Homélies St Jean-Paul II 67


8 avril 1979, DIMANCHE DES RAMEAUX

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Des  dizaines  de  milliers  de pèlerins, et quelque 35000 jeunes se sont rassemblés le 8 avril place Saint-Pierre à Rome pour participer à la liturgie du dimanche des Rameaux. Durant la sainte messe qu’il a célébrée sur le parvis de la basilique, Jean Paul II a prononcé l’homélie suivante :

Durant la prochaine semaine la liturgie s'adaptera strictement au déroulement des événements. Ce sont proprement les événements qui eurent lieu il y a presque deux mille ans qui établissent que cette semaine est la Semaine sainte, la semaine de la Passion du Seigneur.

Ce dimanche-ci est étroitement lié à l'événement qui eut lieu quand Jésus s'approcha de Jérusalem pour y accomplir tout ce qu'avaient annoncé les Prophètes. Ce jour-là précisément les disciples, obéissant au Maître, lui amenèrent un petit âne qu'ils avaient demandé en prêt pour quelque temps. Et Jésus s'assit dessus pour que se réalise également ce détail particulier des écrits prophétiques. Le prophète Zacharie dit en effet : "Jubile grandement, fille de Sion, exulte fille de Jérusalem : voici que ton roi vient vers toi, il est juste et victorieux, humble et monté sur un ânon, petit d'ânesse" (
Za 9,9).

Et les gens qui se rendaient également à Jérusalem à l'occasion de la fête — des gens qui regardaient les actes accomplis par Jésus et écoutaient ses paroles — manifestant la foi messianique qu'il avait réveillée, criaient : "Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Royaume qui vient, de notre Père David ! Hosanna au plus haut des cieux !" (Mc 11,10-12).

Ces paroles, nous les répétons à chaque Messe, quand vient le moment de la transsubstantiation.

2. Et voici donc que sur le chemin de la Cité Sainte, près de l'entrée à Jérusalem, surgit devant nous une scène de l'enthousiasmant triomphe :

68 "Et beaucoup de gens étendirent leur manteau sur le chemin; d'autres des jonchées de verdure qu'ils coupaient dans les champs" (Mc 11,8).

Le peuple d'Israël regarde Jésus avec les yeux de sa propre histoire; c'est cette histoire qui, par toutes les voies de sa spiritualité, de sa tradition, de son culte, menait le peuple élu directement vers le Messie. Mais en même temps, c'est une histoire difficile. Le règne de David représente le point culminant de la prospérité et de la gloire terrestre du peuple qui, depuis les temps d'Abraham, avait à plusieurs reprises retrouvé son alliance avec Dieu-Jahvé, mais plus d'une fois aussi 1'avait brisée.

Et va-t-il maintenant nouer cette alliance de manière définitive ? Ou perdra-t-il de nouveau le fil de la vocation qui a depuis le début, marqué le sens de son histoire ?

Jésus entre à Jérusalem assis sur l'ânon reçu en prêt. La foule se croit proche de l'accomplissement de la promesse pour laquelle tant de générations avaient vécu. Les cris : Hosanna... Béni celui qui vient au nom du Seigneur !" semblent vouloir exprimer que la rencontre des coeurs humains avec l'éternelle Election est désormais proche. Au milieu de cette joie qui précède les solennités pascales, Jésus est recueilli, silencieux. Il est pleinement conscient que cette rencontre des coeurs humains avec l'éternelle Election ne se réalisera pas à travers les "Hosanna !" mais par la Croix.

Avant sa venue à Jérusalem en compagnie de la foule de ses compatriotes, pèlerins pour les fêtes de Pâques, un autre l'avait introduit et avait défini sa place au milieu d'Israël : Jean Baptiste, sur les rives du Jourdain. Mais quand il avait vu Jésus qui attendait, Jean n'avait pas crié "Hosanna !": le montrant du doigt, il avait dit : "Voici l'Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde !" (Jn 1,29).

Au jour de son entrée à Jérusalem, Jésus entend le cri de la foule, mais sa pensée est fixée sur les paroles de Jean au bord du Jourdain : "Voici celui qui enlève le péché du monde" (Jn 1,29).

