Homélies St Jean-Paul II 425

425 Je vous salue, vous qui avez reçu au baptême la grâce de l’Alliance nouvelle!

Je vous salue, communautés chrétiennes d’Alsace du Sud, et je dis aux enfants, venus nombreux participer à cette fête de la foi, ma joie de les voir avec nous. Je salue les évêques présents et les délégations de Bâle, du Pays de Bade, des diocèses de Saint-Dié, de Belfort-Monbéliard.

Je salue votre Archevêque, Monseigneur Brand, et son Auxiliaire, Monseigneur Hégelé, qui m’a accueilli en votre nom à tous. Je leur exprime ma gratitude pour tout le soin qu’ils ont mis à organiser ma visite pastorale.

J’adresse aussi un salut déférent aux Autorités de la région qui ont tenu à participer à cette célébration. Et je remercie particulièrement Monsieur le Maire de Mulhouse pour sa collaboration active qui a rendu possible ce rassemblement.

2. Liebe Brüder und Schwestern! In der ersten Lesung der Liturgie haben wir heute gehört, wie der Apostel Paulus von der brüderlichen Verbindung zwischen den Christen von Thessalonich und denen in Mazedonien spricht. Das sind die ersten Europäer, die das Evangelium empfangen haben. Die Botschaft, die ihnen Paulus übermittelte, hat einen einzigen Ausgangspunkt: Das Wort Gottes, der Sohn des lebendigen Gottes, ist unser Osterlamm, unsere Erlösung. In ihm hat sich Gott mit dem Menschen aller Zeiten in einem neuen und ewigen Bund durch das Kreuz und die Auferstehung Christi verbunden.

Auch der Ausgangspunkt einer neuen Evangelisierung ist und bleibt Christus, der Erlöser des Menschen. Die Völker von heute warten auf die Frohe Botschaft, die so lautet: Gott steht treu zu seinem Bund mit der Menschheit durch den Sohn, der für die Vielen ausgeliefert wurde, am dritten Tage aber von den Toten auferstanden ist und nun bei uns bleibt bis ans Ende der Zeiten. Sein Licht durchdringt das Dunkel des Zweifels. Die Mauern des Hasses har er beseitigt. Der sündige Mensch ist erlöst. Vergebung wird angeboten bis zum letzten Tag. Der Tisch ist gedeckt für Einheit in der Liebe.

An diesem Ende das zweiten Jahrtausends richtet sich der Aufruf des Evangeliums an jeden Menschen, der wohl eine reiche Kultur und Geschichte besitzen mag, aber unsicher ist über die Richtung seines Weges. Möge er sich doch der ganzen Wahrheit öffnen! Möge er den Weg der Bekehrung einschlagen!

Mit Christus, der ihm ein neues Leben erschließt, wird er sagen: »Mein Vater bist du, mein Gott, der Fels meines Heiles«[4].

3. Au centre du message évangélique, nous entendons une fois encore les huit béatitudes. Les béatitudes tracent le chemin du Royaume de Dieu à l’homme d’aujourd’hui, formé par la technique et par les médias, à l’homme qui souffre des inégalités et qui s’effraie des conflits, à l’homme qui pense maîtriser le monde et sa propre vie mais se laisse séduire par les illusions d’une liberté désorientée.

Les béatitudes lui répondent. Elles promettent la miséricorde, une terre de paix et de justice, la consolation des coeurs, la joie d’être appelés fils de Dieu, la vision de Dieu dans sa gloire. Chaque béatitude proclame la plénitude de la vie éternelle, elle montre la vocation de l’homme.

«En esprit et en vérité»[5], les huit béatitudes dressent le portrait du chrétien, parce qu’elles dessinent la figure du Christ lui-même. Il est venu pauvre et libre au milieu des hommes. Il a la douceur de ceux que savent guérir les blessures des autres. Il pleure sur la brebis sans berger et sur les péchés du monde. Il a faim d’une justice à la mesure de Dieu, celle du Maître qui ne dédaigne pas l’ouvrier de la onzième heure. Il est miséricordieux au point de pardonner à ceux qui le mettent à mort. Le coeur pur, il accomplit sans cesse la volonté du Père. Artisan de paix, ayant aimé les siens jusqu’à l’extrême, il leur laisse sa paix et sa joie. Persécuté pour la justice, outragé, il ouvre le Royaume à celui qui meurt avec lui.

426 O homme, heureux es-tu d’avoir un tel Sauveur!

O homme, heureux es-tu, toi qui as été baptisé dans l’eau qui coule au côté ouvert du Christ en Croix!

Tu peux dire avec le Psaume: «L’amour de Dieu, sans fin je le chante»[6].

