Homélies St Jean-Paul II 275


VOYAGE APOSTOLIQUE AU CANADA

(9-20 SEPTEMBRE 1984)

CONCÉLÉBRATION À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE «LAVAL»


Université Catholique «Laval» de Québec
Dimanche, 9 septembre 1984
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1.Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!” (
Mt 16,16).

Ces paroles ont été prononcées pour la première fois aux environs de Césarée de Philippe, en réponse à la question de Jésus: “Le Fils de l’homme, qui est-il, d’après ce que disent les hommes?” (Ibid. 16, 13).

Ces paroles, c’est Simon-Pierre qui les a prononcées dans la terre de Galilée. Il les a prononcées par la suite en bien d’autres lieux. Il les a prononcées à Jérusalem, en particulier le jour de la Pentecôte. Il les a prononcées à Antioche, quand il a quitté Jérusalem. Il les a prononcées enfin à Rome jusqu’au jour où il dut subir la mort sur une croix pour rendre témoignage à la vérité de ces paroles. Ces paroles - professant la filiation divine de Jésus-Christ - Simon-Pierre les a transmises en héritage à l’Eglise. Il les a transmises d’une manière particulière à tous ses successeurs sur le siège épiscopal de Rome.

2. Comme Evêque de Rome, successeur de Pierre, je désire prononcer ces mêmes paroles aujourd’hui sur la terre canadienne.

“Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant” (Mt 16,16).

Il est donné à l’évêque de Rome de fouler pour la première fois cette terre, dans la ville de Québec. Ici, débuta l’évangélisation du Canada. Ici, l’Eglise fut fondée. Ce fut ici le premier diocèse de toute l’Amérique du Nord. Ici par le grain semé en terre commença une immense croissance.

C’est pourquoi je désire que, dès le début de ce pèlerinage, nous nous rencontrions et nous nous unissions dans cette profession de foi sur laquelle est bâtie l’Eglise du Christ sur la terre:

278 le Christ, le Fils de l’homme, le Fils du Dieu vivant;

le Fils, de la même nature que le Père: Dieu, né de Dieu, Lumière, née de la Lumière; engendré, non pas créé, Verbe éternel par qui tout a été créé;

et en même temps: le Christ, vrai homme.

“Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie; et s’est fait homme”.

Le Christ: vrai Dieu et vrai homme. Telle est la foi de l’Eglise.

Le Christ: crucifié sous Ponce Pilate, il est mort et a été enseveli . . .

Le Christ: le troisième jour il est ressuscité des morts, il est monté aux cieux, est assis à la droite du Père, d’où il viendra pour juger les vivants et les morts.

3. Telle est la foi des Apôtres. Telle est la foi de Pierre. Cette foi qui est la fondation sur laquelle est construite l’Eglise de Dieu sur la terre.

Simon-Pierre, qui professa cette foi le premier aux environs de Césarée de Philippe, fut aussi le premier à recevoir la réponse du Christ: “Tu es Céphas (c’est-à-dire Pierre), et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise . . .” (
Mt 16,18).

Comme il est beau d’entendre le même Apôtre, Simon-Pierre, dans sa première lettre lue dans la liturgie d’aujourd’hui, rendre témoignage au Christ en le désignant comme la pierre fondamentale!

Le Christ est “la pierre vivante” (1P 2,4)).

279 Cette pierre, en vérité, “les hommes l’ont éliminée” (Ibid.)rejetée radicalement, en allant jusqu’à condamner Jésus à la mort sur la croix et exécuter cette sentence quelques heures avant la Pâque.

C’est précisément dans ce rejet qu’Il est reconnu pour ce qu’il est: Jésus, le Christ, celui “que Dieu a choisi parce qu’il en connaît la valeur” (Ibid.).

C’est par Lui, pierre vivante, première pierre, que nous sommes tous intégrés dans la construction d’un “Temple spirituel” (Ibid. 2, 5).

Oui, nous tous “comme pierres vivantes”; nous sommes intégrés à la construction qui a pour fondation le Christ pour édifier “un sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus” (Ibid.).

Nous sommes donc “la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu” (Ibid. 2, 9), et cela par Jésus-Christ qui est le Fils du Dieu vivant, qui est vrai Dieu et vrai Homme, crucifié et ressuscité. Oui, par Jésus-Christ: il est la première pierre de l’édifice divin, bâti avec les fils et les filles de toute la terre, qui se dressera pour l’éternité dans la Gloire indicible de la très sainte Trinité!

A partir de Jésus, le Christ, qui est la pierre vivante, s’ouvre cet avenir ultime de notre construction... Tel est l’avenir de l’homme sur la terre. L’avenir d’une destinée divine.

4. Voici donc la foi en Jésus-Christ, que Simon-Pierre proclamait!

Voici la foi concernant l’Eglise que Simon-Pierre proclamait!

Quelle surprenante unité! et quelle force dans cette foi!

Aujourd’hui l’Evêque de Rome, venu en terre canadienne, désire professer cette foi de tout son coeur. Il désire en faire le fondement de toute sa mission parmi vous, frères et soeurs bien-aimés, dans cette ville de Québec et sur toute la terre canadienne que je vais ensuite visiter en chacune de ses régions.

5. Car nous sommes ici au premier foyer de l’Eglise du Christ en Amérique du Nord. Partis de France, les Jacques Cartier, les Champlain et tant d’autres, en apportant sur ce continent leur culture et leur langue, contribuaient à implanter la foi au Christ Sauveur.

280 De nombreux serviteurs et servantes de Dieu sont venus, dès le début de la colonisation, pour construire l’édifice de l’Eglise sur votre terre. Les Pères Récollets, les Jésuites, les Sulpiciens, les Ursulines avec Marie de l’Incarnation rayonnant son incomparable expérience spirituelle, les Hospitalières de Dieppe entraînées par l’inépuisable charité de Catherine de Saint-Augustin: ces religieux et ces religieuses ont été parmi les premiers à témoigner de la foi et de l’amour du Christ au milieu des colons et des “Indiens”. Porteurs de la Parole, éducateurs des jeunes, bons samaritains auprès des malades, ils ont façonné le visage de l’Eglise dans ce nouveau pays. On a pu parler d’une véritable “épopée mystique” dès la première moitié du XVIIe siècle. Certains ont donné leur vie jusqu’au martyre. Beaucoup d’autres les ont rejoints, apportant leur pierre vivante à la construction, souvent dans la pauvreté mais rendus forts par l’Esprit de Dieu.

