Homélies St Jean-Paul II 19282

19 février 1982, Messe à Libreville (Gabon)

19282
Vendredi, 19 février 1982

Le 19 février, le Pape a d'abord rencontré les représentants des autres communautés chrétiennes, puis il s'est rendu au stade « Omar Bongo » pour célébrer la dernière eucharistie de son voyage en Afrique. Voici l'homélie qu'il a prononcée au cours de cette célébration (1) :

(1) Texte français dans l'Osservatore Romano du 20 février. Titre de la DC.

Le service de l’Église locale

Chers Frères et Soeurs du Gabon,

Vous avez été délivrés de la puissance du Mal en donnant votre foi à Dieu notre bon Pasteur: vivez confiants dans son amour!

Vous avez été accueillis par l’Église comme membres à part entière: prenez-y vos responsabilités pour édifier chez vous cette Maison spirituelle!

Dans votre vie familiale, vous êtes associés au mystère de l’amour de Dieu et au don de sa vie: ce mystère est grand!

Le Christ vous appelle, comme saint Pierre, à surmonter vos craintes et vos faiblesses pour le suivre sur le chemin exigeant des béatitudes: marchez dans l’espérance, avec la force de l’Esprit Saint!

Voici quatre aspects de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ que je voudrais méditer avec vous.

239 1. Et tout d’abord, cet Apôtre Pierre, auquel Jésus ressuscité a dit sur les bords du lac en Galilée: “Sois le pasteur de mes brebis”, a terminé, vous le savez, sa vie terrestre à Rome, martyr de sa fidélité à l’amour du Christ. Mais de même que sur son tombeau une somptueuse basilique a été construite, c’est sur sa foi que l’immense Église de Jésus-Christ s’est appuyée depuis vingt siècles.

De Cracovie, Dieu m’a appelé à Rome, moi son indigne serviteur, pour hériter de la responsabilité de Pierre, qui est de maintenir rassemblés autour du Christ, le vrai Pasteur, les brebis dispersées.

Dans l’accomplissement de cette mission, j’aime vous relire quelques mots que précisément l’Apôtre Pierre écrivait de Rome à des chrétiens d’Asie mineure convertis du paganisme: “Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu: vous êtes donc chargés d’annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. Car autrefois vous n’étiez pas son peuple, mais aujourd’hui vous êtes le peuple de Dieu. Vous étiez privés d’amour, mais aujourd’hui Dieu vous a montré son amour”.

Chers Frères et Soeurs, voilà un message réconfortant, un message de paix! Il est aussi pour vous qui avez donné votre foi au Christ. Certes Dieu n’a jamais été loin de vos ancêtres, qui avaient d’ailleurs leurs vertus naturelles; mais ils ne connaissaient pas comme vous son visage de Sauveur.

Vous le connaissez. Vous avez été baptisés en son nom, délivrés au plus profond de vos âmes, de l’emprise du Malin qui, depuis le péché originel, tient l’homme dans la servitude, dans le maléfice, dans le mensonge et dans la peur. Vous avez reçu l’Esprit Saint qui vous donne de vous tourner vers Dieu en l’appelant comme Jésus: “Abba! Père”, Déjà le prophète Ézéchiel nous annonçait un Dieu soucieux de toutes ses brebis, cherchant celle qui est égarée, soignant celle qui est blessée, fortifiant celle qui est malade. Et Jésus nous a révélé mieux que quiconque le visage de son Père, un visage de miséricorde, souffrant du péché, mais prêt à pardonner au pécheur, à le relever, à le réintégrer dans la maison paternelle. Ce qu’il demande en premier lieu, comme Jésus l’a dit à Pierre, c’est l’amour: “M’aimes-tu vraiment?”. Oui, Jésus nous permet de nous approcher de ce Dieu miséricordieux, de le prier avec confiance de continuer à nous délivrer du mal, en exerçant nous-mêmes la miséricorde.

Certes, notre vie, comme celle de tous les hommes, comme celle de tous les chrétiens, reste soumise à de nombreuses épreuves. C’est que, par le péché originel, le genre humain a hérité d’une situation historique de désordre, de rupture avec Dieu, comme le révèle la Bible, d’une façon globale et mystérieuse; et les causes immédiates et concrètes de ces épreuves sont à chercher dans les limites normales de ce monde créé, parfois dans les conditions climatiques difficiles, dans notre état de créature mortelle, dans nos imprévoyances, dans nos négligences, et aussi parfois dans les injustices sociales entretenues par d’autres. Avec le Christ, l’“homme des douleurs”, elles peuvent être accueillies, offertes, surmontées avec courage; il faut éviter de se laisser obséder par la malveillance des autres, et plus encore d’entretenir une peur morbide de Dieu “qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, tomber la pluie sur les justes et sur les injustes”.

Pour vous, chers Frères et Soeurs, tout en renonçant au péché – la seule chose qu’il faille craindre!

– bannissez tout fatalisme, toute peur inutile. Tout en travaillant ardemment à écarter les souffrances et les difficultés naturelles de la vie, précisément avec tous les moyens que Dieu vous a donnés, mettez toujours votre confiance dans le Sauveur, en Lui seul, en recourant à Lui en toute simplicité.

Et appuyez-vous sur la vie communautaire de vos proches et spécialement des chrétiens que Dieu a appelés à vivre comme des frères.

Voilà le premier aspect de la Bonne Nouvelle: la paix en Dieu.

2. Maintenant, attachez-vous à édifier l’Église au Gabon, “en laquelle est vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique”, comme en chaque Église particulière.

240 L’unique Église du Christ vous a précédés. Instituée par Lui, elle s’est déployée au grand jour à la première Pentecôte chrétienne, à Jérusalem. Elle “a pour fondation les Apôtres et les prophètes, et la pierre angulaire, c’est le Christ lui-même”, comme saint Paul vient de nous le rappeler. Elle est unique, même si malheureusement les chrétiens sont parfois divisés. C’est elle qui envoie certains de ses membres en mission, pour fonder de nouvelles communautés, comme les missionnaires l’ont fait chez vous voilà presque cent quarante ans. “Vous avez été intégrés dans la construction... pour devenir vous aussi, par l’Esprit Saint, la demeure de Dieu”. “Vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens de passage; vous êtes citoyens du peuple saint, membres de la famille de Dieu”.