4. Par les huit béatitudes, la Parole de Dieu guide le chrétien dans l’imitation du Christ. S’il vit dans leur esprit, il peut se conformer aux exigences de justice, de pureté et de désintéressement que Jésus enseigne dans le discours sur la montagne. Alors, la loi du Christ n’est pas une contrainte, elle dévoile à l’homme la vérité de sa vocation, elle restaure en lui sa condition de fils, à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Jésus nous dit: «Heureux les pauvres de coeur... Heureux les doux... Heureux les coeurs purs». Ce sont les qualités de l’être chrétien. Il ne fait pas l’éloge du dénuement, et cette douceur n’est pas faiblesse. Il nous invite à la joie d’être libres d’entraves même à l’égard de nos possessions matérielles ou affectives, à partager volontiers ce que nous sommes en même temps que ce que nous avons, a ouvrir notre coeur à la présence infiniment aimante de Dieu et à l’espérance de la vie dans le Royaume qui nous est promis.

Jésus nous dit: «Heureux ceux qui pleurent... Heureux les miséricordieux... Heureux les persécutés pour la justice». Il ne se résigne pas au mal qui fait souffrir, ni au péché qui divise et détruit. Il demande, devant la souffrance et le péché, d’entrer en compassion, de vivre le pardon. Il demande d’être fidèle à la justice selon Dieu, à la vérité évangélique, au point d’accepter la contradiction et la persécution. Il demande de savoir offrir comme un don d’amour toutes les formes de la peine des hommes.

Jésus nous dit: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice... Heureux les artisans de paix». Heureux si, de toutes nos forces, de toute notre générosité, nous travaillons à ce que chacun de nos frères ait la chance d’être traité selon sa dignité, à ce que tous ensemble bâtissent la civilisation espérée où «il n’est pas d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis»[7]!

5. Au cours des autres étapes de ce voyage, j’ai parlé de plusieurs aspects de la vie ecclésiale à la lumière de l’Evangile. Chez vous, à Mulhouse, je voudrais dire que l’esprit des béatitudes concerne aussi le travail de l’homme.

Mulhouse, ville du labeur, comme le symbolise la roue de son blason. Habitants de Mulhouse, la «ville aux cent cheminées», vous savez ce que veut dire avoir faim et soif de la justice, à l’usine, dans les mines, quand la peine du travail est lourde, et aussi quand on éprouve l’angoisse de perdre la possibilité même de travailler.

Au siècle dernier, inspirés par des prêtres comme Landolin Winterer et Henri Cetty, vous avez été parmi les pionniers du catholicisme social. Vos pères ont voulu préserver la dignité des travailleurs et mieux souder la communauté de la «famille ouvrière», en organisant la solidarité professionnelle et l’entraide, en favorisant l’éducation. C’est le temps où le Pape Léon XIII donnait à la doctrine sociale de l’Eglise son élan de l’époque moderne par l’encyclique «Rerum Novarum».

Dans des conditions aujourd’hui différentes, il est toujours nécessaire de mettre l’homme au premier plan et de ne pas réduire le travail au rang d’une marchandise. Par l’oeuvre de son intelligence et de ses mains, la personne humaine est associée par Dieu à son oeuvre créatrice. Il est vrai que le travail provoque des souffrances, avec la durée de l’effort et le poids de la fatigue. Mais il est humain de porter cette forme de croix lorsqu’il en naît un bien nouveau: car, par son travail, l’homme se réalise lui-même. Le travail est une source pour sa vie – il lui procure les moyens de vivre –, pour la vie de sa famille. Il lui permet en même temps de développer ses dons, ses aptitudes. Il lui donne la possibilité de servir, d’apporter une contribution au progrès économique et culturel de la société, de transformer la terre pour la rendre habitable au profit de tous. Le travail est source de progrès social: grâce à lui, se resserrent les liens de la communautédes personnes engagées dans les mêmes tâches. Pour les chrétiens, le travail est participation à la vie du Christ qui a travaillé de ses mains, et à son sacrifice rédempteur. Puissent les travailleurs découvrir toutes les dimensions du travail, sans être privés d’aucune de ses valeurs! Nous allons offrir le pain. Il est le fruit de la terre, de la création de Dieu. Il est aussi l’oeuvre des mains humaines qui ont broyé des grains à la roue du moulin. En présentant cette offrande au milieu de vous, je prie le Seigneur pour qu’il rassemble les travailleurs dans un «espace social» où chacun trouve sa juste place, où aucun ne soit méprisé, où aucun ne soit privé d’emploi. Je le prie pour que se multiplient sur la terre non seulement «les fruits de notre activité» mais aussi «la dignité de l’homme, la communion fraternelle et la liberté»[8].

