Homélies St Jean-Paul II 336

MESSE D'ORDINATION DE 11 PRÊTRES



Kara (Togo)
Vendredi, 9 août 1985



1. “Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Lc 10,2).

337 Chers Frères et Soeurs, nous devons aujourd’hui remercier le Maître de la moisson, puisqu’il m’est donné d’ordonner onze nouveaux prêtres, onze nouveaux ouvriers apostoliques qui vont être envoyés pour la moisson du Seigneur. Ce sont tous des fils de l’Eglise au Togo, nés dans ce pays, au sud, au centre ou au nord: ils proviennent des diocèses de Lomé, d’Atakpamé, de Sokodé, et de diverses ethnies. Ils vont recevoir le même sacerdoce du Christ Jésus. Ils se sont préparés ensemble, au grand-séminaire de Saint-Gall à Ouidah, avec leurs frères du Bénin. Ils apportent au service du Christ les fruits de cette préparation, avec leurs talents personnels et les qualités de leur terroir natal, de leurs familles humaines.

2. Durant la première période de l’évangélisation, ce sont des prêtres missionnaires qui ont travaillé ici: missionnaires de la Société du Verbe Divin, des Missions Africaines de Lyon, franciscains, et autres religieux. Ils étaient aidés dans leur ministère par l’apostolat de nombreuses religieuses. Ils venaient d’autres pays, où ils avaient eux-mêmes été nourris de l’Evangile qu’ils apportaient ici gratuitement, comme ils l’avaient reçu gratuitement. L’Eglise vit de cet envoi en mission, de cette entraide, de ces échanges, depuis le temps des Apôtres. Aujourd’hui, un certain nombre de ces prêtres expatriés travaillent encore dans ce pays où leur service est très appréciable, nécessaire, et où ils sont témoins de l’Eglise universelle. Ils méritent une vive reconnaissance. Sans eux, l’Eglise n’aurait pas été implantée ici. Nous n’aurions pas ces jours-ci le spectacle de ces belles communautés togolaises, heureuses de leur foi. N’oublions jamais ces pionniers, apprécions ces serviteurs d’aujourd’hui. Comment ne pas être sensible au témoignage d’un groupe de jeunes de ce pays qui m’ont écrit récemment: “L’histoire . . . nous a laissé l’image du missionnaire soucieux de conduire le troupeau vers des pâturages verdoyants et de risquer sa vie au nom du Christ. L’oeuvre commencée par les missionnaires doit être poursuivie par les fils du pays et chacun à son niveau, en commencent par les évêques et prêtres autochtones”.

Aujourd’hui, l’Eglise au Togo a en effet, pour une large part, ses prêtres et ses évêques. Elle connaît d’ailleurs une floraison de vocations sacerdotales et religieuses, et a même une congrégation religieuse locale, les “Soeurs de Notre-Dame de l’Eglise”. Elle se compose d’un grand nombre de baptisés, avec un pourcentage impressionnant en certaines régions, et des catéchumènes. Ses catéchistes et maîtres d’école continuent leur oeuvre de formation à la foi et, plus largement, son laïcat chrétien s’éveille à ses responsabilités et se structure en mouvements. Je salue avec joie toute cette Eglise au Togo, et plus spécialement ce diocèse de Sokodé qui nous accueille. Je remercie Monseigneur Chrétien Matawo Bakpessi de ses paroles de bienvenue. Je n’oublie pas les diocésains d’Atakpamé et de Dapaong que je ne peux aller visiter sur place et qui poursuivent une belle oeuvre missionnaire. Nous remercions aussi les Maisons qui forment aujourd’hui les candidats au sacerdoce, les petits-séminaires, le séminaire d’aînés e les grands-séminaires de Ouidah et maintenant de Lomé.

