Homélies St Jean-Paul II 115


5 juin 1979, MESSE POUR LES RELIGIEUSES DE JASNA GORA

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Czestochowa, 5 juin 1979

1. Je me réjouis cordialement de cette rencontre que la providence de Dieu nous a préparée aujourd'hui ici aux pieds de la Dame de Jasna Gora. Vous êtes venues très nombreuses de toute la Pologne pour participer au pèlerinage de votre compatriote que le Christ dans son insondable miséricorde a appelé, comme autrefois Simon de Bethsaïde, et lui a ordonné de quitter sa terre natale pour assumer la succession sur le siège des évêques de Rome. Et puisque il lui a été donné de revenir une fois encore dans ces lieux, je désire vous dire les mêmes paroles que je vous ai adressées plus d'une fois dans le passé en qualité de successeur de saint Stanislas à Cracovie. Maintenant ces paroles acquièrent une dimension différente, une dimension universelle.

Le thème de la "vocation religieuse" est l'un des plus beaux parmi ceux dont nous a parlé et nous parle constamment l'Evangile. Ce sujet trouve une incarnation particulière en Marie qui a dit d'elle-même : "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon sa parole" (
Lc 1,38). Je pense que ces mots ont trouvé un écho profond dans la vocation et dans la profession religieuse de chacune d'entre vous.

2. Pendant qu'aujourd'hui l'occasion se présente à moi de vous parler ici, les splendides chapitres de l'enseignement de l'Eglise au dernier Concile me viennent à l'esprit, ainsi que les documents — si nombreux — des derniers Papes.

Permettez toutefois que, me basant sur toute cette richesse d'enseignement de l'Eglise, je me réfère a quelques-unes de mes modestes déclarations. Et je le fais parce que, dans ces déclarations, mes rencontres avec les milieux religieux en Pologne, si nombreuses dans le passé ont trouvé un écho. Je les ai emportées avec moi à Rome comme la "ressource" de mon expérience personnelle. Il vous sera donc peut-être plus facile de vous retrouver dans ces paroles qui — bien qu'adressées à des milieux nouveaux — parlent d'une certaine façon de vous : des soeurs polonaises et des familles religieuses polonaises.

3. Peu de temps après le début de mon nouveau ministère j'ai eu la chance de rencontrer environ vingt mille soeurs de Rome ; et voici un passage du discours que je leur ai adressé.

"Votre vocation est un trésor particulier de l'Eglise, qui ne peut jamais cesser de prier pour que l'Esprit de Jésus Christ suscite dans les âmes des vocations religieuses. De fait, celles-ci sont, aussi bien pour la communauté du peuple de Dieu que pour le 'monde' un signe vivant du 'sièclé à venir' : signe qui, en même temps s'enracine (également par votre habit religieux) dans la vie quotidienne de l'Eglise et de la société et pénètre dans ses tissus les plus délicats..."

Votre présence "doit être pour tous un signe visible de l'Evangile. Elle doit être la source d'un apostolat particulier. Cet apostolat est tellement riche et varié qu'il m'est finalement difficile d'énumérer toutes les formes qu'il prend, tous les domaines qu'il atteint, toutes les orientations qu'il vise. Il est lié au charisme spécifique de chaque Congrégation, à son esprit apostolique, que l'Eglise et le Saint-Siège approuvent avec joie, voyant en lui l'expression de la vitalité du Corps mystique du Christ lui-même ! Cet apostolat est habituellement discret, caché, proche de l'être humain, et pour cela convient davantage à l'âme féminine, sensible au prochain, et donc appelée à la tâche de soeur et de mère.

C'est justement cette vocation qui se trouve au 'coeur' même de votre être de religieuses. Comme évêque de Rome je vous en prie : soyez spirituellement les mères et les soeurs de tous les hommes de cette Eglise, que Jésus dans son ineffable et miséricordieuse grâce a voulu me confier" (L'Osservatore Romano, édition italienne 12-XI-1978, p. 16).

4. Le 24 novembre dernier l'occasion s'est offerte à moi de rencontrer le groupe nombreux des supérieures générales réunies à Rome sous la direction du Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation pour les religieux et les instituts séculiers. Qu'il me soit permis de rapporter quelques-unes des phrases du discours que j'ai prononcé en cette circonstance.

