Homélies St Jean-Paul II 99


27 mai 1979, ORDINATIONS DE 26 NOUVEAUX ÉVÊQUES À LA BASILIQUE SAINT-PIERRE

Parmi les élus figurent trois nouveaux archevêques : Mgr Achille Silvestrini, secrétaire du Conseil pour les Affaires publiques de l’Église, Mgr Justo Mullor Garcia, nonce apostolique en Côte d’Ivoire et Mgr Alfio Rapisarda,  nonce apostolique  en  Bolivie. Quant aux autres, ils se répartissent dans les deux catégories : résidentiels et titulaires. Résidentiels, les dix évêques nommés au gouvernement d’un diocèse : titulaires les treize évêques nommés Auxiliaires parmi lesquels Mgr Jean-Marie Lafontaine, élu évêque auxiliaire de Montréal (Canada) :


"Toi, Seigneur, qui connais le coeur de tous les hommes, montre-nous lequel... tu as choisi" (Ac1, 24).

C'est ainsi que prièrent les apôtres réunis au Cénacle de Jérusalem quand ils durent, pour la première fois, combler la place restée vide dans leur communauté. Il fallait en effet que les Douze continuent à rendre témoignage au Seigneur et à sa Résurrection. Le Christ avait, en son temps, institué les Douze. Et voilà qu'alors, avec la perte de Judas, il était nécessaire d'affronter pour la première fois le devoir de décider au nom du Seigneur qui devait occuper la place vacante.

Et alors les apôtres réunis prièrent ainsi : "Toi Seigneur qui connais le coeur de tous, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi pour occuper, dans le ministère de l'apostolat la place..." (Ac 1,24-25).

Ce qui se passa il y a bien longtemps dans l'Eglise primitive, se répète encore aujourd'hui. Voici qu'ont été choisis ceux qui doivent prendre les différentes places "dans le ministère de l'apostolat". Ils ont été choisis après une fervente prière de toute l'Eglise et de chaque communauté qui a besoin d'eux et qu'ils serviront.

C'est ainsi que vous avez été choisis, chers frères. Aujourd'hui vous vous trouvez ici près de la tombe de saint Pierre pour recevoir la consécration épiscopale. Et certainement aujourd'hui comme durant toute la précédente période de préparation à l'ordination épiscopale, chacun de vous répète en cette Basilique : "Seigneur, tu connais le coeur de tous. Tu connais également mon coeur. Seigneur, il t'a plu de me choisir. Tu as dit un jour aux apôtres, après les avoir appelés : 'Ce n'est pas vous qui m'avez choisi ; mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et un fruit qui demeure" (Jn 15,16).

2. "Autant l'Orient est éloigné de l'Occident..." (Ps 103).

Vraiment, vénérables et chers frères, vous êtes aujourd'hui venus ici des différentes parties du monde, de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Sud. Votre présence exprime la joie pascale de l'Eglise qui peut déjà attester dans les diverses parties de la terre "que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde (1Jn 4,14).

A ce point, il me plairait de décrire dans un beau langage suggestif et simple en même temps et pour ainsi dire de réunir les pays dont vous provenez, en commençant par l'Orient le plus lointain, les Philippines, l'Inde, puis à travers l'Afrique (Soudan et Ethiopie) arriver en Amérique du Sud (Brésil, Nicaragua, Chili) puis en Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et finir en Europe (Bulgarie, Espagne, Italie, Norvège).

Malheureusement le temps ne le permet pas. La présence parmi vous d'un Evêque de Bulgarie m'offre toutefois l'agréable occasion d'adresser une pensée particulière à cette noble nation, chrétienne depuis de nombreux siècles. Je saisis cette heureuse circonstance pour envoyer un salut affectueux à tous mes frères et soeurs catholiques, de rite latin et de rite byzantin qui, malgré leur nombre peu élevé, témoignent de la vitalité de leur foi par leur amour envers la patrie et leur service aux communautés dont ils font partie. J'adresse également un respectueux salut à la vénérable Eglise Orthodoxe Bulgare et à tous ses fils.

100 Il y a également parmi les candidats à l'ordination trois archevêques appelés à servir d'une manière particulière la mission universelle du Saint-Siège : le Secrétaire du Conseil pour les Affaires publiques de l'Eglise et deux représentants pontificaux. Leur mandat découle, en tant qu'exigence naturelle et nécessaire, de la fonction spécifique confiée à Saint Pierre au sein du Collège apostolique et de toute la communauté ecclésiale. Leur tâche consiste donc à être ministres de l'imité "catholique", "serviteur des serviteurs de Dieu" avec celui qu'eux-mêmes représentent.

