Homélies St Jean-Paul II 10680

1 juin 1980, Le Bourget

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Dimanche 1er juin 1980



Je commencerai par remercier du fond du coeur tous ceux qui ont tenu à se rassembler ici ce matin, en venant même des lointaines provinces de la France. A tous, mes souhaits les plus fervents, et en particulier aux mères de famille, en ce jour de la fête des mères. Je vous convie maintenant à vous recueillir avec moi.

1. Les paroles que nous venons d’entendre ont une double signification: elles terminent l’Evangile comme temps de la révélation du Christ, et en même temps elles l’ouvrent vers l’avenir comme temps de l’Eglise, celui d’un devoir incessant et d’une mission.

Le Christ dit: Allez!

Il indique la direction de la route: toutes les nations.

Il précise la tâche: Enseignez-les, baptisez-les.

L’Eglise se remémore ces paroles en ce jour solennel, où elle veut tout spécialement adorer Dieu dans le mystère intérieur de la Vie de la Divinité: Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit.

Que ces paroles constituent le fondement essentiel de notre méditation, alors que nous nous trouvons tous, par une disposition admirable de la Providence, tout près de Paris, qui est la capitale de la France, l’une des capitales de l’Europe, une parmi bien d’autres, certes, mais unique en son genre, et l’une des capitales du monde.

Dans la dernière phrase que rapporte l’Evangile, le Christ a dit: « Allez dans le monde entier » [1].

Je suis aujourd’hui avec vous, chers Frères et Soeurs, en un de ces lieux depuis lesquels, d’une manière particulière, on voit « le monde », on voit l’histoire de notre « monde » et on voit le « monde » contemporain, le lieu d’où ce monde se connaît et se juge lui-même, connaît et juge ses victoires et ses défaites, ses souffrances et ses espérances.

Permettez que je me laisse prendre, avec vous, à l’éloquence inouïe des paroles que le Christ a adressées à ses disciples. Permettez qu’à travers elles nous fixions les yeux, au moins un instant, sur le mystère insondable de Dieu, et que nous touchions ce qui, dans l’homme, est durable et par conséquent le plus humain.

Permettez que nous nous préparions de cette façon à la célébration de l’Eucharistie, en la solennité de la Sainte Trinité.

2. Le Christ a dit aux Apôtres: « Allez..., enseigne toutes les nations... ». De même qu’aujourd’hui je me trouve pratiquement dans la capitale de la France, de même, il y a un an, en ce même jour du premier dimanche après la Pentecôte, je me trouvais dans une grande prairie de l’ancienne capitale de la Pologne, à Cracovie, dans la ville où j’ai vécu et d’où le Christ m’a appelé au Siège romain de l’Apôtre Pierre. J’ai eu là-bas devant les yeux les visages connus de mes compatriotes, et j’ai eu devant les yeux toute l’histoire de ma nation, depuis son baptême. Cette histoire riche et difficile avait commencé, d’une manière admirable, presque exactement au moment où a été réalisée la dernière parole du Christ adressée aux Apôtres: « Enseignez toutes les nations, baptisez-les... ». Avec le baptême la nation est née et son histoire a commencé.

Cette nation ? la nation dont je suis le fils ? ne vous est pas étrangère. Dans les périodes les plus difficiles, surtout, de son histoire, elle a trouvé chez vous l’appui dont elle avait besoin, les principaux formateurs de sa culture, les porte-parole de son indépendance. Je ne peux pas ne pas m’en souvenir en ce moment. J’en parle avec gratitude...

Bien plus tard qu’ici, les voies missionnaires des successeurs des Apôtres ont atteint la Vistule, les Carpates, la Mer Baltique... Ici, la mission donnée par le Christ aux Apôtres après la Résurrection a trouvé très vite un commencement de réalisation, sinon de manière certaine dès l’époque apostolique, du moins dès le second siècle, avec Irénée, ce grand martyr et père apostolique, qui fut évêque de Lyon. Par ailleurs, dans le Martyrologe romain, on fait très souvent mention de Lutetia Parisiorum...

D’abord la Gaule, et ensuite la France: la Fille aînée de l’Eglise!

222 Aujourd’hui, dans la capitale de l’histoire de votre nation, je voudrais répéter ces paroles qui constituent votre titre de fierté: Fille aînée de l’Eglise.

Et j’aimerais, en reprenant ce titre, adorer avec vous le mystère admirable de la Providence. Je voudrais rendre hommage au Dieu vivant qui, agissant à travers les peuples, écrit l’histoire du salut dans le coeur de l’homme.

Cette histoire est aussi vieille que l’homme. Elle remonte même à sa « préhistoire », elle remonte au commencement. Quand le Christ a dit aux Apôtres: « Allez, enseignez toutes les nations... », il a déjà confirmé la durée de l’histoire du salut, et en même temps il a annoncé cette étape particulière, la dernière étape.

3. Cette histoire particulière est caché au plus intime de l’homme, elle est mystérieuse et pourtant réelle aussi dans sa réalité historique, elle est revêtue, d’une manière visible, des faits, des événements, des existences humaines, des individualités. Un très grand chapitre de cette histoire a été inscrit dans l’histoire de votre patrie, par les fils et les filles de votre nation. Il serait difficile de les nommer tous, mais j’évoquerai au moins ceux qui ont exercé la plus grande influence dans ma vie: Jeanne d’Arc, François de Sales, Vincent de Paul, Louis-Marie Grignion de Montfort, Jean-Marie Vianney, Bernadette de Lourdes, Thérèse de Lisieux, Soeur Elisabeth de la Trinité, le Père de Foucauld, et tous les autres. Ils sont tellement présents dans la vie de toute l’Eglise, tellement influents par la lumière et la puissance de l’Esprit Saint!