117 "La vocation religieuse... appartient à cette plénitude spirituelle que l'Esprit Saint lui-même — l'esprit du Christ — suscite et façonne dans le peuple de Dieu. Sans les ordres religieux, sans la vie 'consacrée', par les voeux de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, l'Eglise ne serait pas pleinement elle-même... Vos maisons doivent être surtout des centres de prière, de recueillement de dialogue — personnel et communautaire — avec Celui qui est et doit rester le premier et le principal interlocuteur dans la succession laborieuse des heures de vos journées Si vous savez alimenter ce 'climat' d'intense et d' amoureuse communion avec Dieu, il vous sera possible de faire progresser, sans tensions traumatisantes, sans débandades dangereuses, ce renouveau de la vie et de la discipline dans lequel le Concile oecuménique Vatican II vous a engagées" (Osservatore Romano, édition italienne du 25-XI-1978, p. 1).

5. Enfin le Mexique. La rencontre qui a eu lieu dans la capitale de ce pays m'est restée profondément gravée dans la mémoire et dans le coeur. Il ne pouvait pas en être autrement, car les soeurs créent toujours au cours de ces rencontres un climat particulièrement cordial et acceptent avec joie la parole qui leur est adressée. Voici donc quelques-unes des pensées decette rencontre mexicaine :

"Votre vocation mérite la plus grande estime de la part du Pape et de la part de l'Eglise. C'est pourquoi je désire exprimer ma joyeuse confiance en vous et vous encourager à ne pas vous laisser abattre sur le chemin que vous avez entrepris et qui vaut la peine d'être poursuivi avec un esprit et un enthousiasme renouvelé... Que de choses vous pouvez faire aujourd'hui pour l'Eglise et pour l'humanité! Elles attendent votre don généreux, le dévouement de votre coeur libre, qui peut élargir sans soupçon ses potentialités d' amour dans un monde qui perd sa capacité d'altruisme, d'amour sacrifié et désintéressé. Rappelez-vous, en effet, que vous êtes les épouses mystiques du Christ et du Christ crucifié" (A.A.S., 1979, p. 177).

6. Et maintenant permettez que mes pensées et les vôtres se tournent encore une fois ici, en ce lieu vers la Dame de Jasna Gora qui est source de vivante inspiration pour chacune d'entre vous.Chacune d'entre vous, en écoutant les paroles prononcées à Nazareth par Marie répète avec elle : "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon sa parole" (
Lc 1,38). Dans ces paroles est contenu d'une certaine façon le prototype de toute profession religieuse, moyennant laquelle chacune d'entre vous embrasse, avec tout son être, le mystère de la grâce transmise dans la vocation religieuse. Chacune d'entre vous, comme Marie, choisit Jésus, le divin époux. Et en réalisant les voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, désire vivre pour Lui, pour son amour. Moyennant ces voeux chacune d'entre vous désiré rendre témoignage à la vie éternelle que le Christ nous a apportée dans sa croix et dans sa résurrection.

Chères soeurs, ce qui vous constitue comme signe vivant au milieu des hommes est inestimable. Et en embrassant avec foi, espérance et charité le divin époux, vous l'embrassez dans les nombreuses personnes que vous servez: dans les malades, dans les vieillards, dans les boiteux, dans les handicapés dont personne d'autre que vous n'est capable de s'occuper parce que, pour cela, un sacrifice vraiment héroïque est nécessaire. Et où trouverez-vous encore le Christ lui-même ? Dans les enfants, dans les jeunes du catéchisme, dans la pastorale aux côtés des prêtres. Vous le trouverez dans le service le plus simple aussi bien que dans les travaux qui exigent parfois une formation et une culture profondes. Vous le trouverez partout, comme l'épouse du Cantique des Cantiques : "...j'ai trouvé l'amour de mon coeur" (Ct 3,4).

Que la Pologne se réjouisse toujours de votre témoignage de l'Evangile ! Que ne manquent pas ces coeurs ardents qui portent l'amour évangélique au prochain. Et vous, réjouissez-vous toujours de la joie de votre vocation, même quand vous devrez éprouver des souffrances intérieures ou extérieures ou bien l'obscurité.

Le Pape Jean-Paul II désire demander tout cela avec vous pendant ce très saint sacrifice de la messe.