Ceux qui sont venus vous apporter l’Évangile, comme ils l’avaient eux-mêmes reçu, l’ont fait par amour pour vous. Dans la foi, vous n’étiez pas pour eux des étrangers. Vous continuez, heureusement, à bénéficier de l’entraide fraternelle de ces missionnaires venus d’une autre patrie, mais cette Église, édifiée à partir des enfants de ce pays et pour eux, doit aussi, et de plus en plus, reposer sur votre responsabilité: sur vos évêques – le Saint-Siège a tenu à ce qu’ils soient actuellement tous Gabonais –, et sur vos prêtres, sur les religieux et religieuses de ce pays, sur les laïcs, catéchistes ou responsables à divers titres, bref sur tous les ouvriers apostoliques auxquels j’ai parlé avant-hier à la cathédrale, mais aussi sur tous les autres baptisés et confirmés, qui prennent leurs responsabilités avec un esprit chrétien dans leur famille, dans leur école, dans leur profession, dans la société civile. Car chacun entre à sa façon dans la construction de l’Église au Gabon. Il y va de son enracinement durable. Il y va de sa vitalité. Il y va de son authenticité pour qu’elle touche en profondeur l’âme gabonaise et produise des fruits qui aient la saveur de ce pays. Le thème de cette messe est précisément celui de l’Église locale. Chaque Église locale, surtout lorsqu’elle est rassemblée dans la prière autour de son Évêque, successeur des Apôtres et représentant du Christ au milieu d’elle, est la principale manifestation du mystère de l’Église. En la personne de Monseigneur Fernand Anguillé, Archevêque de Libreville, de Monseigneur Félicien Makouaka, Évêque de Franceville, de Monseigneur Cyriaque Obamba, Évêque de Mouila, de Monseigneur François Ndong, Évêque d’Oyem, et de son coadjuteur, Monseigneur Basile Mvé Engone, je salue affectueusement chacune de vos Églises locales qui forment ensemble l’Église au Gabon.

Ces Églises locales devront bien sûr toujours éviter le repli sur elles-mêmes. Vous comprenez d’ailleurs fort bien – et je vous en félicite – la nécessité de votre communion avec les autres communautés ecclésiales du monde entier, et avec celui qui préside au collège des évêques, le successeur de Pierre. Cette communion signifie aussi, en pratique, le partage de la même foi, de la même éthique chrétienne, des mêmes sacrements, de la discipline essentielle commune à toute l’Église. Ces liens seront d’ailleurs toujours pour vous-mêmes une condition de votre fidélité à l’Évangile, de l’authenticité de votre appartenance à l’Église catholique. Mais à l’intérieur de ces liens doit s’épanouir votre personnalité gabonaise.

Certains diront peut-être: comment pourrons-nous trouver les moyens de cette prise en charge de notre Église, tant que nous ne disposerons pas suffisamment, par nous-mêmes, des pasteurs, des religieuses, des moyens pédagogiques, des ressources financières qui nous seraient nécessaires?

Sans doute le passage ne peut être que progressif. Mais ce n’est pas tellement une question de moyens accrus: beaucoup d’Églises ont dû aujourd’hui se contenter de moyens pauvres, comme à l’origine, comme à chaque crise historique éprouvée par l’Église et suivie d’un renouveau. C’est bien plus une question de vigueur intérieure, de sève spirituelle, comme la sève généreuse de vos arbres si magnifiques qui fait jaillir leur frondaison, et cela, vous en avez déjà les moyens spirituels.

Il faut aussi que règne un climat de confiance et de co-responsabilité, qui permette d’associer aux initiatives apostoliques ceux qui se contentaient de recevoir, et souvent de l’étranger, une assistance. N’est-ce pas le chemin que, grâce à Dieu, un certain nombre de laïcs ont commencé à prendre chez vous, ou espèrent prendre? Dieu veuille qu’ils trouvent le soutien spirituel dont ils ont besoin, et que beaucoup de vocations sacerdotales et religieuses se lèvent parmi eux! Oui, l’Esprit de Dieu saura susciter cette maturité à la mesure de votre foi.

3. Après la paix reçue de Dieu et la vitalité de l’Église locale, j’aborde le troisième aspect de la Bonne Nouvelle. Il est un lieu en effet où l’Église doit trouver son expression privilégiée: c’est la famille. Le Concile Vatican II n’a pas hésité à appeler la famille chrétienne l’“Église domestique”, une Église en miniature.

Les coutumes ancestrales, au Gabon comme en beaucoup de pays africains, marquent encore profondément bien des familles. Elles ont inculqué à celles-ci un certain nombre de valeurs qui peuvent être très précieuses pour les époux chrétiens; en particulier elles permettent d’éviter au couple de se limiter à une perspective trop individualiste, en le maintenant par exemple solidaire des familles des époux: celles-ci peuvent apporter leur part à la fondation du nouveau foyer et demeurent susceptibles de lui manifester encore leur aide dans l’éducation des enfants ou devant les épreuves qui surviennent. Dans la mesure où de telles pratiques favorisent la stabilité et l’unité des couples, tout en laissant aux fiancés la liberté de leur consentement et de leur engagement personnels, l’Église ne peut que s’en réjouir.

Ce que l’Église demande aux chrétiens de bien comprendre, c’est la dignité incomparable de l’union de l’homme et de la femme dans le plan originel de Dieu, et le sens du sacrement du mariage chrétien: celui-ci a pour but d’élever l’union des époux à l’instar de l’Alliance d’amour entre le Christ et son Église, de les associer au dynamisme du mystère pascal du Sauveur et d’apporter ainsi à toute leur vie de conjoints une sanctification et un rayonnement qui rejaillissent sur leurs personnes, sur leurs enfants, sur la vie de l’Église et de la société.