3. Et voilà que sous peu vous allez recevoir, grâce à la consécration épiscopale, une participation toute spéciale au sacerdoce du Christ, la participation la plus pleine. Vous deviendrez le cette manière pasteurs du Peuple de Dieu en différents lieux de la terre, investis chacun de sa fonction propre au service de l'Eglise.

Comme l'a rappelé le Concile Vatican II, c'est le Christ lui-même qui a voulu que "les successeurs des apôtres, c'est-à-dire les évêques soient jusqu'à la fin des temps pasteurs en son Eglise" (cf Lumen Gentium
LG 18). Obéissant à la volonté de leur Maître, les apôtres "non seulement ont eu divers auxiliaires dans leur ministère, mais (...) ils portèrent cette règle que, par la suite, quand ils auraient disparu, d'autres hommes éprouvés prendraient la succession de leur ministère (...) Ainsi, comme l'atteste saint Irénée, la tradition apostolique est manifestée et gardée dans le monde entier par ceux qui ont été institués évêques par les apôtres et par leurs successeurs jusqu'à nous" (ibid. n. 20).

Le Concile a défini longuement la fonction essentielle que les évêques remplissent dans la vie de l'Eglise. Parmi les nombreux textes qui se réfèrent à ce sujet, il suffit de rappeler la vigoureuse synthèse contenue dans ce passage de Lumen Gentium qui, après avoir rappelé cette donnée de la foi que "dans la personne des évêques, le Seigneur Jésus (lui-même) est présent au milieu des croyants", en déduit logiquement que le Christ par leur ministère privilégié prêche à toutes les nations la parole de Dieu et administre sans cesse aux croyants les sacrements de la foi ; par leur soin paternel (cf. 1Co 4,15) il incorpore, par une nouvelle naissance d'en-haut, de nouveaux membres à son Corps ; et enfin par leur sagesse et leur prudence, il dirige et conduit le Peuple du Nouveau Testament dans son pèlerinage vers la béatitude éternelle" (n. 21).

Sous l'éclairage de ces riches et limpides affirmations conciliaires, j'exprime la vive joie que j'éprouve à vous conférer aujourd'hui, chers frères, la consécration épiscopale et à vous introduire ainsi dans le collège des évêques de l'Eglise du Christ : par ce geste je puis en effet démontrer mon estime et mon amour particuliers à l'égard de vos compatriotes, de vos pays, des Eglises locales par lesquelles vous avez été choisis et pour le bien desquelles vous êtes institués pasteurs (He 5,1).

Je médite avec vous les paroles de l'Evangile d'aujourd'hui : "Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître ; je vous appelle amis car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître" (Jn 15,15). Et je désire vous féliciter de tout coeur pour cette amitié. Que pourrait-il y avoir de plus grand ? C'est pourquoi je ne veux pas vous souhaiter autre chose que : "Demeurez en l'amour du Christ" (cf. Jn 15,10). demeurez en son amitié. Demeurez-y comme Lui demeure en l'amour du Père.

Que cet amour et cette amitié remplissent totalement votre vie et deviennent la source d'inspiration de vos actions dans le service que vous assumerez aujourd'hui. Je vous souhaite des fruits abondants et heureux dans votre ministère : "Que vous alliez et que vous portiez du fruit, et un fruit qui demeure" (Jn 15,16), et que le Père vous accorde tout ce que vous lui demanderez au nom du Christ (cf. Jn 15,16) — son Fils éternel.

Que votre mission et votre ministère conduisent au renforcement de l'amour réciproque, de l'amour commun, de l'union du Peuple de Dieu dans l'Eglise du Christ afin que dans l'amour et dans l'union se révèle, dans toute sa lumineuse simplicité, la face de Dieu : Père et Fils et Esprit-Saint ; Dieu qui est amour (cf. 1Jn 4,16).

Et ce dont le monde, ce monde auquel nous sommes envoyés, a le plus grand besoin, c'est précisément l'amour !



31 mai 1979, CONCLUSION DU MOIS DE MARIE

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"Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur" (
Lc 1,45).

C'est par ce salut qu'Elisabeth accueillit et exalta sa jeune parente Marie, venue, humble et discrète, lui offrir ses services. Sous l'impulsion de l'Esprit Saint, la mère de Jean-Baptiste est la première dans l'histoire de l'Eglise à proclamer la grandeur de l'oeuvre que Dieu accomplit en la Vierge de Nazareth et elle voit la béatitude de la foi pleinement réalisée en Marie parce que celle-ci a cru en l'accomplissement de la parole de Dieu.

