Homélies St Jean-Paul II 40580

4 mai 1980, Ordination épiscopale de 8 nouveaux évêques, Zaïre

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Kinshasa (Zaïre)
Dimanche 4 mai 1980



Chers Frères dans le Christ,

En ce jour de grande joie, en cette circonstance solennelle, je m’adresse d’abord à vous qui allez recevoir la grâce de l’épiscopat: « Je ne vous appelle plus serviteurs..., je vous ai appelés amis » [1]. Voilà ce que dit le Christ aux Apôtres, voilà ce qu’il vous dit.

1. Depuis longtemps déjà, vous êtes associés intimement à la vie du Christ. Votre foi s’est développée sur ce sol africain, dans votre famille ou dans votre communauté chrétienne, et elle a produit ses fruits. Vous avez ensuite suivi le Christ qui vous faisait signe de vous consacrer entièrement à sa mission. Vous avez reçu le sacerdoce ministériel des prêtres pour être les dispensateurs des mystères de Dieu. Vous vous êtes efforcés de l’exercer avec sagesse et courage.

Et voilà que vous avez été choisis pour « paître le troupeau dont l’Esprit Saint vous a institués gardiens », comme dit saint Paul aux anciens d’Ephèse, évêques pour le présider au nom et en place de Dieu, et marcher à sa tête. Vous recevez, comme disait encore saint Ignace d’Antioche, « le ministère de la communauté ». Pour cela, comme les Apôtres, vous êtes enrichis par le Christ d’une effusion spéciale de l’Esprit Saint qui rendra fécond votre ministère ; vous êtes investis de la plénitude du sacerdoce, sacrement qui imprime en vous son caractère sacré; ainsi, d’une façon éminente et visible, vous tiendrez la place du Christ lui-même, Docteur, Prêtre et Pasteur [2]. Rendez grâce au Seigneur! Et chantez: alleluia!

C’est une grande joie et un honneur pour les communautés où vous avez vos racines ou qui vous reçoivent comme pasteurs, pour le Zaïre, le Burundi, le Soudan, Djibouti, et aussi pour les communautés religieuses qui vous ont formés. Vous avez été « pris parmi les hommes et établis pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu » [3]. Quand de jeunes Églises voient leurs fils assumer l’oeuvre d’évangélisation et devenir les évêques de leurs frères, c’est un signe particulièrement éloquent de la maturité et de l’autonomie de ces Églises! En ce jour, gardons-nous d’oublier aussi les mérites de tous les pionniers qui ont préparé de loin ou de près ces nouveaux responsables, et en particulier les prêtres et les évêques missionnaires. Pour eux aussi, rendons grâce au Seigneur!

2. C’est le Christ ressuscité, glorifié par la main de Dieu et mis par son Père en possession de l’Esprit Saint promis [4], ce Christ que nous contemplons avec une allégresse particulière en ce temps pascal, c’est lui qui agit par notre ministère. Car c’est lui le Principe, c’est lui la Tête du Corps qui est l’Église [5]. Dans l’Esprit Saint, le Christ poursuit son oeuvre par ceux qu’il a établis pasteurs et qui ne cessent de transmettre ce don spirituel par l’imposition des mains. Ils sont « les sarments par lesquels se transmet la semence apostolique » [6]. Ainsi la ligne de l’épiscopat se continue sans interruption depuis les origines. Vous entrez donc dans le collège épiscopal qui succède au collège des Apôtres. Vous travaillerez à côté de vos aînés, avec vos aînés: plus de cinquante Zaïrois ont déjà été agrégés au corps épiscopal depuis la première ordination épiscopale en 1956, et les autres pays ici représentés connaissent une situation semblable. Vous travaillerez en communion avec vos frères répandus dans l’univers entier, et qui ne forment qu’un tout dans le Christ, unis autour de l’évêque de Rome, successeur de Pierre. Vous serez d’autant plus attachés à cette communion indispensable que vous êtes ordonnés par celui auquel l’Esprit Saint a confié, comme à Pierre, la charge de présider à l’unité. Oui, rendez grâce au Seigneur! Et chantez: alleluia!

3. Vous recevez une grande grâce pour exercer une charge pastorale exigeante. Vous en connaissez les trois aspects qu’on désigne habituellement par « le magistère doctrinal, le sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement » [7]. La constitution conciliaire « Lumen Gentium » (nn.
LG 18-27) et le décret « Christus Dominus » (nn. CD 11-19) demeurent la charte de votre ministère qu’il vous faudra souvent méditer.

