant que mystère n'est pas la "nôtre", mais "Son" Eglise: elle est le Peuple de Dieu, le corps du Christ, le temple de l'Esprit Saint.

Chers frères dans l'épiscopat! L'Apôtre Paul nous exhorte: "Vérifiez tout: ce qui est bon, retenez-le" (1Th 5,21). La tâche de l'évêque est d'encourager les prêtres et tous ceux qui partagent la responsabilité du soin des âmes à entreprendre des initiatives de renouveau spirituel des communautés. Si l'on court d'une rencontre à l'autre, sans pause, on s'épuise vite. Donc, pour prévenir l'épuisement spirituel, il est toujours nécessaire de reprendre un nouveau souffle à travers la prière. En effet, la communauté paroissiale la plus vivante n'est pas celle qui a le plus grand nombre d'engagements et de rencontres, mais celle qui concentre toute son oeuvre sur son appel à vivre l'union avec Dieu Un et Trine, à travers l'écoute de la Parole de Dieu et la participation aux sacrements. Cette nécessité a été soulignée par de nombreux promoteurs d'une ecclésiologie de communion inspirée par les enseignements du Concile. Dans cette tâche, de nombreux théologiens de votre pays se sont également distingués.


4. Nous nous trouvons à la fin de la préparation du grand Jubilé de l'An 2000. L'année en cours a été consacrée à la première Personne de la Très Sainte Trinité. La réflexion sur Dieu Père ramène au concept de l'Eglise exprimé par saint Cyprien dans une formule lapidaire: "Celui qui n'a pas l'Eglise pour mère, ne peut pas avoir Dieu pour Père" (De Ecclesiae catholicae unitate, n. 6).

Cette affirmation de l'Evêque de Carthage, faite après l'expérience de la persécution de Décius et les événements des lapsi, se conclut par le voeu "qu'aucun des frères (et des soeurs) ne périsse et que la mère joyeusement renferme l'unique corps du peuple uni en son sein" (Ibid., n. 23). Nous sommes tous conscients de l'écart qui existe entre le message confié à l'Eglise et la fragilité humaine de ceux qui l'annoncent. Quel que soit le jugement de l'histoire à l'égard des faiblesses des représentants de l'Eglise, nous ne devons pas oublier ces fautes; au contraire, nous devons faire tout ce qui est possible pour empêcher qu'elles puissent nuire à la diffusion de l'Evangile. C'est pourquoi, "l'Eglise notre mère ne cesse de prier, d'espérer et d'agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l'Eglise, le signe du Christ brille plus clair" (Lumen gentium LG 15).


5. Alors que dans sa sollicitude, l'Eglise, en tant que Mater, est solidaire de ses fils et de ses filles, dans le même temps, elle est également Magistra. C'est pourquoi elle possède l'autorité d'éduquer et d'enseigner à ses fils pour les conduire sur les voies du salut. L'Eglise met au monde, nourrit et éduque ses fils et ses filles. Elle les rassemble en leur donnant une mission et également la certitude de trouver refuge dans le sein maternel. Dans le même temps, elle s'attriste pour ceux qui l'abandonnent, et garde les portes ouvertes pour la réconciliation toujours désirée. Vous, pasteurs, avez une responsabilité particulière. En tant que "Pères de vos communautés", vous avez le droit et l'obligation d'exercer l'"autorité maternelle" de l'Eglise: le Concile Vatican II l'a clairement dit: dans l'annonce, les évêques doivent "manifester la sollicitude maternelle de l'Eglise à l'égard de tous les hommes, fidèles ou non, et [accorder] une attention particulière aux pauvres et aux petits [...] Puisqu'il appartient à l'Eglise d'engager le dialogue avec la société humaine au sein de laquelle elle vit, c'est au premier chef la tâche des évêques d'aller aux hommes et de demander et de promouvoir le dialogue avec eux. Ce dialogue de salut, si l'on veut qu'y soient toujours unies la vérité à la charité, l'intelligence à l'amour, il faut qu'il se distingue par la clarté du langage en même temps que par l'humilité et la bonté, par une prudence convenable alliée pourtant à la confiance: celle-ci, favorisant l'unité, unit naturellement les esprits" (Christus dominus CD 13).