3. Aujourd'hui, nous lisons le récit de la passion du Seigneur dans 1'Evangile selon saint Marc. On y trouve la description complète des événements qui se sont succédés au cours de cette semaine. En un certain sens, il constitue le programme de la semaine.

Recueillons-nous devant ce récit. Il serait difficile de connaître ces événements d'une autre manière. Bien que nous les connaissions tous par coeur, nous les écoutons chaque fois avec le même recueillement. Je me souviens que, lorsqu'encore jeune prêtre, je racontais la Passion du Seigneur aux enfants, ceux-ci m'écoutaient avec la plus profonde attention ! Cela a toujours été une catéchèse complètement différente de toutes les autres. L'Eglise ne cesse donc pas de relire le récit de la Passion du Christ, et elle désire que cette description se fixe dans notre conscienceet dans notre coeur.

Cette semaine, nous sommes appelés à une toute particulière solidarité avec Jésus-Christ : "l'Homme des douleurs" (Is 53,3)

4. Ainsi donc, en même temps que l'image de ce Messie qu'attendait l'Israël de l'Ancienne Alliance, et qu'au moment de l'entrée à Jérusalem il avait presque rejoint grâce à sa foi, la liturgie d'aujourd'hui nous présente en même temps une autre image, celle décrite par les prophètes et tout particulièrement par Isaïe :

"J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient...

69 ... sachant que je ne serais pas déçu" (Is 50,6).

Jésus vient à Jérusalem pour que ces paroles s'accomplissent en lui, afin de réaliser la figure du "Serviteur de Jahvé" par laquelle le Prophète avait, huit siècles auparavant, révélé l'intention de Dieu. Le "Serviteur de Jahvé": le Messie, le descendant de David, celui en qui s'accomplit l'"Hosanna" du peuple, celui qui est soumis à l'épreuve la plus terrible:

"Ceux qui me voient se moquent de moi...

...qu'il le libère s'il est son ami" (Isaïe).

Au contraire, ce n'est pas grâce à la libération de l'opprobre, mais par l'obéissance jusqu'à la mort, à travers la Croix, que devait se réaliser l'éternel dessein de 1' amour. Et voilà, maintenant, ce n'est plus le prophète, mais l'Apôtre qui parle. Saint Paul en qui "la parole de la Croix" a trouvé une voie toute particulière. Paul, conscient du mystère de la Rédemption, rend témoignage à celui qui "...possédant la na-divine... s'est dépouillé lui-même, prenant condition d'esclave... il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur une croix !" (Ph 2,129).

Voilà la véritable image du Messie, du Oint, du Fils de Dieu, du Serviteur de Jahvé. C'est là l'image de Jésus entrant à Jérusalem, lorsque les pèlerins qui l'accompagnaient sur son chemin chantaient : "Hosanna !" et étendaient leurs manteaux ou des jonchées de verdure sur la voie qu'il parcourait.

5. Et nous, aujourd'hui, nous tenons en main des rameaux d'olivier. Nous savons que ces rameaux sécheront bientôt. De leurs cendres nous nous couvrirons la tête l'an prochain, pour rappeler que le Fils de Dieu devenu homme a accepté la mort humaine pour nous mériter la Vie.



12 avril 1979, MESSE CHRISMALE

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Basilique Saint-Pierre
Jeudi saint, 12 avril 1979

le Saint-Père préside la concélébration solennelle en la basilique Saint-Pierre. 22 cardinaux, de nombreux évêques présents à Rome et près de 3.000 prêtres se trouvent avec le pape. Des fidèles, venus en très grand nombre, participaient à la cérémonie.


1. Aujourd'hui, au seuil de ce Triduum Sacré, nous désirons professer de manière spéciale notre foi dans le Christ, en Celui dont nous devons, dans l'esprit de l'Eglise, renouveler la passion, afin que tous "regardent celui qu'ils ont transpercé" (
Jn 19,37), et que la génération actuelle des habitants de la terre se lamente sur lui (cf. Lc 23,27).

Voici le Christ : Celui en qui Dieu vient à l'humanité comme Seigneur de l'histoire : "C'est moi l'Alpha et l'Oméga... Celui qui est, qui était et qui vient" (Ap 1,8).

