Homélies St Jean-Paul II 415


MESSE DANS LA CATHÉDRALE DE SAINT-ETIENNE

Metz - Lundi 10 octobre 1988



1. «Le Seigneur est mon berger»[1].

Chers Frères et Soeurs,

De cette cathédrale, nos pensées et nos coeurs s’élèvent vers Dieu. L’architecture de cette merveilleuse nef gothique nous invite à cet élan vers Dieu. Nous entrons dans l’intimité du mystère éternel de Dieu, que le langage de la Révélation a exprimé sous l’image du berger.

«J’irai moi-même à la recherche de mes brebis, / et le veillerai sur elles»[2].

Sous la figure du Pasteur, Dieu se révèle comme l’«Emmanuel»: celui qui est au milieu de nous.Celui qui veille sur ses créatures et qui prend soin de l’homme.

Tout temple de Dieu, toute église construite de main d’homme – et en particulier la cathédrale – est un signe de Dieu-Pasteur. Un signe de sa présence parmi nous. Un signe de sa sollicitude de Sauveur.

416 La liturgie d’aujourd’hui nous invite à méditer ici-même le mystère de Dieu que le langage de la Révélation a présenté sous l’image du Pasteur. Dans la cathédrale, les fidèles du diocèse se réunissent autour de l’évêque. Et l’évêque est le représentant du Christ-Pasteur qui rassemble tout le troupeau, agneaux et brebis, pour les conduire aux sources de la Vie.

2. C’est dans cet esprit que je vous remercie d’accueillir l’Evêque de Rome et que je salue cordialement tous ceux qui constituent cette Assemblée, à commencer par mon Frère dans l’épiscopat, Monseigneur Pierre Raffin, qui a reçu récemment la charge pastorale du diocèse de Metz, à la suite de Monseigneur Paul-Joseph Schmitt dont je tiens a saluer la mémoire. J’exprime mon estime, mes remerciements et mes voeux aux personnalités officielles: aux représentants de la Ville, du Département, du Parlement et du Gouvernement national, aux autorités militaires et judiciaires et à tous les élus locaux qui ont bien voulu se joindre à nous. Mes encouragements affectueux vont aux nombreux prêtres, diacres et séminaristes voués au ministère dans ce diocèse de Metz et aux autres prêtres de la région, notamment ceux de la Meuse, accompagnés de leur évêque, Monseigneur Marcel Herriot.

Les religieux et religieuses, tous ceux qui ont fait le choix de la vie consacré, active et contemplative, sont parmi nous un signe particulier des Béatitudes évangéliques. Notre salut embrasse tout les baptisés, venus des diverses régions du diocèse, des paroisses, des mouvements, des diverses associations, tous appelés à vivre et à témoigner de l’Evangile dans la vie quotidienne. Une réunion de famille comme celle-ci doit faire une place de choix à nos frères et soeurs émigrés, et à tous ceux qui souffrent de maladie ou d’autres épreuves, comme celle du chômage. Du coeur de ce diocèse, le Pape, avec l’Evêque de Metz et tous les évêques ici présents, portent le souci pastoral de tous ceux qui vivent dans cette région, même de ceux qui s’estiment loin de l’Eglise, car l’amour du Christ-Pasteur n’en laisse aucun de côté.

In herzlicher Verbundenheit und in der Liebe Christi grüße ich auch alle anwesenden Brüder und Schwestern deutscher Muttersprache.

Me es grato encontrarme con los fieles venidos de España.

Sono felice di incontrare i fedeli venuti dall’Italia.

Z radosca witam wiernych przybylych z Polski.

Sinto muita alegria por ver aqui os fiéis vindos de Portugal.

Vesél sem srécanja s slovénskimi vérniki.

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Cha rãt vui mung duoc gáp các tin hüu goc Viêt Nam.

417 3. Wir sind noch heute mit all denen eng verbunden, die uns seit siebzehn Jahrhunderten in diesem Gebiet von Lothringen vorausgegangen sind. Die Kathedrale bleibt ein beredter Ausdruck der Heilsgeschichte für die Bewohner dieser Gegend. Sie erhebt sich in die Höhe wie ein Zeuge für den Glauben ihrer Erbauer und der Künstler, die sie mit Skulpturen, mit Gemälden und kunstvollen Glasfenstern ausgeschmückt haben. Sie bezeugt den katholischen Glauben der Christen, die sich inmitten der Wechselfälle der Geschichte um sie geschart haben. Diese Gegend am Schnittpunkt von Kulturen und Reichen ist in der Tat von Prüfungen nicht verschont geblieben.

