Homélies St Jean-Paul II 3679

3 juin 1979, Messe Place de la Cathédrale, Gniezno

3679 Dimanche 3 juin 1979


Éminentissime et très cher primat de Pologne,
Chers frères archevêques et évêques de Pologne !

1. En vos personnes, je salue tout le peuple de Dieu qui vit sur ma terre natale, prêtres, religieux, religieuses, et laïcs !

Je salue la Pologne, insérée dans les mystères de plus de mille ans !

Je salue la Pologne, insérée dans les mystères de la vie divine par les sacrements de baptême et de confirmation. Je salue l’Église qui est sur la terre de mes aïeux, dans sa communion et son unité hiérarchique avec le successeur de Pierre. Je salue l’Église en Pologne qui, dès ses origines, a été guidée par les saints évêques et martyrs Adalbert et Stanislas, très attachés à la reine de Pologne, Notre Dame de Jasna Gora (Clair-Mont-Czestochowa).

Venu au milieu de vous comme pèlerin du grand jubilé, je vous salue tous, frères et soeurs très chers, d’un fraternel baiser de paix.

2. À nouveau nous célébrons le jour de la Pentecôte, et en esprit nous nous trouvons au Cénacle de Jérusalem ; mais en même temps nous sommes ici, en ce cénacle de notre millénaire polonais, dans lequel nous parle toujours aussi fortement la mystérieuse date de ce début, à partir duquel nous commençons à compter les années de l’histoire de notre patrie et de l’Église qui est sur son sol. L’histoire de la Pologne toujours fidèle.

Oui, en ce jour de la Pentecôte, au Cénacle de Jérusalem, s’accomplit la promesse scellée dans le sang du Rédempteur répandu sur le Calvaire : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (
Jn 20,22-23). L’Église naît précisément de la force de ces paroles. Elle naît de la force de ce souffle. Préparée par toute la vie du Christ, elle naît définitivement lorsque les Apôtres reçoivent du Christ le don de la Pentecôte, en recevant de Lui l’Esprit Saint. Sa descente marque le commencement de l’Église qui, à travers toutes les générations, doit introduire l’humanité — les individus et les nations — dans l’unité du Corps mystique du Christ. La descente de l’Esprit Saint signifie le début et la continuité de ce mystère. La continuité est en effet le continuel retour aux commencements.

Nous comprenons comment, au Cénacle de Jérusalem, les Apôtres remplis de l’Esprit Saint « commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2,4). Les différentes langues devinrent les leurs, devinrent leurs propres langues, grâce à la mystérieuse action de l’Esprit Saint qui « souffle où il veut » (Jn 3,8) et renouvelle « la face de la terre » (Ps 103,30).

Bien que l’auteur des Actes n’énumère pas, parmi les langues que les Apôtres commencèrent à parler en ce jour, notre propre langue, il devait venir un moment où les successeurs des Apôtres auraient commencé à parler également la langue de nos aïeux et à annoncer l’Évangile au peuple qui ne pouvait le comprendre et l’accepter que dans cette langue.

3. Les noms des châteaux des Piast sont significatifs. C’est en eux que se vérifie cette translation historique de l’Esprit et que fut allumée en même temps la flamme de l’Évangile sur la terre de nos aïeux. La langue des apôtres résonna pour la première fois, comme en une première version, en notre langue, que le peuple habitant sur les rives de la Warta et de la Vistule comprit et que nous comprenons encore aujourd’hui.

108 De fait, les châteaux auxquels sont liés les débuts de la foi sur la terre des Polonais, nos ancêtres sont celui de Poznan — où depuis les temps les plus anciens, c’est-à-dire deux ans après le baptême du roi Mieszko, résidait l’évêque — et celui de Gniezno — où en l’an 1000 eut lieu le grand acte de caractère religieux et civil. Près des reliques de saint Adalbert se rencontrèrent les envoyés du pape Sylvestre II de Rome, l’empereur romain Otton III, et le premier roi polonais (seulement prince à ce moment-là) Boleslas le vaillant fils et successeur de Mieszko, constituant la première métropole polonaise et posant ainsi les fondements de l’ordre hiérarchique pour toute l’histoire de la Pologne. Dans le cadre de cette métropole, nous trouvons, en l’an 1000, les sièges épiscopaux de Cracovie, Wroclaw, Kolobrzeg, reliés en une organisation ecclésiastique unique.

Chaque fois que nous venons ici, en ce lieu, nous devons voir le Cénacle de la Pentecôte nouvellement ouvert. Et nous devons écouter le langage des aïeux, dans lequel l’annonce des « merveilles de Dieu » (
Ac 2,11) commença à retentir.