3. Chers Frères et Soeurs, qu’est-ce donc qu’un prêtre? Qu’est-ce qui est l’essentiel de son sacerdoce?

Certes, le prêtre accomplit de multiples activités. Elles sont ordonnées au fait qu’il est avant tout un homme de Dieu. C’est ce qu’ont pressenti d’ailleurs toutes les religions qui lui confiaient le soin d’offrir à Dieu des sacrifices de toute sorte. Mais le prêtre dont nous parlons est celui de la Nouvelle Alliance établie par Jésus-Christ, scellée par son Sacrifice. Et l’Apôtre Pierre nous dit l’essentiel de ce qu’est le prêtre, dans sa lettre lue ce matin, lorsqu’il adresse une exhortation aux “Anciens”, aux “presbytères”, c’est-à-dire aux chefs spirituels préposés par les Apôtres à la direction des premières communautés chrétiennes. Il dit: “Moi aussi, je fais partie des Anciens, je suis témoin de la Passion du Christ” (
1P 5,1). Dans l’Eglise d’aujourd’hui, comme dans celle d’hier, le prêtre est le témoin de la Passion du Christ, dans un sens particulier. En effet, chaque jour, il accomplit, en célébrant le sacrement de l’Eucharistie, le sacrifice que le Christ lui-même a offert sur la croix. Oui, chaque fois, dans l’Eucharistie, c’est ce Sacrifice qui est rendu présent, renouvelé, accompli sous le signe du pain et du vin, comme le Christ l’a institué et c’est le prêtre qui en est le ministre sacramentel, agissant au nom du Christ, in persona Christi.

4. L’Apôtre Pierre ajoutait: “Et je communierai à la gloire qui va se révéler”(Ibid.) . Le prêtre est également participant de la gloire dont Dieu le Père a comblé son Fils crucifié dans la Résurrection. En offrant le Sacrifice qui s’est accompli par la mort du Christ, il proclame en même temps sa résurrection et sa glorification “à la droite du Père”. Il annonce finalement la venue définitive du Christ dans cette gloire qui “va se révéler” à la fin du monde. En un sens, le prêtre témoigne par l’Eucharistie que le monde ne se sauve pas seul, mais par le Christ, et ce monde ne se réduit pas à ce qui existe présentement, mais qu’il s’achèvera avec le Christ glorifié.

5. Grande est donc la vocation du prêtre, et sublime sa mission. Grande est sa dignité. Il est lié d’une façon particulière à la mission de salut de Jésus-Christ. Je demanderai aux futurs prêtres: “Voulezvous, de jour en jour, vous unir davantage au Souverain Prêtre Jésus-Christ?”. Non seulement les prêtres accomplissent son Sacrifice, mais ils accomplissent les divers aspects de son ministère: le ministère de la Parole et le ministère de sanctification par les sacrements.

D’autres, dans l’Eglise - et c’est une grâce - annoncent, transmettent, expliquent la Parole de Dieu, comme les catéchistes, les maîtres, les parents chrétiens, les religieux et religieuses. Mais le prêtre reçoit la responsabilité de faire en sorte que l’Evangile soit bien annoncé à tous, que la foi catholique soit correctement exposée, et il la commente lui-même dans la liturgie.

Et le prêtre est spécialement consacré pour célébrer les mystères du Christ, pour transmettre ses grâces aux croyants par les signes visibles et efficaces que sont les sacrements: la vie divine au baptisé, la purification du péché au pénitent, la nourriture du Corps du Christ au communiant, le réconfort divin au malade. Il conduit sans cesse le peuple chrétien aux sources de la Vie.

6. En tout cela le prêtre participe à la mission du Bon Pasteur. Notre Sauveur Jésus-Christ est le Bon Pasteur, qui connaît ses brebis, qui les rassemble, qui les protège, qui les sauve du loup ravisseur, qui donne sa vie pour elles, qui les conduit à la Vie en abondance , au point que les brebis peuvent dire, comme nous venons de le chanter: a Le Seigneur est mon berger, / je ne manque de rien . . ./ Il me rend des forces; / il me conduit par les bons chemins . . . / Tu prépares la table pour moi” . Les Apôtres ont participé à cette mission du Bon Pasteur. L’Apôtre Pierre a entendu à plusieurs reprises le Seigneur Jésus lui dire, après sa résurrection: “Sois le berger de mes agneaux . . . Sois le berger de mes brebis” . Croyez bien, chers Frères et Soeurs, que personnellement je médite souvent cette parole! Mais Pierre, à son tour, dit aux “Anciens” de l’Eglise, aux prêtres: “Soyez les bergers du troupeau de Dieu qui vous est confié” . Et aujourd’hui, l’Evêque de Rome, qui est le successeur de Pierre, dit la même chose à tous les évêques et à tous les prêtres de votre patrie; il le dit spécialement à vous qui recevez le sacrement du sacerdoce et, par là, la mission pastorale. Oui vraiment, vous allez désormais participer à la mission du Bon Pasteur, en collaboration avec votre évêque, le Pasteur de votre diocèse, en union avec l’Evêque de Rome. Ainsi vous pourrez “faire Eglise avec Pierre”.

