Homélies St Jean-Paul II 30119

30 novembre 1979, Messe à Ephèse

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Maison de la Vierge, Ephèse
Vendredi 30 novembre 1979

1. C’est avec un coeur débordant d’émotion que je prends la parole en cette liturgie solennelle qui nous réunit autour de la table eucharistique pour célébrer, dans la lumière du Christ Rédempteur, la glorieuse mémoire de sa très sainte Mère. L’esprit est comme envahi par la pensée que, précisément en cette ville, l’Église rassemblée en Concile — le troisième Concile oecuménique — reconnut officiellement à la Vierge Marie le titre de « Theotokos « qui lui était déjà donné par le peuple chrétien, mais qui était contesté depuis quelque temps en certains milieux, surtout influencés par Nestorius. La jubilation avec laquelle la population d’Éphèse accueillit, en cette année 431 déjà bien lointaine, les Pères qui sortaient de la salle du Concile où la vraie foi de l’Église avait été réaffirmée, se propagea rapidement dans toutes les parties du monde chrétien et n’a cessé de retentir à travers les générations successives qui, au cours des siècles ont continué à se tourner avec confiance vers Marie comme vers celle qui a donné la vie au Fils de Dieu.

Aujourd’hui, nous aussi, et avec le même élan filial et la même confiance profonde, nous recourons à la Vierge sainte, en saluant en elle la « Mère de Dieu » et en lui confiant les destinées de l’Église, soumise en notre temps à des épreuves particulièrement dures et insidieuses, mais également poussée par l’action de l’Esprit-Saint sur des chemins ouverts aux espérances les plus prometteuses.

2. « Mère de Dieu ». En répétant aujourd’hui cette expression chargée de mystère, nous retournons en esprit au moment ineffable de l’Incarnation et nous affirmons avec toute l’Église que la Vierge devint Mère de Dieu pour avoir engendré selon la chair un Fils qui était personnellement le Verbe de Dieu. Quel abîme de condescendance divine s’ouvre devant nous !

Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi le Verbe a-t-il préféré naître d’une femme (cf.
Ga 4,4), plutôt que de descendre du ciel avec un corps déjà adulte, formé de la main de Dieu (cf. Gn 2,7) ? Est-ce que cela n’aurait pas été plus digne de lui ? Plus adéquat à sa mission de maître et de sauveur de l’humanité ? Nous savons que dans les premiers siècles surtout, beaucoup de chrétiens (les docètes, les gnostiques, etc.) auraient préféré que les choses fussent ainsi. Le Verbe, au contraire, prit l’autre chemin. Pourquoi ?

La réponse nous arrive avec la simplicité transparente et convaincante des oeuvres de Dieu. Le Christ voulait être un véritable rejeton (cf. Is Is 11,1) de la souche qu’il venait sauver. Il voulait que la rédemption jaillisse pour ainsi dire de l’intérieur de l’humanité, comme quelque chose d’elle-même. Le Christ voulait secourir l’homme, non comme un étranger, mais comme un frère, en se faisant en tout semblable à lui excepté le péché (cf. He He 4,15). C’est pourquoi il voulut une mère et la trouva en la personne de Marie. La mission fondamentale de la jeune fille de Nazareth fut donc celle d’être le trait d’union entre le Sauveur et le genre humain.

Cependant, dans l’histoire du salut, l’action de Dieu ne se déroule pas sans faire appel à la collaboration des hommes : Dieu n’impose pas le salut. Il ne l’a pas imposé non plus à Marie. Dans l’événement de l’Annonciation, il se tourne vers elle d’une manière personnelle, sollicite sa volonté et attend une réponse qui jaillisse de sa foi. Les Pères ont très bien approfondi cet aspect, en faisant ressortir que « la bienheureuse Marie, en croyant à Celui qu’elle engendra, le conçut aussi dans un acte de foi « (saint Augustin, Sermo 215, 4 cf. saint Léon, Sermo I in Nativitate, 1 ; etc.). Le récent Concile Vatican II a souligné la même chose, en affirmant que la Vierge « à l’annonce de l’Ange accueillit dans son coeur et dans son corps le Verbe de Dieu » (Const. dogm. Lumen gentium LG 58).

Le « fiat » de l’Annonciation inaugure ainsi la Nouvelle Alliance entre Dieu et la créature : tandis que ce « fiat » incorpore Jésus à notre lignée selon la nature humaine, il incorpore Marie à Jésus selon l’ordre de la grâce. Le lien entre Dieu et l’humanité, rompu par le péché, est maintenant heureusement rétabli.