5 juin 1979, MESSE POUR LES PÈLERINS DE BASSE-SILÉSIE ET DE LA SILÉSIE-D’OPOLE

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Czestochowa
Mardi 5 juin 1979



1. De Jasna Gora, je voudrais offrir un voeu particulier au sanctuaire de sainte Hedwige à Trzebnica, près de Wroclaw. Je le fais pour une raison bien précise. La Providence divine, dans ses desseins insondables, a choisi le 16 octobre 1978 pour marquer un tournant dans ma vie. Le 16 octobre, l’Église en Pologne fête sainte Hedwige ; c’est pourquoi je me sens un devoir spécial d’offrir aujourd’hui à l’Église en Pologne ce voeu pour la sainte qui est non seulement la patronne de la réconciliation entre les nations voisines, mais aussi la patronne du jour de l’élection du premier polonais à la chaire de Pierre. Je dépose directement ce voeu dans les mains de tous les pèlerins, qui sont venus aujourd’hui en nombre si élevé à Jasna Gora, de toute la Basse Silésie. Quand vous serez rentrés chez vous, je vous prie de porter ce voeu du Pape au sanctuaire de Trzebnica, ville qui est devenue la nouvelle patrie d’élection de la sainte. Qu’il complète ainsi la longue histoire des vicissitudes humaines et des oeuvres de la divine Providence, liées a ce lieu et à toute votre terre.

2. Sainte Hedwige, femme d’Henri, de la dynastie des Piast, appelé le Barbu, provenait de la famille bavaroise des Andechs. Elle est entrée dans l’histoire de notre patrie et, indirectement, dans celle de toute l’Europe du XIIIe siècle, comme la « femme parfaite » (
Pr 31,10) dont parle la sainte Écriture. Notre mémoire conserve particulièrement l’événement dont son fils, le prince Henri le Pieux, fut le protagoniste. C’est lui qui opposa une résistance efficace à l’invasion des Tartares, invasion qui traversa la Pologne en 1241 en venant de l’est, de l’Asie, et s’arrêta seulement en Silésie, près de Legnica. Henri le Pieux tomba, il est vrai, sur le champ de bataille, mais les Tartares furent obligés de se retirer, et ne se rapprochèrent jamais plus autant de l’ouest par leurs incursions. Derrière le fils héroïque, il y avait sa mère, qui l’encourageait et recommandait au Christ crucifié la bataille de Legnica. Son coeur a payé de la mort de son propre fils le prix de la paix et de la sécurité des terres qui lui étaient soumises, comme aussi de celles avoisinantes et de toute l’Europe de l’ouest. Pendant ces événements, Hedwige était déjà veuve et, étant veuve, elle consacra le restant de sa vie exclusivement à Dieu, en entrant à l’abbaye de Trzebnica qu’elle avait fondée. C’est là qu’elle acheva aussi sa sainte vie en 1243. Elle fut canonisée en 1267. Cette date est très proche de celle de la canonisation de saint Stanislas, advenue en 1253, le saint que l’Église en Pologne vénère depuis des siècles comme son patron principal.

118 Cette année, pour le neuvième centenaire de son martyre à Cracovie (Skalka), je voudrais — comme premier pape fils de la nation polonaise, ancien successeur de saint Stanislas sur la chaire de Cracovie, et maintenant élu à la chaire de saint Pierre le jour de sainte Hedwige — envoyer à son sanctuaire de Trzebnica ce voeu qui marque une nouvelle étape dans l’histoire multiséculaire à laquelle nous participons tous.

3. À ce voeu, je joins en particulier des souhaits cordiaux pour tous ceux qui participent a cette sainte Eucharistie, que je célèbre aujourd’hui à Jasna Gora. Les saints que nous commémorons en ce jour devant Notre-Dame de Jasna Gora nous offrent, à travers les siècles, un témoignage d’unité entre les compatriotes et de réconciliation entre les nations. Je voudrais souhaiter précisément cette union et cette réconciliation. Je prie ardemment pour cela.

L’unité fonde ses racines dans la vie de la nation, comme elle l’a fait, par saint Stanislas, à une époque difficile pour la Pologne, quand la vie humaine à ses différents niveaux répond aux exigences de la justice et de l’amour. La famille constitue le premier de ces niveaux. Et moi, très chers compatriotes, je voudrais prier aujourd’hui avec vous pour l’unité de toutes les familles polonaises. Cette unité a son origine dans le sacrement de mariage, dans ces promesses solennelles par lesquelles l’homme et la femme s’unissent entre eux pour la vie entière, en répétant les paroles rituelles : « Je ne t’abandonnerai pas jusqu’a la mort ». Cette unité prend sa source dans l’amour et la confiance mutuelle, et le fruit et la récompense en sont l’amour et la confiance des enfants pour leurs parents. Malheur si elle devait s’affaiblir ou se dégrader entre les époux ou entre les parents et les enfants ! Conscients du mal qu’apporte avec soi la désagrégation de la famille, prions aujourd’hui afin que n’arrive pas ce qui peut détruire l’unité, afin que la famille reste vraiment le « siège de la justice et de l’amour ».

