Homélies St Jean-Paul II 28179

MESSE DANS LA COUR DU GRAND SÉMINAIRE DE PUEBLA, Dimanche 28 janvier 1979

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Puebla de Los Angeles (Mexique), séminaire Palafoxiano
Dimanche 28 janvier 1979



Puebla de los Angeles : le mot sonore et expressif de votre cité se trouve aujourd’hui sur des millions de lèvres à travers l’Amérique latine et dans le monde entier. Votre ville devient un symbole et un signe pour l’Église latino-américaine. C’est en effet ici que se rassemblent à partir d’aujourd’hui, convoqués par le successeur de Pierre, les évêques de tout le continent pour réfléchir sur la mission des pasteurs en cette partie du monde, à cette heure exceptionnelle de l’Histoire.

Le Pape a voulu monter jusqu’à ce sommet d’où semble s’ouvrir toute l’Amérique latine. Et c’est avec l’impression de contempler l’image de chacune des nations que, sur cet autel élevé au-dessus des montagnes, le Pape a voulu célébrer le sacrifice eucharistique pour invoquer sur cette Conférence, ses participants et ses travaux, la lumière, la chaleur, tous les dons de l’Esprit de Dieu, Esprit de Jésus- Christ.

Rien de plus naturel et de plus nécessaire que de l’invoquer en cette circonstance. La grande Assemblée qui s’ouvre est, en effet, en son essence la plus profonde, une réunion ecclésiale : ecclésiale par ceux qui se réunissent ici, pasteurs de l’Église de Dieu qui est en Amérique ; ecclésiale par le thème qu’elle étudie, la mission de l’Église sur le continent ; ecclésiale par ses objectifs, rendre toujours vivant et efficace l’apport original que l’Église a le devoir d’offrir au bien-être et à la paix de ces peuples. Or il n’y a pas d’Assemblée ecclésiale si l’Esprit de Dieu ne s’y trouve pas, dans la mystérieuse plénitude de son action.

Le Pape l’invoque de toute la plénitude de son coeur. Que le lieu où se réunissent les évêques soit un nouveau Cénacle, plus grand que celui de Jérusalem, où les apôtres étaient à peine onze ce matin-là, mais, comme celui de Jérusalem, ouvert aux flammes du Paraclet et à la force d’une Pentecôte renouvelée. Que l’Esprit accomplisse en vous, évêques ici rassemblés, la mission multiforme que le Seigneur Jésus vous a confiée : interprète de Dieu pour faire comprendre son dessein et sa parole inaccessible à la simple raison humaine (cf.
Jn 14,26) ; qu’il ouvre l’intelligence de ces pasteurs et les introduise dans la Vérité (cf. Jn Jn 16,13) ; témoin de Jésus-Christ, qu’il porte témoignage dans leur conscience et leur coeur et les transforme à leur tour en témoins cohérents, crédibles, efficaces, pendant leurs travaux (cf. Jn 1,26) ; avocat et consolateur, qu’il donne le courage de lutter contre le péché du monde (cf. Jn 16,8), qu’il mette sur leurs lèvres ce qu’ils devront dire, surtout au moment où le témoignage exigera souffrance et peine.

Je vous demande donc, fils et filles bien aimés, de vous unir à moi dans cette Eucharistie, dans cette invocation à l’Esprit. Ce n’est pas pour eux-mêmes ou par intérêt personnel que les évêques venus de tous coins du continent se trouvent ici ; c’est pour vous, Peuple de Dieu, sur ces terres, et pour votre bien. Participez donc à cette IIIe Conférence, vous aussi, à votre manière : en demandant chaque jour pour tous et chacun d’entre eux l’abondance de l’Esprit-Saint.

On a dit, sous une forme belle et profonde, que notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour. Cet amour, dans la famille divine, est l’Esprit-Saint. Le thème de la famille n’est donc pas étranger au thème de l’Esprit- Saint. Permettez que, sur ce thème de la famille — qui occupera à coup sûr les évêques pendant ces jours —, le Pape vous adresse quelques mots.

Vous savez que c’est en des termes denses et pressants que la Conférence de Medellin a parlé de la famille. Les évêques, en cette année 1968, ont vu, dans votre sens profond de la famille, un trait primordial de votre culture latino-américaine. Ils ont montré que, pour le bien de vos pays, les familles latino-américaines devraient avoir trois dimensions : être éducatrices de la foi, formatrices de personnes, promotrices de développement. Ils ont également souligné les graves obstacles que rencontrent les familles pour accomplir cette triple mission. Ils ont recommandé « pour ce faire », la pastorale des familles comme l’une des attentions prioritaires de l’Église sur le continent.

