Homélies St Jean-Paul II 25379

25 mars 1979, VISITE À LA PAROISSE ROMAINE SAINTE-CROIX-DE-JÉRUSALEM

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1. Aujourd'hui, le Pape vient visiter la paroisse dont l'église porte le nom de Sainte-Croix-de-Jérusalem et fait partie des Stations quadragésimales. Nous pouvons, grâce à ce fait, nous référer aux traditions du Carême à Rome. Ces traditions, auxquelles participait indirectement toute l'Eglise catholique, étaient liées à différents sanctuaires de la Rome antique où les fidèles, le clergé et les évêques se réunissaient chacun des jours du Carême. Par esprit de pénitence, ils visitaient les lieux sanctifiés par le sang des martyrs et par les prières du Peuple de Dieu. Précisément le quatrième dimanche du Carême, la Station quadragésimale était célébrée ici, dans le sanctuaire où nous nous trouvons en ce moment. Les circonstances de la vie contemporaine, le grand développement territorial de Rome font que pendant le Carême on visite plutôt les paroisses situées dans les nouveaux quartiers de la ville.

La liturgie dominicale de ce jour commence par le mot: "Laetare! — Réjouis-toi! — c'est-à-dire par une invitation à la joie spirituelle. Je me réjouis également parce que ce dimanche il m'est donné de venir en un lieu sanctifié par la tradition de très nombreuses générations; de me trouver dans le sanctuaire de la Sainte Croix qui, aujourd'hui, est en même temps Station quadragésimale et votre église paroissiale.

2. Je viens ici pour adorer en esprit, avec vous, le mystère de la Croix du Seigneur. l'Entretien de Jésus avec Nicodème que nous trouvons dans l'Evangile de ce jour nous oriente vers ce mystère. Jésus a devant lui un scribe, versé dans les Saintes Ecritures, un membre du Sanhédrin et, en même temps, un homme de bonne volonté. C'est pourquoi il décide de l'initier au mystère de la Croix. Il lui rappelle donc, pour commencer, que durant la marche de 40 années qui mena le peuple d'Israël de l'Egypte à la Terre Promise, Moïse éleva le serpent d'airain au désert. Or, si l'un des serpents du désert mordait un homme et que celui-ci regardait vers le serpent d'airain, il vivait ! (
Nb 21,6-9). Le signe qu'était le serpent d'airain annonçait une autre élévation : "Ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme — dit Jésus qui parle ici de son érection sur la Croix — afin que tout homme qui croit ait par lui la vie éternelle'' (Jn 3,14-15). La Croix : non plus le signe annonciateur, mais la réalité même du salut!

Et voilà que Jésus explique à fond le sens de la Croix à son interlocuteur, stupéfait mais en même temps prêt à écouter et à poursuivre l'entretien : "Oui, dit Jésus, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle" (Jn 3,16).

La Croix est une nouvelle révélation de Dieu. C'est la révélation définitive. Sur le chemin de la pensée humaine vers Dieu, sur la voie de la compréhension de Dieu s'opère un renversement radical. Nicodème, l'homme honnête et noble, en même temps disciple et connaisseur de l'ancien Testament, dut éprouver une grande secousse intérieure. Pour Israël, Dieu était surtout Majesté et Justice. Il voyait en lui un juge qui récompense et punit. Le Dieu dont parle Jésus est un Dieu qui n'a pas envoyé son Fils "pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jn 3,17). Il est un Dieu de l'Amour, le Père qui ne recule pas devant le sacrifice de son Fils pour sauver l'homme".

3. Saint Paul, le regard fixé sur la même révélation de Dieu, répète par deux fois aujourd'hui dans son épitre aux Ephésiens "C'est par grâce que vous êtes sauvés" (Ep 2,5) et "C'est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi" (Ep 2,8). Et Paul était bien, jusqu'au moment de sa conversion, l'homme de la Loi Antique, tout comme Nicodème. Jésus se révéla à lui sur le chemin de Damas et dès ce moment il comprit ce qu'il nous dit aujourd'hui de Dieu: "Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont II nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ — c'est par grâce que vous êtes sauvés" (Ep 2,4-5).

Qu'est-ce que la grâce ? "C'est un don de Dieu". Le don qui s'explique par son Amour. Le don est là où est l'Amour. Et l'Amour se révèle moyennant la Croix. C'est ce que Jésus a dit à Nicodème. L'Amour qui se révèle moyennant la Croix, voilà ce qu'est réellement la grâce. En elle est révélée la figure la plus profonde de Dieu. Il n'est pas seulement le juge. Il est un Dieu d'infinie majesté et d'extrême justice. Il est un Père qui veut que le monde soit sauvé, qu'il comprenne la signification de la Croix. Son éloquence transcende la signification de la Loi et de la peine. Elle est la parole qui parle de manière différente à la conscience humaine. Elle est la parole qui oblige d'une autre manière que les paroles de la Loi et que la menace du châtiment. Pour comprendre cette parole il faut devenir un homme transformé. L'homme de la Grâce et de la Vérité. La grâce est un don qui engage ! Le don du Dieu Vivant qui engage l'homme pour la vie nouvelle ! C'est proprement en cela que consiste le jugement dont Jésus a encore parlé à Nicodème : La Croix sauve et, en même temps, elle juge. Elle juge autrement. Elle juge plus profondément. "En effet quiconque fait le mal, hait la lumière" ... c'est-à-dire précisément cette extraordinaire lumière qui émane de le Croix ! "Mais celui qui agit dans la vérité vient à la lumière" (Jn 3,20-21) vient à la Croix. Se soumet aux exigences de la grâce. Il veut être engagé par cet indicible don de Dieu. Que ce don façonne toute sa vie. Dans la Croix cet homme entend vraiment la voix de Dieu qui adresse la parole aux fils de notre terre, de la même manière qu'autrefois, il a parlé aux exilés d'Israël par la voix de Cyrus, roi de Perse, dans son invocation d'espérance. La Croix est une invocation d'espérance.

