Discours 1999 236


AU PATRIARCHE DE CILICIE DES ARMÉNIENS

Lundi 13 décembre 1999

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  Béatitude,

Chers évêques de l'Eglise arménienne catholique,
Frères et soeurs!

1. Avec une affection pleine d'émotion, je vous souhaite la bienvenue en cette Alma Urbe, sanctifiée par le sang des Apôtres Pierre et Paul, Siège de cet Evêque qui, lui-même édifié sur la pierre qui est le fondement de l'Eglise, a pour mandat de confirmer ses frères dans la foi.

Je vous souhaite une bienvenue particulière dans le saint baiser de la fraternité, Vénéré frère Nerses Pierre XIX, qui, peu de jours après votre élection comme Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques, et après avoir reçu de ma part la communion ecclésiastique, êtes ici pour signifier et manifester avec joie votre communion et celle de votre Eglise avec le Successeur de Pierre. Cet événement célèbre la bonté du Seigneur, qui nous a tant aimés qu'il nous a donné le plein partage de la même foi. Nous avons manifesté cette gratitude de la façon la plus élevée et solennelle qui nous est donnée, à nous chrétiens: en concélébrant la même Eucharistie et en nous échangeant les saints dons du Corps et du Sang du Seigneur, notre espérance commune.

Je vous suis particulièrement reconnaissant pour les paroles affectueuses que vous avez voulu m'adresser. Comme vous l'avez déjà fait dans votre première Lettre pastorale, dans l'adresse de salut d'aujourd'hui, vous avez également cité le saint Docteur arménien Nerses le Gracieux, dont vous avez voulu prendre le nom, au moment de recevoir votre nouvelle responsabilité de père et de chef de l'Eglise catholique arménienne, à côté du nom de Pierre que, en vertu d'une belle tradition d'amour significative à l'égard de ce Siège apostolique, tous les patriarches catholiques arméniens prennent.

Saint Nerses m'est particulièrement cher, tant pour la profondeur de sa doctrine que pour son témoignage de vie édifiant, et pour sa grande ouverture oecuménique, qui le conduisit à aimer et à valoriser la rencontre avec les autres Eglises chrétiennes et à désirer ardemment que la pleine communion entre elles soit à nouveau établie.

Béatitude, je vous souhaite de pouvoir suivre les traces de celui qui est devenu votre saint Patron et d'être un inlassable promoteur de communion, en premier lieu au sein de votre Eglise, puis dans l'admirable symphonie de la catholicité et, enfin, sur le chemin tant désiré vers la pleine communion avec les bien-aimés frères de l'Eglise arménienne apostolique, que vous avez voulu mentionner dans votre adresse de salut, et auxquels j'envoie moi aussi le baiser de paix et mes voeux à l'approche du Saint Noël.


2. Vous assumez votre délicate responsabilité à un moment de grâce particulier, mais également de grande difficulté. Une grande joie nous est donnée à la veille du grand Jubilé de l'An 2000, temps de grâce qui révèle à la foi la véritable signification de l'histoire et le chemin de l'humanité vers le Seigneur qui vient. Cette joie est amplifiée par le fait que, en l'an 2001, le peuple arménien, célébrera les 1.700 ans de sa conversion au christianisme. L'histoire des Arméniens serait vraiment incompréhensible, si l'on faisait abstraction de cet événement qui s'est profondément imprimé dans leur vie et qui en a marqué l'histoire, en particulier à travers le témoignage héroïque du martyre. Comme vous l'avez écrit: "Pour bien comprendre notre histoire, lisons-la avec des yeux chrétiens... Chaque homme cherche le bonheur, chaque homme a droit au bonheur, mais il n'y a pas de vrai bonheur sans la Lumière, sans le Christ" (Lettre pastorale, n. 6).

De la joie, donc, mais qui est encore marquée par les difficultés que connaît le peuple arménien, surtout dans leur patrie d'origine, également tourmentée par de récents événements tragiques. J'adresse à votre peuple l'assurance de l'affection, de la proximité et de la prière du Pape.