427 6. Votre situation, dans ce que vous appelez le «Dreieckland», vous a toujours amenés à des échanges actifs avec les régions voisines de Suisse, d’Allemagne et, en France, des Vosges et de Franche-Comté. De plus, l’activité industrielle et minière de Mulhouse et de l’Alsace du Sud a attiré de nombreux étrangers qui sont entrés dans votre communauté de travail.

Je voudrais saluer ici ceux qui sont venus de pays d’Europe, mes compatriotes de Pologne, les Italiens, les Portugais, et aussi tous ceux qui sont venus d’autres régions du monde.

Mulhouse conserve une antique et heureuse tradition d’hospitalité, respectueuse de cultures et de patrimoines spirituels différents. La règle pour l’accueil de l’autre, nous la trouvons dans la Lettre de saint Paul: «Vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres»[9]. L’amour fraternel n’a pas de frontières. Un artisan de paix reconnaît en tout homme un être aimé de Dieu, quelles que soient ses origines. Par son accueil, le disciple du Seigneur s’efforce d’adoucir chez ceux qui arrivent l’épreuve de l’expatriation. II respecte la vie des familles attachées à leurs coutumes et soucieuses de les transmettre à leurs enfants.

Cette attitude profondément humaine et pacifique, je sais qu’elle correspond largement à ce que vous vivez depuis des générations. De la part des chrétiens cette convivialité – même vécue au niveau modeste du quartier ou du village – sert réellement la cause de la paix et de l’unité à l’intérieur de l’Europe, et aussi entre les Européens et leurs frères des autres régions du monde. Il ne faut pas se contenter d’une sorte de tolérance mutuelle entre étrangers, mais créer des liens autrement profonds: ce qui nous rapproche de tout homme, c’est l’esprit des béatitudes, la soif de justice et de paix, l’amour fraternel que nous avons appris de Dieu.

7. Frères et Soeurs, puissions-nous écouter le premier messager de l’évangélisation en Europe, saint Paul: «Vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu, et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès»[10]!

Les Apôtres ont annoncé à l’Europe la vérité tout entière. Le baptême a uni des millions d’hommes au Christ rédempteur. Dans l’Eglise, ils sont appelés à former un corps vivant et uni. Et l’Eglise elle-même doit être un signe de fraternité pour tous les hommes.

«Frères, nous vous encourageons à faire encore de nouveaux progrès», en travaillant de vos mains, en construisant l’unité. Comment ne pas en exprimer l’ardent désir dans votre région marquée par les divisions entre chrétiens survenues dans le passé?

«Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus»[11]. L’évangélisation nouvelle dont l’Europe a besoin trouve dans le message des béatitudes une référence centrale. N’en réduisez pas les exigences!

Méditez la Parole vivante de Dieu. Soyez prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous[12].

Transmettez la vérité tout entière à vos enfants par l’enseignement et par le témoignage de la vie chrétienne dans vos familles et vos communautés.

Avec Pierre, je vous dis: «A l’image du Dieu saint qui vous a appelés, soyez saints, vous aussi, dans toute votre conduite»[13].

428 Demeurez fidèles à l’Alliance! Chaque jour, en toute rencontre laissez-vous saisir par le Christ! Et vous pourrez charter avec le Psalmiste:«L’amour du Seigneur, sans fin je le chante; / ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge»[14].

[1] Ps. 89 (88), 2.

[2] Ibid.2-3.

[3] Cfr. Ps. 30 (29).

[4] Ps. 28 (27).

[5] Io. 4, 23.

[6] Ps. 89 (88), 2.

[7] Io. 15, 13.

[8] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Laborem Exercens, 27; Gaudium et Spes, 39.

[9] 1 Thess. 4, 9.

[10] 1 Thess. 4, 1.

429 [11] Ibid.4, 2.

[12] Cfr. 1 Petr. 3, 15.

[13] Ibid.1, 15.

[14] Ps. 89 (88), 2.
© Copyright 1988 - Libreria Editrice Vaticana



1989

VOYAGE APOSTOLIQUE À MADAGASCAR, LA RÉUNION, ZAMBIE ET MALAWI

(28 avril - 6 mai 1989)


Célébration Eucharistique à Antsiranana (Madagascar)
Antsiranana (Madagascar)
Samedi, 29 avril 1989
1. Derào i Jesòa Kristy Tòmpo!