4. Nous, qui sommes réunis ici près de cette Station quadragésimale de la Croix du Christ, nous devons nous poser ces questions fondamentales, qui de la Croix, affluent vers nous : Qu'avons-nous fait et que faisons nous pour mieux connaître Dieu ? Ce Dieu que le Christ nous a révélé, qui est-il pour nous ? Quelle place occupe-t-il dans notre conscience, dans notre vie ? Demandons-nous, de cet endroit-ci, pourquoi de si nombreux facteurs, de si nombreuses circonstances ont enlevé à Dieu cette place en nous. Dieu serait-il déjà devenu pour nous un être marginal ? Son nom n'a-t-il pas été enseveli en notre âme sous un amas d'autres paroles ? N'a-t-il pas été foulé aux pieds comme cette semence tombée "le long du chemin" (Mc 4,4) ? N'avons-nous pas renoncé intérieurement à la rédemption moyennant la Croix du Christ, en mettant à sa place d'autres programmes temporels, partiels, superficiels ?

5. Le Sanctuaire de la Sainte Croix est le lieu où nous devons nous faire ces demandes fondamentales. La paroisse est une communauté ranimée par la Croix du Christ.

Que dire de votre communauté paroissiale ?

Je souhaite que, vivante et active, depuis 1910, elle ne cesse jamais d' être animée d'une vie chrétienne fécondée par une fréquentation assidue et fervente des sacrements de l'Eucharistie et de la réconciliation ; qu' éclairée par une incessante catéchèse approfondissant la Parole de Dieu et faisant connaître le Christ, elle s'exprime dans une active et généreuse assistance des frères qui, de l'une ou de l'autre manière, ont besoin de notre aide et de notre affection.

Je saisis l'occasion de la présente visite, qui est en même temps un pèlerinage au Sanctuaire de la Croix du Christ, pour m'unir à vous tous ici présents.

Je désire m'unir au curé, au zèle et à la responsabilité duquel est confiée cette portion du Peuple de Dieu; aux prêtres, ses collaborateurs dans la pastorale paroissiale; à la communauté monastique des Cirsterciens dont la prière et les sacrifices font revivre l'esprit de Saint Bernard. Je m'unis aux pères et aux mères qui, avec une abnégation exemplaire, se prodiguent pour le bien de leurs enfants ; je m'unis à la jeunesse, aux garçons et aux filles qui, avec leurs idées et leur labeur, veulent participer à l'édification d'une société toujours meilleure ; je m'unis aux adolescents et aux enfants dont la naturelle innocence emplit ce monde de joie ; je m'unis aux religieuses qui exercent leur apostolat dans le cadre de la paroisse : les Apôtres du Sacré-Coeur, les filles de Notre-Dame-au-Mont-Calvaire, les Soeurs de l'Apostolat catholique; les Carmélites, les Filles de Notre-Dame de la Pureté, les Soeurs Adoratrices du Précieux Sang, les Soeurs de Saint-Joseph, les Soeurs des Pauvres de Saint-Vincent; les Soeurs Tertiaires Franciscaines de la Toussaint, les Filles de la Miséricorde, les Filles du Sacré-Coeur, les Oblates Cisterciennes de la Charité. Mais, de manière toute particulière, je m'unis aux pauvres, aux malades, aux personnes âgées, à tous ceux qui endurent la solitude, l'incompréhension, l'isolement, la soif d'affection ; je leur demande de s'unir au Christ suspendu à sa Croix et d'offrir leurs souffrances pour l'Eglise et pour le Pape.

Et confessons humblement nos fautes, nos négligences, notre indifférence à l'égard de cet amour qui s'est révélé dans la Croix. Et en même temps, renouvelons-nous dans l'esprit, avec le grand désir de la Vie, de la Vie de la grâce qui élève continuellement l'homme, le renforce, l'engage. Cette grâce qui donne sa pleine dimension à notre existence sur la terre. Ainsi soit-il !



30 mars 1979, Messe au gouvernatorat pour le personnel de la Typographie et de l'Osservatore Romano

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Chers frères et amis dans le Seigneur !

Comme déjà les années précédentes, vous, les membres du personnel de l'Imprimerie Polyglotte Vaticane et de L'Osservatore Romano, vous vous êtes préparés à l'accomplissement du "Précepte pascal par quelques journées d'"Exercices Spirituels", et vous êtes rassemblés ici ce matin pour vous rencontrer en communauté et personnellement avec Jésus, avec l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, avec Celui qui est notre Pâque.

Quant à moi, j'ai accueilli bien volontiers l'invitation de venir parmi vous et de prendre part à ce rite mystique et solennel, pour rendre toujours plus cordiales et personnelles les relations entre le Vicaire du Christ et le personnel des différents organismes du Vatican.

Vous êtes ici pour célébrer la "Pâque", selon le commandement pressant et maternel de l'Eglise et, désireux de vous laisser en souvenir quelques paroles qui alimenteront votre réflexion et soutiendront vos intentions sérieuses et constantes, je saisis l'occasion que m'offre la lecture de la liturgie de ce jour.

1. Au chapitre VII du quatrième Evangile, saint Jean note soigneusement la perplexité de nombreuses personnes de Jérusalem à propos de la véritable identité de Jésus. C'était la "fête des Tentes" en souvenir du séjour des Juifs au désert, il y avait un grand mouvement de foules dans la Ville sainte, et Jésus enseignait dans le Temple. Cependant des gens de Jérusalem disaient : "n'est-ce pas lui que les chefs religieux veulent tuer ? Le voilà qui parle en toute liberté et ils ne lui disent rien ! Est-ce que vraiment les autorités auraient reconnu qu'il est le Christ ? Nous savons pourtant d'où il est, celui-ci tandis que le Christ, quand il viendra, personne ne saura d'où il est".

Ce sont des affirmations qui indiquent la perplexité des Juifs de ce temps-là: ils attendent le Messie, ils savent que le Messie aura quelque chose de secret, de mystérieux ; ils pensent que ce pourrait bien être Jésus, vu les prodiges qu'il accomplit et la doctrine qu'il enseigne ; mais ils n'en sont pas certains, du fait que l'autorité religieuse lui est hostile et voudrait même le supprimer.