Le temps me manque pour reprendre ici ce que j’exposais longuement il y a à peine deux ans aux familles chrétiennes de Kinshasa, ce dont les évêques du monde entier ont témoigné au Synode de l’automne 1980, et ce que j’ai moi-même écrit pour toute l’Église dans ma récente exhortation apostolique. Je m’en remets à vos Pasteurs pour vous donner les moyens concrets de vous familiariser avec la nature du mariage chrétien, et vous permettre d’en vivre dès maintenant.

Pensez par exemple au véritable amour conjugal, source et force d’une communion indissoluble, dont la fidélité rappelle la fidélité inébranlable de Dieu à son Alliance avec les hommes. Pensez au souci qu’a l’Église de faire en sorte que la personne – en particulier la femme – ne soit jamais traitée comme “objet” de plaisir, ni même comme un simple moyen de fécondité, mais qu’elle mérite d’être aimée pour elle-même de la part du conjoint, même si malheureusement elle connaît l’épreuve de la stérilité. Pensez encore aux valeurs de respect, de délicatesse, de pardon, de miséricorde, dont la vision chrétienne enrichit le mariage. Pensez à la dignité du rôle de père et de mère, où les conjoints deviennent coopérateurs du Dieu créateur en donnant la vie, et à leur responsabilité commune pour élever jusqu’à la maturité affective et spirituelle les enfants qu’ils ont mis au monde.

241 Pour protéger tout cela, l’Église rappelle des exigences, des exigences graves, certes, qui ont leur fondement dans l’Évangile et qui nécessitent des efforts et la conversion du coeur. Mais elle voudrait que les chrétiens perçoivent d’abord le sacrement du mariage comme une “grâce”. Elle comprend avec miséricorde ceux qui éprouvent des difficultés à y correspondre en plénitude, et elle ne veut écarter personne d’“un cheminement pédagogique de croissance” qui doit les conduire plus loin, “jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine dans ce mystère de leur vie” Aux familles du Gabon, comme je l’ai écrit dans l’exhortation, je dis: “Famille, deviens ce que tu es!”. Je félicite les foyers chrétiens qui donnent déjà ce beau témoignage: il y en a un certain nombre dans ce pays. Et je les invite à entraîner les autres foyers dans leur sillage, par un apostolat de couple à couple, comme j’invite toute l’Église au Gabon à promouvoir une pastorale adéquate de la famille.

4. En conclusion, chers Frères et Soeurs – et c’est le sommet de la Bonne Nouvelle que je vous annonçais –, je demande pour vous au Seigneur une vive espérance, sur le chemin de la sainteté des béatitudes.

Nous venons d’évoquer certaines exigences de la vie chrétienne. Ces jours derniers, j’en ai rappelé d’autres, à chaque catégorie du peuple de Dieu, mais toujours avec confiance et sur un ton positif.

Toutes ces exigences concrétisent le double commandement fondamental: aimer Dieu de toutes ses forces, aimer le prochain comme nous-mêmes, ou plutôt comme Jésus nous a aimés. Il va de soi que la prière, la participation aux sacrements et notamment à la célébration eucharistique du dimanche en sont l’expression et les aliments essentiels.

Certains sont tentés de demander à l’Église d’assouplir ses exigences, que ce soit par exemple pour le mariage chrétien ou le sacerdoce. En réalité, vous le pressentez tous, l’Église cesserait alors d’être le sel et le levain dont parlait Jésus; elle serait encore moins crédible, son message serait affadi, ambigu, et son témoignage encore moins vigoureux. Le Christ n’a pas proposé la route facile, mais le chemin escarpé, la porte étroite des béatitudes, qui est folie aux yeux de certains hommes, mais qui est sagesse de Dieu et force de Dieu: l’esprit de pauvreté, la pureté, la soif de justice, la douceur, la miséricorde, la recherche de la paix, la patience dans l’épreuve, la persévérance dans la persécution à cause de Jésus et, par surcroît, la joie, oui, la joie la plus profonde: “Bienheureux!”. Voilà ce qui est d’ailleurs capable de rénover le monde actuel, malade de ses incertitudes ou de ses “ersatz” de bonheur. Ce n’est donc pas sur l’argent le pouvoir et la séduction de la facilité que l’Église peut vraiment compter pour résoudre ses problèmes, mais sur la pratique des moyens spirituels qui correspondent aux béatitudes. Et lorsqu’elle a l’audace de le croire et d’y risquer son engagement, alors un nouvel horizon, une nouvelle Pentecôte s’ouvre devant elle. Le chemin qui semblait la conduire au fatalisme, au découragement, qui aurait pu la replier sur sa “crise” change de sens. Tout est possible, même si le péché est encore tout proche, même si les tentations demeurent, même si l’on se sent encore faible, lorsque l’on est humble et plein de confiance.

Et voilà que la scène évangélique que nous avons contemplée tout à l’heure vient nous le confirmer. L’Apôtre Pierre est à peine revenu de son humiliation durant la Passion. Une conversation profonde s’engage avec Jésus ressuscité, une sorte de palabre aboutissant à un contrat en trois temps. Jésus connaît sa faiblesse. Mais devant la triple prestation d’amour, il lui dit: “Sois le berger de mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis”. Et il lui confie la marche de tout le troupeau, de toute l’Église. Le Seigneur vous confie aujourd’hui, chers Pasteurs du Gabon, la marche de votre Église.

Quant à moi, je suis ici pour vous affermir dans votre foi, dans votre marche, et tisser des liens de communion plus solides encore entre vous et l’Église universelle qui est solidaire de vous. Un dernier mot vous expliquera le sens de ma mission. Lorsque l’Apôtre Pierre s’arrêta devant le boiteux de la Belle-Porte de Jérusalem, il lui dit: “Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne: au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche”. Aujourd’hui, au sens spirituel, voyant votre bonne volonté, le successeur de Pierre dit à toute l’Église au Gabon: je ne suis venu t’apporter ni or ni argent. Mais ne crains pas. Aie confiance. Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche!