159 3. Le consentement total et inconditionnel de la « servante du Seigneur » (Lc 1,38) au dessein de Dieu fut donc une adhésion libre et consciente. Marie consentit à devenir la Mère du Messie, venu pour « sauver son peuple de ses péchés » (Mt 1,21 cf. Lc 1,31). Ce ne fut point un simple consentement à la naissance de Jésus, mais bien une acceptation responsable de participer à l’oeuvre de salut qu’il venait réaliser. Les paroles du Magnificat offrent une confirmation très nette de cette conscience lucide : « Il a secouru Israël son serviteur — dit Marie —, se souvenant de sa miséricorde, comme il l’avait promis à nos pères, à Abraham et à sa descendance à jamais. » (Lc 1,54-55)

En prononçant son « fiat », Marie ne devient pas seulement Mère du Christ historique ; son geste la pose comme Mère du Christ total, comme « Mère de l’Église ». « Dès l’instant du « fiat » — remarque saint Anselme — Marie commença à nous porter tous dans son sein » ; c’est pourquoi « la naissance de la Tête est aussi la naissance du Corps », proclame saint Léon-le-Grand. De son côté, saint Éphrem a aussi une très belle expression à ce sujet : Marie, dit-il, est « la terre dans laquelle a été semée l’Église ».

En effet, dès l’instant où la Vierge devient Mère du Verbe incarné, l’Église se trouve constituée de manière secrète, mais parfaite en son germe, dans son essence de corps mystique : sont présents, en effet, le rédempteur et la première des rachetés. Désormais l’incorporation au Christ impliquera un rapport filial non seulement avec le Père céleste, mais aussi avec Marie, la Mère terrestre du Fils de Dieu.

4. Toute mère transmet à ses enfants sa propre ressemblance ; c’est ainsi qu’entre Marie et l’Église il existe un rapport de profonde ressemblance. Marie est la figure idéale, la personnification, l’archétype de l’Église. En elle s’effectue le passage de l’ancien au nouveau Peuple de Dieu, d’Israël à l’Église. Elle est la première parmi les humbles et les pauvres, demeurés fidèles, qui attendent la Rédemption ; elle est encore la première parmi les rachetés, qui, dans l’humilité et l’obéissance, accueillent la venue du Rédempteur. La théologie orientale a beaucoup insisté sur la « katarsis » qui s’effectue en Marie au moment de l’Annonciation ; qu’il suffise de rappeler ici l’émouvant commentaire qu’en fait saint Grégoire Palamas dans l’une de ses homélies : « Tu es déjà sainte et pleine de grâce, ô Vierge, dit l’ange à Marie. Mais l’Esprit-Saint viendra de nouveau en toi, te préparant, par une augmentation de grâce, au mystère divin. » (Homélie sur l’Annonciation : PG )

À juste titre, cependant, dans la liturgie par laquelle l’Église orientale célèbre les louanges de la Vierge, il y a une place de choix pour le cantique que Marie, la soeur de Moïse, chante au passage de la mer Rouge, comme pour signifier que la Vierge a été la première à traverser les eaux du péché, à la tête du nouveau Peuple de Dieu, libéré par le Christ.

Marie est le premier fruit et l’image la plus parfaite de l’Église : « Une part très noble, une part excellente, une part remarquable, une part tout à fait choisie. » (Rupert, In Ap 1, VII, 12.) « Unie à tous les hommes qui ont besoin du salut », proclame encore Vatican II, elle a été rachetée « d’une manière très sublime en considération des mérites de son Fils » (Const. dogm. Lumen gentium LG 53). Aussi Marie demeure-t-elle, aux yeux de tous les croyants, comme la créature toute pure, toute belle, toute sainte, capable « d’être Église » comme aucune autre créature ne le sera jamais ici-bas.

5. Nous aussi, aujourd’hui, nous la contemplons pour apprendre, à partir de son exemple, à construire l’Église. Et pour cela, nous savons qu’il nous faut avant tout progresser sous sa direction dans l’exercice de la foi. Marie a vécu sa foi dans une attitude d’approfondissement continuel et de découverte progressive, en traversant des moments difficiles de ténèbres, à commencer par les premiers jours de sa maternité (cf. Mt Mt 1,18 et ss.) : moments qu’elle a surmontés grâce à une attitude responsable d’écoute et d’obéissance à l’égard de la Parole de Dieu. Nous aussi, nous devons nous efforcer d’approfondir et de consolider notre foi par l’écoute, l’accueil, la proclamation, la vénération de la Parole de Dieu, par l’examen attentif des signes des temps à sa lumière, par l’interprétation et l’accomplissement des événements de l’histoire (cf. Paul VI, Exh. ap. Marialis cultus, n. 17).

Marie se présente à nous comme un exemple d’espérance courageuse et de charité active : elle a cheminé dans l’espérance avec une docile promptitude, en passant de l’espérance juive à l’espérance chrétienne, et elle a vécu la charité, en accueillant en elle-même toutes ses exigences jusqu’au don le plus total et au sacrifice le plus grand. Fidèles à son exemple, nous devons nous aussi demeurer fermes dans l’espérance, même lorsque des nuages chargés d’orages s’amoncellent sur l’Église, qui avance comme un navire au milieu des flots, souvent défavorables, des événements de ce monde ; nous devons nous aussi croître dans la charité, en développant l’humilité, la pauvreté, la disponibilité, la capacité d’écoute et d’attention, en adhérant à ce qu’elle nous a enseigné par le témoignage de toute sa vie.