Et Jésus explique alors le motif de leur perplexité, de leur ignorance de sa véritable identité : ils se basent uniquement sur son signalement extérieur, civil, familial, mais ne vont pas au-delà de sa nature humaine ; ils ne pénètrent pas sous l'enveloppe des apparences : "Oui, vous me connaissez, leur dit-il, et vous savez d'où je suis. Cependant je ne suis pas venu de moi-même, celui qui m'a envoyé est vrai et vous ne le connaissez pas. Moi je le connais parce que je viens d'auprès de lui et c'est lui qui m'a envoyé" (
Jn 7,28).

C'est un événement historique raconté par l'Evangile, mais c'est aussi le symbole d'une réalité permanente : nombreux sont ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas savoir qui est Jésus, et demeurent perplexes, déconcertés. Bien plus, comme jadis au Temple, après son discours, ils cherchent à l'arrêter et d'aucuns parfois le contestent et le combattent. Vous, par contre, vous savez qui est Jésus ; vous savez d'où il vient et pourquoi il est venu ! Vous savez que Jésus est le Verbe Incarné, qu'il est la Deuxième Personne de la Sainte-Trinité qui a pris un corps humain, qu'il est le Fils de Dieu fait homme, mort sur la Croix pour notre salut, ressuscité dans la gloire et toujours présent parmi nous dans l'Eucharistie.

Ce que Jésus disait aux Apôtres au cours de la dernière Cène est également valable pour tous les chrétiens éclairés par le magistère de l'Eglise : "La vie éternelle c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et ton envoyé Jésus-Christ... J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner... Maintenant ils savent que tout ce que tu m'as donné vient de toi ; car les paroles que tu m'as données, je les leurs ai transmises, et ils savent vraiment que je suis sorti de toi et ils ont cru que tu m'as envoyé... Père juste, le monde ne t'a pas connu mais moi je te connais et ceux-ci savent que tu m'as envoyé" (Jn 17,3-9 et 25).

La grande tragédie de l'histoire est que Jésus n'est pas connu et donc qu'il n'est pas aimé, qu'il n'est pas suivi.

Vous connaissez le Christ ! Vous savez qui il est. C'est un immense privilège que vous avez là ! Sachez en être toujours dignes et conscients !

C'est de là que proviennent votre joie "pascale" et votre responsabilité chrétienne. Que la rencontre pascale avec Jésus-Eucharistie vous donne la force d'approfondir cette connaissance du Christ, de faire de votre foi un point de référence fixe, en dépit de l'indifférence ou de l'hostilité d' une grande partie du monde dans lequel nous devons vivre.

2. Analysant dans son deuxième chapitre les caractéristiques du juste et celles du méchant, le Livre de la Sagesse considère de manière pratique ce que doit être le témoignage du chrétien conscient et cohérent. Le juste, dit le Livre de la Sagesse, déclare avoir la science de Dieu et il se nomme le fils du Seigneur : il se vante d'avoir Dieu pour Père !

Avoir la science de Dieu ! Avoir Dieu pour Père ! Voilà d'énormes affirmations qui mettent les philosophes en crise ! Et pourtant, le chrétien sait et témoigne qu'il connaît Dieu comme Père, comme Amour, comme Providence.

Dieu est le Seigneur de la vie et de l'histoire, et le chrétien s'abandonne en toute confiance à son amour paternel.

La vie du juste est différente de celle des autres, et entièrement différentes sont ses voies, et il finit ainsi par être un sujet de réprobation et de condamnation pour ceux qui né vivent pas de manière juste, qui sont aveuglés par la malice et qui refusent de connaître "les secrets de Dieu".

Le chrétien en effet est dans le monde, mais il n'est pas du monde (cf. Jn 17,16) ; sa vie doit nécessairement être différente de celui qui n'a pas la foi, comme diffèrent sa conduite, ses habitudes, sa manière de penser, de choisir, d'évaluer les choses et les situations, car elles sont vécues à la lumière de la Parole de Dieu qui est un message de vie éternelle.

Enfin, toujours selon le Livre de la Sagesse, il proclame sa mort heureuse, alors que les impies "n'espèrent pas le salaire de la sainteté ni reconnaissent la récompense des âmes pures" (Sg 2,22).

Le chrétien doit vivre dans la perspective de l'éternité. Parfois sa vie authentiquement chrétienne peut susciter même des persécutions, ouvertes ou sournoises : "Voyons si ses paroles sont vraies : mettons-le à 1'épreuve en l'abreuvant d'insultes et de tourments pour connaître la douceur de son caractère et mesurer sa résignation". La certitude de la félicité éternelle qui nous attend rend le chrétien fort contre les tentations et patient dans les tribulations. "S'ils m'ont persécuté, a dit le Divin Maître, ils vous persécuteront aussi" (Jn 15,20).

Je forme des voeux pour que la rencontre pascale avec Jésus vous apporte la joie et la force du témoignage, dans la conviction qu'après la terrible douleur du Vendredi Saint jaillira la joie glorieuse du Dimanche de la Résurrection !

3. Enfin, la liturgie nous fait aussi méditer sur la faiblesse et la fragilité humaines, et sur la nécessité de se fier totalement à la miséricorde de Dieu : "Le Seigneur est proche de ceux qui ont le coeur blessé, il sauve ceux qui ont l'esprit désemparé. Celui qui se réfugié en Lui ne sera pas condamné" (Ps 33,19).

Le chrétien ressent toujours — mais spécialement dans la société moderne si perturbée et si violente — le besoin de recourir à Dieu par la prière et la fréquentation des sacrements.

Alors, continuez, vous aussi, à puiser force et lumière dans les sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie dans lesquels Dieu a mis "le remède de notre faiblesse" ; accueillez avec joie les fruits de la Rédemption et manifestez-les dans votre vie quotidienne, à la maison, au travail, durant vos loisirs, dans vos diverses activités, convaincus que celui qui reçoit le Christ doit se transformer en lui : "Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. De même qu'envoyé par le Père qui est vivant, moi je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra lui aussi par moi" (Jn 6,56-57).