Amen!



2 avril 1982, MESSE CONCÉLÉBRÉE AVEC DES ÉVÊQUES DE L'EST DE LA FRANCE

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Chapelle Mathilde
Vendredi, 2 avril 1982



Chers frères,

Avant de célébrer ensemble cette eucharistie, je voudrais vous dire ma joie de me trouver, ce matin, à l’autel, au milieu de vous. Évêques ou vicaires généraux des diocèses de la région de l’Est de la France, vous êtes venus à Rome, près des tombeaux de Pierre et de Paul, accompagnés de la prière de beaucoup de vos fidèles. Ils attendent de votre rencontre avec l’Évêque de Rome et ses collaborateurs pour le service de l’Église universelle des fruits spirituels. Le premier d’entre eux c’est la charité qui unit tous les membres de l’Église, et qui doit être exemplaire entre ceux du Collège épiscopal. Plus que jamais elle doit être recherchée avec ardeur, à quelques jours de la célébration du Jeudi-Saint, si bouleversante pour nous, Évêques et prêtres.

Ma pensée va à tous vos prêtres, religieux ou séculiers: puissent-ils, unis fraternellement avec vous et entre eux, goûter la grâce d’un renouveau continuel du sacerdoce du Christ, dans l’Église. Puisse aussi cette grâce d’unité et de renouveau être attirante pour tant de jeunes de vos diocèses, pleins de générosité, afin qu’ils laissent pénétrer au plus profond d’eux-mêmes l’appel du Seigneur. C’est pourquoi ma reconnaissance va aussi à vos séminaristes qui se préparent avec sérieux à devenir vos collaborateurs.

Nous sommes en communion avec le peuple de Dieu de vos provinces, avec ses vertus de travail, de persévérance, ses désillusions, ses faiblesses aussi. Dites à vos fidèles, comme à ceux qui ont quitté le chemin de l’Église, que le Pape, avec vous, a rassemblé toutes leurs intentions au cours d’une messe qu’il offre avec vous pour chacun d’entre eux, afin qu’à l’imitation du Christ Jésus, ils soient riches d’actions saintes et bonnes, qui rendent témoignage pour eux, comme l’évoque l’évangile que nous allons entendre dans un instant.



17 avril 1982, Messe pour les jeunes de Rennes et Rouen

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Samedi, 17 avril 1982



Chers jeunes de Rennes et de Rouen,

Votre joie, à la fois personnelle et communautaire, se lit sur tous vos visages. J’en devine tellement les raisons! Vous êtes assurément heureux d’avoir fait une expérience d’amitié fraternelle et d’approfondissement de la foi au centre même de l’Église, sur les traces des Apôtres Pierre et Paul et de tant de martyrs. Votre coeur, comme celui des disciples d’Emmaüs, est brûlant en cette célébration du sacrifice du Christ autour de l’actuel Successeur de Pierre, en ce lieu si évocateur de la création et de la rédemption du monde, grâce à des artistes de génie. Est-il besoin d’ajouter que je suis moi-même très heureux d’être au milieu de vous? J’ai rencontré et accompagné tant de jeunes au cours de ma vie de prêtre et d’Évêque! Merci de votre présence juvénile et réconfortante pour le coeur du Pape et pour l’Église! Merci d’avoir tenu à prier avec moi, avec vos Archevêques qui m’avaient fait connaître votre désir, avec les Aumôniers et autres éducateurs qui se consacrent si généreusement à votre service!

Et maintenant, recueillons-nous, pour laisser la Parole de Dieu imprégner nos coeurs. La première lecture, tirée des Actes des Apôtres, est véritablement stimulante pour les jeunes chrétiens et les jeunes chrétiennes que vous êtes. Vous avez bien retenu que les premiers témoins du Christ – comme tant d’autres depuis vingt siècles – sont arrêtés et interdits, considérés comme des gens quelconques et sans instruction. Vous, vous êtes libres et vous n’êtes pas sans culture! Mais votre titre de chrétien, votre style de vie chrétienne, votre action à cause du Christ et de l’Évangile, ont pu déjà – et pourront encore – provoquer incompréhension ou même opposition... Chers amis, fixez souvent votre regard sur les premiers disciples, Pierre, Jean et les autres, et faites vôtre leur décision courageuse: “Il nous est impossible de ne pas dire ce que nous avons vu et entendu...”. Il est vrai que leur compagnonnage avec le Christ les avait comblés: son enseignement si nouveau par rapport à celui des scribes, ses affirmations inouies sur ses rapports de Fils avec le Père, ses exemples quotidiens de don de lui-même, sa fin tragique offerte pour le salut de tous, son étonnante victoire sur la mort! Je suis sûr que vous aussi vous avez fait au cours de ces journées, vécues à Rome ou à Assise, une découverte nouvelle et peut-être décisive de Jésus-Christ, et du mystère de son Église. Vous ne pouvez pas, et vous ne devez pas garder pour vous seuls cette expérience merveilleuse! Soyez des témoins!

La lecture de l’Évangile de Marc est également très encourageante pour vous! Marie-Madeleine, la pécheresse bien connue, retournée et libérée par Jésus, devient une messagère ardente, que le scepticisme des disciples peine sans doute, mais ne décourage pas. Et ceux-ci, amicalement réprimandés par Jésus lui-même d’avoir laissé le doute les envahir, se voient confier une mission merveilleuse: celle d’aller dans le monde entier pour proclamer la bonne nouvelle. Notez-le bien, en effet: Dieu, infiniment riche en miséricorde, appelle toujours des êtres fragiles et pécheurs à coopérer à son oeuvre.