6. Il y a une chose, en particulier, dont nous voulons aujourd’hui prendre l’engagement aux pieds de celle qui est notre Mère commune : à savoir l’engagement de faire avancer, avec toute notre énergie et dans une attitude d’entière disponibilité aux inspirations de l’Esprit, la route qui conduit à la parfaite unité de tous les chrétiens. Sous son regard maternel, nous sommes prêts à reconnaître nos torts réciproques, nos égoïsmes et nos lenteurs : elle a engendré un Fils unique, malheureusement nous le lui présentons divisé. C’est là un fait qui provoque en nous un malaise et une souffrance ; un malaise et une souffrance auxquels mon vénéré prédécesseur le Pape Paul VI faisait allusion dès le début du Bref qui abrogeait l’excommunication prononcée, il y a fort longtemps, contre le siège de Constantinople : « Marchez dans la charité à l’exemple du Christ (Ep 5,2), ces paroles d’exhortation de l’apôtre des gentils nous concernent, nous qui sommes appelés chrétiens du nom de notre Sauveur, et elles nous pressent, surtout en ce temps qui nous engage plus fortement à élargir le champ de la charité. » (7 décembre 1965.)

Un long parcours a été accompli depuis ce jour ; mais d’autres pas restent à faire. Nous confions à Marie notre résolution sincère de ne point demeurer tranquilles tant que le terme du chemin ne sera pas atteint. Il nous semble entendre de ses lèvres les paroles de l’apôtre : « Que parmi vous, il n’y ait ni discordes, ni jalousies, ni emportements, ni désordres. » (2Co 12,20) Accueillons à coeur ouvert cette monition maternelle et demandons a Marie d’être près de nous pour nous guider, d’une main douce et ferme, sur les chemins de la compréhension fraternelle totale et durable. Ainsi s’accomplira le voeu suprême, exprimé par son Fils alors qu’il était sur le point de verser son sang pour notre rachat : « Que tous soient un ! Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ! » (Jn 17,21)






8 décembre 1979, PRIÈRE DU PAPE À L’IMMACULÉE, PLACE D’ESPAGNE

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AVE !



Aujourd’hui nous venons Te saluer, Marie, qui as été élue pour être Mère du Verbe éternel.

Nous venons en ce lieu, conduits par une tradition particulière, et nous Te disons : Ave ! tu es bénie, ô pleine de grâce (Ave Maria gratia plena).

Nous empruntons les paroles prononcées par Gabriel, Messager de la Sainte Trinité.

Nous nous servons de ces paroles, prononcées par toutes les générations du Peuple de Dieu qui, depuis bientôt deux mille ans, accomplit son pèlerinage sur cette terre. Nous nous servons de ces paroles dictées par nos coeurs : « Ave Maria, gratia plena » : pleine de Grâce. Nous venons aujourd’hui, le jour où l’Église, avec la plus grande vénération, rappelle la plénitude de cette Grâce, dont Dieu T’a comblée dès le premier moment de Ta conception.

Elles nous remplissent de joie, les paroles de l’Apôtre : « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (
Rm 5,20).

Nous sommes heureux de cette particulière abondance de la grâce divine en Toi, qui portes le nom d’« Immaculée Conception ».

Nous venons aujourd’hui en ce lieu, surtout nous Romains, habitants de cette ville que la Providence divine a choisie pour être le siège de Pierre et de ses successeurs. Nous venons nombreux depuis que Pie XII commença ce geste de filial hommage, quatre-vingts ans après que Pie XI eût béni ce monument à l’Immaculée. Nous venons tous ; même si nous ne sommes pas tous présents physiquement, nous le sommes cependant par l’esprit Anciens et jeunes, parents et enfants, en bonne santé et malades, représentants des divers milieux et professions, prêtres, religieux et religieuses, autorités civiles de la ville de Rome, nous considérons tous comme un privilège spécial le fait d’être ici aujourd’hui avec l’évêque de Rome, près de cette Colonne pour T’entourer, Mère, de notre vénération et de notre amour.

Accueille-nous, ainsi, comme nous sommes, là près de Toi, dans cette rencontre annuelle !

Accueille-nous ! Regarde dans nos coeurs ! Accueille nos sollicitudes et nos espérances !

Aide-nous, Toi, pleine de Grâce, à vivre dans la Grâce, à persévérer dans la Grâce et, s’il était nécessaire, à retourner à la Grâce du Dieu vivant, qui est le plus grand et surnaturel bien de l’homme.

Prépare-nous à la Venue de Ton Fils !

Reçois-nous ! avec nos problèmes quotidiens, nos faiblesses et déficiences, nos crises et nos fautes personnelles, familiales et sociales.

Ne permets pas que nous perdions la bonne volonté ! Ne permets pas que nous perdions la sincérité de la conscience et l’honnêteté de la conduite !

Par ta prière, obtiens-nous la justice. Sauve la paix dans le monde entier !

