Homélies St Jean-Paul II 370

MESSE À L'INSTITUT «CHARLES DE FOUCAULD»



Casablanca (Maroc)
Lundi, 19 août 1985



Niech bedzie pochwalony Jezus Chrystus!

Serdecznie pozdrawiam moich Rodaków, którzy tutaj znalezli sie w tej Wspólnocie Eucharystycznej i przywitali mnie piesnia “Pod Twa obrone, Ojcze na niebie”. Pragne pod “obrone Ojca na niebie” oddac Was wszystkich, drodzy Bracia i Siostry tutaj w Maroku.

“Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres” (Jn 13,34-35).

Chers Frères et Soeurs,

1. Ces paroles de Jésus se situent au centre du message évangélique. Elles disent dans quel esprit se rassemblent les chrétiens. Elles sont un appel permanent à accueillir l’amour dont Dieu nous aime en son Fils Jésus, à le partager dans notre communauté, à le vivre avec tous les frères qui nous entourent.

371 C’est une joie pour moi de vous rencontrer pour célébrer l’Eucharistie et méditer la Parole de Dieu. Je rends grâce au Seigneur pour cette occasion de me trouver au milieu de l’Eglise catholique qui est au Maroc, formée par des familles qui ont vécu ici depuis plusieurs générations et par des personnes venues pour travailler, pour participer à des projets de développement, pour enseigner. Je salue en vous la communauté qui, depuis des siècles, est l’hôte de ce pays aux traditions d’hospitalité et de tolérance. J’adresse un salut fraternel à Monseigneur Hubert Michon, Archevêque de Rabat, et à Monseigneur Antonio-José Peteiro Freire, Archevêque de Tanger. Et je dis mes voeux cordiaux aux prêtres, aux religieux, aux religieuses, aux laïcs - ceux qui sont présents aujourd’hui et ceux qui habitent dans d’autres régions, ou se trouvent momentanément absents du Maroc.

2. Vous formez une petite communauté de disciples de Jésus dans un pays où la grande majorité de vos hôtes et de vos voisins adhère à la religion de l’Islam. Comme Vatican II nous l’a enseigné, et comme, après mon prédécesseur Paul VI, je l’ai redit bien des fois, il y a beaucoup d’aspects bons et saints dans ce que vivent les musulmans. Vous êtes les témoins respectueux de l’exemple qu’ils donnent par leur prière d’adoration de Dieu. Vous voyez comment ils essaient de mettre en pratique les orientations venues de Lui, par l’obéissance à sa Loi. Vous voyez la simplicité de vie et la générosité envers les pauvres que pratiquent les musulmans fidèles. C’est le vivant témoignage de leur foi.

Animés de l’esprit d’amour qui est au coeur de l’Evangile, les chrétiens peuvent situer en vérité ce qu’apporte la rencontre quotidienne de leurs frères et soeurs de l’Islam. Vous avez une connaissance de la culture et de l’inspiration religieuse vécues dans ce pays, cette connaissance que l’on acquiert dans les relations fraternelles des milieux de travail et de la vie sociale en général avec un peuple d’une autre religion. Cela nous permet de susciter une meilleure compréhension également dans les pays d’occident où résident des travailleurs et des étudiants musulmans. Ce qui est approfondi ici d’une manière naturelle amène à des prolongements appréciables, en jetant des ponts ailleurs entre les traditions différentes. Ceci constitue une des formes du service qui est la vocation des chrétiens au Maroc, dans un monde où un dialogue respectueux de part et d’autre n’est pas toujours facile.

3. Mais, à vous qui êtes la communauté d’Eglise présente dans ce pays, je désire demander de réfléchir sur ce qui est unique dans notre foi chrétienne. Qu’est-ce qui doit caractériser notre vie personnelle et notre vie d’Eglise?

“Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout” (
Jn 13,1). Ces paroles de l’évangéliste Jean nous suggèrent l’orientation essentielle de notre existence chrétienne. Prenant la suite du Christ, nous sommes appelés à “passer de ce monde au Père” et nous sommes appelés à aimer nos frères de tout notre être, à tout moment.

Soyez ici le corps vivant du Christ! Vivez avec lui et par lui la grande offrande de l’humanité au Père, dans le rassemblement eucharistique qui est au centre de la vie de l’Eglise. Laissez-vous pénétrer de la présence de Jésus et illuminer par sa Parole. Car c’est par lui que l’homme entre en plénitude dans sa condition de fils; c’est par lui que sont unis ses frères qu’il a aimés jusqu’au bout. C’est par lui que Dieu nous comble de sa grâce, quand nous célébrons les sacrements du salut où l’homme est sanctifié, réconcilié.

Pour accueillir en pleine clarté les dons de la foi, pour vous disposer à rendre compte de l’espérance qui est en vous (Cfr. 1P 3,15), approfondissez ensemble le message évangélique. Je sais que vous formez de nombreux groupes où vous priez, où vous étudiez l’Ecriture, où vous réfléchissez, à la lumière de la foi, sur le sens de votre vie, où vous contribuez à la formation chrétienne des jeunes, où vous prenez en charge ceux de vos frères et soeurs qui ont besoin de soutien. De tout coeur je vous encourage dans ces activités multiples, autour des prêtres, des religieux et des religieuses, des animateurs et des catéchistes laïcs. En commun, par la prière, la réflexion et l’accomplissement des taches ecclésiales, vous constituez vraiment la famille des disciples du Christ et vous vous aidez mutuellement à être les témoins du Maître qui a vécu au milieu des hommes un véritable amour et s’est fait le serviteur de ses frères.

4. Qu’est-ce qui spécifie le témoignage quotidien que nous rendons à Jésus-Christ? Saint Paul nous dit: “Parmi les dons de Dieu, je vais vous indiquer une voie supérieure à toutes les autres” (Cfr. 2Co 12,31). Et il décrit l’amour, comme nous l’avons entendu dans la première lecture.

Pour vous, chrétiens au Maroc, nous pourrions paraphraser saint Paul: si nous sommes bien préparés, si nous mettons en oeuvre avec compétence de bons programmes de développement, si nous avons des projets bien conçus dans le domaine de la santé, si nous avons l’intelligence du mystère du salut et si nous faisons une juste analyse théologique du plan de Dieu, si nous avons une foi assez forte pour surmonter les obstacles, si même nous donnions notre vie pour ce que nous croyons, mais si nous n’avons pas l’amour, notre présence ici n’est rien, notre témoignage reste vide. “Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres”. C’est là le premier témoignage qui doit caractériser notre vie de chrétiens.

Il ne faut pas que l’amour devienne un mot vidé de son sens à force d’être utilisé. Il faut que nous laissions le plus grand des dons de Dieu s’épanouir dans notre vie de chaque jour. Saint Paul nous dit les qualités de l’amour (Cfr. 1Co 13,4-7): Il est patient et bon avec tous, même quand les relations ne sont pas faciles. Loin de se vanter de ses propres actions ou de la beauté de son héritage, le chrétien fidèle au don de l’amour bannit toute arrogance, tout égoïsme; il se refuse à l’intolérance envers des coutumes ou des usages différents des siens. Il ne se réjouit pas des faiblesses ou des fautes de ses frères; il est compréhensif; il fait confiance. Respectant la destinée de chaque personne et son cheminement particulier, “il trouve sa joie dans ce qui est vrai”. Lorsque devient lourd le poids de la vie, l’amour “supporte tout, il espère tout”. Sachant découvrir les signes d’espérance, il ne renonce pas à rendre service.

5. en espagnol et polonais

372 6. Chers amis qui désirez vous laisser saisir par le Christ, vous qui désirez aimer et servir à sa suite et grâce à ses dons, vous trouvez des inspirateurs et des modèles particulièrement dans l’héritage de votre communauté. Je pense à tous ceux qui ont vécu ici la tradition franciscaine. Je pense aussi à ces contemplatifs pauvres et désintéressés et ces amis du peuple marocain que furent Charles de Foucauld et Albert Périguère.

Je voudrais vous remercier, vous l’Eglise catholique qui est au Maroc, parce que votre présence dans ce pays témoigne de l’universalité de l’Eglise. Elle montre combien sont diverses les situations où se trouve l’Eglise dans les différentes nations du monde. Je vous encourage à continuer de vivre avec joie votre vocation chrétienne en attestant que le chrétien est un homme de prière, que l’Eglise est un appel à la charité, à la fraternité universelle, et qu’il favorise la promotion intégrale de l’homme.

Que la Vierge Marie intercède pour vous; elle fut tout entière la servante du Seigneur; elle gardait en son coeur l’annonce des merveilles de l’amour qui s’étend d’âge en âge par le Christ Sauveur!

Amen.



MESSE POUR LES JEUNES

DE DIFFÉRENTES ORGANISATIONS CATHOLIQUES INTERNATIONALES

Jeudi, 24 octobre 1985



Jésus nous dit: “Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux” (Mt 18,20).

Vous voilà réunis, chers amis, de pays divers, de différentes Organisations Catholiques Internationales de jeunesse, en cette année internationale de la jeunesse, afin de réfléchir ensemble, de prier ensemble, d’agir ensemble pour le développement, la justice et la paix qui sont des questions de vie ou de mort pour l’humanité Et vous avez désiré tenir cette réunion à Rome, dans un dialogue confiant avec le Saint-Siège, en collaborant avec le Conseil pour les Laïcs, et, ce matin, en priant avec le Successeur de Pierre, serviteur, à un titre spécial, de l’unité du peuple de Dieu, de la solidarité universelle, catholique.

Je vous encourage à vous associer ainsi: pas seulement pour vous sentir plus forts devant les questions immenses de ce monde, pas seulement pour avoir plus d’idées en commun, pas seulement pour être plus efficaces auprès de l’opinion publique, de la jeunesse ou des organismes internationaux, mais parce que la communion est la marque des disciples du Christ, le signe de l’Eglise qui est le corps du Christ, dont les membres vivent du même Esprit Saint, reçoivent la m me vie du Christ, s’adressent ensemble au même Père, se disposent à propager dans le monde le même feu que Jésus est venu allumer - comme dit l’Evangile de ce jour -, celui de l’Amour.