7. “Bergers du peuple de Dieu qui vous est confié”: qu’est-ce à dire aujourd’hui? Le vrai berger rassemble le troupeau. Le prêtre a mission de rassembler les chrétiens, non seulement pour l’Eucharistie ou les prières qu’il préside, mais en veillant continuellement à leur unité. Au-delà des multiples petites communautés de croyants qui peuvent se former à la base, sur l’initiative des laïcs, dans un but de prière, de catéchèse ou de charité, qui ont leur utilité et leurs limites, le prêtre est celui qui veille à élargir cet horizon, à faire communiquer ces groupes, à les relier à l’unique Eglise, à les réunir, par exemple dans le cadre paroissial, pour l’Eucharistie commune. Il n’est pas l’homme d’une famille, d’un groupe, d’une ethnie: il est l’homme de tous.

338 Le vrai berger est celui qui marche en tête du troupeau, c’est-à-dire que le prêtre doit indiquer clairement la route, témoigner par sa parole et par ses actes de ce qu’est la foi ou la vie chrétienne, sans crainte, avec courage et librement. Je demanderai aux ordinands: “Voulez-vous devenir prêtres pour servir et guider le peuple de Dieu sous la conduite de l’Esprit Saint?”. Vous devrez conduire ce peuple vers la Vérité plénière par une catéchèse sans cesse approfondie; vers ce qui nourrit les chrétiens, vers ce qui les éduque à une authentique piété, à une vie morale plus mure.

Le vrai berger se soucie de chacune des brebis, n’oubliant pas celles qui ont du mal à suivre, qui s’égarent, qui sont en danger, qui sont au loin. Prêtres, vous portez la sollicitude pastorale de tous vos fidèles, sans négliger ceux qui paraissent moins fidèles, ou ceux qui ne sont pas encore des fidèles, faute d’être de ce bercail (Cfr. Io
Jn 10,16).

Certes, le prêtre n’a pas le monopole de toute l’animation chrétienne. Son rôle n’est pas de tout faire par lui-même, de tout commander; au contraire, sa qualité pastorale se mesure à sa capacité de susciter le zèle, l’initiative, l’apostolat chez les religieux et les laïcs qui l’entourent. Mais il demeure au milieu d’eux le représentant du Bon Pasteur qui veille, qui discerne, qui authentifie ce qui doit l’être, qui oriente dans la direction voulue par l’Eglise, au nom du Christ.

8. Saint Pierre nous indique encore comment le prêtre doit être le pasteur des âmes.

Il avait été le témoin du Christ qui, bien qu’étant en vérité Maître et Seigneur, s’était présenté au milieu des Apôtres comme “celui qui sert” (Lc 22,27), et qui leur avait fait comprendre à maintes reprises: “Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude” (Mt 20,28), refusant l’attitude de domination propre aux païens ou le pouvoir tel qu’il est exercé par les grands (Cfr. ibid. 20, 25). Alors Pierre précise aux “Anciens”, veillez sur le troupeau, “non par contrainte, mais de bon coeur, comme Dieu le veut, non par une misérable cupidité, mais par dévouement, sans commander en maîtres à ceux dont vous avez reçu la charge, mais en devenant les modèles du troupeau” (1P 5,2-4).

Certes, chers amis prêtres ou futurs prêtres, quand vous remplissez votre charge au nom du Christ, vous avez l’autorité d’un envoyé du Christ, et vous devez être accueillis et respectés comme tels par les croyants qui comprennent votre sacerdoce. Mais cette autorité bannit tout autoritarisme: “Sans commander en maîtres”; elle bannit la recherche de richesses personnelles: “Non par cupidité, mais par dévouement”; elle bannit toute dureté: “Non par contrainte, mais de bon coeur”. Oui, soyez toujours les pasteurs courageux et fermes dont je parlais, mais bons, humbles, accueillants, dévoués, désintéressés. Voilà ce qu’attend le Seigneur, le Bon Pasteur. Voilà ce qu’attendent les fidèles de votre troupeau. Et cela vous permettra être spécialement proches et soucieux des pauvres, des malades, de ceux qui souffrent. Vous partagerez le plus possible leurs préoccupations et leur vie. Au fond, votre autorité viendra naturellement de ce que vous serez les modèles du troupeau.

9. Vous serez ces modèles, si la sanctification de votre sacerdoce atteint, non seulement les actes de votre ministère ou votre comportement pastoral, mais toute votre vie, votre vie spirituelle, intérieure: “Vivez ce que vous accomplissez”.

