Homélies St Jean-Paul II 20682

2 juin 1982, Messe à Pontcanna Fields, Cardiff

20682
Le Christ, vrai pain de vie

La journée du 2 juin, la dernière du Pape en Grande-Bretagne, était consacrée au Pays de Galles. Il est arrivé à 9 h 30 à Cardiff où il a d'abord rencontré les autorités civiles avant de célébrer une messe à Pontcanna Fields au cours de laquelle trente enfants ont reçu de ses mains la première communion. Après la liturgie de la parole, il a prononcé l'homélie ci-après. Au cours de l'après-midi, il a rencontré les jeunes au Ninian Park et il est rentré à Rome en fin de soirée (1) :

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano du 3 juin. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

Les lectures de la messe etaient les suivantes :
Dt 8,2-3 Dt 8,14-16 He 12,18-19 He 12,22-24 ; un passage de saint Jean.

CHERS AMIS DANS LE CHRIST,

1. Aujourd’hui, l’évêque de Rome salue les habitants du Pays de Galles pour la première fois dans leur beau pays. C’est une grande joie pour moi que d’être avec vous ici à Cardiff. Je remercie Dieu du privilège que j’ai de célébrer l’Eucharistie avec vous, en m’unissant à vous pour glorifier et louer le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Des représentants de toutes les paroisses catholiques du Pays de Galles et des fidèles venus d’Angleterre sont rassemblés ici, à cette messe. Je salue aussi les représentants des autres communautés chrétiennes du Pays de Galles. Dans l’amour du Christ, je vous salue tous.

Le peuple du Pays de Galles a une ancienne tradition d'attachement au Christ. Dès le début de l’époque chrétienne, vous avez proclamé votre amour au Christ et avez cherché à exprimer cet amour par le service des autres et la fidélité à la parole de Dieu. La semence de la parole de Dieu est d’abord venue à vous de Rome ; une fois implantée, elle a pris racine, fleuri et porté des fruits. Elle a trouvé son expression dans votre littérature et laissé son empreinte dans votre histoire. Et elle est restée vivante dans le coeur de chaque génération, depuis l’époque romaine jusqu’à présent. C’est ce même Évangile que je vous proclame aujourd’hui — l’Évangile de Notre Sauveur Jésus-Christ, Seigneur de l’histoire et Pain de Vie pour un monde qui a besoin de salut.

Le mystère de l'Eucharistie

2. Les lectures de la messe d’aujourd’hui nous invitent à réfléchir sur le mystère de l'Eucharistie. Ce grand mystère a été annoncé à l’époque de l’Ancien Testament, quand Dieu a nourri les Israélites de la manne dans le désert. Dans la première lecture, nous entendons Moïse parler à son peuple : « Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir depuis 40 ans dans le désert. Il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8,2-3) Dieu a enseigné au peuple qu’il était son seul Seigneur. Lui seul les arracherait à la servitude. Lui seul prendrait soin d’eux au milieu des difficultés et des épreuves qu’ils rencontreraient sur le chemin de la terre promise. Quand ils ont eu faim ou soif, il leur a donné la manne du ciel et l’eau du rocher.

Tout ce qui était préfiguré dans l’Ancien Testament s’est accompli en Jésus-Christ. Il a donné à ses disciples de la nourriture pour le voyage de la foi quand il a confié à l’Église le don de l’Eucharistie. Jésus lui-même est la nouvelle nourriture spirituelle, car l’Eucharistie est son corps et son sang rendus présents sous les apparences du pain et du vin. Il dit lui-même dans l’Évangile : « C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura pas faim ; celui qui croit en moi jamais n’aura soif. » (Jn 6,35)

Ici, au Pays de Galles, et cela dès les premiers temps, l’Eucharistie a occupé une place de premier plan dans l’Église. On en a la preuve dans les symboles chrétiens de l’Eucharistie, découverts dans les fouilles archéologiques effectuées à la forteresse romaine de Caerleon. Ce grand héritage s’est heureusement transmis, des origines à l’époque actuelle. Ce fait ne devrait pas nous surprendre : l’Eucharistie tient une place tellement centrale dans la vie chrétienne et le mystère de l’Eucharistie est si intimement lié a celui de l’Église. Pour chaque génération, dans l’Église, la nourriture qui nourrit le peuple de Dieu est l’Eucharistie, le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ.