Chers frères et soeurs, au moment où se conclut le mois de Marie, nous devons réfléchir, durant cette merveilleuse soirée romaine vécue à cet endroit qui nous rappelle la grotte de Lourdes, nous devons réfléchir, dis-je, à ce qui fut l'attitude intérieure fondamentale de la Très Sainte Vierge à l'égard de Dieu : sa foi ! Marie a cru ! Elle a cru aux paroles du Seigneur transmises par l'Ange Gabriel : son coeur très pur, déjà depuis l'enfance donné entièrement à Dieu, s'est dilaté à l'Annonciation dans le "Fiat !" généreux, sans réserves, par lequel elle a accepté de devenir la Mère du Messie et Fils de Dieu : dès ce moment, s'insérant encore plus profondément dans le plan de Dieu, elle se laissera conduire par la mystérieuse Providence et pendant toute sa vie enracinée dans la foi, elle suivra spirituellement son Fils, devenant son premier parfait disciple, réalisant chaque jour les exigences qui en découlent, conformément aux paroles de Jésus : "Quiconque ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite, ne peut être mon disciple" (Lc14, 27)

Ainsi, pendant toute sa vie Marie "accomplira dans la foi son pèlerinage" (cf. Lumen Gentium LG 58), tandis que son Fils, bien-aimé, incompris, calomnié, condamné, crucifié, lui tracera, jour après jour, une voie douloureuse, prélude nécessaire de cette glorification que chante le "Magnificat" : "toutes les générations m'appelleront Bienheureuse" (Lc 1,48). Mais avant cela, il fallait que Marie gravisse elle-même le Calvaire pour y assister, douloureuse, à la mort de son Fils.

2. La Visitation que nous fêtons aujourd'hui nous présente un autre aspect de la vie intérieure de Marie : son attitude d'humble service et d'amour désintéressé pour quiconque se trouve dans le besoin. Sitôt qu'elle apprit de l'Ange Gabriel l'état de sa parente Elisabeth, elle se mit sans tarder en route vers la montagne pour gagner "en hâte" une ville de Judée, l'Ain Karem d'aujourd'hui. La rencontre des deux mères est également la rencontre entre le Précurseur et le Messie qui, par la médiation de sa Mère, commence son oeuvre de salut, faisant tressailler de joie Jean-Baptiste encore dans le sein de sa mère.

"Dieu, personne ne l'a jamais contemplé ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous... oui, voilà le commandement que nous avons reçu de Lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère" (Jn 4,12 Jn 4,21), dira saint Jean l'Evangéliste. Mais qui, mieux que Marie, a actualisé ce message ? Et qui, sinon Jésus qu'elle portait encore dans son sein, la poussait, la pressait, l'inspirait dans cette attitude continuelle de service généreux et d'amour désintéressé à l'égard d'autrui ? "Le Fils de l'Homme... n'est pas venu pour être servi, mais pour servir" (Mt 20,28), dira Jésus à ses disciples ; mais sa Mère avait déjà parfaitement réalisé cette attitude. Ecoutons ce célèbre commentaire, plein d'onction spirituelle, que Saint Ambroise fait du voyage de Marie : "Joyeuse de réaliser son désir, délicate dans son devoir, prévenante dans sa joie, elle se hâte vers la montagne. A quoi devaient tendre, sinon à gagner les sommets, les pas empressés de celle qui déjà était pleine de Dieu ? La grâce du Saint-Esprit ne connaît point d'obstacles qui puissent retarder son pas" (Expositio Evangelii secundum Lucam, II, 19 ; CCL 14 p 39).

Et si nous réfléchissons de manière particulièrement attentive au passage de l'Epître aux Romains que nous venons d'entendre, nous nous apercevons qu'il s'y révèle une image du comportement de Marie particulièrement édifiante pour nous : sa charité était sans feinte ; elle aimait profondément les autres ; elle servait le Seigneur d'un esprit fervent ; elle était joyeuse dans l'espérance ; elle était forte dans la tribulation, assidue à la prière, et prenait part aux besoins des frères (cf. Rm 12,9-13).

3. "Joyeuse dans l'espérance" : Le climat qui règne dans l'épisode évangélique de la Visitation est un climat de joie : le mystère de la Visitation est un mystère de joie. Jean-Baptiste tressaille de joie dans le sein de sa mère, sainte Elisabeth ; celle-ci, au comble de la joie pour le don de la maternité, se répand en bénédictions au Seigneur; Marie entonne le "Magnificat", une hymne où éclate la joie messianique.

