Homélies St Jean-Paul II 10580

10 mai 1980, Messe à Ouagadougou

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Ouagadougou (Haute-Volta)
Samedi 10 mai 1980



Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

1. « Les pauvres et ceux qui sont dans le besoin cherchent de l’eau... moi, dit le Seigneur, je les exaucerai... Je changerai le désert en étangs... » [1]. « L’eau que moi je lui donnerai deviendra une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle! » [2].

Voilà la leçon contenue dans la Parole de Dieu que nous venons d’entendre; voilà la leçon que le Seigneur nous donne!

Moi, je suis l’eau vive, a dit encore le Seigneur, je suis la source de l’eau qui donne la vie. Pour puiser à cette source êtes venus ici, ce matin, pour écouter la Parole de Dieu que vous propose celui que la Providence divine a choisi pour être le Chef de son Eglise, pour être comme saint Pierre son porte-parole auprès de tous les fidèles, en union avec les évêques, les successeurs des Apôtres.

C’est avec une profonde émotion que je vous regarde, mes frères et mes soeurs de l’Eglise qui est en Haute-Volta. C’est un désir de mon coeur qui se réalise aujourd’hui: venir témoigner auprès de vous, dans votre pays même, de l’amour de Dieu notre Père et de son Fils Jésus-Christ, de son amour pour chacun de vous. N’est-ce pas là une grande joie qui doit remplir notre coeur, de pouvoir dire, de pouvoir proclamer: Dieu m’aime! Oui, Dieu vous aime, où que vous soyez: dans vos cités, vos villages et vos familles, au marché comme sur les sentiers: Dieu vous aime partout et toujours!

203 Votre présence ici témoigne aussi de votre affection pour l’Eglise qui vous apporte ce message d’amour. Quand je vous regarde, mon coeur est rempli de fierté, car je sais que vous avez accepté le Message d’amour avec joie et gratitude; car je sais que vous êtes attachés à l’Eglise et que vous voulez être les témoins de l’Evangile avec générosité et courage.

2. Mon séjour parmi vous sera court; trop court pour moi, car j’aurais voulu vous rencontrer partout, dans vos paroisses, vos écoles et vos maisons; trop court aussi pour vous, car je sais que beaucoup qui l’auraient voulu ne peuvent pas être ici ce matin, ceux qui habitent loin, ceux qui sont malades ou souffrants, ceux qui doivent travailler, et ceux qui sont encore trop petits! A tous ceux qui ne sont pas présents, je dis: le Pape vous salue et vous bénit!

Et je salue aussi avec affection mon frère le Cardinal Paul Zoungrana, qui fut un des trois premiers prêtres de votre pays et qui est maintenant le grand et fidèle pasteur de cet archidiocèse de Ouagadougou. Je salue avec lui mes frères dans l’épiscopat, ainsi que mes frères et soeurs de tous leurs diocèses: Ouagadougou, Koupéla, Bobo-Dioulasso, Diébougou, Fada N’Gourma, Kaya, Koudougou, Nouna-Dédougou et Ouahigouya!

Je voudrais vous saluer un à un, mes frères dans le sacerdoce, prêtres que le peuple de Haute-Volta a généreusement donnés au Seigneur, et prêtres qui sont venus de loin pour le service de l’Evangile parmi vous. Vous tous, religieux et religieuses, et catéchistes, qui vous donnez avec dévouement à votre tâche d’évangélisation. Et vous, femmes chrétiennes: sur vous aussi repose une grande partie de l’avenir et de ses espérances pour l’Eglise et pour votre peuple; mères de famille et jeunes filles, qui êtes ou qui serez responsables avec vos époux de la formation de vos enfants. Je salue les anciens, les pères de famille qui travaillent péniblement pour les leurs, les hommes, les jeunes gens et les enfants. Tous, je vous salue, vous aussi qui êtes venus si nombreux du Togo, je vous salue, au nom de l’amour qui nous unit dans une seule Eglise, dans la grande famille de Dieu!

3. Dans l’évangile que nous avons écouté ensemble, Jésus nous a parlé de la soif et de l’eau. Il s’était arrêté auprès d’un puits, un puits profond, que le patriarche Jacob avait creusé avec beaucoup de peine pour sa famille et pour ses troupeaux. C’est là que l’on venait puiser. C’est là que Jésus rencontra une femme de Samarie. Elle venait chercher l’eau nécessaire pour les besoins de la maison. Elle avait besoin d’eau pour sa soif, mais, sans bien le savoir, elle avait encore plus soif de la vérité, de la certitude d’avoir, malgré ses péchés, une place dans l’amour de Dieu. Elle avait soif de la parole de Jésus et de cette vie de l’âme qu’il est seul à pouvoir nous donner.

Tous, nous sommes, comme cette femme, assoiffés de la vérité qui vient de Dieu. Vérité sur nous-mêmes, sur le sens de notre vie, sur ce que nous pouvons et devons faire, dès maintenant, où que nous soyons, pour répondre à ce que Dieu attend de chacun d’entre nous, pour faire vraiment partie de sa famille et vivre en enfants de Dieu. Je connais vos difficultés, et l’extrême pauvreté de tant d’entre vous, si nombreux, et aussi votre générosité dans le service du Seigneur, et c’est pourquoi, à vous qui êtes fils de Dieu par votre baptême et votre appartenance à l’Eglise, je puis rappeler sa parole: « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice » [3]! Oui, pour nous, chrétiens, voilà l'essentiel!