3. Votre ministère vous demande une force spirituelle vibrante. Une tâche passionnante de réorganisation de l'Eglise catholique arménienne vous attend, dont le point de départ consiste à la confirmer et à la fortifier dans la foi. Il n'y a pas de véritable renouveau, ni d'authentique progrès, si ce n'est dans la foi. Une foi qui doit tout d'abord être connue, approfondie et célébrée. La prédication de saint Grégoire l'Illuminateur est inscrite dans vos coeurs: elle doit être vivifiée, rendue consciente et témoignée. Ainsi, la tradition de sainteté qui appartient à votre peuple ne sera pas seulement un motif d'orgueil, comme si elle appartenait au passé, mais une source d'engagement dans le présent, visant à un témoignage cohérent de vie. Ce monde qui est le nôtre, ses illusions, ses faux dieux, demandent un nouveau "martyre": celui de la cohérence, et il n'y a pas de cohérence sans une assimilation toujours plus profonde de l'Evangile de Jésus-Christ. On pourra y parvenir grâce à un retour du coeur et de l'esprit à l'Ecriture, à votre Liturgie, à vos Pères, qui ont tant enrichi le patrimoine chrétien.

Cette tâche vous revient en particulier, Bienheureux Frère, vous qui êtes déjà connu et estimé pour votre engagement consciencieux dans le travail, profondément soutenu par l'abandon à la volonté de Dieu, et elle revient également au Synode, que vous présidez. Une façon importante de célébrer les événements de salut de la période qui nous attend consiste à faire en sorte que le Synode des Evêques devienne véritablement l'organe dynamique de la communion dans la foi et dans la vie ecclésiale. Pour que cela se produise, chacun doit faire preuve d'un grand sens des responsabilités, et avoir conscience que le bien de l'Eglise va bien au-delà des horizons personnels et même au-delà de ceux de chaque milieu pastoral, même s'ils sont importants: il s'agit du bien du peuple, du bien de l'Eglise, et il doit pouvoir agir avec l'ampleur d'horizon nécessaire.

Le peuple a besoin des soins attentifs de ses pasteurs. Chaque évêque ne peut que se sentir profondément engagé à l'égard des attentes des brebis de son troupeau. Le saint Docteur Nerses fait ainsi parler le Christ Seigneur à propos du ministère épiscopal: "De même que je ne me suis pas consacré aux plaisirs, mais ai assumé le sacerdoce pour le genre humain; supportant la croix et la mort, vous devez vous aussi combattre jusqu'à la mort pour les brebis de votre bercail, que j'ai acquises par mon sang" (Lettre encyclique, chap. IV).


4. Les prêtres seront le principal objet de vos soins: ils demandent à ce qu'on les aide à trouver véritablement et concrètement dans le Christ, et non dans la position sociale ou dans le prestige personnel, la racine et le sens de leur ministère. Dans le monde d'aujourd'hui, l'orgueil pour sa propre position dans l'Eglise, contredit non seulement ouvertement le mandat du Seigneur, mais est considéré par les fidèles eux-mêmes comme une forme inutile de séparation et d'insensibilité pastorale. De quoi pouvons-nous nous vanter, nous, hommes d'Eglise, connaissant notre péché et notre faiblesse? Nous ne nous vanterons que d'une seule chose: de la Croix du Christ, qui a vaincu la mort. Aux prêtres, qu'il appelle "sages-femmes des fils de Dieu" (ibid., chap. V) le saint Patriarche Nerses offre deux indications précieuses: tout d'abord, croître dans la connaissance de Dieu et de sa parole. De façon très concrète, il leur demande ne pas faire s'écouler "distraitement, comme de l'eau à travers un tube, les paroles mystiques de la prière que vous offrez [...], mais de le faire toujours avec la plus grande attention et, si cela est possible, avec des larmes et une grande crainte, comme si vous les tiriez seulement à présent de votre coeur et de votre esprit" (ibid.).

Renouveler sa propre réponse au Christ, signifie également agir pour approfondir, dans la prière et dans l'étude, la signification de sa propre vocation. Pour ce faire, il sera important d'apprendre avec diligence et de fréquenter avec assiduité, - en assimilant avec humilité les instruments pour les comprendre -, les trésors de spiritualité qui sont propres à la tradition arménienne, car Dieu se comprend mieux lorsque l'on approche sa parole à travers la langue et la sensibilité des propres Pères.

Cela est vrai en particulier pour la liturgie, à la pureté et à la dignité de laquelle vous aurez soin de veiller, bien certains qu'elle parlera de façon merveilleuse au coeur de vos fils. En effet, la première réforme liturgique est l'assimilation et la connaissance de la prière commune traditionnelle.