Initiant les autres à la prière, demeurez vous-mêmes des hommes de prière, en public et dans l’intimité de votre oraison, de votre adoration. La Vierge Marie aura une place toute spéciale dans votre prière et votre vie, elle qui méditait dans son coeur tous les mystères de Jésus, et demeurait sans cesse “la servante du Seigneur”.

Offrant le Sacrifice et invitant les autres à offrir les sacrifices que leur demande la vie chrétienne, “conformez-vous au mystère de la croix du Christ”, comme je le dirai en remettant le pain et le vin du Sacrifice aux nouveaux prêtres.

Vous formez vos fidèles à la foi: vous aurez à coeur de continuer à approfondir la théologieenseignée au séminaire par une formation permanente, personnelle ou communautaire, par une sage mise à jour, en poursuivant l’étude de la Sainte Ecriture, de l’ensemble du dogme et de la spiritualité, la réflexion pastorale.

Vous exhortez le peuple chrétien à vivre les béatitudes, notamment l’esprit de pauvreté: vous-mêmes aurez à coeur de vivre simplement, au milieu des pauvres. Le Christ disait à ses disciples: “N’emportez ni argent ni sac ni sandales” (Lc 10,4).

339 Votre prédication est centrée sur la charité: vous montrerez l’exemple de la vie fraternelle entre prêtres du nord et du sud, Togolais et expatriés. Le Seigneur envoyait ses disciples deux par deux.

Vous aidez les époux à vivre un amour conjugal exigeant, fidèle et pur: puissent-ils être toujours stimulés par l’exemple du don total de votre puissance d’aimer au Christ et à vos frères, dans la chasteté qui est oblation et disponibilité.

Vous demandez aux fidèles d’obéir à l’Eglise: vous aurez à coeur de collaborer avec vos évêques en tout ce que désire l’Eglise.

La prière consécratoire pour les ordinands demande à Dieu: “Qu’ils reçoivent de toi la charge de seconder l’ordre épiscopal; qu’ils incitent à la pureté des moeurs par l’exemple de leur conduite”.

Oui, soyez les modèles du troupeau.

10. Pour tout cela, pour que les ordinands entrent et vivent dans “l’ordre des prêtres”, nous leur imposons les mains, en priant ainsi le Seigneur: “Répands une nouvelle fois au plus profond d’eux-mêmes l’Esprit de sainteté”.

Au temps de Moise, Dieu avait mis à part 70 Anciens, pleins de sagesse, pour seconder Moise, et il leur avait communiqué une part de l’Esprit qui reposait sur lui.

Le Seigneur Jésus a commencé son ministère en déclarant: “L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction” (
Lc 4,18). Ressuscité, il a envoyé ses Apôtres - comme le Père l’avait envoyé - en disant: “Recevez l’Esprit Saint” (Jn 20,22). Cet Esprit Saint imprimera dans votre âme, chers ordinands, un caractère indélébile de prêtre, de serviteur du Seigneur; il sera une source permanente de lumière, de force, de sainteté.

11. Et le Christ vous envoie en mission, comme il a envoyé 72 disciples en plus des Apôtres. Oui, le Christ lui-même.

Car, tandis que nous célébrons la sainte Eucharistie, c’est le Christ qui l’accomplit au milieu de nous, par notre sacerdoce ministériel. Et tandis que nous célébrons le sacrement de l’ordre, le Christ lui-même accomplit aussi ce sacrement qui est lié très étroitement à l’Eucharistie et prend son origine à la dernière Cène: “Faites cela en mémoire de moi” (Lc 22,19).

Le Christ se trouve donc ici, parmi nous. Et il dit aux nouveaux prêtres ordonnés: “Allez, je vous envoie . . .” (Ibid. 10, 3). “Allez, de toutes les nations faites des disciples” (Mt 20,19). Dites: “Le Règne de Dieu est tout proche de vous”. Donnez le réconfort aux malades, à tous ceux qui sont dans la détresse, et annoncez la paix dans toutes les maisons. Ne craignez pas l’accueil qu’on vous réservera (Cfr. Luc Lc 10,5-11).