Dix ans ont passé, et l’Église en Amérique latine se sent fière de tout ce qu’elle a pu faire en faveur de la famille. Mais elle reconnaît avec humilité tout ce qui lui reste à accomplir, cependant qu’elle perçoit que la pastorale familiale, loin d’avoir perdu son caractère prioritaire, apparaît aujourd’hui encore plus urgente, comme élément très important de l’évangélisation.

L’Église, en effet, a conscience que, à notre époque, la famille affronte en Amérique latine de sérieux problèmes. Dernièrement certains pays ont introduit le divorce dans leur législation, ce qui entraîne une nouvelle menace pour l’intégrité familiale. Dans la majorité de vos pays on déplore qu’un nombre alarmant d’enfants, avenir de ces nations et espérance de l’avenir, naissent dans des foyers sans aucune stabilité ou, comme on a coutume de les appeler, dans des « familles incomplètes ». En outre, en certains endroits du « continent de l’espérance », cette même espérance court le risque de s’évanouir, puisqu’elle croît au sein de familles dont beaucoup ne peuvent vivre normalement, du fait que, sur elles, particulièrement, se répercutent les résultats les plus négatifs du développement : taux véritablement déprimant d’insalubrité, de pauvreté et même de misère, d’ignorance et d’analphabétisme, conditions inhumaines de logement, sous-alimentation chronique et tant d’autres réalités non moins tristes.

Pour défendre la famille contre ces maux, l’Église s’engage à apporter son aide et invite les gouvernements à mettre au coeur même de leur action une politique socio-familiale intelligente, audacieuse, persévérante, en reconnaissant que là se trouve sans nul doute l’avenir — l’espérance — du continent. Il faudrait ajouter qu’une telle politique familiale ne doit pas être considérée comme un effort sans discrimination pour réduire à n’importe quel prix le taux de natalité — ce que mon prédécesseur Paul VI appelait « réduire le nombre des invités au banquet de la vie » — alors qu’il est notoire que, même pour le développement, un taux équilibré de population est indispensable. Il s’agit de conjuguer les efforts pour créer des conditions favorables à l’existence de familles saines et équilibrées : « augmenter la nourriture sur la table », pour reprendre une expression de Paul VI.

En plus de la défense de la famille, nous devons parler aussi de sa promotion. À cette promotion doivent contribuer de nombreux organismes : les gouvernements et les organisations gouvernementales, l’école, les syndicats, les moyens de communication sociale, les groupements de quartier, les différentes associations volontaires ou spontanées qui fleurissent aujourd’hui partout.

L’Église doit elle aussi apporter sa contribution dans la ligne de sa mission spirituelle d’annonce de l’Évangile et de conduite des hommes vers le salut, une contribution qui a une énorme répercussion sur le bien-être de la famille. Et que peut faire l’Église en unissant ses efforts à ceux des autres ? Je suis sûr que vos évêques s’efforceront d’apporter à cette question des réponses adéquates justes et valables. Je voudrais vous rappeler la grande valeur de ce que l’Église réalise déjà en Amérique latine, par exemple pour préparer les futurs époux au mariage ; pour aider les familles quand elles traversent dans leur existence des crises normales qui, bien dirigées, peuvent être fécondes et enrichissantes ; pour faire de chaque famille chrétienne une véritable « Église domestique » avec tout le riche contenu de cette expression ; pour préparer de nombreuses familles à la mission d’évangélisatrices d’autres familles ; pour mettre en relief toutes les valeurs de la vie familiale ; pour venir en aide aux « familles incomplètes » ; pour stimules les gouvernants à susciter dans leurs pays cette politique socio-familiale dont nous parlions à l’instant. La Conférence de Puebla appuiera certainement ces initiatives et peut-être en suggérera-t-elle d’autres. Nous nous réjouissons de penser que l’histoire de l’Amérique latine aura ainsi des motifs de remercier l’Église pour tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle fait et fera pour la famille sur ce vaste continent.