Vous êtes d’abord responsables de la prédication de l’Évangile dont le livre va être imposé sur votre tête durant la prière consécrateur, puis remis entre vos mains. Ici, en Afrique, on demande d’abord aux hommes d’Église: donnez-nous la Parole de Dieu. Oui, c’est une chose merveilleuse de voir la soif de vos compatriotes pour l’Évangile: ils savent, ils pressentent que c’est un message de vie. Pour cela, vous ne serez pas seuls. Vos prêtres, vos diacres, vos religieux et religieuses, vos catéchistes, vos laïcs sont aussi des évangélisateurs très méritants, quotidiens, tenaces, tout proches du peuple, et parfois même des pionniers, dans les endroits ou dans les milieux où l’Évangile n’a pas encore pleinement pénétré. Votre rôle sera de soutenir leur zèle, d’harmoniser leur apostolat, de veiller à ce que l’annonce, la prédication et la catéchèse soient fidèles au sens authentique de l’Évangile et à toute la doctrine, dogmatique et éthique, que l’Église a explicitée au cours de ses vingt siècles à partir de l’Évangile. Il vous faudra chercher en même temps à ce que ce message atteigne vraiment les coeurs et transforme les conduites, en empruntant le langage qui convient à vos fidèles africains. Comme la liturgie va vous le dire: à temps et à contre-temps, « prêchez vous mêmes la parole de Dieu avec une grande patience et le souci d’instruire ». Vous êtes au premier chef les témoins de la vérité divine et catholique.

Vous recevez la charge de sanctifier le peuple de Dieu. En ce sens, vous êtes pères et vous transmettez la vie du Christ par les sacrements, que vous célébrez, ou dont vous confiez à vos prêtres la dispensation régulière, digne et féconde. Vous aurez à coeur de préparer vos fidèles à ces sacrements, et de les encourager à en vivre dans la persévérance. Votre prière ne cessera d’accompagner votre peuple sur les chemins de la sainteté. Vous contribuerez à préparer, avec la grâce du Seigneur, une Église sans tache ni ride, qui annonce la Jérusalem nouvelle, dont nous parle l’Apocalypse, « la fiancée parée pour son Époux » [8].

4. Enfin, vous recevez le gouvernement pastoral d’un diocèse, où vous y participez comme évêque auxiliaire. Le Christ vous donne autorité pour exhorter, pour répartir les ministères et les services, au gré des besoins et des capacités, pour veiller à leur accomplissement, reprendre au besoin avec miséricorde ceux qui s’en écartent, veiller sur tout le troupeau et le défendre, comme disait saint Paul [9], susciter un esprit toujours plus missionnaire. Cherchez en tout la communion et l’édification du Corps du Christ. Vous portez à bon droit sur la tête l’emblème du chef et en main la crosse du pasteur. Souvenez-vous que votre autorité, selon Jésus, est celle du Bon Pasteur, qui connaît ses brebis et est très attentif à chacune; celle du Père qui s’impose par son esprit d’amour et de dévouement; celle de l’intendant, prêt à rendre compte à son Maître; celle du « ministre », qui est au milieu des siens « comme celui qui sert » et est prêt à donner sa vie. L’Église a toujours recommandé au chef de la communauté chrétienne le souci particulier des pauvres, des faibles, de ceux qui souffrent, des marginaux de toute sorte. Elle vous demande d’accorder un soutien spécial à vos compagnons de service que sont les prêtres et les diacres: ils sont pour vous des frères, des fils, des amis [10].

L’administration rigoureuse qui vous est confiée requiert de vous, avec l’autorité, la prudence et la sagesse des « anciens »; l’esprit d’équité et de paix; la fidélité à l’Église dont votre anneau est le symbole; une pureté exemplaire de doctrine et de vie. Il s’agit en définitive de conduire les clercs, religieux et laïcs à la sainteté de notre Seigneur; il s’agit de les conduire à vivre le commandement nouveau de l’amour fraternel, que Jésus nous a laissé comme son testament [11]. C’est pourquoi le récent Concile rappelle à tous les évêques le devoir primordial de « montrer l’exemple de la sainteté, par leur charité, leur humilité et la simplicité de leur vie » [12]. Saint Pierre écrivait aux « anciens »: « Paissez le troupeau de Dieu... dans l’esprit de Dieu... Montrez-vous les modèles du troupeau » [13].

5. Ainsi vous pourvoirez au bien des âmes, à leur salut. Ainsi vous poursuivrez l’édification de l’Église déjà si bien implantée au coeur de l’Afrique et particulièrement dans chacun de vos pays.

Ainsi vous apporterez une part précieuse à la vitalité de l’Église universelle, en portant avec moi et avec l’ensemble des évêques la sollicitude de toutes les Églises.

190 Par ailleurs, en formant les consciences selon la loi de Dieu et en les éduquant aux responsabilités et à la communion dans l’Église, vous contribuerez à former les citoyens honnêtes et courageux dont le pays a besoin, ennemis de la corruption, du mensonge, et de l’injustice, artisans de la concorde et de l’amour fraternel sans frontière, soucieux d’un développement harmonieux et spécialement des catégories les plus pauvres. Ce faisant, vous exercez votre mission qui est d’ordre spirituel et moral: elle vous permet de vous prononcer sur les aspects éthiques de la société, chaque fois que les droits fondamentaux des personnes, les libertés fondamentales et le bien commun l’exigent. Tout ceci dans le respect des autorités civiles qui, au plan politique, et dans la recherche des moyens de promouvoir le bien commun, ont leurs compétences et leurs responsabilités spécifiques. Ainsi vous préparerez en profondeur le progrès social, le bien-être et la paix de votre chère patrie et mériterez l’estime de vos concitoyens. Vous êtes ici les pionniers de l’Évangile et de l’Église, et en même temps les pionniers de l’histoire de votre peuple.