340 Oui, allez porter cette Bonne Nouvelle aux fils et aux filles de votre peuple, de votre patrie, à tous et à chacun, dans toutes les villes et tous les villages où le Seigneur lui-même veut être présent (Cfr. ibid.10, 1). Soyez disponibles pour toutes les taches d’évangélisation que vous confiera votre évêque: dans le corps de l’Eglise les fonctions sont diverses, chacune a son importance, toutes doivent être remplies. Il est souhaitable aussi que les diocèses de ce pays s’entraident, car certains ont encore peu d’ouvriers apostoliques togolais. Que les prêtres acceptent être missionnaires ailleurs que chez eux, et que les fidèles sachent accueillir le prêtre d’une autre ethnie. Jésus disait aux disciples: “Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé” (Mt 10,40).

Mais, chers amis, l’horizon missionnaire ne se limite pas à votre pays. Il faut porter la Bonne Nouvelle aux fils et aux filles de l’Afrique entière, du monde entier. Vous y avez votre part, maintenant que des prêtres de plus en plus nombreux sortent de chez vous. Votre mission est profonde comme le mystère du Christ et en même temps vaste comme l’humanité! Dans la prière d’ordination, il est dit que vous êtes ordonnés “pour faire parvenir à toute l’humanité le message de l’Evangile et pour que toutes les nations rassemblées dans le Christ soient transformées dans l’unique peuple de Dieu”.

Nos frères et soeurs qui vont se réunir à partir de dimanche prochain à Nairobi pour le XLIIICongrès eucharistique international, le premier en Afrique noire, savent bien cette dimension universelle de l’Eglise, qui forme un unique Corps, le Corps du Christ.

12. Chers Frères et Soeurs nous désirons tous que Dieu suscite davantage de prêtres, de saints prêtres, avec d’autres ouvriers apostoliques, religieux et laïcs. Ne cessez pas de prêter l’oreille à la Parole de notre Maître et Rédempteur: “La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson” (Lc 10,2).

Oui, priez. Ne cessez pas de prier.

Amen!

MESSE LORS DE LA CONSÉCRATION DE LA CATHÉDRALE D'ABIDJAN



Abidjan (Côte d'Ivoire)
Samedi, 10 août 1985



1. “Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité” (Jn 4,23).

Une femme de Samarie interroge Jésus. Elle le fait, car elle vient de découvrir la vérité de sa Parole: Jésus a éclairé sa vie. Jésus lui a annoncé le don de l’eau vive qui apaise toute soif à jamais. Cette femme, dont le peuple restait à distance de celui de Jérusalem, l’interroge maintenant: où peut-on adorer Dieu? Et Jésus, l’envoyé de Dieu pour tous les hommes, le vrai prophète, proclame que l’heure est venue où ce n’est plus sur une seule montagne ou dans une seule ville que l’on rencontre Dieu. En tout lieu désormais, la rencontre de Dieu est possible avec l’homme qui recherche le Père, en esprit et en vérité.

En consacrant aujourd’hui votre cathédrale, nous désirons ardemment qu’elle devienne un “vrai temple de Dieu et des hommes”, en cette grande cité du continent africain: qu’elle serve au culte que rendent “les vrais adorateurs en esprit et en vérité”. C’est notre espérance et notre conviction que cet édifice sera un témoignage de prière authentique: ceux qui accueillent la vérité de Dieu et qui sont illuminés par son Esprit se tournent vers le Père pour rendre grâce de ses dons et le supplier de les répandre avec abondance sur la communauté humaine.

341 2. Il y a cinq ans, le 11 mai 1980, vous m’aviez convié à bénir la première pierre de votre cathédrale. Il m’est donné à présent de consacrer la maison que vous avez bâtie pour Dieu. Je rends grâce pour ce rare privilège. Je rends grâce surtout pour tout ce que représente cette réalisation impressionnante dans votre nation, qui vient de célébrer le XXVème anniversaire de son indépendance. Encouragés par tout un peuple, les architectes et les nombreux bâtisseurs ont mené à bien une oeuvre merveilleuse, car elle est signe éloquent de foi et elle est le témoin de la maturité et de la vitalité d’une Eglise. Avec vous qui remplissez cette cathédrale, je rends grâce. Et avec vous tous, la foule qui s’est rassemblée à l’extérieur, autour de la maison du Seigneur, je rends grâce, parce que Dieu établit sa demeure parmi les hommes!

L’Eglise d’Abidjan, l’Eglise en Cote d’Ivoire, manifeste par cette construction matérielle qu’elle est elle-même en vérité une construction spirituelle. Sans le dynamisme intérieur de la foi, sans l’espérance fondée sur le Christ vivant, un temple de pierre resterait vide de sens, quelle que soit sa grandeur. La raison d’être d’un temple de pierre, c’est le temple intérieur de la communautédes disciples du Seigneur. Ecoutons à nouveau, comme il y a cinq ans, la parole de l’Apôtre Pierre: “Soyez des pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel” (
1P 2,5).