3. Quelle est belle la prière rappelée dans l’Évangile d’aujourd’hui ! Après que Jésus eût parlé au peuple du vrai pain qui vient du ciel et apporte la vie au monde, celui-ci s’écrie : « Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là ! » (Jn 6,34) Cette prière exprime la faim profonde du peuple, faim qui va au-delà d’une faim de nourriture. C’est une faim qui monte des profondeurs de l’âme, d’un désir d’amour et d’accomplissement. C’est une aspiration au salut total, à un désir ardent de la plénitude de vie, c’est une faim d’union avec Dieu. Le Christ est la réponse de Dieu à cette prière, la réponse de Dieu à la faim la plus profonde du coeur humain. Tous les appels angoissés de l'humanité à Dieu, depuis la chute d’Adam et Ève, trouvent leur accomplissement dans le Fils de Dieu fait homme. Jésus dit encore : « C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura pas faim ; celui qui croit en moi jamais n’aura soif ! » (Jn 6,35) Que cette même prière : « Donnez-nous toujours ce pain-là » soit souvent notre prière à nous aussi. Depuis notre première communion jusqu’au jour de notre mort, puissions-nous avoir un profond et vif désir du Christ, le véritable pain qui donne la vie au monde.

À ceux qui communient pour la première fois

4. Et maintenant je voudrais m’adresser à ces petits enfants qui vont recevoir la sainte communion pour la première fois. Chers enfants : Aujourd’hui Jésus vient à vous sous une forme nouvelle, d’une manière particulière. Il veut vivre en vous. Il veut vous parler dans votre coeur. Il veut être avec vous chaque jour.

Jésus vient à vous dans l’Eucharistie afin que vous viviez à jamais. La sainte communion n’est pas une nourriture ordinaire. C’est le pain de la vie éternelle. C’est un bien plus précieux que l’or ou l’argent. Il vaut bien plus que tout ce que vous pouvez imaginer.

Car ce pain sacré est le corps et le sang de Jésus. Et Jésus promet que si vous mangez sa chair et buvez son sang, vous aurez la vie en vous et vous vivrez à jamais.

Vous vous approchez de l’autel aujourd’hui dans la foi et la prière. Promettez-moi de vous efforcer de rester toujours proches de Jésus, et de ne jamais vous détourner de lui. En grandissant, continuez à mieux connaître Jésus, en écoutant sa parole et en lui parlant dans la prière. Si vous restez proches de lui, vous serez toujours heureux.

Aux parents

5. Chers parents de ces enfants : votre amour pour le Christ a rendu ce jour possible. Car, sur les chemins de la foi, vous êtes les premiers maîtres de vos enfants. À travers ce que vous dites et faites, vous leur montrez les vérités de notre foi et les valeurs de l’Évangile. Il s’agit là, en fait, non seulement d’un devoir sacré, mais d'une grâce, d'un grand privilège. Bien d'autres membres de l'Église partagent cette tâche, mais la plus grande responsabilité dans la formation religieuse de vos enfants repose sur vos épaules. Efforcez-vous donc de rendre vos foyers authentiquement chrétiens. Aidez vos enfants à grandir et à mûrir comme Jésus à Nazareth. « En sagesse et en taille et en faveur auprès des hommes » (Lc 2,52).

Ne permettez à personne de profiter de leur manque d'expérience et de connaissance. Puisque vous partagez avec eux leur cheminement personnel vers Dieu, soyez toujours unis dans la prière, l'adoration, l'humble amour de Dieu et de son peuple.

Aux enseignants

6. Chers enseignants de nos écoles catholiques : vous occupez aussi une place d'honneur dans notre célébration d'aujourd'hui. Avec les parents, vous aidez à préparer les enfants pour qu'ils reçoivent le mieux possible les sacrements et pour qu'ils aient un rôle plus actif dans la communauté. Vous leur apportez le respect et la connaissance de la Parole de Dieu et leur expliquez la doctrine de l'Église. Et vous les introduisez ainsi progressivement dans les richesses du mystère du salut.