4. Pourtant, en méditant l’Evangile, nous ne pouvons oublier que, si les gens de Samarie sont rentrés chez eux portant dans leur coeur la parole de salut, l’eau qui jaillit pour la vie éternelle, ils ont continué aussi à venir puiser l’eau nécessaire pour la vie de leurs corps. Les hommes ont soif d’amour, de charité fraternelle, mais il y a aussi des peuples entiers qui ont soif de l’eau nécessaire à leur vie, dans des circonstances particulières qui sont présentes à mon esprit, maintenant que je me trouve parmi vous, dans cette terre de Haute-Volta, dans cette zone du Sahel. Si le problème de la désertification progressive se pose aussi en d’autres régions du globe, les souffrances des peuples du Sahel dont le monde a été témoin m’invitent à en parler ici.

Dès l’origine, Die a confié à l’homme la nature qu’il avait créée. C’est rendre gloire à Dieu que de faire servir la création à une promotion humaine, intégrale et solidaire, qui permette à l’homme d’atteindre sa pleine dimension spirituelle. L’homme doit donc s’efforcer de la respecter et d’en découvrir les lois pour assurer le service de l’homme. De grands progrès ont été réalisés dans le domaine de l’écologie, de grands efforts ont été accomplis. Mais beaucoup reste à faire, pour éduquer les hommes à respecter la nature, à la préserver et à l’améliorer, et aussi pour réduire ou prévenir les conséquences des catastrophes dites « naturelles ».

C’est alors que la solidarité humaine doit se manifester pour venir au secours des victimes et des pays qui ne peuvent faire face subitement à tant d’urgences, et dont l’économie peut être ruinée.

C’est une question de justice internationale, surtout envers les pays qui sont trop souvent atteints par ces sinistres, alors que d’autres se trouvent dans des conditions géographiques ou climatiques que l’on doit, en comparaison, dire privilégiées. C’est aussi une question de charité pour tous ceux qui considèrent que tout homme et toute femme est un frère et une soeur dont les souffrances doivent être portées et allégées par tous. La solidarité, dans la justice et la charité, ne doit connaître ni frontières ni limites.

5. D’ici, de Ouagadougou, du centre d’un de ces pays que l’on peut appeler les pays de la soif, qu’il me soit donc permis d’adresser à tous, en Afrique et au-delà de ce continent, un appel solennel à ne pas fermer les yeux devant ce qui s’est passé et ce qui se passe dans la région sahélienne.

204 Je ne puis retracer l’histoire et les détails de cette tragédie: ils sont d’ailleurs dans toutes vos mémoires. Il faudrait évoquer au moins le temps mis à prendre conscience du drame préparé par une sécheresse persistante, puis le mouvement de solidarité qui s’étendit à tous les niveaux, local, national, régional et international. Beaucoup fut fait par les citoyens et les Gouvernements des pays concernés comme par les diverses Institutions internationales. L’Eglise eut aussi sa large part; son action fut soutenue et suivie avec attention par vos évêques et par le Pape Paul VI qui, angoissé dès le début par l’ampleur de la catastrophe, ne ménagea pas ses appels et son appui, en particulier par l’intermédiaire du Conseil pontifical « Cor Unum », dont je suis heureux de saluer ici le Président, le cher Cardinal Bernardin Gantin, qui a bien voulu quitter son Afrique natale et son archidiocèse de Cotonou, au Bénin, pour venir travailler avec le Pape, à Rome. Remercions donc, aujourd’hui, tous ceux qui se sont dévoués, tous ceux qui ont su venir au secours de leurs frères dans le besoin. Puissent-ils entendre un jour le Seigneur leur dire: « J’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire! » [4]. A travers eux, en effet, Dieu a donné la réponse que nous avons écoutée dans la lecture de cette messe: « Moi, je ne les abandonnerai pas » [5].

6. Et pourtant, que de victimes pour lesquelles le secours est venu trop tard! Que de jeunes dont le développement a été troublé ou compromis! Or le danger n’est pas conjuré. Dès le début de ces événements douloureux qui constituent le drame du Sahel, les conditions de l’avenir étaient étudiées dans votre région au plan intergouvernemental avec l’aide des Nations Unies, des plans ont été élaborés pour lutter contre la sécheresse, ses causes et ses conséquences, pour envisager les remèdes efficaces tels que l’irrigation, le forage de puits, le reboisement, l’érection de greniers à grain, l’introduction de cultures variées et autres.

Mais les besoins sont immenses si l’on veut arrêter l’avancée du désert et même progressivement le faire reculer, si l'on veut que chaque homme, chaque femme et chaque enfant du Sahel ait de l’eau et de la nourriture en suffisance, ait un avenir toujours plus digne d’un être humain.

7. C’est pourquoi, de ce lieu, de cette capitale de la Haute-Volta, je lance un appel solennel au monde entier. Moi, Jean Paul II, Evêque de Rome et Successeur de Pierre, j’élève ma voix suppliante, parce que; je ne peux pas me taire quand mes frères et soeurs sont menacés. Je me fais ici la voix de ceux qui n’ont pas de voix, la voix des innocents, qui sont morts parce que l’eau et le pain leur manquaient; la voix des pères et des mères qui ont vu leurs enfants mourir sans comprendre, ou qui verront toujours dans leurs enfants les séquelles de la faim qu’ils ont endurée; la voix des générations à venir, qui ne doivent plus vivre avec cette menace terrible pesant sur leur vie. Je lance un appel à tous!