Fils et filles bien-aimés le Successeur de Pierre se sent aujourd’hui, à cet autel, singulièrement proche de toutes les familles d’Amérique latine. C’est comme si chaque foyer s’ouvrait, comme si le Pape pouvait pénétrer dans chacun d’entre eux : les maisons où ne manquent ni le pain ni le bien-être, mais ou manquent peut-être la concorde et la joie ; les maisons où les familles vivent plutôt modestement et dans l’insécurité du lendemain, en s’aidant mutuellement à mener une vie difficile mais digne ; les logements pauvres de la périphérie de vos villes, où existent tant de souffrances cachées, bien qu’au milieu d’elles existe la joie simple des pauvres ; les humbles masures des paysans, des indigènes, des émigrants, etc. À chaque famille en particulier, le Pape voudrait dire une parole d’encouragement et d’espérance. Vous, familles, qui pouvez jouir du bien-être, ne vous enfermez pas dans votre bonheur ; ouvrez-vous aux autres pour partager ce que vous avez de trop et qui manque aux autres. Familles opprimées par la pauvreté, ne vous découragez pas et, sans avoir le luxe pour idéal, ni la richesse comme principe de bonheur, cherchez avec l’aide de tous à surmonter les passages difficiles dans l’attente de jours meilleurs. Familles visitées et angoissées par la douleur physique ou morale, éprouvées par la maladie ou la misère, n’ajoutez pas à ces souffrances l’amertume ou le désespoir, mais sachez adoucir la douleur par l’espérance. Vous toutes, familles d’Amérique latine, soyez sûres que le Pape vous connaît et veut vous connaître encore davantage parce qu’il vous aime avec une délicatesse de Père.

Telle est, dans le cadre de la visite du Pape au Mexique, la Journée de la famille. Accueillez donc familles latino-américaines — par votre présence ici autour de l’autel, à travers la radio et la télévision —, accueillez la visite que le Pape veut faire à chacune d’entre vous. Et faites au Pape la joie de vous voir croître dans les valeurs chrétiennes qui sont les vôtres, pour que l’Amérique latine trouve en ses millions de familles des raisons d’avoir confiance, d’espérer, de lutter, de construire.


Messe en la Cathédrale d’Oaxaca, Mexique, Lundi 29 janvier 1979

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Très chers frères, très chères soeurs,

Cette cérémonie au cours de laquelle, avec une immense joie, je vais conférer des ministères sacrés à des descendants des populations anciennes de cette terre d’Amérique, confirme la vérité de ce qu’une haute personnalité de votre pays a dit à mon vénéré prédécesseur Paul VI : depuis le commencement de l’histoire des nations américaines, ce fut surtout l’Église qui a protégé les plus humbles avec leurs valeurs et leur dignité de personnes humaines.

Cette vérité reçoit une nouvelle confirmation aujourd’hui où l’Évêque de Rome, le Pasteur de l’Église universelle, va appeler certains d’entre eux à collaborer avec leurs propres pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour son plus grand développement et sa plus grande vitalité (cf. Evangelii nuntiandi
EN 73).

1. On sait que ces ministères ne transforment pas ces laïcs en clercs : ceux qui les reçoivent restent laïcs, ils n’abandonnent pas l’état dans lequel ils vivaient lorsqu’ils ont été appelés (cf. 1Co 7,20). Lorsqu’ils coopèrent avec les ministres sacrés comme suppléants ou aides, ces laïcs sont surtout des collaborateurs de Dieu (cf. 1Co 3,9), qui se sert aussi d’eux pour que se réalise sa volonté de sauver tous les hommes (cf. 1Tm 2,4).

Et même, précisément parce qu’ils s’engagent délibérément dans cette volonté de salut — au point que cet engagement est pour eux la raison ultime de leur présence dans le monde (cf. saint Jean Chrysostome, In Act. Ap., 20, 4) — ces laïcs doivent être considérés comme les archétypes de la participation de tous les fidèles à la mission salvifique de l’Église.

2. En réalité tous les fidèles, en vertu de leur baptême et du sacrement de la confirmation, doivent professer publiquement la foi qu’ils ont reçue de Dieu par l’Église. Ils doivent la répandre et la défendre comme de vrais témoins du Christ (cf. Lumen gentium LG 11). Ce qui veut dire qu’ils sont appelés à l’évangélisation qui est un devoir fondamental de tous les membres du Peuple de Dieu (cf. Ad gentes AGD 35), qu’ils aient ou non des fonctions particulières liées plus intimement aux fonctions des pasteurs (Apostolicam actuositatem AA 24).

