Homélies St Jean-Paul II 8679

8 juin 1979, Messe à Nowy Targ

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Vendredi 8 juin 1979



1. « De la mer Baltique aux sommets des montagnes… » aux sommets des Tatras.

Au cours de mon pèlerinage à travers la Pologne, j’ai l’occasion aujourd’hui d’approcher justement ces monts, ces Tatras qui constituent depuis des siècles la frontière méridionale de la Pologne. Elle a été la frontière la plus fermée et la plus protégée, et en même temps la plus ouverte et la plus amicale. A travers cette frontière passaient les chemins conduisant chez nos voisins, chez nos amis. Même durant la dernière occupation, ces sentiers étaient les plus battus par les réfugiés qui se dirigeaient vers le sud : ils cherchaient à rejoindre l’armée polonaise qui combattait au-delà des frontières pour la liberté de la patrie.

Je veux saluer de tout mon coeur ces lieux auxquels j’ai toujours été si intimement lié. Je veux, en outre, saluer tous ceux qui se trouvent ici, venus du Podhale comme de toutes les Précarpates, de l’archidiocèse de Cracovie et même de plus loin : du diocèse de Tarnow et de celui de Przemysl. Permettez-moi de me référer à l’antique lien de voisinage et de vous saluer tous comme je le faisais habituellement lorsque j’étais métropolitain de Cracovie.

2. Je voudrais parler ici, en ce lieu de Nowy Targ, de la terre polonaise, parce qu’elle se révèle ici particulièrement belle et riche de paysages. L’homme a besoin de la beauté de la nature, et il ne faut donc pas s’étonner de voir venir ici des personnes de différentes parties de la Pologne et de l’étranger. Elles viennent aussi bien l’été que l’hiver. Elles cherchent le repos. Elles désirent se retrouver elles-mêmes au contact de la nature. Elles veulent refaire leurs forces par le sain exercice physique de la marche, de l’ascension, de l’escalade, de la descente à ski. Cette région hospitalière est aussi le terrain d’un grand travail pastoral, car les gens viennent ici pour raviver non seulement leurs forces physiques mais aussi leurs forces spirituelles.

3. Cette belle terre est en même temps une terre difficile. Pierreuse, montagneuse. Pas aussi fertile que la plaine de la Vistule. Qu’il me soit donc permis précisément en cette terre des Précarpates et des Prétatras, de me référer à ce qui a toujours été si cher au coeur des Polonais :l’amour de la terre et du travail des champs. Personne ne peut nier que cela représente non seulement un sentiment, un lien affectif, mais aussi un grand problème économique et social. Ces régions-ci connaissent particulièrement bien le problème parce que d’ici justement, alors que se faisait sentir la plus grande pénurie de terre cultivable ce qui amenait parfois une grande misère, les gens émigraient au loin, au-delà de la Pologne, au-delà de l’Océan. Ils partaient là-bas en quête de travail et de pain, et ils en trouvaient. Je veux dire aujourd’hui à tous ceux qui sont dispersés dans le monde, en quelque lieu qu’ils se trouvent : « Szczesc Boze » — Que Dieu vous aide ! Que ceux-là n’oublient pas leur patrie d’origine, leur famille, l’Église, la prière et tout ce qu’ils ont emporté d’ici. Car même s’ils ont dû émigrer parce que les biens matériels leur faisait défaut, ils n’en ont pas moins emporté d’ici avec eux un grand patrimoine spirituel. Qu’ils veillent, en devenant riches matériellement à ne pas s’appauvrir spirituellement : ni eux, ni leurs enfants, ni leurs petits-enfants !

Le grand droit de l’homme, son droit fondamental, c’est le droit au travail et le droit à la terre.Certes, le développement de l’économie nous mène dans une autre direction, on évalue le progrès à partir de l’industrialisation, la génération actuelle abandonne en masse la campagne et les travaux des champs ; mais le droit à la terre ne cesse pas pour autant de constituer lefondement d’une saine économie et d’une saine sociologie.

Puisque durant ma visite il convient que je présente des voeux, je souhaite de tout mon coeur à ma patrie que ce qui a toujours constitué la force des Polonais — jusque dans les périodes les plus difficiles de l’histoire —, c’est-à-dire le lien personnel avec la terre, ne cesse pas de l’être même pour notre génération industrialisée. Que l’on garde de la considération pour les travaux des champs, qu’ils soient appréciés et estimés ! Et que jamais ne manquent en Pologne le pain et la nourriture !

4. À ce souhait s’en ajoute un autre. Le Créateur a donné la terre à l’homme pour qu’il la « soumette », et sur cette domination de l’homme sur la terre, il a basé le droit fondamental de l’homme à la vie. Ce droit est étroitement lié à la vocation de l’homme à la famille et à la procréation. « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair » (
Gn 2,24). Et de même que la terre, par un décret providentiel du Créateur, porte du fruit, ainsi cette union dans l’amour de deux personnes, homme et femme, fructifie en une nouvelle vie humaine. De cette unité vivifiante des personnes, le Créateur a fait le premier sacrement, et le Rédempteur a confirmé ce sacrement perpétuel de l’amour et de la vie, lui donnent une nouvelle dignité et lui imprimant le sceau de sa sainteté. Le droit de l’homme à la vie est joint, par volonté du Créateur et en vertu de la croix du Christ au sacrement indissoluble du mariage.