6. Frères très chers, cet idéal ne doit point vous accabler. Il doit au contraire vous attirer, vous servir de tremplin et d’espérance. Certes, nous portons tous ce trésor dans des vases d’argile [14], y compris celui qui vous parle et auquel on réserve le nom de « Sainteté ». Il faut bien d’humilité pour porter ce nom! Mais en soumettant humblement toute votre personne au Christ, qui vous appelle à le représenter, vous êtes sûrs de sa grâce, de sa force, de sa paix. Comme saint Paul, « je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce » [15]. Que Dieu soit glorifié en vous!

7. Et maintenant, je me tourne plus directement vers tous ceux qui vous entourent de leur sympathie et de leur prière. Chers frères et soeurs de Kinshasa, du Zaïre, du Burundi, du Soudan, de Djibouti, accueillez avec joie nos Frères qui deviennent vos Pères et Pasteurs. Ayez pour eux le respect, l’affection, l’obéissance que vous devez aux ministres du Christ qui est Vérité, Vie et Chemin. Ecoutez leur témoignage, car ils viennent à vous en premiers témoins de l’Évangile. Leur message est le message de Jésus-Christ. Ouvrez vos âmes aux bénédictions du Christ, à la vie du Christ qu’ils vous apportent. Suivez-les sur les chemins qu’ils vous tracent, afin que votre conduite soit digne des disciples du Christ. Priez pour eux. Avec eux, vous allez édifier l’Église en Afrique, vous allez développer des communautés chrétiennes, en étroite communion avec l’Église universelle dont vous avez reçu et continuez à recevoir la sève, en relation confiante avec le Siège de Pierre, principe d’unité, mais avec la vigueur et les richesses spirituelles et morales que l’Évangile aura fait surgir de vos âmes africaines.

By the Providence of God, this great hour touches also English speaking Africa, and in particular the Sudan. In the person of the new auxiliary bishop of Juba, I greet the entire Archdiocese and all the sons and daughters of the Church in that land: grace and peace to all of you in Jesus Christ, the Son of God, in Jesus Christ, the Good Shepherd, whose through the ministry of bishops continues the Pastoral care of His entire Church. May the love of the Saviour be in your hearts today and always!

Et vous, chers amis qui ne partagez pas la foi chrétienne mais avez tenu à accompagner les catholiques à cette célébration liturgique, je vous remercie et je vous invite vous aussi à accueillir ces nouveaux évêques comme des chefs religieux, et des défenseurs de l’homme, comme des artisans du bien commun et de la paix.

Et maintenant, nous nous préparons au rite de l’ordination. Comme l’Apôtre Paul auprès des anciens d’Ephèse auxquels il venait de faire ses recommandations pressantes, nous allons prier.

Béni soit le Seigneur qui prolonge ainsi son oeuvre parmi nous! Que tous les Apôtres intercèdent pour nous! Que la Vierge Marie, la mère du Sauveur, la mère de l’Église, la Reine des Apôtres, intercède pour nous! Nous lui consacrons ces nouveaux serviteurs de l’Église. Rendons grâces au Seigneur, dans la foi, la charité et l’espérance! Et chantons: Alleluia! Amen.

[1]
Jn 15,15.
[2] Cf. Lumen Gentium, nn. LG 20-21.
[3] He 5,1.
[4] Cf. Ac 2,33.
[5] Cf. Col 1,18.
[6] Cf. Lumen Gentium, n. LG 20, citant Tertullien.
[7] Cf. Lumen Gentium, n. LG 20.
[8] Ap 21,2.
[9] Ac 20,29-31.
[10] Cf. Christus Dominus, n. CD 16.
[11] Jn 13,34.
[12] Cf. ibid., n. 15.
[13] 1P 5,2-3.
[14] Cf. 2Co 4,7.
[15] Ac 20,32.



5 mai 1980, Messe à Brazzaville

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Mercredi 5 mai 1980



Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

« Chantez à Dieu, dans vos coeurs, votre reconnaissance » [1].

1. Aujourd’hui, c’est l’Evêque de Rome qui vient à vous, le Successeur de l’Apôtre Pierre auquel Jésus a dit: « Affermis tes frères » [2]. Je viens donc vous affermir dans la foi, la charité et l’espérance.

Je viens vous affermir dans la foi que vous possédez déjà grâce à une évangélisation qui a porté ses fruits. Je vous parlerai de cette évangélisation pour vous encourager à la poursuivre.

Je viens stimuler votre charité entre vous et envers tous, « l’amour qui fait l’unité dans la perfection ». Pour cela, je vous rappelle les paroles de l’Apôtre Paul: « Revêtez votre coeur de tendresse et de bonté, d’humilité, de douceur, de patience, en vous supportant et en pardonnant mutuellement » [3]. Jésus n’avait-il pas dit: « Aimez vos ennemis, afin d’être vraiment les fils de votre Père » [4]?

Je viens fortifier votre espérance afin qu’aucune épreuve ne vous détourne du chemin où vous êtes engagés ni du but de votre vie chrétienne: le salut de vos âmes, l’édification de l’Eglise.