Un grand honneur ! Un engagement sublime !

Avec ces voeux, et demandant à la Très Sainte Vierge Marie son assistance particulière je vous souhaite à tous que dans votre vie et celle des êtres qui vous sont chers, vous puissiez toujours jouir et faire jouir de la joie de la Pâque chrétienne.

Avec ma bénédiction apostolique !



RENCONTRE AVEC LES ÉTUDIANTS DU COLLÈGE BELGE À ROME - 31 mars 1979

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Chers Amis,

L’EUCHARISTIE QUE NOUS CÉLÉBRONS ensemble aujourd’hui est le signe d’une unité particulière avec le Christ, Prêtre unique et éternel, qui “ a pénétré une fois pour toutes dans le sanctuaire... avec son propre sang ”. Le même Christ est toujours présent dans l’Eglise “ jusqu’à la fin du monde ”, Il demeure en elle, rassemblant le peuple de Dieu autour de la table de la Parole et de l’Eucharistie. Il demeure en elle par notre service sacerdotal.

Lorsque nous trouvons ainsi aujourd’hui autour de l’autel, dans ceste communion que nous avons formée autrefois au Collège belge à Rome, nos coeurs sont alors remplis de gratitude pour le don de la vocation sacerdotale, parce qu’Il nous a choisis pour que nous al lions et que nous portions du fruit, parce que, en nous confiant ses mystères, il nous a confié des hommes qui ont “ la rédemption par son sang”. En regardant tout cela avec les yeux de la foi, nous ressentons notre indignité et nous sommes toujours prêts à répéter: “ Nous sommes des serviteurs inutiles ”. Nous ressentons toujours aussi la grandeur du Don et remercions Dieu de ce Don. “ Rendons grâces au Seigneur, car il est bon ”,

Aujourd’hui, nous désirons nous adresser les uns aux autres ceste gratitude. Le Seigneur veut que nous sachions être reconnaissants envers les hommes, que nous regardions notre vie sous l’aspect des dons reçus par l’intermédiaire des hommes, de nos frères. C’est ainsi que je voudrais, aujourd’hui, avec vous, tourner le regard vers ces années qui nous ont réunis entre les murs du vieux Collège belge situé au 26 de la Via del Quirinale, au voisinage de l’église de saint André où mourut et repose saint Stanislas Kostka, Patron de la jeunesse.

Une trentaine d’années nous séparent de ce temps-là. On pourrait céder aux lois du temps qui nous portent entre autres à l’oubli. Mais la voix du coeur est plus forte qui nous demande de garder les choses à la mémoire et d’y repenser avec gratitude. Nous remercions aujourd’hui le Christ qui nous a fait la grâce d’être ensemble, en ceste période importante de notre vie, lorsque nous étions encore dans les premières années de notre sacerdoce ou que nous nous y préparions. “Ecce quam bonum et quam incundum habitare fratres in unum”: “qu’il est bon et doux pour des frères d’habiter ensemble”.

Nous remercions Dieu de nous avoir permis d’être frères des uns des autres, et notre gratitude est aussi réciproque entre nous. Il nous a permis de vivre ceste fraternité qui unit les hommes provenant de diverses familles, de diverses nations, de divers continents, car c’est bien ainsi qu’il nous réunissait alors. Nous disons: merci de ce que chacun de nous a été pour les autres en ce temps là et de ce que tous ont été pour tous. Merci de la façon dont nous avons partagé avec les autres les qualités de l’intelligence, du caractère, du coeur. Merci de la place qu’ont tenue, dans cet échange réciproque, les études alors en cours, comme aussi les expériences apostoliques et pastorale auxquelles se livrait déjà chacun d’entre nous. Merci de ce qu’était pour nous la Rome sacrée que nous apprenions à connaître de façon systématique comme capitale de l’antiquité et capitale de la chrétienté. Merci de ce qu’était l’expérience de l’Europe, du monde, de chacune de nos Patries qui se relevaient alors des souffrances de la seconde guerre mondiale.

Pensons enfin à ce qu’étaient pour nous nos Supérieurs: notre vénéré Recteur, le Cardinal de Furstenberg, qui est aujourd’hui présent au milieu de nous; et aussi nos Evêques qui venaient nous trouver, qui nous rendaient visite au Collège, de même que d’autres hommes d’Eglise, les apôtres de leur temps comme l’Abbé Cardijn, sans compter les doctes professeurs, les prédicateurs des retraites, les directeurs de conscience: qu’ont-ils été pour nous?

De tout cela, nous voulons d’abord parler au Christ lui-même, en commençant par ceste concélébration, par ceste liturgie. Et ceste concélébration nous permet aussi de nous exprimer les uns aux autres. Nous désirons également renouveler cet esprit que nous avons reçu par l’“ imposition des mains ”, et ceste union des coeurs dont le Seigneur lui-même connaît le secret. Amen!



1er avril 1979: VISITE À LA PAROISSE ROMAINE SAINT BONAVENTURE À TORRE SPACCATA

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"Seigneur, nous voudrions voir Jésus" (
Jn 12,21).

C'est ce que dirent à Philippe, qui était de Bethsaïde, les gens de différentes régions venus à Jérusalem. Lorsqu'ici en ce lieu aux confins, de la grande ville de Rome où alors régnait seulement la campagne, arrivèrent des personnes des différentes régions d'Italie, celles-ci semblaient dire la même chose : "Nous voulons voir le Christ parmi nous ! Nous voulons qu'il habite avec nous ; qu'ici s'élève sa maison ! Nous nous connaissons peu entre nous. Nous voulons qu'il nous fasse connaître les uns aux autres, qu'il nous rapproche les uns des autres, afin que nous ne soyons plus des étrangers mais devenions une communauté. Ainsi ont parlé les hommes venus des différentes régions d'Italie. Et c'est ainsi que vous-mêmes vous avez parlé, chers paroissiens de cette jeune paroisse Saint-Bonaventure-de-Bagnorea. Et ces discours, ou d'autres semblables, sont toujours d'actualité : on les entend encore aujourd'hui.