À l’occasion de ma visite, je souhaite donc, très chers compatriotes que ce droit sacré ne cesse jamais de marquer la vie en terre polonaise : et ici, dans les Prétatras, dans les Précarpates, et partout. On dit très justement que la famille est la cellule fondamentale de la vie sociale. C’est la communauté humaine fondamentale. Telle est la famille, telle sera aussi la nation, parce que tel est l’homme. Je vous souhaite donc d’être forts grâce à des familles profondément enracinées dans la force de Dieu et je souhaite que l’homme puisse se développer pleinement sur la base du lien indissoluble des époux-parents, dans le climat familial que rien ne peut remplacer. Je souhaite encore, et je prie toujours pour cela, que la famille polonaise donne la vie et soit fidèle au droit sacré à la vie. Si l’on enfreint le droit de l’homme à la vie au moment où il commence à être conçu dans le sein maternel, on porte aussi atteinte indirectement à tout l’ordre moral qui sert à assurer les biens inviolables de l’homme. La vie occupe la première place parmi ceux-ci. L’Église défend le droit à la vie non seulement eu égard à la majesté du Créateur qui est le premier Donateur de cette vie, mais aussi par respect envers le bien essentiel de l’homme.

5. Je voudrais également m’adresser aux jeunes, qui aiment ces lieux d’une façon spéciale et viennent chercher ici non seulement le repos physique mais aussi le repos spirituel. « Se reposer — a écrit autrefois Norwid — signifie « concevoir à nouveau » (jeu de mots polonais). Le repos spirituel de l’homme, comme le pensent justement tant de groupes de jeunes, doit conduire à retrouver et à élaborer en soi la « nouvelle créature » dont parle saint Paul. C’est à cela que mène le chemin de la Parole de Dieu lue et célébrée avec foi et amour, la participation aux sacrements et surtout à l’Eucharistie. C’est à cela que mène le chemin de la compréhension et de la réalisation de la communauté, c’est-à-dire de la communion avec les hommes, qui naît de la communion eucharistique, et aussi la compréhension et la réalisation du service évangélique, c’est-à-dire de la « diaconie ». Très chers amis, ne renoncez pas à ce noble effort qui vous permet de devenir témoins du Christ. Témoin, dans le langage biblique, signifie martyr.

Je vous confie à l’Immaculée, à laquelle le bienheureux Maximilien Kolbe confiait continuellement le monde entier.

Je vous confie tous à la Mère du Christ qui, dans les environs d’ici, règne comme Mère dans son sanctuaire de Ludzmierz, et aussi dans celui qui s’élève au coeur des Tatras à Rusinowa Polana (combien le serviteur de Dieu, le frère Albert, a aimé ce lieu, combien il l’a admiré et aimé depuis son ermitage de Kalatowki !), et en tant d’autres sanctuaires érigés au pied des Carpates, dans le diocèse de Tarnow, celui de Przemysl… à l’est et à l’ouest. Et dans toute la terre polonaise.

Que le patrimoine de la foi au Christ et de l’ordre moral soit sauvegardé par saint Stanislas, évêque et martyr, patron des Polonais, témoin du Christ depuis tant de siècles sur notre terre natale !



8 juin 1979, MESSE POUR LA CLÔTURE DU SYNODE DE L'ARCHIOCÈSE DE CRACOVIE

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Cathédrale de Wavel, Cracovie
Vendredi 8 juin 1979



Très cher métropolitain de Cracovie,
Vénérables évêques,
Chers frères et soeurs,

1. Aujourd’hui se réalise le désir ardent de mon coeur. Le Seigneur Jésus, qui m’a appelé de ce siège de saint Stanislas à la veille de son neuvième centenaire, me permet de participer à la clôture du Synode de l’archidiocèse de Cracovie, Synode qui a toujours été lié dans ma pensée à ce grand jubilé de notre Église. Vous le savez tous très bien, car j’ai traite ce sujet à de nombreuses reprises, et je n’ai pas besoin de le répéter aujourd’hui. Je ne serais peut-être même pas capable de dire tout ce qui, en rapport avec ce Synode, m’est passé dans l’esprit et dans le coeur, quelles espérances et quels projets j’ai bâtis sur lui en cette période décisive de l’histoire de l’Église et de la patrie.

Le Synode avait été lié, pour moi et pour vous tous, à l’anniversaire du neuvième centenaire du ministère de saint Stanislas, qui fut évêque de Cracovie pendant sept ans. Le programme de travail prévoyait ainsi une période qui allait du 8 mai 1972 au 8 mai 1979. Nous avons voulu, pendant tout ce temps, honorer l’évêque et le pasteur (d’il y a neuf siècles) de l’Église de Cracovie, en cherchant à exprimer — en fonction de notre temps et de ses besoins — notre sollicitude pour l’oeuvre de salut opérée par le Christ dans les âmes de nos contemporains. Comme saint Stanislas de Szczepanow le faisait il y a neuf siècles, ainsi voulons-nous faire nous aussi neuf siècles après. Je suis persuadé que c’est là la façon la plus adaptée d’honorer la mémoire du grand patron de la Pologne. Cela correspond autant à la mission historique de saint Stanislas qu’aux grandes tâches que doivent affronter aujourd’hui l’Eglise et le christianisme contemporain après le Concile Vatican II. Celui qui a commencé le Concile, le serviteur de Dieu Jean XXIII, a déterminé cette tâche en l’appelant « aggiornamento ». Le but du travail de sept années du Synode de Cracovie — en réponse aux fins essentielles de Vatican II — devait être l’aggiornamento de l’Église de Cracovie, le renouvellement de la conscience de sa mission de salut, comme aussi le programme précis de sa réalisation.

2. Le chemin qui a conduit à cette fin avait été tracé par la tradition des Synodes particuliers de l’Église ; qu’il suffise de rappeler les deux Synodes précédents au temps du ministère du cardinal Adam Stefan Sapieha. Les normes pour mener les travaux synodaux étaient tracées par le Code de droit canonique. Toutefois nous avons considéré que la doctrine du Concile Vatican II ouvre ici de nouvelles perspectives et créé, je dirais, de nouveaux devoirs. Si le Synode devait servir à la réalisation de la doctrine de Vatican II, il devait le faire avant tout avec la même conception et la même méthode de travail. Cela explique tout le dessein du Synode pastoral et la mise en oeuvre qui s’en est suivie. On peut dire que, par l’élaboration des résolutions et des documents, nous avons parcouru une route plus longue mais aussi plus complète. Cette route est passée par l’activité de centaines de groupes d’étude synodaux, dans lesquels un grand nombre de fidèles de l’Église de Cracovie ont pu s’exprimer. Ces groupes comme vous le savez, étaient formés dans leur majorité de laïcs catholiques, qui y ont trouvé d’une part la possibilité de pénétrer dans la doctrine du Concile, et d’autre part celle d’exprimer à ce sujet leurs propres expériences, leurs propres propositions, qui manifestaient leur amour envers l’Église, et le sens de leur responsabilité pour l’ensemble de sa vie dans l’archidiocèse de Cracovie.

