Homélies St Jean-Paul II 391


PÈLERINAGE APOSTOLIQUE AU BANGLADESH, SINGAPOUR, ILES FIJI,

NOUVELLE ZÉLANDE, AUSTRALIE ET SEYCHELLES

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE À VICTORIA


Victoria (Seychelles) 1er décembre 1986



Oui, chers Frères et Soeurs, C’est un long chemin sur l’Océan pour venir jusqu’à vous! Mais nous sommes maintenant très heureux d’être au milieu de vous, pour vous apporter le salut de toute l’Eglise. Et pour partager avec vous la Parole de Jésus-Christ.

1. “Nous avons tous été baptisés en un seul Esprit . . .” (1Co 12,13).

392 Baptisés, nous sommes proches de Dieu, nous lui disons: “Père”.

Baptisés, nous nous rassemblons pour célébrer l’Eucharistie. Nous avons part au sacrifice du Christ, le Sauveur. Nous participons au sacerdoce royal du Christ, qui nous permet d’offrir avec lui des sacrifices spirituels. Nous recevons en partage le Corps et le Sang du Fils de Dieu, notre Rédempteur.

Par Lui et en Lui, nous sommes fils adoptifs de Dieu.

Chers Frères et Soeurs, oui, nous pouvons remercier Dieu de tous les dons qu’il nous a faits, déjà dans la nature que nos yeux admirent. N’avez-vous pas ici un très beau pays, baigné de soleil et fécondé par les pluies, avec ses montagnes, l’éclat de ses roches, la végétation de ses forêts, la douceur de ses plages? Ici, nous sommes portés à louer du fond du coeur le Créateur du monde!

Mais c’est le coeur humain qui est la plus belle oeuvre divine: dès le commencement, Dieu a créé l’être humain - homme et femme - à son image, à sa ressemblance (cf. Gen
Gn 1,26). Et Dieu n’a cessé d’aimer les hommes; malgré leur refus, leur péché et leur misère, il les ramène librement vers Lui, leur pardonne, les réconcilie, fait alliance avec eux.

En Jésus-Christ, l’Alliance entre Dieu et les hommes devient inouïe: le Fils de Dieu lui-même s’est fait homme; par sa croix et sa résurrection, il sauve les hommes, restaure leur union avec Dieu; il leur communique sa vie, la Vie de Dieu; il les rassemble dans son Eglise pour partager l’amour du Père et les richesses de l’Esprit.

Voilà la Bonne Nouvelle qui s’est répandue dans le monde entier à partir du Seigneur Jésus, par les Apôtres et les missionnaires de l’Evangile, qui a été apportée dans vos îles et que vous avez crue.

Pour tous ces dons de la nature et de la grâce, nous allons rendre grâce. Aujourd’hui, le successeur de Pierre vient vous affermir dans la foi, encourager votre communauté pour lui donner un nouvel élan dans la construction de l’Eglise.

2. C’est avec ces paroles d’espérance que je salue l’Eglise catholique dans le diocèse de Port Victoria qui s’étend à toutes les îles des archipels des Seychelles. Je salut en particulier son Evêque, Mgr Félix Paul, originaire du pays, qui a reçu la lourde charge de rassembler et de guider cette Eglise au nom de Jésus-Christ; je salue tous ceux qui collaborent avec lui: prêtres, religieux, laïcs. Je vous remercie de votre accueil chaleureux. Vous formez un peuple pacifique, heureux de vivre sur sa terre, et dont le métissage culturel représente une chance de vitalité et un exemple de convivialité fraternelle. Vous êtes fiers d’être chrétiens. Vous formez une Eglise fidèle à la foi qui lui a été prêchée dès l’origine du peuplement au seuil des temps modernes; elle s’est bien développée avec le ministère des Capucins de Savoie et de Suisse, et elle a pris, en ce siècle surtout, un essor remarquable qu’il importe de renouveler aujourd’hui.

Je salue tous les autres habitants des Seychelles: ceux qui partagent la foi chrétienne, nos frères Anglicans; ceux qui adhèrent à d’autres religions, ici ou dans l’Océan Indien, l’Islam ou l’Hindouisme. Je salue les Autorités civiles de ce pays qui exercent la charge d’assurer le bien commun de tous.

Je sais que sont aussi présentes des délégations des Iles Comores, de l’Ile Maurice, avec Mgr Margéot, de l’Ile de la Réunion, avec Mgr Aubry, et aussi des fidèles venus de Madagascar et de plusieurs pays de l’Afrique orientale: j’espère un jour visiter vos Eglises, dès aujourd’hui je vous salue et je vous remercie.

