Homélies St Jean-Paul II 50


Mercredi 28 février 1979, Cendres

28279 ENTRÉE EN CARÊME PRÉSIDÉE PAR LE SAINT-PÈRE EN LA BASILIQUE SAINTE-SABINE SUR L’AVENTIN

1. "Revenez à moi de tout votre coeur, dans le jeûne...

Retournez au Seigneur votre Dieu..." (
Jl 2,12-13).

Voilà qu'aujourd'hui nous annonçons le Carême avec les paroles du Prophète Joël et nous le commençons avec toute l'Eglise. Nous annonçons le Carême de l'année 1979 avec le rite qui est encore plus éloquent que les paroles du Prophète. L'Eglise bénit aujourd'hui les cendres tirées des rameaux du Dimanche des Rameaux de l'an dernier, et les impose sur chacun de nous. Courbons donc la tête et, dans le symbole des cendres, reconnaissons toute la vérité des paroles que le Seigneur a adressées au premier homme: "Souviens-toi! Tu es poussière et tu retourneras en poussière" (Gn 3,19).

Oui! Rappelons-nous cette réalité, surtout durant le temps de Carême dans lequel la liturgie de l'Eglise nous introduit aujourd'hui. C'est un "temps fort".

Pendant cette période, les vérités divines doivent parler à nos coeurs avec une force toute particulière. Elles doivent venir en contact avec notre expérience humaine, avec notre conscience. La première vérité proclamée aujourd'hui rappelle à l'homme sa faiblesse, lui rappelle sa mort qui pour chacun de nous est la fin de la vie terrestre. L'Eglise insiste aujourd'hui vivement sur cette vérité illustrée par l'histoire de tout homme: "Rappelle-toi que tu retourneras en poussière. Rappelle-toi que ta vie sur la terre a une limite".

2. Mais le Message du Mercredi des Cendres ne s'arrête pas ici. Toute la liturgie d'aujourd'hui nous avertit: Souviens-toi de cette limite; et en même temps: ne t'arrête pas à cette limite! La mort n'est pas seulement une nécessité "naturelle". La mort est un mystère. Voici: nous entrons dans le temps particulier où, plus que jamais, toute l'Eglise veut réfléchir sur la mort comme mystère de l'homme dans le Christ. Le Christ-Fils de Dieu a accepté la mort comme une nécessité de la nature, comme faisant inévitablement partie du destin de l'homme sur la terre. Jésus a accepté la mort comme conséquence du péché. Dès le début, la mort a été liée au péché: la mort du corps ("tu retourneras en poussière") et la mort de l'esprit humain à cause de la désobéissance à Dieu, à l'Esprit Saint. Jésus-Christ a accepté la mort en signe d'obéissance à Dieu afin de restituer à l'esprit humain la plénitude du don de l'Esprit Saint. Jésus-Christ a accepté la mort pour vaincre le péché. Jésus-Christ a accepté la mort pour vaincre la mort dans l'essence même de son mystère éternel.

3. C'est pourquoi le message du Mercredi des Cendres trouve son expression dans les paroles de Saint Paul: "Nous sommes donc en ambassade pour le Christ; c'est comme si Dieu exhortait pour nous. Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n'avait pas connu le péché. Il l'a fait péché pour nous, afin qu en lui nous devenions justice de Dieu" (2Co 5,20-21). Collaborez avec Lui!

La signification du Mercredi des Cendres ne s'épuise pas en nous rappelant la mort et le péché; il constitue également un vibrant appel a vaincre le péché, à se convertir. L'un et l'autre expriment la collaboration avec le Christ. Durant le Carême nous avons devant les yeux toute la divine "économie" de la grâce et du salut! Rappelons-nous, en ce temps de Carême, de "ne pas recevoir en vain la grâce du Christ" (2Co 6,1).

Jésus-Christ lui-même est la plus grande grâce du Carême. C'est lui-même qui se présente devant nous, dans l'admirable simplicité de l'Evangile, avec sa parole et avec ses oeuvres. Il nous parie avec la force de son Gethsémani, du jugement devant Pilate, de la flagellation, du couronnement d'épines, du chemin de la Croix, de sa crucifixion; il nous parle avec tout ce qui peut émouvoir le coeur de l'homme.