Pendant l’étape de préparation des documents finals du Synode, les groupes d’étude sontdevenus des lieux d’amples consultations ; c’est à eux que s’adressaient en effet la Commission générale qui coordonnait l’activité de toutes les commissions de travail, de même que les commissions d’experts qui, depuis le début du Synode, avaient été convoquées. De cette façon mûrissait ce que le Synode, en se rattachant à la doctrine du Concile, voulait faire passer dans la vie de l’Église de Cracovie. Il voulait former en fonction de cela l’avenir de l’Église.

3 Aujourd’hui tout ce travail, ce parcours de sept ans, est déjà derrière vous. Je n’ai jamais imaginé que j’aurais participé comme hôte venu de Rome à la clôture des travaux du Synode de Cracovie. Mais si telle est la volonté du Christ, qu’il me soit permis, en ce moment, de remplir encore une fois le rôle du métropolitain de Cracovie qui, par le Synode, avait désiré s’acquitter de la grande dette qu’il avait contractée envers le Concile, envers l’Église universelle, envers l’Esprit-Saint. Qu’il me soit aussi permis dans ce rôle — comme je l’ai dit — de remercier tous ceux qui ont réalisé ce Synode, année après année, mois après mois, de leur travail, de leurs conseils, de leur contribution constructive, de leur zèle. Mes remerciements s’adressent, d’une certaine manière, à toute la communauté du Peuple de Dieu de l’archidiocèse de Cracovie, aux ecclésiastiques et aux laïcs : aux prêtres, aux religieux et aux religieuses. Surtout à tous ceux qui sont ici présents : aux évêques, avec à leur tête mon vénéré successeur le métropolitain de Cracovie ; spécialement à l’évêque Stanislaw Smolenski qui a dirigé, en tant que président de laCommission générale, les travaux du Synode. À tous les membres de cette commission, et encore une fois à la Commission préparatoire qui, sous la direction de Mgr E. Florkowski, a préparé en 1971 et en 1972 le statut, le règlement et le programme du Synode. Aux commissions de travail, aux commissions d’experts, à l’infatigable secrétariat, aux groupes chargés de la rédaction, et enfin à tous les groupes d’étude.

125 J’aurais peut-être dû, en une telle circonstance, m’exprimer d’une autre manière, mais cela ne m’est pas possible. J’ai été trop personnellement lié à ce travail.

Je voudrais donc, en votre nom à tous, déposer cette oeuvre achevée devant le sarcophage de saint Stanislas, au centre de la cathédrale de Wawel ; elle avait, en effet, été entreprise en vue de son jubilé.

Et avec vous tous, je demande à la sainte Trinité que cette oeuvre porte des fruits au centuple. Amen.



9 juin 1979, MESSE AU SANCTUAIRE DE LA SAINTE CROIX

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Mogila, Cracovie
Samedi 9 juin 1979



1. Voici que je suis de nouveau devant cette croix auprès de laquelle je suis si souvent venu en pèlerin, devant la croix qui est demeurée pour nous comme la relique la plus précieuse de notre Rédempteur.

Lorsque Nowa Huta s’élevait dans les environs de Cracovie — énorme complexe industriel et nouvelle grande cité : la nouvelle Cracovie — peut-être ne se rendait-on pas compte qu’elle était en train de s’élever juste auprès de cette croix, auprès de cette relique que nous avons héritée du temps des Piast en même temps que la très ancienne abbaye cistercienne. C’était en l’an 1222, au temps du prince Leszek Bialy, au temps de l’évêque Yves Odrowaz, avant la canonisation de saint Stanislas. À cette époque, le troisième centenaire de notre baptême, l’abbaye cistercienne fut fondée ici, et on y porta la relique de la sainte croix, qui est devenue depuis des siècles le but de pèlerinages de la région de Cracovie : du nord, pour la région de Kielce, de l’est, pour celle de Tarnow, et de l’ouest pour la Silésie. Tout ceci s’est passé sur le lieu où s’élevait autrefois, selon la tradition, Stara Huta, qui est historiquement comme l’ancêtre de l’actuelle Nowa Huta.

Je voudrais aujourd’hui saluer encore une fois ici les pèlerins de Cracovie, les pèlerins de la Silésie, les pèlerins du diocèse de Kielce.

Nous allons ensemble, pèlerins, vers la croix du Seigneur, parce que, à partir d’elle, commence une ère nouvelle dans l’histoire de l’homme. C’est un temps de grâce, c’est le temps du salut. À travers la croix, l’homme a pu comprendre le sens de son propre sort, de sa propre existence sur la terre. Il a découvert combien Dieu l’a aimé. Il a découvert, et il découvre continuellement, à la lumière de la foi, combien sa propre valeur est grande. Il a appris à mesurer sa propre dignité avec la mesure de ce sacrifice que Dieu a offert dans son fils pour le salut de l’homme : « En effet Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle. (
Jn 3,16)

Même si les temps changent, même si, à la place des champs d’autrefois, dans les environs de Cracovie, a surgi un énorme complexe industriel, même si nous vivons à une époque de progrès prodigieux des sciences de la nature et d’un progrès encore plus prodigieux de la technique, cependant, la vérité de la vie de l’esprit humain, — qui s’exprime à travers la croix —, ne connaît pas de déclin, elle est toujours actuelle, elle ne vieillit jamais. L’histoire de Nowa Huta est écrite aussi sous le signe de la croix : d’abord de la croix antique de Mogilka, héritée des siècles, puis sous le signe de l’autre, la nouvelle… qui a été élevée non loin d’ici.