Votre paroisse est très jeune. Elle est née ici de votre foi, sur ce terrain naguères encore inculte.

Elle est née de votre ferme volonté de faire demeurer le Christ parmi vous.

Elle est née de l'initiative que vous avez manifestée devant les autorités ecclésiastiques et devant les autorités civiles. Grâce à quoi a surgi cette église qui sert déjà à votre communauté chrétienne. Et les autres instruments nécessaires à la vie paroissiale ont été mis en oeuvre.

Je sais que beaucoup de travail a déjà été réalisé avec méthode et abnégation, malgré les nombreuses difficultés rencontrées, et que vous avez l'intention de poursuivre la belle oeuvre suivant un plan d'accroissement progressif qui se développe chaque jour et finira par couvrir tous les besoins de cette famille paroissiale. Le Pape vous accompagne de sa bienveillance et de ses souhaits paternels : Nous voulons voir Jésus !

2. Je viens aujourd'hui chez vous avec d'autant plus de joie que j'accomplis comme évêque de Rome, ma première visite canonique. Je me réjouis de pouvoir la faire aujourd'hui, en ce cinquième dimanche du Carême ; et je suis tout particulièrement heureux de la présence du Cardinal-Vicaire de Rome et de l'Evêque auxiliaire, Mgr Salimei, qui effectuera cette semaine une visite pastorale plus détaillée dans votre paroisse. Je salue cordialement tous les paroissiens. Je vous félicite pour ce bon et courageux début. Je salue vos pasteurs, les Pères franciscains conventuels que j'ai eu l'occasion de rencontrer et d'interroger sur les problèmes de la vie paroissiale. Je désire louer et encourager les nombreux groupes qui opèrent avec zèle et dévouement dans les différents secteurs de l'apostolat, leur souhaitant une activité toujours plus prospère et riche en tout bien.

Je veux également exprimer ma vive reconnaissance et ma sincère bienveillance aux Pères Carmes de la paroisse voisine, S. Maria Regina Mundi, qui ont eu le mérite d'inaugurer au milieu de compréhensibles et lourdes difficultés, la cure pastorale de cette zone qui se peuplait de plus en plus.

3. Et maintenant, permettez-moi de me référer de nouveau à la lecture liturgique de ce dimanche. Dans la première lecture, le prophète Jérémie nous parle de l'alliance que Dieu voulait conclure encore une fois avec la maison d'Israël. Comme le peuple d'Israël n'a pas maintenu la précédente alliance, Dieu veut en constituer une autre, plus solide et plus intime : "Je mettrai ma loi dans leur sein et je l'écrirai sur leur coeur, et je deviendrai leur Dieu et, eux, ils deviendront mon peuple" (Jr31, 33).

Chers frères et soeurs ! Dieu a conclu avec nous la nouvelle et définitive alliance en Jésus-Christ qui, comme nous le dit aujourd'hui Saint Paul : "est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel" (He 5,9).

Cette alliance est basée sur la parfaite obéissance du Fils à l'égard de son Père. En vertu de cette obéissance "il a été exaucé" (He 5,7) et il continue à être exaucé ; il maintient, ininterrompue, cette union de l'homme avec Dieu qui s'est établie sur sa Croix. Comme l'affirme le Concile Vatican II "L'Eglise est le sacrement, c'est-à-dire le signe et l'instrument de l'union avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" (Lumen Gentium LG 1).

Vous qui avez donné forme ici à une parcelle vivante de l'Eglise, c'est-à-dire à votre paroisse, vous avez exprimé de manière particulière cette alliance avec Dieu dans laquelle vous voulez persévérer avec la grâce de Jésus-Christ.

Si quelqu'un vous demandait pourquoi vous l'avez fait, vous pourriez répondre ainsi, comme le dit aujourd'hui le prophète : nous voulions qu'il soit notre Dieu, et nous son peuple ; nous voulions que sa loi soit inscrite dans notre coeur.

Vous cherchez un appui pour votre coeur et pour votre conscience. Vous cherchez un soutien pour vos familles. Celles-ci, vous voulez qu'elles soient stables, qu'elles ne se dissolvent pas ; qu'elles constituent ces foyers vivants de l'amour près desquels l'homme peut se réchauffer chaque jour. Persévérant dans le lien sacramentel du mariage vous voulez transmettre la vie à vos enfants, et, en même temps que la vie, l'éducation humaine et chrétienne. Chacun de vous, chers parents, ressent profondément cette grande responsabilité liée à la dignité de père et de mère. Sachez que de ceci dépend votre propre salut et celui de vos enfants.

Comment est-ce que je remplis mes devoirs de père ? Quelle mère suis-je ? Voilà ce que vous vous demandez bien souvent. Vous vous réjouissez, et moi avec vous, de tout bien qui se manifeste en vous, dans vos familles, chez vos enfants ; je me réjouis avec vous de leurs progrès à l'école, du développement de leur jeune conscience. Vous voulez qu'ils deviennent vraiment des "hommes". Et ceci dépend en grande mesure de ce qu'ils ont acquis au foyer paternel. Dans cette oeuvre, il n'est personne qui puisse vous remplacer. La société, la nation, l'Eglise se construisent sur les fondations que vous avez jetées.

Je regarde vos enfants, la jeunesse de votre paroisse. Ils sont ici présents en grand nombre Elle est vraiment jeune cette paroisse ! les adolescents, la jeunesse, que d'espoir ils mettent dans la vie ! Et combien grande est l'espérance que nous mettons en eux.

C'est précisément pour cela que nous devons appuyer fortement notre vie, et surtout notre vie familiale, sur Jésus Christ. Car lui, qui est "principe de salut éternel pour tous... "(He 5,9), nous indique chaque jour les voies de ce salut. Par la parole et par l'exemple, il nous apprend comment vivre. Il nous montre le sens profond et ultime de la vie humaine.