L'Eglise tout entière désire, en cette période quadragésimale, être particulièrement unie au Christ, afin que sa prédication et son service soient encore plus féconds. "Le voici maintenant le temps favorable, le voici maintenant le jour du salut" (2Co 6,2).

4. Pénétré du sens profond de la liturgie d'aujourd'hui, moi, Jean Paul II, Evêque de Rome, avec tous mes frères et toutes mes soeurs dans l'unique foi de ton Eglise, et avec tous les frères et soeurs de l'immense famille humaine, je Te dis, à Toi ô Christ: "Pitié pour moi, ô Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché. O Dieu, crée pour moi un coeur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme; ne me repousse pas loin de ta face, ne retire pas de moi ton Esprit Saint" (Ps 51 [50]).

"Or le Seigneur s'émut de jalousie pour son pays et eut compassion de son peuple" (Jl 2,18).

Amen!


11 mars 1979, VISITE À LA PAROISSE ROMAINE SAN BASILIO

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Chers frères et soeurs,

Je désire, en tout premier lieu, vous saluer tous, très cordialement. Ma visite à votre paroisse me donne la faculté de formuler ce salut de vive voix et d'entendre votre réponse donnée également de vive voix. Ce salut et cette réponse proviennent de la conscience de cette unité particulière que nous formons dans l'unité de l'Eglise de Jésus-Christ et spécialement dans le Diocèse de Rome. En nous saluant mutuellement, nous exprimons cette unité dont la valeur ne se limite pas au plan de l'organisation.

Votre paroisse, la paroisse San Basilio n'est pas seulement un élément constitutif du Diocèse de Rome, elle s'insère authentiquement aussi dans cette unité qu'est l'Eglise : rendue illustre, ici à Rome, par saint Pierre et par saint Paul, elle est instituée par les Apôtres du Christ Seigneur, et ses racines plongent dans le "fondement" de notre salut qu'est Jésus-Christ (cf.
1Co 3,10-11) et dans la foi en Lui. Ce fondement est tel qu'en dehors de lui il n'y en a pas d'autre et "nul ne peut en poser d'autre que celui qui s'y trouve déjà" (1Co 3,11). "Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même" (1Tm 2 1Tm 5).

2. C'est dans l'esprit de cette unité que je vous adresse mon salut et que je reçois le vôtre, votre réponse qui est une réponse de foi. Celle-ci est d'autant plus importante pendant le Carême, un temps où nous vivons plus profondément la réalité même de notre "croissance" sur la base de Jésus-Christ, de sa passion et sa mort, de sa résurrection. Ici, à Rome, les traces de cette "croissance" à partir du Christ sont particulièrement fortes et éloquentes.

A l'occasion de cette rencontre je salue le Cardinal Vicaire, l'Evêque Mgr Oscar Zanera, qui accomplit en ce moment une visite pastorale plus longue et profonde à votre paroisse, je salue vos pasteurs, les prêtres qui travaillent parmi vous, les soeurs, les différents collaborateurs pastoraux, tous les paroissiens, y compris ceux qui sont absents aujourd'hui, et tout particulièrement ceux qui forment les différents groupes d'engagement ecclésial. Tous ensemble, vous pouvez offrir un témoignage chrétien toujours plus lumineux dans ce quartier de la périphérie de Rome qui nécessite encore de nombreuses interventions pour y améliorer la qualité de la vie.

Aujourd'hui, deuxième dimanche de Carême, je désire vivre avec vous tous la grâce particulière, de cette rencontre dans la foi qu'est la visite de l'Evêque à la paroisse.

3. Ceci est une rencontre dans la foi, et son contenu nous est précisé dans la liturgie d'aujourd'hui par la parole de Dieu. Un contenu fort, profond et essentiel. En écoutant l'épître de Saint Paul aux Romains, nous trouvons immédiatement la réalité-clé de la foi : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? Qui se fera l'accusateur de ceux que Dieu a élus ? C'est Dieu qui justifie. Qui donc condamnera ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je ? ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous ?" (Rm 8,31-34).