N’attendons pas que la sécheresse revienne, effroyable et dévastatrice! N’attendons pas que de nouveau le sable porte la mort! Ne permettons pas que l’avenir de ces peuples reste à jamais menacé! La solidarité d’hier a démontré, par son extension et son efficacité, qu’il est possible de n’écouter que la voix de la justice et de la charité, et non pas celle de l’égoïsme, individuel et collectif.

Ecoutez mon appel!

Vous, les Organisations internationales, je vous prie de continuer le travail remarquable déjà fait; et d’accélérer la mise en oeuvre persévérante des programmes d’action déjà élaborés. Vous, les Responsables des Etats, je vous prie d’apporter une aide généreuse aux pays du Sahel, afin qu’un nouvel effort, important et soutenu, puisse porter remède encore plus efficacement au drame de la sécheresse. Vous les Organismes non-gouvernementaux, je vous prie de redoubler vos efforts: sachez susciter un courant de générosité personnelle, des hommes, des femmes, des enfants, afin que tous sachent que le fruit de leurs privations sert vraiment à assurer la vie et le chances d’avenir de leurs frères et soeurs. Je vous prie, hommes de science et techniciens, Instituts de recherche, d’orienter vos travaux vers la recherche de nouveaux moyens de lutte contre la désertification; la science ne progresserait-elle pas tout autant si elle était mise au service de la vie de l’homme? Elle peut et elle doit avoir d’autres buts que la recherche de nouveaux moyens de mort, créateurs de nouveaux déserts, ou même la satisfaction de besoins artificiels créés par la publicité. C'est pourquoi je vous en prie vous aussi, vous qui travaillez dans les moyens de communication sociale, journalistes de la presse, de la radio et de la télévision: parlez de ce problème selon sa vraie dimension, celle de la personne humaine amoindrie et mutilée. Sans rechercher d’effets inutiles, sachez montrer les solutions possibles, ce qui a été fait et ce qui reste à faire. N’est-ce pas une belle tâche que celle qui vous permet d’être les éveilleurs des générosités et des bonnes volontés?

Tous, je vous en prie, écoutez cet appel, écoutez ces voix du Sahel et de tous les pays victimes de la sécheresse, sans aucune exception. Et à vous tous, je dis: « Dieu vous le rendra »!

8. Mais je veux aussi m’adresser particulièrement à vos frères catholiques du monde, à ceux des pays les plus favorisés. Qu’ils méditent la parole si connue de saint Vincent de Paul, un des héros de la charité et de l’amour des pauvres. A qui lui demandait, au soir de sa vie, ce qu’il aurait pu faire de plus pour le prochain, il répondait: « Encore davantage ». C’est la glorie de la charité chrétienne, de cet amour que nous avons les uns pour les autres et qui est répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint, de vouloir faire toujours « davantage ». Et c’est pourquoi je vous dis: maintenant, ceux qui ont faim et soif dans le monde sont à votre porte! Les moyens modernes permettent de leur venir en aide. Il ne faut donc pas vous reposer seulement sur les responsabilités politiques nationales et internationales. Au-delà du devoir universel de solidarité, c’est votre foi qui doit vous conduire à examiner vos possibilités réelles, à examiner, personnellement et en famille, si on n’appelle pas trop souvent nécessaire ce qui en réalité est du superflu. C’est le Seigneur qui nous invite à faire davantage.

9. A tous, je dis ma confiance. Elle est fondée sur cet amour du Seigneur qui nous unit, sur notre participation, dans l’immensité du monde, à son unique sacrifice, puisque tous? nous mangeons un même pain, et nous partageons le même calice [6]. Puisse le Seigneur, que nous allons prier ensemble et qui va venir sacramentellement parmi nous pour que nous le recevions, nous faire progresser dans son amour et faire jaillir en tous les coeurs l’eau de la vie éternelle! Amen.

[1] Is 41, 17-18.

[2] Jn 4, 14.

[3] Mt 6, 33.

[4] Mt 21, 35.

[5] Is 41, 17.

[6] Cf. 1 Co 10, 17.



10 mai 1980, Messe à Abidjan

10058
Abidjan (Côte d'Ivoire)
Samedi 10 mai 1980



Chers Frères et Soeurs,
rendons grâces à Dieu, qui nous a appelés à former une seule Eglise, en son Fils Jésus-Christ!

1. Le prophète Ezéchiel, annonçait déjà ce grand Mystère, en pensant d’abord aux Israélites de son temps, dispersés parmi les nations. Mais, « par le moyen de l’Eglise », l’appel s’est élargi aux fils de toutes les nations, qu’on appelait païennes. Et nous avons osé, comme dit saint Paul, l’Apôtre des nations, « nous approcher de Dieu en toute confiance », « par le chemin de la foi au Christ », la même foi. Oui, « le seul Dieu et Père de tous » nous rassemble, de toute provenance, avec toutes les richesses de notre propre histoire, dans la famille de l’Eglise. Il répand sur nous une eau pure, « un seul baptême » et nous sommes alors « purifiés de toutes nos souillures ». Il nous donne « un coeur nouveau », un coeur sensible à son amour, « un coeur de chair ». Il met en nous son Esprit, « un seul Esprit ». Il nous permet « de marcher selon sa loi, et de pratiquer ses coutumes ». Et c’est ainsi que dans tout l’univers se construit le même Corps du Christ, avec des membres différents, qui ont reçu chacun leurs qualités, leur part de grâce, leurs fonctions dans l’Eglise.

Cette unité profonde, à travers la variété multiforme des peuples et des races, fait notre joie et notre force. Elle est un don de Dieu, mais nous devons aussi y apporter notre contribution consciente et généreuse, afin de réaliser, dans la maturité, la plénitude du Christ.