5. Le second engagement indiqué par Nerses est celui de la concorde dans la charité: "Je vous supplie tous - écrit-il - de ne pas vous abandonner avec hâte aux discussions et aux discours inutiles; soyez en revanche prêts et rapides à la réconciliation et à la paix" (ibid.). Le Peuple de Dieu a besoin de voir des prêtres qui s'aiment, et qui s'estiment toujours plus entre eux. Telle est la première condition pour qu'ils puissent aimer ceux qui leur sont confiés. Il s'agit d'un témoignage puissant, afin que les jeunes les considèrent comme des modèles possibles à imiter. Avec l'aide de Dieu, le manque des vocations pourra être résolu lorsque l'Eglise apparaîtra vraiment transparente dans son témoignage, crédible dans son annonce, ardente dans l'amour fraternel. Le jeunes qui entendent suivre le Christ ne manquent pas. Nous ne devons pas les décevoir.

Je confie également à vos soins assidus les moines, les religieux et les religieuses que le Saint Catholicos définit comme "des colonnes du monde, des anges revêtus de chair et des astres qui resplendissent sur la terre" (ibid., chap. III). Les Arméniens, comme cela se produit de façon particulière dans toutes les Eglises d'Orient, trouvent dans le monachisme ce qui les fortifie dans la foi: l'âme en prière, le rappel des temps ultimes, un modèle de vie fraternelle. Les religieux et les religieuses arméniens catholiques ont contribué, à une époque difficile pour tout le peuple arménien et en se plaçant à son service, sans distinction d'appartenance ecclésiale, à créer des personnalités solides et harmonieuses, qui se distinguent par l'honnêteté de leurs moeurs, la profondeur de leur culture, et l'amour pour leur patrie. Que ce trésor ne soit pas mis en danger. Que le patrimoine de générations entières ne soit pas dispersé. Outre le Pape, c'est tout le peuple arménien qui vous le demande, pour lequel le service à la culture est également une garantie de survie.


6. Béatitude, vos fils et vos filles ont confiance en Vous et attendent votre parole paternelle et vos orientations efficaces. Puisse l'Esprit guider vos pas, soutenir vos intentions, inspirer vos choix.
Lorsque vous retournerez à votre Siège, au Liban, et lorsque vous parcourrez le monde, pour confirmer dans la foi les Arméniens qui vous sont confiés et qui sont partout présents grâce à leur esprit d'entreprise intelligent, apportez-leur, avec votre salut et votre bénédiction, l'affection et la prière du Pape.

En reprenant une dernière fois les paroles de votre protecteur céleste saint Nerses, je "demande à toi, aux évêques, aux prêtres et aux moines qui t'appartiennent de prier pour mes multiples nécessités Celui qui, en tout lieu, est proche de tous ceux qui l'invoquent dans la vérité [..], afin que nous tous, pasteurs et troupeau, nous parvenions aux biens célestes, pour posséder le paradis dans le Christ. A Lui la gloire et la vertu, avec le Père et l'Esprit Saint, dans les siècles. Amen" (Discours pour la consécration en tant que Catholicos).




À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE DES AMBASSADEURS PRÈS LE SAINT-SIÈGE

16 décembre 1999

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Excellences,

1. Je suis heureux de vous accueillir et de recevoir les Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires de vos pays: le Danemark, le Burundi, Singapour, le Rwanda, le Pakistan. Je vous remercie des messages que vous m'avez transmis de la part de vos chefs d'Etat. En retour, je vous saurais gré de leur exprimer mes voeux chaleureux pour leur haute mission au service de leurs compatriotes. Par votre intermédiaire, j'adresse un salut cordial aux autorités de vos nations et à vos concitoyens, notamment les peuples d'Afrique que j'assure de mon soutien.

L'approche du nouveau millénaire est une invitation pour tous les hommes à porter une attention toujours plus grande à leurs frères en humanité, notamment pour les personnes qui sont appelées à exercer d'importantes charges politiques, économiques ou sociales, tâches qui sont avant tout un service de l'ensemble de la communauté humaine. C'est à cette condition que nos contemporains garderont espoir en un avenir meilleur et s'engageront résolument en faveur de leurs frères.


2. La mondialisation ne devrait pas conduire à un appauvrissement croissant des peuples les plus défavorisés, souvent contraints de se plier aux règles économiques des pays riches. Aussi est-il nécessaire que l'économie soit déterminée par des politiques sociales sur les plans national et international, et pas seulement soumise à des facteurs financiers, ce qui conduit à des situations dramatiques pour de nombreux peuples, dont les dettes rendent tout développement impossible.