Là où s’élève la croix, surgit le signe que la bonne nouvelle du salut de l’homme grâce à l’amour est arrivée jusque-là. Là où s’élève la croix, là est le signe que l’évangélisation est commencée.Autrefois, nos pères dressaient la croix en divers lieux de la terre polonaise comme signe que l’Évangile y était arrivé, que l’évangélisation était commencée, elle qui devait se continuer sans interruption jusqu’à aujourd’hui. C’est dans cette pensée qu’a été élevée aussi la première croix à Mogilka, aux environs de Cracovie, aux environs de Stara Huta.

126 La nouvelle croix de bois a été élevée non loin d’ici, durant les célébrations du millénaire. Avec elle nous avons reçu un signe, celui qu’au seuil du nouveau millénaire — en ces temps nouveaux en ces nouvelles conditions de vie— l’Evangile est de nouveau annoncé. Une nouvelle évangélisation est commencée, comme s’il s’agissait d’une deuxième annonce, bien qu’en réalité ce soit toujours la même. La croix se tient debout sur le monde qui change. Nous disons merci aujourd’hui, devant la croix de Mogilka, devant la croix de Nowa Huta pour ce nouveau commencement de l’évangélisation qui s’est réalisé. Et nous demandons tous qu’elle soit fructueuse, comme la première — et même encore plus.

2. La nouvelle croix, qui a été élevée non loin de la très ancienne relique de la sainte croix de l’abbaye des Cisterciens, a annoncé la naissance de la nouvelle église. Cette naissance s’est gravée profondément dans mon coeur et, en laissant le siège de saint Stanislas pour le siège de saint Pierre, je l’ai emportée avec moi comme une nouvelle relique, comme une relique inestimable de notre temps.

La nouvelle croix est apparue quand, sur le territoire des anciennes campagnes des alentours de Cracovie devenu territoire de Nowa Huta, sont venus des hommes nouveaux pour commencer un nouveau travail. Autrefois ici, on travaillait dur, on travaillait dans les champs et la terre était fertile et on travaillait donc avec plaisir. Depuis quelques décennies, l’industrialisation a commencé ; la grande industrie l’industrie lourde. Et les hommes sont venus de diverses régions pour travailler comme ouvriers dans la sidérurgie.

Ce sont eux qui ont apporté avec eux cette nouvelle croix. Ce sont eux qui l’ont élevée comme signe de leur volonté de construire une nouvelle église. Cette croix même devant laquelle nous nous trouvons en ce moment. J’ai eu l’honneur, en tant que votre archevêque et cardinal, de bénir et de consacrer, en 1977, cette église qui est née d’une nouvelle croix.

Cette église est née d’un travail nouveau. J’oserais dire qu’elle est née de Nowa Huta. Nous savons tous, en effet, que dans le travail de l’homme se trouve profondément gravé le mystère de la croix, la loi de la croix. Les paroles du Créateur, prononcées après la chute de l’homme ; « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (
Gn 3,19) ne se vérifient- elles pas en elle ? Qu’il s’agisse de l’ancien travail des champs qui fait naître le froment mais aussi les épines et les chardons, qu’ii s’agisse du nouveau travail des hauts fourneaux et des nouvelles fonderies, on le fait toujours « à la sueur de son front ». La loi de la croix est inscrite dans le travail de l’homme. L’agriculteur a travaillé à la sueur de son front, c’est à la sueur de son front que travaille l’ouvrier sidérurgiste. Et c’est à la sueur de son front — la sueur effrayante de la mort — que le Christ agonise sur la croix.

On ne peut pas séparer la croix du travail humain. On ne peut pas séparer le Christ du travail humain. Et cela s’est confirmé ici, à Nowa Huta. Et cela a été le principe de la nouvelle évangélisation, au début du nouveau millénaire du christianisme en Pologne. Ce nouveau commencement, nous l’avons vécu ensemble, et je l’ai emporté avec moi, comme une relique, de Cracovie à Rome.

Le christianisme et l’Église n’ont pas peur du monde du travail. Ils n’ont pas peur du système fondé sur le travail. Le Pape n’a pas peur des travailleurs. Ils lui ont toujours été particulièrement proches. Il est sorti du milieu d’eux. Il est sorti des carrières de pierre de Zakrzowek, des fournaises Solvay à Borek Falecki, puis de Nowa Huta. C’est à travers ces divers milieux, à travers ses propres expériences de travail que le Pape — j’ose le dire — a appris de nouveau l’Évangile. Il s’est rendu compte et il s’est convaincu que la problématique contemporaine du travail humain est profondément gravée dans l’Évangile. Tout comme il est impossible de la résoudre à fond sans l’Évangile.

En effet, la problématique contemporaine du travail humain (mais est-elle seulement contemporaine, au reste ?) ne se réduit, en dernière analyse — que tous les spécialistes me pardonnent — ni à la technique ni non plus à l’économie, mais à une catégorie fondamentale : à la catégorie de la dignité du travail, c’est-à-dire de la dignité de l’homme. L’économie, la technique et tant d’autres spécialisations et disciplines tirent leur raison d’être de cette unique catégorie essentielle. Si elles ne parviennent pas jusqu’à elle et si elles se forment en dehors de la dignité du travail humain, elles sont dans l’erreur, elles sont nocives, elles sont contre l’homme.

Cette catégorie fondamentale est humaniste. Je me permets de dire que cette catégorie fondamentale, la catégorie du travail comme mesure de la dignité de l’homme, est chrétienne. Nous la retrouvons à son plus haut degré d’intensité dans le Christ.