Voici le Christ "qui m'a aimé et s'est livré pour moi" (Ga 2,20), le Christ qui est venu pour "nous obtenir par son propre sang une rédemption éternelle" (He 9,12). Le Christ, le "Oint", le Messie. Un jour, à la veille de sa libération de l'esclavage d'Egypte, Israël marqua du sang de l'agneau les portes de ses maisons (Ex 12,1-14). Voici, l'Agneau de Dieu est parmi nous, celui que son Père lui-même a "oint de l'Esprit Saint et de puissance" et envoyé dans le monde (cf. Jn 1,29 Ac 10,36-38). Le Christ, le "Oint", le Messie. Durant ces jours-ci, avec la force de l'onction de l'Esprit Saint, avec la force de la plénitude de la sainteté qui est en lui, et en lui seul, il clamera vers Dieu "en un grand cri" (Lc 23,46), d'une voix d'humiliation, d'anéantissement, de Croix "Seigneur, ma force. Seigneur, mon rocher, ma forteresse et mon libérateur ; mon Dieu mon rocher en qui je m'abrite ; mon bouclier, ma citadelle de salut" (Ps 18,2 [17] 2 et suiv.).

Ainsi clamera-t-il pour lui-même et pour nous.

2. Nous célébrons aujourd'hui la liturgie du Saint-Chrême par laquelle l'Eglise veut, à la veille de ces jours saints, renouveler le signe de cette force de l'Esprit qu'elle a reçue de son Rédempteur et Epoux.

En recevant les Sacrements de la foi, les hommes participent, au prix de la passion et de la mort à cette force de l'Esprit, grâce et sainteté, qui est en Lui. Et ainsi se construit sans cesse le peuple de Dieu et, comme l'enseigne le Concile Vatican II, "...les fidèles, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l'offrande de l'Eucharistie, et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, par la prière et l'action de grâces, le témoignage d'une vie sainte, l'abnégation et une charité active" (Lumen Gentium LG 10).

Cette sainte Huile, l'Huile des catéchumènes, servira à l'onction des catéchumènes durant le baptême pour être ensuite oints avec le Saint Chrême. Ils recevront une deuxième fois cette onction dans le sacrement de la Confirmation. Et la recevront encore lors de leurs ordinations ceux qui y sont appelés : les diacres, les prêtres, les évêques. Dans le sacrement des malades, ceux-ci recevront l'onction avec l'huile des malades (cf. Jc 5,14).

Aujourd'hui, nous voulons préparer l'Eglise au nouvel an de grâce, à l'administration des sacrements de la foi qui ont leur centre dans l'Eucharistie. Tous les sacrements, ceux qui ont l'onction comme signe, et ceux qui sont administrés sans ce signe, comme la pénitence et le mariage, signifient une participation efficace à la force de celui que le Père lui-même avait oint et envoyé dans le monde (cf. Lc 4,18).

Aujourd'hui, Jeudi-Saint, nous célébrons la liturgie de cette force qui a atteint sa plénitude dans les faiblesses du Vendredi-Saint, dans les tourments de sa passion et de son agonie, car c'est par tout cela que le Christ a mérité la grâce pour nous : "Grâce et paix vous soient données... par Jésus-Christ, le témoin fidèle, le Premier-né d'entre les morts, le Prince des rois de la terre" (Ap 1,4-5).

3. Par son abandon à son Père, et son obéissance jusqu'à la mort, il a fait de nous une "Royauté de prêtres" (Ap 1,6).

Il l'a proclamé le jour solennel où il a partagé avec les Apôtres le pain et le vin, comme son corps et son sang, pour le salut du monde. Aujourd'hui précisément, nous sommes appelés à vivre ce jour : la fête des prêtres. Aujourd'hui parlent de nouveau à nos coeurs les mystères du Cénacle où, avec la première Eucharistie, le Christ a dit : "Faites ceci en mémoire de moi" (Lc22, 19) instituant ainsi le sacrement du sacerdoce. Et s'accomplit ce que bien longtemps auparavant avait dit le prophète Isaïe : "Vous serez appelés prêtres du Seigneur, on vous nommera officiants de notre Dieu" (Is 61,6).