Cet amour prendra un visage très concret. Il n’en restera pas au sentiment ou au rêve. Il se traduira en action concertée dans l’immense chantier du monde. Il refusera le fatalisme, la fuite, le désespoir, comme aussi les voies de la violence. Il voudra relever le défi, comme vous dites bien, pour que tous les hommes aient leur chance dans le développement, pour que la justice progresse, pour que la paix s’affermisse; pour que les hommes aient leur pain quotidien qui nourrit leur corps, l’amitié et la considération qui rassasient leur coeur, et l’accès à la sainteté qui s’épanouit en vie éternelle (lecture de ce jour). Votre engagement se situera, certes, dans la ligne de chacune de vos Organisations, en équipe, mais vous vous sentirez solidaires des autres mouvements chrétiens; et vous réaliserez vos analyses et vos initiatives selon l’originalité chrétienne, libres par rapport aux groupes de pression ou aux partis politiques, en vous inspirant de l’Evangile, et, comme dit Saint Paul, en vous soumettant à Dieu, dont vous chercherez la volonté dans l’humilité et la prière. Vous aurez assez de personnalité chrétienne pour ne pas vous conformer à ce monde lorsqu’il s’éloigne de Dieu; ce sera peut-être l’incompréhension dont parle Jésus, et qui fait souffrir. Vous aurez le courage d’aimer comme Jésus le demande, avec l’ardeur de son feu.

Informez-vous. Formez-vous. Prenez votre place dans le monde, en prenant votre place entière dans l’Eglise. Vous n’êtes pas seulement l’avenir de l’Eglise; vous êtes son présent. Vous marcherez en collaboration avec les adultes, avec vos prêtres, avec vos Evêques, qui comptent sur vous. Avec eux, vous avez une responsabilité, une mission, pour l’épanouissement des jeunes et leur sainteté; mieux encore, vous contribuez à la jeunesse de l’Eglise.

Que l’Esprit Saint vous inspire et vous guide! Nous allons unir tous vos efforts à Celui qui a donné sa vie pour que le monde ait la vie en abondance.
373
1986

PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN FRANCE

Béatification du Serviteur de Dieu Père Antonio Chevier sur l'esplanade de l'Eurexpo de Lyon


Lyon (France)
Samedi, 4 octobre 1986



1. “Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange: ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits”. (Mt 11,25)

Ces paroles ont été prononcées pour la première fois par Jésus de Nazareth, fils d’Israël, descendant de David, Fils de Dieu; elles ont constitué un tournant fondamental dans l’histoire de la révélation de Dieu à l’homme, dans l’histoire de la religion, dans l’histoire spirituelle de l’humanité.

C’est alors que Jésus a révélé Dieu comme Père et s’est révélé lui-même comme Fils, de même nature que le Père: “Personne ne connaît le Fils sinon le Père et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler”. (Mt 11,27)

Oui, le Fils, qui prononce ces paroles avec un profond “tressaillement de joie sous l’action de l’Esprit Saint”, (cf. Lc 10,21) révèle par elles le Père aux petits. Car le Père se complaît en eux.

2. Chers Frères et Soeurs de Lyon et des autres diocèses de France, nous retrouvons aujourd’hui ces paroles du Christ avec émotion. Elles prennent une actualité nouvelle car nous avons sous les yeux la figure d’un prêtre étroitement lié à cette cité dans l’Eglise du dix-neuvième siècle, le Père Antoine Chevrier. Il m’est donné de le proclamer aujourd’hui bienheureux à Lyon, parmi vous, et j’en suis réellement heureux.

Aujourd’hui, l’Eglise universelle fête saint François d’Assise: il avait lui aussi mis sa joie à suivre le Christ dans la plus grande pauvreté et humilité; au treizième siècle, il avait permis à ses contemporains de redécouvrir l’Evangile. Le Père Chevrier a été un fervent admirateur du pauvre d’Assise; il appartenait au Tiers-Ordre franciscain. Dans la chambre où il est mort, on peut voir une statuette de saint François, et également une statuette de saint Jean-Marie Vianney, qu’il est allé consulter en 1857 à Ars, lorsque, jeune prêtre, il s’interrogeait sur la voie de pauvreté que le mystère de la Crèche lui suggérait. Vous savez que je viens célébrer à Ars le deuxième centenaire de la naissance du saint Curé.

Ces trois saints ont en commun d’être de ces “petits”, de ces “pauvres”, “doux et humbles de coeur”, dans lesquels le Père du Ciel a trouvé sa pleine joie, auxquels le Christ a révélé le mystère insondable de Dieu, en leur donnant de connaître le Père comme seul le Fils le connaît et en même temps de le connaître lui-même, lui, le Fils, comme seul le Père le connaît.

374 Avec Jésus, nous proclamons donc nous aussi la louange de Dieu pour ces trois admirables figures de saints. Ils étaient animés du même amour passionné de Dieu et vivaient dans un dépouillement comparable, mais avec un charisme propre. Saint François d’Assise, diacre, avec ses compagnons, a réveillé l’amour du Christ au coeur du peuple des cités italiennes. Le Curé d’Ars, seul avec Dieu dans son église de campagne, a réveillé la conscience de ses paroissiens et de foules innombrables en leur offrant le pardon de Dieu. Le Père Chevrier, prêtre séculier en milieu urbain, a été, avec ses confrères, l’apôtre des quartiers ouvriers les plus pauvres de la banlieue lyonnaise au moment où naissait la grande industrie. Et c’est ce souci missionnaire qui l’a stimulé à adopter lui aussi un style de vie radicalement évangélique, à rechercher la sainteté.

Regardons spécialement Antoine Chevrier: il est l’un de ces “petits” qui ne peut être comparé avec les “sages” et les “savants” de son siècle et des autres siècles. Il constitue une catégorie à part, il a une grandeur tout à fait évangélique. Sa grandeur se manifeste justement dans ce que l’on peut appeler sa petitesse, ou sa pauvreté. Vivant humblement, aves les moyens les plus pauvres, il est le témoin du mystère caché en Dieu, témoin de l’amour que Dieu porte aux foules des “petits” semblables à lui. Il a été leur serviteur, leur apôtre.

Pour eux, il a été le “prêtre selon l’Evangile”, pour reprendre le premier titre du recueil de ses exhortations sur “le véritable disciple de Jésus-Christ”. Pour les nombreux prêtres présents ici, à commencer par ceux du Prado qu’il a fondé, c’est un guide incomparable. Mais tous les laïcs chrétiens qui forment cette assemblée trouveront aussi en lui une grande lumière, parce qu’il montre à chaque baptisé comment annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres et comment rendre Jésus-Christ présent à travers sa propre existence.

3. Apôtre, c’est bien ce qu’avait voulu être le Père Chevrier en se préparant au sacerdoce. “Jésus-Christ est l’Envoyé du Père; le prêtre est l’envoyé de Jésus-Christ”. Les pauvres ont eux-mêmes avivé son désir de les évangéliser. Mais c’est Jésus-Christ qui l’a “saisi”. La méditation devant la Crèche à Noël 1856 l’a particulièrement bouleversé. Dès lors il cherchera toujours à mieux le connaître, à devenir son disciple, à se conformer à lui, pour mieux l’annoncer aux pauvres. Il revit spécialement l’expérience de l’Apôtre Paul dont vous venez d’entendre le témoignage: “Tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout: la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur”. (
Ph 3,7-8) Quel radicalisme dans ses paroles! Voilà ce qui caractérise l’apôtre. Dans le Christ, “en communiant à ses souffrances” et “en éprouvant la puissance de sa résurrection”, il trouve la “justice” divine offerte à l’humanité pécheresse, offerte à chaque homme comme don de la justification et de la réconciliation avec le Dieu infiniment saint.

L’apôtre est donc un homme “saisi par le Christ Jésus”.

L’apôtre a la confiance absolue que, “en reproduisant en lui la mort du Christ, il pourra parvenir lui aussi à ressusciter d’entre les morts”. (Ph 3,11)

Il est ainsi l’homme d’une espérance eschatologique qui se traduit dans l’espérance de chaque jour, dans un programme de vie quotidienne, à travers le ministère de salut qu’il exerce pour les autres.

Cette connaissance de Jésus-Christ, le Père Chevrier met tous ses efforts à la poursuivre, pour mieux saisir le Christ, comme il a été saisi. Il médite sans cesse l’Evangile; il écrit des milliers de pages de commentaires, pour aider ses amis à devenir eux-mêmes de véritables disciples. Il cherche même à reproduire la vie du Christ dans sa propre vie. “Nous devons représenter Jésus-Christ pauvre dans sa crèche, Jésus-Christ souffrant dans sa passion, Jésus-Christ se laissant manger dans la sainte Eucharistie”. (Le véritable disciple, Prado, Editions Librairie, Lyon 1968, p. 101) Et encore: “La connaissance de Jésus-Christ est la clef de tout. Connaître Dieu et son Christ, c’est là tout l’homme, tout le prêtre, tout le saint”. (Poustula ad seminaristas suos, 1875) Voici la prière qui couronne sa méditation: “O Verbe! o Christ! Que vous êtes beau! Que vous êtes grand! . . . Faites que je vous connaisse et que je vous aime. Vous êtes mon Seigneur, et mon seul et unique Maître” (Le véritable disciple, Prado, Editions Librairie, Lyon 1968, p. 108) Une telle connaissance est une grâce de l’Esprit Saint.

Dès lors le Père Chevrier est complètement disponible pour l’oeuvre du Christ: “Connaître Jésus-Christ, travailler pour Jésus Christ, mourir pour Jésus-Christ” (Lettres, p. 89). “Seigneur, si vous avez besoin d’un pauvre . . . d’un fou, me voici . . . pour faire votre volonté. Je suis à vous. Tuus sum ego” (Le véritable disciple, Prado, Editions Librairie, Lyon 1968, p. 122).

4. Le psaume de cette liturgie traduit bien les sentiments de l’apôtre qui s’est laissé imprégner de Jésus-Christ: “Je n’ai pas enfoui ta justice au fond de mon coeur . . . tu seras l’allégresse et la joie de ceux qui te cherchent” (Ps 39,11 Ps 39,7). “Seigneur Jésus, ton amour m’a saisi: j’annoncerai ton nom à tous mes frères” (Respons. Ad Psalum).

Le Père Chevrier s’est laissé pleinement absorber par le service des autres. Ses frères sont d’abord les pauvres, ceux que le Seigneur lui a fait rencontrer dans le quartier inondé de la Guillotière en 1856, les sans-logis. Ce sont les enfants de la cité de l’Enfant-Jésus que lui a fait connaître Camille Rambaud, un laïc. Ce sont ceux qu’il a recueillis, avec d’autres plus âges, dans la salle du Prado, non scolarisés et non instruits de la foi, incapables de suivre ailleurs la préparation à la première communion. Ils étaient parfois abandonnés, souvent méprisés, exploités; ils devenaient, disait-il, “des machines à travail faites pour enrichir leurs maîtres” (Sermones, ms. III, p. 12). Ce sont encore toutes sortes de misérables, de marginaux, qui ont conscience de “ne rien avoir, ne rien savoir, ne rien valoir”. Les malades, les pécheurs, font aussi partie de ces pauvres.