Ich denke da unter anderem an die Kriege, die hier seit vier Jahrhunderten aufeinander gefolgt sind, vor allem an den von 1870, dann an die beiden Weltkriege. Aber bei all dem hat die Bevölkerung mit Treue und Mut ihre Identität bewahrt.

Eure religiöse Geschichte, liebe Brüder und Schwestern, hat ihre Wurzeln in der frühesten Geschichte des Christentums, seit dem ersten Bischof, dem hl. Klemens, in gallischrömischer Zeit. Metz ist nach der Kaiserstadt Trier die erste Kirche gewesen, die an den Ufern der Mosel im ehemaligen belgischen Gallien (Gallia belgica) gegründet worden ist. Die Stadt hat immer eine europäische Dimension besessen, und die Diözese hat eine große christliche Lebenskraft bewahrt, die sich trotz Zeiten der Schwäche noch immer in einem starken Glauben und einer kraftvollen religiösen Praxis, durch Treue zur Tradition und Bereitschaft zu zeitgemäßer Erneuerung zeigen, wie diese Treue sie heute fordert. Das Gebet mit Maria, besonders das Rosenkranzgebet, das die Kartäuser von Marienfloß zu Ehren gebracht haben, hat diese Treue gewiß unterstützt.

Il est vrai que beaucoup de grandes figures chrétiennes ont jalonné cette histoire. Depuis le saint réformateur Chrodegang, que de saints se rattachent à ce terroir dont ils sont l’honneur: le bienheureux missionnaire Jean Martin Moyé, le bienheureux Frère Arnould, saint Augustin Schoeffler!

Ces quelques noms ne doivent pas faire oublier ceux des milliers de chrétiens laïcs convaincus, tel celui de votre célèbre compatriote Robert Schuman, dont le village de Scy-Chazelle conserve les souvenirs et la tombe.

Oui, sur cette terre, beaucoup ont témoigné, selon leur vocation, que l’Esprit Saint ne cesse de développer et de renouveler l’Eglise du Christ en suscitant des dons variés. Aujourd’hui, Dieu vous appelle pareillement à la sainteté: puissiez vous être, comme cette cathédrale, un signe vivant de la présence de Dieu parmi les hommes, un signe transparent!

4. Le texte de l’Evangile de Jean, proclamé aujourd’hui, nous rapporte le dialogue fondamental du Christ avec Simon-Pierre après la résurrection.

On a pu s’interroger bien souvent: pourquoi le Seigneur demande-t-il trois fois à l’Apôtre: «M’aimes-tu?», pourquoi reçoit-il trois fois sa réponse: «Tu le sais...», pourquoi, à trois reprises répète-t-il à Pierre: «Sois le berger de mes agneaux, sois le berger de mes brebis»?

Les expressions de ce dialogue ont bien sûr un sens précis Cependant on ne peut en comprendre ni en exprimer le thème essentiel sans évoquer toute la tradition du Berger inscrite dans l’ancienne Alliance comme dans la nouvelle Alliance. Le Christ s’est appliqué à lui-même cette tradition dans la parabole du Bon Pasteur. L’entretien avec Simon-Pierre se réfère à cette parabole, à la vérité essentielle qu’elle contient.

5. Quelle est cette vérité? Comment le prophète Ezéchiel, comment le psaume présentent-ils Dieu sous la figure du Pasteur?

Dieu veille sur son peuple comme un Pasteur qui se soucie de son troupeau; il connaît les détresses de ce peuple, dispersé dans un pays qui n’est pas le sien, ne trouvant plus le chemin du retour, cherchant le sens de sa vie comme s’il était dans le brouillard et l’obscurité dans les ravins de la mort, en proie à toutes sortes d’esclavages.

418 Dieu en a pitié, car il l’aime. Comme un père et comme un chef, il veut le délivrer, le rassembler, le guider en marchant à sa tête, le conduire sur un chemin de salut – le juste chemin – où il trouve la sécurité, la paix, le repos et la nourriture substantielle dont il a besoin, en un mot grâce et bonheur. Il le garde dans la justice. Il lui procure une Vie nouvelle. Il accompagne son peuple: «Je ne crains aucun mal: tu es avec moi».