Dieu est avec nous

53 Dieu est avec nous ! Dieu est avec l'homme ! Avec l'humanité. La preuve unique et complète de ceci est et reste toujours celle-ci : "Il n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous" (Rm 8,32).

Pour mettre cette vérité mieux en relief, la liturgie se réfère au Livre de la Genèse : au sacrifice d'Isaac. Quand Dieu a demandé ce sacrifice à Abraham, il voulait en somme préparer la conscience du Peuple élu au sacrifice que, plus tard, son Fils allait accomplir. Dieu a épargné Isaac, et il a épargné également le coeur d'Abraham, son père. Mais, Lui "il n'a pas épargné son propre Fils !". Abraham est devenu "père de notre foi", parce que, avec son consentement immédiat au sacrifice de son fils Isaac, il a annoncé le sacrifice du Christ qui constitue un moment-sommet sur les voies de la foi de toute l'humanité. Nous en sommes tous conscients. Cette conscience vivifie nos âmes tout particulièrement durant le Carême. Cette conscience modèle notre vie chrétienne dès ses racines les plus profondes. Elle la modèle du début à la fin.

Dieu est avec nous, en passant par la croix de son Fils. Et ceci est également la source première de notre force spirituelle. Quand l'Apôtre demande : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?", avec cette demande il embrasse tout ce qui, et tous ceux qui peuvent constituer un danger pour notre esprit, pour notre salut. "Qui condamnera ? Jésus-Christ ? Lui qui est mort, que dis-je ? ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous ?" (Rm 8,34).

De la foi dans le Christ, en sa croix et sa résurrection, jaillit notre espérance. Grande confiance ! Qu'elle soit notre force particulièrement aux heures difficiles de la vie !

4. Ma pensée et ma parole vont de façon spéciale vers tous ceux qui se trouvent en difficulté, quelle qu' elle soit : vers ceux qui souffrent dans le corps et dans l'esprit ; vers ceux qui endurent des épreuves de caractère social, comme des expériences négatives sur le plan du travail ou des malentendus en famille ; aux jeunes qui passent peut-être par un moment de crise; à ceux qui affrontent avec zèle des difficultés de nature pastorale, telles que l'incompréhension, ou la tiédeur à l'égard des valeurs" spirituelles" et la résistance "à l'Esprit Saint.

Ils ont tous le droit d'espérer dans le Christ !

L'espérance qui naît de la foi

Dans l'Evangile d'aujourd'hui nous trouvons une manifestation particulière de cette espérance qui nait de la foi en Jésus-Christ. C'est précisément pendant le temps de Carême que l'Eglise nous relit l'Evangile de la Transfiguration. En effet cet événement a eu lieu afin de préparer les Apôtres aux difficiles épreuves de Gethsémani, de la Passion, de l'humiliation de la flagellation, du couronnement d'épines, du chemin de la Croix, du Calvaire. Jésus voulait, dans cette perspective, démonter à ses Apôtres les plus intimes la splendeur de la gloire qui resplendissait en lui et que son Père lui confirma d'une voix qui venait de Là-Haut, révélant sa filiation divine et sa mission : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur; écoutez-le" (Mt 17,5).

La splendeur de la gloire de la Transfiguration embrasse l'Ancienne Alliance presque tout entière et éclate aux yeux éblouis des Apôtres qui allaient devoir enseigner cette foi qui fait naître l'espérance : de ces Apôtres qui auraient le devoir d'annoncer tout le mystère du Christ.

"Seigneur, il est beau pour nous d'être ici" (Mt 17,4) s'étaient exclamés Pierre, Jacques et Jean, comme s'ils voulaient dire : "Tu es l'incarnation de l'espérance à laquelle aspirent l'âme humaine et le corps humain ! Espérance plus forte que la Croix et le Calvaire ! Espérance qui dissipe les ténèbres de notre existence, du péché, de la mort".

Il est beau pour nous d'être ici : avec Toi !