Vous êtes les héritiers d'une grande tradition, et le peuple de Dieu est votre débiteur. En menant à bien votre importante mission au sein de cette communauté de foi particulière qu'est l'école catholique, puissiez-vous avoir un amour profond pour l'Église. Que votre amour pour l'Église rayonne à travers toutes vos diverses activités et se reflète dans la manière dont vous transmettez fidèlement le dépôt sacré de la foi.

Aux prêtres

7. Bien-aimés frères prêtres : ce jour est aussi un jour de joie pour vous, car ces petits enfants sont les membres des paroisses que vous avez le privilège de servir. Avec leurs familles et leurs enseignants vous introduisez les enfants dans la communauté chrétienne élargie et les aidez à croître vers la plénitude de la maturité dans le Christ. À eux et à toute la paroisse, vous cherchez à apporter vos soins de pasteur. Puissiez-vous être les meilleurs des bergers, et prendre modèle, dans votre vie, sur Notre Seigneur et Rédempteur.

Je sais que vos évêques souhaitent vivement développer à travers l'Angleterre et le Pays de Galles des programmes pratiques d'éducation de la foi pour les adultes. Je vous prie instamment d'être à l'avant-garde de ces efforts, qui sont si importants pour la vitalité de l'Église.

Je vous encourage aussi à accorder à la digne célébration de l'Eucharistie la priorité dans votre ministère pastoral. Souvenez-vous des paroles du Concile Vatican II : « Or les sacrements, ainsi que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques, sont tous liés à l'Eucharistie et ordonnés à elle. Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Église, c'est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le pain vivant » (Presbyterorum ordinis, PO 5).

Aucune autre de vos tâches n'est d'une si grande importance pour l'Église ou ne rend un si grand service à votre peuple. La célébration du sacrifice eucharistique est en effet la source et le sommet de toute vie chrétienne. Veillez à ce que la messe soit célébrée avec un profond respect et dans un climat de prière, et faites tous vos efforts pour favoriser la participation active des laïcs. Portez témoignage de la foi de l'Église en la présence réelle du Christ par votre propre visite quotidienne au Saint-Sacrement (cf. ibid. PO 18). Et, grâce au renouveau liturgique qui a été voulu par le Concile, puissent toutes vos paroisses devenir des communautés vivantes de foi et de charité.

8. Frères et soeurs dans le Christ, chaque fois que nous sommes rassemblés pour l'Eucharistie, nous participons au grand mystère de la foi. Nous recevons le pain de vie et la coupe du salut éternel. C'est la raison de notre joie et la source de notre espérance. Que ce grand mystère soit pour vous et pour toute l'Église du pays de Galles le centre de votre vie et la voie qui mène au salut éternel dans le Christ Jésus Notre Seigneur. Amen.



Pèlerinage Apostolique en Argentine (11-12 juin 1982)


11 juin 1982, Messe au Sanctuaire de Luján, Buenos Aires

11682
Après son discours aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, le Pape s'est rendu à la Casa Rosada pour une rencontre avec le gouvernement argentin, qui a eu lieu vers midi. Le moment le plus important de l'après- midi a été la messe au sanctuaire de Notre Dame de Lujan qui se trouve à 70 km de la capitale et où le Pape s'est rendu en train. Voici l'homélie qu'il a prononcée au cours de cette célébration (1) :

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano du 13 iuin. Traduction. titre, sous-titres et notes de la DC.


FRÈRES ET SOEURS TRÈS AIMÉS

1. C'est devant la belle basilique de la « Pure et Immaculée Conception de Lujan » que nous sommes rassemblés ce soir pour prier près de l'autel du Seigneur.

À la Mère du Christ et Mère de chacun d'entre nous, nous voulons demander de présenter à son Fils les aspirations actuelles de nos coeurs douloureux et assoiffés de paix.

À celle qui, depuis 1630, accompagne ici maternellement tous ceux qui viennent implorer sa protection, nous voulons demander aujourd'hui, dans nos supplications, courage, espérance, fraternité.

Devant cette image bénie de Marie, à laquelle mes prédécesseurs Urbain VIII, Clément XI, Léon XIII, Pie XI et Pie XII ont témoigné leur dévotion, le successeur de Pierre sur le siège de Rome vient à son tour se prosterner en communion d'amour filial avec vous.