Ils vous diraient tous mieux que moi que l’histoire du salut a commencé avec l’histoire de l’homme, que l’histoire du salut connaît toujours un nouveau commencement, qu’elle commence en tout homme venant en ce monde. De cette façon, l’histoire du salut entre dans l’histoire des peuples, des nations, des patries, des continents.

L’histoire du salut commence en Dieu. C’est précisément ce que le Christ a révélé et a déclaré jusqu’à la fin lorsqu’il a dit: « Allez.... enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».

« Baptiser » veut dire « plonger », et le « nom » signifie la réalité même qu’il exprime. Baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit veut dire plonger l’homme dans cette Réalité même que nous exprimons par le nom de Père, Fils et Saint-Esprit, la Réalité qu’est Dieu dans sa Divinité: la Réalité tout à fait insondable, qui n’est complètement reconnaissable et compréhensible qu’à elle-même. Et en même temps, le baptême plonge l’homme dans cette Réalité qui, comme Père, Fils et Saint-Esprit, s’est ouverte à l’homme. Elle s’est ouverte réellement. Rien n’est plus réel que cette ouverture, cette communication, ce don à l’homme du Dieu ineffable. Quand nous entendons les noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ils nous parlent justement de ce don, de cette « communication » inouïe de Dieu qui, en lui-même, est impénétrable à l’homme... Cette communication, ce don est du Père, il a atteint son sommet historique et sa plénitude dans le Fils crucifié et ressuscité, il demeure encore dans l’Esprit, qui « intercède pour nous en des gémissements ineffables » [2].

Les paroles que le Christ, à la fin de sa mission historique, a adressées aux Apôtres, sont une synthèse absolue de tout ce qui avait constitué cette mission, étape par étape, de l’Annonciation jusqu’à la Crucifixion... et finalement à la Résurrection.

4. Au coeur de cette mission, au coeur de la mission du Christ, il y a l’homme, tout homme. A travers l’homme, il y a les nations, toutes les nations.

La liturgie d’aujourd’hui est théocentrique, et pourtant c’est l’homme qu’elle proclame. Elle le proclame, parce que l’homme est au coeur même du mystère du Christ, l’homme est dans le coeur du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Et cela depuis le début. N’a-t-il pas été crée à l’image et à la ressemblance de Dieu? Hors de cela, l’homme n’a pas de sens. L’homme n’a un sens dans le monde que comme image et ressemblance de Dieu. Autrement il n’a pas de sens, et on en viendrait à dire, comme l’ont affirmé certains, que l’homme n’est qu’une « passion inutile ».

Oui. C’est l’homme qui est proclamé lui aussi par la liturgie d’aujourd’hui.

223 « A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, / la lune et les étoiles, que tu fixas, / qu’est donc l’homme, que tu en gardes mémoire, / le fils d’Adam, que tu en prennes souci? / A peine le fis-tu moindre qu’un dieu, / le couronnant de gloire et de splendeur; / tu lui as donné pouvoir sur les oeuvres de tes mains, / tout fut mis par toi sous ses pieds » [3].

5. L’homme... l’éloge de l’homme... l’affirmation de l’homme.

Oui, l’affirmation de l’homme tout entier, dans sa constitution spirituelle et corporelle, dans ce qui le manifeste comme sujet extérieurement et intérieurement. L’homme adapté, dans sa structure visible, à toutes les créatures du monde visible, et en même temps intérieurement allié à la sagesse éternelle. Et cette sagesse, elle aussi, est annoncée par la liturgie d’aujourd’hui, qui chante son origine divine, sa présence perceptible dans toute l’oeuvre de la création pour dire à la fin qu’elle « trouve ses délices avec les fils des hommes » [4].

Que n’ont pas fait les fils et les filles de votre nation pour la connaissance de l’homme, pour exprimer l’homme par la formulation de ses droits inaliénables! On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont-là des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme.

Pour nous, l’alliance intérieure avec la sagesse se trouve à la base de toute culture et du véritable progrès de l’homme.

Le développement contemporain et le progrès auxquels nous participons sont-ils le fruit de l’alliance avec la sagesse? Ne sont-ils pas seulement une science toujours plus exacte des objets et des choses, sur laquelle se construit le progrès vertigineux de la technique? L’homme, artisan de ce progrès, ne devient-il pas toujours plus l’objet de ce processus? Et voilà que s’effondre toujours plus en lui et autour de lui cette alliance avec la sagesse, l’éternelle alliance avec la sagesse qui est elle-même la source de la culture, c’est-à-dire de la vrai croissance de l’homme.

6. Le Christ est venu au monde au nom de l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Au nom de cette alliance, il est né de la Vierge Marie et il a annoncé l’Evangile. Au nom de cette alliance, « crucifié... sous Ponce Pilate » il est allé sur la croix et il est ressuscité. Au nom de cette alliance, renouvelée dans sa mort et dans sa résurrection, il nous donne son Esprit...

L’alliance avec la sagesse éternelle continue en Lui. Elle continue au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Elle continue comme le fait d’enseigner les nations et de baptiser, comme l’Evangile et l’Eucharistie. Elle continue comme l’Eglise, c’est-à-dire le Corps du Christ, le peuple de Dieu.