Les nations qui ont une longue histoire démocratique et technique, et une vitalité économique et sociale ancienne, ont acquis un savoir et un savoir-faire. Elles peuvent les mettre au service des pays qui ont de la peine à gérer leurs infrastructures et les organisations indispensables à la croissance économique, aux besoins de santé et aux nécessités fondamentales des personnes. Ce faisant, elles ne chercheront pas à en tirer des avantages mais elles auront le souci de soutenir l'édification d'une nation et de favoriser une juste liberté d'entreprendre, pour le bien de la collectivité tout entière. Il importe aussi de développer l'assistance aux pays qui s'engagent à poursuivre la lutte contre la pauvreté et contre l'injustice, sources de nombreux foyers de violence et de violation des droits humains. Dans ces domaines, le moment est plus que jamais venu pour tous les peuples de faire preuve d'une solidarité concrète et tangible, pour une meilleure répartition des richesses mondiales et des biens.



3. En cette année où nous célébrons le dixième anniversaire de la Charte des Enfants, il convient de se mobiliser pour donner aux jeunes ce qui est nécessaire à leur croissance et de tout faire pour qu'ils ne soient pas soumis à la violence et à des travaux qui les empêchent d'aller à l'école, afin qu'ils aient une vie normale pour leur âge. Il revient aux Autorités civiles de prendre soin de l'insertion des jeunes dans les réseaux sociaux et économiques, ainsi qu'à leur donner des responsabilités dans la cité, pour faire d'eux des protagonistes de la vie sociale. Une telle attention permettra de réduire la marginalisation d'un nombre croissant d'entre eux et d'éviter que ne se développent, en particulier dans les villes et dans les banlieues, des formes exacerbées de violence, de drogue et de délinquance, qui rendent fragiles les rapports sociaux et les relations entre générations. Il est intolérable que des enfants et des jeunes soient l'objet de commerces corrompus, que ce soit pour la satisfaction d'adultes sans morale ou pour alimenter des réseaux illégaux d'adoption ou de dons d'organes. Comment qualifier d'humaine une société si elle n'assure pas aux générations futures leur dignité et leurs droits les plus élémentaires? Je salue le travail effectué auprès des jeunes par des personnes et par des associations qui, en participant activement à la protection et à l'éducation de la jeunesse, lui donnent l'amour dont elle a besoin et lui inculquent les valeurs de la vie morale et sociale, leur donnant ainsi confiance et espérance en l'avenir.



4. Comme diplomates, j'en suis sûr, vous êtes particulièrement sensibles aux différents aspects de la vie sociale que je viens de développer. Alors que vous commencez votre mission, je vous offre mes voeux les meilleurs et j'invoque sur vous l'abondance des Bénédictions divines, ainsi que sur vos familles, sur vos collaborateurs et sur vos nations respectives.




À L'AMBASSADEUR DU DANEMARK PRÈS LE SAINT SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 16 décembre 1999

239
Monsieur l'Ambassadeur,


Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui et d'accepter les Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeur du Danemark près le Saint-Siège. Je vous remercie pour vos aimables paroles et pour les salutations que vous me transmettez de la part de Sa Majesté la Reine Margrethe II, et je vous prie de transmettre à Sa Majesté, au gouvernement et au peuple du Danemark mes meilleurs voeux et l'assurance de mes prières pour la paix et le bien-être de la nation. Bien qu'elle remonte à dix ans, ma visite dans votre pays est encore gravée dans ma mémoire. J'ai eu le privilège de voir alors de près la richesse de la culture danoise, la force des libertés danoises et la générosité de coeur des Danois. Cela fait partie des raisons pour lesquelles, bien que petit en superficie et en population, votre pays a joué un rôle si important dans l'édification de la civilisation européenne. Le Danemark est un pont entre le continent européen et les pays du nord: ce rôle n'a pas toujours été facile à jouer pour les Danois, mais il a été vital. Et aujourd'hui, le Danemark peut jouer un rôle tout aussi significatif en cette période délicate d'union politique et sociale croissante que l'Europe traverse actuellement.

Il existe de nombreux points positifs dans l'édification de la "maison européenne commune", mais des événements tels que les terribles guerres récentes, nous rappellent que ce qui a été obtenu grâce à un travail si dévoué est encore exposé à de graves menaces de toutes sortes. Aujourd'hui en Europe, la nature des conflits a changé, et les Etats souverains ne se déclarent plus la guerre. Mais le conflit en lui-même n'a pas disparu, et les guerres ont à présent lieu au sein des Etats, plutôt qu'entre les Etats. La question qui se pose est donc la suivante: Que faut-il faire pour instaurer une véritable paix en Europe? Il n'existe pas de réponse simple et rapide à cette question complexe, mais une chose devient de plus en plus claire: il est impossible d'édifier une sécurité stable sans de solides bases morales. Trois éléments de ces bases méritent une réflexion attentive de la part de tous ceux qui sont responsables de la politique publique en Europe.