C’est ici également que l’Église de Pologne, en 1966, a entonné son premier « Te Deum » d’action de grâces pour le millénaire du baptême. En tant que métropolitain de Cracovie, j’ai eu le bonheur d’y participer. Permettez-moi aujourd’hui, comme premier pape d’origine polonaise,de chanter encore une fois avec vous ce « Te Deum » du millénaire. Qu’ils sont mystérieux et admirables les décrets du Seigneur qui tracent les voies conduisant à ce lieu, de Sylvestre II à Jean-Paul II !

4. Après tant de siècles, le Cénacle de Jérusalem s’est de nouveau ouvert, et ce ne sont plus seulement les populations de la Mésopotamie et de la Judée, de l’Egypte et de l’Asie, ou celles qui venaient de Rome, qui s’en émerveillent, mais les peuples slaves et les autres peuples qui habitent dans cette partie de l’Europe, lesquels ont entendu les apôtres de Jésus-Christ parler leur langue et raconter dans leur langue « les grandes oeuvres de Dieu ».

Lorsque, historiquement, le premier souverain de Pologne voulut introduire le christianisme dans sa nation et s’unir au siège de Pierre, il se tourna surtout vers les peuples qui avaient des affinités avec le sien, et prit pour épouse Dobrawa, fille du prince tchèque Boleslas. Celle-ci, étant chrétienne, devint la marraine de son propre mari et de tous ses sujets. En même temps qu’elle, vinrent en Pologne des missionnaires en provenance des différentes nations d’Europe, comme l’Irlande, l’Italie ou l’Allemagne, tel le saint évêque et martyr saint Bruno de Querfurt. Dans les souvenirs de l’Église, sur les terres de Boleslas s’est grave de manière plus incisive le nom de saint Adalbert, fils et pasteur de la nation tchèque amie. Son histoire, pendant la durée de son épiscopat à Prague, est bien connue, ses pèlerinages à Rome également, et particulièrement son séjour à la cour de Gniezno, qui devait le préparer à son dernier voyage missionnaire dans le nord. Aux abords de la mer Baltique, cet évêque exilé, ce missionnaire infatigable devint cette semence qui, tombée en terre, doit mourir pour porter beaucoup de fruits (Jn 12,24). Le témoignage du martyre, le témoignage du sang verse scella de façon particulière le baptême que nos aïeux reçurent voici mille ans. La dépouille torturée de l’apôtre Adalbert fut déposée dans les fondations du christianisme en terre polonaise.

5. Lorsque aujourd’hui, en cette commémoration de la descente de l’Esprit Saint en cette Année du Seigneur 1979, nous remontons à ces tout premiers moments, nous ne pouvons pas ne pas entendre — à côté de la langue de nos ancêtres — les autres langues slaves et voisines dans lesquelles commença alors à parler le cénacle largement ouvert de l’histoire. Et surtout le premier pape slave dans l’histoire de l’Église ne peut pas ne pas entendre ces langues. C’est peut-être justement pour cela que Dieu l’a choisi, c’est peut-être pour cela que l’Esprit Saint l’a guidé, afin qu’il introduise dans la communion de l’Église la compréhension des paroles et des langues qui semblent encore étrangères aux oreilles habituées aux sons romains, germaniques, anglo-saxons, celtes. Le Christ ne veut-il pas que l’Esprit Saint fasse en sorte que l’Église Mère, à la fin du second millénaire du christianisme, se penche avec un amour compréhensif, avec une sensibilité particulière, vers les sons de ce langage humain qui s’entrelacent dans une racine commune, dans une étymologie commune, et qui — malgré leurs différences notoires (jusque dans l’orthographe) — ont entre elles des sons voisins et familiers.

Le Christ ne veut-il pas, l’Esprit Saint ne dispose-t-il pas que ce pape — qui porte profondément imprimée dans son coeur l’histoire de sa nation depuis ses origines, et aussi l’histoire des peuples frères et limitrophes — manifeste et confirme d’une façon spéciale, à notre époque, leur présence dans l’Église et leur contribution particulière à l’histoire de la chrétienté ?

N’est-ce pas un dessein de la Providence qu’il soit appelé à faire connaître les développements que la riche architecture du temple de l’Esprit Saint a connus précisément ici, dans cette partie de l’Europe ?