393 3. Chers Frères et Soeurs, par le baptême nous avons été comme greffés sur le Christ. Demeurons en lui, à l’image des sarments sur le cep de vigne. Demeurer en lui, c’est garder sa parole, c’est-à-dire croire en lui, croire en l’amour de Dieu répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint: “Demeurez dans mon amour”. C’est prier le Dieu vivant qui est présent en nous comme la source de la vie et de tout don: “Demandez ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez” (Jn 15,7). Demeurer dans le Christ, c’est être fidèle à ses commandements et refuser de se séparer de lui par le péché, car on deviendrait alors comme un sarment desséché, bon pour le feu. C’est mettre en pratique ses paroles, développer au maximum la capacité d’aimer qu’il a mise en nous, comme les sarments vivants qui s’étendent sans cesse et portent du fruit. “Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit” (Jn 15,8).

4. Ainsi le baptême inaugure notre vocation chrétienne. Dans l’unique Esprit, nous sommes appelés à collaborer avec la grâce reçue “pour former un seul Corps”, le Corps du Christ, c’est-à-dire l’Eglise. “Vous êtes le Corps du Christ, et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce Corps” (1Co 12,13 1Co 12,27).

Les membres sont divers; leurs fonctions et leurs activités sont variées, comme les dons de la grâce, comme les ministères et les charismes. Les vocations sont complémentaires et chacun doit remplir la sienne; toutes sont utiles à la vitalité du Corps dans l’harmonie et l’unité.

L’Eglise diocésaine est une famille dont l’Evêque est le père et le pasteur, au nom de Jésus-Christ: “En la personne des Evêques assistés des prêtres, c’est le Seigneur Jésus-Christ: Pontife suprême, qui est présent au milieu des croyants” (Lumen Gentium LG 21). L’Evêque a droit non seulement au respect de ses prêtres et de ses fidèles, mais à la collaboration de tous, dans une vraie communion, il est lui-même le ministre du Christ à la disposition de tous, pour servir la croissance du Corps dont le Christ est la Vie. Tous les baptisés y ont leur part, grâce au témoignage de leur vie et à leur apostolat, dans la communauté chrétienne et dans le monde.

5. M’adressant aux laïcs chrétiens, je leur dis d’abord: chers Frères et Soeurs, approfondissez votre foi. N’en restez pas aux éléments sommaires du catéchisme reçu dans l’enfance. Vous ne pourriez pas résister à l’interpellation de groupes sectaires, ni aux questions susurrées par la science ou les moeurs nouvelles. Pour cela, remettez vous à l’écoute de la Parole de Dieu, notamment lors de la Messe du dimanche. Puis réfléchissez ensemble, et priez: dans les mouvements, les équipes du rosaire, les divers groupes de prière, de catéchèse, de néo-catéchuménat, en communautés ecclésiales de base. “Quand plusieurs sont réunis en mon nom, je suis au milieu de vous”, a dit Jésus (Mt 18,20). Approchez-vous des sacrements de réconciliation et d’Eucharistie, où vous trouvez le pardon et la force de Jésus. Tout cela est votre affaire å tous, aux hommes autant qu’à leurs épouses.

Pénétrés de l’Esprit du Christ, vous aurez à coeur d’en vivre et d’en témoigner. Votre vie en foyer, votre vie de travail, toutes vos relations de voisinage, de milieu social ou de profession, seront imprégnées d’un esprit nouveau, l’esprit de service, le courage dans le travail, l’honnêteté et la justice, la pureté qui est respect des personnes, et l’amour qui est la recherche de leur bien. C’est dans cet esprit que vous participez au progrès du pays, sous tous ses aspects, aux responsabilités sociales et politiques, à l’amélioration des conditions de vie et des moeurs, à la construction de l’avenir des Seychelles, à l’accueil des touristes qui peuvent être pour vous une occasion d’échange, d’ouverture, de service et de témoignage à donner et à recevoir. L’Eglise et l’Etat ont des rôles complémentaires, qui appellent un respect des compétences distinctes et une collaboration, pour le bien des populations. Dans tous les domaines de la vie, le Christ vous demande d’être ses témoins courageux. Et, dans la paroisse, dans le diocèse, il vous invite à prendre votre part des services de la communauté ecclésiale: catéchèse, liturgie, services de charité. Le prochain Synode encouragera les laïcs du monde entier à mieux assumer leur juste place dans l’Eglise.