[Loué soit Jésus-Christ!]
430 «Que les peuples, Dieu, te rendent grâce;
qu’ils te rendent grâce tous ensemble!»[1]

Ainsi prie l'Eglise dans la liturgie de ce jour. Et ainsi – par les mêmes paroles – je désire saluer Madagascar: la Grande Ile de l’Océan Indien, le peuple qui l’habite et tous ceux qui sont ici, tous ceux qu’il me sera donné de rencontrer au long de mon pèlerinage, et tous les autres dans leurs villes et leurs villages.

L’homme ne peut rien faire de plus grand que de rendre gloire à Dieu. Il n’est pas d’action plus élevée pour les peuples, pour les nations et pour les sociétés. Le Créateur a placé l’homme, dès le commencement, au centre du monde visible afin que cet homme, créé comme homme et femme, puisse connaître Dieu à travers le témoignage de toute la création.

Et connaître Dieu, cela veut dire: lui rendre gloire. Elle est insondable, la gloire de Dieu en Lui-même, dans le mystère de sa nature divine, dans le mystère du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

L’homme connaît Dieu par le monde créé. Et au nom de la création, il proclame sa gloire.

Au commencement de ma visite parmi vous, fils et filles de Madagascar, je reprends le voeu de la liturgie d’aujourd’hui:

«Que les peuples, Dieu, te rendent grâce tous ensemble!».

2. Oui, je voudrais vous inviter tous à rendre grâce, dans le joie pascale, dans la joie de la Résurrection du Christ qui a donné sa propre vie pour que tous les hommes soient sauvés.

Dans la joie et l’action de grâce, je salue tous ceux qui constituent cette belle assemblée d’Eglise. Je salue le Pasteur de ce grand diocèse, Monseigneur Albert Tsiahoana; je le remercie de ses paroles de bienvenue et je suis heureux de lui offrir mes voeux en ce vingt-cinquième anniversaire de son épiscopat. Je salue avec lui les autres évêques de la province et du Nord de l’Ile, et, particulier, les nouveaux évêques qui concélèbrent aujourd’hui.

Je voudrais adresser un salut déférent aux Autorités de cette région qui ont facilité ma venue et qui ont tenu à participer à cette assemblée de fête. Que toutes les personnalités présentes soient remerciées pour les services rendus au bien commun.

431 Je salue cordialement les prêtres, les religieux et les religieuses qui consacrent leur vie à l’annonce de la Bonne Nouvelle; que le Seigneur leur donne force et confiance dans leur vocation, qu’il leur fasse éprouver la joie promise aux disciples qui l’aiment[2]!

Je voudrais dire mon affection à tous les fidèles venus ici, souvent de loin au prix d’un long parcours. Aux anciens, aux adultes et aux jeunes, à ceux qui prennent leur part de responsabilité dans la vie de la communauté et dans les mouvements, aux nouveaux baptisés de Pâques, j’adresse mes encouragements: laissez-vous toucher par l’amour sauveur du Christ, entrez toujours mieux dans l’esprit de réconciliation, de solidarité et de communion fraternelle qui est celui de votre baptême!

Je salue tous les travailleurs du pays. L’Eglise a une grande estime pour vos métiers. Je pense en particulier aux marins attachés à ce port, et à ceux de tout le pays; et j’encourage vivement l’Apostolat de la Mer qui accueille et réunit les marins de toutes provenances qui font escale ici. Je pense aussi aux ouvriers, aux agriculteurs, aux travailleurs des villes; et je souhaite que tous trouvent dans l’exercice de leur profession non seulement des moyens de subsistance décente, mais aussi la satisfaction de s’épanouir par une activité utile à la société malgache.

Et je tiens à saluer avec respect nos frères qui ne partagent pas la foi de l’Eglise catholique, en particulier les membres de la communauté musulmane, et qui ont désiré s’associer à la joie de cette assemblée en venant à la rencontre de l’Evêque de Rome. J’apprécie leur geste fraternel et je les assure de la bonne volonté des catholiques à l’égard de tous leurs compatriotes.

J’aimerais aussi dire en particulier mon affection à ceux d’entre vous qui souffrent, dans leur corps et dans leur coeur, ceux qu’atteignent les maladies ou les handicaps, ceux qui portent le poids de la solitude et de la pauvreté. Je voudrais leur redire que le Fils de Dieu est tout proche d’eux; frère de tous les hommes, il est d’abord le frère des plus démunis d’entre nous. Et devant vous, nous voulons entendre son appel à cette solidarité qui nous pousse à porter les fardeaux les uns des autres.

3. Frères et Soeurs, en Jésus-Christ, la gloire de Dieu arrive au sommet de sa manifestation dans le monde créé et dans l’histoire du genre humain.