Et je le fais en reliant votre communauté catholique à l’Eglise universelle qui est unique dans la diversité de ses membres.

2. Mais tout d’abord, le Pape n’aurait pas eu l’occasion de venir chez vous s’il n’avait été précédé, depuis tout juste un siècle, par de valeureux missionnaires, qui, pour leur part, n’avaient d’autre souci que votre bien spirituel. Ils sont arrivés chez vous, brûlant d’amour pour le Christ et pour vous, pour vous proposer l’Evangile qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Car toute foi vient du Christ, par les Apôtres. « Comment croire sans d’abord L’entendre? Et comment entendre sans prédicateur? Et comment prêcher sans être d’abord envoyé? » [5].

Ces missionnaires ont été accueillis chez vous. Ils ont dû commencer par vivre avec vous, par prier au milieu de vous, en témoignant leur amour ? car cet amour est le coeur de notre message ? sous forme d’amitié, d’hospitalité, d’entraide et aussi de soins et d’instruction. Ils ont annoncé l’Evangile, car ils savaient votre faim de la Parole de Dieu. Certains de vos pères ont adhéré à la foi. Ils se sont longuement préparés au baptême. A partir de là est née l’Eglise au Congo. Mais le souci des missionnaires a été aussi de préparer parmi les fils de cette nation des évangélisateurs, des catéchistes, et bientôt des prêtres, des religieux, des religieuses. Chez vous, l’Eglise s’est rapidement développée, au point qu’un grand nombre de vos compatriotes sont entrés dans sa famille. Nous n’oublierons pas pour autant la somme de patience, d’épreuves, de peines, de joies et d’espérance des missionnaires et les mérites de vos pères.

Aujourd’hui l’Eglise est conduite par des évêques congolais, qui ont été constitués vos Pasteurs, à travers l’imposition des mains de leurs aînés. C’est un signe de la maturité de votre Eglise. Votre communauté avait même donné à l’Eglise universelle un cardinal, c’est-à-dire un collaborateur plus spécialement lié au Pape et à l’Eglise de Rome, et que nous pleurons tous. Vos communautés sont appelées à s’affermir et à grandir. Vivez dans l’action de grâce!

193 3. Réfléchissons un instant, Frères et Soeurs, à cette évangélisation qu’il faut poursuivre. Evangile veut dire « Bonne Nouvelle ». Quelle Bonne Nouvelle?

L’Evangile ne promet pas la richesse, ni des conditions de vie faciles, ni même le pain quotidien, bien qu’il nous fasse un devoir d’y travailler, solidairement, avec courage et sens de la justice; sans négliger d’ailleurs de les demander en même temps à Dieu et lui rendre grâce, à Lui qui est l’Auteur de tout bien.

Peut-être identifiez-vous alors la Bonne Nouvelle à la paix? De fait, c'est une chose merveilleuse que la paix dans la société, la paix dans les familles, la paix d’une vie libre, et surtout la paix dans le coeur de chacun, la paix d’une conscience droite qui vit dans la sérénité et la confiance, devant Dieu et devant les hommes. « Que la paix du Christ règne dans vos coeurs » dit saint Paul [6].

Mais cette paix elle-même vient de la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu qui nous a aimés le premier, et nous a pardonnés. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle, ... pour que le monde soit sauvé par lui » [7]. Comme le notait l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de mon vénéré prédécesseur Paul VI: « Cette attestation de Dieu rejoindra peut-être pour beaucoup le Dieu inconnu qu’ils adorent sans lui donner un nom ». Pour nous, « le Créateur n’est pas une puissance anonyme et lointaine: il est Père. "Nous sommes appelés fils de Dieu, nous le sommes effectivement", et nous sommes donc frères les uns des autres en Dieu » [8].

4. Cette vérité a été révélée par Dieu, en Jésus-Christ, celui qui est mort et ressuscité pour nous, le « Premier et le Dernier », « le Vivant », « le Témoin fidèle et vrai » [9], qui réunit ses disciples dans une famille profondément solidaire, comme les membres de son Corps, l’Eglise. Cette vérité est attestée par vingt siècles d’histoire chrétienne. Elle a été vécue par des millions de disciples de Jésus Christ dans tous les pays, souvent jusqu’à la sainteté, parfois jusqu’au martyre. N’avez-vous pas déjà fait l’expérience qu’elle illumine vos vies? Elle vous en montre le sens et le but. Elle vous assure de la présence de l’Esprit Saint, le Défenseur, qui vous libère de vos péchés, de tout ce qui risque, en vous et en dehors de vous, de vous détourner de la droiture, de la pureté de vie, de la justice, de la paix, de la réconciliation, du partage, de l’amour fraternel. C’est dire que l’éducation dans la foi pose les bases morales d’une vie en société meilleure, vraiment renouvelée. Et les chrétiens initiés aux sacrements ont la joie de s’unir ici-bas autour du Seigneur, pour participer à son sacrifice et à son banquet ? la messe ?, en attendant la vie éternelle avec lui. Evangéliser, c’est porter cette Bonne Nouvelle dans tous les milieux, la proposer par des moyens pacifiques au libre consentement, et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même [10].