375 Pourquoi le Père Chevrier est-il spécialement attiré par ceux que, à la manière de l’Evangile, il nomme “les pauvres”? Il a une vive conscience de leur détresse humaine, et il voit en même temps le fossé qui les sépare de l’Eglise. Il ressent pour eux l’amour et la tendresse du Christ Jésus. A travers lui, c’est le Christ lui-même qui semble dire à ses contemporains: “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos. Oui mon joug est facile à porter et mon fardeau léger” (Mt 11,28-30). Le Père Chevrier sait que Jésus a donné ceci comme le premier signe du Royaume de Dieu: “La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres”. Il a constaté lui-même que les pauvres qui reçoivent l’Evangile renouvellent bien souvent chez d’autres l’intelligence et l’amour de cet Evangile. Vraiment, le Seigneur lui a donné un charisme spécial pour se faire le prochain des pauvres (cf. Lc 3,18 Mt 11,15). Et, par lui, le Christ a fait réentendre ses béatitudes à cette ville et à la France du dix-neuvième siècle; par ce bienheureux, le Christ nous redit aujourd’hui: “heureux ceux qui ont une âme de pauvre . . . heureux les miséricordieux . . . heureux ceux qui ont faim et soif de la justice”. (Mt 5,3 Mt 5,6 Mt 5,7)

Certes, tous les milieux doivent être évangélisés, les riches comme les pauvres, les savants comme les ignorants. Nul ne doit être l’objet d’une incompréhension, d’une négligence, encore moins d’un mépris de la part de l’Eglise. Tous sont, en un sens, des pauvres de Dieu. Mais dans les conditions où a vécu le Père Chevrier, le service des pauvres était un témoignage nécessaire, et il l’est aujourd’hui partout où la pauvreté se rencontre. Il est de ces nombreux apôtres qui, au cours de l’histoire, ont réalisé ce que nous appelons l’option préférentielle en faveur des pauvres.

Le Père Chevrier porte sur eux un regard évangélique, il les respecte et il les aime dans la foi. Il trouve le Christ dans le pauvres et, en même temps, les pauvres dans le Christ. Il ne les idéalise pas, il connaît leurs limites et leurs faiblesses; il sait d’ailleurs que souvent ils ont manqué d’amour et de justice. Il a le sens de la dignité de tout homme, riche ou pauvre. Il veut le bien de chacun d’eux, son salut: l’amour veut sauver. Son respect le pousse à se faire l’égal des pauvres, à vivre au milieu d’eux, comme le Christ; à travailler parfois comme eux; à mourir avec eux. Il espère qu’ainsi les pauvres comprendront qu’ils ne sont pas abandonnés de Dieu qui les aime comme un Père (cf. Le véritable disciple, Prado, Editions Librairie, Lyon 1968, p. 63). Quant à lui, il fait cette expérience: “C’est dans la pauvreté que le prêtre trouve sa force, sa puissance, sa liberté”. Le rêve du Père Chevrier est de former des prêtres pauvres pour rejoindre les pauvres.

5. Aujourd’hui, demandons au Bienheureux Antoine Chevrier de nous apprendre toujours davantage le respect et le souci évangélique des pauvres. Chers Frères et Soeurs, vous savez qui sont ces pauvres dans notre monde actuel. Ce sont tous ceux qui manquent de pain, mais aussi d’emploi, de responsabilités, de considération de leur dignité, ceux aussi qui manquent de Dieu. Ce n’est plus le monde ouvrier seulement qui est touché, mais bien d’autres milieux. Dans une civilisation de consommation à outrance, il y a paradoxalement de “nouveaux pauvres” qui n’ont pas le a minimum social”. Il y a la multitude de ceux qui souffrent du chômage, jeunes qui ne trouvent pas d’emploi ou personnes d’âge mûr qui l’ont perdu. Je sais que beaucoup d’entre vous, au sein des mouvements de jeunes en particulier, ont à coeur de leur apporter un soutien efficace.

Nous pensons également aux étrangers, aux travailleurs immigrés, très nombreux dans cette région, et qui, en ce temps de crise économique, sont davantage menacés à cause de leur statut précaire. Même si le problème de leur intégration demeure complexe, en considération du bien commun du pays, l’Eglise ne se résoudra pas à ce que l’on manque de respect envers leurs personnes et leurs racines culturelles, ni d’équité devant leurs nécessités et celles de leurs familles qui ont besoin de vivre avec eux. Les chrétiens seront au premier rang de ceux qui luttent pour que leurs frères originaires d’autres pays bénéficient de légitimes garanties, et pour que les mentalités s’ouvrent de façon plus accueillante à l’étranger. Ils seront attentifs à leurs difficultés et aideront les migrants à se prendre eux-mêmes en charge. Oui, comme vos évêques l’ont courageusement souligné à plusieurs reprises, comme je le disais moi-même au deuxième Congrès mondial de pastorale de l’émigration (18 octobre 1985), l’Eglise se fera ici encore la voix des sans voix. Elle s’efforcera d’être l’image et le levain d’une communauté plus fraternelle. Les pauvres ce sont encore tous ceux qui souffrent d’une vie marginale, comme les malades et les handicapés. Ce sont les prisonniers: ces derniers sont bien parmi les plus pauvres, quelle que soit la cause de leur incarcération. Les paroles de Jésus nous interpellent: “J’étais malade, j’étais en prison, et vous êtes venus à moi”.

Enfin, au-delà de votre cité, de votre pays qui dispose de tant de ressources, il y a, à travers le monde entier, les multitudes qui souffrent de la faim, du manque de toit et de la carence de soins. C’est l’expérience impressionnante que je fais moi-même au cours de mes voyages apostoliques, en Afrique, en Amérique latine, en Inde. Il s’agit de pays, de continents entiers. Et ces peuples qui arrivent si difficilement au développement nécessaire pour survivre et s’épanouir, interpellent vigoureusement les peuples qui ont la chance d’avoir en abondance les biens matériels et les possibilités techniques. C’est tout l’enjeu des rapports Nord-Sud. Le Père Chevrier ne pouvait connaître dans son ampleur ce drame universel de la pauvreté. C’est être fidèle à son esprit que de devenir le prochain de ces peuples frères. Ils ne demandent pas une aumône, mais la considération de leur problèmes, le souci d’équité dans les échanges commerciaux et les investissements, la solidarité généreuse dans les situations d’urgence, l’entraide à long terme pour qu’ils puissent réaliser leur propre développement, et, par-dessus tout, l’estime de leur dignité de pauvres, qui ont d’ailleurs des richesses humaines et spirituelles à partager avec nous.

Le Christ s’identifie à ces affamés. Et l’homme ne vit pas seulement de pain: il a soif de dignité, de liberté, de liberté de conscience, il a soif d’amour et, sans en être toujours conscient, soif de Dieu.

6. Oui il nous faut contribuer à libérer l’homme de tant de servitudes, sans mêler à notre lutte solidaire la violence, la haine, le parti pris idéologique de classe qui amèneraient des maux pires que ceux que l’ont veut éliminer. L’espérance n’habite vraiment le coeur de l’homme que lorsqu’il fait l’expérience du Sauveur. La Parole de Dieu est alors une force de libération du mal, y compris du pèche. Annoncer l’Evangile est le plus haut service rendu aux hommes.

Le Père Chevrier voulait libérer les pauvres de l’ignorance religieuse. Au Paréo, il désirait à la fois procurer aux jeunes l’instruction, ce qu’on appellerait aujourd’hui l’alphabétisation, et l’enseignement de la foi pour leur permettre de participer à l’Eucharistie. Et pour cette tâche il suscitait et formait une équipe bénévole, hommes et femmes. “Tout mon désir serait de préparer de bons catéchistes à l’Eglise et de former une association de prêtres travaillant dans ce but” (Lettre aux séminaristes, 1877). Ils iraient partout “pour montrer Jésus-Christ”, comme des témoins qui prêchent par leur catéchèse - simple et soigneusement préparée - mais aussi par leur vie. Lui-même y consacrait une grande partie de son temps, avec des moyens pauvres mais adaptés, commentant concrètement chaque parole d’Evangile, et aussi le rosaire, le chemin de croix. Il disait: “Catéchiser les hommes, c’est la grande mission du prêtre aujourd’hui” (Lettres, p. 70).

Les pauvres ont droit en effet à la totalité de l’Evangile. L’Eglise respecte les consciences de ceux qui ne partagent pas sa foi, mais elle a la mission de témoigner de l’amour de Dieu envers eux.

Aujourd’hui, chers Frères et Soeurs, le contexte religieux n’est plus celui de l’époque du Père Chevrier. Il est marqué par le doute, le scepticisme, l’incroyance, voire l’athéisme, et une revendication maximale de liberté. Mais le besoin d’une proposition claire et ardente de la foi - de la totalité de la foi - se fait d’autant plus sentir. L’ignorance religieuse s’étale de façon déconcertante. Je sais que beaucoup de catéchistes en ont pris conscience et consacrent généreusement leur temps et leurs talents, à Lyon comme ailleurs en France, à y porter remède. L’appel du Père Antoine Chevrier devrait tous nous stimuler, nous maintenir en mission. N’entendez vous pas son exclamation: “Savoir parler de Dieu, que c’est beau!” (Lettres, 1873).

376 7. Chers Frères et Soeurs de France, présents aujourd’hui à Lyon ou reliés à nous par la télévision, puisse cette béatification faire croître en vous la foi, l’espérance et l’amour qui se nourrissent de l’exemple des saints et de l’expérience de la grâce!

Eglise qui es à Lyon, tu as été baptisée dans le sang de tes martyrs, souviens-toi de ta ferveur première avec l’évêque Pothin, le diacre Sanctus, l’esclave Blandine. C’est le premier témoignage que nous ayons des chrétiens de Gaule: on reste stupéfait de leur force, de leur espérance, de leur attachement au Christ vivant. Eglise de Lyon, souviens-toi aussi de l’évêque Irénée qui, pour toute l’Eglise, a défendu la véritable foi au Verbe Incarné, vrai Dieu et vrai homme, au regard des gnosies qui déjà tentaient de dissoudre cette foi. Eglise de Lyon, souviens-toi de toutes les initiatives prises par tes fils et tes filles au cours des siècles pour sanctifier l’Eglise, servir son unité, pour l’entraîner au service de la société comme Marius Gonin et Joseph Folliet, développer l’oecuménisme comme le Père Couturier, aider l’éducation des jeunes comme la bienheureuse Claudine Thévenet, stimuler le rayonnement missionnaire de l’Eglise comme Pauline Jaricot, assurer une présence contemplative au milieu des non-chrétiens comme le Père Jules Monchanin. Ils sont légion, “foule immense de témoins”, et constituent pour nous des guides, une famille, des intercesseurs, selon l’expression de la préface des saints.