Si elle veut être intérieurement unie, si elle veut constituer une unité indissoluble, la nation a besoin d’une justice et d’un amour semblables. Et bien qu’il soit impossible de comparer la nation — cette société composée de plusieurs millions de personnes — à la famille — la plus petite communauté de l’humanité, comme on le sait — toutefois l’unité dépend de la justice, qui satisfait les besoins et garantit les droits et les devoirs de chaque membre de la nation. On évite ainsi de faire naître des dissonances et des contrastes à cause des différences qu’apportent avec eux les privilèges évidents pour les uns et la discrimination pour les autres. L’histoire de notre patrie nous montre combien cette tâche est difficile ; nous pouvons encore moins nous dispenser du grand effort qui tend à construire l’unité juste entre les fils de la même patrie. Cela doit s’accompagner de l’amour de cette patrie, amour de sa culture et de son histoire, amour de ses valeurs spécifiques, qui décident de sa place dans la grande famille des nations ; amour, enfin, des compatriotes, des hommes qui parlent la même langue et sont responsables de la cause commune qui s’appelle la « patrie ».

En priant avec vous aujourd’hui pour l’unité interne de la nation dont — surtout aux XIIIe et XIVesiècles — saint Stanislas est devenu le patron, je voudrais recommander à la Mère de Dieu, à Jasna Gora, la réconciliation entre les nations, dont nous voyons une médiatrice dans la figure de sainte Hedwige. Comme la condition de l’unité interne dans le cadre de toute société ou communauté, aussi bien nationale que familiale, est le respect des droits de chacun de ses membres, ainsi lacondition de la réconciliation entre les nations est aussi la reconnaissance et le respect des droits de chaque nation. Il s’agit surtout du droit à l’existence et à l’autodécision, du droit à la culture et a son développement multiforme. Nous savons bien, par l’histoire de notre patrie, combien nous a coûté l’infraction, la violation et la négation de ces droits inaliénables. Nous prions donc avec plus de force encore pour une réconciliation durable entre les nations de l’Europe et du monde. Qu’elle soit le fruit de la reconnaissance et du réel respect des droits de chaque nation.

4. L’Église veut se mettre au service de l’unité entre les hommes, elle veut se mettre au service de la réconciliation entre les nations. Ceci appartient à sa mission salvifique. Ouvrons continuellement nos pensées et nos coeurs vers cette paix dont le Seigneur Jésus a tant parlé aux Apôtres, aussi bien avant la passion qu’après sa résurrection : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (
Jn 14,27).

Puisse ce pape, qui parle aujourd’hui ici du sommet de Jasna Gora, servir efficacement la cause de l’unité et de la réconciliation dans le monde contemporain. Ne cessez pas de le soutenir dans cette tâche, par vos prières dans toute la terre polonaise.



6 juin 1979, MESSE POUR LES OUVRIERS DE LA SILÉSIE ET DE ZAGLEBIE

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Sanctuaire de Jasna Gora, Czestochowa
Mercredi 6 juin 1979



1. Jasna Gora est devenue la capitale spirituelle de la Pologne où viennent les pèlerins de toutes les parties du sol de la patrie pour y retrouver l’unité avec le Christ Seigneur par l’intermédiaire du coeur de sa Mère. Et pas seulement de la Pologne, mais aussi d’au-delà des frontières. L’image de la Madone de Jasna Gora est devenue dans le monde entier le signe de l’unité spirituelle des Polonais. Elle est également, dirais-je, un signe de reconnaissance de notre spiritualité et, en même temps, de notre place dans la grande famille des peuples chrétiens, réunis dans l’unité de l’Église. C’est une chose admirable, en effet, que de voir régner la Mère au moyen de son effigie à Jasna Gora : le règne du coeur, toujours plus nécessaire au monde qui tend à tout exprimer en froids calculs et en fins purement matérielles.

Arrivant comme pèlerin à Jasna Gora, je voudrais d’ici m’unir cordialement à tous ceux qui appartiennent à cette communauté spirituelle, à cette grande famille étendue sur toute la terre polonaise et au-delà de ses frontières. Je voudrais que nous nous rencontrions tous dans le coeur de notre Mère. Je m’unis par la foi, l’espérance et la prière à tous ceux qui ne peuvent venir jusqu’ici. Je m’unis particulièrement à toutes les communautés de l’Église du Christ en Pologne, à toutes les Églises diocésaines avec leurs pasteurs, à toutes les paroisses, aux familles religieuses masculines et féminines.