Dans cette alliance, l’homme doit croître et se développer comme homme. Il doit croître et se développer à partir du fondement divin de son humanité, c’est-à-dire comme image et ressemblance de Dieu lui-même. Il doit croître et se développer comme fils de l’adoption divine.

Comme fils de l’adoption divine, l’homme doit croître et se développer à travers tout ce qui concourt au développement et au progrès du monde où il vit. A travers toutes les oeuvres de ses mains et de son génie. A travers les succès de la science contemporaine et l’application de la technique moderne. A travers tout ce qu’il connaît au sujet du macrocosme et du microcosme, grâce à un équipement toujours plus perfectionné.

Comment se fait-il que, depuis un certain temps, l’homme ait découvert dans tout ce gigantesque progrès une source de menace pour lui-même? De quelle façon et par quelles voies en est-on arrivé à ce que, au coeur même de la science et de la technique modernes, soit apparue la possibilité de la gigantesque autodestruction de l’homme; à ce que la vie quotidienne offre tant de preuves de l’emploi, contre l’homme, de ce qui devait être pour l’homme et devait servir l’homme?
224 Comment en est-on arrivé la? L’homme en marche vers le progrès n’a-t-il pas pris un seul chemin, le plus facile, et n’a-t-il pas négligé l’alliance avec la sagesse éternelle? N’a-t-il pas pris la voie « spacieuse », en négligeant la voie « étroite » [5]?

7. Le Christ dit: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » [6]. Il le dit alors que le pouvoir terrestre ? le Sanhédrin, le pouvoir de Pilate ? a montré sa suprématie sur Lui, en décrétant sa mort sur la croix. Il le dit aussi après sa résurrection.

« Le pouvoir au ciel et sur la terre » n’est pas un pouvoir contre l’homme. Ce n’est même pas un pouvoir de l’homme sur l’homme. C’est le pouvoir qui permet à l’homme de se révéler à lui-même dans sa royauté, dans toute la plénitude de sa dignité. C’est le pouvoir dont l’homme doit découvrir dans son coeur la puissance spécifique, par lequel il doit se révéler à lui-même dans les dimensions de sa conscience dans la perspective de la vie éternelle. Alors se révélera en lui toute la force de baptême, il saura qu’il est « plongé » dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il se retrouvera complètement lui-même dans le Verbe éternel, dans l’Amour infini.

C’est à cela que l’homme est appelé dans l’alliance avec la sagesse éternelle.

Tel est aussi ce « pouvoir » qu’a le Christ « au ciel et sur la terre ».

L’homme d’aujourd’hui a beaucoup augmenté son pouvoir sur la terre, il pense même à son expansion au-delà de notre planète.

On peut dire en même temps que le pouvoir de l’homme sur l’autre homme devient toujours plus lourd. En abandonnant l’alliance avec la sagesse éternelle, il sait de moins en moins se gouverner lui-même, il ne sait pas non plus gouverner les autres. Combien pressante est devenue la question des droits fondamentaux de l’homme!

Quel visage menaçant révèlent le totalitarisme et l’impérialisme, dans lesquels l’homme cesse d’être le sujet, ce qui équivaut à dire qu’il cesse de compter comme homme. Il compte seulement comme une unité et un objet!

Ecoutons encore une fois ce que dit le Christ par ces mots: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre », et méditons toute la vérité de ces paroles.

8. Le Christ, à la fin, dit encore ceci: « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » [7]; cela signifie donc aussi: aujourd’hui, en 1980, pour toute époque.

Le problème de l’absence du Christ n’existe pas. Le problème de son éloignement de l’histoire de l’homme n’existe pas. Le silence de Dieu à l’égard des inquiétudes du coeur et du sort de l’homme n’existe pas.

225 Il n’y a qu’un seul problème qui existe toujours et partout: le problème de notre présence auprès du Christ. De notre permanence dans le Christ. De notre intimité avec la vérité authentique de ses paroles et avec la puissance de son amour. Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vrai culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit!

Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger:
France, Fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?

Permettez-moi de vous demander:
France, Fille de l’Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle?

Pardonnez-moi cette question. Je l’ai posée comme le fait le ministre au moment du baptême. Je l’ai posée par sollicitude pour l’Eglise dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l’homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père Fils et Saint-Esprit.

[1]
Mc 16,15.
[2] Rm 8,26.
[3] Ps 8,4-7.
[4] Pr 8,31.
[5] Cf. Mt 7,13-14.
[6] Mt 28,18.
[7] Mt 28,20.




2 juin 1980, Lisieux

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Lundi 2 juin 1980


1. Je suis très heureux qu'il me soit donné de venir à Lisieux à l’occasion de ma visite dans la capitale de la France. Je suis ici en pèlerinage avec vous tous, chers Frères et Soeurs, qui êtes venus vous aussi de bien des régions de France, auprès de celle que nous aimons tant, la « petite Thérèse », dont la voie vers la sainteté est étroitement liée au Carmel de Lisieux.Si les personnes versées dans l’ascèse et la mystique, et ceux qui aiment les saints, ont pris l’habitude d’appeler cette voie de Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus « la petite voie », il est tout à fait hors de doute que l’Esprit de Dieu, qui l’a guidée sur cette voie, la fait avec la même générosité que celle par laquelle il a guidé autrefois sa Patronne la « grande Thérèse » d’Avila, et par laquelle il a guidé ? et continue de guider ? tant d’autres saints dans son Eglise. Gloire Lui soit donc rendue éternellement!