Aussi je vous invite, chers Frères et Soeurs, à parcourir avec moi les divers cercles concentriques de cette unité: au niveau du Christ d’abord, au niveau de l’Eglise universelle et de son Pasteur, au niveau de l’Eglise qui est en Côte d’Ivoire et de votre diocèse, au niveau de chacun de vos communautés paroissiales, avec le rayonnement qui en surgit pour l’unité des hommes qui nous entourent.

2. Oui, notre unité n’est pas seulement ni d’abord une unité extérieure, comme celle d’un corps social avec ses structures d’organisation. Elle est un mystère, comme le deuxième Concile du Vatican l’a souligné dès le début de la Constitution « Lumen Gentium » [1]. Nous formons « un peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint ».

L’Esprit Saint « habite dans l’Eglise et dans le coeur des fidèles », « il introduit l’Eglise dans la vérité tout entière » et lui « assure l’unité de la communion et du service », « il l’équipe et la dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques »; par la vertu de l’Evangile, il rajeunit l’Eglise et la renouvelle sans cesse, l’acheminant à l’union parfaite avec son Epoux, le Christ [2]. Ainsi l’Esprit Saint déploie dans l’Eglise « l’insondable richesse du Christ », et tourne son aspiration vers le Christ et vers son Père [3].

Le Christ ressuscité, en effet, vit pour les siècles des siècles, auprès de son Père qui l’a fait Seigneur de l’Univers et Tête de l’Eglise qui est son Corps mystique [4]. Par l’Esprit Saint, il communique sa vie à ceux qui lui donnent leur foi, en renaissant de l’eau et de l’Esprit [5], qui se relient à lui par la prière, par les sacrements, par une vie conforme à son amour. C’est lui le Chef invisible de l’Eglise, c’est lui qui la soutient [6], c’est lui le bon Pasteur qui rassemble les enfants de Dieu dispersés et fait d’eux un royaume de prêtres pour son Père [7].

206 Cela, vous le savez bien, chers amis, mais je le rappelle pour vous exhorter à vous tourner sans cesse vers le Christ, à le prier encore mieux, en communauté, en famille, et aussi personnellement, à relire sa Parole. Une Eglise n’est vivante, n’est forte que lorsque ses membres ont une vie intérieure, une vie spirituelle, c’est-à-dire une vie reliée à l’Esprit de Dieu, une vie de prière. C’est là le coeur de l’Eglise. C’est là que se noue la communion la plus intime, qui est source de toutes les autres. Votre vie, votre unité est d’abord « cachée avec le Christ, en Dieu » [8].

3. Mais cette grâce du Christ vous est parvenue et elle vous est sans cesse donnée par l’Eglise visible, qui est le « Corps » du Christ, le « sacrement » du Christ, le signe qui rend visible et réalise la communion. L’unité se manifeste autour de celui qui, dans chaque diocèse, a été constitué Pasteur, Evêque. Et pour l’ensemble de l’Eglise, elle se manifeste autour de l’Evêque de Rome, le Pape, qui est « le principe perpétuel et visible, et le fondement de l’unité qui lie entre eux, soit les évêques, soit la multitude des fidèles » [9]. Et voilà que cela se réalise ce soir, sous vos yeux. Quelle grâce pour nous tous!

Chaque évêque de l’Eglise catholique est successeur des Apôtres. Il est relié aux Apôtres par une lignée ininterrompue d’ordinations. Je suis le successeur de l’Apôtre Pierre, au Siège de Rome. Or vous avez entendu, dans l’Evangile, la merveilleuse profession de foi de Pierre: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et la réponse de Jésus: « Sur cette Pierre, je bâtirai mon Eglise... je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » [10]. Et plus tard, le Christ a ajouté: « Affermis tes frères » [11]; « Sois le pasteur de mes agneaux ... sois le pasteur de mes brebis » [12]. Telle est aussi la foi du Pape, que j’ai professée solennellement en inaugurant mon ministère à Rome; et telle est aussi la mission dont le Seigneur m’a chargé, malgré mon indignité: vous affermir dans la foi et dans l’unité.

Toute Eglise locale, comme celle que vous formez ici, à Abidjan, doit toujours rester solidaire de l’Eglise universelle, et ceci, par le signe visible de la communion avec le successeur de Pierre. Car il n’y a qu’une Eglise de Jésus-Christ, qui est comme un grand arbre, sur lequel vous avez été greffés, comme les chrétiens de Rome, comme les chrétiens de mon pays, de la Pologne. La branche ne saurait demeurer en dehors de l’arbre, ni le sarment en dehors de la vigne. Vous vivez en participant au grand courant vital qui fait vivre tout l’arbre. Mais votre greffe va permettre à l’Eglise de connaître une nouvelle floraison, de nouveaux fruits. Et le Pape s’en réjouit. Il se réjouit du printemps de l’Eglise qui est en Côte d’Ivoire.

4. J’en arrive maintenant à vos communautés diocésaines, d’Abidjan, ou des autres diocèses. Là aussi vos évêques savent la nécessité d’intensifier l’unité qui les lie entre eux, au niveau par exemple de la collaboration pastorale pour tout le pays.