Pèlerin des moments difficiles

2. La liturgie que nous célébrons en ce lieu saint, où viennent en pèlerinage les fils et les filles d'Argentine, propose aux regards de tous la croix du Christ sur le Calvaire : « Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa Mère, la soeur de sa Mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magadala » (
Jn 19,25).

En venant ici comme le pèlerin des moments difficiles, je voudrais lire de nouveau, en union avec vous, le message de ces paroles si connues, qui résonnent de la même façon, et pourtant diversement, sur toute la surface de la terre. Elles sont les mêmes aux différents moments de l'histoire, mais elles prennent une éloquence différente. Du haut de la croix, comme du lieu suprême de la souffrance et de l'amour, Jésus parle à sa Mère et parle au Disciple : « Il dit à sa Mère : Mère, voici ton fils ». Et ensuite il dit au disciple : « Voici ta Mère » (Jn 19,26-27).

Dans ce sanctuaire de la nation argentine, à Lujan, la liturgie parle de l'élévation de l'homme par le moyen de la croix : du destin éternel de l'homme dans le Christ Jésus, fils de Dieu et fils de Marie de Nazareth.

Ce destin s'explique par la croix sur le Calvaire.

La Croix : un moment concret de l'histoire de l'humanité

3. De ce destin éternel, le plus élevé pour l'homme, inscrit sur la croix du Christ, l'auteur de la lettre aux Éphésiens porte témoignage : « Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ : il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ » (Ep 1,3). Ce Christ, nous le voyons au centre de la liturgie célébrée ici à Lujan : élevé sur la croix, condamné à une mort ignominieuse. Dans ce Christ nous nous trouvons, nous aussi, élevés à une hauteur à laquelle seul le pouvoir de Dieu peut élever l'homme : c'est la « bénédiction spirituelle ».

L'élévation par la grâce, nous la devons à l'élévation du Christ sur la croix. Selon les desseins éternels de l'amour du Père, dans le mystère de la rédemption, chacun se réalise par le moyen de l'autre, et non pas d'une autre manière ; seulement par le moyen de l'autre. Chacun se réalise donc éternellement, car l'amour du Père et le don du Fils sont éternels. Chacun se réalise aussi dans le temps : la croix sur le Calvaire signifie effectivement un moment concret de l'histoire de l'humanité.

4. Nous avons été choisis dans le Christ « avant la création du monde pour être saints et immaculés devant lui » (Ep 1,4). Cette élection signifie le destin éternel dans l'amour. Dieu nous a prédestiné « à être ses enfants adoptifs par Jésus-Christ » (Ep 1,5). Le Père nous a donné dans son « Bien-aimé » la dignité qui consiste à être ses fils adoptifs. Telle est l'éternelle décision de la volonté de Dieu. C'est en cela que se manifeste la « gloire de sa grâce » (Ep 1,6). Et c 'est de tout cela que nous parle la croix. La croix que la liturgie d'aujourd'hui place au centre des pensées et des coeurs de tous les pèlerins venus de toutes les régions de l'Argentine au sanctuaire de Lujan. Aujourd'hui, l'Évêque de Rome se trouve avec eux, comme pèlerin dans les événements particuliers qui ont rempli tant de coeurs d'anxiété.

5. Je suis donc avec vous, chers frères et soeurs et, avec vous, je relis cette profonde vérité de l'élévation de l'homme dans l'amour éternel du Père : vérité dont témoigne la croix du Christ. « En lui, nous avons reçu notre part : suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés pour être à la louange de sa gloire » (Ep 1,12-13). Regardons vers la croix du Christ avec les yeux de la foi, et découvrons en elle le mystère éternel de l'amour de Dieu, dont nous parle l'auteur de la lettre aux Éphésiens. Tel est, selon les paroles que nous venons d'écouter, « le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même » (Ep 1,11).

La volonté de Dieu est l'élévation de l'homme, par le moyen de la croix du Christ, à la dignité de fils de Dieu. Quand nous regardons la croix, nous voyons en elle la passion de l'homme : l'agonie du Christ. La parole de la révélation et la lumière de la croix nous permettent de découvrir à travers la passion du Christ l'élévation de l'homme. La plénitude de sa dignité.