Sous peu nous nous éloignerons de ce lieu. Nous désirons cependant retourner chez nous avec, cette joyeuse certitude que tu es avec nous, Toi, Immaculée, Toi, choisie depuis les siècles pour être la Mère du Rédempteur. Tu es avec nous. Tu es avec Rome, Tu es avec l’Église et avec le monde. Amen.






8 décembre 1979, Messe en la Basilique Sainte-Marie-Majeure en la solennité de l'immaculée conception de la vierge Marie

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MARIE, MÈRE DE NOTRE AVENT



Le Saint-Père a conclu les cérémonies en l’honneur de l’Immaculée Conception à Rome en présidant le 8 décembre, en la basilique Sainte-Marie-Majeure, une concélébration eucharistique au cours de laquelle il a prononcé l’homélie suivante :



1. « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles,... dans le Christ C’est ainsi qu’il nous a choisis, dès avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence » (
Ep 1,3-4).

Dans ce passage de son Épître aux Ephésiens, saint Paul trace l’image de l’Avent. Et il s’agit de cet Avent éternel qui trouve son origine en Dieu lui-même « dès avant la création du monde » car déjà la « création du monde » fut le premier pas de la Venue de Dieu à l’homme, le premier acte de l’Avent. En effet tout le monde visible a été créé pour l’homme comme l’atteste le livre de la Genèse. Le début de l’Avent en Dieu est son éternel projet de création du monde et de l’homme, un projet né de l’amour. Cet amour est manifesté par l’éternel choix de l’homme en le Christ, Verbe incarné. « ... Il nous a élu en lui, dès avant la création pour être saints et immaculés en sa présence. »

Marie est présente dans cet éternel Avent. Parmi tous les hommes que le Père a élu dans le Christ, Marie l’a été de manière toute particulière et exceptionnelle parce qu’elle a été élue dans le Christ pour être la Mère du Christ. Et ainsi, mieux que n’importe lequel parmi les hommes « prédestinés par le Père » à la dignité de « fils et filles adoptifs de Dieu » Marie a été prédestinée de manière tout à fait spéciale « à la louange de gloire de sa grâce » dont le Père « nous a gratifiés dans son Fils bien-aimé » (cf. Ep 1,6).

La gloire sublime de sa grâce toute spéciale devait être sa divine maternité : Mère du Verbe éternel ! Dans le Christ, elle a reçu également la grâce de l’Immaculée Conception. De cette manière, Marie est insérée dans ce premier Avent éternel de la Parole, prédisposé par l’amour du Père pour la création et pour l’homme.



2. Le deuxième Avent à un caractère historique. II s’accomplit dans le temps entre la chute du premier homme et la Venue du Rédempteur. La liturgie d’aujourd’hui nous parle également de cet Avent et nous montre comment Marie y est insérée dès les origines. En effet, quand s’est manifesté le premier péché, avec la honte inattendue de nos premiers parents, alors également Dieu révéla pour la première fois le Rédempteur du monde, annonçant aussi sa Mère. Il l’a fait en disant lés paroles dans lesquelles la tradition voit « le proto Évangile » c’est-à-dire comme l’embryon et la « pré-annonce » de l’Évangile lui-même, de la Bonne Nouvelle.

Voici ces paroles : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race : celle-ci t’écrasera la tête, et, toi, tu la viseras au talon » (Gn 3,15).

Ce sont des paroles mystérieuses. Tout archaïques qu’elles soient, elles révèlent le futur de l’humanité et de l’Eglise. Ce futur est vu dans la perspective d’une lutte entre l’Esprit des Ténèbres, celui qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44) et le Fils de la Femme qui doit venir parmi les hommes comme « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6).

C’est ainsi que dès les origines Marie est présente dans ce deuxième Avent historique. Elle a été promise, en même temps que son Fils, Rédempteur du Monde. Et attendue également avec lui. Le Messie-Emmanuel (« Dieu avec nous ») est attendu comme Fils de la Femme, Fils de l’Immaculée.



3. La venue du Christ ne constitue pas seulement l’accomplissement du deuxième Avent : elle constitue également, en même temps, la révélation du troisième Avent, de l’Avent définitif. Par l’ange Gabriel que Dieu lui avait envoyé à Nazareth, Marie entendit les paroles suivantes :

« Voici que tu concevras, et enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et on l’appellera Fils du Très-Haut... ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura jamais de fin » (Lc 1,31-33).

Marie est le commencement du troisième Avent parce qu’elle a mis au monde celui qui réalisera ce choix éternel dont il nous a été donné lecture dans l’épître aux Ephésiens. En le réalisant, il en fera le fait culminant de l’histoire de l’humanité. Il lui donnera la forme concrète de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la Parole et des Sacrements. Et ainsi ce choix éternel pénétrera la vie des âmes humaines et la vie de cette communauté particulière qui se nomme l’Église.

L’histoire de la famille humaine et l’histoire de chaque homme mûriront par l’opération de Jésus-Christ, à la mesure des fils et des filles d’adoption. « C’est en lui encore que nous sommes devenus les héritiers désignés d’avance selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté » (Ep 1,11).