Et dans chaque diocèse, qu’on peut appeler l’« Eglise particulière », une grande unité doit se faire autour de l’évêque qui en est le chef à la façon de l’Evangile, c’est-à-dire le pasteur et le père. Unité de la foi, bien sûr; unité de la prière; unité des sentiments fraternels; unité des efforts pastoraux. Et ceci dans une grande diversité de fonctions indispensables et complémentaires. Vous avez entendu saint Paul parler d’« apôtres », de « prophètes », de « missionnaires de l’Evangile », de « pasteurs », de « docteurs », de « saints » [13] : aujourd’hui, on pourrait développer la liste des ministères, des services, des charismes. Que chaque chrétien sache donc, dans cette Eglise, qu’il est responsable à son niveau, et que l’Eglise manquera de ce qu’il n’aura pas su donner.

5. Ma première pensée va aux prêtres annonciateurs de l’Evangile, dispensateurs des mystères de Dieu, guides spirituels présidant à l’unité, dans leurs diverses charges: curés et vicaires de paroisses, professeurs, aumôniers ... Comme je suis heureux de concélébrer avec les jeunes prêtres, qui ont reçu il y a peu de temps les pouvoirs sacrés par l’imposition des mains! Comme je souhaite que beaucoup d’Ivoiriens entendent le même appel! La moisson est grande! Oh, vous tous, mes Frères, soutenez les vocations sacerdotales, afin que votre Eglise ne manque plus de prêtres, de saints prêtres. C’est sur eux que devra s’appuyer l’Eglise de demain. Mais les missionnaires venus de loin ont encore, eux aussi, un grand rôle dans ce pays, un rôle actuellement indispensable, pour le service très apprécié qu’ils rendent et comme témoins de l’Eglise universelle, ils sont à part entière de votre Eglise. Tous les prêtres sont appelés à former un même presbyterium autour de l’évêque, dans l’humilité et le soutien fraternel. Il y aurait place aussi pour le ministère des diacres aux côtés des prêtres.

D’autre part, quelle chance aussi de bénéficier de l’exemple et de l’aide d’autres âmes consacrées, religieux et religieuses, indigènes ou missionnaires, qui suscitent tant de confiance chez le peuple, parce que la chasteté, la pauvreté et l’obéissance en font des témoins hors pair de l’amour du Christ et de son Evangile, pleinement disponibles à tous.

Que les catéchistes, bien formés, continuent leur rôle éducateur de la foi, et que les animateurs des petites communautés de quartiers sachent que sans eux, il manquerait un relai important. Je pense encore à la responsabilité des pères et mères de famille: chaque foyer chrétien n’est-il pas comme un « sanctuaire de l’Eglise à la maison » [14]? Et je me permets de souligner ici le rôle particulier des mères: la femme est celle qui a la mission merveilleuse de donner la vie, de porter la vie naissante, et, en Afrique, elle continue longtemps à porter son enfant avec tant de tendresse, et à le nourrir avec tant de dévouement! Qu’elle n’oublie pas non plus d’ouvrir le coeur de ses enfants à la tendresse de Dieu, à la vie du Christ: c’est une éducation initiale qui ne peut que difficilement être suppléée. Il y a encore bien d’autres services dans la communauté chrétienne: des services d’entraide sanitaire et sociale. Et les jeunes y ont aussi leur part.

6. Mais comment maintenir l’unité de prière, l’unité de charité, l’unité pastorale entre tous? C’est le rôle privilégié de la paroisse, avec son église et son équipe de pasteurs, en lien avec les responsables religieux et laïcs. La paroisse doit être accueillante à tous: il n’y a pas de véritables « étrangers » dans une famille de chrétiens! Je pense en particulier aux travailleurs migrants ou aux experts des autres pays qui doivent recevoir et apporter leur part de vie chrétienne. Un seul Corps, un seul Esprit, comme disait saint Paul.

7. Chers amis, l’unité ne s’arrête pas encore là. Nous désirons encore la promouvoir avec tous ceux qui, sans professer intégralement notre foi catholique ou sans garder la communion sous le successeur de Pierre, ont été baptisés et portent le beau nom de chrétiens: l’Esprit Saint suscite en tous les disciples du Christ le désir et l’action qui tendent à l’unité telle que le Christ l’a voulue, dans la vérité et la charité [15]. Et le dessein de salut enveloppe avec nous aussi ceux qui adorent le Dieu unique ou ceux qui, sans bien le connaître dans les ombres et sous des images, cherchent Dieu d’un coeur sincère [16]. Aussi, tout en témoignant de notre propre foi, nous sommes animés envers tous de sentiments d’estime et de dialogue fraternel.

207 8. Enfin, les disciples du Christ, les communautés chrétiennes doivent être des ferments d’unité, des artisans de rapprochement fraternel, pour tous les habitants de ce pays, africains ou non africains. La Côte d’Ivoire et sa capitale connaissent une évolution sociale rapide, où la concentration urbaine, le déracinement familial, la recherche de toit et du travail, mais aussi, pour certains, les possibilités insoupçonnées de réussite technique, d’enrichissement rapide, avec les tentations de profit personnel et parfois investi ailleurs, d’exploitation de l’homme, du petit, du travailleur ivoirien ou migrant, oui, tout cela risque, comme hélas en d’autres pays dits « avancés », de mettre à l’épreuve la solidarité, la justice, l’espérance des humbles, la paix et aussi le sentiment religieux. Il faut éviter à tout prix, je le dis par amour pour vous, par amour de ce pays et de ses responsables, que la chance offerte aujourd’hui à la Côte d’Ivoire et à ses travailleurs par le développement ne soit manquée, que ne s’agrandisse dangereusement le fossé entre riches et pauvres, comme s’accroît le fossé entre pays riches et pays pauvres, que la civilisation ne se matérialise. Dans ces conditions, le souci des pauvres, les laissés pour compte, le sens du bien commun de tous et de l’équité doivent habiter spécialement le coeur des chrétiens. Heureux chrétiens, heureuses communautés chrétiennes, si les autres hommes de bonne volonté trouvent chez eux un exemple d’unité et une source de fraternité. Le récent Concile n’hésitait pas à dire: « L’unité catholique du peuple de Dieu préfigure et promeut la pax universelle » [17].