Le testament de la Croix

6. Et c'est pourquoi, lorsque nous embrassons de ce regard la croix du Christ, les paroles prononcées du haut de cette croix prennent pour nous une éloquence encore plus grande : « Femme, voici ton fils » (Jn 19,26). Et à Jean : « Voici ta Mère » (Jn 19,27). Ces paroles sont comme un testament de notre Rédempteur. Celui qui, par sa croix, a réalisé l'éternel dessein de l'amour de Dieu, le dessein qui nous restitue sur la croix la dignité d'enfants adoptifs de Dieu, celui-là même nous confie, au moment culminant de son sacrifice, à sa propre Mère comme fils. En effet, nous croyons que la parole « voici ton Fils » se réfère non seulement à l'unique disciple qui a persévéré près de la croix de son Maître, mais aussi à tous les hommes.

7. La tradition du sanctuaire de Lujan a placé ces paroles au centre même de la liturgie, à la participation de laquelle elle invite tous les pèlerins. C'est comme si elle voulait dire : apprenez à regarder le mystère qui constitue la grande perspective pour les destins de l'homme sur la terre, et même après la mort. Sachez être des fils et des filles de cette Mère que Dieu, dans son amour, a donnée à son propre Fils comme Mère. Apprenez à regarder de cette manière, particulièrement aux moments difficiles et dans des circonstances de plus grande responsabilité. Faites-le ainsi en ce moment où l'évêque de Rome veut être au milieu de vous comme pèlerin, en priant aux pieds de la Mère de Dieu, à Lujan, sanctuaire de la nation argentine.

8. En méditant sur le mystère de l'élévation de chaque homme dans le Christ, de chaque fils de cette nation, de chaque fils de l'humanité, je répète avec vous les paroles de Marie : « Le Tout-Puissant a fait pour nous de grandes choses » (cf. Lc 1,49).

« Saint est son nom.

Sa bonté s'étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.

Il est intervenu de toute la force de son bras

Il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse (2) ;

Il est venu en aide à Israël son serviteur en souvenir de sa bonté, comme il l'avait dit à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance pour toujours » (Lc 1,49-55).

Fils et filles du peuple de Dieu !

Fils et filles de la terre argentine qui vous trouvez réunis dans ce sanctuaire de Lujan ! Rendez grâce au dieu de vos pères pour l'élévation de chaque homme dans le Christ, Fils de Dieu !

En ce lieu, où mon prédécesseur Pie XII pensait découvrir le « fond de l'âme du grand peuple argentin » (Radiomessage du 12 octobre 1947 au 1er Congrès marial national), continuez à croître dans la foi et dans l'amour de l'homme.

Et toi, Mère, écoute tes fils et tes filles de la nation argentine, qui accueillent, comme si elles étaient adressées à eux-mêmes, les paroles prononcées du haut de la croix : Voici ton fils ! Voici ta Mère ! Dans le mystère de la rédemption, le Christ lui-même nous a confiés à toi, nous tous et chacun d'entre nous. Nous sommes venus aujourd'hui au sanctuaire de Lujan dans un esprit de confiant abandon. Et moi — évêque de Rome — je viens aussi pour te faire cet acte d'offrande, de tous et de chacun. Je te confie tout particulièrement tous ceux qui, à cause des récents événements, ont perdu la vie : je recommande leurs âmes à l'éternel repos dans le Seigneur. Je te confie de même ceux qui ont perdu la santé et qui se trouvent dans les hôpitaux, pour que, dans l'épreuve et la douleur, leurs esprits se sentent réconfortés. Je te recommande toutes les familles et la nation. Que tous soient partie prenante de cette élévation de l'homme dans le Christ, prononcée par la liturgie d'aujourd'hui. Qu'ils vivent la plénitude de la foi, de l'espérance et de la charité, comme des fils et des filles adoptifs du père éternel dans le Fils de Dieu.

Que par ton intercession, ô Reine de la paix, l'on trouve les voies pour la solution du conflit actuel, dans la paix, dans la justice, dans le respect de la dignité propre à chaque nation. Écoute tes enfants, montre-leur Jésus, le Sauveur, comme chemin, vérité, vie et espérance. Amen.



(2) Le verset suivant du Magnificat (Lc 1,52) : « Il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles » ne se trouve pas dans le texte de l'homélie. On notera que ce verset ne figure pas non plus dans le livret liturgique édité par la Commission épiscopale argentine du culte pour le congrès marial national qui s'est tenu à Mendoza du 8 au 12 octobre 1980.