En ce lieu, nous évoquons en particulier François de Montmorency Laval, vicaire apostolique puis premier évêque de Québec. Je ne puis oublier que le séminaire qui porte son nom est à l’origine de l’Université qui nous accueille en ce moment dans ce site admirable.

Vos ancêtres ont forgé ici une culture en puisant aux sources de leur pays d’origine. Au long des siècles, cet héritage s’est enraciné, diversifié; il a accueilli l’apport propre des Amérindiens, et tiré profit de la présence anglaise en ce continent. Il s’est enrichi grâce aux vagues successives d’immigrants venues de partout. Votre peuple a su conserver son identité en demeurant ouvert aux autres cultures.

L’Eglise a reconnu ou se prépare à reconnaître la sainteté d’un certain nombre de ces pionniers. Ils sont des témoins éclatants parmi beaucoup d’hommes et de femmes, humbles croyants de la vie quotidienne, qui ont façonné peu à peu cette terre à leur image, selon leur foi.

La vitalité et le zèle de vos devanciers les ont d’ailleurs entraînés à porter plus loin la Bonne Nouvelle: je salue ici une Eglise qui a su rapidement rayonner dans l’ouest canadien, le Grand Nord et en bien des régions d’Amérique. Bien plus, elle a pris une grande part à l’effort missionnaire de l’Eglise universelle à travers le monde.

Votre devise est “Je me souviens”. Il y a vraiment des trésors dans la mémoire de l’Eglise comme dans la mémoire d’un peuple!

Mais à chaque génération, la mémoire vivante permet de reconnaître la présence du Christ, qui nous interroge comme aux environs de Césarée: “Vous, que dites-vous que je suis?”.

6. La réponse à cette question est capitale pour l’avenir de l’Eglise au Canada, et aussi pour l’avenir de votre culture.

Vous constatez que la culture traditionnelle - caractérisant une certaine “chrétienté” - a éclaté: elle s’est ouverte à un pluralisme de courants de pensée et doit répondre à de multiples questions nouvelles; les sciences, les techniques et les arts prennent une importance croissante; les valeurs matérielles sont omniprésentes; mais aussi une sensibilité plus grande apparaît pour promouvoir les droits de l’homme, la paix, la justice, l’égalité, le partage, la liberté . . .

Dans cette société en mutation, votre foi, chers Frères et Soeurs, devra apprendre à se dire et à se vivre. Je le disais à vos évêques en octobre dernier: “Ce temps est le temps de Dieu qui ne peut manquer de susciter ce dont a besoin son Eglise lorsqu’elle reste disponible, courageuse et priante”. Vous saurez vous souvenir de votre passé, de l’audace et de la fidélité de vos prédécesseurs, pour porter à votre tour le message évangélique au coeur de situations originales. Vous saurez susciter une nouvelle culture, intégrer la modernité de l’Amérique sans renier sa profonde humanité qui venait sans aucun doute de ce que votre culture a été nourrie par le christianisme. N’acceptez pas le divorce entre la foi et la culture. A présent, c’est à une nouvelle démarche missionnaire que vous êtes appelés.

7. La culture - et de même l’éducation qui est la tâche première et essentielle de la culture - est la recherche fondamentale du beau, du vrai, du bien qui exprime au mieux l’homme, comme “le sujet porteur de la transcendance de la personne” (Ioannis Pauli PP. II, Allocutio ad UNESCO habita, 10, die 2 iun. 1980: Insegnamenti di Giovanni Poalo II, III, 1 (1980) 1643), qui l’aide à devenir ce qu’il doit “être” et pas seulement à se prévaloir de ce qu’il “a” ou de ce qu’il “possède”. Votre culture est non seulement le reflet de ce que vous êtes, mais le creuset de ce que vous deviendrez. Vous développerez donc votre culture d’une façon vivante et dynamique dans l’espérance, sans peur des questions difficiles ou des défis nouveaux; sans pour autant vous laisser abuser par l’éclat de la nouveauté, et sans laisser s’installer un vide, une discontinuité entre le passé et l’avenir; autrement dit, avec discernement et prudence, et avec le courage de la liberté critique à l’égard de ce qu’on pourrait appeler “l’industrie culturelle”; surtout avec le plus grand souci de la vérité.

281 But in addressing myself here to believers, I again repeat what I expressed at UNESCO: "I am thinking above all of the fundamental link between the Gospel, that is, the message of Christ and the Church, and man and his very humanity" (Ibid.). Yes, dear brothers and sisters, in the culture that you are now developing, which is in line with what you already are by reason of a rich past, in this culture which is always the soul of a nation (Ibid., n. 14: l.c., pp. 1647 s.), faith plays a great part. Faith will illuminate culture, it will give it savour, it will enhance it, as the Gospel says in regard to that "light", "salt" and "leaven" which the disciples of Jesus are called to be. Faith will ask culture what values it promotes, what destiny it offers to life, what place it makes for the poor and the disinherited with whom the Son of Man is identified, how it conceives of sharing, forgiveness and love. If it is this way, the Church will continue to accomplish her mission through you. And you will render service to all society, even to men and women who do not share the same spiritual experience as yourselves. For such a witness respects freedom of consciences, without thus abandoning them to certain "imperatives" of modern civilization which claim to serve human advancement but which in fact detract from respect for life, from the dignity of a love that involves persons, and from the search for the true values of humanity (Ioannis Pauli PP. II,Allocutio ad UNESCO habita, 13, die 2 iun. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 1646).