Puisse votre paroisse être et devenir toujours plus le lieu, la communauté où les hommes, approfondissent par la foi le mystère du Christ, où les hommes prennent toujours plus de confiance, toujours plus conscience de la valeur et du sens de la vie, et répètent au Christ : "Il est beau pour nous d'être ici" : avec Toi ! Ici, dans ce temple. Devant ce tabernacle. Mais pas seulement ici, et peut-être sur un lit d'hôpital, peut-être sur les lieux de travail ; à table, dans la communauté de la famille ! Partout.

En octobre prochain, une Mission sera prêchée dans votre paroisse. Il s'agit d'un présent particulier du Seigneur en cette année où sera célébré le vingt-cinquième anniversaire de la fondation de votre communauté paroissiale. Un grand nombre de Pères Capucins, d'autres groupes de religieux et de laïcs, collaborant avec les prêtres de la paroisse chercheront à prendre un contact personnel avec tous les fidèles afin de proclamer, dans toute sa pureté, le message de Jésus et d'aider chacun de vous à le réaliser pleinement dans sa propre vie quotidienne avec générosité, avec zèle, avec enthousiasme. Beaucoup d' âmes contemplatives prient déjà et se sacrifient pour cette merveilleuse initiative qui, je n'en doute pas, donnera d'abondants fruits de grâce. J'unis moi aussi ma prière au Seigneur pour que tous les membres de cette paroisse répondent avec une totale disponibilité à la mystérieuse invitation du Saint-Esprit qui fera entendre son pressant appel à vivre une vie véritablement nouvelle, tous transfigurés en Lui.





CHAPELLE PAPALE POUR LES OBSÈQUES DU CARDINAL JEAN VILLOT, 13 mars

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Basilique Saint-Pierre
Mardi 13 mars 1979



Très chers frères et fils,

1. Nous sommes réunis ici autour du cercueil de notre frère, qui est parti si rapidement. Il y a seulement une semaine, il aurait été difficile de penser qu’il devait nous quitter, que son heure était si proche. C’était difficilement imaginable. Il semblait encore plein de vie et de force, dans la mesure de son âge, bien sûr. Nous avons été très attristés lorsque les médecins nous ont dit que, malgré ces apparences, son organisme était épuisé et sans défenses.

Il nous a laissés. Le maître de la vie « Deus cui omnia vivunt.… » l’a appelé à lui.

Nous sommes ici réunis autour de l’autel, devant son cercueil, pour célébrer le Saint Sacrifice, nous qui avons vécu chaque jour si près de lui. Notre liturgie, cette concélébration, est en un certain sens une continuation de toutes les journées que nous avons passées avec lui, de toutes nos rencontres, de toutes nos conversations, de toute notre collaboration.

2. Les cardinaux et moi avons encore bien présent à l’esprit ce qu’il nous avait dit, en qualité de camerlingue de la Sainte Église romaine, en deux circonstances solennelles, aux messes votives du Saint-Esprit pour l’élection du Souverain Pontife. La première fois, après la mort du Pape Paul VI, puis quelques semaines plus tard, après la mort du Pape Jean-Paul Ier. Il avait dit, en ce même lieu, nous nous en souvenons :

« En ce moment grave et délicat, éminents Pères, la liturgie nous rassemble tous et nous fait prier pour l’élection du Pape que, avec l’aide du Seigneur, nous allons entreprendre. Nous savons que, selon son indicible promesse, Jésus est au milieu de nous… Il vient spontanément à notre pensée, éminents Pères, que Jésus s’adresse particulièrement à nous, en cette heure solennelle du Conclave — comme aux apôtres réunis au Cénacle — qu’il nous regarde dans les yeux, les uns après les autres, en nous demandant de correspondre totalement (dans les limites, certes, de notre faiblesse humaine) à sa volonté, à son amour prévenant, par une plus profonde union avec lui, une charité fraternelle plus vraie entre nous, et surtout une fidélité convaincue dans l’exercice de la tâche qui nous est demandée. »