Bâtir l’Eglise, c’est une oeuvre que l’Esprit de Dieu anime et rend possible. Elever un temple, c’est l’offrande de toute une communauté qui se rassemble pour célébrer le sacrifice du Seigneur. Elle dresse sur le sol de son pays un signal qui constitue un appel permanent à élever des louanges vers Dieu, à accueillir ses dons, à entendre sa Parole, à renforcer la fraternité, à inviter sans cesse de nouveaux frères pour qu’ils connaissent la Bonne Nouvelle du salut par le Christ.

3. Vous achevez un édifice, mais vous savez que la construction de l’Eglise continue. C’est une tache de tous les jours et de toutes les générations. Pour l’accomplir fidèlement, il faut que les hommes soient purifiés et renouvelés sans cesse, qu’ils soient convertis par la grâce de Dieu et détournés du péché qui est oeuvre de mort. C’est pourquoi nous avons répandu sur nous en même temps que sur les murs de l’église l’eau baptismale dans laquelle nous avons été purifiés et unis à la vie nouvelle par le Christ. Cette eau, Jésus l’avait promise à la Samaritaine de l’Evangile en lui disant: “L’eau que je donnerai deviendra source jaillissante pour la vie éternelle” (Cfr. Io Jn 4,14).

Avant de consacrer la cathédrale, nous allons chanter les litanies des saints. Nous marquerons ainsi que l’Eglise vivante a pour fondation les Apôtres et les saints de tous les âges. Ce sanctuaire est dédié à saint Paul. Quelle joie d’invoquer le patronage de l’Apôtre des nations sur cette terre d’Afrique! Quelle joie pour l’Evêque de Rome que de confier cette église d’Abidjan à celui qui acheva sa route missionnaire en fécondant la terre de Rome par le don de son sang! Le peuple aujourd’hui appelé à être saint est le peuple où Dieu a suscité les saints innombrables qui sont pour nous des exemples; ils sont vivants dans le Royaume des cieux et ils intercèdent pour nous. Que le patronage de saint Paul, et la communion de tous les saints soient pour l’Eglise qui se rassemble ici un ferment d’unité et d’amour! Et je voudrais rappeler que vous honorez particulièrement la Reine des Apôtres, sous le titre de Notre-Dame d’Afrique, en élevant un autre sanctuaire dont j’ai pu bénir la première pierre. Qu’elle vous guide et vous soit secourable, qu’elle vous accompagne sur les voies du service de Dieu et des hommes!

4. Au centre de cette action liturgique, une grande prière exprime notre action de grâce et notre supplication. En consacrant une église, nous louons Dieu qui nous permet être rassemblés par le Christ en sa demeure, nous louons Dieu qui fait de son Eglise le corps vivant sanctifié par le sang du Christ. Nous louons Dieu qui élève la cité sainte, car elle a pour pierre angulaire le Christ Jésus.

Et nous supplions humblement que ce lieu voie le péché pardonné, les fidèles unis dans le mémorial de la Pâque. Dans l’espérance du salut, nous demandons que la communauté réunie pratique la miséricorde et découvre la vraie liberté des fils de Dieu.

5. Avec les évêques de ce pays, je ferai sur l’autel et sur les murs de l’édifice l’onction du saint-chrême. L’huile sainte signifie la puissance de Dieu qui saisit et consacre: par l’onction, le Père a fait de Jésus son Christ, c’est-à-dire celui que l’Esprit a totalement pénétré. Aujourd’hui, par l’onction, il fait de cette église le lieu où l’Esprit du Christ libère chacun du péché et le baptise dans le mystère de sa mort et de sa résurrection. Il fait de cette église, par l’onction, le lieu saint où il appelle son peuple à se rassembler et à partager sa propre vie.

Aujourd’hui, l’Esprit du Seigneur fait de cet autel le signe du Christ, car c’est lui le Prêtre par excellence, c’est lui qui offre sa propre vie dans le sacrifice eucharistique. Et il nous donne de l’offrir à notre tour par le ministère de l’évêque et des prêtres. A cet autel, il invite les baptisés à communier à sa présence réelle, il les unit en son corps. Consacré par l’onction, l’autel marque le centre vivant de cette église? le lieu de l’eucharistie, centre de tous les autres sacrements.