Voilà, chers Frères et Soeurs, à tous les échelons, de Rome à votre village ou à votre quartier, le dynamisme d’unité de notre Eglise. Comme Vicaire du Christ, je suis heureux d’être au milieu de vous pour affermir cette espérance. Le projet est splendide. Le chemin sera long et difficile; il suppose des sacrifices: Jésus nous a prévenus dans l’Evangile. Mais sa grâce est à l’oeuvre parmi vous, son Esprit est en vous. Et comme la Vierge Marie s’y prêta merveilleusement, elle qui conçut le Christ de l’Esprit Saint et qui est aussi Mère de l’Eglise, nous la prierons spécialement d’y disposer nos coeurs. Maintenant, cette Eucharistie va rendre présent le Sacrifice du Christ, qui a renversé les barrières de séparation [18], pour unir tous les enfants de Dieu et leur donner accès, ensemble, au Dieu d’amour.

Seigneur, fortifie l’unité de ton Eglise.

Amen. Alleluia!

[1] Cfr. Lumen Gentium, 4.

[2] Cfr. ibid.

[3] Cfr. Apoc. 22, 17.

[4] Cfr. Phil. 2, 11; Col. 1, 18.

[5] Cfr. Io. 3, 5.

[6] Cfr. Lumen Gentium, 8.

[7] Apoc. 1, 6.

[8] Cfr. Col. 3, 3.

[9] Lumen Gentium, 23.

[10] Io. 16, 16-19.

[11] Luc. 22, 33.

[12] Io. 21, 15-17.

[13] Eph. 4, 11-12.

[14] Apostolicam Actuositatem, 11.

[15] Cfr. Lumen Gentium, 15.

[16] Cfr. ibid. 16.

[17] Ibid. 13.

[18] Cfr. Eph. 2, 14.



11 mai 1980, Messe pour les étudiants, Yamoussoukro (Côte d'Ivoire)

11580
Dimanche 11 mai 1980



Chers étudiants et étudiantes,
Chers jeunes prêtres, qui concélébrez avec moi ce soir, et qui me donnez une grande joie, la joie de savoir l’avenir de l’Eglise en Côte d’Ivoire assuré par ses propres fils,

1. Comment vous remercier d être venus si nombreux, si joyeux et si confiants autour du Père et du Chef de l’Eglise catholique? Je souhaite et je demande à Dieu que cette rencontre soit un moment de communion profonde de nos coeurs et de nos esprits, un moment inoubliable pour moi et déterminant pour vous.

Vos problèmes et vos aspirations d’étudiants ivoiriens sont parvenus à ma connaissance. J’en suis à la fois heureux et ému. C’est donc à des jeunes, concrètement situés et porteurs de grandes espérances humaines et chrétiennes, que je m’adresse en toute confiance. La liturgie de la Parole qui vient de s’achever a certainement contribué à mettre vos âmes en état de réceptivité. Ces trois lectures constituent un cadre idéal pour l’exigeante méditation que nous ferons tout à l’heure. L’Eglise, à laquelle vous êtes agrégés par les sacrements de baptême et de confirmation ? j’aurai d’ailleurs la joie de conférer ce dernier à plusieurs d’entre vous ? est une Eglise ouverte, dès sa fondation, à tous les hommes et à toutes les cultures; une Eglise assurée de connaître un terme glorieux à travers les humiliations et les persécutions qui lui sont infligées au cours de l’histoire; une Eglise mystérieusement animée par l’Esprit de Pentecôte et passionnée de révéler aux hommes leur dignité inaliénable et leur vocation de « familiers de Dieu », de créatures habitées par Dieu, Père, Fils et Esprit. Comme il est tonifiant de respirer cette atmosphère d’une Eglise toujours jeune et résolue!

Vos évêques vous ont donc récemment adressé, à vous, mais aussi à vos parents et à vos responsables, une lettre qui voulait diagnostiquer les dangers qui menacent la jeunesse et provoquer, dans ses rangs comme chez les adultes, un généreux sursaut spirituel. Beaucoup parmi vous sont très conscients des difficultés et des misères qui atteignent les milieux des jeunes. Sans généraliser, ils n’ont pas peur d’appeler les choses par leur nom et d’interroger leurs aînés en se référant aux célèbres paroles du prophète Ezéchiel: « Les pères ont mangé des raisins verts, les dents des fils sont agacées » [1].

2. Aujourd’hui, pour ma part, je voudrais vous convaincre d’une vérité de bon sens mais capitale, et qui vaut pour tout homme et toute société qui souffre physiquement ou moralement; à savoir que le malade ne peut guérir s'il ne prend lui-même les remèdes qui s’imposent. C’est ce que l’Apôtre saint Jacques voulait faire comprendre aux premiers chrétiens [2]. A quoi bon diagnostiquer le mal dans le miroir de la conscience individuelle et collective, si on l’oublie aussitôt ou si on refuse de le traiter. Chacun dans la société porte des responsabilités à l’égard de cette situation, et chacun est donc appelé à une conversion personnelle qui est bel et bien une forme de participation à l’évangélisation du monde [3]. Mais à vous, je vous demande: n’est-il pas vrai que si tous les jeunes consentent à changer leur propre vie, toute la société changera? Pourquoi attendre plus longtemps des solutions toutes faites aux problèmes dont vous souffrez? Votre dynamisme, votre imagination, votre foi sont capables de transporter des montagnes!