Et si l'homme acquiert ce sens de la vie, alors tous les problèmes, même les plus ordinaires, ceux de tous les jours, se résolvent en harmonie avec celui-ci. Et dans ce cas, la vie se développe en même temps sur le plan humain et sur le plan divin.

Aujourd'hui nous avons entendu le Seigneur annoncer sa mort. Nous sommes déjà au cinquième dimanche du Carême ; nous nous approchons rapidement de la Semaine Sainte, du Triduum Sacré qui, de nouveau, nous rappellera de manière particulière sa passion, sa mort et sa résurrection. C'est pourquoi les paroles du Christ qui annoncent sa fin prochaine parlent également de sa glorification... "La voici venue l'heure où le Fils de l'homme doit être glorifié (...) Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? (...) Père, glorifie ton nom" (Jn 12,23 et 27-28). Et Jésus prononce enfin les paroles qui manifestent si profondément le mystère de la mort rédemptrice : "C'est maintenant le jugement de ce monde (...) et moi, quand je serai élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi" (Jn 12,31 et Jn 12,32). Cette élévation de terre du Christ est antérieure à son élévation dans la gloire : élévation sur le bois de la Croix, élévation de martyr, élévation mortelle.

Jésus annonce également sa mort dans ces mystérieuses paroles : "en vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit" (Jn 12,24). Sa mort est le gage de la vie, elle est la source de la vie pour nous tous. Le Père Eternel a prédisposé cette mort dans l'ordre de la grâce et du salut, de même que dans l'ordre de la nature est établie la mort du grain de froment sous terre, afin que de lui puisse jaillir la tige, qui portera un fruit si abondant. Puis, de ce fruit, qui deviendra pain quotidien, l'homme pourra se nourrir. Et de même, le sacrifice qui s'accomplit dans la mort du Christ est devenu nourriture de notre âme sous les apparences du pain.

Préparons-nous à vivre la Semaine Sainte, le Triduum Sacré, la mort et la Résurrection ! Acceptons cette vie dont la source est le sacrifice de Jésus. Vivons cette vie en nous nourrissant du corps et du sang du Rédempteur: grandissons dans cette vie pour arriver à la vie éternelle.




5 avril 1979, MESSE POUR LES UNIVERSITAIRES DE ROME

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Jeudi 5 avril 1979

Le 5 avril, en la basilique Saint-Pierre, Jean Paul II a célébré la messe pascale pour les universitaires romains. Aux quelques 15000 étudiants présents, le Saint-Père a adressé l’homélie suivante :

1. « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous. » (Lc 22,15)


Ces paroles du Christ me viennent à l’esprit en ce moment où nous sommes réunis autour de l’autel de la basilique Saint-Pierre pour participer à la célébration de l’Eucharistie. Dès le début, depuis qu’il m’a été donné de prendre place à cet autel, j’ai vivement désiré vous rencontrer, vous les jeunes qui étudiez à l’université et dans les écoles supérieures de cette ville. Je sentais que vous me manquiez, vous les universitaires du diocèse du Pape. J’avais le désir de vous sentir proches. Depuis des années, j’ai l’habitude de ces rencontres. Il m’a été donné de nombreuses fois, pendant le Carême — et aussi pendant l’Avent — de me trouver au milieu des étudiants universitaires de Cracovie à l’occasion de la clôture des exercices spirituels qui réunissaient des milliers de participants.

Et aujourd’hui, c’est vous que je rencontre. Je vous salue cordialement, vous tous qui êtes ici. En vous et à travers vous, je salue tous vos camarades, vos professeurs, les chercheurs, vos facultés, les organisations, les responsables de vos milieux. Je salue toute la Rome « académique ».

En cette période où le Christ, chaque année, nous parle dans la vie de l’Église par sa « Pâque », les coeurs des hommes, particulièrement ceux des jeunes, éprouvent le besoin d’être avec lui. Le Carême, la Semaine sainte les trois jours saints, ne sont pas seulement un souvenir d’événements qui se sont passés il y a deux mille ans, mais ils sont une invitation particulière à la participation.

2. Pâques signifie « passage »

65 Dans l’Ancien Testament, la Pâque signifiait l’exode d’Égypte, de « la maison d’esclavage », le passage de la mer Rouge, sous une singulière protection de Yahvé, le départ vers la « Terre promise », pour une marche qui dura quarante ans. Dans le Nouveau Testament, cette Pâque historique a été accomplie dans le Christ durant les trois jours qui vont du jeudi soir au dimanche matin. Elle signifie le passage à travers la mort vers la résurrection, et en même temps l’exode de l’esclavage du péché vers la participation à la vie de Dieu par la grâce. Le Christ dit dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » (Jn 8,51) Ces paroles disent en même temps ce qu’est l’Évangile. C’est le livre de la vie éternelle, vers laquelle convergent les innombrables voies du pèlerinage terrestre de l’homme. Chacun de nous marche sur l’une de ces voies. L’Évangile nous guide sur chacune d’elles. Et c’est en cela que consiste précisément le mystère de ce livre sacré. C’est pourquoi il est si lu et si actuel. A la lumière de l’Évangile, notre vie prend une dimension nouvelle ; elle prend son sens définitif. Elle s’avère être un passage.

3. La vie humaine est un passage

Cette vie n’est pas un tout renfermé d’une façon définitive entre la date de la naissance et celle de la mort. Elle s’ouvre sur l’ultime achèvement en Dieu. Chacun de nous ressent douloureusement le caractère limité de la vie, la limite que lui impose la mort. Chacun de nous en a conscience d’une certaine manière : l’homme n’est pas renfermé complètement dans ces limites; il ne peut mourir définitivement. Trop de questions non formulées, trop de problèmes non résolus — sinon dans la dimension de la vie personnelle, individuelle, ou du moins de la vie des communautés humaines, familles, nations, humanité — s’arrêtent au moment de la mort de chaque homme. En effet, personne ne vit seul. À travers chaque homme passent différents cercles. Saint Thomas a écrit : « D’une certaine manière, l’âme humaine est tout. » (Comm. in Arist. De anima III, 8, lect. 13.) Nous portons en nous le besoin d’ « universalisation ». À un moment déterminé, la mort interrompt tout cela...