Ceci suffit, frères très chers. Ce n’est pas une fois seulement que je vous ai rencontrés, quand j’étais votre évêque, et que j’ai développé plus largement tous ces thèmes. Aujourd’hui, étant votre hôte, je dois en parler de manière plus concise. Mais rappelez-vous cette unique chose : le Christ n’approuvera jamais que l’homme soit considéré — ni qu’il se considère lui-même —seulement comme un instrument de production, et qu’il soit apprécié, estimé et évalué selon un tel critère. Le Christ ne l’approuvera jamais ! C’est pour l’histoire spirituelle de l’homme, pour cela qu’il s’est fait mettre en croix, comme sur le grand seuil de l’histoire spirituelle de l’homme, pour s’opposer à toute dégradation de l’homme, y compris la dégradation par le travail. Le Christ demeure devant nos yeux, sur la croix, afin que tout homme soit conscient de la force qu’il lui a donnée : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jn 1,12)

Et il faut se rappeler cela : le travailleur comme celui qui donne le travail, le système du travail comme celui de la rétribution, l’État, la nation et l’Église doivent se le rappeler.

127 Quand j’étais parmi vous, j’essayais de témoigner de cela. Priez afin que je continue à rendre ce témoignage encore dans l’avenir et d’autant plus que je suis à Rome ; afin que je continue à le rendre devant toute l’Église et devant le monde contemporain.

3. Je pense avec joie à la bénédiction de la magnifique église de Mistrzejowice, dont la construction a grandement avancé. Ma pensée se tourne en ce moment vers la colline de Krzeslawice. Les efforts de tant d’années sont en train d’y porter lentement leurs fruits. Je bénis de tout coeur cette oeuvre et toutes les autres églises qui s’élèvent ou qui s’élèveront dans cette région et dans ces quartiers en perpétuel développement. Sachez tous que je me rappelle les débuts de cette oeuvre, à Mistrzejowice, les tout premiers débuts. Et toutes les étapes successives de la construction. Avec vous, je retourne par la prière et par le coeur sur la tombe du prêtre Joseph, de sainte mémoire, qui a commencé cette oeuvre, y mettant toutes ses forces et immolant sur son autel toute sa jeune vie. Je remercie tous ceux qui continuent cette oeuvre avec tant d’amour et de persévérance.

Je pense aussi, en ce moment, aux collines de Krzeslowice. Les efforts de tant d’années portent lentement leurs fruits. De tout coeur, je bénis cette oeuvre et toutes les autres églises qui surgissent ou surgiront dans cette région et dans ses quartiers qui se développent sans cesse.

À partir de la croix de Nowa Huta la nouvelle évangélisation a commencé : l’évangélisation du second millénaire. Cette église en rend témoignage et en est la preuve. Elle est issue d’une foi vive, consciente et responsable, et il faut que je continue à la servir.

L’évangélisation du nouveau millénaire doit se référer à la doctrine du Concile Vatican II. Elle doit être, comme l’enseigne ce Concile, l’oeuvre commune des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs, l’oeuvre des parents et des enfants. La paroisse n’est pas seulement le lieu où on en fait la catéchèse, mais aussi un milieu vivant où on doit la mettre en pratique.

L’Église, dont vous êtes en train de terminer la construction poursuivie avec tant d’efforts mais aussi avec tant d’enthousiasme, s’élève afin que l’Évangile du Christ entre par elle dans toute votre vie. Vous avez construit l’Église ; construisez votre vie avec l’Évangile.

Que Marie, Reine de la Pologne, et le bienheureux Maximilien Kolbe vous y aident continuellement.


10 juin 1979, MESSE PONTIFICALE EN L'HONNEUR DE SAINT STANISLAS

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Blonia Krakowskie, Cracovie
Dimanche 10 juin 1979



1. Nous tous qui sommes réunis ici aujourd’hui, nous nous trouvons devant un grand mystère de l’histoire de l’homme : le Christ, après sa résurrection, rencontre les apôtres en Galilée et leur adresse les paroles que nous avons entendues il y a quelques instants de la bouche du diacre qui a proclamé l’Évangile : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. » (
Mt 28,18-20)

Ces paroles contiennent le grand mystère de l’histoire de l’humanité et de l’histoire de l’homme.

Tout homme, en effet, est en marche. Il marche vers l’avenir. Même les nations sont en marche. Et toute l’humanité. Marcher signifie non seulement subir les exigences du temps, en laissant continuellement derrière soi le passé : la journée d’hier, les années, les siècles… Marcher veut dire aussi être conscient du but.

L’homme et l’humanité passent-ils ou disparaissent-ils seulement dans leur chemin à travers cette terre ? Pour l’homme, tout consiste-t-il en ce que, sur cette terre il construit des conquêtes dont il jouit ? Indépendamment de toutes les conquêtes, de tout l’ensemble de la vie (culture, civilisation, technique), rien d’autre ne l’attend-il ? « Elle passe la figure de ce monde ! » Et l’homme passe-t-il totalement avec elle ?

Les paroles que le Christ a prononcées en prenant congé des apôtres expriment le mystère de l’histoire de l’homme, de chacun et de tous, le mystère de l’histoire de l’humanité.

Le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit est immersion dans le Dieu vivant, « en Celui qui est », comme le dit le livre de l’Exode, en Celui « qui est, qui était et qui vient », comme dit l’Apocalypse (1, 4). Le baptême est le début de la rencontre de l’unité, de la communion, et donc la vie terrestre n’est qu’un prologue et une introduction ; l’accomplissement et la plénitude appartiennent à l’éternité. « Elle passe la figure de ce monde. » Nous devons donc nous trouver « dans le monde de Dieu » pour parvenir au but, pour arriver à la plénitude de la vie et de la vocation de l’homme.