Regardons ensemble, calmement et avec réalisme, les chemins qui vous conduiront vers la société dont vous rêvez. Une société construite sur la vérité, la justice, la fraternité, la paix; une société digne de l’homme et conforme au projet de Dieu. Ces chemins sont inéluctablement ceux de votre ardente préparation à vos responsabilités de demain et ceux d’un véritable sursaut spirituel.

Jeunes Ivoiriens, retrouvez ensemble le courage de vivre! Les hommes qui font avancer l’histoire, au niveau le plus humble ou le plus élevé, sont bien ceux qui demeurent convaincus de la vocation de l’homme: vocation de chercheur, de lutteur et de bâtisseur. Quelle est votre conception de l’homme? C’est une question fondamentale, parce que la réponse sera déterminante pour votre avenir et l’avenir de votre pays, parce que vous avez le devoir de réussir votre vie.

3. Vous avez en effet des obligations vis-à-vis de la communauté nationale. Les générations passées vous portent invisiblement. Ce sont elles qui vous ont permis d’accéder à des études et à une culture destinée à faire de vous les cadres d’une nation jeune. Le peuple compte sur vous. Pardonnez-lui de vous considérer comme des privilégiés. Vous l’êtes réellement, au moins au plan de la répartition des biens culturels. Combien de jeunes de votre âge ? dans votre pays et dans le monde ? sont au travail et contribuent déjà, comme ouvriers ou agriculteurs, à la production et au succès économique de leur pays! D’autres, hélas, sont sans travail, sans métier, et parfois sans espoir. D’autres encore n’ont pas et n’auront pas la chance d’accéder à une scolarisation de qualité. Vous avez envers tous un devoir de solidarité. Et ils ont envers vous le droit d’être exigeants. Chers jeunes, voulez-vous être les penseurs, les techniciens, les responsables dont votre pays et l’Afrique ont besoin? Fuyez comme la peste le laisser-aller et les solutions de facilité. Soyez indulgents pour les autres et sévères pour vous-mêmes! Soyez des hommes!

210 4. Laissez-moi encore souligner un aspect très important de votre préparation humaine, intellectuelle, technique, à vos tâches futures. Cela aussi fait partie de vos devoirs. Gardez bien vos racines africaines. Sauvegardez les valeurs de votre culture. Vous les connaissez et vous en êtes fiers: le respect de la vie, la solidarité familiale et le soutien aux parents, la déférence à l’égard des anciens, le sens de l’hospitalité, le judicieux maintien des traditions, le goût de la fête du symbole, l’attachement au dialogue et à la palabre pour régler les différends. Tout cela constitue un vrai trésor dont vous pouvez et devez tirer du neuf pour l’édification de votre pays, sur un modèle original et typiquement africain, fait d’harmonie entre les valeurs de son passé culturel et les données les plus recevables de la civilisation moderne. A ce plan précis, demeurez très vigilants, face aux modèles de société qui sont fondés sur la recherche égoïste du bonheur individuel et sur le dieu-argent, or sur la lutte des classes et la violence des moyens. Tout matérialisme est une source de dégradation pour l’homme et d’asservissement de la vie en société.

5. Allons encore plus loin dans la claire vision de la route à suivre ou à reprendre. Quel est votre Dieu? Sans rien ignorer des difficultés que les mutations socio-culturelles de notre époque causent à tous les croyants, mais aussi en songeant à tous ceux qui luttent pour garder la foi, j’ose dire en bref et avec insistance: Levez la tête! Regardez avec des yeux neufs vers Jésus-Christ! Je me permets de vous demander amicalement: avez-vous eu connaissance de la lettre que j’ai écrite l’an dernier à tous les chrétiens sur le Christ rédempteur? Dans le sillage des Papes qui m’ont précédé, Paul VI spécialement, je me suis efforcé de conjurer la tentation et l’erreur de l’homme contemporain et des sociétés modernes de reléguer Dieu et de mettre fin à l’expression du sentiment religieux. La mort de Dieu dans le coeur et la vie des hommes est la mort de l’homme. J’écrivais dans cette lettre: « L’homme qui veut se comprendre lui-même jusqu’au fond ne doit pas se contenter pour son être propre de critères et de mesures qui seraient immédiats, partiaux, souvent superficiels et même seulement apparents; mais il doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s’approcher du Christ. Il doit pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit "s’approprier" et assimiler toute la réalité de l’Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même. S’il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d’adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour soi-même. Quelle valeur doit avoir l’homme aux yeux du Créateur s’il "a mérité d’avoir un tel et si grand Rédempteur", si "Dieu a donné son Fils" afin que lui, l’homme, "ne se perde pas, mais qu’il ait la vie éternelle"! » [4]. Oui, très chers jeunes, Jésus-Christ n’est pas un ravisseur de l’homme, mais un Sauveur. Et il veut libérer, pour faire, de vous tous et de chacun, des sauveurs dans le monde étudiant d’aujourd’hui comme dans les professions et responsabilités importantes que vous assumerez demain.