Un premier élément est la reconnaissance de la loi naturelle, qui signifie un ensemble de valeurs et de principes moraux qui régissent tout comportement et relations humaines, ayant la primauté sur toute loi positive émanant d'un Etat. Au-delà du caractère distinct du temps, du lieu, de la culture, de la personnalité et de la situation, il existe une loi morale universelle gravée dans le coeur humain et accessible à la raison humaine, qui nous conduit à faire le bien et à éviter le mal. Car s'il n'existe pas de vérité ultime pouvant guider les décisions personnelles, l'individu part à la dérive dans un monde subjectif et relativiste; et s'il n'existe pas de vérité ultime guidant l'action politique, les idées sont trop facilement manipulées pour servir les fins des puissants. Une démocratie sans valeurs transcendantes glisse souvent vers des formes de totalitarisme, comme notre siècle l'a montré de façon si triste. En tant qu'incarnation de ces valeurs, la loi naturelle est une "grammaire" commune à tous ceux qui ont des responsabilités pour le destin des nations.

Un second élément de ces bases solides est la reconnaissance des droits inaliénables des individus et des peuples. Revendiquer, de la part des gouvernements, le droit d'accorder ou de nier ces droits, est l'essence du totalitarisme. En effet, ils prennent leur source non pas dans un pouvoir politique, mais dans le mystère de la personne humaine créée à l'image de Dieu. Dans cette perspective, la tâche du gouvernement est de faire tout ce qui est nécessaire afin de protéger les droits des individus et des groupes et d'assurer les conditions de leur exercice. Sur une plus grande échelle, les Organisations et institutions internationales ont pour mission de préserver les droits des peuples du monde, et ce sont les nations les plus faibles qui doivent jouir en premier de cette protection, en particulier à une époque où l'écart entre pays riches et pauvres s'accroît. Il va de soi que toute tentative visant à édifier la sécurité en Europe sans une attention concertée aux droits humains à travers le continent, serait vouée à l'échec, et nous devons nous réjouir de ce qu'il y a une conscience croissante de ce fait au sein de l'opinion publique.

Un troisième élément est le respect des minorités, que celles-ci soient le résultat d'identités ethniques ou  de croyances religieuses différentes. Face aux tentatives multiples et constantes de supprimer les minorités en Europe tout au long de ce siècle, il doit être déclaré sans équivoque que ces groupes ont le droit de maintenir et de développer leur propre culture, et que l'Europe ne sera forte et sûre que dans la mesure où elle garantira cela.

Un nouveau phénomène en Europe est le flux d'immigrés provenant de pays moins développés et moins riches qui viennent en Europe à la recherche d'une vie meilleure, et le Danemark est l'une des premières destinations. Un grand nombre de ces immigrés peuvent présenter des défis particuliers à une société telle que la vôtre, mais les peuples ont le droit d'immigrer légalement pour aller à la recherche de liberté, de sécurité et d'une vie meilleure, comme tant d'Européens l'ont fait par le passé. On ne peut pas non plus nier aux migrants le droit à conserver et à développer leur propre culture dans leur nouveau pays, bien qu'ils doivent s'adapter à la nouvelle culture qui les a accueillis. Dans ce contexte, il demeure pertinent en Europe de réaffirmer le principe de la liberté religieuse, une liberté qui doit être un point de référence de la civilisation européenne, car c'est tout l'édifice des droits humains qui s'écroule si le droit à la liberté religieuse est nié.

Monsieur l'Ambassadeur, le Danemark est à juste titre fier du degré de liberté dont il jouit, une liberté qui ne peut jamais être considérée comme allant de soi, car elle est toujours plus fragile qu'elle n'y paraît. La liberté au Danemark est pour une grande partie le fruit des racines chrétiennes de la culture danoise; c'est pourquoi il est juste que le Dannebrog, marqué du signe de la Croix du Christ, soit encore l'emblème de votre pays et de votre peuple. Il s'agit d'un emblème qui évoque le grand passé chrétien du Danemark, dans lequel des figures lumineuses telles que saint Ansgar et le roi martyr Knud sont des phares pour tous les temps. Le christianisme a donné naissance à une société libre et humaine, et il doit également jouer un rôle à présent dans la protection de cet héritage en garantissant que la liberté est inséparable de la vérité, car la liberté détachée de la vérité donne rapidement lieu à de nouvelles formes d'esclavage.