6. A l'amour maternel de l'Eglise doit correspondre l'obéissance cordiale de ses fils et de ses filles. De nos jours, alors que non seulement dans les milieux de la société civile, mais également de l'Eglise, on parle tant d'émancipation, se diffuse toujours davantage une mentalité qui pense pouvoir obtenir la liberté véritable en se détachant de l'Eglise. En tant qu'évêques, vous cherchez à corriger ces tendances erronées, en annonçant et en témoignant avec clarté et fermeté ce qui a toujours constitué une règle fondamentale pour les grands saints qui, même lors des moments difficiles, ne se sont jamais détachés du sein de l'Eglise mère. Je voudrais revenir à l'analogie de saint Cyprien, en la complétant: seul celui qui obéit à la mère Eglise obéit également à Dieu. L'Evêque de Carthage développait cette pensée en indiquant les graves conséquences toujours possibles: "Ce que l'on détache du sein maternel ne peut ni vivre, ni respirer séparément et perd la possibilité de se sauver" (De Ecclesiae catholicae unitate, n. 23).


7. Ces réflexions ne sont pas en marge de la réalité. Vous aussi, pasteurs de vos troupeaux en Allemagne, vous avez fait l'expérience, en particulier au cours de ces années, que le ministère épiscopal devient particulièrement difficile et demande une grande énergie lorsque certains groupes tentent de provoquer dans l'Eglise, à travers des actions concertées et des pressions insistantes, des changements qui ne correspondent pas à la volonté du Christ. Face à ces situations, la tâche de l'Evêque est d'aller de l'avant, en indiquant la direction, en éclaircissant avec patience et en cherchant toujours à unir à travers le dialogue. Je vous exhorte à ne pas perdre l'espérance. Tout en écoutant et en secondant, ne permettez pas qu'une autorité humaine, quel que soit sa nature, puisse relâcher les liens indissolubles qui existent entre vous et le Successeur de Pierre!

A ce point, je désire adresser un salut spécial aux laïcs. J'exprime ma profonde satisfaction aux nombreux hommes et femmes qui suivent de façon authentique leur appel comme race élue et sacerdoce royal (cf. 1P 2,9). A la lumière de leur comportement, je souligne dans le même temps quelle doit être l'attitude des laïcs envers leurs évêques et prêtres. Aux saints pasteurs qu'ils "s'ouvrent [...] de leurs besoins et de leurs voeux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ [...] Cela doit se faire, le cas échéant, par le moyen des institutions que l'Eglise a établies pour cela, et toujours dans la sincérité, le courage et la prudence, avec le respect et la charité qu'on doit à ceux qui, en raison de leurs charges sacrées, tiennent la place du Christ" (Lumen gentium LG 37).

215 En effet, l'union avec l'évêque est l'attitude essentielle et indispensable du catholique fidèle. On ne peut pas avoir l'illusion d'être du côté du Pape si l'on n'est pas également du côté des évêques qui sont en communion avec lui. Et on ne peut pas affirmer être de la partie des évêques si l'on n'est pas également avec le Chef du Collège.


8. Je note avec satisfaction, vénérés frères, que pour votre part, vous ne manquez pas de témoigner à vos fidèles de la communion à l'intérieur de l'Eglise. En effet, je suis conscient que votre préoccupation primordiale est d'insérer chaque initiative pastorale dans le cadre d'une pleine harmonie avec l'épiscopat du monde entier, réuni autour du Successeur de Pierre.