6. Alors, cessez de penser tout bas ou de dire tout haut que la foi chrétienne est bonne seulement pour les enfants et les gens simples. Si elle apparaît encore ainsi, c’est que des adolescents et des adultes ont gravement négligé de faire croître leur foi au rythme de leur développement humain. La foi n’est pas un joli vêtement pour le temps de l’enfance. La foi est un don de Dieu, un courant de lumière et de force qui vient de Lui, et doit éclairer et dynamiser tous les secteurs de la vie, au fur et à mesure qu’elle s’enracine dans les responsabilités. Décidez-vous, décidez vos amis et vos camarades étudiants à prendre les moyens d’une formation religieuse personnelle, digne de ce nom. Profitez des aumôniers et des animateurs mis à votre disposition. Avec eux, entraînez-vous à faire la synthèse entre vos connaissances humaines et votre foi, entre votre culture africaine et la modernité, entre votre rôle de citoyens et votre vocation chrétienne. Célébrez votre foi et apprenez à prier ensemble. Vous retrouverez ainsi le sens de l’Eglise qui est une communion au même Seigneur entre croyants, qui s’en vont ensuite au milieu de leurs frères et soeurs pour les aimer et les servir à la manière du Christ. Vous avez un besoin vital d’insertion dans des communautés chrétiennes, fraternelles et dynamiques. Fréquentez-les assidûment. Animez-les du souffle de votre jeunesse. Bâtissez-les, si elles n’existent pas. C’est ainsi qui tombera votre tentation d’aller chercher ailleurs ? dans des groupes ésotériques ? ce que le christianisme vous apporte en plénitude.

7. Logiquement, l’approfondissement personnel et communautaire dont nous venons de parler doit vous conduire à des engagements apostoliques concrets. Beaucoup parmi vous sont déjà sur cette voie, je les félicite. Jeunes de Côte d’Ivoire, aujourd’hui, le Christ vous appelle par son représentant sur la terre. Il vous appelle comme il appela Pierre et André, Jacques et Jean, et les autres Apôtres. Il vous appelle à édifier son Eglise, à bâtir une société nouvelle. Venez en foule! Prenez place dans vos communautés chrétiennes. Offrez royalement votre temps et vos talents, votre coeur et votre foi pour animer les célébrations liturgiques, pour prendre part à l’immense travail catéchétique auprès des enfants, des adolescents et même des adultes, pour vous insérer dans les nombreux services au bénéfice des plus pauvres, des analphabètes, des handicapés, des isolés, des réfugiés et des migrants, pour animer vos mouvements d’étudiants, pour oeuvrer dans les instances de défense et de promotion de la personne humaine. En vérité le chantier est immense et enthousiasmant pour des jeunes qui se sentent débordants de vie.

Le moment me semble tout à fait indiqué pour m’adresser aux jeunes qui vont recevoir le sacrement de la confirmation, précisément pour entrer dans une nouvelle étape de leur vie baptismale: l’étape du service actif sur l’immense chantier de l’évangélisation du monde. L’imposition des mains et l’onction du saint Chrême vont signifier réellement et efficacement la venue plénière de l’Esprit Saint au plus profond de votre personne, au carrefour en quelque sorte de vos facultés humaines d’intelligence en quête de vérité et de liberté en recherche d’idéal. Votre confirmation d’aujourd’hui est votre Pentecôte pour la vie! Réalisez la gravité et la grandeur de ce sacrement. Quel sera votre style de vie désormais? Celui des Apôtres à la sortie du Cénacle! Celui des chrétiens de toute époque, énergiquement fidèles à la prière, à l’approfondissement et au témoignage de la foi, à la fraction du pain eucharistique, au service du prochain et surtout des plus pauvres [5]. Jeunes confirmés d’aujourd’hui ou d’hier, avancez tous sur les routes de la vie comme des témoins fervents de la Pentecôte, source inépuisable de jeunesse et de dynamisme pour l’Eglise et pour le monde.

Attendez-vous à rencontrer parfois l’opposition, le mépris, la moquerie. Les vrais disciples ne sont pas au-dessus du Maître. Leurs croix sont comme la passion et la croix du Christ: source mystérieuse de fécondité. Ce paradoxe de la souffrance offerte et féconde est vérifiée depuis vingt siècles par l’histoire de l’Eglise.

Laissez-moi enfin vous assurer que de tels engagements apostoliques vous préparent non seulement à porter vos lourdes responsabilités à venir, mais encore à fonder de solides foyers, sans lesquels une nation ne peut longtemps tenir debout; et qui plus est, des foyers chrétiens, qui sont autant de cellules de base de la communauté ecclésiale. Ce sont des engagements qui achemineront certains d’entre vous vers le don total au Christ, dans le sacerdoce ou la vie religieuse. Les diocèses de Côte d’Ivoire, comme tous les diocèses d’Afrique, ont le droit de compter sur votre généreuse réponse à l’appel que le Seigneur fait certainement entendre à beaucoup d’entre vous: « Viens, et suis-moi ».

Feu de paille, cette célébration? Feu de paille, cette méditation? Les textes liturgiques de ce sixième dimanche de Pâques nous affirment le contraire. L’évangile de Jean nous certifie que l’Esprit Saint habite les coeurs aimants et fidèles des disciples du Christ. Son rôle est de rafraîchir leur mémoire de croyants, de les éclairer en profondeur, de les aider à répondre, dans la paix et l’espérance de ce monde nouveau évoqué dans la lecture de l’Apocalypse.

Que ce même Esprit Saint nous unisse tous et nous consacre tous au service de Dieu notre Père et des hommes nos frères, par le Christ, dans le Christ et avec le Christ! Amen.

[1] Ez 18, 2.

[2] Cf. Jc 1, 23-26.

[3] Cf. Evangelii Nuntiandi, nn.
EN 21 EN 41.

[4] Redemptor Hominis, n. 10.

[5] Cf. Ac 2, 42-47.



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