Marie est l’origine de ce troisième Avent, et elle s’y maintient en permanence, toujours présente (comme l’a si merveilleusement exprimé le Concile Vatican II au huitième chapitre de la Constitution sur l’Église Lumen Gentium ). De même que le deuxième Avent nous rapproche de Celle dont le Fils devait « écraser la tête du serpent », ainsi le troisième Avent nous éloigne d’Elle tout en nous permettant de demeurer sans cesse en présence du Fils, tout proches d’elle. Cet Avent n’est autre que l’attente de l’accomplissement définitif des temps : il est simultanément le temps de la lutte et des contrastes, poursuivant ainsi la prévision originelle : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme... » (Gn 3,15).

La différence consiste dans le fait que nous connaissons déjà le nom de la Femme. Elle est l’Immaculée Conception. On la connaît pour sa virginité et pour sa maternité. Elle est la Mère du Christ et de l’Église, Mère de Dieu et des hommes : Marie de notre Avent.



4. Durant ma rencontre avec les cardinaux au début du mois de novembre dernier, il a été exprimé le désir de confier à la Mère de Dieu le Sacré Collège et toute l’Église, les mettant sous sa protection.

J’accueille bien volontiers le voeu qui a été manifesté, interprétant les sentiments communs. Je ressens moi-même profondément le besoin de satisfaire à l’invitation implicite exprimée dès les origines par le Proto-Évangile lui-même : « J’établirai une inimitié entre toi et la Femme ». En cette difficile époque qu’est la nôtre, ne sommes-nous pas témoins de cette « inimitié » ? Que pouvons-nous faire, que pouvons-nous désirer sinon tout ce qui nous unit plus et mieux au Christ, au Fils de la Femme ?

L’Immaculée est la Mère du Fils dé l’Homme. Ô Mère de notre Avent, sois avec nous et fais qu’il demeure avec nous en ce difficile Avent de luttes pour la vérité et pour l’espérance, pour là justice et pour la paix : Lui seul, l’Emmanuel !







24 décembre 1979, Messe de Minuit

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1. Voici de nouveau arrivée l’heure de ce merveilleux avènement : « Alors... le temps où Marie devait enfanter se trouva révolu. Elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire » (
Lc 2,6-7). Et nous nous demandons : est-ce un événement habituel ou insolite ? Il y a tant d’enfants qui naissent sur la terre en vingt-quatre heures, tandis qu’il fait jour dans une partie du monde et nuit dans l’autre ! Certes, chacun de ces moments a quelque chose d’insolite, quelque chose d’unique, pour un père et surtout pour une mère, particulièrement lorsqu’il s’agit du premier enfant, du fils premier-né.

Ce moment est toujours une grande chose. Et cependant, étant donné qu’il s’accomplit toujours en quelque endroit du monde, à toute heure du jour et de la nuit, la naissance de l’homme, du point de vue statistique, est aussi quelque chose de commun et de normal.

La naissance du Christ semble entrer elle aussi dans cette dimension statistique, d’autant plus que le récit de saint Luc y joint la mention d’un recensement qui eut lieu dans tous les pays gouvernés par l’empereur romain César Auguste ; et l’Évangéliste précise que dans le pays où Marie et Joseph habitaient, l’ordre de recensement fut donné par le gouverneur de Syrie, Quirinus.

Chaque année, nous faisons mémoire de cet événement, comme aujourd’hui, en nous réunissant à minuit dans cette basilique. S’il y a quelque chose d’inaccoutumé dans cet événement, cela vient peut-être du fait qu’il ne s’est pas accompli dans les conditions humaines habituelles, sous le toit d’une maison, mais bien dans une étable qui n’abrité ordinairement que des animaux. Le premier berceau du Nouveau-né, en effet, est une mangeoire.

Cette nuit nous sommes réunis dans cette splendide basilique de la Renaissance, pour tenir compagnie à l’enfant d’une pauvre femme, né dans une étable et déposé dans une mangeoire.



2. Personne, certainement, parmi les habitants ou les nouveaux venus qui étaient alors à Bethléem, ne pouvait penser qu’à ce moment même et dans cette étable se réalisaient les paroles du grand prophète, souvent relues et continuellement méditées par les fils d’Israël.

Isaïe avait écrit en effet des paroles qui exprimaient une grande attente et une inflexible espérance :

« Tu as multiplié leur allégresse, / tu as fait éclater leur joie ; / ils se réjouissent devant toi / comme on se réjouit à la moisson... / Car un enfant nous est né, / un fils nous a été donné, / il a reçu l’empire sur les épaules... / Étendu est l’empire dans une paix infinie, / pour le trône de David et sa royauté, / qu’il établit, et qu’il affermit / dans le droit et la justice / dès maintenant et pour toujours » (9, 2, 5-6).

Personne, parmi ceux qui étaient présents à Bethléem, ne pouvait penser que les paroles du grand prophète se réaliseraient précisément cette nuit-là, ni que cela s’accomplirait dans une étable, où sont habituellement les animaux, « parce qu’il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie » (Lc 2,7).