6. Un domaine est particulièrement important: celui de la vie familiale.

Une société se désagrège quand les mariages se font de moins en moins nombreux et plus instables, lorsque chacun recherche d’abord à satisfaire son égoïsme et les plaisirs faciles, quand on accepte les infidélités et les ruptures. Le chrétiens doivent alors témoigner qu’une vie de foyer solide, bien préparée, animée par l’amour réciproque, est une valeur irremplaçable. En recevant le sacrement de mariage, ils reconnaissent que tout amour vient de Dieu et ne peut être vécu fidèlement qu’avec la grâce de Dieu, avec la force de l’amour que le Christ a manifesté pour son Eglise. Et en accueillant la vie selon une paternité responsable, en la respectant toujours dès qu’elle est conçue, ils sont les coopérateurs de l’amour de Dieu Créateur. Ils sont aussi les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, de leur croissance dans la foi. Chers époux et parents chrétiens, en vertu du mariage, vous avez une mission de premier plan dans l’Eglise et dans la société. Priez, priez ensemble le Christ présent dans votre foyer. Et cherchez, à l’occasion de réunions ou de retraites, à vous entraider entre foyers.

7. Je me tourne aussi vers les enfants et les jeunes. Chers amis, vous avez reçu de vos parents la vie et l’imitation à la foi. Ils ont encore beaucoup à vous dire et à vous apporter, même si certains n’ont pas votre instruction. Ecoutez avec confiance leur expérience, leur témoignage, leurs conseils, et donnez-leur, à votre tour, l’aide qu’ils attendent de vous.

Mais il vous faut vous-mêmes approfondir votre foi, pour qu’elle devienne une conviction, un choix personnel. L’instruction que vous recevez dans les différents établissements scolaires représente une chance pour votre avenir, pour l’avenir des Seychelles. Elle doit s’accompagner d’un effort semblable pour connaître ce que Dieu a révélé aux hommes tout au long de la Bible et de l’histoire de l’Eglise. Cette révélation n’explique pas, comme les sciences, les “comment” de la nature, mais elle répond à nos “pourquoi”: elle montre le sens de l’existence dans le plan de Dieu. Ainsi vous serez capables de rendre compte de l’espérance qui est en vous et de répondre sans crainte aux interrogations nouvelles qui surgissent au cours de vos études. C’est pourquoi l’Eglise désire avoir toujours la possibilité de rendre aux jeunes ce service qui, à ses yeux, est primordial: leur proposer, dans le respect de leur conscience, le message chrétien, l’expérience de la vie en Eglise et le sens d’une vie à bâtir à la lumière de Jésus-Christ. Je sais que les “teachers” et les “Misses”, aidés par une religieuse, vous donnent avec dévouement un certain enseignement sur la foi: je les encourage vivement. La catéchèse, pour porter des fruits, doit être également accompagnée du témoignage de vie des éducateurs et des parents, dans une atmosphère de dialogue; votre foi doit s’exprimer aussi dans des initiatives d’action chrétienne; elle a besoin d’être nourrie par la prière, par des célébrations, par les sacrements, notamment par l’Eucharistie. Il semble que les prêtres et les catéchistes pourraient y pourvoir dans le cadre paroissial. Et vous, jeunes chrétiens des “National Youth Service”, je vous demande d’être très fidèles à trouver votre nourriture spirituelle dans les messes qui sont célébrées dans vous camps.

Préparez votre avenir, en développant aussi les valeurs morales de droiture du coeur, de loyauté, d’endurance dans l’effort, d’amitié. Préparez-vous à l’amour humain sur lequel sera fondé votre foyer, si telle est votre vocation. Il y a un apprentissage du respect de l’autre, de la connaissance réciproque, de la maîtrise de soi, du don de soi. L’amour est beaucoup plus que les satisfactions superficielles de la sensibilité. Il est une réponse à une vocation merveilleuse que Dieu a inscrite dans vos coeurs, et pour laquelle vous devez être simples, forts, généreux, capables d’assurer ensemble les responsabilités du mariage.

394 Je souhaite en même temps que l’appel du Seigneur à Le suivre dans la vie sacerdotale ou religieuse soit entendu par les jeunes auxquels il donne cette grâce, pour le plus grand bien de leurs frères et de l’Eglise aux Seychelles. Et vous tous, Frères et Soeurs adultes, efforcez-vous d’encourager et de soutenir ces vocations dont vous avez tant besoin.

8. En effet, sans le ministère des prêtres, l’Eglise que forment ici tous les baptisés ne peut recevoir la vie divine de la Tête qui est le Christ; elle ne peut survivre, ni demeurer unie, ni cheminer dans la lumière de la foi, ni être missionnaire. Et vous êtes tous, à juste titre, préoccupés ici du petit nombre et du vieillissement de vos prêtres, religieux et séculiers.