Et toi spécialement, famille spirituelle du Prado - prêtres, soeurs et membres de l’Institut féminin -, souviens-toi de ton fondateur: il avait peut-être tout pour rester un homme ordinaire, mais son attachement à Jésus-Christ l’a conduit à la sainteté. “Il n’y a que les saints qui pourront régénérer le monde, travailler utilement à la conversion des pécheurs et à la gloire de Dieu” (Lettre aux séminaristes, 1872).

Et toi, Eglise qui es en France, toi que je visite pour la troisième fois à l’invitation de la Conférence épiscopale, souviens-toi de ton baptême, de l’Alliance que Dieu n’a jamais reniée! Souviens-toi de l’Esprit Saint qui t’habite et que peut toujours susciter en toi un nouveau printemps spirituel, si tu le désires vraiment! Ne crains pas. Ne te laisse pas décourager par les difficultés à vivre aujourd’hui la foi. Tes saints les ont connues et dépassées.

Le prophète Sophonie nous disait: “Cherchez le Seigneur, vous tous les humbles du pays qui faites sa volonté. Cherchez la justice. Cherchez l’humilité” (
So 2,3). Et il parlait d’un reste petit et pauvre, le reste d’Israël (cf. So So 3,12-13).

Aujourd’hui, grâce à Dieu, j’ai sous les yeux un peuple immense, le peuple chrétien qui a voulu venir célébrer sa foi avec le successeur de Pierre. Comme le Père Chevrier, vous savez qu’on ne peut dissocier Jésus-Christ de son Eglise, qu’on ne peut dissocier la communauté diocésaine de son évêque ni de l’évêque de Rome. C’est dans cette communion que notre bienheureux trouvait sa force. Appuyé sur Jésus-Christ et l’Eglise, on ne peut que marcher en sûreté malgré les contrariétés, les combats, les luttes et les persécutions (cf. Le véritable disciple, Prado, Editions Librairie, Lyon 1968, p. 511).

C’est dans cet esprit que je salue parmi vous les enfants et les jeunes, les travailleurs et les responsables du bien commun. Je salue spécialement ceux qui connaissent l’épreuve de la maladie, de la solitude, de l’éloignement de leur pays d’origine.

Je salue les laïcs chrétiens et leurs familles qui forment les cellules de base dans le peuple de Dieu. Il vous appartient d’épanouir la grâce de votre baptême, de vivre la foi chrétienne dans un climat de fidélité et d’amour généreux, et de la transmettre en en donnant le goût aux jeunes générations. Je le redirai à Paray-le-Monial.

Je salue les prêtres qui sont au service de tout le peuple de Dieu, comme le Père Chevrier et le Curé d’Ars, pour annoncer la Bonne Nouvelle et transmettre la Vie du Christ. Je le méditerai avec vous à Ars.

Je salue les religieux et religieuses avec lesquels je prierai Notre Dame de Fourvière.

Vous tous, Frères et Soeurs ici présents, ne craignez pas de vous engager dans le renouveau du coeur sans lequel les réformes extérieures et les plans pastoraux seraient stériles. Faites-le à l’école de Marie qui accompagne toujours les disciples de son Fils. Vivez l’absolu de l’Evangile, qui seul réveille et attire les consciences endormies ou hésitantes. Cherchez sincèrement la sainteté, inséparable de la mission.

377 8. Et toi, Père Antoine Chevrier, guide-nous dans la voie de l’Evangile. Tu es bienheureux! Ta figure se lève et resplendit dans la clarté des huit béatitudes de Jésus. Cette ville de Lyon t’appellera bienheureux, elle qui dès le jour de ta mort t’entourait déjà de vénération. De même l’Eglise, qui vénère en toi le “petit” - exalté par Jésus plus que les savants -, le prêtre, l’apôtre, le serviteur des pauvres. Comme Paul, saisi par le Christ, tu as vécu en oubliant ce qui était derrière toi, tout tendu vers l’avant. Oui, tu es totalement tourné vers l’Avenir, vers le grand avenir de tous les peuples en Dieu. Tu as couru vers le but pour remporter le prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus. C’est le prix de l’amour. C’est l’Amour!
Paray-le-Monial (France)

Dimanche, 5 octobre 1986
1. “Je vous donnerai un coeur nouveau . . .” (Ez 36,26).


Nous nous trouvons en un lieu où ces paroles du prophète Ezéchiel retentissent avec force. Elles ont été confirmées ici par une servante pauvre et cachée du Coeur divin de Notre Seigneur: sainte Marguerite-Marie. Bien des fois, au cours de l’histoire, la vérité de cette promesse a été confirmée par la Révélation, dans l’Eglise, à travers l’expérience des saints, des mystiques, des âmes consacrées à Dieu. Toute l’histoire de la spiritualité chrétienne en témoigne: la vie de l’homme croyant en Dieu, tendu vers l’avenir par l’espérance, appelé à la communion de l’amour, cette vie est celle de l’homme “intérieur”. Elle est illuminée par la vérité admirable du Coeur de Jésus qui s’offre lui-même pour le monde.

Pourquoi la vérité sur le Coeur de Jésus nous a-t-elle été confirmée singulièrement ici, au XVIIe siècle, comme au seuil des temps modernes?

Je suis heureux de méditer ce message en terre de Bourgogne terre de sainteté, marquée par Cîteaux et Cluny, où l’Evangile a modelé la vie et l’oeuvre des hommes.

Je suis heureux de redire le message de Dieu riche en miséricorde dans la diocèse d’Autun qui m’accueille. Je salue cordialement Monseigneur Armand le Bourgeois, pasteur de cette Eglise, et son auxiliaire Monseigneur Maurice Gaidon. Je salue les représentants des Autorités civiles, locales et régionales. Je salue tout le peuple de Dieu ici rassemblé, les travailleurs de la terre et ceux de l’industrie, les familles, en particulier les associations qui animent leur vie chrétienne, les associations qui aiment leur vie chrétienne, les séminaristes qui commencent leur marche vers le sacerdoce, les pèlerins du Sacré-Coeur, notamment la Communauté de l’Emmanuel très attachée à ce lieu, ainsi que tous ceux qui viennent ici affermir leur foi, leur esprit de prière et leur sens de l’Eglise, dans les sessions d’été ou d’autres démarches communautaires.

Et je voudrais être proche aussi de toutes les personnes qui, grâce à la télévision, suivent dans leur foyer cette célébration.

2. “Je vous donnerai un coeur”: Dieu nous le dit par le Prophète. Et le sens s’éclaire par le contexte. “Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés” (Ez 36,25), Oui, Dieu purifié le coeur humain. Le coeur, créé pour être le foyer de l’amour, est devenu le foyer central du refus de Dieu, du péché de l’homme qui se détourne de Dieu pour s’attacher à toutes sortes d’“idoles”. C’est alors que le coeur est “impur”. Mais quand le même lieu intérieur de l’homme s’ouvre à Dieu, il retrouve la “pureté” de l’image et de la ressemblance imprimées en lui par le Créateur depuis le commencement.

Le coeur, c’est aussi le foyer central de la conversion que Dieu désire de la part de l’homme et pour l’homme, pour entrer dans son intimité, dans son amour. Dieu a créé l’homme pour qu’il ne soit ni indifférent ni froid, mais ouvert à Dieu. Comme elles sont belles les paroles du Prophète: “J’enlèverai votre coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair” (Ez 36,26)! Le coeur de chair, un coeur qui a une sensibilité humaine et un cour capable de se laisser saisir par le souffle de l’Esprit Saint.

378 C’est là ce que dit Ezéchiel: “Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau . . . mon esprit” (Ez 36,26-27).

Frères et Soeurs, que chacun d’entre nous se laisse purifier et convertir par l’Esprit du Seigneur! Que chacun d’entre nous trouve en lui une inspiration pour sa vie, une lumière pour son avenir, une clarté pour purifier ses désirs!

Aujourd’hui, je voudrais annoncer particulièrement aux familles la bonne nouvelle du don admirable: Dieu donne la pureté du coeur, Dieu permet de vivre un amour vrai!

3. Les paroles du prophète préfiguraient la profondeur de l’expérience évangélique. Le salut à venir est déjà présent.

Mais comment l’Esprit viendra-t-il dans le coeur des hommes? Quelle sera la transformation tant désirée par le Dieu d’Israël.

Ce sera l’oeuvre de Jésus-Christ: le Fils éternel que Dieu n’a pas épargné, mais qu’il a donné pour nous tous, pour nous donner toute grâce avec lui (cf. Rm 8,32), pour nous offrir tout avec lui!

Ce sera l’oeuvre étonnante de Jésus. Pour qu’elle soit révélée, il faudra attendre jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort sur la Croix. Et lorsque le Christ “a remis” son esprit entre les mains du Père (cf. Lc 23,46), alors se produit cet événement : “Des soldats vinrent . . . ils vinrent à Jésus et voyant qu’il était déjà mort . . . un des soldats avec sa lance lui perça le coté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau” (Jn 19,32-34).

L’événement paraît “ordinaire”. Sur le Golgotha, c’est le dernier geste dans une exécution romaine: la constatation de la mort du condamné. Oui, il est mort, il est réellement mort!

Et dans sa mort, il s’est révélé lui-même jusqu’au bout. Le coeur transpercé est son ultime témoignage. Jean, l’Apôtre qui se tenait au pied de la Croix, l’a compris; au cours des siècles, les disciples du Christ et les maîtres de la foi l’ont compris. Au XVII’ siècle, une religieuse de la Visitation a reçu de nouveau ce témoignage à Parayle-Monial; Marguerite-Marie le transmet à toute l’Eglise au seuil des temps modernes.

Par le Coeur de son Fils, transpercé sur la Croix, le Père nous a donné tout, gratuitement. L’Eglise et le monde reçoivent le Consolateur: l’Esprit Saint. Jésus avait dit: “Si je pars, je vous l’enverrai”, Son coeur transpercé témoigne qu’il “est parti”. Il envoie désormais l’Esprit de vérité. L’eau qui coule de son côté transpercé est le signe de l’Esprit Saint: Jésus avait annoncé à Nicodème la nouvelle naissance “de l’eau et de l’Esprit”. Les paroles du Prophète s’accomplissent: “Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau”.

4. Sainte Marguerite-Marie a connu ce mystère admirable, le mystère bouleversant de l’Amour divin. Elle a connu toute la profondeur des paroles d’Ezéchiel: “Je vous donnerai un coeur”.