Mais quelle est la source mystérieuse, secrète de cette joie ? C'est Jésus, que Marie a déjà conçu par l'opération du Saint-Esprit, et qui commence à enlever ce qui est la racine de la peur, de l'angoisse, de la tristesse: le péché, l'esclavage le plus humiliant pour l'homme.

Nous célébrons ensemble ce soir la conclusion du mois de Marie 1979. Mais le mois de mai ne peut prendre fin ainsi : il doit continuer dans notre vie, car l'amour, la dévotion pour la Vierge ne peuvent disparaître de notre coeur ; ils doivent au contraire grandir et s'exprimer dans un témoignage de vie chrétienne, modèle sur l'exemple de Marie "le nom de la belle fleur que toujours j'invoque et matin et soir" comme le chante le poète Dante Alighieri (Paradis, XXIII, 88).

O Vierge très Sainte, Mère de Dieu, Mère du Christ, Mère de l'Eglise, regarde-nous avec clémence, en ce moment !

Virgo fidelis, Vierge fidèle, prie pour nous ! Apprends-nous à croire comme toi-même tu as cru ! Fais que notre foi en Dieu, en Jésus, dans l'Eglise, soit toujours limpide, sereine, courageuse, forte, généreuse.

Mater Amabilis, Mère digne d' amour ! Mater pulchra dilectionis, Mère du bel Amour, prie pour nous ! Apprends-nous à aimer Dieu et nos frères comme tu les as aimés toi-même : fais que notre amour pour les autres soit toujours patient, clément, respectueux.

Causa nostrae laetitiae, Cause de notre joie, prie pour nous ! Apprends-nous à savoir choisir, avec foi, le paradoxe de la joie chrétienne qui nait et fleurit de la douleur, des privations, de l'union avec ton Fils crucifié: fais que notre joie soit toujours authentique et pleine, afin que nous puissions la communiquer.

Amen !


Pèlerinage apostolique en Pologne (2 - 10 juin 1979)


2 juin 1979, Messe Place de la Victoire, Varsovie

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Samedi 2 juin 1979



Chers compatriotes,
Frères et soeurs très chers,
Vous tous qui participez au Sacrifice eucharistique que nous célébrons aujourd’hui à Varsovie, sur la place de la Victoire,

1. Avec vous je voudrais chanter un hymne de louange à la divine Providence qui me permet de me trouver ici en qualité de pèlerin.

Nous savons que Paul VI, récemment disparu — premier pape pèlerin depuis tant de siècles —, désirait ardemment fouler le sol polonais, et en particulier venir à Jasna Gora (Clair-Mont). Jusqu’à la fin de sa vie il a, conservé ce désir dans son coeur, et il est descendu dans la tombe avec lui. Et nous sentons maintenant que ce désir — si puissamment et si profondément enraciné qu’il a survécu à tout un pontificat — se réalise aujourd’hui et d’une façon que l’on pouvait difficilement prévoir. Remercions donc la divine Providence d’avoir donné à Paul VI un désir aussi fort. Et remercions-la pour ce style de pape-pèlerin qu’il a instauré avec le Concile Vatican II. En effet, lorsque l’Église entière eut pris conscience d’une manière renouvelée d’être le peuple de Dieu, un peuple qui participe à la mission du Christ, un peuple qui traverse l’histoire avec cette mission, un peuple « en marche », le pape ne pouvait plus rester « prisonnier du Vatican ». Il devait devenir à nouveau le Pierre pérégrinant, comme le premier du nom qui, de Jérusalem et en passant par Antioche, était arrivé à Rome pour y donner au Christ un témoignage scellé de son propre sang.

Ce désir du défunt pape Paul VI, il m’est donné aujourd’hui de l’accomplir parmi vous, très chers fils et filles de ma patrie. En effet lorsque — par un dessein insondable de la divine Providence, après la mort de Paul VI et le bref pontificat d’à peine quelques semaines de mon prédécesseur immédiat Jean-Paul Ier — je fus appelé, par le vote des cardinaux, de la chaire de saint Stanislas à Cracovie à celle de saint Pierre à Rome, j’ai compris immédiatement qu’il était de mon devoir d’accomplir ce désir que Paul VI n’avait pas pu réaliser lors du millénaire du baptême de la Pologne.