Le Christ ne veut-il pas, l’Esprit Saint ne dispose-t-il pas que ce pape polonais, ce pape slave, manifeste justement maintenant l’unité spirituelle de l’Europe chrétienne qui, débitrice des deux grandes traditions de l’ouest et de l’est, professe grâce aux deux « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4,5-6), le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ?

Oui, le Christ veut, et l’Esprit Saint dispose que ce que je dis soit dit justement ici, maintenant, à Gniezno, sur la terre des Piast, en Pologne, près de saint Adalbert et de saint Stanislas, devant l’image de la Vierge Mère de Dieu, Notre-Dame de Clair-Mont, Mère de l’Église.

À l’occasion du baptême de la Pologne, il faut que soit rappelée la christianisation des Slaves : des Croates et des Slovènes parmi lesquels, dès les environs de l’an 650, travaillèrent les missionnaires, achevant en grande partie l’évangélisation vers l’an 800 ; des Bulgares, dont le prince Boris 1er reçut le baptême en 864 ou en 865, des Moraves et des Slovaques, chez qui parvinrent les missionnaires avant 850, suivis en 863 des saints Cyrille et Méthode, lesquels vinrent de la Moravie pour consolider la foi des jeunes communautés ; des Tchèques, dont le prince Borivoi fut baptisé par saint Méthode. Dans la zone évangélisée par saint Méthode et ses disciples on trouve aussi les Vislans et les Slaves de Serbie. Il faut enfin rappeler la christianisation des Slaves qui demeuraient le long de l’Elbe : les Oborites, les Wielètes et les Serbes lusaciens. La christianisation de l’Europe s’acheva avec le baptême de la Lituanie dans les années 1386 et 1387.

109 Le Pape Jean-Paul II — slave, fils de la nation polonaise — sent combien sont profondément enfoncées dans le sol de l’histoire les racines dont lui-même prend son origine, combien de siècles à derrière elle cette parole de l’Esprit Saint qu’il annonce de la colline du Vatican près de Saint-Pierre, ici, à Gniezno, de la colline de Llech, et à Cracovie, des hauteurs du Wawel.

Ce pape — témoin du Christ, qui a un grand amour de la croix et de la résurrection — vient aujourd’hui en ce lieu pour rendre témoignage au Christ vivant dans l’âme de sa propre nation, au Christ vivant dans l’âme des nations qui depuis longtemps l’ont accueilli comme « le chemin, la vérité et la vie » (
Jn 14,6). Il vient pour parler devant toute l’Église, l’Europe et le monde, de ces nations et de ces populations souvent oubliées. Il vient pour crier « à voix forte ». Il vient pour indiquer les routes qui, de diverses façons, conduisent au Cénacle de la Pentecôte, à la croix, à la résurrection. Il vient pour embrasser tous ces peuples — en même temps que sa propre nation —et pour les presser sur le coeur de l’Église, sur le coeur de la Mère de l’Église, en laquelle il met une confiance illimitée.

6. D’ici peu prendra fin, ici, à Gniezno, la visite de la sainte icône.

L’image de Notre-Dame de Jasna Gora, l’image de la Mère, exprimé d’une façon singulière sa présence dans le mystère du Christ et de l’Église qui vit depuis tant de siècles en terre polonaise. Cette image qui, depuis plus de vingt ans, visite chacune des églises, des paroisses, chacun des diocèses de cette terre, est sur le point d’achever sa visite à Gniezno, siège antique des primats, et passe à Jasna Gora pour commencer son pèlerinage dans le diocèse de Czestochowa.

C’est pour moi une grande joie de pouvoir accomplir cette étape de mon pèlerinage en même temps que Marie, et en même temps qu’elle de me trouver le long du grand itinéraire historique que souvent j’ai parcouru, de Gniezno à Cracovie, en passant par Jasna Gora, de saint Adalbert à saint Stanislas, en passant par la « Vierge Mère de Dieu, comblée de gloire par Dieu, Marie ».

Itinéraire principal de notre histoire spirituelle sur lequel cheminent tous les Polonais, ceux de l’ouest et ceux de l’est comme ceux aussi qui sont à l’extérieur de la patrie dans les différentes nations, dans les divers continents…

Itinéraire principal de notre histoire spirituelle et en même temps l’un des grands itinéraires de l’histoire spirituelle de tous les slaves, et l’un des principaux itinéraires spirituels de l’histoire de l’Europe !