Je pense, en particulier, au problème de la défense de la vie, pour lequel il est essentiel que les évêques de toute l'Eglise rendent un témoignage unanime et univoque. A propos des Lettres que j'ai écrites, ou que j'ai chargé d'écrire sur cette question, vous savez combien j'ai à coeur l'assistance et l'aide aux femmes enceintes. J'espère que d'ici peu, cette activité significative de l'Eglise dans votre pays sera réorganisée de façon définitive selon mes directives. Je suis convaincu qu'une consultation ecclésiale, qui se distingue par sa qualité, devient un signe éloquent pour la société et constitue un moyen efficace pour encourager les femmes en difficulté à ne pas refuser la nouvelle vie qu'elles portent en leur sein.


9. En réfléchissant sur le rapport entre les pasteurs ordonnés et les laïcs dans les catégories du sacerdoce royal, je voudrais évoquer le sacerdoce commun. Loué soit Dieu, car le Concile Vatican II a mis à nouveau en lumière cette vérité profonde! Dans la nouvelle alliance, il y a un unique sacrifice et un seul prêtre: le Christ. A ce sacrifice du Christ participent tous les baptisés, hommes et femmes, qui sont appelés à offrir leurs "corps comme sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu" (
Rm 12,1). Cette participation concerne non seulement la mission sacerdotale du Christ, mais également sa mission prophétique et royale. En outre, se manifeste ainsi également l'union organique de l'Eglise avec le Christ, qui dans l'Epître aux Ephésiens est décrite à travers l'image de l'époux et de l'épouse (cf. Ep 5,12-33).

Nous nous trouvons ici au coeur du Mystère pascal, dans lequel se révèle le profond amour sponsal de Dieu. Le Christ est l'époux car il s'est donné: il a donné son corps pour nous et il a versé son sang pour nous (cf. Lc 22,19-20). Le fait que Jésus "aima jusqu'à la fin" (Jn 13,1) exalte le caractère sponsal de l'amour divin. Le Christ Sauveur est l'époux de l'Eglise. Nous pouvons donc considérer l'Eucharistie, dans laquelle le Christ construit le Corps de l'Eglise, comme le sacrement de l'époux et de l'épouse.

Il s'ensuit une différence fondamentale entre le sacerdoce commun de tous les baptisés et le sacerdoce des ministres sacrés (cf. Instruction interdicastérielle sur la collaboration des laïcs au ministère sacré). L'Eglise a besoin de prêtres ordonnés qui, dans les actes sacramentels, agissent "in persona Christi", représentant le Christ époux face à l'Eglise épouse. En d'autres termes, les saints pasteurs, membres de l'unique corps de l'Eglise, représentent son chef qui est le Christ. C'est pourquoi, toute tentative de transformer l'état laïc en état clérical, ou bien de transformer le clergé en laïcs, doit être repoussée, parce qu'elle n'est pas conforme à l'organisation mystérieuse voulue par son Fondateur. Et les tendances cherchant à annuler la différence substantielle entre clergé et laïcs, ne pourront pas non plus susciter des vocations. Chers frères, je vous prie de garder toujours vivant dans vos communautés paroissiales le désir de prêtres ordonnés. Même une longue période d'attente, due au manque de prêtres aujourd'hui, ne doit pas pousser la communauté sacerdotale à la résignation face à cet état d'urgence. Les prêtres et les laïcs ont besoin les uns des autres: ils ne peuvent pas se remplacer, mais seulement se compléter réciproquement.


10. A ce propos, je voudrais faire encore une remarque. Dans votre pays se manifeste un malaise croissant par rapport à l'attitude de l'Eglise envers le rôle de la femme. Malheureusement, la conscience que tous les enseignements sur le sacerdoce commun des baptisés sont valables pour tous les hommes et les femmes, de manière égale, ne s'est pas encore diffusée partout. Sans aucun doute, la dignité de la femme - qui doit toujours, et encore davantage, être valorisée - est grande! Mais les droits humains et civils de la personne sont de nature diverse par rapport aux droits, aux devoirs, aux fonctions du ministère ecclésial, et ce fait est trop peu souligné. C'est précisément pour cela que, il y a quelque temps, en vertu de mon mandat de confirmer les frères, j'ai rappelé que l'Eglise "n'a en aucune manière le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Eglise" (Ordinatio sacerdotalis, n. 4).