D’une manière particulière, je m’adresse à vous qui êtes venus aujourd’hui de la Silésie et de Zaglebie Dabrowskie. Ces deux terres, ces deux régions de la Pologne ancienne et contemporaine me sont proches. La richesse de la Pologne actuelle est liée en bonne partie aux ressources naturelles dont la Providence a doté ces terres et aux grands chantiers de travail humain qui ont surgi ici ces derniers siècles. Historiquement tant la Silésie que Zaglebie — surtout la Silésie — sont toujours restées en union étroite avec le siège de saint Stanislas. Comme ancien métropolitain de Cracovie, je voudrais exprimer la joie spéciale que j’éprouve en cette rencontre qui a lieu aujourd’hui aux pieds de Jasna Gora. J’ai toujours été proche par le coeur de l’Église de Katowice qui apporte à la vie catholique de Pologne, dans son ensemble, des expériences et des valeurs particulières.

2. Surtout l’expérience de l’énorme travail. Les richesses de la terre, celles qui apparaissent à la surface comme celles que nous devons chercher dans les profondeurs de la terre, ne deviennent richesses de l’homme qu’au prix du travail humain. Il est nécessaire, ce travail — travail multiforme de l’intelligence et des mains —, pour que l’homme puisse accomplir la magnifique mission que le Créateur lui a confiée, mission que le livre de la Genèse exprime par ces paroles : « Soumettez, dominez (la terre) » (
Gn 1,28). La terre est confiée à l’homme et, à travers son travail, l’homme la domine.

Le travail est aussi la dimension fondamentale de l’existence de l’homme sur la terre. Pour l’homme, le travail n’a pas seulement une signification technique - il a aussi une signification éthique. On peut dire que l’homme « assujettit » à lui la terre lorsque lui-même, par son comportement, en devient seigneur et non esclave, et aussi seigneur et non esclave du travail.

Le travail doit aider l’homme à devenir meilleur, spirituellement plus mûr, plus responsable, afin qu’il puisse réaliser sa vocation sur la terre, aussi bien comme personne absolument unique que dans la communauté humaine fondamentale qu’est la famille. En s’unissant, l’homme et la femme, précisément dans cette communauté dont le caractère a été établi depuis le début par le Créateur lui-même donnent vie à de nouveaux hommes. Le travail doit fournir à cette communauté humaine la possibilité de trouver les moyens nécessaires pour se former et pour subsister.

La raison d’être de la famille est l’un des facteurs fondamentaux qui déterminent l’économie et la politique du travail. Ces dernières conservent leur caractère éthique lorsqu’elles prennent en considération les besoins de la famille et ses droits. Par le travail, l’homme adulte doit gagner les moyens nécessaires à la subsistance de sa famille. La maternité doit être traitée dans le politique et dans l’économie du travail comme une grand fin et un grand devoir en elle-même. À elle en effet est lié le travail de la mère, qui enfante, qui allaite, qui éduque, et que personne ne peut remplacer. Rien ne peut remplacer le coeur d’une mère, qui, dans une maison, est toujours présent et toujours attend. Le véritable respect du travail comporte en soi l’estime que l’on doit à la maternité, et il ne peut en être autrement. De cela dépend aussi la santé morale de toute la société.

Mes pensées et mon coeur s’ouvrent encore une fois à vous, hommes soumis au dur travail, auxquels ma vie personnelle et mon ministère pastoral m’ont lié de différentes façons. Je souhaite que le travail que vous faites ne cesse jamais d’être la source de votre force sociale. Que grâce à votre travail, vos foyers soient forts ! Que grâce à votre travail, toute notre patrie soit forte !

3. Et c’est pourquoi je tourne encore une fois mon regard vers la Silésie et Zaglebie laborieuses, vers les hauts fourneaux, vers les cheminées des usines ; c’est une terre de grand travail et de grande prière. L’une et l’autre étroitement unies dans la tradition de ce peuple dont la salutation la plus courante est exprimée par les paroles « Szczesc Boze » (Que Dieu vous aide !), paroles qui relient et réfèrent la pensée de Dieu au travail humain.

Il me faut aujourd’hui bénir la divine Providence, lui rendant grâces parce que dans cette terre l’énorme développement de l’industrie — développement du travail humain — est allé de pair avec la construction des églises, avec l’érection des paroisses avec l’approfondissement et le renforcement de la foi. Parce que le développement n’a pas entraîné la déchristianisation, la rupture de l’alliance que travail et prière doivent sceller dans l’âme humaine, selon la devise des bénédictins : « Ora et labora ». La prière, qui en tout travail humain apporte la référence à Dieu Créateur et Rédempteur, contribue en même temps à « l’humanisation » totale du travail. « Le travail existe… afin que l’homme s’élève » (C.K. Norwid). L’homme qui, par la volonté du Créateur, a été appelé dès le commencement à soumettre la terre par le travail, a été créé par ailleurs à l’image et à la ressemblance de Dieu même. Il ne peut se retrouver lui-même, confirmer ce qu’il est, qu’en cherchant Dieu dans la prière. En cherchant Dieu, en se rencontrant avec Lui par la prière, l’homme doit nécessairement se retrouver lui-même, puisqu’il est semblable à Dieu. Il ne peut se retrouver lui-même ailleurs qu’en son Prototype. Il ne peut confirmer sa « domination » sur la terre par son travail qu’en priant en même temps.