Ces jours-ci, pour la première fois, le pape ira en pèlerinage sur cet itinéraire, lui, l’évêque de Rome, le successeur de Pierre, ce Pierre qui fut le premier à sortir du Cénacle de la Pentecôte à Jérusalem, en chantant :

Seigneur, mon Dieu, tu es si grand ! Vêtu de faste et d’éclat,
drapé de lumière comme d’un manteau
Que tes oeuvres sont nombreuses, Seigneur !
toutes avec sagesse tu les fis,
la terre est remplie de ta richesse.
Tu envoies ton souffle, ils sont créés,
tu renouvelles la face de la terre.

(Ps 104,1-2 Ps 104,24 Ps 104,30 (103))



Ainsi chantera avec vous, très chers compatriotes, ce pape sang de votre sang, os de vos os, et il s’exclamera avec vous :

À jamais soit la gloire du Seigneur,
que le Seigneur se réjouisse en ses oeuvres !
La gloire du Seigneur soit pour toujours !
Puisse mon langage lui plaire !

(Ps 104,31 Ps 104,34)

111 Nous irons ensemble sur cette route de notre histoire, de Jasna Gora vers le Wawel, vers saint Stanislas. Nous irons en nous souvenant du passé, mais l’esprit tendu vers l’avenir…

Nous ne retournerons pas au passé !

Nous irons vers l’avenir !

« Vous recevrez l’Esprit Saint ! » (
Jn 20,22).

Amen .



4 juin 1979, MESSE ET ACTE DE CONSÉCRATION A MARIE

40679 Czestochowa, Jasna Góra
Lundi 4 juin 1979



1. « Vierge sainte qui défends la claire Czestochowa… »

Elles me reviennent à l’esprit ces paroles du poète Mickiewicz qui, au début de son oeuvre « Pan Tadeusz », a exprimé dans une invocation à la Vierge ce qui vibrait et qui vibre dans le coeur de tous les Polonais, en se servant du langage de la foi et de celui de la tradition nationale. Tradition qui remonte à environ six cents ans, c’est-à-dire au temps de la bienheureuse reine Hedwige au début de la dynastie Jagellonique. L’image de Jasna Góra exprime une tradition, un langage de foi encore plus ancien que notre histoire, et reflète en même temps tout le contenu de la « Bogurodzica » que nous avons médité hier à Gniezno, en évoquant la mission de saint Adalbert et en remontant aux premiers moments de l’annonce de l’Évangile en terre polonaise.

Celle qui avait parlé autrefois par le chant a parlé ensuite par cette image manifestant à travers elle sa présence maternelle dans la vie de l’Église et de la patrie. La vierge de Jasna Góra a révélé sa sollicitude maternelle pour toute âme ; pour toute famille ; pour tout homme qui vit sur cette terre, qui travaille, lutte et tombe sur les champs de bataille, qui est condamné à l’extermination, qui se combat lui même, qui est vainqueur ou vaincu ; pour tout homme qui doit laisser le sol de la patrie et émigrer, pour tout homme…

Les Polonais se sont habitués à lier à ce lieu et à ce sanctuaire les nombreuses vicissitudes de leur vie : les divers moments de joie ou de tristesse, spécialement les moments solennels décisifs, les moments de responsabilité comme le choix de l’orientation de la vie, le choix de la vocation, la naissance des enfants, les examens de fin d’études… et tant d’autres moments. Ils se sont habitués à venir avec leurs problèmes à Jasna Góra pour en parler à leur Mère du ciel, Celle qui a ici non seulement son image, son effigie l’une des plus connues et des plus vénérées du monde — mais qui est ici particulièrement présente. Elle est présente dans le mystère du Christ et de l’Église, comme l’enseigne le Concile. Elle est présente pour tous et pour chacun de ceux qui font le pèlerinage vers elle, même seulement de coeur et en esprit lorsqu’ils ne peuvent le faire physiquement.

112 Les Polonais sont habitués à cela.

Les peuples amis y sont habitués aussi comme les peuples voisins. Et c’est toujours plus nombreux que viennent ici des hommes de toute l’Europe et d’au-delà.

Au cours de la grande neuvaine, le cardinal primat s’exprimait ainsi à propos de la signification du sanctuaire de Czestochowa dans la vie de l’Église :

« Que s’est-il passé à Jasna Góra ?

« Pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de donner une réponse adéquate. Il s’est passé quelque chose de plus que ce qu’on pouvait imaginer… Jasna Góra s’est révélée comme un lien interne de la vie polonaise, une force qui touche profondément le coeur et tient la nation entière dans l’attitude, humble mais forte, de fidélité à Dieu, à l’Église et à sa hiérarchie… Pour nous tous, cela a été une grande surprise de voir la puissance de la Reine de Pologne se manifester d’une manière aussi magnifique. »

Il n’est donc nullement étonnant qu’aujourd’hui je vienne ici moi aussi. De la Pologne, en effet, j’ai emporté avec moi, sur la chaire de saint Pierre à Rome, cette « sainte habitude » du coeur, élaborée par la foi de tant de générations confirmée par l’expérience chrétienne de tant de siècles et profondément enracinée dans mon âme.