Et le 14 octobre suivant, commentant la parole de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » (
Jn 15,13), il faisait remarquer : « Pensons, frères, que nous tous, bien sûr mais tout spécialement celui que nous élirons, nous devons donner notre vie pour la multitude des rachetés, « afin qu’ils deviennent amis du Christ. » Toute la mission mystique de l’Église est dans cette idée. Et, puisque Dieu se sert des hommes comme instruments ordinaires, on voit bien quel esprit doit animer ceux qu’il choisit pour exercer une charge de pasteurs, de guides, tout comme pour faire connaître le message de l’Évangile pour la première fois. Nous-mêmes, qui voulons nous considérer comme ses amis, malgré tous nos manquements, nous le sommes uniquement et exclusivement en vertu de sa mort. »

55 Il a préparé deux fois le Conclave, avec tout le Collège des cardinaux. Il fut secrétaire d’État du Pape Paul VI, puis de Jean-Paul Ier. Après mon élection, il a fait connaître sa disponibilité à quitter cette charge. Je lui ai cependant demandé de rester au moins un certain temps ; et il est resté. Il a servi l’Église par son expérience, ses conseils, sa compétence. Je lui en suis reconnaissant. Et je ne puis qu’exprimer mon regret de voir cette coopération si brutalement interrompue.

3. Il est difficile en ce moment de rappeler toute la vie du défunt. Nos fréquentes rencontres remontent au IIe Concile du Vatican où il fut très actif en qualité de sous-secrétaire. Après la mort de son prédécesseur, il devint archevêque de Lyon et entra au Sacré-Collège des cardinaux. Après le Concile, il lui a été demandé d’entrer au service direct du Saint-Siège comme préfet de la S. Congrégation du Clergé. En mai 1969, le Pape Paul VI lui demanda d’être son secrétaire d’État.

Il apporta à ce poste clef son expérience pastorale d’évêque, et plus encore de prêtre, mûrie pendant les longues années où il a été au service de l’Église qui est en France, laquelle se vante de son titre de « fille ainée » de l’Église universelle ».

Les biographes nous présenteront plus tard la vie et l’oeuvre du cardinal Jean Villot dans toute leur plénitude. Aujourd’hui, nous rappellerons seulement ces paroles de l’Évangile : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera. » (
Jn 12,26) Ainsi en est-il. Cela seulement est important. C’est même l’essentiel. Il a suivi le Christ. Il fut toujours là où il l’appelait. Il a servi. La mesure de toute sa vie est dans ce service.

4. La mesure de sa vie. Oui, cette vie a déjà sa mesure. Elle est maintenant achevée, elle est arrivée à son terme. Nous nous trouvons devant cet achèvement. C’est en cela que consiste la grandeur du moment que nous vivons, la dignité de cette rencontre où se réalise pour notre frère la parole du Seigneur : « Si le grain de blé tombé en terre… meurt, il porte du fruit en abondance. » (Jn 12,24) Seulement, s’il meurt… L’homme doit mourir pour que sa vie porte tout son fruit. L’heure est venue où la vie du cardinal Jean Villot peut produire tout son fruit en Dieu. Aucune vie humaine, dans ses dimensions terrestres, ne peut porter semblable fruit ; et c’est un fruit qui dépasse la vie : « Je le sais, mon Rédempteur est vivant », disait Job dans son épreuve (Jb 12,25).

5. La mort est toujours la dernière expérience de l’homme, et elle est inéluctable. C’est une expérience difficile devant laquelle l’âme humaine prend peur. Le Christ lui-même n’a-t-il pas dit : « Maintenant mon âme est troublée et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? » Et il a tout de suite ajouté : « Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. Père, glorifie ton nom. » (Jn 12,27)

« Père, glorifie… » Il reste ce dernier cri de l’âme, qui contraste tellement avec l’expérience de la mort, avec l’expérience de la destruction du corps, dans lequel « la création toute entière gémit maintenant encore » (Rm 8,22). Et pourtant, tout en gémissant et en souffrant les douleurs de la mort, elle ne cesse d’attendre « avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19). Et nous savons que « les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous » (Rm 8,18).