Aujourd'hui, nous éprouvons très vivement le désir de nous trouver près de l'autel pour cette célébration eucharistique et rendre grâces au Seigneur pour ce don particulier qu'il nous a conféré. Conscients de la grandeur de cette grâce, nous désirons en outre renouveler les promesses que le jour de notre propre ordination chacun de nous a faites au Christ et à son Eglise en les déposant entre les mains de l'Evêque. En les renouvelant nous demandons la grâce de la fidélité et de la persévérance. Nous demandons également que la grâce de la vocation sacerdotale tombe sur le terrain d'un grand nombre de jeunes âmes et qu'elle y plonge des racines comme germe d'où sortiront des fruits centuplés (cf. Lc 8,8).

Comme cela a été prévu, les évêques du monde entier font aujourd'hui de même dans leurs cathédrales. Avec leurs prêtres ils renouvellent les promesses faites le jour de l'ordination. Unissons-nous à eux encore plus ardemment, par le lien de la fraternité dans la foi et dans la vocation que nous avons tirée du Cénacle comme héritage particulier qui nous a été transmis par les Apôtres.

Persévérons dans cette grande communauté sacerdotale, comme serviteurs du Peuple de Dieu, comme disciples aimants de celui qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort, qui est venu au monde, non pour être servi, mais pour servir ! (Mt 20,28).


12 avril 1979, MESSE DE LA CÈNE DU SEIGNEUR

1249 Basilique Saint-Jean-de-Latran
12 avril 1979

Ce même Jeudi Saint, en fin d’après-midi, en sa cathédrale de St-Jean, le pape a commémoré l’institution de l’Eucharistie, en rappelant la dernière Cène du Seigneur. Fidèle à la tradition, reprise en chaque cathédrale dans le monde, l’évêque de Rome a lavé les pieds à douze personnes parmi les plus pauvres de son diocèse : des handicapés physiques et mentaux.


1. L'Heure de Jésus est venue. L'heure où il passe de ce monde à son Père. Commence leTriduum Sacré. Le mystère pascal revêt comme chaque année son aspect liturgique et débute par cette messe, la seule qui dans l'année, porte le nom de "Coena Domini".

Après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, "il les aima jusqu'à la fin" (
Jn 13,1). La dernière Cène est précisément le témoignage de cet amour avec lequel le Christ, l'Agneau de Dieu, nous a aimés jusqu'à la fin.

Ce soir-là, les fils d'Israël consommaient l'agneau, selon l'antique usage imposé par Moïse la veille de sa libération de l'esclavage d'Egypte. Jésus fit la même chose avec ses disciples, fidèle à la tradition qui était seulement "l'ombre des biens à venir" (He 10,1), une préfiguration de la Nouvelle Alliance, de la Loi nouvelle.

2. Que signifie : "Il les aima jusqu'à la fin" ?

Cela signifie : jusqu'à cet accomplissement qui adviendra le lendemain, le Vendredi saint. Ce jour-là, allait manifester combien Dieu a aimé le monde et comment il a poussé cet amour jusqu'à l'extrême limite du don, c'est-à-dire jusqu'à donner son Fils unique" (Jn 3,16). Ce jour-là, Jésus a démontré qu'il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" (Jn 15,13). L'amour, du Père s'est révélé dans la donation de son Fils. La donation dans la mort !

Le Jeudi saint, le jour de la dernière Cène, est en quelque sorte, le prologue de cette donation : il en est l'ultime préparation. Et d'une certaine manière ce qui s'accomplit ce jour-là, va déjà au-delà de ce don. C'est vraiment le Jeudi saint, durant la dernière Cène, que se manifeste ce que veut dire : aimer jusqu'à la fin.

Nous pensons, avec raison, qu'"aimer jusqu'à la fin" veut dire jusqu'à la mort, jusqu'au dernier souffle. Mais la dernière Cène nous montre que, pour Jésus, "jusqu'à la fin", signifie "au-delà du dernier souffle. Au delà de la mort".

3. Telle est en effet la signification de l'Eucharistie. La mort n'est pas sa fin, mais son commencement. L'Eucharistie part de la mort comme nous le dit saint Paul : "Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne" (1Co 11,26)

L'Eucharistie est fruit de cette mort. Elle la rappelle constamment. Elle la renouvelle sans cesse. Elle la signifie toujours. Elle la proclame. La mort qui est devenue le commencement de la nouvelle Venue : de la Résurrection à la Parousie, "Jusqu'à ce qu'il vienne". La mort, qui est le "substrat" d'une vie nouvelle.