2. Le pape Pie XI s’est souvent rendu ici, non comme pape, naturellement, mais en tant qu’Achille Ratti, premier nonce en Pologne, après la reconquête de l’indépendance.

Lorsque après la mort de Pie XII, le Pape Jean XXIII a été élu à la chaire de Pierre les premières paroles que le nouveau pontife adressa au primat de Pologne, après le Conclave, se référèrent à Jasna Góra. Il rappela ses visites ici, durant les années où il était délégué apostolique en Bulgarie, et il demanda surtout une prière incessante à la Mère de Dieu, à toutes les intentions que lui donnait sa nouvelle mission. Sa demande a été satisfaite tous les jours à Jasna Góra, et pas seulement durant son pontificat mais aussi durant celui de ses successeurs.

Nous savons tous combien le pape Paul VI aurait voulu venir ici en pèlerinage, lui qui était si lié à la Pologne depuis sa première charge diplomatique auprès de la nonciature de Varsovie. Le pape qui s’est tant dépensé pour normaliser la vie de l’Église en Pologne, particulièrement en ce qui concerne l’organisation actuelle des terres de l’ouest et du nord. Le pape de notre millénaire ! Pour ce millénaire, justement il voulait se trouver ici en pèlerin, à côté des fils et des filles de la nation polonaise.

Après que le Seigneur eût rappelé à Lui le pape Paul VI en la solennité de la Transfiguration de l’année dernière, les cardinaux choisirent son successeur le 26 août, jour où en Pologne, et surtout à Jasna Góra, on célèbre la solennité de la Madone de Czestochowa. La nouvelle de l’élection du nouveau pontife Jean-Paul Ier fut communiquée aux fidèles par l’évêque de Czestochowa le jour même, lors de la célébration du soir.

Que dois-je dire de moi à qui, après le pontificat d’à peine 33 jours de Jean-Paul Ier, il est revenu par un décret insondable de la Providence, d’en accepter l’héritage et la succession apostolique à la chaire de saint Pierre, le 16 octobre 1978 ? Que dois-je dire, moi, premier pape non italien après 455 années ? Que dois-je dire, moi, Jean-Paul II, premier pape polonais dans l’histoire de l’Église ? Je vous dirai : en ce 16 octobre jour où le calendrier liturgique de l’Église fait mémoire de sainte Hedwige, je me reportais par la pensée au 26 août, au conclave précédent et à cette élection survenue en la solennité de N.-D. de Jasna Góra.

113 Je n’avais même pas besoin de dire, comme mes prédécesseurs, que je comptais sur les prières faites aux pieds de l’image de Jasna Góra. L’appel d’un fils de la nation polonaise à la chaire de Pierre contient un lien évident et fort avec ce lieu saint, avec ce sanctuaire de grande espérance :Totus tuus, ai-je murmuré tant de fois dans la prière devant cette image !

3. Et voici qu’aujourd’hui je suis de nouveau avec vous tous, frères et soeurs très chers ; avec vous, bien aimés compatriotes, avec toi, cardinal primat de la Pologne, avec tout l’épiscopat auquel j’ai appartenu pendant plus de vingt ans comme évêque, archevêque métropolitain de Cracovie, comme cardinal. Nous sommes venus tant de fois ici, en ce lieu, en une vigilante écoute pastorale, pour entendre battre le coeur de l’Église et celui de la patrie dans le coeur de la Mère. Jasna Góra est en effet non seulement un but de pèlerinage pour les Polonais de la mère patrie et du monde entier, mais c’est le sanctuaire de la nation. Il faut prêter l’oreille en ce lieu pour sentir comment bat le coeur de la nation dans le coeur de sa Mère. Car nous savons que ce coeur bat au rythme de tous les rendez-vous de l’histoire, de toutes les vicissitudes de la vie nationale : combien de fois en effet n’a-t-il pas vibré avec les plaintes des souffrances historiques de la Pologne, mais aussi avec les cris de joie et de victoire ! On peut écrire de diverses façons l’histoire de la Pologne, celle de ces derniers siècles spécialement, on peut l’interpréter selon différentes clefs. Toutefois, si nous voulons savoir comment le coeur des Polonais l’interprète il faut venir ici, il faut tendre l’oreille vers ce sanctuaire, il faut percevoir l’écho de la vie de la nation entière dans le coeur de sa Mère et Reine ! Et si ce coeur bat avec une note d’inquiétude, si en lui résonnent la sollicitude et l’appel à la conversion et au raffermissement des consciences il faut accueillir cette invitation Elle naît en effet de l’amour maternel qui détermine à sa manière les processus historiques sur la terre polonaise.