Mon pèlerinage dans la patrie, en cette année où l’Église en Pologne célèbre le neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas n’est-il pas un signe particulier de notre pèlerinage polonais à travers l’histoire de l’Église, non seulement au long des routes de notre patrie mais aussi au long de celles de l’Europe et du monde ? Laissant de côté ma propre personne, je n’en dois pas moins me poser avec vous tous la question concernant le motif pour lequel c’est justement en 1978 (après tant de siècles d’une tradition bien établie dans ce domaine) qu’a été appelé sur la chaire de saint Pierre un fils de la nation polonaise, de la terre polonaise. Le Christ exigeait de Pierre et des autres Apôtres qu’ils fussent des « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (
Ac 1,8). En nous référant donc à ces paroles du Christ, n’avons-nous pas le droit de penser que la Pologne est devenue, en notre temps, une terre d’un témoignage particulièrement lourd de responsabilité ? Que d’ici précisément — de Varsovie et aussi de Gniezno, de Jasna Gora, de Cracovie, de tout cet itinéraire historique que j’ai tant de fois parcouru dans ma vie et que je suis heureux de parcourir à nouveau ces jours-ci — il faut annoncer le Christ avec une singulière humilité, mais aussi avec conviction ? Que c’est précisément ici qu’il faut venir, sur cette terre, sur cet itinéraire, pour relire le témoignage de sa croix et de sa résurrection ? Mais si nous acceptons tout ce que je viens d’oser affirmer, combien grands sont les devoirs et les obligations qui en découlent ! Sommes-nous capables d’y répondre ?

2. Il m’est donné aujourd’hui, en cette première étape de mon pèlerinage papal en Pologne, de célébrer le Sacrifice eucharistique à Varsovie, sur la place de la Victoire. La liturgie de ce samedi soir, veille de la Pentecôte, nous transporte au Cénacle de Jérusalem, où les Apôtres — réunis autour de Marie, Mère du Christ — recevront, le jour suivant, l’Esprit Saint. Ils recevront l’Esprit que le Christ, à travers sa croix, a obtenu pour eux afin que dans la force de cet Esprit ils puissent accomplir son commandement. « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19 Mt 20). Par ces paroles, le Christ Seigneur, avant de quitter ce monde, a transmis aux Apôtres son ultime recommandation, son « mandat missionnaire ». Et il a ajouté : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).

C’est une bonne chose que mon pèlerinage en Pologne, à l’occasion du IXe centenaire du martyre de saint Stanislas, tombe dans la période de la Pentecôte, et en la solennité de la sainte Trinité. Je puis ainsi, accomplissant le désir posthume de Paul VI, vivre encore une fois le millénaire du baptême en la terre polonaise, et inscrire le jubilé de saint Stanislas de cette année dans ce millénaire qui rappelle le début de l’histoire de la nation et de l’Église. Et justement la solennité de la Pentecôte et celle de la sainte Trinité nous rapprochent de ce commencement. Dans les Apôtres qui reçoivent l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte sont déjà en quel que sorte spirituellement présents tous leurs successeurs, tous les évêques, y compris ceux qui ont eu la charge, depuis mille ans, d’annoncer l’Evangile en terre polonaise. Y compris ce Stanislas de Szczepanow qui a payé de son sang sa mission sur la chaire de Cracovie il y a neuf siècles.

Et ce ne sont pas seulement les représentants des peuples et des langues énumérés par le livre des Actes des Apôtres qui sont réunis le Jour de la Pentecôte en ces Apôtres et autour d’eux. Déjà alors se trouvent rassemblés autour d’eux divers peuples et nations qui, par la lumière de l’Évangile et la force de l’Esprit Saint, entreront dans l’Église au cours des époques et des siècles. Le jour de la Pentecôte est le jour de la naissance de la foi et de l’Église en notre terre polonaise aussi. C’est le début de l’annonce des merveilles du Seigneur, en notre langue polonaise aussi. C’est le début du christianisme dans la vie de notre nation aussi : dans son histoire, dans sa culture, dans ses épreuves.

3. a. L’Église a apporté à la Pologne le Christ, c’est-à-dire la clef permettant de comprendre cette grande réalité, cette réalité fondamentale qu’est l’homme. On ne peut en effet comprendre l’homme à fond sans le Christ. Ou plutôt l’homme n’est pas capable de se comprendre lui-même à fond sans le Christ. Il ne peut saisir ni ce qu’il est, ni quelle est sa vraie dignité, ni quelle est sa vocation, ni son destin final. Il ne peut comprendre tout cela sans le Christ.