3. Il y a cependant un passage, un point des paroles d’Isaïe qui semble déjà se réaliser à la lettre au cours de cette nuit. Isaïe avait écrit :

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres / a vu une grande lumière ; / sur les habitants du sombre pays / une lumière a resplendi » (9, 1).

Or, en ce moment, tout Bethléem et toute la terre de l’homme sont un « sombre pays » dont les habitants sont endormis. Mais hors de la ville — comme nous le lisons dans l’Évangile de Luc —, « il y avait dans la contrée des bergers qui vivaient aux champs et qui la nuit, veillaient tour à tour à la garde de leur troupeau » (2, 8). Les bergers sont fils de ce peuple « qui marche dans les ténèbres » et ils sont en même temps ses représentants choisis pour ce moment ; choisis « pour voir la grande lumière ». C’est exactement ce que saint Luc écrit des bergers de Bethléem :

« L’Ange du Seigneur leur apparut et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté, et ils furent saisis d’une grande frayeur » (2, 9).

Du plus profond de cette lumière qui leur vient de Dieu, et dans la profondeur de cette crainte qui est la réponse des coeurs simples à la lumière divine, leur parvient cette parole :

« Rassurez-vous, car voici que je vous annonce une grande joie... Aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2,10-11).

Ces paroles durent produire une grande joie dans le coeur de ces hommes simples, formés et nourris comme tout le peuple d’Israël par une grande promesse, dans la tradition de l’attente du Messie. Et le messager dit avec justesse que cette joie « sera celle de tout le peuple » (Lc 2,10), c’est-à-dire précisément de ce peuple de Dieu, qui « marchait dans les ténèbres », mais qui ne se lassait pas de la promesse.



4. Il était nécessaire, cette nuit-là, qu’un messager porte la « grande lumière » de la prophétie d’Isaïe à l’étable et à la mangeoire de Bethléem. Cette lumière, cette « apparition de la gloire » (Tt 2,13) — comme l’écrit saint Paul — étaient nécessaires pour qu’on puisse bien lire le signe. « Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (Lc 2,12). Et les bergers de Bethléem, hommes simples et illettrés, ont vraiment bien lu le signe. Ils furent les premiers de tous ceux qui l’ont lu par la suite et qui le relisent encore maintenant. Ils furent les premiers témoins du mystère. Nous qui, cette nuit, remplissons la basilique Saint-Pierre, et tous ceux qui partout assistent à une messe de minuit nous devenons participants de leur témoignage. Ce n’est pas sans raison que cette messe de minuit est appelée dans certaines régions « la messe des bergers ».



5. Rappelons-nous que cette nuit est celle du mystère, même si on peut trouver d’autres interprétations de l’événement dans lequel s’est manifestée « l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur » (Tt 2,13), par la naissance de l’enfant, quand il naquit de la Vierge, et quand, la nuit de sa naissance, il n’eut même pas le toit d’une maison au-dessus de sa tête, mais seulement une étable et une mangeoire !

Puisque nous sommes réunis ici pour participer au témoignage que les bergers de Bethléem ont rendu les premiers à ce mystère, cherchons à réfléchir sur celui-ci.

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2,14).

Ces paroles viennent de la lumière même qui brilla, en cette nuit-là, dans le coeur d’hommes de bonne volonté.

Dieu met sa complaisance dans les hommes !

Cette nuit est un témoignage particulier de la complaisance divine pour l’homme. Dieu ne l’a-t-il pas créé à son image et à sa ressemblance ? Les images et les ressemblances sont créées pour y voir le reflet de soi-même. C’est pourquoi on les regarde avec complaisance.

Dieu aurait-il pu ne pas se complaire en l’homme puisque, après l’avoir créé, il vît que « cela était très bon » (Gn 1,31) ?

Et voici qu’à Bethléem nous sommes au sommet de cette complaisance. Ce qui s’est produit alors, est-il possible de l’exprimer autrement ?

Est-il possible de comprendre d’une autre manière le mystère par lequel le Verbe s’est fait chair, le Fils de Dieu assume la nature humaine et naît, Enfant, du sein de la Vierge ? Est-il possible de relire ce signe d’une autre manière ?



6. C’est pour cela que, au milieu de la nuit de Noël, peuples et nations entonnent un grand cantique. Il part chaque année de l’étable même de Bethléem. Il est chanté par des hommes de tant de terres et de si nombreuses races. C’est le grand cantique de la joie, et qui résonne, et qui prend tant de formes. On le chante en Italie, on le chante en Pologne, on le chante dans toutes les langues et dans tous les dialectes, dans tous les pays et dans tous les continents.

Dieu a manifesté sa complaisance en l’homme !

Dieu se complaît en l’homme !

Les hommes alors se réveillent ; l’homme s’éveille, « berger de son propre destin » (Heidegger).