Aimer jusqu'à la fin signifie donc pour le Christ : aimer moyennant la mort et au-delà de la barrière de la mort : aimer jusqu'aux extrêmes de l'Eucharistie !

4. C'est exactement ainsi que Jésus a aimé, ce soir-là, ce dernier soir. Il a aimé "les siens" — ceux qui étaient alors avec lui, et tous ceux qui devaient hériter leur ministère.

— Les paroles qu'il a prononcées sur le pain ;

— Les paroles qu'il a prononcées sur la coupe pleine de vin ;

— Les paroles que nous répétons aujourd'hui avec particulière émotion et que nous répétons toujours quand nous célébrons l'Eucharistie, constituent vraiment la révélation de cet amour par lequel il s'est une fois pour toutes, pour tous les temps et jusqu'à la fin des siècles, distribué lui-même.

Avant même de se donner sur la Croix, comme "Agneau qui ôte les péchés du monde", il s'est distribué lui-même comme aliment et comme breuvage : pain et vin, afin "que nous ayons la vie, et l'ayons en abondance" (Jn 10,10).

C'est ainsi qu"'il nous a aimés jusqu'à la fin".

C'est pourquoi il n'a pas hésité à s'agenouiller devant ses apôtres pour leur laver les pieds. Quand Pierre voulut s'y opposer, Il le convainquit de laisser faire. C'était là, en effet, une exigence particulière de la grandeur du moment. Ce lavement des pieds, cette purification, étaient nécessaires pour la Communion à laquelle ils allaient participer dès ce moment. Désormais, en se distribuant lui-même dans la communion eucharistique n'allait-il pas continuellement s'abaisser au niveau de coeurs humains si nombreux ? N'allait-il pas les servir toujours de cette manière ?

"Eucharistie" veut dire "remerciement".

"Eucharistie" signifie également servir, se tendre vers l'homme, servir les coeurs humains.

"Je vous ai donné l'exemple, pour que vous agissiez comme j'ai agi envers vous" (Jn 13,15).

Nous ne saurions être dispensateurs de l'Eucharistie, sinon en servant.

6. Voici, c'est la dernière Cène. Le Christ se prépare à partir en passant par la mort, et en passant par la mort, il s'apprête à demeurer.

Ainsi sa mort est devenue le fruit mûr de l'amour : il nous a aimés "jusqu'à la fin".

Le contexte de la dernière Cène ne suffirait-il pas à lui seul pour donner à Jésus le droit de nous dire à tous : "Ceci est mon commandement: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés" (Jn 15,12) ?



14 avril 1979, VEILLÉE PASCALE

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Basilique Vaticane
Samedi saint, 14 avril 1979

Le Saint-Père a présidé en la basilique Saint-Pierre du Vatican la liturgie de la lumière ainsi que la célébration eucharistique à laquelle assistèrent de nombreux cardinaux, archevêques, évêques et prêtres, le Corps diplomatique accrédité et une foule immense. Après la liturgie de la Parole, Jean Paul II prononça l’homélie, conféra le baptême et la confirmation a divers néophytes du Tiers-Monde, parmi lesquels trois Malgaches.