À ce propos, permettez que le Successeur de Pierre adresse un appel fervent à tous et chacun pour qu’ils assimilent et mettent en pratique les enseignements et les orientations du IIe Concile du Vatican, qui a consacré aux laïcs le chapitre IV de la Constitution dogmatique Lumen gentium et le décret Apostolicam actuositatem.

Je désire de plus, en souvenir de mon passage parmi vous, en pensant également aux fidèles du monde entier, parler brièvement de ce qui est particulier à la coopération des laïcs à l’unique apostolat, de ses expressions individuelles ou collectives et de sa caractéristique déterminante. Pour cela, je vais m’inspirer de la prière au Christ que nous lisons à laudes le lundi de la IVe semaine du temps liturgique ordinaire : « Toi qui agis avec le Père dans l’histoire de l’humanité, viens rénover les hommes et les choses par la force de ton Esprit. »

En effet, les laïcs, qui, par vocation divine, participent à toute la réalité du monde, en y insérant leur foi devenue réalité dans leur vie publique et privée (cf. Jc Jc 2,17), sont les protagonistes les plus immédiats de la rénovation des hommes et des choses. Par leur présence active de croyants, ils travaillent à la consécration progressive du monde à Dieu (cf. Lumen gentium LG 34). Cette présence se relie à toute l’économie de la religion chrétienne, laquelle est certes une doctrine, mais surtout un événement : l’événement de l’Incarnation de Jésus, l’Homme Dieu qui a récapitulé en lui l’univers (cf. Ep 1,10) ; elle correspond à l’exemple du Christ qui a aussi fait du contact physique un moyen pour communiquer son pouvoir de restaurer toutes choses (cf. Mc 1,41 Mc 7,33 ; Mt 9,29 et s. ; Mt 20,34 Lc 7,14 et Lc 8,54) ; elle est inhérente au caractère sacramentel de l’Église, laquelle, devenue signe et instrument de l’union des hommes avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium LG 1) a été appelée par Dieu à être en communion permanente avec le monde pour y être le levain qui transforme tout du dedans (cf. Mt Mt 13,33).

L’apostolat des laïcs ainsi entendu et appliqué donne tout leur sens à toutes les manifestations de l’histoire humaine, en respectant leur autonomie et en favorisant le progrès exigé par la nature propre de chacune d’elles. En même temps, il nous donne la clef pour interpréter pleinement le sens de l’histoire, étant donné que toutes les réalités temporelles, comme les événements qui les manifestent, trouvent leur sens le plus profond dans la dimension spirituelle qui établit la relation entre le présent et l’avenir (cf. He He 13,14). Méconnaître ou mutiler cette dimension c’est en fait attenter contre l’essence même de l’homme.

3. En quittant cette terre, je garde de vous cet heureux souvenir que vous êtes venus à ma rencontre avec des âmes généreuses qui dorénavant offriront leur vie pour l’extension du royaume de Dieu. Et en même temps je suis sûr que, comme des arbres plantés sur le bord de l’eau, vous donnerez en son temps des fruits abondants (cf. Ps Ps 1,3) pour affermir l’Évangile.

Courage ! Soyez le levain dans la masse (Mt 13,33), faites l’Église ! Que votre témoignage suscite partout d’autres hérauts du salut : « qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la Bonne Nouvelle » (Rm 10,15) ! Rendons grâce à Dieu « qui a commencé en vous une oeuvre excellente et en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour de Jésus Christ » (Ph 1,6).



Messe au Sanctuaire marial de Zapopan, Mexique, Mardi 30 janvier 1979

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Chers frères et soeurs,

1. Nous voici aujourd’hui réunis en ce beau sanctuaire de Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception de Zapopan, dans le grand archidiocèse de Guadalajara. Je ne pouvais ni ne voulais manquer cette rencontre autour de l’autel de Jésus et aux pieds de la Très Sainte Vierge, avec le Peuple de Dieu qui vit en ce lieu. Ce sanctuaire de Zapopan est en effet une preuve de plus, palpable et consolatrice, de l’intense dévotion que, depuis des siècles le peuple mexicain et avec lui tout le peuple latino-américain, professe envers la Vierge immaculée.