Cette sollicitude, Dieu l’a montrée de façon éclatante envers l’ensemble du peuple d’Israël en le faisant sortir d’Egypte et en le conduisant à travers le désert, au temps de Moïse. Puis au temps d’Ezéchiel, en lui permettant de revenir de l’exil de Babylone. Dieu veille sur chaque brebis, particulièrement celle qui est perdue, égarée, blessée, affaiblie.

C’est Dieu qui prend l’initiative, qui va à la recherche des brebis en péril, dans la gratuité de son amour.

Ezéchiel n’ignore pas que Dieu confie son troupeau à ses serviteurs. Mais beaucoup de ces pasteurs se sont montrés infidèles à leur mission. C’est pourquoi Dieu reprend en main son troupeau: il se manifeste lui-même comme le vrai Pasteur, en attendant de donner à son peuple des Pasteurs selon son coeur.

6. Nous retrouvons presque littéralement dans l’enseignement du Christ les expressions de l’Ancien Testament concernant le Pasteur, surtout lorsqu’Ezéchiel parle des retrouvailles de la brebis perdue ou égarée, du secours apporté à la brebis blessée, des soins donnés à la brebis malade[3].

Mais dans la parabole du Bon Pasteur, telle que la rapporte l’Evangile de Jean, Jésus nous dit qu’il est lui-même «le Bon Pasteur». Et il ajoute: «Le Bon Pasteur offre sa vie pour ses brebis»[4].

Ces paroles nous introduisent directement dans le mystère pascal. La révélation que Dieu fait de lui-même atteint son sommet et sa plénitude à travers cette figure du Bon Pasteur: il donne sa propre vie pour ses brebis.

La cathédrale où nous sommes réunis proclame cette vérité sur Dieu qui est «au milieu de nous», sur le Pasteur qui a offert sa vie pour nous. Comme toute église chrétienne, elle a sa raison d’être dans le mystère de la Croix et de la Résurrection du Christ. Le Christ a offert le sacrifice de sa vie pour rassembler les enfants de Dieu dispersés, pour leur obtenir le pardon. Ressuscité, il leur transmet sa vie divine, par les sacrements et le don de la foi. Il en fait des pierres vivantes, dans l’Eglise dont il est la pierre d’angle. Il les confie à ceux qu’il institue Pasteurs. Ce temple est le lieu saint où son sacrifice est rendu présent, où la grâce de sa résurrection est agissante, où se constitue l’Eglise qui est à Metz, où toutes les communautés chrétiennes du diocèse ont leur référence, le centre de leur unité.

7. Et voici que le Christ – après sa résurrection et avant d’aller vers son Père – dit à Simon-Pierre: «Sois le berger». Mais auparavant il lui demande: «M’aimes-tu?».

En fait, il ne demande pas «aimes-tu mon troupeau?», mais «m’aimes-tu?». C’est la question-clé de tout le dialogue. Pourquoi?

«Est-ce que tu m’aimes?» veut dire aussi: «As-tu compris mon amour?»: mon amour envers le Père et mon amour envers les hommes «dans le Père», cet amour qui m’a conduit jusque sur la croix afin d’y offrir ma vie pour les brebis.

419 Désormais, comprends-tu cet amour? (En effet, auparavant, Pierre avait plus d’une fois assuré le Maître de l’amour qui l’attachait à sa personne, mais il ne parvenait pas à accepter le mystère de la Croix.) Maintenant, as-tu saisi cet amour manifesté sur la Croix? Bien plus, es-tu prêt à devenir son témoin, son apôtre, à y participer toi-même?

8. Ainsi, nous nous trouvons au centre même de ce qu’est l’Eglise née du mystère pascal du Christ: l’Eglise qui, en s’édifiant sur les Apôtres, sur Pierre, est la manifestation de la sollicitude salvifique du Bon Pasteur. Le Concile Vatican II nous a fait prendre conscience, d’une manière particulièrement claire, que l’Eglise se construit avec tous ceux qui participent à la mission messianique du Christ. Il s’agit d’une participation multiforme, selon les divers ministères et charismes, de la part des Pasteurs – évêques et prêtres –, des personnes consacrées et des laïcs chrétiens.

La cathédrale, étant l’église de l’évêque, Pasteur du diocèse, est, elle aussi, à son niveau, un signe de la mission salvifique du Christ et de notre participation.