C’est pourquoi on ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’homme en quelque partie que ce soit du globe, sous quelque longitude ou latitude géographique que ce soit. Exclure le Christ de l’histoire de l’homme est un acte contre l’homme. Sans Lui il est impossible de comprendre l’histoire de la Pologne et surtout l’histoire des hommes qui sont passés ou passent par cette terre. L’histoire des hommes. L’histoire de la nation et surtout l’histoire des hommes. Et l’histoire de chaque homme se déroule en Jésus-Christ. En Lui, elle devient l’histoire du salut.

L’histoire de la nation doit être jugée en fonction de la contribution qu’elle a apportée audéveloppement de l’homme et de l’humanité, à l’intelligence, au coeur, à la conscience. C’est là le courant le plus profond de culture. Et c’est son soutien le plus solide. Sa moelle épinière, sa force. Il n’est pas possible de comprendre et d’évaluer, sans le Christ, l’apport de la nation polonaise au développement de l’homme et de son humanité dans le passé et son apport également aujourd’hui. « Ce vieux chêne a poussé ainsi, et aucun vent ne l’a abattu parce que sa racine est le Christ » (Piotr Skarga, Kazania Sejmowe, Biblioteka Narodowa, I, 70, page 92). Il faut marcher sur les traces de ce que fut (ou plutôt de qui fut) le Christ, au long des générations, pour les fils et les filles de cette terre. Et cela, non seulement pour ceux qui ont cru ouvertement en Lui et l’ont professé avec la foi de l’Église mais aussi pour ceux qui étaient apparemment loin, hors de l’Église. Pour ceux qui doutaient ou s’opposaient.

3. b. S’il est juste de saisir l’histoire de la nation à travers l’homme, chaque homme de cette nation, en même temps on ne peut comprendre l’homme en dehors de cette communauté qu’est la nation. Il est naturel qu’elle ne soit pas l’unique communauté ; toutefois, elle est une communauté particulière peut-être la plus intimement liée à la famille, la plus importante pour l’histoire spirituelle de l’homme. Il n’est donc pas possible de comprendre sans le Christ l’histoire d e la nation polonaise — de cette grande communauté millénaire — qui décide si profondément de moi et de chacun de nous. Si nous refusons cette clef pour la compréhension de notre nation, nous nous exposons à une profonde équivoque. Nous ne nous comprenons plus nous-mêmes. Il est impossible de saisir sans le Christ cette nation au passé si splendide et en même temps si terriblement difficile. Il n’est pas possible de comprendre cette ville, Varsovie, capitale de la Pologne, qui en 1944 s’est décidée à une bataille inégale avec l’agresseur, à une bataille dans laquelle elle a été abandonnée par les puissances alliées, à une bataille dans laquelle elle a été ensevelie sous ses propres ruines — si on ne se rappelle pas que sous ces mêmes ruines il y avait aussi le Christ Sauveur avec sa croix qui se trouve devant l’église à Krakowskie Przedmiecie. Il est impossible de comprendre l’histoire de la Pologne, de Stanislas de Skalka à Maximilien Kolbe d’Auschwitz, si on ne leur applique pas encore ce critère unique etfondamental qui porte le nom de Jésus-Christ.

Le millénaire du baptême de la Pologne dont saint Stanislas est le premier fruit mûr — le millénaire du Christ dans notre hier et notre aujourd’hui — est le motif principal de mon pèlerinage, de ma prière d’action de grâces avec vous tous, chers compatriotes auxquels Jésus-Christ ne cesse d’enseigner la grande cause de l’homme, avec vous pour lesquels Jésus-Christ ne cesse d’être un livre toujours ouvert sur l’homme, sur sa dignité, sur ses droits, et en même temps un livre de science sur la dignité et sur les droits de la nation.

104 Aujourd’hui, sur cette place de la Victoire, dans la capitale de la Pologne, je demande, à travers la grande prière eucharistique avec vous tous, que le Christ ne cesse pas d’être pour nous un livre ouvert de la vie pour l’avenir. Pour notre demain polonais.

4. Nous nous trouvons devant le tombeau du soldat inconnu. Dans l’histoire de la Pologne — ancienne et contemporaine —, ce tombeau a un fondement et une raison d’être particuliers. En combien de lieux de la terre natale n’est-il pas tombé, ce soldat ! En combien de lieu de l’Europe et du monde n’a-t-il pas crié, par sa mort, qu’il ne peut y avoir d’Europe juste sans l’indépendance de la Pologne, marquée sur les cartes de géographie ! Sur combien de champs de bataille n’a-t-il pas témoigné des droits de l’homme profondément gravés dans les droits inviolables du peuple, en tombant pour « notre liberté et la vôtre » !