Très chers frères et soeurs ! Hommes de Silésie, de Zaglebie et de toute la Pologne qui êtes soumis au dur travail ! Ne vous laissez pas séduire par la tentation de croire que l’homme peut se retrouver pleinement lui-même en reniant Dieu, en supprimant la prière de sa vie, en restant seulement travailleur, en s’imaginant que ses propres productions puissent à elles seules satisfaire les besoins du coeur humain. « L’homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4,4), a dit Celui qui connaît le coeur humain et qui a suffisamment prouvé qu’il se soucie des besoins matériels. La prière du Seigneur, le « Notre Père », contient aussi une invocation pour le pain. Mais malgré cela, l’homme ne vit pas seulement de pain. Restez fidèles à l’expérience des générations qui ont cultivé cette terre, qui ont fait remonter à la surface ses trésors cachés, avec Dieu dans leurs coeurs, avec la prière sur les lèvres. Conservez ce qui a été la source de la force de vos pères et de vos aïeux, de vos familles, de vos communautés ! Que « la prière et le travail » deviennent une nouvelle source de force pour cette génération et aussi dans les coeurs de vos enfants, de vos petits-enfants et de vos arrières-petits-enfants.

4. Je vous dis « Szczesc Boze » — Que Dieu vous aide !

Et je le dis par le Coeur de notre Mère de Celle dont le règne à Jasna Gora consiste à être une Mère aimante pour nous tous.

Je le dis par le Coeur de cette Mère qui s’est choisi une place plus proche de vos maisons, de vos mines et de vos usines, de vos villages et de vos villes : à Piekary. Ajoutez ce que je vous dis aujourd’hui de ce sommet de Jasna Gora à ce que tant de fois je vous ai dit comme métropolitain de Cracovie, du sommet de Piekary. Et souvenez-vous-en.

Amen.

« Szczesc Boze ! » — Que Dieu vous aide !

Amen.



7 juin 1979, MESSE AU CAMP DE CONCENTRATION DI BRZEZINKA (BIRKENAU)

7679 Brzezinka
Jeudi 7 juin 1979



1. « Voici quelle est la victoire qui a vaincu le monde : c’est notre foi. » (
1Jn 5,4) Ces paroles de la lettre de saint Jean me viennent à l’esprit et me pénètrent le coeur lorsque je me trouve ici, en cet endroit où a été remportée une victoire particulière de la foi. De la foi qui fait naître l’amour de Dieu et du prochain, l’unique amour, l’amour suprême qui est prêt a à donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13 cf. Jn 10,11). Une victoire, donc, de l’amour que la foi a vivifié jusqu’au sommet du témoignage ultime et définitif.

Cette victoire de la foi et de l’amour, un homme l’a remportée en ce lieu ; son nom estMaximilien Marie ; son nom de famille : Kolbe ; sa profession (telle qu’il l’indiquait lui-même dans les registres du camp de concentration) : prêtre catholique ; sa vocation : fils de saint François ; sa naissance : fils de gens simples, laborieux et pieux, tisserands aux environs de Lodz ; par la grâce de Dieu et le jugement de l’Église : bienheureux.

La victoire de la foi et de l’amour, cet homme l’a remportée en ce lieu qui fut construit pour la négation de la foi (de la foi en Dieu et de la foi en l’homme) et pour fouler aux pieds radicalement non seulement l’amour mais tous les signes de la dignité humaine, de l’humanité. Un lieu qui fut construit sur la haine et sur le mépris de l’homme au nom d’une idéologie folle. Un lieu qui fut construit sur la cruauté. À ce lieu conduit une porte, qui existe encore aujourd’hui, et sur laquelle est placée une inscription : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre), qui rend un son sardonique, parce que son contenu était radicalement contredit par tout ce qui se passait à l’intérieur.

Dans ce lieu du terrible massacre où trouvèrent la mort quatre millions d’hommes de diverses nations, le P. Maximilien, en s’offrant volontairement lui-même à la mort, pour un frère, dans le bunker de la faim remporta une victoire spirituelle semblable à celle du Christ lui-même. Ce frère vit encore aujourd’hui sur la terre polonaise. Il est parmi nous.