9. Votre cathédrale n’est pas seulement un signe: elle est une réalité, elle comporte tout un programme de vie, pour aujourd’hui.

Le Christ vous pose à vous-mêmes la question qu’il posait à Pierre: m’aimes-tu? As-tu bien saisi l’amour qui m’a poussé à offrir ma vie pour que mes brebis aient la Vie en abondance? Es-tu prêt à en devenir le témoin? A y participer dans ta propre vie?

Oui, c’est tout un programme; vous l’avez déjà mis en oeuvre, chers Frères et Soeurs de Metz, mais il vous faut le poursuivre.

Votre attachement au Christ est le fruit d’un héritage chrétien solide, d’une tradition séculaire; il doit être aussi celui d’un choix personnel. L’adhésion au mystère chrétien ne peut demeurer un vague attachement: elle suppose une foi forte, assumée, éclairée. La foi résistera difficilement aux questionnements actuels, aux mutations multiformes, si elle n’est pas nourrie par une catéchèse régulière et complète chez les jeunes, par une formation permanente chez les laïcs adultes, par un approfondissement continu chez les clercs. La prière quotidienne, la pratique religieuse dominicale, la participation régulière aux sacrements de réconciliation et de l’Eucharistie, sont l’expression normale de l’adhésion de foi au Christ Sauveur, et j’encourage volontiers vos efforts de pastorale liturgique et sacramentelle.

10. Mais pour suivre le Christ, il ne faudrait pas se contenter d’un attachement subjectif et de la participation liturgique: il faut accepter loyalement et mettre en pratique les exigences de l’Evangile, les grandes valeurs morales du christianisme, telles que les rappelle le magistère de l’Eglise dans tous les domaines de la vie personnelle, familiale et sociale. Il y va de la solidité et du rayonnement des foyers chrétiens appelés à la fidélité conjugale, au don et au respect de la vie, au respect des gestes de l’amour, à l’éducation de la foi des enfants, dans la ligne tracée par l’exhortation «Familiaris Consortio». Il y va de la construction d’une société plus juste, fraternelle, solidaire des pauvres et des étrangers. Vous avez su accueillir avec une grande cordialité les arrivées successives d’immigrés qui ont travaillé dans les mines et dans la sidérurgie. Puissiez-vous continuer cette tradition d’hospitalité à l’égard de l’étranger! Aujourd’hui la récession économique laisse un grand nombre de Lorrains désemparés, au chômage. C’est un problème difficile. Vous êtes invités à tout entreprendre pour susciter une nouvelle restructuration économique qui donne à chacun ses chances de travailler et de vivre dans la dignité.

Situés à un carrefour de civilisations, vous êtes à un titre spécial solidaires des pays de l’Europe. Votre diocèse entretient des relations ecclésiales étroites avec les diocèses de Namur, de Luxembourg, de Trèves, de Spire et au-delà. Que l’amour universel, puisé dans l’Evangile, vous fasse vivre cette solidarité élargie dans le sens de l’encyclique «Sollicitudo Rei Socialis», à la recherche du pain, de la dignité et de la liberté pour tous! Et parmi les biens que l’on souhaite partager avec tous, il y a la proposition de la Bonne Nouvelle: puisse l’élan apostolique demeurer vif dans vos régions qui furent si généreuses en vocations missionnaires! Puissent les jeunes qui désirent consacrer leurs forces et leur coeur au service de l’Evangile trouver un encouragement chez leurs aînés! J’exhorte instamment pasteurs et fidèles à développer la pastorale indispensable des vocations.

11. Il s’agit de préparer à la fois un avenir plus humain et une humanité plus divine, à l’image de cette cathédrale inondée de lumière. L’amour que le Christ demande au prêtre, au religieux, à tous ceux qui ont des responsabilités dans la société et dans l’Eglise, comprend tout ce dynamisme de la foi et de la charité. Mais surtout, devant les grands défis actuels – la crise de l’emploi, les crises générales de la société, les menaces de la déchristianisation –, je voudraisraffermir votre espérance. Vous ne devez pas baisser les bras. Vous avez en vous, avec la grâce du Christ, tout ce qu’il faut pour construire l’Eglise, au prix d’une nouvelle évangélisation. Aucun des maux évoqués n’est inéluctable. Certes, Dieu ne vous dispensera jamais d’imaginer de nouvelles solutions sociales et pastorales que je ne pouvais pas développer ici ce matin. Il ne vous dispense pas de les mettre en oeuvre avec un grand courage, comme dans les bouleversements du passé. La foi vient ici renforcer vos responsabilités, elle les soutient et les oriente. Elle contribue à apporter le souffle nécessaire. Le chantier est immense, comme était immense le chantier qui allait s’ouvrir au ministère de l’Apôtre Pierre. Mais Dieu ne vous abandonne pas. Comme le Pasteur, il vous indique le sens de vos efforts. Il a versé son sang pour vous. Il vous donne son Esprit. Il est avec vous. Vous pouvez compter sur son amour, si, comme Pierre, vous lui donnez sans réserve votre amour. Car il commence par vous demander: «M’aimes-tu vraiment?».