Ce matin, le Christ – et je me fais l’écho de sa voix – vous envoie tous sans exception, avec vos richesses et vos pauvretés: “Allez dans le monde entier”, je veux dire: aujourd’hui dans vos diocèses de Rennes et Rouen, demain dans les lieux et les pays où se déploiera votre vie d’adulte!

Soyez de vrais disciples du Christ, des relais de son message évangélique. Les hommes ont tant besoin de la Bonne Nouvelle pour sortir du matérialisme ambiant, de la superficialité, et même de l’impression d’un non-sens de l’existence. Aidez-les à lire, et à vivre avec la profondeur chrétienne, ce qui a déjà un sens au plan de leur existence humaine, par exemple l’amitié, l’amour, la famille, la culture, la profession, l’engagement social, la solidarité avec le tiers-monde. Jésus-Christ, mort et ressuscité, vous apprendra toujours et, par vous, apprendra aux autres, à donner à toutes ces réalités un sens et une valeur qui transcendent le simple horizon terrestre! Quelle Bonne Nouvelle pour vous et pour eux!

Le Christ compte sur vous! Et vous lui avez renouvelé votre engagement, au Baptistère de Saint-Jean de Latran, la cathédrale de mon diocèse. Et je tiens à ajouter que le Christ compte tellement sur vous qu’il appelle certains et certaines pour le suivre et se consacrer totalement au service de son Église. Je confie ce souhait ardent à l’intercession de la Vierge Marie, mère du Christ et de l’Église.



Pèlerinage Apostolique au Portugal (12-15 mai 1982)


13 mai 1982, Messe au Sanctuaire de la Vierge de Fátima

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Le message de Fatima à la lumière de l’amour maternel de Marie

Après sa rencontre avec la Conférence épiscopale, le Pape s'est rendu sur la grande place du sanctuaire pour y célébrer l'eucharistie. Voici l'homélie qu'il a prononcée après la liturgie de la parole (1) :

(1) Texte français distribué par la salle de presse du Saint-Siège. Titre et sous-titres de la DC.

1. « Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. »(
Jn 19,27) C'est par ces paroles que se termine l'Évangile de la liturgie de ce jour, ici à Fatima. Le nom du disciple était Jean. C'est précisement lui, Jean, fils de Zébédée, apôtre et évangéliste, qui entendit les paroles du Christ venant du haut de la croix : « Voici ta mère. » Auparavant, le Christ avait dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ».

C'était là un testament admirable.

En quittant ce monde, le Christ donna à sa Mère un homme qui serait pour elle comme un fils : Jean. Il le lui confia. Et par suite de ce don, de cette remise entre ses mains, Marie devint la mère de Jean. La Mère de Dieu est devenue la mère de l'homme.

À partir de cette heure-là, Jean « la prit chez lui » et il devint sur terre le gardien de la Mère de son Maître ; c'est en effet, pour des enfants, un droit et un devoir que de prendre soin de leur mère. Mais Jean devint surtout, par la volonté du Christ, le fils de la Mère de Dieu. Et à travers Jean, tout homme devint son fils à elle.

Le sens des sanctuaires mariaux

2. « Il la prit chez lui » peut également signifier, littéralement, dans sa maison.

Les lieux où Marie se rencontre avec les hommes sont une manifestation particulière de sa maternité à leur égard, comme le sont aussi les maisons où elle habite, les maisons où l'on sent une présence particulière de la Mère.

Ces lieux et ces maisons sont fort nombreux. Et ils sont d'une grande variété, depuis les plus simples oratoires aménagés dans les habitations ou le long des routes, où resplendit l'image de la Mère de Dieu, jusqu'aux chapelles et aux églises construites en son honneur. Il y a cependant quelques lieux où les hommes ressentent d'une manière particulièrement vivante la présence de leur Mère. Parfois, ces endroits rayonnent largement leur lumière, attirent les gens de loin. Leur rayonnement peut s'étendre à un diocèse, à une nation entière, voire à plusieurs nations et jusqu'à plusieurs continents. Tels sont les sanctuaires mariaux.

En tous ces endroits se réalise d'une façon admirable ce testament singulier du Seigneur crucifié : I'homme s'y sent remis et confié à Marie ; I'homme y accourt pour être avec Elle comme avec sa mère ; l'homme lui ouvre son coeur et lui parle de tout : « Il la prend chez lui », c'est-à-dire au milieu de tous ses problèmes, parfois difficiles. Ses problèmes et ceux des autres. Problèmes des familles, des sociétés, des nations, de l'humanité entière.

3. N'en est-il pas ainsi au sanctuaire de Lourdes dans la France voisine ? N'en est-il pas ainsi à Jasna Gora en terre polonaise, le sanctuaire de ma nation, qui célèbre cette année le jubilé de ses six cents ans ?

Il semble que là aussi, comme en tant d'autres sanctuaires mariaux dispersés de par le monde, résonnent avec une force d'authenticité toute particulière ces paroles de la liturgie de ce jour : « Tu es le grand honneur de notre race ! » (Jdt 15,9), et encore celles-ci : « Quand notre race était humiliée [...], tu es intervenue pour empêcher notre ruine, en agissant résolument sous le regard de notre Dieu. (Jdt 13,20)

Ces paroles résonnent à Fatima comme un écho spécial des expériences non seulement de la nation portugaise, mais aussi de tant d'autres nations et peuples qui se trouvent sur le globe terrestre ; elles sont même l'écho de l'expérience de toute l'humanité contemporaine, de toute la famille humaine.

Proclamer la gloire de Dieu

4. Je viens donc ici aujourd'hui parce que c'est précisément en ce jour de l'an dernier qu'a eu lieu, sur la place Saint-Pierre à Rome, l'attentat contre la vie du Pape, en mystérieuse coïncidence avec l'anniversaire de la première apparition à Fatima le 13 mai 1917.