But again your faith must remain active and strong; it must become always more personal, more and more rooted in prayer and in the experience of the Sacraments; it must reach the living God, in his Son Jesus Christ the Saviour, through the help of the Holy Spirit, in the Church. This is the faith that you ought to deepen with joy, in order to live it and to bear witness to it in daily life and in the new realms of culture. This is indeed the grace which we must request for the future of Quebec, for the future of all Canada. And here we are back to the fundamental question of Jesus Christ: "And you, who do you say that I am?".

8. Dans la foi que Simon-Pierre a affirmée aux environs de Césarée de Philippe, dans la foi qu’il a exprimée d’une manière si belle par sa première lettre, dans cette même foi, moi, Jean-Paul II, l’Evêque de Rome, je désire vous saluer cordialement au commencement de mon pèlerinage sur votre terre.

Je désire vous saluer tous:

Vous qui êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu;

Vous qui avez été appelés en Jésus-Christ pour “annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière” (
1P 2,9).

Nous inaugurons aujourd’hui une fête destinée à voir un grand retentissement dans vos coeurs.

L’Eglise met sur nos lèvres le chant qui convient:

“Chantez au Seigneur en bénissant son nom! / De jour en jour, proclamez son salut, / racontez sa gloire aux nations / et ses merveilles à tous les peuples!” (Ps 96,2-3).

Que chante au Seigneur la terre canadienne / des rivages de l’Atlantique aux rivages du Pacifique, / et du sud aux terres glacées du nord . . .

Voici que le Christ, le Fils du Dieu vivant, est devenu la première pierre parmi vous!

282 Voici que le Christ, le Fils du Dieu vivant, est devenu la pierre vivante pour toutes les générations!

Gloria Tibi, Trinitas!

Gloire à Toi, Trinité Sainte!

Amen.

Chers Frères et Soeurs, je vous remercie de cet accueil émouvant.

Je salue tout d’abord Monseigneur Louis-Albert Vachon, Archevêque de Québec, et chacun de mes autres Frères dans l’Episcopat exerçant leur ministère au Canada.

Je salue les représentants des autres Eglises qui sont venus se joindre à nous d’Amérique et des divers continents, notamment de l’Europe avec laquelle le Canada a tissé des liens si forts.

Je salue les missionnaires canadiens et les représentants des jeunes Eglises où ils exercent leur ministère.

Je salue le Recteur de l’Université Laval, les professeurs et étudiants et tous ceux qui travaillent à renouveler et approfondir la culture pour la rendre toujours plus humaine, dans un dialogue confiant avec la foi.

Je salue les prêtres, les diacres, les séminaristes, les religieux, les religieuses et les laïcs des différentes paroisses de cet archidiocèse et des diocèses voisins, qui ont pu venir ici grâce au jumelage fraternel des paroisses.

Je salue ceux pour lesquels Jésus avait une particulière sollicitude: les enfants, les jeunes, les vieillards, les malades, les prisonniers, tous ceux qui souffrent d’être mal aimés ou marginaux sans travail ou dans l’épreuve.

283 Ensemble, à la suite de l’Apôtre Pierre, tournons-nous vers le Seigneur Jésus. Qu’il fortifie notre foi!

CONCÉLÉBRATION EN L'HONNEUR DE LA VIERGE MARIE Sanctuaire de Notre-Dame-du Cap Lundi, 10 septembre 1984

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Chers Frères et Soeurs,

1. “Heureuse celle qui a cru!” (
Lc 1,45).

Ces paroles ont été adressées à Marie de Nazareth par sa parente Elisabeth, lors de la Visitation.

Elles font partie de la seconde salutation que Marie a reçue. La première était celle de l’ange, lors de l’Annonciation: “Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi” (Ibid. Lc 1,28). C’est ainsi que s’exprima Gabriel, l’Annonciateur envoyé par Dieu à Nazareth en Galilée.

A l’occasion de la visitation de Marie dans la maison de Zacharie, cette salutation de l’ange trouve dans la bouche d’Elisabeth son complément humain: “Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni” (Ibid. Lc 1,42).

Cette salutation humaine et celle de l’ange à Marie sont imprégnées de la même lumière. L’une et l’autre sont la Parole de Dieu, dans la bouche de l’Archange comme dans celle d’Elisabeth. L’une et l’autre forment un ensemble unifié.

L’une et l’autre sont devenues notre prière à la Mère de Dieu, la prière de l’Eglise. “Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi?” (Lc 1,43).

Elisabeth est la première qui a professé la foi de l’Eglise: Mère de mon Seigneur, Mère de Dieu, Theotokos!

2. “Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur!” (Ibid. Lc 1,45).

Aujourd’hui, ces paroles d’Elisabeth adressées à Marie à la Visitation, sont répétées par toute l’Eglise.

Toute l’Eglise, par ces paroles, bénit avant tout Dieu lui-même: “Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur” (1P 1,3).

Notre Seigneur, Jésus-Christ, est le Fils. Il est de la même nature que le Père. Il s’est fait homme par l’oeuvre de l’Esprit Saint. Il s’est incarné à l’Annonciation dans le sein de la Vierge de Nazareth, et il est né d’elle comme homme véritable. Il est Dieu fait homme.

Concrètement, cela s’est accompli en Marie au moment de l’Annonciation de l’ange. Et en cela, en ce mystère, elle a cru, la première; elle a cru en Dieu lui-même sur les paroles de l’ange. Elle a dit “fiat”, que tout se fasse pour moi selon ta parole! “Me voici, je suis la servante du Seigneur”.

Et il en fut ainsi.

Quand l’Eglise bénit Dieu, le Père de Jésus-Christ, avec les paroles de la première lettre de Pierre, elle bénit aussi ce “fiat” de Marie, de la Servante du Seigneur.

3. Avec les paroles de l’Apôtre Pierre, l’Eglise s’unit à Marie dans sa foi.

“Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur: dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître grâce à la résurrection de Jésus-Christ pour une vivante espérance, pour l’héritage qui ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde dans la foi, en vue du salut qui est prêt à se manifester à la fin des temps” (1P 1,3-5).