Nous aussi, alors, devant ce cercueil, dans l’esprit de cette communion particulière qui nous unissait, nous donnons une expression à ces désirs : Père pardonne ; Père, absous ; Père purifie ; purifie à la mesure de la sainteté de ton visage ; et enfin, Père, glorifie.

En toute humilité, mais en même temps avec tout le réalisme de notre foi et de l’espérance nous élevons cette prière près du cercueil de notre frère, le cardinal Jean Villot, secrétaire d’État.


18 mars 1979, VISITE À LA PAROISSE ROMAINE SAN GIUSEPPE (QUARTIER BOCCEA)

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1. "La maison de mon Père".

Aujourd'hui le Christ prononce ces mots sur le seuil du Temple de Jérusalem.

Il apparaît sur ce seuil pour "revendiquer", face aux hommes, la Maison de son Père, pour réclamer ses droits sur cette Maison. Les hommes en ont fait un marché. Le Christ le leur reproche sévèrement. Il s'oppose avec décision à cette déviation. Le "zèle pour la Maison de Dieu le dévore" (cf.
Jn 2,17) ; aussi n'hésite-t il pas à s'exposer à la malveillance des Anciens du peuple juif et à celle des responsables de ce qui a été fait contre la Maison de son Père, contre le Temple.

Cet événement est mémorable. Mémorable la scène. Avec les paroles jaillies de sa sainte colère, le Christ a inscrit profondément dans la tradition de l'Eglise la loi de la sainteté de la Maison de Dieu. En prononçant ces paroles mystérieuses concernant le temple de son corps : "détruisez ce temple ; en trois jours je le relèverai" (Jn 2,19), Jésus a consacré d'une seule fois tous les temples du Peuple de Dieu. Ces paroles acquièrent une signification d'une richesse toute particulière durant la période du Carême lorsqu'en méditant sur la passion du Christ et sur sa mort — destruction du temple de son corps — nous nous préparons à la fête solennelle de Pâques, c'est-à-dire au moment où le Christ se révélera encore à nous dans ce même temple de son corps, à nouveau relevé par la puissance de Dieu qui veut construire en lui, de génération en génération, l'édifice spirituel de la nouvelle foi, espérance et charité.

2. Je viens aujourd'hui en cette Paroisse Saint-Joseph, et je désire tout en vous saluant cordialement vous tous ici présents, vous exprimer ma profonde joie parce que ce quartier a, lui aussi, son Temple, sa Maison de Dieu.

Il ne l'eut pas tout de suite, au moment de l'érection canonique de la paroisse le 19 juin 1961. Quelques années s'écoulèrent avant de pouvoir, exactement le 18 juin 1970, procéder à la consécration et à l'inauguration du nouveau temple, de votre église qui, avec sa nef aérée, s'élève maintenant vers le ciel pour chanter la gloire de Dieu.

Je veux dire quelques mots de satisfaction et de félicitations au Curé et aux prêtres joséphites à qui cette paroisse a été confiée. Ils célèbrent cette année le premier centenaire de fondation de leur très méritante Congrégation, jaillie du coeur apostolique du Vénérable Joseph Marella, Evêque d'Acqui. Cette nouvelle église est un éloquent témoignage du zèle et de la générosité de ses fils spirituels. J'imagine aisément les rudes labeurs, les sacrifices, les renoncements qu'ils ont dû subir pour mener à terme la construction de cet édifice sacré, si accueillant, fonctionnel et pieux, et aménager les locaux paroissiaux qui le complètent. A eux mes louanges et mes remerciements.

Puis, comme il est juste, j'exprime ma sincère satisfaction à tous les fidèles ; sans leur constante et généreuse contribution, il n'eut certes pas été possible de pousser de l'avant, année par année, la réalisation d'une oeuvre si complexe et coûteuse.