379 Tout au long de sa vie cachée dans le Christ, elle fut marquée par le don de ce Coeur qui s’offre sans limite à tous les coeurs humains. Elle était saisie tout entière par ce mystère divin, comme l’exprime l’admirable prière du psaume de ce jour:

“Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être!”.

“Tout mon être”, c’est dire “tout mon coeur”!

“Bénis mon être”, c’est dire “tout mon coeur”!

Bénis le Seigneur! . . . N’oublie aucun de ses bienfaits! Il pardonne. Il “guérit”. Il “réclame ta vie à la tombe”. Il “te couronne d’amour et de tendresse”.

II est bon et plein d’amour. Lent à la colère. Plein d’amour: d’amour miséricordieux, Lui qui se souvient “de quoi nous sommes pétris”.

Lui. Vraiment lui, le Christ.

5. Toute sa vie, sainte Marguerite-Marie brûlait de la flamme vive de cet amour que le Christ est venu allumer dans l’histoire de l’homme.

Ici, en ce lieu de Paray-le-Monial, comme jadis l’Apôtre Paul, l’humble servante de Dieu semblait crier au monde entier: “Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ?”.

Paul s’adressait à la première génération des chrétiens. Ils savaient ce que sont “la détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, et même la nudité” (dans les arènes, sous les dents des bêtes), ils savaient ce que sont le péril et le glaive!

Au XVIIe siècle, la même question retentit, posée par Marguerite Marie aux chrétiens d’alors, à Paray-le-Monial.

380 En notre temps, la même question retentit, adressée à chacun de nous. A chacun en particulier, quand il regarde son expérience de la vie familiale.

Qui brise les liens de l’amour? Qui éteint l’amour qui embrase les foyers?

6. Nous le savons, les familles de ce temps connaissent trop souvent l’épreuve et la rupture. Trop de couples se préparent mal au mariage. Trop de couples se désunissent, et ne savent pas garder la fidélité promise, accepter l’autre tel qu’il est, l’aimer malgré ses limites et sa faiblesse. Alors trop d’enfants sont privés de l’appui équilibré qu’ils devraient trouver dans l’harmonie complémentaire de leurs parents.

Et aussi, quelles contradictions à la vérité humaine de l’amour, lorsque l’on refuse de donner la vie de manière responsable, et lorsque l’on en vient à faire mourir l’enfant déjà conçu!

Ce sont là les signes d’une véritable maladie qui atteint les personnes, les couples, les enfants, la société elle-même!

Les conditions économiques, les influence de la société, les incertitudes de l’avenir, sont invoquées pour expliquer les altérations de l’institution familiale. Elles pèsent, certes, et il faut y remédier. Mais cela ne peut justifier que l’on renonce à un bien fondamental, celui de l’unité stable de la famille dans la libre et belle responsabilité de ceux qui engagent leur amour avec l’appui de la fidélité inlassable du Créateur et du Sauveur.

N’a-t-on pas trop souvent réduit l’amour aux vertiges du désir individuel ou à la précarité des sentiments? De ce fait, ne s’est-on pas éloigné du vrai bonheur qui se trouve dans le don de soi sans réserve et dans ce que le Concile appelle “le noble ministère de la vie”? Ne faut-il pas dire clairement que se rechercher soi-même par égoïsme plutôt que chercher le bien de l’autre, cela se nomme le péché? Et c’est offenser le Créateur, source de tout amour, et le Christ Sauveur qui a offert son coeur blessé pour que ses frères retrouvent leur vocation d’êtres qui engagent librement leur amour.

Oui, la question essentielle est toujours la même.

Le danger est toujours le même: que l’homme soit séparé de l’amour!

L’homme déraciné du terrain le plus profond de son existence spirituelle. L’homme condamné à avoir de nouveau un “coeur de pierre”. Privé du “coeur de chair” qui soit capable de réagir avec justesse au bien et au mal. Le coeur sensible à la vérité de l’homme et à la vérité de Dieu. Le coeur capable d’accueillir le souffle de l’Esprit Saint. Le coeur rendu fort par la force de Dieu.

Les problèmes essentiels de l’homme - hier, aujourd’hui et demain - se situent à ce niveau. Celui qui dit “je vous donnerai un coeur” veut mettre dans ce mot tout ce par quoi l’homme “devient plus”.

381 7. Le témoignage de beaucoup de familles montre assez que les vertus de la fidélité rendent heureux, que la générosité des conjoints l’un pour l’autre et ensemble vis-à-vis de leurs enfants est une vraie source de bonheur. L’effort de maîtrise de soi, le dépassement des limites de chacun, la persévérance aux divers moments de l’existence, tout cela conduit à un épanouissement dont on peut rendre grâce.

Alors il devient possible de porter l’épreuve qui survient, de savoir pardonner une offense, d’accueillir un enfant qui souffre, d’illuminer la vie de l’autre, même faible ou diminué, par la beauté de l’amour.

Aussi voudrais-je demander aux Pasteurs et aux animateurs qui aident les familles à s’orienter, de leur présenter clairement l’appui positif que constitue pour elles l’enseignement moral de l’Eglise. Dans la situation confuse et contradictoire d’aujourd’hui, il faut reprendre l’analyse et les règles de vie qui ont été exposées particulièrement dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, à la suite du Synode des Evêques, en exprimant l’ensemble de la doctrine du Concile et du Magistère pontifical.

Le Concile Vatican II rappelait que “la loi divine manifeste la pleine signification de l’amour conjugal, elle le protège et le conduit à son achèvement vraiment humain”.

8. Oui, grâce au sacrement du mariage, dans l’Alliance avec la Sagesse divine, dans l’Alliance avec l’amour infini du Coeur du Christ, familles, il vous est donné de développer en chacun de vos membres la richesse de la personne humaine, sa vocation à l’amour de Dieu et hommes.

Sachez accueillir la présence du Coeur du Christ en lui confiant votre foyer. Qu’il inspire votre générosité, votre fidélité au sacrement où votre alliance a été scellée devant Dieu! Et que la charité du Christ vous aide à accueillir et à aider vos frères et soeurs blessés par les ruptures, laissés seuls; votre témoignage fraternel leur fera mieux découvrir que le Seigneur ne cesse d’aimer ceux qui souffrent.

Animés par la foi qui vous a été transmise, sachez éveiller vos enfants au message de l’Evangile et à leur rôle d’artisans de justice et de paix. Donnez-leur d’entrer activement dans la vie de l’Eglise. Ne vous déchargez pas sur d’autres, coopérez avec les Pasteurs et les autres éducateurs dans la formation à la foi, dans les oeuvres de solidarité fraternelle, l’animation de la communauté. Dans votre vie de foyer, donnez franchement sa place au Seigneur, priez ensemble. Soyez fidèles à l’écoute de la Parole de Dieu, aux sacrements et d’abord à la communion au Corps du Christ livré pour nous. Participez régulièrement à la messe dominicale, c’est le rassemblement nécessaire des chrétiens en Eglise: là, vous rendez grâce pour votre amour conjugal lié “à la charité du Christ se donnant lui-même sur la Croix”; vous offrez même vos peines avec son Sacrifice sauver; chacun, conscient d’être pécheur, intercède aussi pour ceux de ses frères qui, de bien des manières, s’éloignent de leur vocation et renoncent à accomplir la volonté d’amour du Père; vous recevez de sa miséricorde la purification et la force de pardonner vous-mêmes; vous affermissez votre espérance; vous marquez votre communion fraternelle en la fondant sur la communion eucharistique.

9. Avec Paul de Tarse, avec Marguerite-Marie, nous proclamons la même certitude: ni la mort ni la vie, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus-Christ.

J’en ai la certitude . . . rien ne pourra jamais . . .!

Aujourd’hui, nous nous trouvons en ce lieu de Paray-le-Monial pour renouveler en nous-mêmes cette certitude: “Je vous donnerai un coeur . . .”.

Devant le Coeur ouvert du Christ, nous cherchons à puiser en lui l’amour vrai dont nos familles ont besoin.

382 La cellule familiale est fondamentale pour édifier la civilisation de l’amour.

Partout, dans la société, dans nos villages, dans nos quartiers, dans nos usines et nos bureaux, dans nos rencontres entre peuples et races, le “coeur de pierre”, le coeur desséché, doit se changer en “coeur de chair”, ouvert aux frères, ouvert à Dieu. Il y va de la paix. Il y va de la survie de l’humanité. Cela dépasse nos forces. C’est un don de Dieu. Un don de son amour.

Nous avons la certitude de son Amour



Célébration eucharistique sur l'esplanade de la «Rencontre» à Ars
Ars (France)
Lundi, 6 octobre 1986



1. “Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages” (
Mt 9,35)

C’est ainsi que Jésus accomplissait sa mission de Messie en Terre Sainte, sans aller au-delà des frontières du pays.

C’est ce qui continue à se passer, lorsque les disciples de Jésus portent l’Evangile “jusqu’aux extrémités de la terre”. Le Sauveur leur a dit: “Je suis avec vous” (Mt 28,20). Là où ils annoncent l’Evangile, il est présent Lui aussi.

Parfois cette présence - la présence salvatrice da Christ - est ressentie d’une manière particulière. Et alors, sur la grande mappemonde de l’évangélisation, une ville on un village acquiert un rayonnement particulier.

C’est bien ce qui s’est produit dans ce village d’Ars au siècle dernier, dans les années où le Cure Jean-Marie Vianney accomplissait ici le service sacerdotal. Peu à peu, toute la France, et même les autres pays, les autres parties du monde, en sont venus à connaître le Curé d’Ars. On venait de partout pour l’approcher, pour l’écouter parler de l’amour de Dieu, pour être guéri et libéré de son péché. Après sa mort, son exemple a pris un nouvel éclat. Pie XI l’a déclaré saint Patron des curés du monde entier. Et aujourd’hui, il y a ici des représentants des prêtres de très nombreux pays. Oui, à travers ce prêtre, c’est le Christ qui est devenu spécialement présent en ce coin de France.

383 2. Jean-Marie Vianney est venu à Ars pour y exercer le “sacerdoce saint”, pour “présenter des offrandes spirituelles que Dieu accepte à cause du Christ Jésus” (1P 2,5). Lui-même offrait ces sacrifices. Il offrait chaque jour, avec quelle ferveur, le Sacrifice du Christ. “Toutes les bonnes oeuvres réunis n’équivalent pas au Sacrifice de la Messe, parce que . . . la sainte Messe est l’oeuvre de Dieu” (“Jean-Marie Vianney, curé d’Ars, sa pensée, son coeur”, ed. Abbé Bernard Nodet, Le Puy 1958, p. 107) . Il invitait les fidèles à y unir leur vie “en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu” (Rm 12,1). II s’offrait lui-même: “Qu’un prêtre fait donc bien de s’offrir en sacrifice tous les matins” (Nodet, 107) , Il offrait toute sa vie, constamment uni à Dieu dans la prière, dévoré par le service spirituel de ses fidèles, marqué secrètement par les pénitences personnelles acceptées pour leur conversion et son propre salut. Il a cherché à imiter le Christ jusqu’aux limites des possibilités humaines. Et il est devenu non seulement prêtre, mais victime, offrande, comme Jésus.