Comme celui de Guadalupe, ce sanctuaire vient de l’époque coloniale ; et ses origines remontent également aux courageux efforts d’évangélisation des missionnaires (en ce cas les fils de saint François) parmi les Indiens, si bien disposés à recevoir le message du salut dans le Christ et à vénérer sa Très Sainte Mère, conçue sans la souillure du péché. Ainsi, ces peuples perçoivent la place unique et exceptionnelle de Marie dans la réalisation du plan de Dieu (cf. Lumen gentium
LG 53 et s.), son éminente sainteté et son rapport maternel avec nous. (Ibid., 61, 66.) Depuis lors, elle, l’Immaculée, représentée sur cette petite et simple image, reste liée à la piété populaire du peuple de l’archidiocèse de Guadalajara, de la nation mexicaine et de toute l’Amérique latine. Comme Marie elle-même le dit prophétiquement dans son cantique du Magnificat : « Toutes les générations m’appelleront bienheureuse. » (Lc 1,48)

2. Si cela est vrai du monde catholique tout entier, à combien plus forte raison du Mexique et de l’Amérique latine. On peut dire que la foi et la dévotion à Marie et à ses mystères appartiennent à l’identité propre de ces peuples et caractérisent leur piété populaire, dont parlait mon prédécesseur Paul VI dans l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (48). Cette piété populaire n’est pas nécessairement un sentiment vague, dépourvu de solide base doctrinale, comme une forme inférieure de manifestation religieuse. Que de fois, au contraire, elle apparaît comme la véritable expression de l’âme d’un peuple, dès lors qu’elle est touchée par la grâce et forgée par l’heureuse rencontre entre l’oeuvre d’évangélisation et la culture locale dont parlait également l’exhortation que je viens de citer. Ainsi guidée et soutenue, au besoin purifiée par l’action constante des pasteurs et exercée quotidiennement dans la vie du peuple, la piété populaire est vraiment la piété des « pauvres et des simples » (ibid., 48). C’est la manière dont ces préférés du Seigneur vivent et traduisent dans leurs attitudes humaines et dans toutes les dimensions de la vie, le mystère de la foi qu’ils ont reçue.

38 Cette piété populaire au Mexique et dans toute l’Amérique latine, est indissolublement mariale. La Très Sainte Vierge y occupe la même place prééminente qu’elle possède dans la totalité de la foi chrétienne. Elle est la mère, la reine, la protectrice et le modèle. On vient à elle pour l’honorer, pour demander son intercession, pour apprendre à l’imiter, c’est-à-dire pour apprendre à être un vrai disciple de Jésus. Car, ainsi que le Seigneur lui-même le dit : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère. » (Mc 3,55)

Loin de porter ombrage à la médiation irremplaçable et unique du Christ, cette fonction de Marie, accueillie par la piété populaire, la met en relief et « en manifeste la vertu » (Lumen gentium LG 60), car tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a vient de la « surabondance des mérites du Christ s’appuie sur sa médiation » et conduit à lui (ibid.). Les fidèles qui viennent à ce sanctuaire le savent bien et le mettent en pratique, en disant toujours avec elle, en regardant Dieu le Père, dans son Fils bien-aimé, rendu présent parmi nous par l’Esprit : « Mon âme glorifie le Seigneur. » (Lc 1,46)

3. Précisément, quand les fidèles viennent à ce sanctuaire — comme j’ai voulu venir moi-même aujourd’hui, pèlerin sur cette terre mexicaine —, que font-ils d’autre que de louer et d’honorer Dieu le Père, Fils et Esprit-Saint, dans la figure de Marie, unie par des liens indissolubles aux trois personnes de la Très Sainte Trinité comme l’enseigne également le Concile Vatican II ? (cf. Lumen gentium LG 53 Lumen gentium ) Notre visite au sanctuaire de Zapopàn — la mienne aujourd’hui, la vôtre si souvent — signifie, par le fait même la volonté et l’effort de se rapprocher de Dieu et de se laisser inonder par lui, grâce à l’intercession, l’aide et le modèle de Marie.

En ces lieux de grâce, si caractéristiques de la géographie mexicaine et latino-américaine, le peuple de Dieu, convoqué en Église, avec ses pasteurs, et en cette heureuse occasion avec celui qui préside humblement dans l’Église à la charité (cf. Ignace d’Antioche, épître aux ) se réunit autour de l’autel et sous le regard maternel de Marie, pour rendre témoignage de ce qui compte dans ce monde et dans la vie humaine. Autrement dit l’ouverture au don de Dieu, qui se communique en Jésus, notre Sauveur et qui nous vient par Marie. C’est cela qui donne à notre existence terrestre sa véritable dimension transcendante, celle que Dieu a voulue dès le commencement, que Jésus-Christ a restaurée par sa mort et sa résurrection, et qui resplendit dans la Très Sainte Vierge.