Les relations entre le Danemark et le Saint-Siège ont parfois été étroites, et parfois plus distantes sous la pression de controverses religieuses. Je souhaite que, de diverses façons, nos relations diplomatiques, ainsi que le récent Accord entre catholiques et luthériens, contribuent à consolider une nouvelle ère de coopération entre nous, pour le bien de l'Europe et de toute la famille humaine.
Monsieur l'Ambassadeur, tandis que vous entrez dans la communauté de diplomates accrédités près le Saint-Siège, je vous assure de la collaboration des différents bureaux de la Curie romaine. Puisse votre mission aider à renforcer les liens d'amitié qui existent entre nous. Sur vous, votre famille, ainsi que sur tout le peuple du Danemark, j'invoque une abondance de Bénédictions de Dieu tout-puissant.

 

À L'AMBASSADEUR DU PAKISTAN PRÈS LE SAINT SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 16 décembre 1999

240

Monsieur l'Ambassadeur,

C'est pour moi un plaisir aujourd'hui de vous accueillir au Vatican et d'accepter les Lettres qui vous accréditent en tant qu'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République islamique du Pakistan près le Saint-Siège. Je désire exprimer ma gratitude pour le message de salutation que vous me transmettez de la part de du Président Muhammad Rafiq Tarar, et du gouvernement et du peuple du Pakistan. Je vous demande de leur transmettre mes meilleurs voeux ainsi que l'assurance de mes prières pour la prospérité, l'harmonie et le bien-être de votre pays.

Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie de vos cordiales paroles d'estime pour les efforts du Saint-Siège au sein de la Communauté internationale en vue de promouvoir la paix et le développement humain à travers le monde. Le Saint-Siège considère ce travail comme faisant partie de son service à la famille humaine, motivé par une préoccupation constante pour le bien-être de tous les peuples. La coopération avec les peuples, les nations et les gouvernements est une condition essentielle pour assurer un avenir meilleur à tous, pour édifier de solides bases de paix et pour promouvoir un développement à travers l'utilisation responsable des ressources du monde. La Communauté internationale doit faire face à d'immenses et nombreux défis dans ses efforts à cet égard, parmi lesquels figurent les graves problèmes que vous avez mentionnés: les situations de pauvreté et de faiblesse économique, les rivalités ethniques et religieuses, ainsi que l'interdiction du droit des peuples à décider de leur destin.

A la base d'un grand nombre des ces difficultés se trouve le refus de reconnaître la dignité inhérente et inaliénable de la personne humaine. Dans mon Message pour la Journée mondiale de la Paix 1999, j'ai déclaré que la dignité de la personne humaine est "une valeur transcendante, toujours reconnue en tant que telle par ceux qui recherchent sincèrement la vérité" (n. 2). Ne pas respecter cette dignité conduit aux diverses formes souvent tragiques, de discrimination, d'exploitation, de tension sociale et de conflit national et international qui nous sont devenus si familiers récemment. Ce n'est que lorsque la dignité de la personne est préservée et garantie qu'il peut y avoir une base solide pour la paix et un développement véritable qui inclut chacun.

La Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont nous avons célébré l'an dernier le cinquantième anniversaire, a été le résultat de la triste expérience et des terribles souffrances de la Deuxième Guerre mondiale. Elle a été motivée par un profond désir de garantir que chaque personne humaine soit reconnue en tant que sujet des mêmes droits indivisibles et universels. L'esprit de la Déclaration est contenu dans son préambule, qui affirme que "la reconnaissance de la dignité inhérente et des droits égaux et inaliénables de tous les membres de la famille humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix". La construction d'une société pacifique et son véritable progrès dépendent de la promotion d'une culture qui respecte et protège les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine, dont les piliers sont le droit à la vie, le droit à la liberté (y compris la liberté de pensée, de conscience et de religion) et le droit à participer pleinement à la société. C'est de ces droits fondamentaux que découlent les différents droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels qui sont essentiels au bien-être des individus et de la société.