Voilà la foi de l’Eglise et l’espérance de l’Eglise. Mais par-dessus tout, voilà la foi de Marie. Elle a sa part, une part suréminente, dans la foi et l’espérance de l’Eglise. Elle a cru avant tous les autres, mieux que tous les autres. Elle a cru avant les Apôtres. Alors que sa parenté ne croyait pas en Jésus (Jn 7,5), que les foules avaient plus d’enthousiasme que de foi, elle était inébranlable dans la foi.

Marie est le Modèle primordial de l’Eglise qui chemine sur la voie de la foi et sur la voie de l’espérance. Sur le chemin de la foi, de l’espérance et de la charité. Au sommet de la Constitution sur l’Eglise, le Concile Vatican II s’exprime ainsi: “De l’Eglise . . . la Mère de Dieu est le modèle dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ . . . C’est dans la foi et dans son obéissance qu’elle a engendré sur la terre le Fils du Père . . . comme une nouvelle Eve qui donne, non à l’antique serpent, mais au messager de Dieu, une foi que nul doute n’altère. Elle engendra son Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (Rm 8,29), c’est-à-dire parmi les croyants, à la naissance et à l’éducation desquels elle apporte la coopération de son amour maternel” (Lumen Gentium LG 63).

285 4. “Bienheureuse celle qui a cru” . . .

Ces paroles d’Elisabeth, que l’Eglise entière a faites siennes, nous les répétons aujourd’hui dans le sanctuaire de Notre-Dame du Cap en terre canadienne.

L’Eglise qui est sur cette terre exulte de joie en professant, en ce lieu-même, sa participation à la foi de Marie.

Avec toute l’Eglise universelle, l’Eglise de chez vous remercie Marie de l’avoir aidée à construire la foi du peuple de Dieu au cours de nombreuses générations.

5. Oui, dès que le témoignage de la foi catholique a été apporté sur cette terre du Canada, et partagé par la population, la Vierge Marie a eu une grande part dans l’adhésion à Jésus Sauveur, le Verbe incarné en elle, et dans la croissance de ce peuple de croyants. Les fondateurs de cette Eglise étaient des hommes de grande foi, consacrés à Notre-Dame. Il ne pouvait en être autrement. Il en est ainsi dans tous les pays, et vous savez que mes compatriotes en Pologne en ont fait profondément l’expérience. Il s’agit d’une dévotion fortement ancrée dans le coeur du peuple chrétien, dans sa prière quotidienne, dans les familles et dans les communautés paroissiales, et elle se concrétise toujours par l’érection de quelques sanctuaires mariaux importants, où les fidèles aiment venir en pèlerinage et où la Vierge elle-même manifeste de façon particulière sa tendresse et sa puissante intercession.

Ce fut le cas ici, et, chers Frères et Soeurs, vous en connaissez sûrement l’histoire. Je l’évoque parce que j’en ai été moi-même touché. Dès 1651, l’Abbé Jacques de la Ferté, curé de Sainte-Madeleine de Châteaudun, en France, faisait don de ce fief du Cap aux missionnaires jésuites. Dans la bourgade que ceux-ci fondèrent aussitôt en ce lieu, le jour de la Présentation de Marie, en appelant cette paroisse le Cap-de-la-Madeleine, la dévotion mariale devint telle qu’une Congrégation du Rosaire y était instituée avant la fin de ce XVIIe siècle. C’est là que fut érigé, dès 1714, le sanctuaire qui est devenu le sanctuaire marial national et la plus vieille église du Canada. Mais la tradition rapporte des faits encore plus émouvants. En 1879, les paroissiens du Cap-de-la-Madeleine, tout au long de l’hiver, ont supplié la Vierge Marie et travaillé avec un courage inouï pour pouvoir transporter ici les pierres nécessaires au nouvel édifice marial sur un pont de glace providentiellement formé sur le Saint-Laurent, appelé désormais le pont des chapelets. Et ils ont recueilli de la Vierge le signe qu’elle approuvait cette initiative. Ces faits, chers Frères et Soeurs, témoignent admirablement de la foi de vos pères, de leur juste compréhension du rôle de Marie dans l’Eglise. Depuis lors, la même piété mariale a entraîné ici, de tout le Canada, des milliers de pèlerins venus chercher foi et courage auprès de leur Mère! Des gens de tous âges et de toutes conditions; des petits et des pauvres surtout; des jeunes foyers et des couples jubilaires; des parents soucieux de l’éducation de leurs enfants; des jeunes, des personnes en recherche de Celui qui est “le Chemin, la Vérité et la Vie”; des malades en quête d’un surcroît de force et d’espérance; des missionnaires venus consacrer leur apostolat difficile à la Reine des Apôtres; tous ceux qui désirent un élan nouveau pour servir le Seigneur, servir l’Eglise, et servir leurs frères, comme Marie se rendant chez Elisabeth.

Ces pèlerinages nous font vivre “des heures du ciel”, comme disent certains, dans la joie de la foi, avec Marie; et bien loin de nous faire évader de nos tâches quotidiennes, il nous donnent une force nouvelle pour vivre l’Evangile aujourd’hui, tout en nous aidant à traverser jusqu’à l’autre rive de la vie où Marie “brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage” (Lumen Gentium
LG 68).

Oui, ce pèlerinage marial demeure une grâce immense faite au peuple canadien. Puisse le flot de priants ne jamais tarir en ce lieu! Puisse-t-il remplir souvent cette basilique, que vous avez récemment reconstruite et agrandie sous le vocable de Notre-Dame de l’Immaculée-Conception! Je pense avec satisfaction à ces douze mille jeunes des écoles primaires du Canada venus ici préparer ma visite. J’ai eu connaissance des messages qu’ils m’ont adressés à cette occasion. Je les remercie. Je les félicite. Je leur dis: avec Marie, construisez vous aussi l’Eglise du Canada.

Moi-même, si désireux de marquer chacune de mes visites pastorales par un pèlerinage au grand sanctuaire marial du pays, je suis ému et comblé de me faire pèlerin de Marie, en ce lieu, et de recommander à notre Mère ma mission apostolique et la fidélité de tout le peuple chrétien du Canada.