Ces dates se sont rencontrées d'une manière telle que j'ai cru y reconnaître un appel spécial à venir ici. Et voilà qu'aujourd'hui je suis ici. Je suis venu remercier la divine providence en ce lieu que la Mère de Dieu semble avoir si particulièrement choisi. « Les faveurs du Seigneur ne sont pas épuisées » (Lm 3,22) : je le répète encore une fois avec le prophète.

Je suis venu surtout pour proclamer ici la gloire de Dieu même : « Béni soit le Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre », je le dis avec les mots mêmes de la liturgie de ce jour (Jdt 13,18).

Et vers le Créateur du ciel et de la terre j'élève également cette hymne spéciale de gloire qu'est elle-même la Mère immaculée du Verbe incarné.

« Bénie sois-tu, ma fille, par le Dieu Très-Haut, entre toutes les femmes de la terre. Jamais l'espérance dont tu as fait preuve ne s'effacera du souvenir des hommes, mais ils se rappelleront éternellement la puissance de Dieu.

« Que Dieu accorde un heureux résultat à cet exploit et qu'il t'exalte pour toujours ! » (Ibid, vv. Jdt 13,18-20.)

À la base de ce chant de louange que l'Église élève avec joie ici comme en tant de lieux de la terre, se trouve l'incomparable choix d'une fille du genre humain comme Mère de Dieu.

Que soit donc adoré surtout Dieu, Père, Fils et Saint- Esprit !

Que soit bénie et vénérée Marie, type de l'Église, en tant que, « demeure de la très sainte Trinité » !

La maternité spirituelle de Marie

5. Depuis le moment où Jésus, en mourant sur la croix, dit à Jean : « Voici ta Mère », depuis le moment où « le disciple la prit chez lui », le mystère de la maternité spirituelle de Marie a trouvé son accomplissement dans l'histoire avec une ampleur sans limites. Maternité veut dire sollicitude pour la vie du fils. Or donc, si Marie est mère de tous les hommes, son empressement pour la vie de l'homme est d'une portée universelle. L'empressement d'une mère embrasse l'homme tout entier. La maternité de Marie commence par sa sollicitude maternelle pour le Christ. Dans le Christ, au pied de la croix, elle a accepté Jean, et elle a accepté tout homme et tout l'homme. Marie les embrasse tous avec une sollicitude particulière dans l'Esprit-Saint. C'est lui, en effet, comme nous le professons dans notre Credo, qui « donne la vie ». C'est lui qui donne la plénitude de la vie ouverte vers l'éternite.

La maternité spirituelle de Marie est donc une participation à la puissance de l'Esprit-Saint, de celui qui « donne la vie ». Elle est en même temps l'humble service de celle qui dit d'elle-même : « Voici la servante du Seigneur. » (Lc 1,38)

À la lumière du mystère de la maternité spirituelle de Marie, cherchons à comprendre le message extraordinaire qui commença à résonner dans le monde, à partir de Fatima depuis le 13 mai 1917 et se prolongea pendant cinq mois, jusqu'au 13 octobre de la même année.

L'Église et le message de Fatima

6. L'Église a toujours enseigné, et continue à proclamer, que la révélation de Dieu a trouvé son accomplissement en Jésus-Christ, qui en est la plénitude, et qu' « aucune nouvelle révélation publique n'est à attendre avant la manifestation glorieuse du Seigneur » (Dei verbum, DV 4). L'Église apprécie et juge les révélations privées selon le critère de leur conformité avec cette unique révélation publique.

Si l'Église a accueilli le message de Fatima, c'est surtout parce qu'il contient une vérité et un appel qui, dans leur contenu fondamental, sont la vérité et l'appel de l'Évangile lui-même.

« Convertissez-vous (faites pénitence) et croyez à l'Évangile »(Mc 1,15) : telles sont les premières paroles que le Messie a adressées à l'humanité. Le message de Fatima est, dans son noyau fondamental, l'appel à la conversion et à la pénitence, comme dans l'Évangile. Cet appel a été prononcé au début du vingtième siècle et, par conséquent, il a été particulièrement adressé à ce siècle. La Dame du message semble lire avec une perspicacité spéciale les « signes des temps », les signes de notre temps.

L'appel à la pénitence est maternel et, en même temps, ferme et déterminé. La charité, qui « trouve sa joie dans ce qui est vrai » (cf. 1Co 13,6), sait être franche et décidée. L'appel à la pénitence est associé, comme toujours, à l'appel à la prière. Conformément à la tradition de nombreux siècles, la Dame du message de Fatima indique le rosaire, qui peut justement se définir « la prière de Marie » : la prière dans laquelle elle se sent particulièrement unie à nous.

Elle-même prie avec nous. Par cette prière, on embrasse les problèmes de l'Église, du Siège de saint Pierre, les problèmes du monde entier. En outre, on se souvient des pécheurs, pour qu'ils se convertissent et se sauvent, et des âmes du purgatoire.

Les paroles du message ont été adressées à des enfants de 7 à 10 ans. Les enfants, comme Bernadette de Lourdes, sont particulièrement privilégiés dans ces apparitions de la Mère de Dieu. D'où le fait que son langage est simple, à la mesure de leur capacité de comprendre. Les enfants de Fatima sont devenus les interlocuteurs de la Dame du message et aussi ses collaborateurs. Il y en a une qui vit encore.

La sollicitude pour l'oeuvre du salut

7. Lorsque Jésus dit sur la croix : « Femme, voici ton fils » (Jn 19,26), il ouvrit d'une manière nouvelle le coeur de sa Mère, le Coeur immaculé, et il lui révéla la nouvelle dimension de l'amour, et la nouvelle portée de l'amour auquel elle était appelée dans l'Esprit-Saint par la force du sacrifice de la croix.