12. «Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime»[5]. «Si je devais traverser les ravins de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi»[6].

420 Toi qui es Pasteur, l’éternel Pasteur, le Bon Pasteur, le Pasteur de toutes les vocations humaines et de tous les chemins de l’homme.

Toi qui vas à la recherche de ceux qui sont perdus..., toi qui ramènes au bercail ceux qui sont égarés..., toi qui panses les plaies de ceux qui sont blessés et prends soin de ceux qui sont faibles ou malades[7].

Ne permets pas que l’homme s’égare sur des chemins détournés, dans les impasses, en ne regardant que lui-même, ses propres possibilités et ses conquêtes!

Fais que l’homme comprenne que tu es le Pasteur, le Bon Pasteur, qui a offert sa Vie pour chacun de nous!

Fais que l’homme cherche ta main qui le guide; qu’il trouve en toi le Chemin, la Vérité et la Vie!

[1] Ps. 23 (22), 1.

[2] Ez.34, 11.

[3] Cfr. Ez.34, 16; Luc. 15, 4-7.

[4] Io. 10, 11.

[5] Io. 21, 17.

[6] Ps. 23 (22), 4.

421 [7] Cfr. Ez. 34, 16.



CÉLÉBRATION DE LA PAROLE SUR LA PLACE CARNOT



Nancy
Lundi, 10 octobre 1988



1. «Pourquoi avoir peur, hommes de peu de foi?».

Voilà comment Jésus interpellait les disciples. Voilà comment il interpelle sans cesse son Eglise, voilà comment il vous interpelle, chers Frères et Soeurs du diocèse de Nancy.

Ce jour-là, les Apôtres avaient dû faire face à une violente tempête, comme cela arrive parfois sur le lac de Galilée. Eux-mêmes, pêcheurs chevronnés, se voyaient perdus. Et pourtant, Jésus était dans la barque. Et il allait, au sein même de l’épreuve, révéler le mystère de sa personne: il est le Sauveur, auquel même le vent et la mer obéissent.

Au-delà de la fureur des flots, nous pensons à toutes les puissances du mal, du péché, de la corruption, de la mort, qui se déchaînent parfois contre l’Eglise, contre la communauté des disciples du Christ, et qui menacent en même temps les hommes et les femmes de ce monde dans leur vie et leur dignité. La barque de l’Eglise est au milieu du monde; Jésus est monté à bord, ou plutôt, c’est sa barque.

2. Cette barque a tenu bon et elle s’est frayé un chemin au milieu des turbulences de l’histoire. Beaucoup d’événements et de maux ont pu troubler sa paix, du dehors et même du dedans; les premières persécutions à Jérusalem, puis à Rome, à partir de Néron, où Pierre a donné l’exemple de la fermeté dans le témoignage; puis les querelles théologiques qui ont divisé les chrétiens; les invasions qui ont obligé à reprendre l’évangélisation; les menaces d’affadissement du sens religieux et moral, voire la corruption, nécessitant sans cesse des réformes, comme au temps de mon prédécesseur Léon IX, ancien Evêque de Toul.