« Où sont leurs tombes, ô Pologne ? Où ne sont-elles pas ! Tu le sais mieux que tous, et Dieu le sait au ciel » (A. Oppman, Pacierz za zmarlych).

L’histoire de la patrie écrite à travers le tombeau d’un soldat inconnu !

Je veux m’agenouiller près de cette tombe pour vénérer chaque semence qui, tombant en terre et y mourant, porte des fruits. Ce sera la semence du sang du soldat versé sur le champ de bataille ou le sacrifice du martyre dans les camps de concentration ou dans les prisons. Ce sera la semence du dur travail quotidien, la sueur au front dans le champ l’atelier, la mine, les fonderies et les usines. Ce sera la semence d’amour des parents qui ne refusent pas de donner la vie à un nouvel homme et assument le devoir de l’éduquer. Ce sera la semence du travail créateur dans les universités, les instituts supérieurs, les bibliothèques, les chantiers de la culture nationale. Ce sera la semence de la prière, de l’assistance aux malades, à ceux qui souffrent ou sont abandonnés : « tout ce qui constitue la Pologne ».

Tout cela dans les mains de la Mère de Dieu — au pied de la croix sur le Calvaire, et au Cénacle de la Pentecôte !

Tout cela : l’histoire de la patrie formée pendant un millénaire par les générations successives — y compris la présente et la future — par chacun de ses fils et de ses filles, même anonymes et inconnus comme ce soldat devant le tombeau duquel nous nous trouvons en ce moment…

Tout cela : même l’histoire des peuples qui ont vécu avec nous et parmi nous, comme ceux qui sont morts par centaines de milliers entre les murs du ghetto de Varsovie.

Tout cela, je l’embrasse par la pensée et par le coeur en cette Eucharistie et je l’inclus dans cet unique saint Sacrifice du Christ, sur la place de la Victoire.

Et je crie, moi, fils de la terre polonaise, et en même temps moi, le pape Jean-Paul II, je crie du plus profond de ce millénaire, je crie la veille de la Pentecôte:

Que descende ton Esprit !

Que descende ton Esprit ! Et qu’il renouvelle la face de la terre de cette terre !

Amen.



3 juin 1979, MESSE POUR LES JEUNES UNIVERSITAIRES

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Varsovie, 3 juin 1979

Mes très chers !

1. Je désire ardemment que notre rencontre d'aujourd'hui marqués par la présence de la jeunesse universitaire corresponde à la grandeur de cette journée et de sa liturgie.

La jeunesse universitaire de Varsovie et celle des autres sièges universitaires de cette région centrale et métropolitaine est l'héritière de traditions spécifiques qui, au travers des générations, remontent aux "écoliers" du Moyen Age surtout ceux de l'Université Jagellonica, la plus ancienne de la Pologne. Aujourd'hui chaque grande ville de Pologne a son université. Et Varsovie en a de nombreuses. Celles-ci voient la concentration de milliers d'étudiants qui se forment en différentes branches de la science et se préparent à des professions intellectuelles et à des tâches particulièrement importantes dans la vie de la nation.

Je désire vous saluer tous, vous qui êtes réunis ici. Je désire en même temps saluer en vous et par vous tout le monde universitaire et académique polonais : tous les instituts supérieurs, les professeurs, les chercheurs, les étudiants... Je vois en vous, en un certain sens, mes collègues plus jeunes, car moi aussi je dois à l'université polonaise les bases de ma formation intellectuelle. J'ai été régulièrement lié aux bancs du travail universitaire de la faculté de philosophie et de théologie de Cracovie et de Lublin. La pastorale des universitaires a été de ma part l'objet d'une prédilection particulière. Je désire donc, saisissant cette occasion, saluer également tous ceux qui se consacrent à cette pastorale, les groupes des assistants spirituels de la jeunesse académique et la commission pour la pastorale universitaire de l'épiscopat polonais.

2. Nous nous rencontrons aujourd'hui en la fête de la Pentecôte. Devant les yeux de notre foi s'ouvre le cénacle de Jérusalem, d'où est sortie l'Eglise et dans lequel l'Eglise demeure toujours. C'est exactement là que l'Eglise est née comme communauté vivante du peuple de Dieu, comme communauté consciente de sa mission propre dans l'histoire de l'homme.

L'Eglise prie en ce jour "Viens, Esprit Saint", remplis les coeurs de tes fidèles et allume en eux le feu de ton amour ! (liturgie de la Pentecôte) : paroles si souvent répétées, mais qui résonnent aujourd'hui avec une ardeur particulière.,

Remplis les coeurs ! Pensez, jeunes amis, à la mesure du coeur humain, si Dieu est le seul à pouvoir le remplir de l'Esprit Saint.