L’Eglise se réjouit de cette merveilleuse richesse des dons spirituels, si splendides et si variés, comme le sont toutes les oeuvres de Dieu dans l’univers visible et invisible. Chacun d’eux reflète à la fois le mystère intérieur de l’homme, et il correspond aux besoins des temps dans l’histoire de l’Eglise et de l’humanité. Il faut le dire de sainte Thérèse de Lisieux qui, jusqu’à une époque récente, fut en effet notre sainte « contemporaine ». C’est ainsi que je la vois personnellement, dans le cadre de ma vie. Mais est-elle toujours la sainte « contemporaine »? N’a-t-elle pas cessé de l’être pour la génération qui arrive actuellement à maturité dans l’Eglise? Il faudrait le demander aux hommes de cette génération. Qu’il me soit toutefois permis de noter que les saints ne vieillissent pratiquement jamais, qu’ils ne tombent jamais dans la « prescription ». Ils restent continuellement les témoins de la jeunesse de l’Eglise. Ils ne deviennent jamais des personnages du passé, des hommes et des femmes d’« hier ». Au contraire: ils sont toujours les hommes et les femmes du « lendemain », les hommes de l’avenir évangélique de l’homme et de l’Eglise, les témoins « du monde futur ».

2. « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba! Père! » [1].

Il serait peut-être difficile de trouver paroles plus synthétiques, et en même temps plus saisissantes, pour caractériser le charisme particulier de Thérèse Martin, c’est-à-dire ce qui constitue le don tout à fait spécial de son coeur, et qui est devenu, par son coeur, un don particulier pour l’Eglise. Le don merveilleux dans sa simplicité, universel et en même temps unique. De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l’Esprit de Dieu a permis à son coeur de révéler directement, aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Evangile: le fait d’avoir reçu réellement « un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba! Père! ». La « petite voie » est la voie de la « sainte enfance ». Dans cette voie, il y a quelque chose d’unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci: Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants?

Cette vérité la plus universelle qui soit, cette réalité, a été également « relue » de nouveau avec la foi, l’espérance et l’amour de Thérèse de Lisieux. Elle a été en certain sens redécouverte avec l’expérience intérieure de son coeur et la forme prise par toute sa vie, seulement vingt-quatre années de sa vie. Lorsqu’elle mourut ici, au Carmel, victime de la tuberculose dont elle portait depuis longtemps les bacilles, c’était presque un enfant. Elle a laissé le souvenir de l’enfant: de la sainte enfance. Et toute sa spiritualité a confirmé encore une fois la vérité de ces paroles de l’Apôtre: « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs... ». Oui. Thérèse fut l’enfant. Elle fut l’enfant « confiant » jusqu’à l’héroïsme, et par conséquent « libre » jusqu’à l’héroïsme.Mais c’est justement parce que ce fut jusqu’à l’héroïsme, qu’elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de « retomber dans la crainte »; de cette confiance qui, jusque dans les obscurités et les souffrances les plus profondes de l’âme, permet de s’écrier: « Abba! Père! ».

Oui, elle a connu cette saveur et ce prix. Pour qui lit attentivement son Histoire d’une âme, il est évident que cette saveur de la confiance filiale provient, comme le parfum des roses, de la tige qui porte aussi des épines. Si en effet « nous sommes enfants, nous sommes donc héritiers; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui pour être aussi glorifiés avec Lui » [2]. C’est pour cela, précisément, que la confiance filiale de la petite Thérèse, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus mais aussi « de la Sainte-Face », est si « héroïque », parce qu'elle provient de la fervente communion aux souffrances du Christ.

Et quand je vois devant moi tous ces malades et infirmes, je pense qu’ils sont associés eux aussi, comme Thérèse de Lisieux, à la passion du Christ, et que, grâce à leur foi en l’amour de Dieu, grâce a leur propre amour, leur offrande spirituelle obtient mystérieusement pour l’Eglise, pour tous les autres membres du Corps mystique du Christ, un surcroît de vigueur. Qu’ils n’oublient jamais cette belle phrase de sainte Thérèse: « Dans le coeur de l’Eglise ma Mère je serai l’amour ». Je prie Dieu de donner à chacun de ces amis souffrants, que j’aime avec une affection toute spéciale, le réconfort et l’espérance.

3. Avoir confiance en Dieu comme Thérèse de Lisieux veut dire suivre la « petite voie » où nous guide l’Esprit de Dieu: il guide toujours vers la grandeur à laquelle participent les fils et les filles de l’adoption divine. Déjà comme enfant, comme enfant de douze ans, le Fils de Dieu a déclaré que sa vocation était de s’occuper des choses de son Père [3]. Etre enfant, devenir comme un enfant, veut dire entrer au centre même de la plus grande mission à laquelle l’homme ait été appelé par le Christ, une mission qui traverse le coeur même de l'homme. Elle le savait parfaitement, Thérèse.

Cette mission tire son origine de l’amour éternel du Père. Le Fils de Dieu comme homme, d’une manière visible et « historique », et l’Esprit Saint, de façon invisible et « charismatique », l’accomplissent dans l’histoire de l’humanité.