En l’année du bicentenaire du Curé d’Ars, j’encourage tous ces prêtres à poursuivre leur saint ministère, dans une grande communion fraternelle, en collaboration avec leur Evêque, en recherchant un nouvel élan spirituel et les initiatives apostoliques qui répondent aux besoins des laïcs. Où sera la solution de la relève sacerdotale? Je pense que vous pourrez compter sur la solidarité des autres Eglises, spécialement celles de la Conférence épiscopale de l’Océan Indien, mais aussi, progressivement, sur les prêtres issus de ce pays. Prions le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson!

Vous avez fait aussi l’expérience, chers Frères et Soeurs, du témoignage capital et du travail apostolique très appréciable des religieux, qu’il s’agisse des Frères de l’Instruction chrétienne, des religieuses de Saint-Joseph de Cluny qui ont suscité beaucoup de vocations seychelloises, des Soeurs de Sainte-Elisabeth, liées à ce diocèse, ou des missionnaires de la charité de Mère Teresa. Il faut donc préparer aussi le renouveau de la vie religieuse.

9. Ecoutons encore la consigne suprême du Seigneur Jésus: “Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Mon commandement, le voici: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés”. On constate déjà que toute vocation humaine ne se réalise bien que dans l’amour: c’est vrai pour la famille, pour les rapports entre citoyens, entre groupes sociaux, entre races, entre peuples. C’est l’amour qui suscite et inspire la paix, le respect, l’entraide. La vocation chrétienne, qui est une vocation à la sainteté, consiste essentiellement dans la charité: aimer le Seigneur notre Dieu de toutes nos forces, aimer le prochain comme le Christ nous a aimés. Un amour qui va jusqu’à l’extrême: “Il n’y a pas de plus grand amour que le donner sa vie pour ses amis”. Voilà, chers Frères et Soeurs, ce qui doit caractériser votre communauté chrétienne aux Seychelles. Oui, que la bienveillance, l’accueil, le souci de l’entente dans la vérité, le soutien mutuel, le pardon, la confiance, marquent tous vos rapports entre laïcs, prêtres, religieux, évêque, et aussi votre ouverture loyale et généreuse à tous les autres, dans la fidélité à votre identité chrétienne. En agissant avec l’amour du Christ, vous porterez du fruit, un fruit qui demeure (cf.
Jn 15,16). Vous préparez pour le pays un avenir de bonheur, de paix, de fraternité, auquel les Seychellois ont toujours aspiré. Et le Christ, au jugement, vous reconnaîtra comme ses disciples.

10. 11. En anglais
1987

CONCELEBRATION EUCHARISTIQUE POUR LA GARDE SUISSE PONTIFICALE

HOMELIE DE JEAN-PAUL II

Mercredi, 6 mai 1987



… en allemand

Je m’adresse également aux gardes suisses, nouveaux et anciens, à leurs parents, à leurs amis qui les entourent avec émotion. Depuis bientôt cinq siècles, des générations de jeunes suisses ont assuré la protection des Papes, parfois jusqu’à l’effusion du sang comme en mai 1527. Je salue la mémoire de tous ceux qui vous ont précédés et, à vous, j’exprime ma profonde gratitude personnelle, celle de mes coopérateurs de la Curie romaine, mais aussi l’estime et la satisfaction des personnalités, des visiteurs, des pèlerins accueillis au Vatican à longueur d’années. Tous rendent hommage à votre comportement marqué par une réserve, une courtoisie, une efficacité et un esprit ecclésial qui vous honorent. Chers jeunes, soyez convaincus que, à votre place, vous contribuez à donner au centre de la catholicité son visage de paix et d’accueil évangéliques, et même une note d’agrément humain, de joie. Je vous remercie chaleureusement du service que vous avez librement choisi d’accomplir pendant quelques années. Je remercie vos parents, légitimement fiers de vous voir au service du Pape. Que Dieu, mystérieusement présent et actif en chacun de vous, vous soutienne dans l’accomplissement fidèle de votre mission et qu’il veille attentivement sur vos familles!



BEATIFICATION DE ANDREA CARLO FERRARI, LOUIS ZÉPHIRIN MOREAU,

PIERRE-FRANÇOIS JAMET ET BENEDETTA CAMBIAGIO FRASSINELLO

HOMELIE DE JEAN-PAUL II

Place Saint-Pierre
395 Dimanche, 10 mai 1987
1-3. en italien


4. A la suite du Bon Pasteur, Louis-Zéphirin Moreau consacra sa vie à conduire le troupeau qui lui fut confié à Saint-Hyacinthe, au Canada. Prêtre, puis évêque de ce jeune diocèse, il connaissait ses brebis. Il travaillait inlassablement à leur donner la nourriture, “ pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance ”. En lui, les fidèles ont trouvé un homme entièrement donné à Dieu, puis un intercesseur véritable. Il est bon que l’Eglise l’honore aujourd’hui et le présente comme un modèle pastoral.