Elle est le refuge des pécheurs (refugium peccatorum). Le Peuple de Dieu est conscient de sa condition propre de pécheur. Pour cela, sachant qu’il a besoin d’une constante purification, « il poursuit constamment son effort de pénitence et de réconciliation » (Lumen gentium LG 8). Chacun d’entre nous en a conscience. Jésus allait à la recherche des pécheurs. « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades, et je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Lc 5,31-32)

Il dit au paralytique, avant de le guérir : « Homme, tes péchés te sont pardonnés. » (Lc 5,20) Et à une pécheresse : « Va et ne pèche plus. » (Jn 8,11)

Si la conscience du péché nous écrase, nous cherchons instinctivement Celui qui a le pouvoir de pardonner les péchés (cf. Lc 5,24), et nous le cherchons par l’intermédiaire de Marie dont les sanctuaires sont des lieux de conversion, de pénitence, de réconciliation avec Dieu.

Elle éveille en nous l’espérance du progrès spirituel et de la persévérance dans le bien, alors que parfois cela semble humainement impossible.

Elle nous permet de surmonter les multiples « structures du péché », alors personnelle, familiale et sociale. Elle nous permet d’obtenir la grâce de la véritable libération, grâce à cette liberté par laquelle le Christ a libéré tout homme.

4. D’ici découle encore, comme de sa vraie source, l’engagement authentique au service des autres hommes nos frères, en particulier des plus pauvres et des plus défavorisés, et de la nécessaire transformation de la société. En effet, c’est cela que Dieu veut de nous, c’est pour cela qu’il nous envoie, avec la voix et la force de l’Évangile, en nous rendant responsables les uns des autres. Marie, comme l’enseigne mon prédécesseur Paul VI dans l’exhortation apostolique Marialis cultus (37), est aussi un modèle, elle qui a fidèlement accompli la volonté de Dieu, pour tous ceux qui n’acceptent pas passivement les conditions hostiles de la vie personnelle et sociale, qui ne sont pas victimes de l’ « aliénation », comme on dit aujourd’hui, mais qui proclament avec elle que Dieu est le « vengeur des humbles », et, le cas échéant, « jette les puissants à bas de leurs trônes », pour citer de nouveau le Magnificat (cf. Lc 1,51-53). Car elle offre ainsi « un modèle achevé du disciple du Seigneur : artisan de la cité céleste et temporelle mais pèlerin qui se hâte vers la cité céleste et éternelle ; promoteur de la justice qui délivre l’opprimé et de la charité qui porte secours aux nécessiteux, mais par-dessus tout témoin actif de l’amour qui édifie le Christ dans les coeurs » (Marialis cultus, ibid.) (1).

Voilà ce qu’est Marie pour nous dans ce sanctuaire de Zapopan. Voilà ce que nous sommes venus apprendre d’elle, afin qu’elle soit toujours, pour ces fidèles de Guadalajara, pour la nation mexicaine, et pour toute l’Amérique latine, avec tout leur être chrétien et catholique, la vraie « étoile de l’évangélisation ».

39 5. Mais je ne voudrais pas achever cette allocution sans ajouter quelques mots que je considère importants dans le contexte de tout ce que je viens de dire.

Ce sanctuaire de Zapopan, de même que tant d’autres disséminés à travers le Mexique et l’Amérique latine, où accourent chaque année des millions de pèlerins avec un profond sentiment de piété, peuvent et doivent être des lieux privilégiés pour la rencontre d’une foi toujours plus purifiée, qui les conduise au Christ.

Dans ce but, il sera nécessaire d’apporter une grande attention et un grand zèle à la pastorale des sanctuaires mariaux, par le moyen d’une liturgie appropriée, d’une prédication assidue alliée à une catéchèse solide, du souci du ministère du sacrement de pénitence et de la purification prudente d’éventuelles formes de religiosité qui présenteraient des éléments moins adéquats.

Il faut profiter pastoralement de ces occasions, le cas échéant sporadiques, de la rencontre avec des âmes qui ne sont pas toujours fidèles à tout le programme d’une vie chrétienne, mais qui accourent guidées par une vision parfois incomplète de la foi, pour essayer de les conduire au centre de toute piété solide, le Christ Jésus, Fils de Dieu Sauveur.