6. Aujourd’hui, en effet, nous venons au sanctuaire de Notre-Dame du Cap en tant que génération de notre temps.

Nous venons prier avec l’évêque de Trois-Rivières, Monseigneur Laurent Noël, avec tous ses diocésains, et ceux qui, de toute la région, se sont mis en route vers ce haut lieu marial.

286 Nous venons pour répéter avec Elisabeth: “Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur!” (Lc 1,45).

Nous venons pour confirmer la participation des générations passées à la foi de la Mère de Dieu. Dans le bel héritage qui vous a été légué et qui a fait de vous ce que vous êtes, la foi était primordiale, et la dévotion à Marie, à laquelle se consacraient vos prédécesseurs, tenait une place capitale dans la fidélité à cette foi.

Nous venons pour transférer en quelque sorte cette participation dans le coeur de notre génération et des générations futures.

Les paroles adressées par Dieu à Marie se sont accomplies. Cet accomplissement s’appelle Jésus-Christ.

Quand le Ressuscité se présenta après sa passion devant les Apôtres, l’un d’entre eux, Thomas, qui était absent à ce moment-là, ne voulait pas croire. Une semaine après, il vit le Christ et proclama: “Mon Seigneur et mon Dieu!” (Jn 20,28). Et il entendit le Maître lui dire: “Parce que tu as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu!” (Ibid. 20, 29).

Et vous, chers Frères et Soeurs, “vous aimez le Christ sans l’avoir vu et vous croyez en lui sans le voir encore . . .” (1P 1,8). Dans cette foi, vous trouvez une aide en Marie, la Mère du Christ: elle a cru la première! Elle vous conduit à Lui!

Prions en ce lieu pour notre génération, pour que les générations futures participent à la foi de la Mère de Dieu.

Cette foi vous aide à supporter les souffrances et les peines de la vie, elle vous aide à persévérer dans l’espérance même à travers “toutes sortes d’épreuves”. Bien plus, ces “épreuves vérifieront la qualité de votre foi qui est bien plus précieuse que l’or, cet or pourtant voué à disparaître, qu’on vérifie par le feu” (1P 1,7).

Prions pour que notre génération ait une foi consciente et marquée de maturité, une foi à toute épreuve! Qu’une telle foi soit une participation à la foi de Marie, qui se tint debout au pied de la croix de son Fils sur le Calvaire. La grande épreuve de Marie ne fut-elle pas de voir son Fils rejeté et condamné à mort par les Chefs de son peuple? Elle a suivi jusqu’au bout. Elle a tout partagé. Elle s’est unie à Jésus qui donnait sa vie pour le salut du monde . . . Et nous, quand Dieu semble lointain, quand nous ne comprenons pas ses chemins, quand la croix blesse nos épaules et notre coeur, quand nous souffrons à cause de notre foi, apprenons de notre Mère la fermeté de la foi dans l’épreuve, et comment puiser force et courage dans notre attachement inconditionnel à Jésus-Christ.

7. C’est là que Marie a pu répéter de façon singulière ces paroles prononcées lors de son “Magnificat”: “Il s’est penché sur son humble servante” (Lc 1,48).

L’humilité de Marie associée dans une union salvatrice au dépouillement du Fils crucifié!

287 L’Eglise entière, en regardant Marie au pied de la Croix, répète avec une exultation particulière: “Heureuse celle qui a cru . . .”.

Et voilà que dans cette foi de Marie au pied de la croix apparaît comme la première aurore du matin de Pâques.

La croix et la résurrection s’unissent dans un même mystère: le mystère pascal.

L’Eglise vit, de jour en jour, ce mystère.

Elle le médite dans la prière, et ici la prière du rosaire, du chapelet, prend toute son importance. C’est avec Marie, au rythme de la salutation angélique, que nous entrons dans tout le mystère de son Fils, fait chair, mort et ressuscité pour nous. Dans un sanctuaire comme celui de Notre-Dame du Cap, mais aussi dans la vie de chaque chrétien, de chaque famille, cette prière mariale doit être comme la respiration quotidienne.

L’Eglise médite, mais aussi elle célèbre l’ineffable mystère pascal, chaque jour, dans l’eucharistie. C’est bien là le sommet de notre rassemblement de croyants ce soir: avec Marie, nous nous approchons de la source, nous nous unissons à l’offrande de son Fils, nous nous nourrissons de sa vie: “Mystère de la foi!”.

And day after day the Church expresses her overflowing joy before this Mystery by drawing out its secret from the heart of the Mother of Christ at the moment in which she sings the "Magnificat":

"My soul proclaims the greatness of the Lord . . . for the Almighty has done great things for me. Holy is his name . . ." (
Lc 1,46 Lc 1,49).

We learn from Mary the secret of the joy which comes from faith, in order to enlighten with it our lives and the lives of others. The Gospel of the Visitation is full of joy: the joy of being visited by God, the joy of opening the doors to the Redeemer. This joy is the fruit of the Holy Spirit, and no one can take it from us if we remain faithful to him.

O Mère! Notre-Dame du Cap!

Fais que l’Eglise en terre canadienne puise toujours la force de sa foi dans le mystère pascal du Christ!

Fais qu’elle la puise dans ton “Magnificat”!

Vraiment le Tout-Puissant a fait pour nous de grandes choses. Saint est son nom!

CÉRÉMONIE DE BÉATIFICATION DE SOEUR MARIE-LÉONIE PARADIS Parc Jarry, Mardi, 11 septembre 1984

11984

Frères et Soeurs bien-aimés dans le Christ,

je suis heureux d’être aujourd’hui chez vous, à Montréal, et j’en bénis le Seigneur. Je viens parmi vous comme pèlerin de la foi et comme l’Evêque de Rome, chargé de la mission jadis confiée à Pierre de confirmer ses frères dans la foi. A chacun, à chacune de vous: “Grâce et paix en abondance, par la véritable connaissance de Dieu et de Jésus notre Seigneur” (
2P 1,2).

"May you have more and more grace and peace through knowing God and Jesus our Lord".