Le bon Monseigneur Moreau” savait quotidiennement accorder son attention à toute personne. Il respectait chacun, pratiquait la charité la plus concrète pour les pauvres accueillis chez lui. Il aimait visiter les paroisses et les écoles. Il était proche des prêtres qu’il consultait, qu’il stimulait dans leur action, dans leur vie spirituelle, dans l’approfondissement intellectuel, afin qu’ils apportent aux chrétiens une catéchèse illuminée par une foi comprise et vécue. L’évêque faisait preuve d’un discernement lucide et l’on pouvait s’appuyer sur sa parole claire et courageuse, aussi bien dans l’enseignement adressé a tous que dans les réponses données à chacun.

Conscient des besoins d’un diocèse qui grandissait, Mgr Moreau a multiplié les initiatives pous l’éducation religieuse et scolaire des jeunes, les soins des malades, l’organisation de l’entraide mutuelle, et aussi la constitution de nouvelles paroisses, la formation des candidats au sacerdoce. Dans tous ces domaines, il était audacieux et surmontait avec patience les obstacles.

Il a cherché la coopération des congrégations religieuses pour de nombreuses tâches. Comprenant toute la valeur de la vie consacrée, il a su favoriser des fondations hardies dans leur pauvreté. Il a personnellement contribué en profondeur à l’animation spirituelle et à l’orientation des instituts religieux naissants ou nouvellement établis dans son diocèse.

Au-delà de Saint-Hyacinthe, Mgr Moreau était reconnu comme un homme d’Eglise exemplaire. Il analysait avec lucidité les problèmes de son époque; ferme et modéré, il défendait les principes et les valeurs essentiels, travaillait pour l’unité entre chrétiens, assurait d’utiles médiations. Interlocuteur attentif du Saint-Siège, il demeurait en pleine communion avec le successeur de Pierre dont il présentait avec soin l’enseignement.

Malgré sa fragilité physique, il vécut dans une austérité exigeante. Il n’a pu faire face à ses énormes tâches que par la force qu’il puisait dans la prière. Il se dépeint lui-même en écrivant: “ Nous ne ferons bien les grandes choses dont nous sommes chargés que par une union intime avec Notre Seigneur ”. On a pu l’appeler l’évêque du Sacré-Coeur: au jour le jour, le pasteur donnait sa vie pour ses brebis, car il les aimait de l’amour brûlant du Christ.

5. Et maintenant, nous regardons le prêtre français Pierre-François Jamet. Il a vécu la même charité ardente dans les multiples formes de son activité sacerdotale. Il nous impressionne par son courage, par son aptitude à poursuivre à la fois un itinéraire d’homme de haute culture, de prêtre fidèle, de serviteur des pauvres.

A peine ordonné prêtre, il était déjà nommé confesseur et conseiller des Soeurs du Bon-Sauveur. Il prendra tous les risques pour le demeurer pendant la Révolution française. Il donne l’exemple d’un attachement ferme à l’Eglise et il n’abandonne pas les chrétiens. Dans la clandestinité, il célèbre les sacrements avec joie. Il discerne clairement les menaces qui pèsent sur la foi, mais il met toute sa confiance dans les dons de Dieu.

Universitaire respecté, l’abbé Jamet exerce un temps une lourde charge académique. Une éducation équilibrée, une formation exigeante sur le plan intellectuel comme sur le plan moral et spirituel, telles sont les préoccupations qui orientent simultanément son action. Dans un milieu où s’opposent des convictions et des fidélités antagonistes, le Recteur Jamet respecte les personnes, mais il assure avec fermeté le développement des institutions dont il a la responsabilité. Disponible et dévoué, il est un vrai serviteur de l’homme tant qu’il peut accomplir sa tâche en conscience.

396 Pierre-François Jamet n’a quitté le service des pauvres à aucun moment. Il stimule les Soeurs du Bon-Sauveur et les encourage à développer leurs oeuvres, devenant leur “ second fondateur ”. Nous admirons sa générosité intrépide, son souci de ne pas laisser sans soins les plus handicapés de ses frères. Il organisera toujours mieux l’accueil des malades mentaux: il les aime au point d’apprendre à les guérir. Précurseur dans l’aide aux sourds muets, il leur donne un moyen de s’exprimer, il leur permet de retrouver un langage, il leur rend leur dignité. Nous saluons en lui un inventeur et un bâtisseur de la charité.