Lorsque, au moment de quitter le monde, le Christ dit aux Apôtres: « Allez dans le monde entier, et enseignez l’Evangile à toute créature » [4], il les insère, par la force de son mystère pascal, dans le grand courant de la Mission éternelle. A partir du moment où il les a laissés pour aller vers le Père, il commence en même temps à venir « de nouveau dans la puissance de l’Esprit Saint » que le Père envoie en son nom. Plus profondément que toutes les vérités sur l’Eglise, cette vérité a été mise en relief dans la conscience de notre génération par le Concile Vatican II. Grâce à cela, nous avons tous beaucoup mieux compris que l’Eglise est constamment « en état de mission », ce que veut dire le fait que toute l’Eglise est missionnaire. Et nous avons également mieux compris ce mystère particulier du coeur de la petite Thérèse de Lisieux, laquelle, à travers sa « petite voie », a été appelée à participer aussi pleinement et aussi fructueusement à la mission la plus élevée. C’est justement cette « petitesse » qu’elle aimait tant, la petitesse de l’enfant, qui lui a ouvert largement toute la grandeur de la Mission divine du salut, qui est la mission incessante de l’Eglise.

227 Ici, dans son Carmel, dans la clôture du couvent de Lisieux, Thérèse s’est sentie spécialement unie à toutes le missions et aux missionnaires de l’Eglise dans le monde entier. Elle s’est sentie elle-même « missionnaire », présente par la force et la grâce particulières de l’Esprit d’amour à tous le postes missionnaires, proche de tous les missionnaires, hommes et femmes, dans le monde. Elle a été proclamée par l’Eglise la patronne des missions, comme saint François Xavier, qui voyagea inlassablement en Extrême-Orient: oui, elle, la petite Thérèse de Lisieux, enfermée dans la clôture carmélitaine, apparemment détachée du monde.

Je suis heureux de pouvoir venir ici peu de temps après ma visite dans le continent africain, et, face à cette admirable « missionnaire », de rendre au Père de la vérité et de l’amour éternels tout ce qui, dans la puissance du Fils et de l’Esprit Saint, est déjà le fruit du travail missionnaire de l’Eglise parmi les hommes et les peuples du continent noir. Je voudrais en même temps, si je puis m’exprimer ainsi, me faire prêter par Thérèse de Lisieux, le regard perspicace de sa foi, sa simplicité et sa confiance, en un mot la « petitesse » juvénile de son coeur, pour proclamer devant toute l’Eglise combien la moisson est abondante, et pour demander comme elle, pour demander au Maître de la moisson d’envoyer, avec une générosité plus grande encore, des ouvriers dans sa moisson [5]. Qu’Il les envoie malgré tous les obstacles et toutes le difficultés qu’Il rencontre dans le coeur de l’homme, dans l’histoire de l’homme.

En Afrique, j’ai bien souvent pensé: quelle foi, quelle énergie spirituelle avaient donc ces missionnaires du siècle dernier ou de la première moitié de ce siècle, et tous ces Instituts missionnaires qui se sont fondés, pour partir sans hésiter dans ces pays alors inconnus, dans le seul but de faire connaître l’Evangile, de faire naître l’Eglise! Ils y voyaient avec raison une oeuvre indispensable au salut. Sans leur audace, sans leur sainteté, les Eglises locales dont nous venons de célébrer le centenaire, et qui sont désormais guidées surtout par des évêques africains, n'auraient jamais existé. Chers Frères et Soeurs, ne perdons pas cet élan!

En fait, je sais que vous ne voulez pas vous y résoudre. Je salue parmi vous les anciens évêques missionnaires, témoins du zèle dont je parlais. La France a encore beaucoup de missionnaires de par le monde, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, et certains Instituts se sont ouverts à la mission.

Je vois ici les membres du chapitre des Missions Etrangères de Paris, et j’évoque le bienheureux Théophane Vénard dont le martyre en Extrême-Orient fut une lumière et un appel pour Thérèse. Je pense aussi à tous les prêtres français qui consacrent au moins quelques années au service des jeunes Eglises, dans le cadre de Fidei donum.Aujourd’hui, on comprend d’ailleurs mieux la nécessité d’un échange fraternel entre les jeunes et les vieilles Eglises, au bénéfice des deux. Je sais par exemple que les OEuvres pontificales missionnaires, en liaison avec la Commission épiscopale des Missions à l’extérieur, ne visent pas seulement à susciter l’entraide matérielle, mais à former l’esprit missionnaire des chrétiens de France, et je m’en réjouis. Cet élan missionnaire ne peut surgir et porter des fruits qu’à partir d’une plus grande vitalité spirituelle, du rayonnement de la sainteté.

4. « Le beau existe afin qu’il nous enchante pour le travail », a écrit Cyprian Norwid, l’un des plus grands poètes et penseurs qu'ait donné la terre polonaise, et qu’a reçu ? et conservé au cimetière de Montmorency ? la terre française...

Rendons grâces au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les saints. Rendons grâces pour sainte Thérèse de Lisieux. Rendons grâces pour la beauté profonde, simple et pure, qui s’est manifestée en elle à l’Eglise et au monde. Cette beauté enchante. Et Thérèse de Lisieux a un don particulier pour enchanter par la beauté de son âme. Même si nous savons tous que cette beauté fut difficile et qu’elle a grandi dans la souffrance, elle ne cesse de réjouir de son charme particulier les yeux de nos âmes.

Elle enchante, donc, cette beauté, cette fleur de la sainteté qui a grandi sur ce sol; et son charme ne cesse de stimuler nos coeurs à travailler: « Le beau existe afin qu’il nous enchante pour le travail ». Pour le travail le plus important, dans lequel l’homme apprend à fond le mystère de son humanité. Il découvre en lui-même ce que signifie avoir reçu « un esprit de fils adopti », radicalement différent d’« un esprit d’esclave », et il commence à s’écrier de tout son être: « Abba! Père! » [6].