En vous voyant ici rassemblés, je pense aux fondateurs de l’ancienne Ville-Marie. Ils ont planté ici, au pied du Mont-Royal et près des rives du Saint-Laurent, une semence qui est devenue un grand arbre. Avec joie je m’associe à vous pour célébrer la foi qui a si profondément marqué votre histoire et qu’il vous revient de garder et d’aviver à l’exemple de Soeur Marie-Léonie que nous allons béatifier.

Au cours de mes voyages à travers le monde, je découvre les joies et les soucis de toutes les Eglises. A vous tous, croyants et croyantes du Canada, j’apporte leurs salutations.

I bring you great tidings from the young and dynamic Churches of Asia and Africa.

Les traigo el eco de la fe resistente de sus hermanos y hermanas de América Latina expuestos a la violencia del subdesarrollo y de las armas.

289 I fratelli della Chiesa di Roma e dell’Italia vi salutano!

Przekazuje wam równiez pozdrowienia od Braci i Sióstr w wierze, którzy zyja na polskiej ziemi.

Que ces témoignages de la foi tenace de vos Soeurs et de vos Frères chrétiens du monde entier vous stimulent et vous confirment dans votre propre foi.

1. “Le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte!” (
Ex 3,5).

Ces paroles, Moïse les a entendues depuis le buisson qui brûlait. Il faisait paître le troupeau et il s’approchait de la montagne de Dieu, l’Horeb. Le buisson brûlait et ne se consumait pas. Alors Moïse s’interrogea: que signifie ce feu qui ne détruit pas le buisson, et qui en même temps brûle et éclaire?

La réponse est venue au milieu de ce prodige, une réponse plus qu’humaine: “Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte” (Ibid.).

Pourquoi ce lieu est-il saint? Il est saint parce que c’est le lieu de la présence de Dieu. Le lieu de la révélation de Dieu: de la théophanie. “Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob” (Ibid. 3, 6).

Moïse se voila le visage: il craignait de porter son regard vers le feu où se révélait le Dieu vivant.

2. Chers Frères et Soeurs du Québec, du Canada, qu’en est-il de votre rencontre avec le Dieu vivant? Parfois le monde d’aujourd’hui semble le voiler, vous le faire oublier. Cet apparent désert spirituel contraste avec le temps encore proche où la présence de Dieu était manifeste dans la vie sociale et en de multiples institutions religieuses. Et vous entendez dire: “Où est-il ton Dieu?” (Ps 42,4).

Le coeur humain ne s’habitue pourtant pas à l’absence de Dieu. Il souffre de vivre éloigné de Dieu, comme les compatriotes de Moise. Mais Dieu n’est jamais loin de chacun d’entre nous (Ac 17,27). Il est mystérieusement présent, comme le feu qu’on ne peut saisir, comme la brise légère qui passe, invisible (1S 19,12-13). Il nous fait signe. Il nous appelle par notre nom pour nous confier une mission.

Et c’est en vain qu’on cherche à remplacer Dieu. Rien ne saurait combler le vide de son absence. Ni l’abondance matérielle, qui ne rassasie pas le coeur; ni la vie facile et permissive, qui ne satisfait pas notre soif de bonheur; ni la seule recherche de la réussite ou du pouvoir pour eux-mêmes; ni même la puissance technique qui permet de changer le monde mais n’apporte pas de véritable réponse au mystère même de notre destinée. Tout cela peut séduire un temps, mais laisse un goût d’illusion et le coeur vide, si l’on s’est éloigné du Buisson ardent.

290 Alors peut apparaître, comme en creux, la faim du spirituel, l’attrait de l’Absolu, la soif du Dieu vivant (Ps 42,3). Paradoxalement, le temps de l’“absence de Dieu” peut devenir le temps de la redécouverte de Dieu, comme l’approche de l’Horeb.

3. Oui, Dieu continue à nous faire signe à travers notre histoire personnelle et l’histoire de notre monde, comme pour Moïse à travers les souffrances de son peuple. Qui n’a pas connu, un jour ou l’autre, ces expériences de lumière et de paix: Dieu est entré dans ma vie! Expérience soudaine ou fruit de lentes maturations. Les occasions où cette présence mystérieuse nous interroge sont multiples: la naissance si merveilleuse d’un enfant, le début d’un amour authentique, la confrontation à la mort d’un proche, à l’échec ou au mystère du mal, la compassion pour la misère d’autrui, la grâce d’avoir échappé à un accident ou d’être guéri d’une maladie, la création d’une oeuvre d’art, la contemplation silencieuse de la nature, la rencontre d’une personne habitée par Dieu, la participation à une communauté priante: autant d’étincelles qui éclairent la route vers Dieu, autant d’événements qui ouvrent la porte sur Dieu. Mais la révélation elle-même vient de Dieu, du coeur du Buisson ardent. C’est sa Parole, lue et méditée dans la prière, c’est l’histoire sainte du peuple de Dieu, qui permettent de déchiffrer le sens de ces signes, de reconnaître le Nom et le Visage du Dieu vivant, de découvrir qu’il transcende toute expérience, toute créature. Comme le disait l’une de vos poétesses: Notre Dieu est “comme la plus profonde source des plus profondes eaux” (Anne Hébert, Presence, 1944).

4. Dieu se révèle à Moïse pour lui donner une mission. Il doit faire sortir Israël de l’esclavage des pharaons d’Egypte.

Moïse fait l’expérience de la présence de Dieu. Il sait qui est le Dieu de ses pères; mais devant la mission qu’il reçoit, il interroge: “Ils vont me demander quel est son nom; que leur répondrai-je?” (Ex 3,13). La question du nom est la question fondamentale. Moïse pose la question de l’essence de Dieu, de ce qui constitue sa réalité absolument unique.

“Je suis Celui qui suis” (Ibid.3, 14), telle est la réponse. L’Essence de Dieu est d’être. Exister. Tout ce qui existe, tout le cosmos a en lui son origine. Tout existe parce que Dieu donne d’exister.

Un jour sainte Catherine de Sienne - à la suite de saint Thomas d’Aquin - guidée toujours par cette même sagesse puisée dans la théophanie dont Moïse fut témoin, dit à Dieu: “Tu es Celui qui est, je suis celle qui n’est pas”.