5. Certes, l’adhésion dans la foi à cette Bonne Nouvelle requiert une conversion, non seulement avant le baptême, mais dans toute la vie. Les idoles auxquelles il faut renoncer sont toujours renaissantes, même si elles portent parfois des noms nouveaux, dans les vieilles Eglises d’Occident comme dans les jeunes Eglises d’Afrique. Il y a des obstacles au niveau de l’esprit humain ? et le matérialisme, idéologique ou pratique, n’est pas des moindres ? qui peuvent détourner du message du salut en laissant entendre qu’il est inutile ou illusoire. Il y a des obstacles, plus encore peut-être, au niveau de nos habitudes personnelles ou familiales, des moeurs de la société qui tendent à reléguer l’Evangile comme un idéal trop difficile. C’est vrai que Jésus a dit: « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » [11].

Il faut alors se souvenir que Dieu est aussi le Dieu de la miséricorde, comme l’Eglise est une mère miséricordieuse: malgré le caractère pécheur, faible, hésitant de ses fils, elle les invite à l’espérance, elle leur propose un idéal chrétien, une sainteté, non comme un fardeau, mais comme une lumière qui attire et qui élève les coeurs. Même si l’évangélisation connaît, ici ou là des étapes progressives et laborieuses ? on n’a jamais fini de devenir chrétien! ?, l’Eglise sait que les fils de ce pays sont capables d’une authentique vie chrétienne. Ils l’ont déjà prouvé largement. Et l’Eglise compte beaucoup sur vous.

6. Cette évangélisation de la conscience personnelle et collective des hommes doit donc se poursuivre selon les voies qui sont semblables dans toute l’Eglise [12], mais dont il vous faut trouver ici l’application concrète, en fonction de votre culture africaine et de votre situation actuelle. Vient en premier lieu le témoignage de votre vie de chrétiens, celui des familles, des adultes et des jeunes, des personnes consacrées: votre façon chrétienne de vivre peut susciter, par elle-même, et dans le plein respect des autres, l’attrait de l’Evangile. Il faut aussi une annonce explicite et précise de l’Evangile, qui nourrisse l’esprit et le coeur: c’est le rôle de la prédication, de la liturgie de la Parole, mais aussi de la catéchèse. Oui, vous avez tous besoin aujourd’hui d’une solide catéchèse, qui approfondisse votre attachement personnel à Jésus-Christ et vous permette de rendre compte de l’espérance qui est en vous. Je sais que votre pastorale consacre beaucoup d’efforts à cette catéchèse, et à la formation des catéchistes. Je vous en félicite. Les familles, les paroisses doivent donner une priorité à cette formation, non seulement des enfants, mais des jeunes, des étudiants, des futurs époux, dans le cadre aussi de la préparation aux sacrements. Enfin je souhaite que vos communautés chrétiennes connaissent la ferveur de la prière et la force de la cohésion fraternelle.

7. Dans cette oeuvre, il y a place pour tous les ouvriers de l’évangélisation. Je remercie les prêtres, les frères, les religieuses, les laïcs venus de loin, qui continuent à travailler ici, sous la conduite des évêques congolais: non seulement ils vous apportent encore un soutien précieux, mais ils contribuent à vous relier à l’Eglise universelle, et je suis sûr que cette expérience est bénéfique pour leurs propres Eglises. Ces prêtres forment un seul presbyterium avec les prêtres de ce pays, auxquels je voudrais dire spécialement mon affection et ma confiance. Chers amis, le Seigneur vous a appelés à le servir, dans une consécration totale de votre vie dont le célibat est un des signes, en vous rendant disponibles à tous. Soyez les saints prêtres, les guides spirituels dévoués et compétents dont votre peuple a besoin. C’est une grande grâce! Je souhaite aussi que des vocations sacerdotales et religieuses surgissent nombreuses et s’affermissent dans une solide formation. Je souhaite enfin que beaucoup de laïcs chrétiens apportent aussi leur aide irremplaçable à l’évangélisation, comme catéchistes, et dans un apostolat de personne, de famille à famille, de l’aîné au plus jeune.

8. Je sais que vous poursuivez l’évangélisation dans des conditions qui ne sont pas faciles, avec des moyens souvent pauvres. Vous avez connu de grosses épreuves. Je voudrais affermir votre espérance. Confiez vos besoins au Seigneur, qui est fidèle, et soutenez-vous les uns les autres. Vous savez en qui vous avez mis votre confiance. Avec saint Pierre je vous dis: « Soyez fermes dans la foi, sachant que vos frères répandus dans le monde endurent de semblables épreuves » [13]. Et encore: « Soyez bien unis, pleins de compassion, d’amour fraternel, de miséricorde et d’humilité » [14]. La puissance de Dieu, elle est en vous, selon votre degré de foi et d’amour, et selon votre cohésion. Oui, que votre unité soit sans faille: c’est votre force.