Dans les paroles de Fatima, il nous semble retrouver justement cette dimension de l'amour maternel dont le rayonnement atteint toute la route de l'homme vers Dieu, la route qui fait cheminer sur cette terre, et celle qui mène, à travers le purgatoire, au-delà de la terre. La sollicitude de la Mère du Sauveur est la sollicitude pour l'oeuvre du salut, l'oeuvre de son Fils. C'est la sollicitude pour le salut, pour le salut éternel de tous les hommes. Soixante-cinq années se sont écoulées depuis ce 13 mai 1917 : il est difficile de ne pas voir que cet amour de la Mère, porteur de salut embrasse d'une manière particulière, dans son rayonnement, notre siècle.

À la lumière de l'amour maternel, nous comprenons tout le message de la Dame de Fatima. Ce qui s'oppose le plus directement au cheminement de l'homme vers Dieu, c'est le péché, l'obstination dans le péché et, finalement, la négation de Dieu. La volonté programmée d'effacer Dieu dans le monde de la pensée humaine. Le fait que toute l'activité terrestre de l'homme se détache de lui. Le refus de Dieu de la part de l'homme.

En réalité, le salut éternel de l'homme se trouve en Dieu seul. Si le refus de Dieu de la part de l'homme devient définitif, il mène logiquement au refus de l'homme de la part de Dieu (cf. Mt 7,23 Mt 10,33), à la damnation.

Alors que la Mère, avec toute la puissance de l'amour qu'elle nourrit dans l'Esprit-Saint, désire le salut de tout homme, peut-elle garder le silence sur ce qui menace les bases mêmes de ce salut ? Non, elle ne le peut pas !

C'est pourquoi le message si maternel de la Dame de Fatima est en même temps si ferme et si déterminé. Il semble sévère. C'est comme si Jean-Baptiste parlait sur les rives du Jourdain. Il invite à la pénitence. Il avertit. Il appelle à la prière. Il recommande le rosaire.

Ce message est adressé à tout homme. L'amour de la Mère du Sauveur rejoint tout ce que touche l'oeuvre du salut. L'objet de ses soins, c'est tous les hommes de notre époque, et en même temps les sociétés, les nations et les peuples. Les sociétés menacées par l'apostasie, menacées par la dégradation morale. L'écroulement de la moralité entraîne avec lui l'écroulement des sociétés.

8. Le Christ, sur la croix, dit : « Femme, voici ton fils. » Par cette parole, il ouvrit, d'une manière nouvelle, le coeur de sa Mère. Peu après, la lance du soldat romain transperça le côté du Crucifié. Ce coeur transpercé est devenu le signe de la rédemption que l'Agneau de Dieu accomplit par sa mort.

Le Coeur immaculé de Marie, ouvert par la parole : « Femme, voici ton fils », rencontre spirituellement le coeur de son Fils ouvert par la lance du soldat. Le coeur de Marie a été ouvert par l'amour même pour l'homme et pour le monde dont le Christ a aimé l'homme et le monde, s'offrant lui- même pour eux sur la croix, jusqu'au coup de lance du soldat.

Confier le monde au Coeur immaculé de Marie signifie nous approcher, grâce à l'intercession de la Mère, de la Source même de la vie, qui a jailli au Golgotha. Cette Source jaillit sans interruption avec la rédemption et avec la grâce. En elle s'opère continuellement la réparation pour les péchés du monde. Elle est en permanence source de vie nouvelle et de sainteté.

Confier le monde au Coeur immaculé de la Mère signifie revenir au pied de la croix du Fils. Plus encore, cela veut dire confier ce monde au Coeur transpercé du Sauveur, le faire remonter à la source même de sa rédemption. La rédemption surpasse toujours le péché de l'homme et le « péché du monde ». La puissance de la rédemption est infiniment supérieure à toutes les possibilités de mal qui se trouvent dans l'homme et dans le monde.

Le Coeur de la Mère, comme aucun autre dans tout l'univers, visible et invisible, en est bien conscient.

C'est pour cela qu'il appelle.

Il n'appelle pas seulement à la conversion, il nous appelle à nous faire aider par elle, la Mère, pour revenir vers la source de la rédemption.

9. Se remettre entre les mains de Marie signifie se faire aider par elle pour nous offrir, nous-mêmes et l'humanité, à Celui qui est Saint, infiniment Saint, se faire aider par elle — en ayant recours à son Coeur de Mère qui, au pied de la croix, s'est ouvert à l'amour pour tout homme, pour le monde entier — afin d'offrir le monde, et l'homme, et l'humanité, et toutes les nations, à Celui qui est infiniment Saint. La sainteté de Dieu a été manifestée dans la rédemption de l'homme, du monde, de l'humanité entière, des nations, rédemption qui s'est accomplie par le Sacrifice de la croix. « Pour eux, je me consacre moi-même », avait dit Jésus (Jn 17,19).

Par la puissance de la rédemption le monde et l'homme ont été consacrés. Ils ont été offerts et confiés à l'amour même, à l'amour miséricordieux.

La Mère du Christ nous appelle et nous invite à nous unir à l'Église du Dieu vivant dans cette consécration du monde, dans cet acte d'offrande par lequel le monde, l'humanité, les nations, tous et chacun des hommes sont présentés au Père éternel avec la puissance de la rédemption du Christ. Ils sont offerts dans le Coeur du Rédempteur transpercé sur la croix.

La Mère du Rédempteur nous appelle, nous invite et nous aide à nous unir à cette consécration, à cet acte d'offrande du monde. Alors, en effet, nous nous trouverons le plus près possible du Coeur du Christ transpercé sur la croix.

Un message enraciné dans l'Évangile

10. Le contenu de l'appel de la Dame de Fatima est si profondément enraciné dans l'Évangile et dans toute la Tradition que l'Église sent sa responsabilité engagée par ce message.

L'Église y a répondu par le Serviteur de Dieu, Pie XII (qui avait reçu l'ordination épiscopale précisément le 13 mai 1917) : il a voulu, en effet, consacrer au Coeur immaculé de Marie tout le genre humain et spécialement les populations de la Russie. N'a-t-il pas, par cette consécration, donné satisfaction à la résonance évangélique de l'appel de Fatima ?