Par les fruits de ce magnifique travail intérieur se construit l’Eglise, le Règne de Dieu sur la terre, dans sa substance la plus profonde et la plus fondamentale. Et le cri « Abba! Père! », qui résonne largement dans tous les continents de notre planète, revient aussi par son écho dans la clôture carmélitaine silencieuse, à Lisieux, vivifiant toujours de nouveau le souvenir de la petite Thérèse, laquelle, par sa vie brève et cachée mais si riche, a prononcé avec une force particulière: « Abba! Père! ». Grâce à elle, l’Eglise entière a retrouvé toute la simplicité et toute la fraîcheur de ce cri, qui a son origine et sa source dans le coeur du Christ lui-même.

[1]
Rm 8,14-15.
[2] Rm 8,17.
[3] Cfr. Lc 2,49.
[4] Mc 16,15.
[5] Cfr. Mt 9,37-38.
[6] Rm 8,15.



Pèlerinage Apostolique au Brésil (30 juin-12 juillet 1980)

4 juillet 1980, Aparecida

40780
Aparecida (Brésil)
Vendredi 4 juillet 1980


Vive la Mère de Dieu conçut sans péché!
Vive la Vierge immaculée Notre Dame d'Aparecida!

1. Depuis que j'ai posé le pied sur la terre du Brésil, partout of: je suis passé, j'ai entendu ce cantique. Dans la naïveté et la simplicité de ces paroles, c'est un cri de l'âme, une salutation, une invocation pleine de dévotion filiale et de confiance envers celle qui, vraie Mère de Dieu, nous a été donnée par son Fils Jésus au dernier moment de sa vie (cf.
Jn 19,2) pour être notre Mère.

229 Nulle part ailleurs ce chant n'a autant de sens ni autant d'intensité qu'en ce lieu où la Vierge, il y a plus de deux siècles, a rencontré le peuple brésilien d'une manière singulière. Depuis, c'est vers ce lieu qu'à bon droit le peuple se tourne dans ses angoisses; depuis, c'est ici que bat le coeur catholique du Brésil. But d'incessants pèlerinages venus de tout le pays, c'est ici, comme on l'a dit « la capitale spirituelle du Brésil ».

C'est un moment particulièrement émouvant et heureux que celui-ci où, avec vous qui représentez tout le peuple du Brésil, je rencontre pour la première fois Notre Dame d'Aparecida.

2. Pour me préparer spirituellement à ce pèlerinage à l'Aparecida, j'ai lu avec une religieuse attention le récit simple et enchanteur de l'image que nous vénérons ici. Les efforts inutiles de trois pêcheurs cherchant du poisson dans les eaux du Paraíba en ce lointain 1717. La découverte inattendue du corps puis de la tête de la petite image de céramique noircie par la boue. La pêche abondante qui suivit cette découverte. Le culte, aussitôt instauré, de Notre Dame de Conception, selon les apparences de cette statue brune, affectueusement appelée « a Aparecida » (« celle qui est apparue »). Les abondantes grâces de Dieu en faveur de ceux qui invoquent ici la Mère de Dieu.

Depuis le brut oratoire primitif — « l'autel de bois » des vieux documents — puis la chapelle qui le remplaça avec différentes adjonctions successives et enfin l'ancienne basilique de 1908, les sanctuaires matériels élevés ici ont toujours été l'oeuvre et le symbole de la foi du peuple brésilien et de son amour pour la très sainte Vierge. Puis, on connaît les pèlerinages auxquels prennent part, au cours des siècles, des personnes de toutes classes sociales venant des régions du pays les plus distantes et les plus variées. L'année dernière, il y a eu plus de cinq millions cinq cent mille pèlerins qui sont passés par ici. Que cherchaient les pèlerins d'autrefois? Que cherchent les pèlerins d'aujourd'hui? Cela même qu'ils venaient chercher le jour plus ou moins éloigné de leur baptême: la foi et les moyens de l'alimenter. Ils cherchent les sacrements de l'Eglise, surtout la réconciliation avec Dieu et la nourriture de l'Eucharistie. Et ils repartent revivifiés, pleins de reconnaissance pour Notre Darne, Mère de Dieu et la nôtre.

:3. Les grâces et les bienfaits spirituels se multiplient en ce lieu et en 1904 Notre Dame d'Aparecida est solennellement couronnée. Il y a exactement 50 ans, en 1930, elle est proclamée patronne principale du Brésil. Plus tard, en 1967, il revient à mon vénéré prédécesseur Paul VI de gratifier sanctuaire d'une rose d'or. Il voulait par ce geste honorer la Vierge en ce lieu saint et stimuler le culte marial.

Venons-en à notre temps. Devant la nécessité d'une Eglise plus vaste et mieux adaptée aux exigences de pèlerins toujours plus nombreux, c'est l'audacieux projet d'une nouvelle basilique. Des années de labeur incessant ont été nécessaires pour la construction de cet imposant édifice. Et aujourd'hui, après de nombreuses difficultés surmontées, voici la splendide réalité que nous contemplons. Les noms de nombreux architectes et ingénieurs resteront liés à cette oeuvre ainsi que ceux d'humbles ouvriers, de généreux bienfaiteurs, de prêtres qui se consacrent à ce sanctuaire. Un nom se détache sur tous les autres et les symbolise tous: celui de mon Frère le Cardinal Carlos Carmelo de Vasconcelos Motta, grand animateur de cette nouvelle église, maison maternelle et héritage historique de la Reine Notre Darne d'Aparecida.

4. Je viens donc consacrer cette basilique, témoin de la foi et de la dévotion mariale du peuple brésilien; et je le ferai avec joie et émotion après la célébration de l'Eucharistie.