9. Ainsi serez-vous également, au milieu de vos compatriotes qui ne partagent pas votre foi, des artisans de paix, et même le « sel » et le « levain » dont parle Jésus, pour la vie fraternelle à laquelle ils aspirent. Je l’ai déjà laissé entendre: l’évangélisation entraîne normalement le souci du développement humain et du progrès social. Vous êtes attachés, vous aussi, à l’indépendance et à l’honneur de votre nation; vous désirez un accroissement des moyens de subsistance, un ordre juste pour tous, une vie paisible. Vous voulez servir votre pays. Vous avez le souci des pauvres. Et vous savez qu’une civilisation sans âme n’apporterait pas le bonheur. Vous êtes prêts à consacrer à cette oeuvre votre travail et votre honnêteté, dans le respect de tous, en bannissant la haine, la violence et le mensonge. Les responsables du bien commun ne peuvent pas ignorer que votre contribution chrétienne est bénéfique au pays. Et je ne doute pas qu’ils continueront à vous accorder la juste liberté religieuse qui vous est reconnue et la possibilité de travailler, en bons citoyens, à l’essor de la nation. Que Dieu bénisse le Congo!

194 10. Enfin, chers amis, je pense à votre insertion dans l’Eglise universelle. C’est un beau et grand mystère. L’arbre de l’Eglise, planté par Jésus en Terre Sainte, n’a cessé de se développer. Tous les pays du vieil Empire romain ont été greffés dessus. Ma propre patrie, la Pologne, a connu son heure d’évangélisation, et l’Eglise de Pologne s’est greffée sur l’arbre de l’Eglise, pour lui faire produire de nouveaux fruits. Et voilà que votre communauté de croyants congolais a été à son tour greffée sur l’arbre de l’Eglise. Le greffon vit de la sève qui circule dans l’arbre; il ne peut survivre qu’étroitement uni à l’arbre. Mais dès qu’il est greffé, il apporte à l’arbre son patrimoine et produit des fruits qui sont les siens. Ce n’est qu’une comparaison. L’Eglise fait vivre de sa vie les nouveaux peuples qui sont venus à elle. Aucune communauté nouvelle greffée sur l’arbre de l’Eglise ne peut vivre sa vie de manière indépendante. Elle ne vit qu’en participant au grand courant vital qui fait vivre tout l’arbre. L’Eglise en reçoit alors de nouveaux trésors de vitalité et peut ainsi manifester dans le monde une plus grande variété de fruits. Tels sont mes voeux pour l’Eglise qui est au Congo. Que s’affermisse son attachement à l’Eglise universelle et au Successeur de Pierre qui est le principe et le fondement de l’unité de tous par la volonté de Jésus-Christ, notre Seigneur! Que croissent sa propre vitalité, son unité et sa sainteté! Et qu’elle en fasse bénéficier l’Eglise! Au souffle de l’Esprit Saint! Avec Marie, l’Etoile de l’Evangélisation! Amen! Alleluia!

[1] Col 3, 16.

[2] Lc 22, 31.

[3] Col 3, 12-13.

[4] Mt 5, 44-45.

[5] Rm 10, 14-15.

[6] Col 3, 15.

[7] Jn 3, 16-17.

[8] N. 26.

[9] Ap. 1, 17-18; 2, 14.

[10] Cf. Evangelii Nuntiandi, n.
EN 18.

[11] Mt 5, 48.

[12] Cf. Décret Ad Gentes, AGD 11-18; Exhortation Evangelii Nuntiandi, nn. EN 21-24.

[13] Cf. 1 P 5, 9.

[14] Ibid., 3, 8.



6 mai 1980, Messe à Kisangani

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Kisangani (Zaïre)
Jeudi 6 mai 1980
Chers Frères et Soeurs,

Chers Fils et Filles de l’Eglise,

1. Notre brève rencontre d’hier soir sur la place de cette cathédrale m’avait laissé entrevoir que vous seriez très nombreux à participer à l’Eucharistie de ce matin. Merci de tout coeur! Merci à vous, merci à tous ceux qui vous ont demandé de les représenter, parce que la distance ou les infirmités les ont empêchés d’être présents. Je prie pour eux et je les bénis. Votre foule réjouit grandement le Seigneur et me comble de joie. En vous voyant, je pense à l’Apocalypse de saint Jean que nous lisons les dimanches de Pâques. Toutes les nations, toutes les races, toutes les langues y prennent place dans l’interminable cortège de ceux qui ont été marqués au front de l’empreinte de Dieu. Pensez à votre baptême et à votre confirmation. Chrétiens de Kisangani et de cette grande région rurale, vous faites partie de cette foule immense que saint Jean n’arrivait pas à dénombrer. Vous êtes le peuple de Dieu, cheminant aujourd’hui sur la terre d’Afrique et vous vivez votre appartenance au Seigneur à travers les réalités du monde rural. Je voudrais méditer avec vous sur ces deux aspects de votre existence concrète et, en finale, vous aider à contempler celle que le Concile Vatican II a si heureusement présentée comme étant la Mère de l’Eglise, et que nous prions ce matin sous le nom de Notre-Dame du Rosaire.