On pourrait également décrire, dans l’histoire profane, beaucoup de bouleversements et de tournants qui ont affecté aussi la vie des chrétiens. Cette région a connu, notamment, nombre de guerres, depuis quatre siècles, avec leur cortège de misères; en saluant la délégation du diocèse de Verdun qui est venue se joindre à nous, je pense, entre autres, à la première guerre mondiale qui a littéralement labouré le sol en y semant d’innombrables victimes. Mais Dieu a toujours permis que la barque reprenne son chemin. Une invincible espérance a animé les Lorrains. La foi chrétienne a, dans une large mesure, inspiré la persévérance ou la reprise, depuis les siècles de chrétienté où elle marquait tout le tissu social. Vous avez hérité de cette force. Des figures desaints, de missionnaires, ont jalonné cette histoire, comme celui que je viens de béatifier au Lesotho, le Père Joseph Gérard, et celui qui a pris place parmi les saints martyrs du Vietnam, le Père Augustin Schoeffler. Bien d’autres chrétiens ont laissé chez vous un sillage lumineux de foi, de justice, de paix; c’est le souvenir que vous gardez, entre beaucoup d’autres, du roi Stanislas et de son épouse. Rendez grâce à Dieu pour tous ces témoignages!

3. Aujourd’hui, d’importantes mutations économiques, sociales, religieuses, viennent assombrir l’horizon – comme vous les avez vous mêmes évoquées –; elles créent de nouvelles difficultés sans qu’apparaissent actuellement les solutions; certains espoirs humains semblent sombrer. Les mines et la sidérurgie lourde – un temps si dynamiques que l’on avait sollicité la main d’oeuvre étrangère – ont dû réduire leur activité. Des milliers d’emplois ont été supprimés. La vie des familles en est durement affectée, et la crise touche évidemment les autres secteurs. Le chômage et le sous-emploi sont des drames humains que les chrétiens, comme les autres, doivent prendre en considérations; ce phénomène est malheureusement répandu largement dans les pays industrialisés comme dans les pays en voie de développement: l’encyclique «Sollicitudo Rei Socialis» l’a souligné[1]. C’est grave, car cela peut entraîner la dégradation ou même la perte du respect que tout homme et toute femme se doit à soi-même. La situation des immigrés, dans ce cas, est spécialement précaire. L’absence d’avenir professionnel est redoutable pour les jeunes. Et de nouvelles pauvretés apparaissent.

Vous êtes conscients également de beaucoup d’autres menaces. L’homme ne vit pas seulement de pain. La sécularisation marque vos régions, avec sa tendance à séparer la religion du reste de la vie. L’affaiblissement de la foi se manifeste aussi par l’éloignement de la pratique religieuse. L’indifférence religieuse s’installe et rend imperméable aux appels spirituels. Le fléchissement du sens moral retentit particulièrement dans la vie des familles, qu’il s’agisse de la préparation au sacrement du mariage, de la fidélité, de l’accueil de la vie. La rareté, des vocations sacerdotales, religieuses et missionnaires est un autre symptôme des tempêtes qui vous assaillent. Cet épisode de l’Evangile prend ici une actualité saisissante.

422 4. Or, dans la barque, Jésus dormit.Physiquement, c’était bien nature!, après la journée épuisante qu’il venait de passer à accueillir, à enseigner, à guérir. Mais les Apôtres sont désemparés. Cette présence apparemment inerte ne leur suffit pas. Ils ont peur. Ils doutent. Ils désespèrent.

Combien de gens, aujourd’hui, en proie à leurs problèmes, à leurs angoisses, se découragent ou se replient sur eux-mêmes? Ils parlent du silence de Dieu, comme si Dieu les avait abandonnés à la souffrance, à la mort, les laissant à leurs propres forces, à leur fragilité humaine. En réalité, obsédés par leur épreuve, comme Job, ils risquent de ne plus voir que cette face des choses. Effectivement, il y dans le monde une face obscure, conséquence mystérieuse du mal depuis la première rupture avec Dieu; le mal se trouve surtout dans les coeurs qui manquent de foi. Mais les croyants sont invités aussi à voir Dieu à l’oeuvre dans les possibilités étonnantes de la Création, dans les dynamismes qu’il a mis dans l’intelligence et le coeur des hommes coresponsables de leur destin; à discerner l’action secrète de l’Esprit Saint que Jésus a envoyé.

5. Les Apôtres réveillèrent Jésus. Leur geste d’impatience traduisait un doute dans sa puissance salvatrice, mais leur prière exprimait une confiance jaillie de leurs coeurs angoissés: «Seigneur, sauve-nous, nous sommes perdus».