12 juin 1982, Messe pour le peuple argentin, Buenos Aires

12682
La dignité d’une nation se fonde sur la dignité de l’homme
Après sa rencontre avec les évêques, le Pape s'est rendu à la Piazza del Libertador pour célébrer une messe à laquelle assistait plus d'un million de personnes et au cours de laquelle il a prononcé l'homélie ci-après. Après la messe, il est parti pour l'aéroport d'où son avion a décollé à 16 h pour arriver à Rome le lendemain, 13 juin, à 9 h 23 (1) :

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano des 14-15 juin. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

CHERS FRÈRES ET SOEURS:

1. Nous nous trouvons réunis en ce bel endroit du Monument aux Espagnols, à Buenos Aires, pour rendre un hommage de foi et de vénération au Christ dans l'Eucharistie à l'amour qui unit, réconcilie et élève la dignité de l'homme.

C'est un endroit qui n'est pas seulement lié au souvenir du premier centenaire de votre indépendance ou qui constitue un centre important de la vie quotidienne des habitants, adultes et jeunes, de la capitale de la nation.

Avant tout, cette place est liée à la mémoire du XXXIIe Congrès eucharistique international de 1934. Un événement qui eut une telle signification pour la renaissance de la vie catholique en Argentine. Et qui vit la présence, comme légat a latere, du cardinal Eugenio Pacelli, plus tard Pie XII.

L'imposante croix dont on se souvient tellement, et qui couvrait de ses bras ce monument, était un symbole éloquent de la croix du Christ qui s'est dressée sur votre histoire, aux moments de joie et de peine, comme signe de rédemption et d'esperance. C'est à cet endroit que nous nous disposons à célébrer aujourd'hui la commémoration du mystère de l'amour du Corps et du Sang du Seigneur.

2. Pange lingua gloriosi Corporis mysterium, Sanguinisque praetiosi...

Hier, dans le sanctuaire de la Mère de Dieu à Lujan sanctuaire de la nation argentine, nous avons médité, suivant la parole de la liturgie, sur le mystère de l'élévation de l'homme dans la Croix du Christ.

Les paroles « Femme, voici ton fils » — « Voici ta Mère » (
Jn 19,26-27) nous parviennent, à chacun d'entre nous, du haut de la Croix ; et nous avons écouté ces paroles dans nos coeurs, comme préparation à la solennité d'aujourd'hui : la solennité du Sacré Corps et Sang du Christ.

Une fois encore nous regardons la Croix : le Corps du Christ qui souffre dans les contractions de la mort ; et nous déplaçons notre regard vers la Mère : cette Mère, que les fils et filles de la terre argentine vénèrent dans le sanctuaire de Lujan.

Ave verum Corpus natum de Maria Virgine, vere passum immolatum in Cruce pro homine.

Aujourd'hui, nous vénérons précisément ce Corps : Corps divin du Fils de l'homme, du Fils de Marie.

Le Saint-Sacrement de la nouvelle Alliance. Le plus grand trésor de l'Église. Le trésor de la foi de tout le Peuple de Dieu.

La fête de la Nouvelle Alliance

3. La solennité de ce jour nous invite à retourner au Cénacle du Jeudi saint. « Où est ma salle, où je vais manger la Pâque avec mes disciples? » (Mc 14,14) Voilà ce que les disciples de Jésus de Nazareth demandèrent à un homme qu'ils rencontrèrent sur leur chemin.

Ils l'ont fait en suivant les instructions du Maître. Et selon ses instructions, « ils ont préparé la Pâque » (Mc 14,16).

Pendant qu'ils mangeaient, Jésus « prit du pain et, après avoir prononce la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : « Prenez, ceci est mon Corps, » (Mc 14,22)

En ce moment, alors qu'ils obéissaient à son commandement, remontaient peut-être à leur mémoire les mots que Jésus, un jour, avait prononcés près de Capharnaüm : « Je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. » (Jn 6,15)

Ce jour béni, au Cénacle, se sont-ils rendu compte qu'était arrivé le moment de l'accomplissement de cette promesse faite près de Capharnaüm, promesse qu'il semblait à tant de gens si difficile à accepter?