Les dernières décennies ont confirmé et rendue plus intense une telle union entre la nation polonaise et sa Reine. C’est devant la Vierge de Czestochowa que fut prononcée la consécration de la Pologne au Coeur immaculé de Marie le 8 septembre 1946. Dix ans après, ont été renouvelés à Jasna Góra les voeux du roi Jean-Casimir lors du troisième centenaire du jour où, après une période de « déluge » (invasion des Suédois au XVIIe siècle), il proclama la Mère de Dieu Reine du royaume de Pologne. En cet anniversaire commença la grande neuvaine de neuf ans pour préparer le millénaire du baptême de la Pologne. Et finalement, en l’année même du millénaire, le 3 mai 1966, ici, en ce lieu même, fut prononcé par le primat de Pologne l’acte de servitude totale à la Mère de Dieu pour la liberté de l’Eglise en Pologne et dans le monde entier. Cet acte historique fut prononcé ici, devant Paul VI, absent corporellement mais présent spirituellement, en témoignage de cette foi vivante et forte qu’attend et qu’exige notre temps.

L’acte parle de la « servitude » et contient un paradoxe semblable à celui des paroles de l’Évangile selon lesquelles il faut perdre sa vie pour la trouver (cf. Mt
Mt 10,39). L’amour, en effet constitue l’accomplissement de la liberté, mais en même temps l’appartenance, c’est-à-dire le fait de ne pas être libre, fait partie de son essence. Toutefois, ce fait de « ne pas être libre » dans l’amour n’est pas perçu comme un esclavage mais bien comme une affirmation de liberté et comme son accomplissement. L’acte de consécration dans l’esclavage indique donc une dépendance singulière et une confiance sans limites. En ce sens, l’esclavage (la non-liberté) exprime la plénitude de la liberté de la même manière que l’Évangile parle de la nécessité de perdre sa vie pour la trouver dans sa plénitude.

Les paroles de cet acte, prononcées selon le langage des expériences historiques de la Pologne, de ses souffrances et aussi de ses victoires, ont une résonance précisément en ce moment de la vie de l’Eglise et du monde, après la clôture du Concile Vatican II qui, comme nous le pensons justement, a ouvert une ère nouvelle. Il a marqué le début d’une époque de connaissance approfondie de l’homme, de ses joies et de ses espoirs, et aussi de ses tristesses et de ses angoisses, comme l’affirment les premiers mots de la constitution pastorale Gaudium et spes. L’Église, consciente de sa grande dignité et de sa magnifique vocation dans le Christ désire aller à la rencontre de l’homme. L’Église désire répondre aux interrogations perpétuelles et en même temps toujours actuelles des coeurs et de l’histoire humaine, et c’est pourquoi elle a accompli durant le Concile un travail de connaissance approfondie d’elle-même, de sa nature, de sa mission, de ses devoirs.

Le 3 mai 1966, l’épiscopat polonais ajoute à ce travail fondamental du Concile son acte propre de Jasna Góra : la consécration à la Mère de Dieu pour la liberté de l’Église dans le monde et en Pologne. C’est un cri qui part du coeur et de la volonté : un cri de tout l’être chrétien, de la personne et de la communauté, pour le plein droit d’annoncer le message du salut- un cri qui veut devenir efficace d’une manière universelle en s’enracinant dans l’époque présente et dans l’avenir. Tout à travers Marie ! Telle est l’interprétation authentique de la présence de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église, comme le proclame le chapitre VIII de la constitution Lumen gentium. Cette interprétation correspond à la tradition des saints, comme Bernard de Clairvaux, Grignion de Montfort, Maximilien Kolbe.

4. Le pape Paul VI accepta cet acte de consécration comme fruit de la célébration du millénaire polonais de Jasna Góra, comme en fait foi sa bulle qui se trouve près de l’image de la Madone noire de Czestochowa. Aujourd’hui, son indigne successeur, en venant à Jasna Góra désire le renouveler, le lendemain de la Pentecôte alors que dans toute la Pologne se célèbre la fête de la Mère de l’Église.