Le Christ nous a indiqué cette route et, en prenant congé des apôtres, il l’a reconfirmée encore une fois. Il leur a recommandé ainsi qu’à toute l’Église d’enseigner et d’observer tout ce qu’il leur avait ordonné : « Et moi je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. »

2. Ecoutons, toujours avec la même émotion ces paroles par lesquelles le Rédempteur ressuscité trace l’histoire de l’humanité et en même temps l’histoire de tout homme. Quand il dit: « Enseignez toutes les nations », les yeux de notre âme considèrent le moment où l’évangile est parvenu à notre nation, au début même de son histoire, quand les premiers Polonais ont reçu le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Le profil spirituel de l’histoire de la patrie a été tracé par les paroles mêmes du Christ, dites aux apôtres. Le profil de l’histoire spirituelle de chacun de nous a été tracé lui aussi à peu près de la même façon.

L’homme est, en effet, un être raisonnable et libre, un sujet conscient et responsable. Il peut et il doit, par l’effort personnel de la pensée parvenir à la vérité. Il peut et il doit choisir et décider. Le baptême, reçu au début de l’histoire de la Pologne, nous a rendus encore plus conscients de l’authentique grandeur de l’homme, « l’immersion dans l’eau » est un signe de l’appel à participer à la vie de la Sainte Trinité, et c’est en même temps une preuve irremplaçable de la dignité de tout homme. Déjà le même appel témoigne en sa faveur : l’homme doit avoir une dignité extraordinaire, s’il a été appelé à une telle participation, la participation à la vie même de Dieu.

Pareillement tout le processus historique de la conscience et des choix de l’homme est étroitement lié à la tradition vivante de sa nation dans laquelle à travers toutes les générations résonnent avec un grand écho les paroles du Christ, le témoignage de l’évangile, la culture chrétienne, les habitudes nées de la foi, de l’espérance et de la charité. L’homme choisit consciemment, dans sa liberté intérieure. Ici la tradition n’est pas une limitation : c’est un trésor, c’est une richesse spirituelle, c’est un grand bien commun, qui se confirme en tout choix, en tout acte noble, en toute vie authentiquement vécue en chrétien.

Peut-on repousser tout cela ? Peut-on dire non ? Peut-on refuser le Christ et tout ce qu’il a apporté dans l’histoire de l’homme ?

Certainement non. Il est vrai que l’homme est libre. Mais demeure la question fondamentale : est-il permis de le faire, et au nom de quoi est-ce permis ? Quel argument de raison, quelle valeur de la volonté et du coeur peux-tu mettre devant toi, devant ton prochain, tes compatriotes et ta nation pour repousser, pour dire non à ce dont nous avons tous vécu pendant mille ans ? A ce qui a créé et a toujours constitué les fondements de notre identité ?

Un jour le Christ demanda aux apôtres (la scène se déroula après la promesse de l’institution de l’Eucharistie, et beaucoup se détachèrent de lui) : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6 Jn 67) Permettez que le Successeur de Pierre devant vous tous qui êtes ici rassemblés, et devant toute notre histoire et la société contemporaine répète aujourd’hui les paroles de Pierre, sa réponse à la question du Christ : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! »(Jn 6,68)

129 3. Saint Stanislas a été évêque de Cracovie pendant sept ans, comme le confirment les sources historiques. Cet évêque-compatriote venu du non lointain Szczepanow, a assumé lé siège de Cracovie en 1072 pour le laisser en 1079, en subissant la mort des mains du roi Boleslas le Hardi. Selon les sources, il est mort le 11 avril, et c’est ce jour-là que le calendrier liturgique de l’église universelle commémore saint Stanislas. En Pologne, la solennité de l’évêque martyr est célébrée depuis des siècles le 8 mai, et elle continue à l’être aujourd’hui encore.

Lorsque, comme archevêque de Cracovie, j’ai commencé avec vous les préparatifs du neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas qui a lieu cette année, nous étions tous encore marqués par le millénaire du baptême de la Pologne, célébré en l’an du Seigneur 1966. Sur le fond de cet événement, et par rapport à la figure de saint Adalbert, lui aussi évêque martyr, dont la vie a été unie à notre histoire à l’époque du baptême, la figure de saint Stanislas semble indiquer(par analogie) un autre sacrement, qui fait partie de l’initiation du chrétien à la foi et à la vie de l’Église. Ce sacrement, comme vous le savez, est celui de la confirmation. Toute la relecture « jubilaire » de la mission de saint Stanislas dans l’histoire de notre millénaire chrétien, et aussi toute la préparation spirituelle aux célébrations de cette année, se réfèrent justement à ce sacrement de confirmation.

L’analogie a plusieurs aspects. Mais nous l’avons surtout cherchée dans le développement normal de la vie chrétienne. De même qu’un homme baptisé devient un chrétien adulte par le sacrement de confirmation, de même la Providence divine a donné à notre nation, en son temps, après le baptême, le moment historique de la confirmation.

Saint Stanislas, que presque un siècle entier sépare de l’époque du baptême et de la mission de saint Adalbert, symbolise ce moment d’une façon particulière, par le fait qu’il a rendu témoignage au Christ en versant son sang. Le sacrement de confirmation, dans la vie de chaque chrétien, en principe jeune, parce que ce sont les jeunes qui reçoivent ce sacrement — la Pologne aussi était alors une nation et un pays jeune — doit faire de lui un « témoin du Christ » dans sa vie et selon sa vocation personnelle. C’est un sacrement qui nous associe d’une façon particulière à la mission des apôtres, en tant qu’il introduit chaque baptisé dans l’apostolat de l’Église (spécialement dans ce qu’on appelle l’apostolat des laïcs).

C’est le sacrement qui doit faire naître en nous un sens aigu de la responsabilité pour l’Église, pour l’évangile, pour la cause du Christ dans les âmes humaines, pour le salut du monde.