1. La parole "mort" se prononce avec un noeud dans la gorge. Bien que durant d'innombrables générations, l'humanité se soit en quelque sorte accoutumée à la réalité de la mort, à son caractère inéluctable, elle n'en est pas moins chaque fois, quelque chose de bouleversant. La mort du Christ était entrée profondément dans le coeur de ses voisins les plus proches et dans les consciences de tout Jérusalem. Le silence qui s'abattit ensuite sur la ville régna durant toute la soirée du vendredi et toute la journée du samedi. Ce jour-là, conformément aux prescriptions juives, nul ne s'était rendu aux lieux de la sépulture. Les trois femmes dont nous parle l'Evangile d'aujourd'hui se souviennent bien de la lourde pierre qui obturait l'entrée du sépulcre. Cette pierre, à laquelle elles pensaient, et dont elles auraient parlé le lendemain, symbolisait également le poids qui avait broyé leur coeur. La pierre qui avait séparé le Mort des vivants, la pierre limite de la vie, le poids de la mort. Les femmes qui, après le jour du sabbat, allèrent visiter le sépulcre alors que le premier jour de la semaine commençait à poindre, ne parlèrent pas de la mort, mais de la pierre. Arrivées sur place, elles constatèrent que la pierre ne barrait plus l'entrée du sépulcre. Elle avait été déplacée. Elles n'ont pas trouvé Jésus dans le sépulcre. Elles l'ont cherché en vain ! "Il n'est pas ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit" (
Mt 28,6). Elles doivent retourner en ville et annoncer aux disciples que Jésus est ressuscité et qu'ils le trouveront en Galilée. Les femmes sont incapables de prononcer le moindre mot. La nouvelle de la mort s'annonce d'une voix sourde. Mais chez elles, les paroles de la résurrection étaient elles-mêmes difficiles à capter. Difficiles à répéter, tant il est vrai que la réalité de la mort a influencé la pensée et le coeur de l'homme.

2. Cette nuit-là, et plus encore la matinée qui l'a suivie, a appris aux disciples de Jésus à prononcer le mot de résurrection. Dans leur langage il est devenu le mot le plus important, le terme central, la parole fondamentale. Tout prend, depuis, origine de ce mot. Tout se trouve confirmé et se construit à nouveau : "La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs est devenue tête d'angle, c'est par le Seigneur que cela s'est fait, c'est merveille à nos yeux ! Voici le jour que le Seigneur a fait, exultons et réjouissons-nous en lui !" (Ps 117-118).

C'est précisément pour cela que la vigile pascale — le jour qui suit le Vendredi saint — n'est plus seulement le jour où l'on murmure d'une voix sourde le mot "mort", celui où l'on se rappelle les derniers moments de la vie du Mort : il est le jour d'une grande attente. Il est la vigile pascale : le jour et la nuit de l'attente du "Jour que le Seigneur a fait".

Le contenu liturgique de la vigile est exprimé par les différentes heures du bréviaire, pour concentrer ensuite toute sa richesse dans la liturgie de la nuit qui, après la période du Carême, atteint son sommet dans le premier Alléluia !

74 Alléluia ! le cri qui exprime la joie pascale.

L'exclamation qui résonne encore au milieu de la nuit et apporte déjà la joie du matin. Qui apporte la certitude de la résurrection. Ce qu'à un premier moment les lèvres des femmes ou la bouche des apôtres n'ont pas eu le courage de prononcer devant le sépulcre, maintenant, grâce à leur témoignage, l'Eglise l'exprime dans son Alléluia !

Ce chant de joie, chanté vers minuit, nous annoncé le Grand Jour. "Dans quelques langues slaves, Pâques s'appelle la "Grande Nuit" ; après la Grande Nuit arrive le Grand Jour : "le Jour que le Seigneur a fait".

3. Et nous voilà prêts à aller à la rencontre de ce Grand Jour, le feu pascal allumé ; à ce feu nous avons allumé le cierge — lumière du Christ — et dans le chant de l'Exultet nous avons proclamé, près de ce cierge, la gloire de la Résurrection.

Puis par une suite de lectures, nous sommes entrés dans le processus de la grande annonce de la création du monde, de l'homme, du Peuple de Dieu; nous sommes entrés dans le temps où toute la création se prépare à ce Grand Jour, au jour de la victoire du bien sur le mal, de la vie sur la mort. On ne saurait saisir le mystère de la Résurrection sinon en retournant aux origines et en suivant ensuite tout le développement de l'histoire de l'économie du salut jusqu'à ce moment. Jusqu'au moment où, s'arrêtant sur le seuil du tombeau vide, les trois femmes ont entendu le message d'un jeune homme vêtu d'une robe blanche : "Ne vous effrayez pas. C'est Jésus de Nazareth que vous cherchez, le Crucifié : il est ressuscité, il n'est pas ici" (
Mc 16,5-6).