En tant qu'authentiques pasteurs de vos diocèses, vous avez le devoir de repousser les opinions contraires, qui sont proposées par des personnes ou des groupes, et de promouvoir un dialogue ouvert et clair dans la vérité et dans l'amour que l'Eglise mère doit poursuivre en vue de la promotion de ses filles. N'hésitez pas à répéter que le Magistère de l'Eglise a pris cette décision non pas comme un acte de son pouvoir, mais dans la conscience du devoir d'obéir à la volonté du Seigneur de l'Eglise elle-même. C'est pourquoi l'enseignement sur le sacerdoce réservé aux hommes revêt le caractère de l'infaillibilité qui est liée au Magistère ordinaire et universel de l'Eglise, dont parlait déjà Lumen gentium et auquel j'ai donné une forme juridique dans le Motu Proprio Ad tuendam fidem: "Les évêques, pris un à un, [...] lorsque, même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le Successeur de Pierre le lien de la communion, ils s'accordent pour enseigner authentiquement qu'une doctrine concernant la foi et les moeurs s'impose de manière absolue, alors c'est la doctrine du Christ qu'infailliblement ils expriment" (Lumen gentium LG 25 cf. Ad tuendam fidem LG 3).

Nous devons, quoi qu'il en soit, soutenir ceux qui n'arrivent pas à comprendre l'enseignement de l'Eglise, afin qu'ils ouvrent leur coeur et leur esprit au défi que la foi leur impose. En tant que maîtres authentiques de l'Eglise, qui est mère et maîtresse, l'une de nos priorités absolues doit être de soutenir et de confirmer nos communautés dans la foi. Si nécessaire, nous ne devons pas hésiter à éclaircir les situations confuses et à corriger les déviations. J'invoque donc les dons de l'Esprit Saint sur vos efforts, afin que vous soyez en mesure de conférer au rôle de la femme une empreinte authentique, qui est propre à la doctrine chrétienne, pour le renouveau de la société et pour la redécouverte du véritable visage de l'Eglise.


11. Chers frères! Au cours de cette rencontre, nous avons réfléchi avant tout sur le mystère de l'Eglise. Un mystère qui, en réalité, demeure incompréhensible à la raison humaine et qui ne peut être regardé avec amour et perçu en profondeur qu'avec les yeux de la foi. Les images de l'Eglise comme mère, maîtresse, épouse et corps nous ont toujours conduits vers le Christ, qui est l'Epoux et le Chef de son Eglise. C'est surtout devant Lui que nous nous sentons responsables dans l'accomplissement de notre ministère pastoral. C'est pourquoi mes paroles, que je vous adresse au cours de ces rencontres, ont été claires et directes. Je ne vous cache pas que parfois, au cours des derniers mois, j'ai éprouvé les émotions de l'Apôtre Paul lorsqu'il s'adressait à la communauté de Corinthe à travers ces paroles célèbres: "Oui, c'est dans une grande tribulation et angoisse de coeur que je vous ai écrit, parmi bien des larmes, non pour que vous soyez attristés, mais pour que vous sachiez l'extrême affection que je vous porte" (2Co 2,4).

Dites à vos prêtres, diacres, religieux et religieuses que le Pape est proche d'eux! Assurez aux hommes et aux femmes, aux jeunes et aux personnes âgées, aux malades et aux personnes handicapées que tous peuvent trouver refuge dans le sein de l'Eglise-mère. Avec un amour patient et confiant, efforcez-vous de soutenir les Eglises locales, confiées à chacun de vous, pour les conduire comme épouses au banquet nuptial céleste.

J'invoque l'intercession de la Vierge Marie, et je lui demande de vous protéger, ainsi que tous ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux. Quelle confiance filiale révèlent les paroles d'une prière antique diffusée dans votre patrie: "Sainte Vierge, Mère de Dieu et ma Mère, que je sois toujours à toi"!

Que la Bénédiction apostolique que je vous donne de tout coeur accompagne chacun de vous.




Discours 1999 208