De plus, c'est avec joie que je saisis cette occasion pour manifester à M. le Cardinal Vicaire, ici présent parmi nous, la grande considération en laquelle je tiens le dévouement qu'il met dans l'oeuvre de construction de nouvelles églises, c'est-à-dire à favoriser l'édification d'une adéquate Maison du Seigneur dans les nouveaux quartiers, au fur et à mesure qu'ils se forment. L'édifice matériel où le peuple fidèle se rassemble pour écouter la Parole de Dieu et participer à la célébration des mystères divins, représente un élément des plus importants de la croissance et du raffermissement de cette communauté de foi, d'espérance et d'amour qu'est la paroisse.

A ce propos ne saurait manquer un mot de gratitude adressé à S .Exc. Mgr Remigio Ragonesi, l'évêque auxiliaire auquel est confié le secteur ouest du diocèse dont fait partie votre paroisse. Il accomplit, avec un zèle et un dévouement admirables, la visite pastorale de cette zone dans le but de prendre acte du travail réalisé, de coordonner les initiatives d'apostolat, de renforcer l'entente au sein de la famille paroissiale, de réveiller le sens de responsabilité chez tous les fidèles. Accueillez donc, d'un esprit ouvert et docile, ses enseignements et ses directives.

J'ai eu le plaisir d'apprendre que le territoire de la paroisse abrite quatorze instituts religieux, parmi lesquels un monastère de carmélites de stricte observance. A toutes ces âmes qui suivent le Seigneur dans la pratique des conseils évangéliques, le Pape adresse un salut, comptant beaucoup sur leur apport à la vie de la communauté. Quelles que soient leurs fins spécifiques immédiates — l'éducation de la jeunesse, les soins aux malades, l'assistance des personnes âgées, la vie de contemplation et de pénitence — elles doivent avoir toujours vive dans 1'âme la conscience du rapport étroit qui existe entre leurs engagements institutionnels et la vie de la paroisse, car celle-ci est le lieu concret où, de manière plus complète, l'Eglise universelle, se laisse voir et expérimenter par les habitants de chaque quartier.

Et, en cet instant, je ne saurais manquer non plus d'adresser un mot, pour les saluer et les exhorter, aux laïcs, principalement à ceux qui, avec généreuse disponibilité, se rangent aux côtés de leurs pasteurs pour assumer avec eux la responsabilité de l'évangélisation. Le rapport qui m'a été présenté me révèle que dans cette paroisse est mis en oeuvre un intense programme de catéchèse, comprenant des rencontres bien réparties durant la semaine et fréquentées par un bon nombre d'enfants, d'adolescents et d' adultes. A tous j'adresse mes louanges et j'y ajoute mes encouragements à poursuivre avec constance, notamment grâce au recrutement de forces nouvelles parmi les jeunes.

57 Ne m'a pas échappé la présence de nombreux autres groupes qui se proposent d'animer chrétiennement d'importants secteurs de la vie communautaire, tels que les secteurs missionnaire, familial, caritatif, récréatif, sportif, etc. A tous un cordial "bravo !" et la pressante invitation à persévérer avec généreux élan, malgré les inévitables difficultés. Vous travaillez pour le Royaume du Christ qui est un royaume d'amour, de paix, de solidarité et donc le royaume auquel aspire le coeur de tout être humain. Que la conscience de cette réalité vous soutienne et vous stimule dans l'active participation aux différentes initiatives pastorales promues par la paroisse !

3. Le cadre de tout cet effort apostolique, de cette oeuvre évangélique est la Maison de Dieu, la Maison du Père. Autour de cette Maison se sont multipliées les maisons où habitent les hommes, où habitent les familles. Enorme est l'importance de la maison pour la vie familiale. Immense. Fondamentale. Il y a tant de circonstances qui conditionnent le développement correct d'une famille, mais parmi elles, la maison familiale occupe certainement la première place.

Vous savez que le diocèse de Rome s'est engagé dans une profonde réflexion au sujet d'"une habitation pour chaque famille" et qu'il entend, à l'occasion du Carême, sensibiliser la conscience des fidèles, afin de favoriser la prise, individuellement ou en communauté, d'opportunes décisions aptes à contribuer à la juste solution d'un problème si important.