Cette église est la demeure du « Seigneur des seigneurs et du Roi des rois » (cf.
Ap 17,14). Dans cette église, comme la reine Esther, la Vierge immaculée qui a conquis le coeur de Dieu et en qui le Tout-Puissant fait « de grandes choses » (cf. Est Est 5,5 Lc 1,49) ne cessera d'accueillir de nombreux fils et d'intercéder pour eux: « mon désir est que mon peuple soit épargné » (cf. Est 7,3).

Cet édifice marial qui abrite la présence réelle, eucharistique, du Seigneur, et où se réunit la famille des fils de Dieu pour offrir avec le Christ les « sacrifices spirituels » faits de joies et de douleurs, d'espérances et de luttes, est également le symbole d'un autre édifice spirituel dans lai construction duquel nous sommes invités à entrer comme des pierres vivantes (cf. 1P 2,5). Comme disait Saint Augustin: « Ceci est la maison de nos prières mais nous-mêmes nous sommes la maison de Dieu. Nous sommes construits comme maison de Dieu en ce monde et nous serons solennellement consacrés à la fin des temps. L'édifice ou mieux la construction se fait avec peine; la consécration se fait dans la joie » (cf. St Aug. Sermo 336, 1, 6; PL 38 ed. 1861. 1471-72).

5. Cette église est l'image de l'Eglise qui « à l'imitation de la Mère de son Seigneur par la vertu de l'Esprit Saint, conserve virginalement intacte la foi, solide l'espérance, sincère la charité » (Constitution dogm. Lumen Gentium LG 4).

Dans le texte de l'Apocalypse que nous venons d'entendre dans la seconde lecture, le voyant de Patmos contemple et décrit la femme qui est la figure de cette Eglise. Au cours des temps, la piété populaire reconnaît aussi Marie, la Mère de Jésus, dans cette femme couronnée de douze étoiles. Du reste, comme le rappelait Saint Ambroise et comme le déclare Lumen Gentium, Marie est elle-même figure de l'Eglise.

230 Oui, bien-aimés frères et fils, Marie — la mère de Dieu — est un modèle pour l'Eglise et une Mère pour les rachetés. Par son adhésion rapide et inconditionnée à la volonté de Dieu qui lui a été révélée, elle est devenue la Mère du Rédempteur (cf. Lc 1,32) par une participation intime et toute spéciale à l'histoire du salut. Par les mérites de son Fils elle est l'Immaculée conception, conçue sans le péché originel, préservée de tout péché et pleine de grâce.

Nous sommes appelés à construire l'Eglise en face de la faim de Dieu que l'on perçoit aujourd'hui chez beaucoup d'hommes mais aussi en face du sécularisme qui attire tant de monde, parfois imperceptiblement comme la rosée ou d'autres fois plus violemment comme un cyclone.

6. Le péché enlève à Dieu la place centrale qui lui est due dans l'histoire des hommes et dans l'histoire personnelle de chaque homme. Ce fut la première tentation: « Vous serez comme Dieu » (cf. Gn 3,8). Et après le péché originel, en se détachant de Dieu, l'homme se trouve soumis aux tentations, déchiré dans ses choix entre l'Amour « qui vient du Père » et « l'amour qui ne vient pas du Père, mais du monde » (cf. 1Jn 2,15-16) et, puis encore, l'homme s'aliène lui-même en faisant l'option de « la mort de Dieu » qui porte fatalement en soi la mort de l'homme (cf. Jean-Paul II, Message de Pâques de 1980).

En se reconnaissant « servante du Seigneur » (cf. Lc 1,38) en prononçant son « oui » et en accueillant le mystère du Christ rédempteur « dans son coeur et dans son sein » (cf. St Aug. De Virginitate 6 PL 40, 399), Marie n'a pas été un instrument simplement passif entre les mains de Dieu, mais elle a coopéré au salut des hommes avec une foi libre et une obéissance parfaite. Sans rien enlever ou diminuer et sans rien ajouter à l'action de Celui qui est l'unique médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, Marie nous indique les voies du salut, voies qui convergent toutes vers le Christ son Fis et vers son oeuvre de rédemption.

Marie nous mène au Christ comme l'affirme avec précision le Concile Vatican II: « la fonction maternelle de Marie à l'égard des hommes n'obscurcit en aucune façon ni ne diminue l'unique médiation du Christ, mais elle en manifeste l'efficacité (...) et elle n'empêche en aucune façon le contact immédiat des fidèles avec le Christ, elle le facilite au contraire » (Const. dogm. Lumen Gentium LG 60).

7. Mère de l'Eglise, le très sainte Vierge est présente d'une façon particulière à la vie et à l'action de l'Eglise. C'est justement pour cela que l'Eglise a les yeux constamment tournés vers celle qui, demeurée vierge, a engendré le Verbe fait chair par l'opération du Saint-Esprit. Quelle est la mission de l'Eglise si ce n'est de faire naître le Christ dans le coeur des fidèles (cf. ibidem. n. LG 65) par l'action du même Esprit-Saint, par le moyen de l'évangélisation? Ainsi « l'étoile de l'évangélisation » comme l'a appelée mon prédécesseur Paul VI indique et illumine les voies de l'annonce de l'Evangile. Cette annonce du Christ rédempteur dans son message de salut, ne peut être réduit à un simple projet humain de bien-être et de bonheur temporel. Il a certainement des incidences dans l'histoire humaine collective et individuelle, mais il est fondamentalement une annonce de libération du péché par la communion avec Dieu en Jésus-Christ. Mais cette communion avec Dieu ne sépare pas de la communion des hommes entre eux car ceux qui se convertissent au Christ, auteur du salut et principe d'unité sont appelés à s'unir dans l'Eglise, sacrement visible de cette unité salvifique (cf. ibidem, n. LG 9).