Par les études universitaires, s'ouvre devant vous le monde merveilleux de la science humaine dans ses multiples ramifications. En même temps que cette science du monde se développe certainement aussi votre auto-connaissance. Vous vous posez certainement déjà depuis longtemps la question "Qui suis-je ?". C'est cela, dirais-je, la question la plus intéressante. L'interrogation fondamentale. Avec quelle mesure peut-on mesurer l'homme ? Le mesure-t-on selon la mesure des forces physiques dont il dispose ? Ou bien le mesure-ton avec la mesure des sens qui lui permettent d'entrer en contact avec le monde extérieur ? Ou bien avec la mesure de son intelligence vérifiée par différents tests ou examens ?

106 La réponse d'aujourd'hui, celle de la liturgie de la Pentecôte indique deux mesures : "il faut mesurer l'homme à la mesure de son 'coeur'... Le coeur dans le langage biblique indiquel'intériorité spirituelle de l'homme il signifie en particulier la conscience... Il faut donc mesurer l'homme avec la mesure de sa conscience avec la mesure de son esprit ouvert à Dieu. Seul l'Esprit Saint peut remplir ce coeur, c'est-à-dire l'amener à se réaliser par l'amour et par la sagesse.

3. Permettez-moi par conséquent, de faire surtout de cette rencontre avec vous, aujourd'hui, en face du cénacle de notre histoire, l'histoire de l'Eglise et de la nation, une rencontre de prière pour obtenir les dons de l'Esprit Saint.

Comme autrefois mon père m'a mis dans les mains un petit livre qui m'indiquait la prière pour recevoir les dons du Saint-Esprit — ainsi aujourd'hui, moi-même que vous appelez aussi "Père", je désire prier avec la jeunesse universitaire de Varsovie et de la Pologne: pour le don de sagesse, d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété, c'est-à-dire du sens de la valeur sacrale de la vie, de la dignité humaine, de la sainteté de l'âme et du corps humain, et enfin le don de crainte de Dieu, dont le psalmiste dit qu'elle est le commencement de la sagesse (cf. Ps
Ps 111,10).

Recevez de moi cette prière que mon père m'a enseignée et demeurez lui fidèles. Ainsi vous resterez dans le cénacle de l'Eglise, unis au courant le plus profond de l'histoire.

4. Cela dépendra beaucoup de la mesure que vous choisirez pour mesurer votre propre vie et votre propre humanité. Vous savez très bien que les mesures sont diverses. Vous savez que les critères d'évaluation de l'homme sont nombreux, selon lesquels on l'estime au cours de ses études, puis dans son travail professionnel, dans les différents contacts personnels etc...

Ayez le courage d'accepter la mesure que nous a donnée le Christ, au cénacle de la Pentecôte, ainsi que dans le cénacle de notre histoire. Ayez le courage de garder votre vie dans une perspective prochaine et en même temps détachée, en acceptant comme vérité ce que saint Paul a écrit dans sa lettre aux Romains : "Vous savez bien, en effet, que toute la création gémit et souffre jusqu'à ce jour dans les douleurs de l'enfantement" (Rm 8,22). Ne sommes-nous pas les témoins de cette douleur ? En effet, "la création elle-même attend avec impatience la révélation des fils de Dieu" (,

Elle attend non seulement que les universités et les différents instituts supérieurs préparent des ingénieurs, des médecins, des juristes, des philologues, des historiens, des hommes de lettres, des mathématiciens et des techniciens, mais elle attend la révélation des fils de Dieu. Elle attend de vous cette révélation, de vous qui demain serez des médecins, des techniciens, des juristes des professeurs...

Cherchez à comprendre que l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance est en même temps appelé dans le Christ, afin qu'en lui se révèle ce qui est de Dieu; afin qu'en chacun de nous se révèle dans une certaine mesure Dieu Lui-Même.

5. Réfléchissez à cela ! Je m'achemine sur la route de mon pèlerinage à travers la Pologne vers la tombe de saint Wojciech (Saint Adalbert) à Gniezno, de saint Stanislas à Cracovie, vers Jasna Gora. Partout je demanderai de tout coeur à l'Esprit Saint qu'il vous accorde cette conscience, cette connaissance de la valeur et du sens de la vie, cet avenir pour vous, cet avenir pour la Pologne. Et priez pour moi afin que l'Esprit Saint vienne en aide à notre faiblesse !




Homélies St Jean-Paul II 99