Il savait et il proclamait avec clarté que Jésus-Christ est “la pierre vivante” et que tous les hommes - par Lui, avec Lui et en Lui - devaient eux aussi devenir “des pierres vivantes qui servent à construire le temple spirituel” (1P 2,5).

En France, chers Frères et Soeurs, vous avez de très nombreuses églises, des temples splendides où le génie des artistes a cherché, à partir des pierres inertes, à former en quelque sorte un espace extérieur pour la présence de Dieu.

Jean-Marie Vianney s’est épanoui en bénéficiant de toute la splendide tradition de ces temples. Lui-même s’employait à embellir sa petite église, selon le goût de son époque, de manière à honorer Dieu et à favoriser la prière de son peuple. Cependant il savait qu’aucun espace extérieur ne peut être cette “construction” dont parle saint Pierre dans sa première lettre, car aucun d’eux n’est par lui-même un “temple spirituel”.

Le temple spirituel doit être édifié avec les “pierres vivantes” du sacerdoce saint, commun à tous les croyants baptisés. Et la racine de ce sacerdoce est unique; il n’a qu’une source: Jésus-Christ.

3. Jésus-Christ! Jean-Marie Vianney est venu à Ars pour annoncer à ses paroissiens cette vérité fondamentale de notre foi: Jésus-Christ, la pierre angulaire, choisie par Dieu, afin que sur elle s’élève le temple du salut éternel de toute l’humanité, le temple qui réunit “tout le peuple des rachetés” (Prière eucharistique III), le peuple des sauvés.

Et ce temple est en même temps celui de la gloire de Dieu que l’homme est appelé à contempler, à laquelle il participera, selon les magnifiques paroles de saint Irénée de Lyon: a La splendeur de Dieu donne la vie; ils auront donc part à la vie, ceux qui voient Dieu . . . La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu” (Adversus haereses, IV, 20, 5-7). Cette foi faisait dire au Curé d’Ars: “Notre amour sera la mesure de la gloire que nous aurons en Paradis. L’amour de Dieu remplira et inondera tout . . . Nous le verrons . . . Jésus est tout pour nous . . . Vous ne faites tous ensemble qu’un même corps avec Jésus-Christ” (Nodet, 245-249).

Il est vrai que cette pierre angulaire - Jésus-Christ - a été rejetée par les hommes, rejetée jusqu’à la condamnation à la mort de la croix, sur le Golgotha; mais pour Dieu, il demeure la pierre “choisie et de grande valeur”. On lit en effet dans l’Ecriture: “Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie et de grande valeur. Celui qui croit en elle ne sera pas confondu” (1P 2,6).

4. Jean-Marie Vianney est venu à Ars comme un homme qui avait cru. Il avait cru de toute son âme et de tout coeur, avec toute la grâce de son sacerdoce.

Il avait cru dans le Christ comme pierre angulaire. “Celui qui croit en elle ne sera pas confondu”.

Le Curé d’Ars a apporté à ses paroissiens cette certitude fondamentale de la foi: la certitude du salut qui est en Jésus-Christ.

384 “Ainsi donc, honneur à vous qui avez la foi, mais pour ceux qui refusent de croire . . . la peine éliminée par les bâtisseurs est devenue . . . une pierre sur laquelle on bute, un rocher qui fait tomber. Ces gens-là butent en refusant d’obéir à la Parole” (1P 2,7-8).

Voilà ce que Pierre a enseigné. Voilà ce que le Curé d’Ars a enseigné.

Le mot de “salut” est celui qui revient le plus souvent sur les lèvres de Jean-Marie Vianney. Il n’a cessé d’avertir ses fidèles, spécialement les âmes tièdes, indifférentes, pécheresses, incrédules, du risque qu’elles couraient pour leur salut, en refusant de suivre la voie de la foi et de l’amour tracée par le Sauveur; il voulait leur éviter de tomber, d’être perdues, éloignées de la Lumière et de l’Amour pour toujours. Mais il ajoutait: “Ce Bon Sauveur est si rempli d’amour qu’il nous cherche partout” (Nodet, 50).

Les paroles de Pierre et du Curé d’Ars ne sont-elles pas un écho des paroles prophétiques que Syméon avait auparavant prononcées sur Jésus nouveau-né, quarante jours après sa naissance: “Il provoquera la chute et le relèvement de beaucoup . . . il sera un signe en butte à la contradiction”? (Lc 2,34)

5. Le Curé d’Ars a eu la même foi dans le Christ Jésus que Syméon et l’Apôtre Pierre. “Le salut ne se trouve en aucun autre” (Ac 4,12).

Fort de cette foi, il est venu ici, envoyé par l’évêque pour rendre présente et efficace l’oeuvre du salut.

Ses paroissiens d’alors n’étaient peut-être pas très familiarisés avec les questions de foi, le Vicaire général l’avait averti: “Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous en mettrez”. Mais voilà qu’à ces gens d’Ars - et à tous ceux qui viendraient se joindre à eux - il n’hésitait pas à annoncer, par sa parole et par sa vie, ce message de Pierre qui résonne si fortement dans l’enseignement du Concile Vatican II: “Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu” (1P 2,9).

Oui, voilà ce que vous êtes, chers Frères et Soeurs. Telle est votre dignité, telle est votre vocation de laïcs baptisés et confirmés.

“Vous êtes donc chargés d’annoncer les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière”.

Le Curé d’Ars a marché lui-même dans cette lumière. Et il savait qu’elle était destinée à tous: tous sont appelés à cette “admirable lumière” (1P 2,9).

Depuis lors, le Concile Vatican II a souligné cette dignité et cette responsabilité des baptisés: ils participent au sacerdoce du Christ pour l’exercice du culte spirituel, à sa fonction prophétique pour témoigner, à son service royal; “ils ont reçu à un titre égal la foi qui introduit dans la justice de Dieu . . .; commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ; commune la grâce d’adoption filiale; commune la vocation à la perfection . . . à la sainteté” (Lumen Gentium LG 32), Le Curé d’Ars n’a cessé de rappeler aux fidèles leur dignité d’êtres aimés de Dieu, sanctifiés par le Christ, et appelés à le suivre.

385 6. Oui, tous sont appelés, et constamment appelés, à venir à la lumière, à sortir des ténèbres. Parfois, de ténèbres très profondes. De ténèbres qui obscurcissent l’esprit, des ténèbres du péché. De l’obscurité de l’incroyance.

Cent ans après, le Concile Vatican II aura devant les yeux la même réalité. Il cherchera les chemins de rencontre, de dialogue avec les non-croyants, avec les croyants des autres religions. En sachant que, en définitive, il s’agit toujours du “dialogue du salut”, comme l’a si bien dit mon prédécesseur Paul VI.

Le Curé d’Ars savait bien, lui aussi, que ce qui importe, c’est le dialogue du salut. Et il le faisait constamment progresser avec tous les moyens que lui permettait son époque. Pourrait-on lui reprocher d’avoir mené ce dialogue du salut dans des lieux aussi simples, aussi frustes, qui nous émeuvent encore: cette vieille chaire de catéchisme, ce confessionnal qu’il a occupé de manière inlassable?

7. Ce qui compte, c’est d’abord le fait qu’il s’agissait d’un vrai dialogue du salut, d’un dialogue étonnamment fructueux, qui nous laisse, aujourd’hui encore, confondus.

Le fruits qu’il donnait étaient dus à cette “admirable lumière” qui ne vient pas de l’homme, mais de Dieu. Le ministère sacerdotal du pardon est toujours un don d’en haut; par le prêtre qui a été ordonné à ce ministère, c’est le Christ qui éclaire, qui guérit, qui pardonne. L’âme brûlante d’amour du Curé d’Ars se prêtait merveilleusement à cette action du Christ.

Les fruits qu’il donnait étaient des fruits de miséricorde, c’est-à-dire de l’amour miséricordieux de Dieu, grâce auquel “ceux qui semblaient privés de miséricorde” revenaient de 1à comme “ayant obtenu la miséricorde” (
1P 2,10). Ils en revenaient convertis. Ils s’en retournaient absous de leurs péchés.

Le Curé d’Ars prêtait au Christ ces paroles: “Je chargerai mes ministres de leur annoncer que je suis toujours prêt à les recevoir, que ma miséricorde est infinie” (Nodet, 135).

Oh, chers Frères et Soeurs, mesurez-vous suffisamment la grâce inouïe qu'il y a à être absous de ses péchés, à revenir à l'amour de Dieu, à l'état d'amitié avec lui, à être habité par lui, à renaitre à la Vie de Dieu, à être réintégré dans le peuple de ceux qui sont sanctifiés par Dieu? Regardez-vous la croix où le Christ a donné sa vie pour cette rédemption? Désirez-vous ce pardon, cette renaissance spirituelle, qu'on ne saurait se donner soi-même, et sans lesquels la communion à Dieu et à nos frères n'est pas vraie? Vous y préparez-vous sérieusement? Allez-vous demander ce sacrement de réconciliation à vos prêtres? Le vivez-vous et le célébrez-vous dignement?

Grace à l'humble service du Curé d’Ars, ceux qui n'étaient "pas le peuple de Dieu" devenaient le vrai "peuple de Dieu", le temple de pierres vivantes, édifié sur la pierre angulaire, sur le Christ.

8. Edifier l'Eglise! C'est ce que le Curé d'Arx a fait dans ce village.

La conversion, le pardon, préparés par sa prédication rude et simple, devaient permettre à ses paroissiens de progresser dans la vie d'union à Dieu, dans le comportement chrétien, dans le témoignage et les responsabilités apostoliques.

386 L'eucharistie était le sommet du rassemblement paroissial. Il la célébrait de telle sorte que chacun prenait une vive conscience de la présence du Christ. Il invitait à la communion fréquente ceux qui s'étaient préparés.

Il apprenait à ses paroissiens à prier, à adorer le Saint-Sacrement. Ou plutôt, eux-mêmes se sentaient attirés à venir prier comme lui dans cette église.