Qui est le Christ ? C’est le Fils de Dieu qui a assumé la vie humaine dans son orientation temporelle vers la mort. Il a accepté la nécessité de la mort. Avant que la mort ne le frappe, il a été à plusieurs reprises menacé par elle. L’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle l’une de ces menaces : « ... Ils ramassèrent des pierres pour les jeter contre lui. » (Jn 8,59)

Le Christ est Celui qui a accepté toute la réalité de la mort humaine. C’est précisément pourquoi il est Celui qui a accompli un renversement fondamental dans la façon de concevoir la vie. Il a montré que la vie est un passage, non seulement au-delà de la limite de la mort, mais vers une vie nouvelle. Aussi la croix est-elle devenue pour nous la chaire suprême de la vérité de Dieu et de l’homme. Tous, d’une façon ou d’une autre, nous devons être disciples de cette chaire. Nous comprendrons alors que la croix est aussi le berceau de l’homme nouveau.

C’est ainsi que ceux qui se mettent à son école conçoivent la vie. C’est ainsi qu’ils l’enseignent aux autres. Ce sens de la vie ils l’impriment dans toute la réalité temporelle : dans la morale, la créativité, la culture, la politique, l’économie. Combien de fois n’a-t-on pas dit — par exemple les disciples d’Épicure dans l’Antiquité et, pour d’autres motifs, certains disciples de Marx aujourd’hui — que cette façon de concevoir la vie détourne l’homme de la réalité temporelle et, d’une certaine manière, l’annule. La vérité est tout autre. Seule cette conception de la vie donne leur pleine importance à tous tes problèmes de la réalité temporelle. Elle permet de les situer pleinement dans la vie de l’homme. Une chose est sûre : cette conception de la vie ne permet pas d’enfermer l’homme dans les choses temporelles ; elle ne permet pas qu’il leur soit entièrement subordonné. Elle décide de sa liberté.

4. La vie est une épreuve

En donnant à la vie humaine ce sens pascal à savoir qu’elle est un passage, un passage vers la liberté, Jésus-Christ a enseigné par sa parole, et encore plus par son exemple, qu’elle est une épreuve. Cette épreuve correspond à l’importance des forces accumulées en l’homme. L’homme est créé « pour « l’épreuve et il y est appelé dès le début. Il faut penser profondément à cet appel en méditant les premiers chapitres de la Bible, particulièrement les trois premiers. L’homme y est défini non seulement comme un être créé « à l’image de Dieu » (Gn 1,26-27), mais en même temps comme un être soumis à l’épreuve. Si nous analysons bien le texte, il s’agit de l’épreuve de la pensée, du « coeur » et de la volonté, de l’épreuve de la vérité et de l’amour. En ce sens, c’est en même temps l’épreuve de l’Alliance avec Dieu. Lorsque cette première Alliance a été rompue, Dieu l’a conclue de nouveau. Les lectures d’aujourd’hui rappellent l’Alliance avec Abraham, qui fut un chemin préparant à la venue du Christ.

Le Christ confirme ce sens de la vie : elle est la grande épreuve de l’homme. C’est précisément pour cela qu’elle a un sens pour l’homme. Elle n’a pas de sens, par contre, si nous pensons que l’homme doit seulement profiter de la vie en user, la « prendre », au lieu de lutter avec acharnement pour le droit d’en profiter, d’en user, de la « prendre »…

La vie prend son sens quand elle est considérée et vécue comme une épreuve de caractère moral. Le Christ confirme ce sens, et en même temps il définit la juste dimension de cette épreuve qu’est la vie humaine. Relisons attentivement, par exemple, le discours sur la montagne, ou encore le chapitre 25 de l’Évangile de saint Matthieu : l’image du jugement. Cela suffit pour rénover en nous la conscience chrétienne fondamentale du sens de la vie.

La notion d’épreuve est étroitement liée à celle de responsabilité.L’une et l’autre sont ordonnées à notre volonté, à nos actes. Acceptez, chers amis ces deux notions, ou plutôt ces deux réalités, comme les éléments avec lesquels nous construisons notre humanité. Votre humanité est déjà mûre, et en même temps elle est encore jeune. Elle est en train de forger d’une façon définitive son projet de vie, et cela précisément pendant le temps de vos études supérieures. Peut-être ce projet personnel de vie est-il pour le moment suspendu à de nombreuses inconnues. Peut-être ne voyez-vous pas encore exactement quelle sera votre place dans la société, le travail auquel vous vous préparez par vos études. C’est certainement là une grande difficulté, mais des difficultés de ce genre ne peuvent pas paralyser vos initiatives.

66 Elles ne peuvent pas engendrer que de l’agressivité. L’agressivité ne résout rien. Elle ne changera pas la vie en mieux. Elle ne peut que la rendre « mauvaise d’une autre manière ». Je vous entends dénoncer, dans votre langage si franc, la sénilité des idéologies et le manque d’idéal de la « machine sociale ». Eh bien ! pour promouvoir la vraie dignité de l’homme, également sur le plan intellectuel, et pour ne pas vous laisser à votre tour séduire par différents sectarismes, n’oubliez pas qu’il est indispensable d’acquérir une profonde formation sur la base de l’enseignement que nous a laissé le Christ par ses paroles et par l’exemple de sa vie.

Efforcez-vous d’accepter les difficultés que vous devez affronter précisément comme faisant partie de cette épreuve qu’est la vie de tout homme. Il faut assumer cette épreuve en toute responsabilité ; responsabilité personnelle — pour ma vie, sa physionomie future et sa valeur — et en même temps responsabilité sociale : pour la justice et la paix, pour la vie morale de son propre milieu originel et de toute la société. C’est une responsabilité pour le bien commun authentique. L’homme qui a une telle conscience du sens de sa vie ne détruit pas mais construit l’avenir.