La fumée de l’encens sera le symbole de la prière qui monte vers le Père par le Christ présent en son peuple, de l’offrande agréable à Dieu. La lumière allumée sur l’autel, répandue dans toute la cathédrale, représentera à nos yeux la lumière du Christ qu’il nous demande de faire briller aux yeux des hommes, en portant son message et en répandant son amour.

Ces gestes de l’antique tradition chrétienne expriment en profondeur la réalité qu’est l’Eglise, la beauté de l’image du Christ qui s’imprime en elle. Avec joie, en ce jour heureux, louons le Seigneur en reprenant les paroles du psaume:

342 “De quel amour sont aimées tes demeures, / Seigneur de l’univers! Heureux les habitants de ta maison . . . / Heureux les hommes dont tu es la force: / des chemins s’ouvrent dans leur coeur!” (Ps 84,2 Ps 84,5 Ps 84,6).

6. La page du Livre de Néhémie qui a été lue tout à l’heure évoque une assemblée du Peuple de Dieu auprès du Temple de Jérusalem. Nous y trouvons un exemple pour l’assemblée chrétienne aujourd’hui, pour les “habitants de la maison” du Seigneur. Puissiez-vous vous rassembler dans l’unité, heureux être l’Eglise, le Peuple que Dieu s’est acquis! (Cfr. Eph Ep 1,14) Puisiez-vous écouter la lecture des Livres saints qui sont la Parole et la Loi de Dieu, et y répondre comme nos pères qui l’acclamaient en s’écriant: “Amen!”. Ils prononçaient par ce mot l’adhésion de leur foi et ils acceptaient la Loi de Dieu pour conduire leur vie. Le peuple assemblé par Esdras reçoit avec joie et émotion cette Parole qui est de Dieu, cette Parole qui invite le peuple à la fidélité en réponse à la fidélité de Dieu, cette Parole de l’Alliance entre Dieu et l’humanité, maintenant accomplie à jamais par le Verbe fait chair, par le Fils de Dieu venu “pour faire de nous des fils” (Ga 4,5). Puisiez-vous, toujours plus nombreux, mettre en commun dans cette cathédrale la joie d’être illuminés par la Parole du salut, d’être rendus forts par la présence du Seigneur, d’être disponibles pour partager fraternellement les dons reçus pour la vie!

7. Le rassemblement des chrétiens prend ici un relief particulier. La cathédrale occupe dans l’Eglise locale la première place parmi les sanctuaires: elle est l’église de l’évêque, celle où il réunit les prêtres et les fidèles du peuple, celle où autour du représentant du Christ pour ce diocèse se manifeste la cohésion du Corps tout entier. En la circonstance historique de cette consécration, je suis heureux de saluer votre Archevêque, le Cardinal Bernard Yago, Pasteur qui conduit ce diocèse depuis 25 ans avec foi et dévouement. Je me réjouis de la présence des Cardinaux Zoungrana et Thiandoum et des autres évêques qui représentent les épiscopats des pays de l’Afrique de l’Ouest. Je salue et j’encourage tous les prêtres qui prolongent parmi vous le ministère de l’évêque, ceux qui sont nés sur cette terre et ceux qui ont quitté leur pays pour venir ici servir l’Eglise. Je salue cordialement aussi les Frères et les Religieuses qui ont pris une si grande part à la construction de la communauté chrétienne de ce pays dès les débuts pour témoigner de l’Evangile par le don d’eux-mêmes et à travers de nombreux services. J’adresse un salut déférent aux représentants des autres confessions chrétiennes et de l’Islam qui ont tenu à s’associer à cette cérémonie. Et je suis sensible à la présence parmi vous des hautes Autorités de votre pays et du Corps Diplomatique; je salue en particulier Monsieur le Président de la République. Et je voudrais vous dire mes voeux chaleureux à vous tous, mes Frères et Soeurs Ivoiriens ou venus d’ailleurs: à l’occasion de cette consécration solennelle, que Dieu vous donne à tous de fortifier une communauté heureuse d’accomplir sa volonté de paix, d’unité et d’amour.

Qu’il vous donne sa récompense pour toute la générosité et tous les efforts mis en commun afin d’édifier cette cathédrale dans la capitale, au lieu même où est représenté et dirigé ce pays. Vous y avez dressé un signe qui rappelle la force des valeurs spirituelles dans la vie des nations.