Mais le P. Maximilien Kolbe fut-il le seul ? Certes, il a remporté une victoire qui frappa aussitôt ses compagnons de prison et qui frappe encore aujourd’hui l’Église et le monde. Il est certain aussi que beaucoup d’autres victoires semblables ont été remportées, je pense par exemple à la mort dans le four crématoire d’un camp de concentration de la soeur carmélite Bénédicte de la Croix, dans le siècle Edith Stein, illustre disciple de Husserl, qui est devenue une gloire de la philosophie allemande contemporaine, et qui descendait d’une famille juive de Wroclaw.

121 Sur le lieu où la dignité de l’homme avait été foulée aux pieds d’une manière aussi horrible voici la victoire remportée grâce à la foi et à l’amour !

Quelqu’un peut-il encore s’étonner que le Pape né et élevé sur cette terre, le Pape qui est arrivé sur le siège de saint Pierre de ce diocèse sur le territoire duquel se trouve le camp d’Auschwitz ait commencé sa première encyclique par les mots Redemptor hominis, et qu’il l’ait consacrée dans son ensemble à la cause de l’homme, à la dignité de l’homme, aux menaces contre lui et enfin à ses droits inaliénables qui peuvent être si facilement foulés aux pieds et anéantis par ses semblables ? Suffit-il donc de revêtir l’homme d’un uniforme différent, de l’armer de tous les moyens de la violence, suffit-il donc de lui imposer une idéologie dans laquelle les droits de l’homme sont soumis aux exigences du système, complètement soumis, au point de ne plus exister en fait ?…

2. Je viens ici aujourd’hui en pèlerin. On sait que je suis venu ici bien des fois… Tant de fois ! Et bien des fois je suis descendu dans la pièce où Maximilien Kolbe est mort, et je me suis arrêté devant le mur de l’extermination, et je suis passé entre les ruines des fours crématoires de Brzezinka. Je ne pouvais pas ne pas venir ici comme Pape.

Je viens donc en ce sanctuaire particulier dans lequel est né — si je puis dire — le patron de notre siècle difficile, tout comme saint Stanislas, patron des Polonais, naquit sous l’épée il y a neuf siècles à Rupella.

Je viens pour prier avec vous tous qui êtes venus ici aujourd’hui — et avec toute la Pologne — et avec toute l’Europe. Le Christ veut que moi, devenu successeur de Pierre, je rende témoignage devant le monde de ce qui constitue la grandeur de l’homme de notre temps et sa misère. En quoi consiste sa défaite et sa victoire.

C’est pourquoi je viens m’agenouiller sur ce Golgotha du monde contemporain, sur ces tombes, en grande partie sans nom, comme la grande tombe du soldat inconnu. Je m’agenouille devant toutes les pierres qui se succèdent et sur lesquelles la commémoration des victimes d’Auschwitz est gravée dans les langues suivantes : en polonais, anglais, bulgare, tzigane, tchèque, danois, français, grec, hébreu yiddish, espagnol, flamand, serbo-croate, allemand, norvégien, russe, roumain, hongrois, italien.

Et je m’arrête en particulier avec vous, chers participants à cette rencontre, devant la pierre qui porte l’inscription en langue hébraïque. Cette inscription rappelle le souvenir du peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l’extermination totale. Ce peuple tire son origine d’Abraham, qui est le Père de notre foi (cf.
Rm 4,12), comme l’a dit Paul de Tarse. Ce peuple, qui a reçu de Dieu ce commandement : « Tu ne tueras pas », a éprouvé en lui-même à un degré spécial ce que signifie tuer. Devant cette pierre, il n’est permis à personne de passer avec indifférence.

J’ai choisi de m’arrêter aussi devant une autre pierre, celle en langue russe. Je n’ajoute aucun commentaire. Nous savons la part qu’a eue cette nation dans la dernière et terrible guerre pour la liberté des peuples. Devant cette pierre, on ne peut passer indifférent.

Enfin la dernière pierre : celle en langue polonaise. Six millions de Polonais ont perdu la vie au cours de la seconde guerre mondiale : le cinquième de la nation. Encore une étape des luttes séculaires de cette nation, de ma nation pour ses droits fondamentaux parmi les peuples d’Europe. Encore un cri puissant pour le droit d’avoir sa propre place sur la carte de l’Europe. Encore un compte douloureux avec la conscience de l’humanité.