5. La vie humaine est un témoignage de vérité et d’amour

Cela aussi, le Christ nous l’a enseigné. J’ai eu récemment l’occasion de m’exprimer à ce sujet devant la jeunesse universitaire du Mexique et de nombreuses nations d’Amérique latine. Je me permets de citer certaines pensées de ce discours, qui peut aussi intéresser les étudiants européens et romains. Il existe aujourd’hui dans votre jeune monde une interpénétration mondiale des tâches, des peurs et en même temps des espérances, des façons de penser et de juger. En cette circonstance, j’avais dit entre autres qu’il est nécessaire de promouvoir « une culture intégrale, c’est-à-dire visant au développement complet de la personne humaine, avec ses valeurs d’intelligence, de volonté, de conscience, de fraternité, toutes basées sur le Dieu créateur, et qui ont été merveilleusement élevées dans le Christ » (cf. Gaudium et spes ). Ce qui veut dire qu’à la formation scientifique il faut ajouter une profonde formation morale et chrétienne qui soit intimement vécue et qui réalise une synthèse toujours plus harmonieuse entre la foi et la raison, la foi et la culture, la foi et la vie. Unir le travail d’une recherche scientifique rigoureuse et le témoignage d’une vie chrétienne authentique, telle est la tâche enthousiasmante de tout étudiant universitaire (cf. AAS 71, 1979, p. 236-237). Et je vous redis ce qu’en février j’ai écrit aux étudiants des écoles latino-américaines : « Les études doivent comporter non seulement une quantité déterminée de connaissances acquises au cours de la spécialisation, mais aussi une maturité spirituelle particulière qui se présente comme responsabilité pour la vérité, dans la pensée et dans l’action. » (Ibid., p. 253.)

Ces quelques citations nous suffisent.

Il existe dans le monde actuel une grande tension. Il s’agit en fin de compte d’une tension pour le sens de la vie humaine, pour le sens que nous pouvons et devons donner à cette vie si elle doit être digne de l’homme, si elle doit être telle qu’elle vaille la peine d’être vécue. Il y a aussi de clairs symptômes d’éloignement de ces dimensions. Le matérialisme sous ces diverses formes hérité des derniers siècles, est en fait capable d’imposer son sens de la vie. Mais le matérialisme ne représente nullement les plus profondes racines de la culture, pas plus européenne que mondiale. Il n’est en rien un corrélatif ni une pleine expression du réalisme épistémologique ou moral.

Le Christ — permettez-moi de le dire comme cela — est le plus grand réaliste de l’histoire de l’homme. Réfléchissez un peu à cela. Méditez ce que cela peut signifier.

C’est précisément en vertu de ce réalisme que le Christ rend témoignage et au Père et à l’homme. Il sait en effet « ce qu’il y a dans l’homme » (
Jn 2,25). Lui le sait. Je le répète sans vouloir offenser tous ceux qui, à quelque époque que ce soit, ont cherché ou cherchent encore à comprendre ce qu’est l’homme et veulent l’enseigner.

À partir de ce réalisme précisément, le Christ enseigne que la vie humaine a un sens si elle témoigne de la vérité et de l’amour.

Réfléchissez-y, vous qui, en tant qu’étudiants, devez être particulièrement sensibles à la vérité et au témoignage de la vérité. Vous êtes pour ainsi dire les professionnels de l’intelligence en tant que vous vous appliquez à l’étude des disciplines humanistes et scientifiques en vue de vous préparer aux tâches qui vous attendent dans la société.

Réfléchissez-y, vous qui, en tant qu’étudiants, savent combien ceux-ci ont besoin d’amour; vous qui cherchez comment exprimer cet amour dans votre vie. Certains trouvent l’expression de cet amour dans le don exclusif d’eux-mêmes qu’ils font à Dieu ; la très grande majorité la trouve dans le mariage, dans la vie de famille. Préparez-vous-y solidement. Rappelez-vous que l’amour, sentiment noble, est un don du coeur, mais que c’est aussi une grande affaire qu’il faut assumer pour l’autre, pour elle, pour lui. Le Christ attend de vous un tel amour. Il désire être avec vous quand cet amour naît dans vos coeurs, quand il mûrit dans la promesse sacramentelle, et après, et toujours.

67 6. Le Christ a dit : « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous. » (Lc 22,15) Lorsqu’il l’a mangée pour la première fois avec ses disciples, il a prononcé des paroles particulièrement affectueuses et particulièrement prenantes : « Je ne vous appelle plus serviteurs... Je vous appelle amis... » (Jn 15,15)

« Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres. » (Jn 15,12) En ce temps de la Passion, rappelez-vous ces paroles du discours d’adieu du Christ, dans l’Évangile de saint Jean. Repensez-y.

Purifiez vos coeurs dans le sacrement de la réconciliation. Ils mentent ceux qui accusent l’Église de faire preuve d’une mentalité « répressive » lorsqu’elle invite à la pénitence. La confession sacramentelle ne constitue pas une répression, mais une libération ; elle n’entretient pas le sens de la faute, mais elle efface la faute, elle dissout le mal commis et elle donne la grâce du pardon. Les causes du mal ne doivent pas être cherchées hors de l’homme mais avant tout dans son coeur ; et le remède part encore de son coeur. Alors les chrétiens par la sincérité de leur volonté de conversion, doivent se rebeller devant l’aplatissement de l’homme et proclamer par leur vie la joie de la vraie libération du péché grâce au pardon du Christ. L’Église n’a pas un projet tout fait d’enseignement universitaire, de société, mais elle a un projet pour l’homme, un projet d’homme nouveau, rené de la grâce. Retrouvez la vérité intérieure de vos consciences. Que l’Esprit-Saint vous donne la grâce d’un sincère repentir, d’un ferme propos de repentir et d’une sincère confession de vos fautes.

Qu’il vous donne une profonde joie spirituelle.

Il est proche « le jour que fit le Seigneur » (Ps 117-118). Soyez prêts pour ce jour-là.



Homélies St Jean-Paul II 25379