Nous confions cette église, cette communauté chrétienne, au Christ qui est la pierre d’angle de l’édifice; nous le ferons particulièrement dans la concélébration de l’Eucharistie par le Pape, l’archevêque d’Abidjan, les évêques de Cote d’Ivoire et leurs Frères. Cela souligne combien l’évêque qui rassemble en sa cathédrale l’Eglise d’un diocèse est lié à ses Frères, ceux du même pays d’abord, ceux du monde entier, et spécialement à celui qui a reçu la charge de succéder à l’Apôtre Pierre pour confirmer tous ses Frères dans la foi. Chers Frères et Soeurs d’Abidjan et de la Cote d’Ivoire, quand vous entrez dans cette église de l’évêque, n’oubliez pas que sa mission l’attache aux autres Eglises; et présentement votre archevêque, qui est Cardinal, est très proche du Pape de Rome, il partage sa sollicitude pour toutes les Eglises et tous les problèmes du monde.

Et comment ne pas évoquer dès aujourd’hui le Congrès eucharistique international qui va s’ouvrir pour la première fois en Afrique noire! Qu’il soit pour toutes les familles du monde un appel à l’unité autour du Christ Sauveur! Car le Fils de Dieu est venu parmi nous, il a livré son Corps et son Sang pour que tous aient la vie en lui.

8. Le Christ dit à la Samaritaine: “L’heure vient . . . où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; tels sont les adorateurs que recherche le Père”. Cette heure vient en ce pays, après une histoire déjà longue: divers groupes d’évangélisateurs ont essayé d’établir ici l’Eglise, du XVIIème au XIXème siècle, et ils n’ont pu demeurer; des épreuves, où beaucoup ont offert leur vie, ont interrompu leur oeuvre. L’heure est venue de manière décisive en 1895 lorsque la fondation de l’Eglise en votre pays a pu être entreprise sur une base durable par les pères des Missions africaines et le premier Préfet apostolique d’Abidjan, bientôt rejoints par les soeurs de Notre-Dame des Apôtres. Il est juste, en ce jour, de rappeler la mémoire de tous les évangélisateurs qui ont donné ici jusqu’à leur santé, et leur vie parfois, pour établir, grâce à leur charité héroïque, une Eglise qui a maintenant ses racines et qui développe elle-même ses rameaux, qui porte elle-même les fruits de la semence qui vient de Dieu. Je pense aux diocèses qui ont pu être érigés sous la responsabilité évêques africains.

A présent, c’est d’une manière nouvelle que la même “heure” de Dieu est venue. La cathédrale que, par le service de l’Evêque de Rome, l’Eglise en Cote d’Ivoire dédie à saint Paul par la consécration d’aujourd’hui, est un signe de maturité dans oeuvre d’évangélisation qui reste toujours à poursuivre. L’Evangile du Christ s’adresse à tous les hommes, et, à ceux qui l’ont reçu jusqu’ici revient la responsabilité de le faire entendre à leurs frères. On a parlé à juste titre de seconde évangélisation. C’est la confrontation en vérité des valeurs chrétiennes avec l’héritage, les aspirations, les découvertes et les pouvoirs des hommes; qu’en tous les domaines, le respect de la vie, le sens de la justice, la recherche de l’unité traduisent concrètement l’engagement des chrétiens à la suite du Christ dans leur participation aux activités diverses de la société! Que l’approfondissement de la vie ecclésiale rende vos communautés sans cesse plus fidèles, plus rayonnantes, plus responsables, en lien avec tous les membres du Corps du Christ dans le monde!

Que ce signe extérieur, noble, marque profondément vos âmes: cet édifice représente la“demeure de Dieu avec les hommes”. Sa forme même évoque symboliquement la Sainte Trinité, sa structure rappelle la structure de la vie chrétienne appuyée sur les sept sacrements donnés par le Seigneur à son Eglise.

Vous êtes vous-mêmes le temple de Dieu: chacun de vous est temple de Dieu. Saint Paul nous demande: “Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous?” (1Co 3,16). Nous proclamerons dans la préface de la prière eucharistique: “La cité sainte, c’est l’Eglise . . . que tu ne cesses de construire de pierres vivantes, animées par le Saint-Esprit, unies par la charité, pour en faire la demeure où tu seras tout en tous” («Rituale Consecrationis Ecclesiae»).

Que la présence de Dieu qui est Esprit fasse de ceux qui habiteront cette maison, qui est sa maison, de vrais adorateurs en esprit et en vérité maintenant et pour les siècles à venir! Amen.

Homélies St Jean-Paul II 336