Le Concile Vatican II, dans la constitution dogmatique sur l'Église (Lumen gentium) et dans la constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps (Gaudium et spes), a bien mis en lumière ce qui motive le lien unissant l'Église et le monde d'aujourd'hui. En même temps, son enseignement sur la présence particulière de Marie dans le mystère du Christ et de l'Église a atteint sa plénitude dans l'acte par lequel Paul VI, désignant aussi Marie sous le nom de Mère de l'Église, indiquait d'une manière plus profonde la caractéristique de son union avec l'Église, et de sa sollicitude pour le monde, pour l'humanité, pour chaque homme, pour toutes les nations : sa maternité.

On en est arrivé ainsi à saisir plus profondément encore le sens de l'acte d'offrande que l'Église est appelée à faire, en recourant au Coeur de celle qui est Mère du Christ et notre Mère.

Le pèlerinage du Pape

11. Comment se présente aujourd'hui, devant la Mère du Fils de Dieu, dans son sanctuaire de Fatima, Jean-Paul II, successeur de Pierre et qui reçoit particulièrement en héritage le Concile Vatican II ?

Il se présente, en relisant avec crainte cet appel maternel à la patience, à la conversion ; cet appel ardent du Coeur de Marie qui a retenti à Fatima, il y a soixante-cinq ans. Oui, il le relit, la crainte au coeur, car il voit tant d'hommes et tant de sociétés, tant de chrétiens qui ont pris la direction opposée à celle indiquée par le message de Fatima. Le péché a acquis un tel droit de cité dans le monde et la négation de Dieu est si répandue dans les idéologies, dans les conceptions et les programmes humains !

C'est précisément pour cette raison que l'invitation évangélique à la pénitence et à la conversion, énoncée par les paroles de la Mère, est toujours actuelle. Elle est encore plus actuelle qu'il y a 65 ans. Et bien plus urgente ! C'est aussi pourquoi cet appel sera, l'an prochain, le thème du Synode des Évêques, auquel nous nous préparons déjà.

Le successeur de Pierre se présente ici également comme témoin des immenses souffrances de l'homme, comme témoin des menaces quasi apocalyptiques qui pèsent sur les nations et sur l'humanité. Ces souffrances, il veut les embrasser avec son faible coeur humain tandis qu'il se tient devant le mystère du Coeur de la Mère, du Coeur immaculé de Marie.

Au nom de ces souffrances — et avec une pleine conscience du mal qui s'étend dans le monde et menace l'homme, les nations, l'humanité —, le successeur de Pierre se présente ici avec une foi plus grande dans la rédemption du monde, dans cet Amour sauveur qui est toujours plus fort, toujours plus puissant que tout mal.

Or, si le coeur se serre à la vue du péché dans le monde, des menaces de toutes sortes qui se concentrent sur l'humanité, ce même coeur humain se dilate dans l'espérance au moment d'accomplir une fois encore ce que mes prédécesseurs ont déjà fait : confier le monde au Coeur de la Mère, lui confier spécialement les peuples qui en ont particulièrement besoin. Cet acte veut dire que le monde est confié à Celui qui est la Sainteté infinie. Cette Sainteté signifie rédemption, elle signifie amour plus puissant que le mal. Jamais aucun « péché du monde » ne pourra surpasser cet Amour.

Une fois encore ! En effet l'appel de Marie ne vaut pas pour une seule fois. Il est ouvert aux générations toujours nouvelles, selon les « signes des temps » toujours nouveaux. Il faut sans cesse revenir à lui. Toujours le reprendre à nouveau.

La foi de l'Église

12. L'auteur de l'Apocalypse écrit : « Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s'est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J'entendis alors une voix clamer, du trône : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec- eux, sera leur Dieu. » (Ap 21,2-3)

C'est de cette foi que vit l'Église.

C'est avec cette foi que chemine le Peuple de Dieu.

« La demeure de Dieu avec les hommes » est déjà sur la terre.

En elle se trouve le Coeur de l'Épouse et de la Mère, Marie, parée du joyau de la conception immaculée : le Coeur de l'Épouse et de la Mère que la parole du Fils sur la croix a ouvert à un nouvel et grand amour de l'homme et du monde ; le Coeur de l'Épouse et de la Mère qui connaît toutes les souffrances des hommes et des sociétés de cette terre.

Le Peuple de Dieu chemine sur les routes de ce monde dans une perspective eschatologique. Il accomplit son pèlerinage vers la Jérusalem éternelle, vers la « demeure de Dieu avec les hommes ».

Là, Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n'y en aura plus, de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé » (Ap 21,4).

Mais pour l'heure, « l'ancien monde » est encore présent.

C'est précisément dans le cadre de l'espace et du temps que se réalise notre pèlerinage.

Voilà pourquoi nous nous tournons vers « Celui qui siège sur le trône et qui dit : « Voici, je fais l'univers » (Ibid. Ap 21,5).

Et avec l'Évangéliste et l'Apôtre nous nous efforçons nous aussi de voir avec les yeux de la foi « le ciel nouveau et la terre nouvelle » parce que le premier ciel et la première terre ont disparu.

Jusqu'à maintenant cependant « le premier ciel et la première terre » subsistent encore autour de nous et en nous. Nous ne pouvons pas l'ignorer. Cela nous permet au contraire de mesurer quelle grâce immense a été faite à l'homme lorsque, au coeur de ce cheminement, à l'horizon de la foi de notre temps, est apparu ce « signe grandiose : une femme » (Ap 12,1) !

Oui, en toute vérité, nous pouvons répéter : « Bénie sois- tu ma fille, par le Dieu Très-Haut, entre toutes les femmes de la terre ! »

« . en agissant résolument sous le regard de Dieu,  tu es intervenue pour empêcher notre ruine. »

En vérité, tu es bénie !

Oui, ici et dans toute l'Église, dans le coeur de chaque homme et dans le monde entier : sois bénie, ô Marie, notre très douce Mère !




Homélies St Jean-Paul II 19282