Par l’ampleur de son activité, Pierre-François Jamet témoigne, lui aussi, de ce qu’un homme peut accomplir quand la présence de Dieu l’habite. Il a pu dire: “ Mon Dieu, je suis à vous, comme vous êtes à moi ”. Pasteur, il conduit ses brebis sur les sentiers de vie. Il entraîne particulièrement les Soeurs du Bon-Sauveur à la suite du Rédempteur et dans l’intimité de la Sainte Trinité. Nous le reconnaissons lorsqu’il reprend la prière de Jésus: “ Père Saint, conservez, pour la gloire de votre nom, les enfants que vous m’avez donnés, et qu’ils soient toujours unis ”.

6. 7. en italien



RITE DE BÉATIFICATION DE FRÈRE ARNOULD,

DE SOEUR ULRIKA NISCH ET DE SOEUR BLANDINA MERTEN

HOMÉLIE DE JEAN PAUL II

Solennité de la Toussaint
Basilique Vaticane - Dimanche, 1er novembre 1987



1-3. en italien

4. Parmi ces disciples du Christ, marqués du sceau de la sainteté, aujourd’hui j’ai la joie de déclarer bienheureux le Frère Arnould, lui qui se laissait saisir par “ le Saint-Esprit sanctificateur, unificateur ”, lui qui disait: “ C’est dans le Coeur de Notre-Seigneur qu’il faut aller chercher sur la terre le Saint-Esprit surtout ”.

La sainteté s’est formée en lui dans une vie pauvre, dans le travail assumé très jeune pour aider sa famille: jusqu’à son âge adulte, le futur Frère des Ecoles Chrétiennes répond pleinement à sa vocation de chrétien: il poursuit sa formation malgré les obstacles. Il vit intensément sa foi et il sait s’en faire un témoin convaincant autour de lui. Pauvre, acceptant l’épreuve, il est heureux d’avancer d’un pas ferme vers le Royaume de Dieu.

Avec simplicité, Jules Rèche entre dans la condition de religieux laïc. Devenu Frère Arnould, il épanouit ses qualités naturelles d’éducateur: d’un jugement sûr, il se révèle un exemple d’équilibre: il invite ses élèves à développer leurs connaissances en même temps que de bonnes relations humaines et une vie spirituelle exigeante. Son influence est due autant à sa conscience professionnelle qu’à son dévouement généreux et à la profondeur de sa foi.

Sa manière d’être un “ coeur pur ” à qui il est donné de “ voir Dieu ”, c’est une ascèse austère, c’est une vie de prière qui a impressionné ses frères, c’est l’offrande de lui-même en union à la Passion du Christ, c’est sa familiarité avec la Parole de Dieu qui le nourrit, c’est le bonheur de servir Dieu, c’est l’action de grâce, qu’il appelait une “ vraie prière d’amour ”. Selon le témoignage d’un retraitant, “ son calme, sa prudence, sa lumière, son silence ”, Frère Arnould les puisait dans la présence constante du Saint-Esprit en lui. Nous l’invoquons afin que le maître spirituel qu’il fut au siècle dernier soutienne aujourd’hui ses Frères dans leur vie consacrée à l’éducation sous toutes ses formes. Et nous lui demandons d’aider les jeunes à devenir des chrétiens adultes, heureux de se reconnaître les fils de Dieu, en recherchant, selon l’esprit des Béatitudes, la justice et la paix..

5-6. en allemand

7. en italien













397 Homélies Jean Paul en Français 1988



MESSE DANS LA BASILIQUE ROMAINE DE SAINT-PAUL-HORS-LES-MURS

POUR LA CLÔTURE DE L’OCTAVE POUR L’UNITÉ DES CHRÉTIENS

Lundi 25 janvier 1988



1. « Je suis juif, né à Tarse en Cilicie…, rempli de zèle pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui. » (Ac 22,3) L’Église écoute à nouveau aujourd’hui le discours extraordinaire que l’homme enchaîné (Ac 22,2) adressa un jour en hébreu, du haut des escaliers entre la tour et le Temple de Jérusalem, au peuple en émoi.

C’est un discours qui nous aide à comprendre la nouveauté bouleversante de notre foi, son caractère d’événement imprévisible, d’irruption fulgurante dans notre existence, remise en question et conduite à reconsidérer toutes les certitudes sur lesquelles elle se fondait auparavant.

« J’ai persécuté à mort cette nouvelle doctrine… », dit Paul (Ac 22,4). Il est déconcertant de constater comment, parfois, la violence des passions humaines semble trouver un aliment justement dans le zèle pour Dieu. L’explication doit être cherchée dans la précarité d’un équilibre spirituel qui conduit le sujet à voir en toute « nouveauté » une menace, d’autant plus effrayante qu’elle apparaît moins homogène avec l’univers des significations qui, jusqu’ici, donnaient consistance à sa vie. Il arrive alors que, dans un semblable équilibre, fragile parce qu’il manque profondément d’assurance, il tende à se laisser aller bien vite à la violence, motivée — si la question est religieuse — par le zèle pour la religion. Mais il s’agit d’un zèle « non éclairé » (Rm 10,2), comme le dira Paul lui-même jugeant, à la lumière de sa propre expérience, le comportement de ses compatriotes.