La signification que les traditions religieuses et culturelles confèrent à la vie des peuples montre clairement qu'il est faux de penser que le développement humain peut être réduit au développement purement économique. Le véritable progrès ne peut être identifié avec l'accumulation de biens; au contraire, il doit conduire à l'amélioration générale et complète de l'homme considéré dans son intégralité. Il possède donc obligatoirement une dimension morale, composée de droits et de devoirs. Par conséquent, c'est une erreur de relier l'assistance financière et technologique à des conditions qui vont à l'encontre des traditions et des convictions éthiques et religieuses d'un peuple. En effet, lorsque les individus et les communautés ne voient pas un rigoureux respect de leur caractère moral, culturel et spirituel, alors tout le reste - la disponibilité de biens, l'abondance de ressources techniques appliquées à la vie quotidienne, un certain niveau de bien-être matériel - sera insatisfaisant et à la fin méprisables (cf. Sollicitudo Rei socialis, n. 33). Les programmes de développement, au sein des pays et au niveau international, doivent être planifiés et accomplis dans un cadre de solidarité et de liberté qui respecte la vérité de la personne humaine.

La liberté religieuse constitue le coeur même des droits humains (cf. Message pour la Journée mondiale de la Paix 1999, n. 5). La violation de ce droit est une source d'immenses souffrances pour les croyants, et il est donc essentiel que lorsqu'un Etat garantit un statut spécial à l'une des religions, ce ne soit pas au détriment des autres. A une époque où les diverses parties du monde sont déchirées par des conflits au nom des croyances religieuses, des efforts sont nécessaires pour assurer qu'un esprit de tolérance mutuel et de respect prévale. Le recours à la violence au nom de la croyance religieuse est une perversion des enseignements mêmes de la plupart des religions. Au contraire, le dialogue doit être promu parmi les religions présentes sur un territoire afin que tous constatent que la véritable croyance religieuse inspire la paix, encourage la solidarité, promeut la justice et encourage la liberté (cf. Discours à l'occasion de la clôture de l'Assemblée interreligieuse, 28 octobre 1999, n. 3). Tandis que le monde se dirige vers un nouveau millénaire, il doit y exister une conscience croissante de la fraternité universelle de tous les peuples dans l'unique famille humaine, et une plus grande coopération parmi les fidèles des religions du monde dans la promotion des valeurs spirituelles dont l'humanité a plus que jamais besoin.

La communauté catholique du Pakistan est petite en nombre par rapport à l'ensemble de la population, mais ses membres sont fiers de se considérer comme citoyens pakistanais. Ils restent engagés à jouer le rôle qui leur revient dans le développement politique, social et culturel de leur pays, en particulier à travers des activités dans le domaine de l'éducation et de la santé, et de l'assistance aux personnes dans le besoin. En remplissant sa mission, l'Eglise ne recherche pas de privilèges spéciaux, mais désire simplement exercer ses droits librement et que ceux-ci soient respectés. De cette façon, l'Eglise pourra poursuivre sa mission spirituelle et humanitaire et contribuer à édifier une société de justice, de confiance mutuelle et de coopération.

Monsieur l'Ambassadeur, votre pays doit faire face à de nombreuses difficultés et défis aujourd'hui. Je prie pour que Dieu tout-puissant guide les dirigeants du Pakistan à instaurer un processus qui conduira au bien-être effectif de la société et qui jettera les bases d'une paix durable dans la région. Tandis que vous commencez votre mission, je vous offre de tout coeur mes meilleurs voeux et je vous assure que les bureaux de la Curie romaine seront prêts à vous aider. Sur vous-même, ainsi que sur le peuple du Pakistan, j'invoque une abondance de Bénédictions de Dieu tout-puissant.

 

À L'AMBASSADEUR DE SINGAPOUR PRÈS LE SAINT SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 16 décembre 1999

241

Monsieur l'Ambassadeur,

C'est pour moi une grande joie de vous accueillir au Vatican et d'accepter les Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Singapour près le Saint-Siège. Je vous demande de transmettre mes salutations cordiales au Président, S. R. Nathan et au gouvernement, et de les assurer de mes prières pour la paix et le bien-être du peuple de Singapour.

Tandis que nous nous préparons à entrer dans le nouveau millénaire, la Communauté internationale doit faire face à de nombreux défis. Vous avez mentionné le besoin d'un engagement plus profond à la paix, en particulier à la suite des conflits qui éclatent en raison des différences de race ou de religion. A cet égard, votre pays doit jouer un rôle significatif dans votre région, étant donné sa longue expérience de coexistence harmonieuse entre une grande variété de cultures et de traditions religieuses, une caractéristique qui m'a marqué profondément lors de ma brève visite en 1986.