C'est une action à laquelle tout le monde doit participer de manière responsable et généreuse. Elle est du reste, à juste titre, l'objet des préoccupations des autorités civiles. Les maisons se construisent pour l'homme, pour satisfaire ses besoins les plus fondamentaux et il n'y a aucun autre but ou motif qui puisse modifier cette fin. Dans une société honnêtement solidaire ne peuvent manquer les maisons pour les familles, car le futur même de la société en dépend.

Et ne saurait manquer non plus la Maison de Dieu, celle du Père des hommes et des familles. Qu'il n'arrive jamais que notre civilisation ait à céder à la tentation : "nous avons besoins des logements, nous n'avons pas besoin des églises".

4. La maison est habitation de 1' homme. C'est une condition nécessaire pour que l'homme puisse venir au monde, grandir, se développer; pour qu'il puisse travailler, éduquer et s'éduquer ; pour que les hommes puissent constituer cette union plus profonde et fondamentale qui a le nom de "famille".

On construit les maisons pour les familles. Ensuite, dans les maisons, les familles elles-mêmes se construisent sur la vérité et l'amour. Le premier fondement de cette construction est l'alliance matrimoniale qui s'exprime dans les paroles sacramentelles par lesquelles l'époux et l'épouse se promettent mutuellement l'union, 1' amour, la fidélité conjugale. Sur ce fondement s'appuie cet édifice spirituel dont la construction ne peut jamais prendre fin. Les conjoints, comme les parents, doivent constamment, en sages constructeurs, appliquer à leur propre vie, la mesure de l'union, de l'amour, de l'honnêteté et de la fidélité conjugale. Ils doivent chaque jour, renouveler ce serment dans le coeur et parfois aussi le rappeler verbalement. Aujourd'hui, à l'occasion de cette visite pastorale, je vous invite à le faire de manière toute particulière, parce que la visite pastorale doit servir au renouvellement de ce temple que nous formons tous en le Christ crucifié et ressuscité. Saint Paul a dit que le Christ est "puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (
1Co 1,24). Qu'il soit également votre puissance et votre sagesse, chers époux et parents ! Qu'il le soit pour toutes les familles de cette paroisse ! Ne vous privez pas de cette puissance et de cette sagesse ! Renforcez-vous en elles. Eduquez vos fils en elles et ne permettez pas que cette puissance et cette sagesse qu'est le Christ puissent un jour leur être enlevées. Par aucun milieu, par aucune institution ! Ne permettez à personne de détruire ce temple que vous avez construit dans vos fils. Ceci est votre devoir, mais c'est aussi votre droit le plus sacré. C'est un droit que nul ne saurait violer sans commettre un acte arbitraire.

5. La famille est construite sur la sagesse et sur la puissance du Christ lui-même, car elle s'appuie sur un sacrement. Elle est aussi construite et constamment se construit sur la loi divine à laquelle on ne saurait, d'aucune façon substituer toute autre loi. Un législateur humain pourrait-il abolir les commandements que nous rappelle aujourd'hui la lecture du Livre de l'Exode : "tu ne tueras point, tu ne commettras point l'adultère, tu ne voleras pas, tu ne prononceras pas de faux-témoignage" (Ex 20,13-16) ? Nous connaissons tous le Décalogue par coeur. Les dix commandements constituent le nécessaire contenu de la vie humaine personnelle, familiale, sociale. Quand ces propositions viennent à manquer, la vie de l'homme devient inhumaine. Aussi le devoir fondamental de la famille, puis de l'école et de toutes les institutions est-il l'éducation et la consolidation de la vie humaine sur le fondement de cette Loi qu'il n'est permis à personne de violer.

Nous construisons ainsi, avec le Christ, le temple de la vie humaine, dans lequel Dieu habite. Construisons en nous la maison du Père ! Que le zèle à construire cette maison constitue le principal élément de la vie de nous tous ici présents, de toute la paroisse qui a comme Patron Saint Joseph, Epoux de Marie Mère de Dieu, Patron des familles, Protecteur du Fils de Dieu, Patron de la Sainte Eglise. Demain 19 mars, nous célébrerons solennellement sa fête liturgique. Que votre paroisse dure sous sa protection et se développe comme une famille de Dieu !



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