Le Fils, de la même substance que le Père, est devenu homme; il est né de la Vierge Marie par l’Esprit Saint; il a révélé à l’homme le mystère indicible de Dieu.

Par tout ce qu’il a fait et enseigné, Jésus-Christ a inscrit dans l’histoire de l’humanité l’Evangile du salut éternel. La dernière parole de sa mission messianique, c’est le Sacrifice de la Croix: le Christ crucifié et ressuscité, le Rédempteur du monde, a rendu aux fils et aux filles du genre humain la dignité de fils de Dieu qu’ils avaient perdue à cause du péché.

Et il nous a appris à parler à Dieu: «Père – notre Père»[3].

Quand il allait quitter cette terre, à la veille de sa Passion, il a rappelé une fois encore aux Apôtres que le «coeur» de sa doctrine, c’est l’amour de Dieu et du prochain. Il dit:

«Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole: mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui»[4].

432 L’homme qui accueille l’amour de Dieu et qui aime ses frères devient demeure de Dieu, il devient le temple de Dieu.

4. La veille de sa Passion, au Cénacle de Jérusalem, Jésus annonçait aussi aux Apôtres le jour désormais proche de son départ vers le Père:

«Je m’en vais... je pars vers le Père... le Père est plus grand que moi»[5].

Nous approchons du temps de l’Ascension du Christ – c’est pourquoi l’Eglise nous redit cette parole. Le départ de Jésus a rempli de tristesse le coeur des Apôtres – de tristesse et de trouble. Mais il leur dit: «Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés... Je m’en vais et je reviens vers vous»[6].

Cette seconde venue du Christ va commencer par la descente de l’Esprit Saint: «Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit»[7].

A partir du jour de l’Ascension, l’Eglise, suivant l’exemple des Apôtres, se prépare à la venue de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Les Apôtres persévéraient tout ce temps-là dans la prière avec Marie, la Mère du Christ, au Cénacle.

5. A partir du jour de la Pentecôte, les Apôtres, fortifiés par l’Esprit Saint, sont sortis du Cénacle: ils sont sortis d’abord sur les routes de Jérusalem puis des pays voisins, comme en Samarie, puis toujours plus loin, plus loin,... jusqu’aux extrémités de la terre. Les Actes des Apôtres nous parlent de cela. La première lecture d’aujourd’hui nous montre l’Eglise apostolique réunie à Jérusalem, pour la première fois en Concile, vers l’an cinquante après Jésus-Christ. On avait alors déjà commencé à annoncer l’Evangile aux peuples «païens», en particulier grâce à l’action de l’Apôtre Paul et de ses compagnons.

A partir du récit des Actes des Apôtres, que nous avons entendu, nous pouvons suivre les routes de la mission. Ainsi nous arriverons jusqu’aux moments où l’Evangile du Christ a été annoncé ici, à Madagascar.

6. Les siècles avaient passé. Et les missionnaires sont venus ici, porteurs du même message d’espérance et d’amour. Ils venaient en priant, comme le Psaume que nous avons chanté: Seigneur, «que ton visage s’illumina pour nous; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations»[8].

En nous rappelant l’histoire de l’évangélisation dans toute votre Grande Ile, nous rendons hommage aujourd’hui aux fils de saint Vincent de Paul, aux fils de saint Ignace, puis aux Pères Spiritains, aux Prémontrés, aux Capucins, aux Montfortains, aux Frères éducateurs, aux Soeurs de Saint-Joseph de Cluny et de nombreuses autres congrégations.

Pour ces hommes et ces femmes de Dieu, la route a pu être longue et dure. Beaucoup ne sont plus jamais retournés dans leur pays d’origine; vous honorez ici leurs tombes. Il faudrait évoquer beaucoup de figures, je rappellerai seulement le Bienheureux Jacques Berthieu, qui a livré sa vie pour l’Evangile, et le grand fondateur que fut le Père Dalmond.

433 A l’assemblée de Jérusalem, que racontent les Actes des Apôtres, on avait marqué un vrai respect pour la culture et les coutumes de ceux qui recevaient nouvellement le message chrétien. Les missionnaires ici sont très vite entrés en sympathie avec le peuple malgache. Ils ont appris et cultivé remarquablement votre langue – on se rappelle l’oeuvre du Père Calvet –, ils ont découvert et étudié votre civilisation et votre terre. C’était pour eux une condition pour parler avec justesse la langue de l’Evangile et inviter les hommes et les femmes malgaches à découvrir le vrai visage de Dieu manifesté dans son Fils Jésus.

Vous vous rappelez aussi le souci des missionnaires de rencontrer les pauvres comme les riches, les puissants et les humbles, les malades comme les bien portants. Ils ont donné beaucoup d’énergie et d’amour aux oeuvres sanitaires et à l’éducation.