Entre le “je suis” de Dieu et le “je suis” de l’homme - comme aussi de toute créature - il y a ce même rapport: Dieu est Celui qui est; la créature, l’homme est celui qui n’est pas . . . il est appelé à être à partir du néant. De Dieu, nous tenons “la vie, le mouvement et l’être” (Ac 17,28).

5. Aujourd’hui, dans cette grande ville de Montréal, nous voulons rendre gloire à Celui qui est. Nous voulons lui rendre gloire avec toute la création, nous qui n’existons que parce que Lui, il est.

Nous existons et nous passons, alors que Lui seul ne passe pas. Lui seul est l’Existence même.

C’est pourquoi nous disons avec le psaume de la liturgie de ce jour: “Il est grand, le Seigneur - Celui qui est - hautement loué . . . rendez au Seigneur la gloire de son nom . . . adorez le Seigneur...” (Ps 96,4-9), comme Moïse l’a adoré quand’“il se voila le visage, car il craignait de porter son regard sur Dieu” (Ex 3,6).

Prosternez-vous, vous les hommes d’aujourd’hui!

291 Vous connaissez les mystères de la création incomparablement mieux que Moïse! Ne vous parlent-ils pas plus encore de Dieu!

Prosternez-vous! Relisez jusqu’au bout le témoignage des créatures!

6. Dieu est au-dessus de tout créature. Il est transcendance absolue. Là où s’achève le témoignage de la création, là commence la Parole de Dieu, le Verbe: “Au commencement il était auprès de Dieu. Par lui, tout s’est fait, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui” (
Jn 1,1-3).

“En lui était la vie, / et la vie était la lumière des hommes . . .”. Mais écoutons ce qui suit: “Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous . . . A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu: à ceux qui croient en son nom, ceux . . . qui sont nés de Dieu” (Ibid. 1, 1-14).

Oui, Dieu qui est au-dessus de toute créature, qui est absolue transcendance, Dieu est devenu créature, homme. Le Verbe s’est fait chair. En lui, les hommes - nés des hommes - naissent de Dieu. Ils deviennent fils, par la filiation divine, ils deviennent fils dans le Fils.

Aujourd’hui, dans cette grande ville de Montréal, nous voulons rendre gloire à Dieu qui s’est fait homme:

“Un jour saint s’est levé pour nous:

... la lumière a brillé sur la terre.

... Gloire à toi, ô Christ, proclamé parmi les peuples; gloire à toi, ô Christ, accueilli dans le monde par la foi” (1Tm 3,16). Alleluia!

Nous rendons grâce pour tous ceux qui ont accueilli cette Lumière ici, sur la terre canadienne.

7. Nous rendons grâce particulièrement pour ceux qui sont devenus par le Christ la lumière de l’Eglise et de toute l’humanité.

292 L’Eglise a en effet reconnu officiellement la sainteté d’un certain nombre d’entre eux; plusieurs étaient venus d’ailleurs, de France notamment, mais c’est ici qu’ils ont consumé leur vie et atteint la mesure de leur sainteté. Ils vous sont familiers. Il suffit que je cite leurs noms: les saints martyrs jésuites, fondateurs de l’Eglise au Canada; sainte Marguerite Bourgeoys; et les bienheureux: Monseigneur François de Montmorency-Laval, Mère Marie de l’Incarnation, la jeune Iroquoise Kateri Tekakwitha, Mère Marguerite d’Youville, le prêtre André Grasset, Mère Marie-Rose Durocher, le Frère André Bessette.

J’ai moi-même eu la joie de célébrer, à Rome, cinq de ces béatifications et une canonisation. Mais je sais que d’autres causes sont introduites, et j’espère que leur examen aboutira. Je pense en particulier à Mère Catherine de Saint-Augustin dont l’héroïcité des vertus vient d’être reconnue.

Au-delà de ceux qui sont officiellement canonisés ou béatifiés, ils sont sûrement légion ceux dont la foi a fructifié dans un admirable amour de Dieu et du prochain de façon quotidienne et souvent discrète. Si la modestie des traces visibles qu’ils ont laissées empêche un examen approfondi de leur vie par l’Eglise, ils sont connus de Dieu; ils ont répondu à son appel, comme Moïse. Ils ont accru sa gloire et son règne sur cette terre canadienne.

Devant tous ces hommes et ces femmes, il nous faut redire la parole du grand Irénée, au IIe siècle: “La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant”: l’homme qui vit la plénitude de la vie, qui est de Dieu en Jésus-Christ.

8. Aujourd’hui, dans ce livre vivant des saints et des bienheureux de l’Eglise qui demeure depuis des siècles en terre canadienne s’ajoute un nom nouveau: Soeur Marie-Léonie Paradis.

Cette femme de chez vous, humble parmi les humbles, prend rang aujourd’hui parmi ceux que Dieu a élevés à la gloire, et je suis heureux qu’une telle béatification ait lieu pour la première fois au Canada qui fut son pays.

Née de parents simples, pauvres et vertueux, elle a très vite saisi la beauté de la vie religieuse et elle s’y est engagée par ses voeux, chez les Soeurs Marianistes de Sainte-Croix. Elle n’a jamais remis en question ce don à Dieu, même au milieu des épreuves de la vie communautaire à New-York et en Indiana. Et lorsqu’elle a été désignée pour servir dans un collège à Memramcook en Acadie, sa vie de religieuse était si rayonnante qu’elle a spontanément regroupé autour d’elle des jeunes filles qui voulaient elles aussi consacrer leur vie à Dieu. Avec elles, et grâce à la compréhension de Monseigneur Laroque, évêque de Sherbrooke, elle a fondé la congrégation des Petites Soeurs de la Sainte Famille, toujours florissante et si appréciée.