Le sacrement de confirmation, nous ne le recevons qu’une seule fois dans la vie (comme le baptême), et toute la vie, qui s’ouvre dans la perspective de ce sacrement, revêt l’aspect d’une grande épreuve, d’une épreuve fondamentale : l’épreuve de foi et de caractère. Saint Stanislas est devenu, dans l’histoire spirituelle des Polonais, le patron de cette grande et fondamentale épreuve de foi et de caractère. En ce sens nous le vénérons aussi comme le patron de l’ordre moral chrétien. En définitive, l’ordre moral se constitue en effet à travers les hommes. Cet ordre est donc composé d’un grand nombre d’épreuves, chacune d’elles étant une épreuve de foi et de caractère. L’ordre moral dérive donc de chaque épreuve victorieuse. Chaque épreuve manquée implique au contraire le désordre moral.

Nous savons très bien aussi, par toute notre histoire, que nous ne pouvons absolument pas, à aucun prix, nous permettre ce désordre, que nous avons déjà plusieurs fois payé amèrement.

C’est pourquoi notre méditation de sept années sur la figure de saint Stanislas notre référence à son ministère pastoral sur le siège de Cracovie, le nouvel examen de ses reliques, c’est-à-dire du crâne du saint, qui porte imprimées les traces des coups mortels, tout cela nous conduit aujourd’hui à une grande et ardente prière pour la victoire de l’ordre moral dans ce moment difficile de notre histoire.

Telle est la conclusion essentielle de tout le travail persévérant de ce septennat, la condition principale et en même temps le but du renouveau conciliaire, pour lequel le synode de l’archidiocèse de Cracovie a travaillé si patiemment et aussi le principal moteur de la pastorale et de toute l’activité de l’Église, et de tous les travaux, de toutes les tâches et de tous les programmes qui sont et seront entrepris en terre polonaise.

Que cette année de saint Stanislas soit une année de particulière maturité historique de la nation et de l’Église en Pologne, l’année d’une responsabilité nouvelle et consciente pour l’avenir de la nation et de l’Église en Pologne, tel est le voeu que je voudrais, ici avec vous, vénérables et chers frères et soeurs, comme premier Pape de souche polonaise, offrir à l’immortel Roi des siècles, au pasteur éternel de nos âmes et de notre histoire, au Bon Pasteur !

4. Permettez maintenant que pour faire une synthèse, j’embrasse du regard tout mon pèlerinage en Pologne qui, commencé la veille de la Pentecôte à Varsovie, est sur le point de s’achever aujourd’hui à Cracovie, en la solennité de la Sainte Trinité. Je voudrais vous remercier, très chers compatriotes, pour tout ! Parce que vous m’avez invité et m’avez accompagné dans tout l’itinéraire du pèlerinage, en passant par la Gniezno des primats et Jasna Gora. Je remercie encore une fois les autorités de l’État de leur aimable invitation et de leur accueil. Je remercie les autorités de toutes les voïvodies, et spécialement les autorités de la ville de Varsovie et — en cette dernière étape — les autorités municipales de l’antique cité royale de Cracovie. Je remercie l’Église de ma patrie : l’Épiscopat avec, à sa tête, le cardinal primat, l’archevêque de Cracovie et mes chers frères évêques Julian, Jan, Stanislaw et Albin, avec lesquels il m’a été donné ici, à Cracovie, de collaborer pendant de nombreuses années à la préparation du jubilé de saint Stanislas. Je remercie aussi les évêques de tous les diocèses suffragants de Cracovie, Czestochowa, Katowice Kielce et Tarnow. Tarnow est, à cause de Szczepanow, la première patrie de saint Stanislas. Je remercie l’ensemble du clergé. Je remercie les ordres religieux masculins et féminins.

130 Je remercie tous et chacun en particulier. Il est vraiment juste et bon, et c’est notre devoir, de rendre grâces.

Je voudrais moi aussi, maintenant, en ce dernier jour de mon pèlerinage à travers la Pologne, ouvrir largement mon coeur et proclamer mon action de grâces en empruntant cette belle forme de la « préface ». Je désire tant que mes remerciements parviennent à la divine Majesté, au coeur de la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit !

Mes chers compatriotes ! De manière combien chaleureuse je rends grâces encore une fois avec vous, pour le don d’avoir été — il y a plus de mille ans — baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, d’avoir été plongés dans l’eau qui reflète en elle l’image du Dieu vivant — dans l’eau qui est une onde d’éternité : « source d’eau qui jaillit pour la vie éternelle » (
Jn 4,14). Je rends grâces parce que nous hommes, nous Polonais, qui sommes tous nés comme hommes par la chair et le sang (cf. Jn 3 Jn 6) de nos parents, nous avons été conçus ét nous sommes nés de l’Esprit (cf. Jn 3,5). De l’Esprit-Saint.

Je voudrais donc aujourd’hui, me trouvant ici — dans ces vastes prairies de Cracovie — et tournant mon regard vers Wawel et Skalka où il y a neuf cents ans, « le célèbre évêque Stanislas a subi la mort », accomplir encore une fois ce qui se réalise dans le sacrement de confirmation, dont il est le symbole dans notre histoire. Je voudrais que ce qui a été conçu et ce qui est né de l’Esprit-Saint soit à nouveau confirmé par la croix et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ, auxquelles notre compatriote saint Stanislas participa d’une façon particulière.

Permettez donc que, comme l’évêque pendant la confirmation, je répète moi aussi aujourd’hui ce geste apostolique de l’imposition des mains. En lui s’expriment en effet, l’acceptation et la transmission de l’Esprit-Saint que les apôtres ont reçu du Christ, lorsque, après la résurrection, il vint à eux « les portes closes » (Jn 20,19) et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. » (Jn 20,22)

Cet Esprit, l’Esprit de salut, de rédemption, de conversion et de sainteté, l’Esprit de vérité d’amour et de force — hérité comme force vive par les apôtres — a été si souvent transmis par les mains des évêques à des générations entières en terre polonaise ! Cet Esprit — que l’évêque originaire de Szczepanow transmettait à ses contemporains — je veux vous le transmettre aujourd’hui, en récapitulant cordialement et avec une humilité profonde la grande « confirmation de l’histoire » que vous vivez.