Ainsi, la religiosité populaire ira en se perfectionnant, quand cela est nécessaire, et la dévotion mariale revêtira sa pleine signification dans une orientation trinitaire, christocentrique et ecclésiale, comme l’a enseigné si lumineusement l’exhortation apostolique Marialis cultus (25-27).

J’invite les prêtres chargés des sanctuaires et ceux qui y conduisent des pèlerinages à mûrement réfléchir au grand bien qu’ils peuvent faire aux fidèles s’ils savent mettre en oeuvre un système d’évangélisation approprié.

Ne manquez aucune occasion de prêcher le Christ, d’éclairer la foi du peuple, de la rendre plus robuste, en l’aidant dans son chemin vers la Sainte Trinité. Que Marie soit ce chemin. Que la Vierge immaculée de Zapopan vous y aide. Ainsi soit-il.



Fête de la Présentation - 2 février 1979

A l’occasion de la fête de la Présentation du Seigneur, Jean Paul II a célébré en la basilique Saint-Pierre de Rome une messe pour les religieux et les religieuses.

Vendredi 2 février 1979

1. "Lumen ad revelationem gentium" (Lumière pour éclairer les nations).

La liturgie de la fête de ce jour pour nous rappelle avant tout les paroles du Prophète Malachie: "Et soudain arrivera dans son Temple le Seigneur que vous réclamez... voici qu'il arrive". De fait ces paroles se réalisent en ce moment: pour la première fois, entre dans son Temple Celui qui en est le Seigneur. Il s'agit du Temple de l'Ancienne Alliance, qui constituait la préparation de la Nouvelle Alliance. Dieu rétablit cette Nouvelle Alliance avec son peuple en Celui qu'"Il a oint et envoyé dans le monde", c'est-à-dire dans son Fils. Le temple de l'Ancienne Alliance attend ce "Oint", le Messie. Cette attente est pour ainsi dire sa raison d'être.

Et voici qu'il entre. Porté dans les mains de Marie et de Joseph. Il entre comme un enfant de 40 jours, afin de satisfaire aux prescriptions de la loi de Moïse. Ils le portent au Temple comme tant d'autres enfants Israélites: l'enfant de pauvres. Il entre donc, inobservé et — presqu'en contradiction avec les paroles du Prophète Malachie — sans que personne l'attende. "Deus absconditus" (le Dieu qui se cache, cf. Is, Is 45,15). Caché dans la chair humaine, né dans une étable dans les environs de Bethléem. Soumis à la loi du rachat comme sa Mère l'est à celle de la purification.

40 Alors que tout semble indiquer qu'à ce moment personne ne l'attend, que personne ne le découvre, en réalité il n'en est pas ainsi. Le vieux Siméon va à la rencontre de Marie et de Joseph et prend l'enfant dans les bras; et il prononce les paroles qui sont un écho vivant de la prophétie d'Isaïe: "Maintenant, Seigneur, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël (Lc 2,29-32 cf. Is Is 2,2-5 Is 25,7).

Ces paroles sont la synthèse de toute l'attente, la synthèse de l'Ancienne Alliance. L'homme qui les prononce ne parle pas de lui-même II est prophète: il parle du fond de la Révélation et de la foi d'Israël. Il annonce l'accomplissement de l'Ancien Testament et le début du Nouveau.

2. La lumière.

Aujourd'hui l'Eglise bénit les cierges qui donnent de la lumière. En même temps, ces cierges sont le symbole de l'autre lumière, de celle qu'est proprement le Christ. Il a commencé à l'être dès le moment de sa naissance. Il s'est révélé comme lumière aux yeux de Siméon le quarantième jour après sa naissance. Puis, pendant trente années, il est resté comme lumière dans le secret de Nazareth. Ensuite, il a commencé à enseigner, et le temps de son enseignement a été bref. Il a dit: "Je suis la lumière du monde; qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais aura la lumière de la vie" (Jn 8,12). Lorsqu'il fut crucifié "les. ténèbres s'étendirent sur toute la terre" (Mt 27,45 et pass.), mais le troisième jour les ténèbres ont cédé la place à la lumière de la résurrection.

La lumière est à nous!

Qu'éclaire-t-elle?