Il veillait à ce qu'aucun travail ni affaire n'empêche la célébration du dimanche. En prenant le risque d'opposition calomnieuse, il combattait, dans sa prédication, les moeurs ou les habitudes qui lui paraissaient opposées à l'esprit de vérité, à l'honnêteté, à la pureté, à la charité selon l'Evangile, mais il favorisait les saines fêtes populaires.

Sa paroisse prit vite un nouveau visage- Lui-même ne manquait pas d'aller sur place visiter les malades, les familles. Il se souciait spécialement des pauvres, des orphelines de a "La Providence", des enfants sans instruction. Il réunissait les jeunes filles. Il fortifiait les pères et mères de famille dans leurs responsabilités éducatives. Il regroupait des confréries. Il suscitait la coopération des paroissiens qui, en un sens, prenaient en charge les oeuvres. Il s’adjoignait des collaborateurs qu’il formait. Il mettait en oeuvre les missions populaires. Il éduquait à la prière et à l’entraide missionnaire, en ce temps où un autre fils de ce diocèse, saint Pierre Chanel, partait pour l’Océanie et mourait martyr à Futuna.

Ainsi le Curé d’Ars encourageait les vocations diverses au service de l’Eglise, avec les moyens, selon les méthodes et suivants les besoins de son temps. Avec les laïcs, il édifiait ici le temple de Dieu, en communion avec ses confrères prêtres, son Evêque et le Pape.

Mais tout le monde savait à quel point son ministère irremplaçable de prêtre, accompli au nom de Jésus-Christ, avec l’Esprit Saint, avait déclenché, animé et nourri ce progrès.

9. Ainsi donc le Christ s’est bien arrêté ici, à Ars, au temps où Jean-Marie Vianney y était curé.

Oui, il s’est arrêté. II a vu “les foules” des hommes et des femmes du siècle dernier qui “étaient fatiguées et abattues”, comme des brebis sans berger” (
Mt 9,36).

Le Christ s’est arrêté ici comme le Bon Pasteur. “Un bon pasteur, un pasteur selon le coeur de Dieu, disait Jean-Marie Vianney, c’est 1à le plus grand trésor que le Bon Dieu puisse accorder à une paroisse et un des plus précieux dons de la miséricorde divine” (Nodet, 104).

Et de ce lieu, le Christ a dit à ses disciples, comme autrefois en Palestine, il a dit à toute l’Eglise qui est en France, à l’Eglise répandue par toute la terre: “La moisson est abondante et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson” (Mt 9,37-38).

Aujourd’hui, il le dit pareillement, car les besoins sont immenses, pressants.

387 Les évêques, successeurs des Apôtres, le successeur de Pierre, voient plus que d’autres l’ampleur de la moisson, avec les promesses d’un renouveau, et aussi la misère des âmes abandonnées à elles-mêmes, sans ouvriers apostoliques.

Les prêtres ont une vive conscience de ce besoin, eux qui voient en maints endroits leurs rangs clairsemés, et qui attendent l’engagement de plus jeunes dans le sacerdoce ou la vie religieuse.

Les laïcs, les foyers en sont tout autant convaincus, eux qui comptent sur le ministère du prêtre pour nourrir leur foi et stimuler leur vie apostolique.

Les enfants et les jeunes le savent bien, eux qui ont besoin du prêtre pour devenir des disciples de Jésus, et peut-être partager sa joie de se consacrer entièrement au service du Seigneur, à sa moisson,

Et nous tous, qui sommes réunis ici, après avoir médité sur la vie et le service de saint Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars, cet “ouvrier” insolite de la moisson où s’opère le salut des hommes,
nous élevons une supplication instante vers le Maître de la moisson,
nous prions pour la France, pour l’Eglise à travers le monde entier:
envoie des ouvriers dans ta moisson!
envoie des ouvriers!



Célébration eucharistique pour les fidèles des diocèse de la Savoie à Annecy
Annecy (France)
388 Mardi, 7 octobre 1986
1. “Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi” (
Lc 1,28).

L’Evangile d'aujourd'hui nous rappelle ces paroles familières. Nous savons par coeur la salutation angélique. Nous la redisons chaque jour dans notre prière.

Aujourd’hui, l’Eglise nous rappelle ces paroles et tous les événements rapportés par l’Evangile de saint Luc, parce que le 7 octobre est consacré à Notre-Dame du Rosaire.

“Je suis heureux de célébrer cette fête avec vous en Savoie, dans cette terre marquée par tant d’hommes et de femmes qui ont reçu le message du salut. De génération en génération, ils y ont répondu par le don d’eux-mêmes, afin de bâtir l’Eglise du Christ. Parmi eux, depuis les martyrs du troisième siècle, beaucoup de saints ont jalonné votre histoire, dans le service de la cité, dans la vie monastique, dans le ministère pastoral, dans les missions lointaines. Avant d’évoquer le message des deux hautes figures que vénère Annecy, je nommerais seulement saint Pierre de Tarentaise et le Bienheureux Pierre Favre, né au Villaret, premier compagnon de saint Ignace.

En ce jour, il faut que, nous aussi, nous prenions conscience que le chrétien est l’homme de l’Annonciation.

Non seulement nous redisons les paroles de l’Ange à Marie, dans une prière familière - non seulement trois fois par jour 1’“Angelus” nous rappelle l’événement de Nazareth -, mais l’Annonciation marque en profondeur le chrétien. Marie de Nazareth, la première, a reçu de Dieu un message de salut; la première, elle lui a répondu par la foi. Comme elle, tout chrétien est l’homme de ce message de salut et l’homme de cette foi.

2. L’événement qui s’est produit à Nazareth ouvre la voie nouvelle dans laquelle Dieu conduit toute l’humanité.

Ce que signifie l’Annonciation, c’est, en un sens, la synthèse de tous les mystères que Dieu a voulus à la plénitude des temps, lorsqu’il entre dans l’histoire de l’homme selon le dessein éternel de son amour.

La Vierge de Nazareth, nous la voyons au seuil du Temps nouveau, qui est le Temps définitif, en un sens, le dernier Temps. En elle, par elle, le Dieu de l’Alliance désire aller plus loin que ce qui avait été jusqu’alors “l’alliance”, la “foi”, la “religion”. Cette perspective peut émerveiller, mais elle peut aussi provoquer la crainte. C’est pourquoi les premières paroles de l’Annonciation disent: “Sois sans crainte, Marie”. Les paroles qui suivent sont présentes à notre mémoire. La Vierge Marie deviendra la Mère du Fils qu’elle appellera Jésus. Il sera Fils du Très-Haut, Fils de Dieu. En lui s’accompliront toutes les promesses messianiques de l’Ancienne Alliance, celles qui se rattachent à l’héritage du patriarche Jacob et au roi David. En ce Fils, c’est le Royaume de Dieu lui-même qui se réalisera, ce Règne qui “n’aura pas de fin”.

3. En cette fête de Notre-Dame du Rosaire, il faut que nous prenions conscience, d’une manière nouvelle, que tout chrétien est homme de l’Annonciation.

389 Elles en témoignent avec une extraordinaire éloquence les deux figures que nous voulons évoquer en ce lieu, sur la route du pèlerinage du Pape, ici, à Annecy.

Saint François de Sales.

Sainte Jeanne de Chantal.

C’est en leur sanctuaire d’Annecy que vient aujourd’hui l’Evêque de Rome, pour relire avec vous, chers Frères et Soeurs, le message de foi, d’espérance et d’amour qui ressort de leur vie et de leur mission dans l’Eglise, un message qui garde pour nous toute sa force.

4. Docteur de l’amour, saint François de Sales a sans cesse mis en valeur la source vive de l’Alliance de Dieu avec les hommes: Dieu nous aime, Dieu nous accompagne, à chaque étape de la vie, d’un amour patient et fidèle; Dieu met en nous son désir de ce qui est bon, un attrait vers ce qui est beau et vrai. Dans sa Providence, Dieu nous donne la vie pour être à son image et à sa ressemblance. Et Dieu nous appelle à partager toujours ce qui fait la grandeur de sa propre vie, l’amour parfait. Il nous accorde la liberté intérieure, il nous rend capables de goûter la certitude d’être aimés et de prendre la résolution ferme de répondre à cet amour.

Frères et Soeurs, ce grand évêque connaissait aussi la faiblesse de l’homme, sa difficulté à répondre dans une foi constante au message d’amour de l’Alliance. Il savait que nous cherchons souvent la force d’aimer plus en nous-mêmes que dans un accueil généreux du don de Dieu. C’est pourquoi François de Sales était inlassable pour montrer à ses frères la patience et la tendresse de Dieu prêt à pardonner, à sauver. Il ne cesse de transmettre la Bonne Nouvelle de l’Annonciation: le Fils du Très-Haut, né de Marie, vient s’unir à l’humanité. Dans un monde égaré, la présence de Jésus rouvre la “blessure de l’amour”, guérit les coeurs désemparés, offre une Alliance de pardon et de renouveau. Dans son infinie sainteté, Jésus nous attire sur la voie de la sainteté.

Comme le Sage de l’Ecriture, François de Sales sait qu’être “attentif à la Parole” fait trouver le bonheur, que donner sa confiance au Seigneur nous rend bienheureux (cf. Pr
Pr 16,20). Lui-même est si pénétré de la Sainte Ecriture qu’elle “est plus que la règle de ses pensées, elle en est devenue la substance” (Cardinal Pie). Il conduira ses frères à méditer la vie de Jésus, à demeurer près du Seigneur: ainsi, nous dit-il, “nous apprenons, avec sa grâce, à parler, à agir, à vouloir comme lui” (Introduction à la vie dévote, II, 1). Il nous invite à bien prononcer le saint nom de Jésus en donnant à l’invocation toute sa force: “Il faut que ce soit par le seul amour divin qui, sans autre, exprime Jésus dans notre vie en l’imprimant dans notre coeur” (Lettre CDXXVIII).

5. Revenant sans cesse à l’amour de Dieu vécu grâce au Christ, François de Sales rejoint la grande Tradition qu’exprimait saint Augustin: “Pour nous, vivre c’est aimer - vita nostra dilectio est” (Enarr. in Ps 54,7). Lui-même écrit: “Tout est à l’amour, en l’amour, pour l’amour et d’amour en la Sainte Eglise” (Oeuvres, IV, p. 4), grand serviteur de l’Eglise, il a toujours agi dans cet esprit.

Prêtre, puis évêque de ce diocèse il vécut à une époque où il fallait retrouver un élan nouveau. Il contribuera vigoureusement à mettre en oeuvre les réformes du Concile de Trente conclu peu avant sa naissance. A cet égard, nous pouvons mettre à profit son exemple, vingt ans après le Concile Vatican II, même si les circonstances sont très différentes: ses réformes n’obtiendront leur effet que si elles s’accompagnent d’un profond renouveau spirituel.