Que de fois l’homme est écrasé par ce destin. Que de fois il en est prisonnier. Que de fois il meurt de faim, il est proche du désespoir, il est menacé dans la conscience qu’il a du sens de son humanité. Que de fois, malgré toutes les apparences qu’il se crée, l’homme est loin de trouver son bonheur en lui-même !

Mais, aujourd’hui il s’éveille et il entend cette annonce :

Dieu naît dans l’histoire humaine !

Dieu se complaît dans l’homme.

Dieu est devenu homme.

Dieu se complaît en toi !

Amen.






31 décembre 1979, Te Deum

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DANS LE MESSAGE DE NOËL LA  MANIFESTATION DE L’ESPÉRANCE
Renouvelant une antique tradition, le Saint-Père s’est rendu le 31 décembre dernier en l’église du Gesù pour le Te Deum traditionnel de fin d’année.

Au cours de la célébration de l’Eucharistie le pape a prononcé l’homélie suivante :



1. « Petits-enfants, voici venue la dernière heure... » : c’est par ces mots que commence la première lecture de la liturgie d’aujourd’hui, extraite de l’épître de l’Apôtre saint Jean (
1Jn 2,18). Cette lecture est prévue pour le 31 décembre, septième jour de l’octave de Noël. Comme ils sont actuels ces mots !

Et comme efficacement nous percevons leur éloquence, nous qui nous trouvons réunis ici, en, l’église romaine du Gesù, au moment où sonnent les dernières heures de cette année qui va finir. Chaque heure du temps humain est en un certain sens la dernière, parce qu’elle est toujours unique et ne peut être répétée. Chaque heure, quelque parcelle de notre vie passe, une parcelle qui ne reviendra plus. Et, même si l’on ne s’en rend pas toujours compte, cette, parcelle nous projette vers l’éternité.

Il se peut que les dernières heures de ce jour — quand l’Année du Seigneur 1979 et, avec elle, la huitième décennie de notre siècle touchent à leur fin — nous en parlent mieux que n’importe quelle autre même heure. C’est pourquoi nous éprouvons d’autant plus le besoin de nous trouver, dans ces dernières heures de l’année, devant Nôtre-Seigneur, devant Dieu qui, par son éternité, embrasse et absorbe notre temps humain ; le besoin de nous trouver en sa présence, de lui parler avec tout ce que notre existence contient de plus profond. Ce sont les moments qui s’adaptent le mieux à une profonde méditation sur nous-mêmes et sur le monde ; les moments voulus pour « faire les comptes » avec soi-même et avec la génération à laquelle nous appartenons. C’est le moment propice pour une prière afin d’obtenir le pardon, d’une prière de reconnaissance et de supplication.



2. « Le Verbe était dans le monde » (cf. Jn 1,10). C’est précisément maintenant qu’est revenue l’époque où l’Église devient plus particulièrement consciente de la vérité qu’expriment ces paroles de l’Évangile de saint Jean. Le Verbe était dans le monde — ce Verbe qui « au commencement était avec Dieu » et « tout fut fait par lui et sans lui rien ne fut fait de tout ce qui existe » (cf. Jn 1,1-3). Ce « Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous » (Jn 1,14). Il est venu demeurer parmi nous, même si « les siens ne l’ont pas reçu » (1, 11).

Le calcul des années dont nous nous servons nous indique que mil neuf cent soixante dix-neuf années se sont écoulées depuis qu’eurent lieu ces événements. Le temps témoigne non seulement du passage du monde et du passage de l’homme dans le monde ; il rend témoignage également à la naissance du Verbe éternel, né de la Vierge Marie, à la naissance qui, comme la naissance de tout homme, est déterminée par l’année, le jour, l’heure.

Toutefois en ce moment, durant cette rencontre, notre attention est attirée avant tout sur la phrase suivante de l’Évangile de saint Jean : « Oui, de sa plénitude nous avons tout reçu et grâce pour grâce » (Jn l, 16). N’y a-t-il pas là également une clé pour comprendre l’année qui va finir ? Ne faut-il pas penser a elle dans la perspective de chaque grâce que nous avons reçue de la plénitude de Jésus-Christ, Dieu et Homme ? Ne sommes-nous pas réunis ici pour remercier de chacune de ces grâces et, simultanément, de toutes ensemble ?

Certainement oui.

La grâce est une réalité intérieure. Elle est une pulsation mystérieuse de la Vie divine dans l’âme humaine. Elle est un rythme intérieur de l’intimité de Dieu avec nous, et, de ce fait, également de notre intimité avec Dieu. Elle est la source de tout vrai bien dans notre vie. Elle est le fondement du bien qui ne passe pas. Par la grâce nous vivons déjà en Dieu, dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, bien que notre vie se déroule toujours dans ce monde. Elle donne une valeur surnaturelle à chaque vie, bien qu’humainement et selon les critères de la temporalité, cette vie soit très pauvre, peu voyante et difficile.

Il faut donc remercier aujourd’hui pour chacune des grâces que Dieu a communiquée à n’importe quel homme : non seulement à chacun de nous ici présents, mais à chacun de nos frères et soeurs partout sur la terre.