Mais au coeur de leur activité, ce qui a compté, c’est la foi naissante parmi vous, c’est le nombre grandissant de ceux qui ont reçu le baptême, qui ont accueilli les dons de l’Esprit Saint à la Confirmation, qui ont communié au Corps eucharistique du Christ Sauveur, qui ont trouvé dans le sacrement de pénitence la grâce fidèle de Dieu qui veut réconcilier l’homme avec lui et avec ses frères.

Et, rendus forts par la grâce du baptême, voici que des laïcs deviennent à leur tour des évangélisateurs, catéchistes, animateurs de communautés, responsables de mouvements, éducateurs. Très tôt l’appel du Seigneur au sacerdoce et à la vie religieuse a été entendu parmi vous. Cet appel retentit toujours avec plus de force. Maintenant, l’Eglise à Madagascar, toujours heureuse de la présence active de missionnaires dévoués venus d’autres régions du monde, affirme sa personnalité grâce aux fils et aux filles de cette terre qui sont de plus en plus les missionnaires de ce temps.

7. Chers Frères et Soeurs, nous pouvons ensemble rendre grâce pour l’histoire de l’évangélisation dans votre pays, votre propre expérience du don de Dieu sur la route millénaire de l’Evangile qui parcourt le monde, qui rejoint les peuples et les nations dans leur diversité.

L’Evangile ouvre à l’humanité des perspectives de paix, en raison même du commandement de l’amour que le Christ nous a donné.

«C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne: ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne»[9].

La source de cette paix est en Dieu.

C’est d’abord la paix avec Dieu: la réconciliation avec le Père. Car c’est le Père qui est à l’origine de toute paix chez les hommes, dans le coeur de l’homme, et c’est lui aussi qui est la source de la paix entre les hommes.

Il est vrai que les hommes, les chrétiens eux-mêmes, ne parviennent pas toujours à être les artisans de paix à qui le Seigneur a promis d’entrer dans son Royaume. L’histoire, dans votre propre pays et dans votre propre Eglise, porte la marque de souffrances, d’incompréhensions, de l’incapacité à aimer totalement comme le Seigneur nous aime, en un mot la marque du péché.

Mais en ce temps de Pâques, ne soyons pas bouleversés ni effrayés: le Seigneur Jésus ressuscité, monté près du Père, nous envoie l’Esprit de vérité et d’amour, de réconciliation et de communion. «C’est ma paix que je vous donne»[10].

434 Puissions-nous savoir accueillir ce don! Puissions-nous être assez pénétrés par l’Esprit de paix du Christ pour que nous devenions des bâtisseurs de paix et de solidarité! C’est une tâche pour le monde entier que de faire avancer la paix et la coopération entre les peuples. C’est une tâche de chaque personne, de chaque famille, de chaque communauté de village, de travail, d’Eglise. La route de l’Evangile passe par l’engagement de chacun à servir la cause de la paix. La route de l’Evangile passe par l’invention de formes nouvelles de service et de compétence animées par l’amour, dans l’Eglise et pour le bien de toute la cité.

Chers amis d’Antsiranana et de toute la région, entendez avec confiance l’appel du Christ qui demeure en tous ceux qui croient en lui! Ayez confiance et redoublez vos efforts pour rendre toujours plus étroite parmi vous la communion de l’Eglise et plus forte la solidarité de tout un peuple!

8. Nous devons aussi nous interroger: au terme de notre pèlerinage sur cette terre dans la foi, où mène la voie de l’Evangile annoncé par les Apôtres, par les missionnaires de tous les siècles, par l’Eglise entière?

La seconde lecture de la liturgie aujourd’hui nous le montre. Dans le Livre de l’Apocalypse, saint Jean, sous l’inspiration de l’Esprit, contemple la cité sainte, Jérusalem.Mais non pas la Jérusalem terrestre où le Christ a été crucifié et où il est ressuscité, non pas celle d’où les Apôtres sont partis vers le monde entier pour annoncer l’Evangile, car la ville que saint Jean contemple, c’est la Jérusalem céleste.

Dans cette ville, il ne voit pas de temple. Il écrit: «Je n’ai pas vu de temple, car son Temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, et l’Agneau»[11].

Au Cénacle, le Seigneur a dit aux Apôtres qu’il viendra auprès de tout homme qui observe sa doctrine, et qu’il fera de lui – en son âme – sa demeure et qu’il y demeurera avec le Père.