François de Sales aima le peuple dont il était le pasteur. Pour le conduire sur les voies de l’Evangile, il s’était entièrement donné, au point de se laisser absorber à tout moment, dans sa vie ou au cours de ses visites dans les paroisses. Les prêtres trouvaient auprès de lui un accueil fraternel et il les entraînait dans la générosité apostolique que lui-même exerçait jusqu’à la limite de ses forces. Il tenait à célébrer la Messe avec son peuple et à prêcher fréquemment la Parole de Dieu. Il faisait volontiers la catéchèse aux enfants. Il manifestait une patiente charité pour guider ceux qui lui demandaient conseil et aussi pour secourir les pauvres, vivant lui-même pauvrement. Nous avons entendu dans la lecture des Proverbes un verset qu’il a mis en pratique: “Mieux vaut être humble avec les pauvres qu’avec les superbes partager le butin” . Il se rendait disponible à qui lui demandait de l’entendre en confession, tant il estimait les bienfaits du sacrement de la miséricorde. Comme le dit le Psaume (33, 19): “Il est proche du coeur brisé; il sauve l’esprit abattu”.

Dans son action pastorale, François de Sales avait un sens aigu de la mission qui incombe à chaque évêque. Il savait que dans cette mission, le service de l’unité est une priorité. Il a eu à l’accomplir alors qu’une grave déchirure venait de se produire parmi les chrétiens de sa région. Dans le climat qui régnait alors, il l’a fait avec toute sa foi, tout son amour, toute sa générosité. Puisse le Seigneur inspirer aujourd’hui notre dialogue de frères encore séparés! Puise-t-il affermir en nous une commune volonté de réconciliation dans la vérité et la charité, afin que nous retrouvions bientôt l’unité tant désirée!

390 6. En François de Sales, nous admirons l’homme d’Eglise pénétré de l’amour divin. On peut dire qu’il est un véritable sage, réalisant ce que disent les Proverbes (16, 21-22): “Un coeur sage est proclamé intelligent, la douceur des lèvres augmente le savoir. Le bon sens est source de vie . . .”.

Oui, ce mystique puisait journellement dans l’intimité avec le Seigneur une étonnante capacité d’entraîner ses frères vers la vie parfaite, en sachant comprendre les personnes les plus diverses. Son influence tient largement à ce que chacun se sentait respecté dans sa situation particulière. Il proposait toute l’exigence évangélique, il en montrait l’accès aux hommes et aux femmes, aux laïcs et aux religieux, aux jeunes et aux anciens, aux époux et aux célibataires, aux riches et aux pauvres, aux lettrés et aux ignorants, aux princes et aux paysans, aux soldats et aux commerçants. A tous il révélait l’accord profond de la liberté intérieure avec la volonté de Dieu. A chacun il adressait l’appel à la sainteté selon sa condition et ses dispositions. Ce sage qui se disait “tant homme que rien plus” (Lettre CDXVIII) était si près de ses frères qu’il savait partager avec tous la sagesse même de Dieu.

Doué d’un grand discernement dans les rencontres individuelles, François de Sales est entré aussi dans les affaires et les débats de son temps, avec une modération qui suscitait la confiance. Il a mérité d’être appelé le “conciliateur”. Impliqué dans les discussions théologiques ou les conflits de la cité, il avait entendu l’appel du Psaume (33, 15): “Poursuis la paix, recherche-la”, ou cette maxime des Proverbes (16, 32) “Mieux vaut . . . un homme maître de soi qu’un preneur de villes”.

Parmi les saints qui ont porté le message évangélique à leurs contemporains de tant de manières, François de Sales fait partie de ceux qui ont su trouver un langage merveilleusement adapté. Nous dirions aujourd’hui qu’il était homme de communication. Dans ses lettres et dans ses livres, il retient l’attention par un style où transparaît son expérience spirituelle en même temps que sa profonde connaissance des hommes. Patron des journalistes, de ceux qui ont mission d’écrire, puise-t-il inspirer leur travail dans une connaissance lucide de ceux à qui ils s’adressent, dans le respect fraternel de ceux avec qui ils partagent la vérité!

7. Votre ville honore, avec son grand évêque, sainte Jeanne de Chantal, qui demeure la plus proche de lui. Elle nommait François de Sales son “bienheureux père” car il fut, dans une admirable amitié, l’interprète respectueux et le guide éclairé de sa conscience. Nous aimons l’évoquer parce que son itinéraire a été extraordinairement riche. Jeanne de Chantal a vécu, en suivant avec ferveur les simples chemins de la foi, les étapes de la vie d’une femme qui rayonne de sagesse humaine et spirituelle.

Jeune fille, épouse, mère, veuve, en peu d’années elle a connu la joie et l’épreuve, elle a mûri par le don d’elle-même. Dans l’épanouissement d’un couple qui s’aime et de la maternité, elle a développé sa foi et mis en pratique la charité en soignant les malades et en apportant aux pauvres une aide respectueuse. Meurtrie par la mort de son époux, la souffrance l’a marquée encore de bien des manières. Elle a su la difficulté du pardon, l’inquiétude pour l’avenir de ses enfants. D’autres deuils l’ont douloureusement frappée. Et même, il ne faut pas l’oublier, à toutes les étapes de sa vie, Jeanne de Chantal s’est vue ébranlée dans sa foi. Le doute et l’obscurité l’ont saisie au moment de tracer sa voie, dans une réelle souffrance. La sainteté est traversée de ces combats.

Au long de cette route, elle qui aimait chanter les Psaumes, elle a pu méditer ces paroles:

“Je cherche le Seigneur, il me répond: / de toutes mes frayeurs, il me délivre . . . / Goûtez et voyez, le Seigneur est bon! / Heureux qui trouve en lui son refuge!” (
Ps 33,5 Ps 33,9).

Oui, elle affirmera sa résolution de se donner toute entière au Seigneur “dans une toute simple confiance”. Elle poursuivra son chemin en s’appuyant sur le pur amour de Dieu. Des frayeurs, elle est délivrée; en Dieu, elle trouve sa paix.

8. Dans le cours de sa vie, heureuse puis blessée, elle reçoit le message de salut et devient une vraie servante de l’Alliance. Et voici que Jeanne prend le chemin de ces montagnes, dans l’esprit même de la Vierge de l’Annonciation se rendant auprès d’Elisabeth: elle est toute soumise à la Parole du salut, toute adorante du Verbe incarné, elle rend grâce pour les “merveilles de Dieu”, elle est prompte à exercer une charité humble et quotidienne. Elle est prête à fonder avec François de Sales la Visitation.

Nous rendons grâce aujourd’hui pour l’action complémentaire de ces deux saints, pour l’admirable foyer de contemplation qu’est la Visitation, modelé grâce à leur riche amitié spirituelle. Mère commune, Jeanne de Chantal établit la Visitation avec douceur et avec sûreté. Elle “enracine l’union” dans l’amour mutuel, l’humilité, la simplicité, la pauvreté. Ayant “tout remis à Dieu”, “revêtue de Notre Seigneur crucifié”, elle est une incomparable maîtresse d’oraison, amenant ses Soeurs et bien d’autres personnes à connaître comme elle-même “une grande liberté intérieure, . . . une sorte d’oraison toute cordiale et intime”.. (cf. Mémoire de la Mère de Chaugy)

391 “Je bénirai le Seigneur en tout temps, / sa louange sans cesse à mes lèvres” (Ps 33,2).

9. Chers Frères et Soeurs, il nous est bon de porter notre regard vers ces grands témoins de l’Annonciation qui ont tellement marqué votre histoire. Je vous remercie de m’en avoir donné l’occasion en m’accueillant en ce pèlerinage que je désirais accomplir depuis longtemps sur l’invitation pressante de Mgr Jean Sauvage puis de son successeur, Mgr Hubert Barbier. Je les salue ici cordialement avec l’Archevêque de Chambéry, Mgr Claude Feidt, et les autres évêques qui les ont rejoints, ainsi que le vénéré Cardinal Léon Etienne Duval, Archevêque d’Alger, qui, pour la circonstance, est revenu dans son pays natal. Je remercie aussi les autorités civiles qui ont grandement facilité ma venue. Vous tous, prêtres religieux, religieuses et laïcs de cette région, vous, le peuple actif et accueillant de Savoie, je vous salue: j’apprécie votre fidélité à sainte Jeanne de Chantal et à saint François de Sales, lui qui disait: “Je suis en toutes façons Savoyard, et de naissance et d’obligation” (Lettre MCLXXXVII).

J’adresse à l’Eglise d’Annecy et de Savoie mes voeux ardents pour que le témoignage vivant des deux grands saints soit un modèle et un appui en ce temps où les chrétiens font face à une situation nouvelle et traversent tant de difficultés. Que les pasteurs, que les religieux et les religieuses, que les laïcs dont saint François de Sales a si bien souligné la vocation chrétienne, comme un précurseur du Concile Vatican II, oui, que tous coopèrent en confiance pour donner à la vie ecclésiale le dynamisme d’un élan nouveau! Dans les ministères, dans la vie sacramentelle et liturgique, dans toutes les initiatives qui contribuent à l’évangélisation, que tous s’inspirent de l’ardeur pastorale de saint François, du rayonnement de la “Mère commune” de la Visitation! Que ces témoins privilégiés vous aident à puiser aux sources inépuisables de l’amour divin pour en animer toute votre action!

Que la sagesse salésienne, où les qualités spirituelles et la sainteté se joignent à celles d’une amicale sagesse humaine, vous permette d’éclairer en vérité les questions de notre temps, de respecter la vocation de chacun là où Dieu “l’a planté”, et de faire entendre l’appel à entrer par grâce dans l’Alliance avec la Sagesse éternelle!

10. En la fête de Notre-Dame du Rosaire, je confie tous ces voeux à celle que saint François de Sales a appelés “cette douce Mère des coeurs, cette Mère du saint Amour” (Lettre CMXXXVI).

Par la prière du rosaire, nous cherchons à élargir notre regard dans la foi sur tous les mystères que l’Annonciation contient comme une source: les mystères joyeux de l’Incarnation, les mystères douloureux du sacrifice de la Croix, les mystères glorieux de la Résurrection.

Ainsi, de manière simple et humble, nous désirons tous suivre le modèle de la “Servante du Seigneur”. Nous gardons au fond de notre coeur tout le mystère divin de notre vocation dans le Christ.

Avec Marie, chacun de nous et tous ensemble, nous désirons devenir les “hommes de l’Annonciation”.

Homélies St Jean-Paul II 370