De cette manière notre hymne de reconnaissance lié au dernier jour de l’année qui va finir deviendra comme une grande synthèse. Dans cette synthèse toute l’Église sera présente car elle est, comme nous l’enseigne le Concile, un sacrement du salut humain (cf. Const. dogm. Lumen Gentium, LG 1,1). Le Christ « de la plénitude de qui nous avons tout reçu » est « le Christ de l’Église » ; et l’Église est ce Corps mystique que revêt constamment le Verbe éternel né dans le temps de la Vierge Marie.

Orientant nos coeurs vers ce mystère, la liturgie d’aujourd’hui devient la source de notre plus sincère prière de remerciement.



3. Toutefois cette même liturgie nous rappelle également l’existence du mal dans l’histoire de l’homme et de l’humanité. Et si tout bien modèle cette histoire sous la formé du Corps du Christ, le mal, au contraire, comme contradiction du bien, assume dans le langage de l’Apôtre Jean le nom d’« antéchrist ». C’est en ce sens qu’il écrit dans son épître : « ... déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus ; à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là » (1Jn 2,18).

Alors cette dernière heure de l’année ne peut passer sans une réflexion sur le thème du mal, sur le thème du péché, auquel chacun sent qu’il prend part du fait que lui en parle sa propre conscience.

La dernière heure se rattache de manière particulière à la perspective du jugement qui résonne dans la voix de la conscience humaine et en même temps à la perspective du jugement de Dieu, du Seigneur qui vient juger la terre comme l’annonce le psaume, de la liturgie d’aujourd’hui (cf. Ps 95/96, 13). Il poursuit : « Il jugera le monde avec justice et avec vérité toutes, les nations » (ibid.).

La réflexion même sur le mal, dont la dernière heure de l’année nous offre l’occasion, nous demande d’aller en un certain sens au-delà des limites de notre conscience et de la responsabilité morale personnelle. Le mal qui existe dans le monde, qui nous entoure et qui menace l’homme, les nations, l’humanité semble bien plus grand que le mal dont chacun de nous se sent responsable. C’est comme s’il grandissait selon sa propre dynamique immanente et dépassait les intentions de l’homme; comme s’il sortait de nous mais n’était pas nous pour utiliser encore une fois les paroles de l’Apôtre.

Notre, vie ne nous manifeste-t-elle pas de semblables dimensions du mal ? Cette année ne nous a-t-elle pas démontré que sa menace a pris de telles proportions qu’on finit par se demander si elle est encore à la mesure de l’homme, à la mesure de sa volonté et de sa conscience ?

Et, à part le reste, que dire de toutes les manifestations de haine et de cruauté qui se cachent sous le nom de terrorisme international ? ou sous la forme du terrorisme dont l’Italie est victime ?

Et que dire des gigantesques et menaçants arsenaux militaires qui, spécialement durant la dernière période de l’année, ont attiré l’attention du monde entier, et en particulier de l’Europe, d’Orient en Occident ?

On aurait envie de dire comme l’Apôtre que ce mal qui se profile sur l’horizon « est sorti de nous, mais il n’était pas de nous », il n’est pas de nous. Et justement. Dans l’histoire de l’homme ce n’est pas seulement le Christ qui opère, mais aussi l’antéchrist. Il est pourtant nécessaire, certes, et d’autant plus nécessaire que l’homme, tout homme qui se sent de quelque manière responsable de ces menaces surhumaines qui pèsent sur l’humanité se soumette au jugement de sa propre conscience, se soumette au jugement de Dieu.



4. Dans le monde était le Verbe...

De tout être il était la vie / et la vie était la lumière des hommes ; / et la lumière luit dans les ténèbres / et les ténèbres n’ont pu l’atteindre. (Jn 1,4-5).

Nous terminons ainsi notre méditation à l’occasion de la fin de l’année par une affirmation de l’Évangile de saint Jean. Elle contient le message de Noël ; elle contient la Manifestation de l’espérance, la voix de l’optimisme Chrétien.

Le Verbe est dans le monde. La lumière resplendit dans les ténèbres. Il faut seulement que nous tendions l’oreille à ce Verbe. Il faut se rapprocher de cette lumière. Il faut que nous nous pressions autour du Christ, que nous adhérions à lui de toute notre âme, en toute notre vie.

Alors nous pouvons marcher avec confiance vers n’importe quelle époque, quelle que soit sa physionomie. « La grâce et la miséricorde nous sont venues par Jésus-Christ » (Jn 1,17) et elles ne cessent d’être la source du triomphe de l’homme sur le mal. Et même en cette époque la quantité de faits — de faits concrets — qui le démontrent ne fait qu’augmenter. Des faits qui parfois nous étonnent par leur éloquence. Chaque année prend fin dans la splendeur de l’octave de Noël et dans cette splendeur commence chaque armée.

Ceci est un signe évident de l’immuable présence de la grâce et de la vérité dans notre temps humain.




Homélies St Jean-Paul II 30119