Les bonnes relations entre les croyants religieux dans votre pays témoignent de la vérité selon laquelle l'estime et le respect mutuels sont une condition essentielle pour promouvoir et consolider l'harmonie sociale. Au cours de ma visite à Singapour, j'ai exprimé cette conviction au parc national: "La véritable paix commence dans l'esprit et dans le coeur, dans la volonté et dans l'âme de la personne humaine, car elle provient de l'amour véritable pour les autres. Il est juste de dire que la paix est le fruit de l'amour, lorsque les peuples décident en toute conscience d'améliorer leurs relations avec les autres, de faire tous les efforts possibles pour surmonter les divisions et les incompréhensions et, si possible, pour devenir amis" (Homélie, 20 novembre 1986, n. 8, ORLF du 25 novembre 1986 n. 47). Comme les relations entre nations et groupes seraient différentes dans la société si chacun s'engageait à la paix de cette façon!

Un trait positif des relations internationales récentes a été la préoccupation croissante d'assurer le développement des sociétés les plus pauvres à travers l'assistance financière et technique, et d'autres programmes visant à promouvoir un esprit d'initiative économique au niveau local. A cet égard, le Saint-Siège s'est efforcé de nombreuses fois d'attirer l'attention sur le fardeau de la dette extérieure, qui compromet les économies de peuples entiers et empêche leur progrès social et politique. Tandis que les institutions financières ont accompli de sérieux efforts en vue de garantir une réduction concertée de la dette, une coopération constante entre les nations les plus riches et les plus pauvres est nécessaire afin que les sociétés les plus fragiles puissent développer pleinement leur potentiel.

L'économie développée de votre nation la met en position de pouvoir être d'une grande aide pour les autres nations du Sud-Est asiatique, à travers différentes formes de coopération et d'assistance. Cette assistance est une expression concrète du sens croissant d'interdépendance entre les nations et du besoin de promouvoir une plus grande solidarité au niveau international. Je souhaite que les initiatives communes entre Singapour et le Saint-Siège continuent à se développer et à s'étendre, et je vous prie de transmettre l'expression de ma gratitude au gouvernement pour tout ce qu'il a déjà contribué à accomplir à travers cette coopération. L'engagement de Singapour dans ces programmes représente un investissement pour le progrès à long terme des sociétés et des cultures du Sud-Est asiatique, et il est fondé sur la conscience que le développement authentique n'est pas seulement économique, mais doit être enraciné dans la reconnaissance de la dignité et des droits inaliénables de la personne humaine. Le respect de la dimension morale essentielle des impératifs éthiques de développement est la clé du véritable progrès humain, et constitue la seule base authentique pour un monde véritablement digne de la famille humaine.

L'Eglise oeuvre pour le développement des peuples, non pas parce qu'elle a des solutions techniques particulières à offrir, mais parce qu'elle a une responsabilité qui est d'étendre sa mission religieuse aux différents domaines dans lesquels les hommes et les femmes s'efforcent d'atteindre le bonheur toujours relatif qui est possible dans ce monde, dans le respect de leur dignité en tant que personnes (cf. Sollicitudo rei socialis, n. 41).

Bien que la communauté catholique à Singapour soit petite en nombre, ses membres jouent un rôle dans la coopération avec leurs concitoyens dans la promotion du bien de la société. A cet égard, je vous remercie de vos aimables paroles d'estime pour le travail d'éducation et de formation de l'Eglise dans votre pays. L'éducation catholique possède une longue tradition de sagesse pédagogique, d'attention aux besoins des enfants et des jeunes, et de possibilité d'anticiper les nouveaux besoins et problèmes qui se présentent avec les temps qui changent. Cette tradition permet aux écoles catholiques d'apporter une contribution efficace au développement personnel des jeunes et au progrès de la nation. Outre transmettre une connaissance et des qualifications techniques, les éducateurs catholiques sont engagés à transmettre à leurs étudiants un sens de leur dignité en tant que personnes humaines et une compréhension de leur vocation transcendante. La véritable éducation devrait toujours prendre en compte la nature transcendante de la personne humaine et, en fin de compte, servir le bien de la communauté sociale à laquelle la personne appartient; elle devrait être une formation à l'exercice des droits et des devoirs auxquels les jeunes, en tant qu'adultes, participeront.

Monsieur l'Ambassadeur, je vous offre mes meilleurs voeux tandis que vous commencez votre mission et je suis certains qu'à travers vos efforts, les liens d'amitiés entre Singapour et le Saint-Siège seront renforcés. Sur vous et sur le peuple bien-aimé de Singapour, j'invoque une abondance de Bénédictions de Dieu tout-puissant.

 


Discours 1999 236