Lorsque l’homme lui-même devient le temple de Dieu, c’est le commencement du ciel. Dans la Jérusalem céleste, Dieu, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, Dieu lui-même est le temple éternel de tous les rachetés, par le Christ, le Rédempteur, l’Agneau de Dieu.

9. En méditant ces grandes vérités et le mystère de notre foi, exprimés avec force dans la liturgie du temps pascal, nous reprenons ensemble les paroles du psalmiste pour dire au Christ:

«Que les nations chantent leur joie; car tu gouvernes le monde avec justice; sur la terre, tu conduis les nations»[12].

Et pour tout le peuple de ce pays, pour tous les habitants de Madagascar, pour cette terre où est connue la voie de Dieu et le salut dans le Christ, invoquons le Seigneur avec les paroles du Psaume:

«Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse»[13]!

435 «Ho Tahìn’Andriamànitra Isìka Rehètral» [Que le Seigneur nous bénisse!].

[1] Ps. 67 (66), 4.

[2] Cfr. Io.14, 29.

[3] Cfr. Matth. 6, 9-13.

[4] Io. 14, 25.

[5] Ibid. 14, 28.

[6] Ibid. 14, 27-28.

[7] Ibid. 14. 26.

[8] Ps. 67 (66), 2-3.

[9] Io. 14, 27.

[10] Ibid.

[11] Apoc. 21.

436 [12] Ps. 67 (66), 5.

[13] Cfr. ibid. 2.



SOLENNELLE BÉATIFICATION DE VICTOIRE RASOAMANARIVO

Antananarivo (Madagascar)
Dimanche, 30 avril 1989
1. Derào i jesòa Kristy Tòmpo! [Loué soit Jésus-Christ!]

«Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole»[1].

Ce Dimanche du temps pascal est un grand événement pour l’Eglise à Madagascar.

Pour la première fois dans votre histoire, une fille de cette terre est élevée à la gloire des autels, Victoire Rasoamanarivo.

Je me réjouis que, par ma venue au milieu de vous, l’Eglise apostolique, l’Eglise des saints Pierre et Paul, soit présente en ce jour. Elle apporte ici tout l’héritage de foi et de vie qui, par le témoignage des Apôtres, découle du mystère pascal de Christ Jésus, le Rédempteur du monde.

Dans la joie pascale, je suis heureux de saluer votre Pasteur, mon frère le Cardinal Victor Razafimahatratra, si proche de l’Evêque de Rome comme membre du Collège des Cardinaux. Je salue aussi son Auxiliaire, Monseigneur Nicolas Ravitarivao, et les autres Evêques présents. Je dis mes voeux cordiaux aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et à tous les fidèles laïcs.

J’exprime ma gratitude aux Autorités de l’Etat et de la région qui ont tenu à prendre part à cette célébration marquante pour l’Eglise catholique à Madagascar.

437 Au Cénacle, avant de partir vers le Père, Jésus-Christ a promis aux Apôtres le Paraclet: «Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout»[2].

Aujourd’hui, l’Eglise à Madagascar participe d’une manière toute particulière à la venue de ce Paraclet, à la descente de l’Esprit Saint. En effet, le fruit le plus beau de son action, c’est la sainteté des fils et des filles des hommes. Dans la sainteté se manifeste l’amour qui est le plus grand de tous les dons de l’Esprit[3] et qui, plus que toute autre chose, élève l’homme aux yeux de Dieu.

2. «Si quelqu’un m’aime – dit le Christ –, il restera fidèle à ma parole; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui»[4].

Nous honorons aujourd’hui une femme qui a authentiquement aimé le Christ; une femme qui est demeurée fidèle à la parole du Seigneur: Victoire Rasoamanarivo. L’Eglise reconnaît sa sainteté, avec ses frères et soeurs de cette terre qui l’admirent, qui s’inspirent de son exemple, qui comptent sur son intercession. L’Eglise à Madagascar et l’Eglise dans le monde la saluent comme celle en qui Dieu demeure, comme une soeur dont on reste proche dans la mystérieuse réalité de la communion des saints.

Car Victoire a vécu intensément le don de la foi, dès son initiation chrétienne comme catéchumène. Elle a accueilli l’Esprit du Christ. Elle a su conserver tout au long de sa vie le souvenir vivant de la Parole de Jésus[5]. Avec la force du «Défenseur», elle a trouvé le courage d’une fidélité sans défaillance.