2. Comme les premières communautés chrétiennes de Jérusalem, d’Antioche, de Corinthe, de Rome sont nées de la prédication de la Bonne Nouvelle, qui est essentiellement le mystère du Christ, ainsi vos postes de « mission » et vos paroisses ont surgi, depuis cent ans, de l’annonce de l’Evangile à vos pères dans la foi. Ce fut l’oeuvre, au début, de missionnaires venus de loin, brûlant d’amour pour le Christ et pour vous. Ils vous proposaient le message qu’ils avaient eux-mêmes reçu, car personne ne le découvre soi-même: on le reçoit de l’Eglise. Les chrétiens de cette région sont maintenant devenus tout un peuple, avec des pasteurs choisi parmi les fils de ce pays. Et tous ensemble, évêques, prêtres, religieuses et fidèles, vous êtes l’Eglise, vous faites partie de cet immense peuple de Dieu surgi à la Pentecôte et destiné à connaître la plénitude entrevue par saint Jean. Ici-bas il connaît des épreuves, parfois des humiliations et des persécutions. Il comprend des martyrs, des saints, comme vos compatriotes qui ont préféré sacrifier leur vie plutôt que de manquer à la fidélité de leur baptême, comme Soeur Anwarite, que l’Eglise envisage de déclarer bienheureuse. Peut-être certains ont-ils trop tendance à réduire l’Eglise uniquement à ce qui est visible ou encore à ses Responsables, à ses institutions, à son organisation. En réalité, comme l’a bien dit le récent Concile, l’Eglise-peuple de Dieu est un mystère.

3. Quel est donc ce mystère? Une expression très forte de l’Apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe vous aide à le saisir: « Vous êtes le Corps du Christ, et membres chacun pour sa part » [1]. Ou encore, « Le Christ est la Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Eglise » [2]. Nous sommes mystérieusement unis et intégrés à la vie du Christ ressuscité, glorifié à la droite de Dieu, comme les membres le sont à la tête. L’Eglise, c’est le Christ vivant aujourd’hui sur tous les continents, en tous ceux qui se sont convertis ou se convertissent sans cesse à Lui, à tel point que leur vie n’est plus seulement leur vie, mais celle du Christ en eux. Vous recevez le corps eucharistique du Christ pour devenir davantage encore les membres de son Corps.

4. Chrétiens de la région de Kisangani, avez-vous cette vision mystérieuse et dynamique de l’Eglise? de votre lien vital avec le Christ, et avec les autres membres du Christ? Cela doit se vérifier le style de vos célébrations eucharistiques du dimanche, que vous voulez dignes, festives et priantes. Cela doit se vérifier aussi dans vos comportements quotidiens, en famille, dans votre quartier, dans votre village. Pour y réaliser vraiment cette Eglise, cette famille chrétienne reliée au Christ, il est bon d’avoir, et vous le faites déjà, d’autres rencontres de prière, de réflexion, de partage, d’entraide, pour être de meilleurs disciples du Christ et vivre sa fraternité dans les milieux de votre vie et de votre travail.

196 5. Précisément, vous êtes l’Eglise, le Christ vivant dans le monde rural. Ce cadre social vous marque et vous avez mission de le rendre plus digne de Dieu et donc plus humain. Et là, vous devez vous sentir spécialement proches du Christ.

Pour Jésus, en effet, sa vie terrestre s’est déroulée surtout dans une civilisation essentiellement agraire. Il a passé trente ans dans l’un des plus petits villages de Palestine, Nazareth. Et pendant sa vie publique, il a visité nombre de villages de paysans, et de petits pêcheurs. Il a longuement observé et aimé la nature, les fleurs et les arbres, les saisons, les travaux des champs, ceux du laboureur, du moissonneur, du vigneron, du berger, de la femme qui va puiser l’eau, pétrir la pâte, préparer les repas. Il a connu les coutumes locales qui rythmaient la vie. Il a partagé les événements du village, l’hospitalité offerte aux amis, la noce, le deuil. Il s’est attardé auprès des enfants qui jouaient, des malades qui souffraient. Nous le savons, parce qu’il a merveilleusement utilisé toutes ces observations pour faire comprendre à ses auditeurs les mystères du Royaume de Dieu qu’il venait révéler, au point que l’Evangile est pour vous, habitants du monde rural, un livre au langage savoureux, qui vous est très accessible.

6. Mais il y a plus profond encore que cette proximité sympathique avec Jésus de Nazareth. C’est que Jésus est le Fils de Dieu, « incarné », venu dans la chair, pour vivre les réalités concrètes de notre existence, à la fois en homme et en Fils de Dieu. C’est un mystère inouï! Vous pressentez la dignité qu’il confère à votre vie d’humbles travailleurs, puisqu’il l’a vécue à Nazareth, en Palestine! Il l’a vécue sous le regard de Dieu son Père, intimement lié à lui, en action de grâce. Il en a offert à Dieu toutes les joies et toutes les peines. Il l’a vécue avec simplicité, pureté de coeur, avec courage, comme un serviteur, comme un ami accueillant aux malades, aux affligés, aux pauvres de toute sorte, avec un amour que personne ne surpassera et dont il a fait son testament: aimez-vous, comme je vous ai aimés. C’est cette vie-là qui, à travers l’épreuve de son sacrifice, offert pour libérer le monde de ses péchés, est maintenant glorifiée auprès de Dieu.