Elle éclaire les ténèbres des âmes humaines. Les ténèbres de l'existence. Eternel et immense est l'effort de l'homme pour s'ouvrir la voie et parvenir à la connaissance: lumière de la connaissance et de l'existence. L' homme a souvent besoin de longues années pour s'éclairer sur quelque événement, pour trouver la réponse à une question déterminée. Et nous devons, chacun de nous, exercer un immense effort sur nous-mêmes, si nous voulons, à travers tout ce qu'il y a en nous d'"obscur", de ténébreux, à travers notre pire "ego", à travers l'homme dominé par la concupiscence de la chair, des yeux, par l'orgueil de la richesse (cf. 1Jn 2,16), si nous voulons, donc, dévoiler ce qui est lumineux: l'homme de simplicité, d'humilité, d'amour, de sacrifice désintéressé; les nouveaux horizons de la pensée, du coeur, de la volonté, du caractère. "Les ténèbres s'en vont et la vraie lumière brille déjà" (1Jn 2,8).

Si nous nous demandons ce qu'éclaire cette lumière que Siméon a reconnue en l'enfant de 40 jours, voici la réponse. C'est la réponse de l'expérience intérieure de tous ceux qui ont décidé de suivre cette lumière. C'est la réponse de votre vie, mes chers frères et soeurs, religieux et religieuses qui participez aujourd'hui à la Liturgie de cette fête, tenant à la main le cierge allumé. C'est comme un avant-goût, de la vigile de Pâques, quand l'Eglise, c'est-à-dire chacun de nous franchira le seuil du Temple, tenant bien haut le cierge allumé et chantant Lumen Christi.

C'est tout spécialement en profondeur que le Christ éclaire le mystère de l'homme. Il pénètre particulièrement et profondément et en même temps avec une immense délicatesse, dans le secret des âmes et des consciences humaines. Il est le Maître de la vie, au sens le plus profond. Il est le Maître de nos vocations. Et c'est vraiment Lui, Lui l'Unique, qui nous a révélé à chacun de nous et ne cesse de révéler à de nombreux autres la vérité que "l'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulu pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même (cf. Lc 17,33)" (Constit. pastorale Gaudium et Spes GS 34).

Rendons grâces aujourd'hui pour la lumière qui est parmi nous. Rendons grâces pour tout ce qui, par le Christ, est devenu lumière en nous-mêmes; qui a cessé d'être "l'obscur et l'inconnu".

3. Pour finir, Siméon dit à Marie, d'abord au sujet de son Fils: "Vois! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'Israël; il doit être un signe en butte â la contradiction" Et à l'égard de Marie il ajouta: "... toi-même, un glaive te transpercera l'âme! — afin que se révèlent les pensées intimes d'un grand nombre" (Lc 2,34-35).

41 C'est aujourd'hui la fête de Jésus-Christ, au quarantième jour de sa vie, dans le Temple de Jérusalem où il fut porté pour satisfaire aux prescriptions de la loi de Moïse (cf. Lc 2,22-24). Mais c'est aussi la fête de Marie.

Elle porte l'enfant dans les bras. Mais, même tenu dans les mains, Jésus est la lumière de nos âmes, la lumière qui éclaire les ténèbres de la connaissance et de l'existence humaines, de l'intelligence et du coeur.

Ces "pensées intimes d'un grand nombre" sont révélées quand les mains maternelles de Marie soutiennent cette grande Lumière Divine, quand elles la rapprochent de 1'homme.

Ave Maria, Toi qui est devenue Mère de notre lumière au prix du grand sacrifice de ton Fils, au prix du sacrifice maternel de ton coeur!

4. Et enfin, permets-moi aujourd'hui, au lendemain de mon retour du Mexique de te remercier, ô Vierge de Guadalupe, pour cette Lumière que ton Fils est pour les fils et les filles de ce pays et de ceux de toute l'Amérique Latine. La troisième Conférence Générale de l'Episcopat de ce Continent, inaugurée solennellement à tes pieds, ô Marie, dans ton Sanctuaire de Gaudalupe, déroule depuis le 28 janvier à Puebla ses travaux sur le thème de l'évangélisation de l'Amérique Latine, aujourd'hui et à l'avenir; elle s'efforce de montrer les voies par lesquelles la lumière du Christ doit atteindre la génération contemporaine de ce grand Continent si prometteur.

Recommandons ces travaux dans la prière, aujourd'hui, en regardant Jésus porté dans les bras de sa mère et en écoutant les paroles de Siméon: "Lumen ad revelationem gentium".



Homélies St Jean-Paul II 28179