Pour la première fois le pape fête cette solennité en exprimant avec vous, vénérables et chers frères, sa reconnaissance à son grand prédécesseur qui, depuis le temps du Concile, a commencé à invoquer Marie sous le titre de Mère de l’Église.

Ce titre nous permet de pénétrer dans tout le mystère de Marie depuis l’instant de sa Conception immaculée, en passant par l’Annonciation, la Visitation et la naissance de Jésus à Bethléem jusqu’au Calvaire. Il nous permet à tous de nous retrouver — comme le rappelle la lecture d’aujourd’hui — au Cénacle où les Apôtres, avec Marie, Mère de Jésus, sont assidus à la prière, attendant, après l’Ascension du Seigneur, l’accomplissement de sa promesse, c’est-à-dire la venue de l’Esprit Saint, afin que puisse naître l’Église ! A la naissance de l’Église participe d’une manière particulière Celle à laquelle nous devons la naissance du Christ.

L’Église, née autrefois au Cénacle de la Pentecôte, continue à naître dans chaque cénacle de prière. Elle naît pour devenir notre Mère spirituelle à la ressemblance de la Mère du Verbe éternel. Elle naît pour révéler les caractéristiques et la force de la maternité — maternité de la Mère de Dieu — grâce à laquelle nous pouvons être « appelés enfants de Dieu, car nous le sommes » (1Jn 3,1). En effet, la paternité très sainte de Dieu, dans son économie du salut s’est servie de la maternité virginale de son humble servante pour accomplir dans les enfants des hommes l’oeuvre de l’auteur divin.

Chers compatriotes, vénérables et très chers frères dans l’épiscopat, pasteurs de l’Église en Pologne, hôtes illustres et vous, tous les fidèles, permettez que comme successeur de saint Pierre ici présent avec vous, je confie toute l’Église à la Mère du Christ, avec la même foi vive, avec la même espérance héroïque avec lesquelles nous l’avons fait en ce jour mémorable du 3 mai du millénaire polonais.

114 Permettez-moi d’apporter ici, comme je l’ai fait il y a quelque temps dans la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeure, puis au Mexique dans le sanctuaire de Guadalupe, les mystères des coeurs, les douleurs et les souffrances, et enfin les espoirs et les attentes de cette dernière fraction du vingtième siècle de l’ère chrétienne.

Permettez-moi de confier tout cela à Marie.

Permettez-moi de le lui confier d’une manière nouvelle et solennelle.

Je suis un homme rempli d’une grande confiance.

C’est ici que j’ai appris à l’être.

Amen.
* * *


ACTE DE CONSÉCRATION À MARIE


« Mère très grande, Mère de Dieu fait homme, Vierge très sainte, Notre-Dame de Jasna Góra…»

C’est avec ces paroles que les évêques polonais s’adressèrent à Toi tant de fois à Jasna Góra, en portant dans leur coeur les expériences et les peines, les joies et les douleurs, et par-dessus tout la foi, l’espérance et la charité de leurs compatriotes.

Qu’il me soit permis de commencer aujourd’hui par les mêmes paroles le nouvel acte de consécration à Notre-Dame de Jasna Góra: il nait de la même foi, de la même espérance et de la même charité, il naît de la tradition de notre peuple, à laquelle j’ai eu part durant tant d’années, et cet acte naît en même temps des nouveaux devoirs qui, grâce à toi, ô Marie, m’ont été confiés, à moi homme indigne et en même temps ton fils adoptif.

C’est bien ce que me disaient toujours les paroles que ton Fils, ce Fils né de toi, Jésus-Christ, Rédempteur de l’homme, a adressées du haut de la croix à Jean, apôtre et évangéliste: « Femme, voici ton fils (Jn 19,26). Dans ces paroles, je trouvais toujours la place de tout homme et ma propre place.

115 Aujourd’hui présent ici selon les desseins mystérieux de la divine Providence, je désire, en ce sanctuaire de Jasna Góra dans ma patrie terrestre, la Pologne, confirmer avant tout les actes de consécration et de confiance qui, à divers moments — bien des fois et sous des formes variées — ont été prononcés par le cardinal primat et par l’épiscopat polonais. D’une façon tout à fait particulière, je désire confirmer et renouveler l’acte de consécration prononcé à Jasna Góra le 3 mai 1966, à l’occasion du millénaire de la Pologne ; par cet acte les évêques polonais, en se donnant à Toi, Mère de Dieu, « dans ta maternelle servitude d’amour », voulaient servir la grande cause de la liberté de l’Église, non seulement dans leur propre patrie mais dans le monde entier. Quelques années après, le 7 juin 1976, ils t’ont consacré toute l’humanité, toutes les nations et tous les peuples du monde contemporain, leurs frères proches par la foi, par la langue et par le destin commun de l’histoire, en étendant cet acte de confiance jusqu’aux frontières les plus lointaines de l’amour comme l’exige ton coeur : coeur de la Mère qui embrasse chacun et tous partout et toujours.