Et nous, avons-nous à «réveiller» Jésus ou son Esprit Saint? Dieu, à vrai dire, n’a jamais cessé d’être présent à notre vie, de veiller sur nous, en respectant notre liberté. Son Esprit Saint demeure en nos âmes de baptisés, de confirmés, de diacres, de prêtres, d’évêques. Mais sa puissance se déploie d’abord dans les coeurs humains qui sont attentifs à sa présence. Dieu attend que nous nous tournions vers lui, en secouant l’indifférence religieuse qui risque de nous engourdir, en réveillant la foi qui sommeille, en ravivant l’amour que l’Esprit Saint a répandu dans nos coeurs. Prennent alors une importance décisive: la prière sincère adressée au Sauveur, les sacrements qui nous transmettent la Vie qui vient de lui, l’approfondissement de son message révélé, à travers la catéchèse et la formation permanente, et les divers efforts pour mettre en pratique sa charité: celui qui fait la vérité, vient à la lumière. Ce surcroît de foi, qui rend tout possible, est déjà le fruit de la grâce. Chers Frères et Soeurs, priez-vous assez le Seigneur de réveiller en vous la foi, d’augmenter votre foi? «Pourquoi avez vous peur, hommes de peu de foi?».

6. Alors Jésus se leva et il calma le vent et la mer. «Quel est donc cet homme?».

L’événement annonçait le jour unique de Pâque où le Christ, après sa vie mortelle, s’est levé du tombeau, comme il s’était dressé dans la barque. Les puissances du mal se sont liguées contre lui, au maximum, comme une tempête irrésistible. Les adversaires l’ont fait condamner à la mort de la croix. Les amis ont été impuissants. Le péché semblait l’avoir vaincu, comme tant d’innocents dans l’histoire du monde. Il a semblé abandonné de Dieu. Il a été mis au rang des morts. En réalité, il a donné sa vie en aimant jusqu’à l’extrême. Il a détruit le péché dans ses racines de haine et d’orgueil. Il a enlevé à la mort son aiguillon. Il a libéré ses frères de l’empire du mal.

Dieu n’a pas permis que son Fils connût la corruption. Il l’a ressuscité à une Vie nouvelle, éternelle. Et, depuis lors, rien n’est plus comme avant. La puissance de cette Vie est secrètementà l’oeuvre dans tout l’univers, par l’Esprit Saint. Et le Christ, à la droite du Père, intercède pour nous[2]. Telle est la certitude que les Apôtres, témoins, nous ont transmise. Telle est notre foi. Telle est l’expérience que les croyants ne cessent de faire dans l’Eglise. Avec saint Paul, nous pouvons dire: «Nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés... Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur»[3]. Cet amour aura le dernier mot.

Au milieu de nous, le cierge pascal rappelle cette victoire de Pâques. Nous allons proclamer notre foi au Christ. Quel est donc cet homme? Pour Pierre, comme pour le successeur de Pierre, et pour vous, c’est le Fils du Dieu vivant[4], associé depuis le commencement à toute l’oeuvre de la Création, maître de la mer et des vents. C’est Dieu fait homme pour notre salut, le Témoin fidèle de Dieu le Père, qui nous indique la route par sa Parole et tous ses gestes. C’est le Rédempteur, le Sauveur qui rachète les hommes du péché et de la mort. Il est le premier-né de toute créature, il est la Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Eglise[5].

7. Mais cette foi ne signifie pas que les problèmes humains soient résolus dans notre monde, que les efforts humains soient inutiles. «Toute la création, jusqu’à ce jour, gémit en travail d’enfantement... et nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit... notre salut est objet d’espérance»[6].

Le salut que le Christ nous a acquis, la grâce qu’il nous accorde, ne nous dispensent nullementde prendre en considération les misères et les chances de notre société, comme aussi les difficultés et les dynamismes de notre vie ecclésiale, de chercher les meilleurs remèdes à nos maux avec toutes les ressources de notre intelligence et de notre coeur, de les mettre en oeuvre avec courage et solidarité. Dieu ne supprime pas notre responsabilité d’hommes: il la suscite, il la soutient, il l’oriente, selon des principes qui garantissent à longue échéance le progrès authentiquement humain. Et ce progrès a aussi beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, comme ébauche du monde transfiguré que Dieu prépare au-delà de ce temps[7].

Il en est ainsi pour le chômage. Dans l’immédiat, les solutions techniques sont difficiles à trouver. C’est toute une restructuration économique a imaginer et a mettre en oeuvre. Si la foi ne dicte pas de réponses toutes faites, elle donne le courage d’entreprendre, de chercher le type de développement qui convient, en tenant compte des nouvelles solidarités européennes et mondiales; elle suggère de réévaluer le travail humain conformément à la dignité de la personne; elle invite à soutenir ceux qui, aujourd’hui, sont les plus touchés, les déshérités de toute sorte, les nouveaux pauvres, dans les divers milieux sociaux. Autrement dit, la foi ravive l’espérance et l’amour qui permettent de créer un monde nouveau.