Le Christ dit : « Prenez, ceci est mon Corps, », en leur donnant à manger le pain. Ce pain se transforme en son Corps. Le Corps qui, le lendemain, sera livré au sacrifice de la croix. Le Corps martyrisé d'où le Sang coulera goutte à goutte.

Le Christ, au Cénacle, prend la coupe, et après avoir rendu grâce, la leur donne en disant : « Ceci est mon Sang, le Sang de l'Alliance, versé pour la multitude. » (Mc 14,24)

Sous l'espèce du vin, les disciples reçoivent le Sang du Seigneur et, en même temps, participent à la nouvelle et éternelle Alliance, qui est scellée avec le Sang de l'Agneau de Dieu.

La fête du Corps et du Sang du Christ — solennité de l'Eucharistie — est, en même temps, la fête de la nouvelle et éternelle Alliance, que Dieu a scellée avec l'humanité dans le Sang de son Fils.

4. Cette Alliance — nouvelle et éternelle — a été annoncée et inaugurée dans l'ancienne Alliance dont parle la lecture d'aujourd'hui, tirée du livre de l'Exode.

Cette Alliance fut établie par le sang des animaux sacrifiés avec lequel Moïse aspergea les fils d'Israël. Le peuple, aspergé de ce Sang, promit fidélité à la parole du Seigneur contenue dans le livre de l'Alliance : « Tout ce que dit le Seigneur, nous l'accomplirons et nous lui obéirons. » (Ex 24,7)

La nouvelle et éternelle Alliance, dont le sacrement a été institué dans le Cénacle pascal, ne se fonde pas sur la parole écrite dans le livre.

Le Verbe s'est fait chair. La nouvelle Alliance s'accomplit par l'intermédiaire du divin Corps du Fils de l'homme. Elle s'accomplit au moyen du sang versé sur la croix et pendant la Passion. La nouvelle Alliance devient le Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Le Corps livré à la passion et à la mort et le Sang versé sont le sacrifice expiatoire. Dans ce sacrifice du Fils bien-aimé a été scellée l'Alliance définitive avec Dieu : Alliance nouvelle et éternelle.

Nous célébrons aujourd'hui, de façon particulière, les signes de cette Alliance : le Corps et le Sang du Seigneur.

5. Cette Alliance, réalisée une seule fois sur la Croix, instituée une seule fois comme sacrement au Cénacle, reste invariable.

Jésus-Christ — ainsi que le proclame l'auteur de la Lettre aux Hébreux — est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire... après avoir obtenu pour nous la rédemption éternelle (cf. He 9,12).

On peut dire aussi que Jésus-Christ entre incessamment dans ce sanctuaire où se décide le destin éternel de l'homme en Dieu, dans lequel s'achève son élévation définitive à la dignité de fils adoptif. C'est en cela que consiste réellement la « rédemption éternelle ».

Bien plus que tout autre sacrifice, s'écrie ensuite l'auteur de la Lettre aux Hébreux : « Combien plus le Sang du Christ qui, par l'Esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! » (He 9,14)

Le Corps divin porte en lui la nouvelle Alliance dans le Sang du Christ. Ce Sang, jaillissant du Corps crucifié sur le Golgotha, porte la mort et en même temps donne la Vie. La mort donne la Vie ! Cette Vie a son origine, non dans le corps qui meurt, mais dans l'Esprit immortel : dans l'Esprit éternel.

Lui qui est Dieu, de la même substance que le Père et le Fils, « donne la Vie » (comme nous le professons dans le Credo dès l'époque du Concile de Constantinople). Avec sa vivifiante influence, les oeuvres des consciences humaines deviennent vivantes : vivantes devant le Dieu vivant. Ainsi, le Sang de l'Agneau de Dieu versé une fois dans le Golgotha se transforme dans l'éternel sancluaire des destins divins de l'homme : la source de la Vie.

Voilà pourquoi lui, le Christ (le Christ : son Corps et Sang divins) est le Médiateur de la nouvelle Alliance, pour que, par la mort (subie sur le Golgotha), « ceux qui ont éte appelés reçoivent les promesses de l'héritage éternel » (He 9,15).

6. Voilà le mystère du Corps de Dieu et de son Sang très saint. Le mystère sur lequel j'ai eu la grâce de méditer avec vous, chers fils et filles de la nation argentine.