2. Dans les Actes des Apôtres, nous trouvons au contraire un exemple de zèle éclairé, d’autant plus significatif qu’il s’exerce alors que se dessine désormais la tension entre la Synagogue et l’Église naissante. C’est l’exemple de Gamaliel, Docteur de la Loi (Ac 5,34) qui, s’adressant aux Israélites, les exhortait en ces termes : « Ne vous occupez pas de ces gens-là, laissez-les. Car si leur entreprise ou leur oeuvre vient des hommes, elle se détruira d’elle-même; mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n’arriverez pas à la détruire. » (Ac 5,38). C’est là la voix d’un homme vraiment enraciné dans le mystère, capable de porter en lui la patience de Dieu dans l’histoire. Le comportement de Gamaliel ne s’abandonne pas à un irénisme facile qui serait privé de convictions réellement fermes, et donc inconscient de l’enjeu comme de la menace qui pèsent constamment sur lui. Gamaliel est un homme plein de zèle pour Dieu ; il sait aller à la rencontre des crises inévitables de l’histoire avec cette confiance solide et sereine qui est celle de l’homme vraiment enraciné dans la lumière et dans l’amour de l’Éternel.

3. Le « zèle non éclairé » dont parle l’Apôtre est le fruit de l’insécurité anxieuse de l’amour aveugle, qui ne sait pas mûrir dans la connaissance du mystère.

Le fanatisme qui en découle est l’échec dans l’amour de Dieu.

Combien de fois dans l’histoire cet échec douloureux n’a-t-il pas laissé ses cicatrices dans le tissu invisible de l’unité de l’Église !

Combien de fois aussi, entre chrétiens, au lieu du discernement tranquille d’une foi solide parce que réellement ouverte au mystère, a prévalu une timidité anxieuse, prompte au refus — parfois au refus violent —, symptôme infaillible d’insécurité et de crise !

L’expérience de Paul de Tarse doit nous éclairer et raviver notre espérance. Son zèle fougueux et intolérant se heurte à la lumière qui l’aveugle et le jette à terre. Les yeux de son esprit s’ouvrent peu à peu à cette lumière, jusqu’aux hauteurs d’une vision entièrement nouvelle de toute chose, de sorte qu’au zèle ardent de son coeur se dévoilent les espaces infinis de l’amour.

398 Dans cette célébration eucharistique, nous souvenant des expériences historiques vécues, invoquons cette lumière sur toute l’Église.

4. Invoquons-la, soutenus par l’espérance. Le prophète Isaïe nous y invite avec les paroles tirées de la liturgie de ce jour : « Sur cette montagne, le Seigneur des armées préparera pour tous les peuples un festin de viandes grasses, un banquet de vins excellents… » (
Is 25,6)

L’espérance des peuples, et spécialement celle du peuple que Dieu s’est choisi, s’exprime par le symbolisme très humain d’un banquet qui aura lieu à la fin de l’histoire, « sur la montagne». Manger et boire sur cette montagne deviendra finalement pour l’homme l’Eucharistie ; cela sera vécu consciemment dans l’espace intérieur de cette action de grâce continuelle et spontanée dans laquelle, finalement, l’homme se trouvera lui-même en adhérant à la vérité qui le constitue.

La foi est l’aube de cette condition finale, libérée, de l’homme qui réalise pleinement dans l’amour sa vérité de créature.

Le banquet dont nous parle le Prophète se déroule dans une lumière dont la foi, dans sa pénombre, est l’anticipation attirante et en même temps l’attente ardente et la demande incessante.

Dans cette lumière, l’homme, à la fin, saura se recevoir lui-même et les choses comme un don, vivant la liberté suprême de la louange. « Il enlèvera sur cette montagne le voile de deuil qui couvrait la face de tous les peuples et le suaire qui ensevelissait toutes les nations. » (Is 25,7)

L’amour de l’homme, comme l’expérience de saint Paul nous aide à le comprendre, est prisonnier de ce suaire et se consume en vain dans la peur et la méfiance, dans la violence engendrée par la peur, jusqu’à ce qu’il reçoive au moins un rayon de la lumière divine.

Cette lumière, que « les îles attendent », s’est dévoilée sur la Croix dans ce mystère du Messie souffrant et abandonné, « scandale pour les juifs, folie pour les Gentils », dans lequel le regard de la foi reconnaît l’indispensable profondeur de l’amour de Dieu.