Je désire aujourd’hui, en arrivant à Jasna Góra comme premier pape-pèlerin, renouveler tout ce patrimoine de confiance, de consécration et d’espérance, qui, avec tant de magnanimité, a été accumulé par mes frères dans l’épiscopat et mes compatriotes.

Et c’est pourquoi je Te confie, ô Mère de l’Église, tous les problèmes de cette Église, toute sa mission, tout son service, tandis que s’achève le second millénaire de l’histoire du christianisme sur la terre.

Épouse de l’Esprit Saint et Trône de la Sagesse! À ton intercession, nous devons la magnifiquevision et le programme du renouveau de l’Église à notre époque exprimé dans l’enseignement du Concile Vatican II. Fais que nous fassions de cette vision et de ce programme l’objet de notre action, de notre service, de notre enseignement, de notre pastorale, de notre apostolat dans la vérité, la simplicité et la force avec laquelle l’Esprit Saint nous les a fait découvrir dans notre humble service.

Fais que l’Église entière se régénère à cette nouvelle source de connaissance de sa nature et de sa mission, et non pas à d’autres « citernes » étrangères ou empoisonnées (cf. Jr
Jr 8,14).

Aide-nous dans le grand effort que nous allons faire pour rencontrer de manière toujours plus mûre nos frères dans la foi, auxquels nous unis sent tant de choses bien qu’il y en ait qui nous divisent. Fais que, à travers tous les moyens de la connaissance, du respect réciproque, de l’amour de la collaboration dans les divers domaines, nous puissions découvrir progressivement le dessein divin de cette unité dans laquelle nous devons entrer nous-mêmes et introduire tous les hommes afin que l’unique bercail du Christ reconnaisse et vive son unité sur la terre. O Mère de l’unité, enseigne-nous toujours les chemins qui conduisent à elle.

Permets-nous d’aller dans l’avenir à la rencontre de tous les hommes et de tous les peuples qui cherchent Dieu sur les chemins de diverses religions et qui veulent le servir. Aide-nous tous à annoncer le Christ et à révéler « la force et la sagesse divine » (1Co 1,24) cachées dans sa croix. Toi qui l’a révélée d’abord à Bethléem non seulement aux bergers simples et fidèles, mais aussi aux sages des pays lointains !

Mère du Bon Conseil ! Indique-nous toujours comment nous devons servir l’homme, l’humanité, dans toutes les nations, comment le conduire sur les chemins du salut. Comment protéger la justice et la paix dans le monde continuellement menacé de divers côtés. Comme je désire vivement, à l’occasion de la rencontre d’aujourd’hui, te confier tous les difficiles problèmes des sociétés, des systèmes, et des États, problèmes qui ne peuvent être résolus par la haine, la guerre et l’autodestruction mais seulement par la paix, la justice, le respect des droits des hommes et des nations.

O Mère de l’Église ! Fais que l’Église jouisse de la liberté et de la paix dans l’accomplissement de sa mission de salut et qu’elle jouisse à cette fin d’une nouvelle maturité de foi et d’unité intérieure ! Aide-nous à vaincre les oppositions et les difficultés ! Aide-nous à découvrir toute la simplicité et la dignité de la vocation chrétienne ! Fais que les ouvriers ne manquent jamais à la vigne du Seigneur. Sanctifie les familles ! Veille sur l’âme des jeunes et sur le coeur des enfants ! Aide à surmonter les grandes menaces morales qui atteignent les fondements de la vie et de l’amour. Obtiens pour nous la grâce de nous renouveler continuellement par toute la beauté du témoignage rendu à la croix et à la résurrection de ton Fils.

Il y a tant de problèmes que j’aurais dû, ô Mère, te présenter en cette rencontre, en les nommant l’un après l’autre. Je te les confie tous, car tu les connais mieux et tu prends soin de tous.

Je le fais dans le lieu du grand acte de consécration d’où l’on voit non seulement la Pologne, mais toute l’Église, à travers les pays et les continents: toute l’Église dans ton coeur maternel.

L’Église entière, dont je suis le premier serviteur, je te l’offre et je te la confie ici, ô Mère, avec une immense confiance. Amen.



Homélies St Jean-Paul II 3679