Sans jamais douter de son appel, elle a souvent demandé: “Seigneur, montre-moi tes chemins”, pour savoir la forme concrète de son service dans l’Eglise. Elle a trouvé et proposé à ses filles spirituelles un engagement particulier: le service des maisons d’éducation, le service des séminaires, des maisons de prêtres. Elle ne craignait pas les diverses formes du travail manuel qui est le lot de tant de gens aujourd’hui, qui a été à l’honneur dans la sainte Famille, dans la vie même de Jésus à Nazareth. C’est là qu’elle a vu la volonté de Dieu sur sa vie. C’est en accomplissant ces tâches qu’elle a trouvé Dieu. Avec les sacrifices inhérents à ce travail, mais offerts par amour, elle y a connu une joie et une paix profondes. Elle savait qu’elle rejoignait l’attitude foncière du Christ, “venu non pour être servi mais pour servir”. Elle était toute pénétrée de la grandeur de l’eucharistie, et de la grandeur du sacerdoce au service de l’eucharistie: c’est l’un des secrets de ses motivations spirituelles.

Oui, Dieu a jeté les yeux sur la sainteté de son humble servante, Marie-Léonie qui s’est inspirée de la disponibilité de Marie. Et désormais sa Congrégation et l’Eglise la diront, d’âge en âge, bienheureuse (
Lc 1,84).

9. Cette nouvelle béatification d’une religieuse canadienne nous rappelle que le Canada a bénéficié abondamment de l’apport de nombreuses communautés religieuses, dans tous les secteurs de la vie ecclésiale et sociale: prière contemplative, éducation, assistance des pauvres, soins hospitaliers, apostolat de toute sorte. C’est une grande grâce. Et si, aujourd’hui, les services peuvent être divers et évoluer selon les besoins, la vocation religieuse demeure un don de Dieu merveilleux, un témoignage hors pair, un charisme prophétique essentiel à l’Eglise, pas seulement pour les services très appréciables pris en charge par les Soeurs, mais d’abord pour signifier la gratuité de l’amour dans un don nuptial au Christ, dans une consécration totale à son OEuvre rédemptrice (Ioannis Pauli PP. II, Redemptionis Donum). Et je me permets de poser cette question à tous les chrétiens assemblés ici: le peuple canadien sait-il toujours apprécier cette grâce? Aide-t-il les religieuses à trouver et à affermir leur vocation? Et vous, chères Soeurs, mesurez-vous la grandeur de l’appel de Dieu et le style de vie radicalement évangélique qui correspond à ce don?

10. Women religious, turned towards the Burning Bush, have a particular experience of the living God. But I address myself in this Mass to all the Christian people of Montreal, Quebec and Canada. Brothers and sisters: seek the Lord; seek his will; listen to the One who calls each of you by name in order to entrust a mission to you, so that you can bear his light within the Church and society.

293 You are the Christian laity, baptized and confirmed. And you wish to live as sons and daughters of God. In the Body of the Church there are many charisms, many forms of activity for developing your talents in the service of others. God sends you to serve your brothers and sisters who are suffering, in distress, in search of him. By your prayers and deeds each day may the love of God, the justice of God and hope find their place in the earthly city, in all your places of work, leisure and research. Having had the experience of God yourselves, contribute to building a fraternal world which is open to God. I address this message to all people; but since I am beatifying a woman today, I address it especially to women. Like all the baptized, you are called to holiness in order to sanctify the world according to your vocation in the plan of God, who created humanity as "man and woman". Together with men, bring into the heart of your families, bring into the heart of this society, the human and Christian capacities with which God has endowed your femininity and which you will be able to develop according to your rights and duties to the very degree that you are united with Christ, the source of holiness.

The Lord counts on you so that human relations may be permeated with the love that God desires. The ways of accomplishing this service may differ from that chosen by Blessed Sister Marie-Léonie. But - in the most evangelical sense which transcends the opinions of this world - it is always a question of service, which is indispensable for humanity and the Church.

11. Les saints et les bienheureux, et tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, peuvent reprendre à leur compte les mots de la lettre aux Ephésiens que nous avons entendus:

“Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Dans les cieux, il nous a comblés de sa bénédiction spirituelle en Jésus-Christ” (
Ep 1,3).

Oui, les noms des saints confirment particulièrement la vérité de notre existence en Jésus-Christ. La vérité et l’appel à la sainteté, c’est-à-dire l’union avec Dieu par le Christ.

Ecoutons encore cette lettre aux Ephésiens:

- Dieu “nous a choisis (dans le Christ) avant la création du monde”;

- par amour il nous a d’avance destinés “à être ses fils adoptifs par Jésus-Christ”;

- en Lui nous obtenons “par son sang la rédemption, le pardon de nos fautes, suivant la richesse de sa grâce”, - “il a tout réuni sous un seul chef, le Christ, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre”; - en Lui nous avons aussi été fait héritiers;

- en Lui nous avons reçu “la marque de l’Esprit Saint”, première avance qu’il nous a faite sur l’héritage dont nous prendrons possession, au jour de la délivrance finale, “à la louange de sa gloire” (Ep 1,4-14).

12. “Le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte!”.

294 Dans le temps que nous vivons, ce que nous voyons sur cette terre rend plus manifeste à nous yeux le péché que la sainteté. Il y a bien des raisons pour que nous, dans les divers pays et continents, nous voyons plus les malheurs qu’entraîne le péché que la lumière de la sainteté. Même si au même moment une tendance de plus en plus forte se fait jour pour que le péché ne soit plus appelé péché, il est cependant vrai que la famille humaine vit dans la peur de ce qui est suscité en définitive par l’intelligence et la volonté humaine contre la volonté du Créateur et du Rédempteur. Nous tous ici, nous connaissons ces périls qui menacent notre planète, et nous y reconnaissons la part de l’homme.

Et pourtant ...

Pourtant cette terre, le lieu où nous vivons, est la terre sainte.

Elle a été marquée par la présence du Dieu vivant, dont la plénitude est dans le Christ. Et cette Présence demeure en notre terre et produit les fruits de la sainteté.

Cette Présence est Réalité.

Elle est grâce.

Cette présence ne cesse d’être l’appel, et la lumière.

“La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée” (
Jn 1,5).

Amen.


Homélies St Jean-Paul II 275