4. Ce grand Moment ne nous permet pas de rester hors de nous-mêmes ; il nous force à entrer dans notre propre humanité. Le Christ ne nous a pas seulement révélé la victoire de la vie sur la mort : avec sa Résurrection il nous a également apporté la Nouvelle Vie. Cette vie nouvelle, il nous l'a donnée.

Voici comment s'exprime saint Paul : "Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que nous avons tous été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi une vie nouvelle" (Rm 6,3-4).

Les paroles : "C'est dans sa mort que nous avons été baptisés" disent beaucoup. La mort est l'eau dans laquelle se reconquiert la Vie : l'eau qui "jaillit pour la vie éternelle" (Jn 4,14). Il est nécessaire de "se plonger" dans cette eau ; dans cette Mort, pour émerger ensuite comme Homme Nouveau, comme créature nouvelle, comme être nouveau, c'est-à-dire vivifié par lapuissance de la Résurrection du Christ !

Ceci est le mystère de l'Eau que nous bénissons cette nuit, que nous faisons pénétrer de la "lumière du Christ", que nous faisons imprégner de la Vie Nouvelle ; elle est le symbole de la puissance de la Résurrection !

Dans le sacrement du Baptême, cette eau devient le signe de la victoire sur Satan, sur le péché ; le signe de la victoire que le Christ a remportée au moyen de la Croix, au moyen de la mort et qu'il remporte ensuite sur chacun de nous : "notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que soit détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché" (Rm 6,6).

5. Voici la nuit de la Grande Attente. Nous attendons dans la foi, nous attendons, de tout notre être humain, Celui qui à l'aube a brisé la tyrannie de la mort et révélé la divine Puissance de la Vie : Lui, il est notre espérance !



21 avril 1979, CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE AVEC UN GROUPE DE NOUVEAUX DIACRES

75 Chapelle Pauline
Samedi 21 avril 1979

Chers et bien-aimés diacres,

Dans la longue histoire de l'Eglise, il n'est pas rare de voir près du Pape des diacres associés à son ministère, de voir des diacres à ses côtés. Et ce matin je suis tout particulièrement heureux d'être entouré de diacres parce que notre rapport — notre communion ecclésiale — trouve sa plus haute expression dans le saint Sacrifice de la Messe.

Notre joie est doublée — la vôtre comme la mienne — par la présence ici, en grand nombre, de parents et de personnes qui vous sont chères. Vous êtes venus tous et chacun, pour, célébrer le Mystère Pascal et faire l'expérience de l'amour de Jésus. Celui-ci est un amour sacrificatoire — un amour qui l'a poussé à donner sa vie pour son peuple et pour la relever de nouveau. Cet amour sacrificatoire s'est manifesté avec grande générosité dans la vie de vos parents, et il est vraiment juste qu'aujourd'hui ils vivent un moment exceptionnel de sérénité, de satisfaction et de légitime orgueil.

Lorsque nous commémorons la Résurrection du Christ, nous pensons à ses différentes apparitions, telles que nous les rappellent les Actes des Apôtres : ses apparitions à Marie Madeleine, aux deux disciples, aux onze apôtres. Nous renouvelons notre foi — notre sainte foi catholique — et nous exultons et nous nous réjouissons car le Seigneur est vraiment ressuscité, alléluia ! Aujourd'hui plus que jamais, nous nous réjouissons parce que nous avons conscience de ce que signifie être le peuple de Pâques et d'avoir l'Alléluia pour chant.

L'événement de Pâques — la résurrection corporelle du Christ — pénètre la vie de l'Eglise tout entière. Il donne des forces aux chrétiens partout et dans toutes les éventualités de la vie. Il nous rend sensibles à l'humanité avec toutes ses limites, toutes ses souffrances et tous ses besoins. La Résurrection a l'immense pouvoir de libérer, d'élever, d'opérer la justice, de favoriser la sainteté, de causer la joie.