C'est pourquoi nous formons tous la génération actuelle des disciples du Christ dans une totale adhésion à une tradition ancienne et dans un plein respect et un amour entier pour les membres de toutes les communautés chrétiennes, nous désirons nous unir à Marie et nous y sommes poussés par un profond besoin de foi, d'espérance et de charité (cf. Jean-Paul II, Redemptor hominis RH 22). Disciples de Jésus-Christ en ce montent crucial de l'histoire humaine, en plein accord avec la tradition ininterrompue et avec le sentiment constant de l'Eglise, intimement poussés pas' un impératif de foi, d'espérance et de charité, nous désirons nous unir à Marie. Et nous voulons le faire en empruntant les expressions de la piété mariale de l'Église de tous les temps.

8. L'amour et la dévotion à Marie, éléments fondamentaux de la culture de l'Amérique latine (idem, Homélie à Zapopan, Mexique AAS 71, 1979, 228; Document de Puebla n. 283) sont un des traits caractéristiques de la religiosité du peuple brésilien. Je suis certain que les pasteurs de l'Eglise sauront respecter ce trait particulier, le cultiver et l'aider à trouver une meilleure expression afin de réaliser le dicton: aller « à Jésus par Marie ». Pour cela il ne sera pas inutile de se rappeler que la dévotion à la Mère de Dieu a une âme, quelque chose d'essentiel qui s'incarne dans de multiples formes extérieures. Ce qu'elle a d'essentiel est stable et inaltérable, et demeure un élément intrinsèque du culte chrétien. S'il est bien compris et correctement réalisé, il constitue dans l'Eglise, comme le soulignait mon prédécesseur Paul VI, un excellent témoignage de sa norme d'action (lex orandi) et une invitation à raviver dans les consciences sa norme de foi (lex credendi). Les formes extérieures sont, par leur nature sujettes à l'usure du temps et, comme le déclarait le même regretté Paul VI, elles ont besoin d'être constamment renouvelées et réactualisées, mais, cependant, dans un plein respect de la tradition (Exhort. apost. Marialis cultus, n. 24).

9. Et vous, dévots de Notre Dame et pèlerins de l'Aparecida, ici présents ou qui nous accompagnez à la radio ou la télévision: conservez jalousement à l'égard de la Vierge ce tendre et confiant amour qui vous caractérise. Ne le laissez jamais s'attiédir! Que ce ne soit pas un amour abstrait, mais un amour incarné. Soyez fidèles à ces exercices de piété mariale, traditionnels dans l'Eglise: la récitation de l'Angélus, le mois de Marie et, d'une manière toute spéciale, le rosaire. Puisse renaître la belle habitude, autrefois si répandue, aujourd'hui encore vivante dans certaines familles brésiliennes — de la récitation du chapelet en famille.

Je sais que, récemment, dans un incident lamentable, la petite image de Notre Dame d'Aparecida s'est brisée. On m'a dit que au milieu de mille fragments on a retrouvées intactes les deux mains de la Vierge jointes pour la prière. Ce fait est une sorte de symbole: les mains jointes de Marie au milieu des ruines sont une invitation à ses fils à donner un espace à la prière dans leur vie, un espace à l'absolu de Dieu sans lequel tout le reste perd son sens, sa valeur et son efficacité. Le vrai fils de Marie est un chrétien qui prie.

La dévotion à Marie est la source d'une vie chrétienne profonde, elle est source d'engagement à l'égard de Dieu et l'égard des frères. Restez à l'école de Marie, écoutez sa voix, suivez ses exemples. Comme nous l' avons entendu dans l'Evangile, elle nous oriente vers Jésus: « Faites ce qu'il vous dira » (Jn 2,6). Comme elle l'a fait un jour à Cana en Galilée elle présente à son Fils les difficultés des hommes et elle obtient de lui les grâces qu'ils désirent. Prions avec Marie et par Marie: elle est toujours la « Mère de Dieu et notre mère ».

231 Notre Dame d'Aparecida, un de vos fils / qui vous appartient sans réserve — totus tuus! — / appelé par le mystérieux dessein de la Providence / à être le vicaire de votre Fils sur la terre / veut s'adresser à vous en ce moment.

Il se rappelle avec émotion / dans la couleur brune de votre image / une autre de ces images / la Vierge noire de Jasna Gora!

Mère de Dieu et notre mère / protégez l'Eglise, le pape, les évêques, les prêtres / et tout le peuple fidèle; / accueillez sous votre manteau protecteur / les religieux, les religieuses, les familles, / les enfants, les jeunes et leurs éducateurs/

Salut des infirmes et consolatrice des affligés, / réconfortez ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme / soyez la lumière de ceux qui cherchent le Christ, rédempteur de l'homme / à tous les hommes montrez que vous êtes la mère de notre confiance.

Reine de la paix et miroir de la justice, / obtenez la paix au monde, / faites que le Brésil vive dans une paix durable / que les hommes vivent toujours ensemble comme des frères, / comme des fils de Dieu!

Notre Dame d'Aparecida, / bénissez ce sanctuaire qui est vôtre et ceux qui y travaillent / bénissez ce peuple qui y prie et y chante / bénissez tous vos fils / bénissez le Brésil. Amen.






Homélies St Jean-Paul II 10680