423 De même, la foi inspire la façon d’accueillir les étrangers, de respecter les travailleurs immigrés, de leur ménager une place équitable dans la vie sociale et professionnelle.

La foi incite à chercher une nouvelle présence d’Eglise auprès du monde des universitaires, de plus en plus nombreux à Nancy, dans le monde de la haute technologie et des services correspondants, afin que les valeurs spirituelles donnent un sens à ce progrès culturel et scientifique.

La foi ne se résout pas au laisser-aller des moeurs: elle met tout en oeuvre pour que la familleremplisse sa mission indispensable d’éducation de la foi et de l’amour, comme le rappelait l’exhortation «Familiaris Consortio».

Le chantier est immense. Il attend la collaboration de tous les membres de l’Eglise. Vous disposez d’ailleurs de merveilleuses ressources que le synode diocésain va encourager, notamment la relance des vocations, la participation de plus en plus grande des laïcs dans la vie de l’Eglise, les initiatives dans les domaines de la catéchèse, des moyens de communication sociale, du service des pauvres, l’engagement des mouvements d’action catholique et de renouveau spirituel.

8. Les moyens ne vous manqueront pas. Mai ce qui est décisif, c’est l’audace d’entreprendre, c’est le souffle, c’est la patience, c’est l’espérance. Ce sont les grâces de l’Esprit de Dieu. Le souffle de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Demandez-le, sans vous lasser. Demandez-le avec la Vierge Marie présente à la Pentecôte. Notre-Dame du Bon Secours, si honorée dans votre diocèse. Ayez la foi, le Seigneur ressuscité demeure au milieu de son Eglise et en vous-mêmes. Il est dans votre barque. Il ne dort pas. Il veille. Et vous, réveillez votre foi en sa puissance. Réveillez-la autour de vous. Redressez-vous! Le Christ vous dit, comme à Pierre et à ses frères: soyez sans crainte. Avancez au large et jetez vos filets[8]. Une nouvelle pêche vous attend: une nouvelle évangélisation de votre région, de l’Europe vous attend. Ensemble, avec le Seigneur, vous édifierez un monde nouveau, selon le dessein de Dieu, au souffle de l’Amour qui vient de Dieu.

Amen.

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Sollicitudo Rei Socialis, 18; cfr. etiam Eiusdem Laborem Exercens, 18.

[2] Cfr. Rom. 8, 34.

[3] Ibid.8, 37.39.

[4] Cfr. Matth. 16, 16.

[5] Cfr. Col.1, 18.

424 [6] Rom.8, 22-24.

[7] Cfr. Gaudium et Spes, 39.

[8] Cfr. Luc.5, 4. 10.



MESSE DANS LE STADE DE L’ILL À MULHOUSE



Mardi, 11 octobre 1988



1. «L’amour du Seigneur, sans fin je le chante»[1].

«Sans fin» cela évoque pour nous deux mille ans de vie chrétienne en Europe. Des siècles de christianisme ici, à Mulhouse. Des racines profondes pour la vie des peuples qui se rencontrent en ce carrefour de nations.

«Ta fidélité, le l’annonce d’âge en âge: / Je le dis, c’est un amour bâti pour toujours»[2].

Bâtir la communauté des baptisés, bâtir une tradition dans la foi, c’est l’oeuvre de l’amour révélé par l’Evangile du Christ. C’est l’oeuvre de Dieu dans la fidélité à son Alliance, et l’oeuvre confiée à nos mains et a nos coeurs.

Pourtant, au cours de l’histoire, les bâtisseurs se sont divisés. Aujourd’hui, certains désirent construire sur d’autres fondations que la Bonne Nouvelle apportée par les Apôtres.

C’est pourquoi la vieille Europe a besoin d’une évangélisation nouvelle. Elle doit accueillir à nouveau le Seigneur qui, sans fin, lui garde son amour[3].

Frères et coeurs, je suis venu vers vous pour vous encourager à poursuivre le travail de l’évangélisation que vos pères ont entrepris.


Homélies St Jean-Paul II 415