Mais pour vous, Diacres il y a ce matin un message particulier. Par votre ordination sacrée vous avez été associés d'une manière spéciale à l'Evangile du Christ Ressuscité. Vous avez été chargés de rendre un type particulier de service, la diaconie, au nom du Seigneur Ressuscité. Au cours de la cérémonie d'ordination l'Evêque a dit à chacun de vous : "Recevez l'Evangile du Christ dont vous êtes maintenant le messager. Croyez à ce que vous y lisez ; enseignez ce que vous croyez et pratiquez ce que vous enseignez". Et vous êtes appelés ainsi à ressentir vivement les paroles des Actes des Apôtres. En tant que diacres vous vous trouvez associés à Pierre et à Jean et à tous les Apôtres. Vous secondez le ministère apostolique et participez à sa proclamation. Comme les Apôtres, vous devez vous sentir poussé à proclamer par la parole et par la mort la Résurrection du Seigneur Jésus. Vous devez, vous aussi, ressentir le besoin de faire le bien, de rendre service au nom de Jésus crucifié et ressuscité, de porter la parole de Dieu dans la vie de son saint peuple.

Dans la première lecture d'aujourd'hui nous avons entendu les Apôtres dire : "Nous ne pouvons pas ne pas publier ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu". Et vous êtes appelés, par soumission à la foi, à proclamer sur la base de leur témoignage — sur la base de ce qui a été transmis dans l'Eglise sous la direction du Saint-Esprit — le grand mystère du Christ Ressuscité qui, dans l'acte véritable de sa résurrection, communique à tous ses frères la vie éternelle parce qu'il leur communique sa victoire sur le péché et sur la mort. Rappelez-vous que la proclamation de la Résurrection par les Apôtres était un défi et un reproche à l'adresse d'un grand nombre. Et il leur fut défendu de parler au nom de Jésus Ressuscité. Mais leur réponse fut immédiate et très claire : "S'il est juste aux yeux de Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu, à vous d'en juger".

Et dans cette obéissance à Dieu ils trouvèrent la mesure la plus pleine de la joie pascale.

Il en est de même pour vous, les nouveaux diacres du temps pascal. Comme assistants des évêques et des prêtres votre qualité de disciples doit être marquée par deux caractéristiques : l'obéissance et la joie. Vous devez, chacun sur sa propre voie, témoigner de l'authenticité de votre vie. Votre aptitude à communiquer l'Evangile dépendra de votre adhésion à la foi des Apôtres. L'efficacité de votre diaconie aura pour mesure la fidélité de votre obéissance au mandat de l'Eglise. C'est le Christ Ressuscité qui vous a appelés et c'est l'Eglise qui vous envoie de l'avant pour proclamer le message transmis par les Apôtres. Soyez assurés que la puissance de l'Evangile vous comblera de la joie la plus élevée : la joie du sacrifice, sans doute, mais une joie qui transforme l'être intimement associé au Christ Ressuscité dans sa triomphante mission de salut. Tous les disciples de Jésus, et vous, les diacres à un titre spécial, sont appelés à prendre part à l'immense joie pascale ressentie par notre Sainte Mère. A la Résurrection de son Fils, nous voyons Marie comme Mater plena sanctae laetitiae — une Mère emplie de sainte joie — qui devient pour chacun de nous Causa nostrae laetitiae, la cause de notre joie.

76 L'obéissance et la joie sont donc la véritable expression de votre état de disciples. Mais elles sont aussi la condition de l'efficacité de votre ministère et en même temps un don de la grâce divine : conséquence du vrai mystère de la Résurrection que vous proclamez.

Chers Diacres, je vous parle comme à des fils, des frères et des amis. Ce jour est un jour de joie toute spéciale. Mais faites qu'il soit aussi un jour de spéciales résolutions. En présence du Pape, sous le regard des Apôtres Pierre et Paul, en compagnie d'Etienne, devant le témoignage de vos parents et en communion avec l'Eglise Universelle, renouvelez maintenant votre consécration ecclésiale à Jésus-Christ, que vous servez et qui vous appelle à transmettre son message vivifiant dans toute sa pureté et intégrité avec toutes ses exigences et dans toute sa force. Et sachez que c'est avec un immense amour que je vous répète, à vous et à tous les diacres de l'Eglise les paroles de l'Evangile de ce matin, les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : "Allez partout dans le monde et annoncez la Bonne Nouvelle à toute la création".

C'est cela le sens de votre ministère. Ce sera le plus grand service que vous rendrez à l'humanité. C'est votre réponse à l'amour de Dieu !

Amen !



Homélies St Jean-Paul II 67