Je vous invite pareillement, chers amis, à prendre conscience de la dignité de votre vie, qui a été sanctifiée par le Christ et rachetée par lui dans les mystères de son Incarnation et de sa Rédemption et à en faire, vous aussi, une offrande agréable à Dieu, en lui imprimant la marque de la prière et de l’amour. Cette perspective transformera déjà du dedans votre vie et vous fera participer à la sainteté du Christ.

7. Et je pense qu’elle pourra aussi vous stimuler à transformer les conditions de votre vie rurale dans la mesure où elles se détériorent par la négligence ou le péché et empêchent les hommes de vivre dans la dignité, l’espérance et la paix. Car le Royaume des cieux que nous préparons doit déjà trouver quelque ébauche dans cette vie terrestre. Ce progrès a beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu [3].

Oui, si vous prenez conscience de la dignité de votre vie et de votre travail, avec l’amour généreux du chrétien, vous chercherez à les rendre plus dignes pour vous et pour les autres. Vous n’accepterez pas que les ruraux soient considérés comme des hommes ou des femmes de seconde zone. Vous ne vous résignerez pas à ce que certains soient écrasés par la misère, ou victimes de l’injustice. Il ne serait pas juste ni conforme à l’Evangile du Christ que les plus forts ou les plus chanceux exploitent les autres: saint Jacques dénonçait déjà ce mal [4]. Vous vous donnerez la main pour faire face aux difficultés. Vous réfléchirez ensemble et vous envisagerez des actions communes, modestes peut-être ? car vous n’avez pas seuls les moyens d’agir efficacement ? mais réalistes. Vous qui êtes justement attachés à vos terres, vous contribuerez à freiner l’exode rural, si préjudiciable à la vie rurale et à la nation tout entière. Votre pays se doit de satisfaire ses besoins alimentaires; les produits agricoles sont plus nécessaires que certains produits de luxe. Le développement industriel des pays africains a besoin du développement agricole; il se greffe sur lui. Il y va de la vie de ses fils.

8. Certes, les Eglises chrétiennes n’ont pas à proposer elles-mêmes ni à réaliser des solutions techniques pour l’aménagement du monde rural. Mais elles sont gardiennes du sens évangélique à donner à la vie des hommes et des sociétés. Et les chrétiens, formés par elles, apporteront à ces solutions humaines une dimension qui éclairera le choix des objectifs et des méthodes. Ils seront par exemple soucieux du respect des personnes. Ils se préoccuperont des petits et des faibles. Leur honnêteté ne tolérera pas la corruption. Ils chercheront des structures plus justes dans le domaine foncier. Ils prôneront l’entraide, la solidarité. Ils voudront garder à leur communauté un visage fraternel. Ils seront des artisans de paix. Ils se considéreront comme gestionnaires de la Création de Dieu, qu’on ne peut jamais gaspiller ni ravager à son gré, car elle est confiée aux hommes pour le bien de tous. Ils éviteront que ne s’installe un matérialisme qui serait en fait un esclavage. Bref, ils veulent travailler, dès maintenant, à un monde plus digne des fils de Dieu. C’est le rôle que l’Eglise reconnaît aux laïcs chrétiens, aidés de leurs pasteurs. Oui, c’est là un témoignage de l’Eglise.

9. Chers Frères et Soeurs, pour réaliser cela d’une façon vraiment chrétienne, il faut d’abord que vous soyez animés du dedans par l’Esprit de Dieu. Et je voudrais pour cela que vous vous tourniez davantage encore vers la Vierge Marie, votre Mère, la Mère de l’Eglise.

Nous célébrons la messe de Notre-Dame du Rosaire, devant cette cathédrale qui lui est dédiée.

C’est pour moi une très grande joie. Qui, mieux que Marie, a vécu une vie toute simple en la sanctifiant? Qui, mieux que Marie, a accompagné Jésus dans toute sa vie, joyeuse, souffrante et glorieuse, est entrée dans l’intimité de ses sentiments filiaux pour le Père, fraternels pour les autres? Qui, mieux que Marie, associée maintenant à la gloire de son Fils, peut intervenir en notre faveur?

Elle doit maintenant accompagner votre vie. Nous allons lui confier cette vie. Et l’Eglise nous propose justement pour cela une prière, toute simple, le rosaire, le chapelet, qui peut calmement s’échelonner au rythme de nos journées. Le rosaire, lentement récité et médité, en famille, en communauté, personnellement, vous fera entrer peu à peu dans les sentiments du Christ et de sa Mère, en évoquant tous les événements qui sont la clef de notre salut. Au gré des Ave Maria, vous contemplerez le mystère de l’Incarnation du Christ, dont nous avons parlé, la Rédemption du Christ, et aussi le but vers lequel nous tendons, dans la lumière et le repos de Dieu. Avec Marie, vous ouvrirez votre âme à l’Esprit Saint, pour qu’il inspire toutes les grandes tâches qui vous attendent. Avec elle, les mamans accompliront leur rôle de porteuses de vie, de gardiennes et d’éducatrices du foyer.

Que Marie soit toujours votre guide et votre soutien. Amen!

[1] 1 Co 12, 27.

[2] Col 1, 18.

[3] Cf. Gaudium et Spes, n. 39.

[4] Jc 4, 13 - 5, 6.




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