Je répète donc avec le Christ lui-même : « Recevez l’Esprit-Saint. » (Jn 20,22) Je répète avec l’apôtre : « N’éteignez pas l’Esprit ! » (1Th 5,19) Je répète avec l’apôtre : « Ne contristez pas l’Esprit-Saint ! » (Ep 4,30)

Vous devez être forts, très chers frères et soeurs ! Vous devez être forts de cette force qui prend sa source dans la foi ! Vous devez être forts de la force de la foi ! Vous devez être fidèles ! Aujourd’hui plus qu’à aucune autre époque, vous avez besoin de cette force. Vous devez être forts de la force de l’espérance qui conduit à la parfaite joie de vivre et ne permet pas de contrister l’Esprit-Saint !

Vous devez être forts de l’amour, qui est plus fort que la mort (comme l’ont montré saint Stanislas et le bienheureux Maximilien-Marie Kolbe). Vous devez être forts de cette charité qui « est patiente et longanime ; … n’est pas envieuse, … ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas, ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l’injustice et met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais » (1Co 13,4-8).

Vous devez être forts de la force de la foi de l’espérance et de la charité, de cette force consciente mûre, et responsable qui nous aide à établir ce grand dialogue avec l’homme et avec le monde en l’étape actuelle de notre histoire : dialogue avec l’homme et avec le monde, enraciné dans le dialogue avec Dieu lui-même — avec le Père, par le Fils, dans l’Esprit —dialogue du salut.

Je voudrais que ce dialogue soit repris avec tous nos frères chrétiens qui, bien qu’encore séparés, nous sont unis dans l’unique foi au Christ. Je parle de cela ici pour remercier de la lettre que j’ai reçue des représentants du Conseil oecuménique polonais. Même si, à cause d’un programme aussi chargé, nous n’avons pas pu nous rencontrer à Varsovie, souvenez-vous, chers frères dans le Christ, que je porte cette rencontre dans mon coeur comme un vif désir et comme l’expression de ma confiance dans l’avenir.

131 Ce dialogue ne cesse d’être notre vocation à travers tous les « signes des temps ». Jean XXIII etPaul VI, comme le Concile Vatican II, ont accueilli cette invitation au dialogue. Jean-Paul II, depuis le premier jour de son pontificat, confirme la même disponibilité. Oui ! Il faut travailler pour la paix et la réconciliation entre les hommes et les nations du monde entier. Il faut essayer de se rapprocher mutuellement. Il faut ouvrir les frontières. Quand nous sommes forts de l’Esprit de Dieu, nous sommes aussi forts de la foi en l’homme — forts de la foi, de l’espérance et de la charité, qui sont indissolubles — et nous sommes prêts à rendre témoignage à la cause de l’homme face à celui à qui cette cause tient vraiment à coeur, pour qui cette cause est sacrée. À celui qui désire la servir avec la meilleure volonté. Il ne faut donc pas avoir peur ! Il faut ouvrir les frontières ! L’impérialisme de l’Église, cela n’existe pas, mais seulement son service. Il y a seulement la mort du Christ sur le calvaire. Il y a l’action de l’Esprit-Saint, fruit de cette mort, l’Esprit-Saint qui reste avec nous tous, avec l’humanité entière, « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).

Les Slaves d’outre-Carpates Je salue ici avec une joie particulière les groupes de nos frères qui sont venus du Sud, d’au-delà des Carpathes. Que Dieu vous récompense de votre présence.

Combien je voudrais que les autres puissent être là eux aussi ! Que Dieu vous récompense, frères de la Lusace. Combien je voudrais qu’à ce pèlerinage du Pape slave aient pu participer aussi nos autres frères, frères par la langue et les événements de l’histoire ! Et s’ils ne sont pas ici sur cette esplanade, qu’ils sachent qu’ils n’en sont que plus présents dans notre coeur et dans notre prière.

5. Il y a, en outre, là-bas à Varsovie, sur la place de la Victoire, la tombe du Soldat inconnu, d’où j’ai commencé mon ministère de pèlerin en terre polonaise, et ici, à Cracovie, sur la Vistule, entre Wawel et Skalka, la tombe de « l’évêque inconnu », dont il reste une admirable relique dans le trésor de notre histoire.

Avant de vous quitter, je voudrais donc jeter encore un regard sur Cracovie, cette Cracovie dont j’aime chaque pierre et chaque brique. Et je regarde encore ma Pologne…

C’est pourquoi avant de vous quitter, je vous prie d’accepter encore une fois tout le patrimoine spirituel qui a pour nom « Pologne », avec la foi, l’espérance et la charité que le Christ a placées en nous par le saint baptême.

Je vous prie :

—De ne jamais perdre confiance, de ne pas vous laisser abattre, de ne pas vous décourager;

— De ne pas couper vous-même les racines de notre origine.

Je vous prie :

— D’avoir confiance, malgré toute votre faiblesse, et de chercher toujours la force spirituelle en Celui près duquel tant de générations de nos pères et de nos mères l’ont trouvée ;

132Ne vous détachez jamais de lui ;

Ne perdez jamais la liberté d’esprit par laquelle il « rend libre » l’homme ;

Ne dédaignez jamais la charité, qui est la chose « la plus grande » qui s’est manifestée à travers la croix, et sans laquelle la vie humaine n’a ni racines ni sens.

Je vous demande tout cela :

— En mémoire et par la puissante intercession de la Mère de Dieu de Jasna Gora et de tous ses sanctuaires en terre polonaise ;

— En mémoire de saint Adalbert qui subit la mort pour le Christ près de la mer Baltique ;

— En mémoire de saint Stanislas, tombé sous l’épée royale à Skalka.

Je vous demande tout cela.
Amen.



Homélies St Jean-Paul II 8679