Hier, dans le sanctuaire de la Mère de Dieu à Lujan, nous avons médité, suivant la parole de la liturgie, sur l'élévation de l'homme par le moyen de la Croix du Christ, l'élévation et la dignité du fils de l'adoption divine.

Aujourd'hui, par la liturgie de la fête du Corps et du Sang du Christ, nous trouvons le même mystère au centre de la nouvelle et éternelle Alliance. Ce mystère est une réalité éternelle qui reste et est toujours présente entre Dieu infini et chaque homme, sans aucune exception. Il nous embrasse tous.

Et nous sommes tous appelés et invités à recevoir le Sacrement du Corps et du Sang, où sont inscrites toute la vérité et la réalité de la nouvelle et éternelle Alliance.

L'élévation de l'homme dans la Croix du Christ est ratifiée par la nourriture et la boisson, qui donnent mesure de cette élévation. L'Eucharistie nous parle chaque fois que se réalise cette élevation dans le signe sacramentel de l'Alliance avec l'homme, dont le prix a été payé par Jésus-Christ avec son propre Corps et son propre Sang.

Et dans la passion et dans la mort il a dépose le principe de la Résurrection et de la Vie.

Une chaîne plus forte que les chaînes de la guerre

7. Chers fils et filles de la terre argentine ! Je médite avec vous — comme pèlerin — sur ces vérités éternelles de notre foi. Qu'il est bon que notre brève rencontre à cette occasion ait lieu dans le cadre de la solennité du Corps et du Sang du Christ !

J'ai beaucoup désiré avoir cette rencontre, indépendamment d'une visite pastorale normale à l'Église en Argentine à laquelle je continue à penser ; je l'ai beaucoup désirée, à la lumière des événements difficiles et importants de ces dernières semaines.

Que la vérité sur le Corps et le Sang du Christ — signe de la nouvelle et éternelle Alliance — soit lumière pour tous ces fils et filles, aussi bien d'Argentine que de Grande-Bretagne qui, au cours des hostilités, ont souffert la mort, versant leur propre sang.

Que cette vérité vivifiante — unie à la certitude de l'élévation de l'homme dans la Croix de Christ — ne cesse jamais de servir d'inspiration à tous les hommes vivants, fils et filles de cette terre, qui désirent bâtir leur présent et leur avenir dans la meilleure volonté.

Que le Corps et le Sang du Christ ne cessent d'être la nourriture de tous au long de ces chemins, qu'ils vous conduisent à travers la patrie terrestre dans un esprit d'amour et de service, pour que la dignité de la nation se fonde, toujours et partout, sur la dignité de chaque homme, comme fils de l'adoption divine.

Dans ce désir d'amour et de service, avant d'achever cette rencontre de foi, je ne puis manquer d'adresser quelques mots aux jeunes Argentins.

Chers amis : Vous avez été toujours présents à mon esprit pendant ces jours. J'ai particulièrement apprécié votre accueil et votre attitude. Et j'ai vu dans vos yeux le fervent desir de paix qui jaillit de votre esprit.

Unissez-vous aussi aux jeunes de Grande-Bretagne qui, ces jours derniers, ont applaudi à toute invocation de paix et de concorde. À ce propos, je vous fais part, avec grand plaisir, de la mission qui m'a été confiée. Puisque ce sont eux qui me demandèrent, surtout à Cardiff, de vous faire parvenir leur sincère désir de paix. Ne laissez pas la haine gâcher les énergies généreuses et la capacité d'entente que chacun porte en soi. Les mains enlacées — avec la jeunesse latino-américaine, que j'ai confiée à Puebla, de façon particulière au soin de l'Église —, faites une chaîne plus forte que les chaînes de la guerre. Ainsi vous serez des jeunes qui prepareront un avenir meilleur ; ainsi vous serez chrétiens.

Et qu'à partir de cette place où, avec l'hymne du grand Congrès eucharistique, vous avez supplié le Dieu des coeurs d'enseigner l'amour aux nations, rayonnent encore maintenant, vers chaque coeur argentin et vers toute la société, l'amour, le respect envers chaque personne, la compréhension et la paix.

Ainsi soit-il.




Homélies St Jean-Paul II 20682