J’ai choisi trois pierres, mais il aurait fallu s’arrêter sur chacune d’elles, et c’est ce que nous ferons.

3. Auschwitz est un tel compte. On ne peut pas le visiter seulement. Il faut se demander avec crainte à cette occasion où se trouvent les frontières de la haine, les frontières de la destruction de l’homme par l’homme, les frontières de la cruauté.

122 Auschwitz est un témoignage de la guerre. La guerre porte avec elle une croissance démesurée de la haine, de la destruction, de la cruauté. Et si on ne peut pas nier qu’elle manifeste aussi de nouvelles possibilités du courage de l’homme, de l’héroïsme, du patriotisme, il demeure pourtant que c’est le compte des pertes qui l’emporte en elle. Il l’emporte toujours plus, parce que la capacité de destruction des armes inventées par la technique moderne s’accroît chaque jour. Les responsables des guerres ne sont pas seulement ceux qui en sont directement la cause, mais aussi ceux qui ne font pas tout pour les empêcher. Qu’il me soit donc permis de répéter en ce lieu les paroles que Paul VI prononça devant l’Organisation des Nations Unies:

« Il n’est pas besoin de longs discours pour proclamer la finalité suprême de votre Institution. Il suffit de rappeler que le sang de millions d’hommes, que les souffrances inouïes et innombrables, que d’inutiles massacres et d’épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit en un serment qui doit changer l’histoire future du monde : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre. C’est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité ! » (AAS 57 [1965], p. 881.)

Si ce grand appel d’Auschwitz, le cri de l’homme martyrisé ici doit porter des fruits pour l’Europe (et aussi pour le monde), il faut tirer toutes les justes conséquences de la Déclaration des droits de l’homme, comme le Pape Jean XXIII exhortait à le faire dans l’encyclique Pacem in terris. En effet, on y « reconnaît solennellement à tous les hommes sans exception leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice d’exiger des conditions de vie conforme à la dignité humaine, ainsi que d’autres droits liés à ceux-ci » (Jean XXIII, Pacem in terris, IV ; AAS 55 [1963], p. 295-296).

Il faut revenir à la sagesse du vieux maître Pawel Wlodkowic, recteur de l’Université Jagellon de Cracovie, et assurer les droits des nations : à l’existence, à la liberté, à l’indépendance, à leur propre culture, à un développement honnête. Wlodkowic écrit : « Là où le pouvoir s’exerce plus que l’amour, on cherche ses propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ et on s’éloigne donc facilement de la norme de la loi divine. […] Tout le droit s’oppose aux menaces contre ceux qui veulent vivre en paix : s’y oppose le droit civil […] et canonique […], le droit naturel, c’est-à-dire le principe : « Ce que tu veux pour toi fais-le à autrui ». S’y oppose le droit divin, en tant que : … dans le « tu ne voleras pas » tout larcin est interdit et dans le « tu ne tueras pas » l’est toute violence. » (P. Wlodkowic Saeventibus [1415] Trac. II, Solutio quaest. 4 a, cf. L. EhrlichPisma Wybrane Pawla Wlodkowica, Warszawa 1968, t.
1S 61 1S 58-59)

Non seulement le droit, mais aussi et surtout l’amour s’y opposent ; cet amour du prochain dans lequel se manifeste et se traduit l’amour de Dieu que le Christ a proclamé comme le commandement qu’il nous donne. Mais c’est aussi le commandement que le Créateur lui-même a gravé dans le coeur de tout homme. Ce commandement se concrétise aussi dans « le respect de l’autre », de sa personnalité, de sa conscience ; il se concrétise dans « le dialogue avec l’autre », en sachant chercher et reconnaître tout ce qu’il peut y avoir de bon et de positif également chez celui qui a des idées différentes des nôtres, également chez celui qui sincèrement et de bonne foi, est dans l’erreur.

Jamais l’un aux dépens de l’autre, au prix de l’asservissement de l’autre, au prix de la conquête, de l’outrage, de l’exploitation et de la mort !

C’est le successeur de Jean XXIII et de Paul VI qui prononce ces paroles. Mais celui qui les prononce est en même temps le fils de la nation qui a subi de la part des autres, au cours de son histoire plus proche de multiples vicissitudes. Il ne le dit pas pour accuser, mais pour rappeler. Il parle au nom de toutes les nations dont les droits sont violés et oubliés. Il le dit parce qu’il y est poussé par la vérité et par la sollicitude pour l’homme.

4. Dieu saint, saint et puissant, saint et immortel ! De la peste, de la famine, du feu et de la guerre… et de la guerre, délivre-nous, ô Seigneur. Amen.





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