La montagne sur laquelle Dieu a déchiré le voile et préparé le banquet est, selon la foi de l’Église, celle sur laquelle a été plantée la Croix du Seigneur.

5. L’Église sait que son Seigneur a fait d’elle le héraut de cet événement : « Allez par le monde entier, prêchez l’Évangile à toute créature. » (Mc 16,15) A travers le personnage de Paul, elle rappelle et vénère l’exemple le plus grand d’une vie apostolique passée à accomplir ce commandement du Seigneur, une vie consumée dans une passion missionnaire nourrie par la révélation extraordinaire du « mystère caché dans les siècles », c’est-à-dire du dessein d’insérer toutes les nations dans l’héritage de la promesse, dans l’attente active du banquet final déjà commencé dans le mémorial de la mort du Seigneur.

Sur les traces de Paul, l’Église a connu au cours des siècles des exemples admirables de zèle missionnaire, de zèle pour Dieu, enraciné dans un amour mûri des exemples de zèle pour la promesse en voie de réalisation. Au cours de cette année, nous rappellerons la conversion du prince Vladimir de Kiev et de son peuple, grâce à laquelle, avec l’entrée dans l’Église des Slaves de l’Est, la magnifique oeuvre missionnaire des saints Cyrille et Méthode trouva son accomplissement idéal.

399 Le souvenir de cet événement si riche de conséquences pour la cause de l’Évangile mais aussi, nous pouvons bien le dire, pour la culture de la famille humaine, nous donnera l’occasion de réfléchir sur les devoirs qui attendent l’Église de nos jours, l’occasion aussi d’approfondir dans la foi le sens de son histoire passée et l’appel qui vient de l’histoire pour notre époque.

6. Dans le contexte de cette célébration qui conclut la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, notre pensée se tourne en premier lieu vers l’Église-soeur du Patriarcat de Moscou, qui a assumé une grande partie de l’héritage chrétien de l’ancienne Rus’ de Kiev. En cette heure solennelle de son histoire, la communauté catholique tout entière, en la personne de l’évêque de Rome, lui donne le baiser de paix du Seigneur.

Que le souvenir du baptême de saint Vladimir nous permette de raviver la conscience de ces liens de communion très étroits qui nous unissent déjà à nos frères orthodoxes, tout comme la conscience de leur importance pour la reconstruction de l’unité visible de tous les baptisés. Il ne peut échapper en effet à personne combien l’évangélisation de notre monde dépend, dans une mesure certaine, de l’unité de tous les chrétiens, d’Orient et d’Occident, comme un signe visible de l’amour de Dieu au travail dans l’histoire.

Aussi, je me réjouis, en rendant grâce à Dieu, des progrès constants de la compréhension réciproque avec toutes les Églises et Communautés ecclésiales avec lesquelles nous sommes en dialogue. Le progrès continu du mouvement oecuménique, malgré les difficultés d’une histoire aussi difficile, est en soi une indication claire de la volonté du Seigneur, à qui nous renouvelons sans condition notre obéissance.

7. Je veux rappeler tout particulièrement nos frères et soeurs de l’Église catholique ukrainienne, construite avec les pierres vivantes de leur foi, qui est liée à l’héritage de saint Vladimir. Obéissant à la voix de leur conscience, ils sont dans la pleine communion catholique tout en conservant l’héritage oriental. Le Concile Vatican II, grâce à son approfondissement ecclésiologique, a ouvert une nouvelle voie de rencontre avec l’Orient chrétien, avec lequel nous espérons aujourd’hui la pleine communion dans un avenir proche.

8. Je voudrais encore étendre mes souhaits de paix et de prospérité à toutes les chères populations — aux Russes, aux Ukrainiens, aux Biélorusses — parmi lesquelles vivent, comme une part essentielle de leur histoire et de leur culture, les communautés des fidèles orthodoxes et catholiques qui célèbrent, dans la mémoire du Millénaire, le commencement de leur histoire chrétienne.

Enfin, je confie à Marie, mémoire vivante des grands événements de l’Église tout au long de son histoire, ces réflexions par lesquelles j’ai voulu anticiper un peu le contenu de deux documents que je publierai prochainement : mon plus vif désir est que nous nous préparions tous à prendre part en esprit — en évaluant correctement la grande importance ecclésiale, oecuménique et culturelle de l’événement — à la grande fête de nos frères orthodoxes et catholiques, héritiers de saint Vladimir.

Que cet important anniversaire hâte la pleine réalisation de la prière de Jésus au Cénacle : « Ut omnes unum sint… Que tous soient un. » Amen.





Homélies St Jean-Paul II 391