Au fond d’elle-même, Victoire restait sans cesse en présence de Dieu. Tous étaient frappés par l’intensité de sa prière. Familière de la présence de Dieu, elle savait entraîner les autres dans l’intimité du Seigneur. A l’image de la Vierge Marie, elle avançait au long des jours dans le pèlerinage de la foi. N’avait-elle pas donné à l’Union catholique la consigne: «Sanctifions-nous d’abord nous-mêmes; nous nous occuperons ensuite de sanctifier les autres»? Le témoignage de son action montre bien qu’il ne s’agissait pas d’une piété fermée sur elle-même. Au contraire, Victoire n’imaginait pas qu’un chrétien puisse porter à ses frères la Bonne Nouvelle sans ouvrir tout son être à la puissance de la grâce. C’est pourquoi, au milieu des activités et des soucis, elle trouvait toujours beaucoup de temps pour la prière.

3. Aux chrétiens d’aujourd’hui, Victoire montre comment vivre son baptême. Adolescente, éduquée par les Soeurs de Saint-Joseph de Cluny, elle prépare avec sérieux son entrée dans l’Eglise. Découvrant les commandements de Dieu, elle est aussitôt résolue à les observer, à lutter contre le péché. Elle pratique l’obéissance à la loi de Dieu dans une heureuse liberté intérieure, comme quelqu’un qui aime! Alors elle accueille la vie nouvelle qui lui est donnée. Le sacrement du baptême, c’est vraiment pour elle se laisser saisir par la présence du Christ ressuscité. Sa conversion est si franche et si pure qu’elle donne l’impression, dès le début, d’être chrétienne dans tout son être. La confirmation achèvera de faire d’elle une fidèle, un «temple du Saint-Esprit», comme dit l’Apôtre.

Nous prions Victoire pour qu’elle aide les fils et les filles de Madagascar à recevoir le don de la foi, de la manière généreuse dont elle l’a reçu; nous la prions pour qu’elle entraîne ses frères et soeurs malgaches à mettre toute leur vie dans la lumière du Christ qui illumine les baptisés, qui guide leurs décisions, qui les soutient dans la peine et les accompagne dans la joie.

Et vous prenez aussi exemple sur elle, lorsque vous découvrez son profond amour de la Messe qu’elle ne voulait jamais manquer. La communion au Corps du Christ, c’est la vraie nourriture du baptisé, car c’est la rencontre la plus intime du Seigneur: il s’est fait pain de vie pour que nous partagions sa vie. Il se donne en communion, pour que nos liens fraternels soient renforcés et élargis par sa présence d’amour. Il a voulu que son sacrifice soit célébré en tous les temps afin que toutes les générations s’offrent, par Lui, à son Père pour le salut et la réconciliation de la multitude.

Nous savons aussi quelle courageuse fidélité Victoire a montrée au sacrement du mariage, malgré les épreuves de son couple. Son engagement avait été scellé devant Dieu, elle n’a pas accepté de le remettre en question. Avec le soutien de la grâce, elle respecta son époux envers et contre tout et lui garda son amour, dans le désir ardent qu’il se tourne vers le Seigneur et qu’il se convertisse; il lui fut donné la consolation de voir, à la fin, son mari accepter le baptême.

Frères et Soeurs, à la suite de Victoire, ne manquez jamais d’aller boire à la source d’eau vive des sacrements: ce sont les dons inépuisables du Christ à son Eglise!

438 4. Liée à ses frères et soeurs dans cette profonde communion, Victoire a pratiqué la solidarité avec une constante générosité, peu soucieuse d’amasser un trésor sur cette terre. Il ne s’agissait pas seulement de donner, il s’agissait d’aller à la rencontre des pauvres, des malades ou des prisonniers et de leur témoigner tout l’amour dont elle était capable: elle soulageait les souffrances et offrait ce qu’elle avait, avec humilité, en oubliant son rand social privilégié.

Pour cela, elle est aussi un exemple entraînant. Vos situations sont différentes; mais les pauvres sont toujours parmi vous. Je me réjouis du thème que vous avez choisi pour cette visite pastorale: il vous place vraiment à la suite de Victoire. L’Eglise, communion au service de la solidarité d’un peuple: Cela veut dire que le souci de tous est de partager ce qui les fait vivre, les biens spirituels et les biens matériels. Cela veut dire que tous se sentent responsables du bien commun. Cela veut dire que tous cherchent cette justice évangélique qui donne à chacun ses chances de s’épanouir. Cela veut dire que dans la vie publique, dans la vie professionnelle, dans la vie familiale, tous travaillent pour avancer sur les chemins du développement intégral de l’homme, de l’homme aimé de Dieu, de l’homme fraternel.

5. Au cours d’une période critique de la jeune Eglise à Madagascar, Victoire est apparue dans toute sa stature de laïque activement engagée dans la vie de la communauté et dans son apostolat. Ces quelques années de service de la communauté ecclésiale ont laissé un souvenir encore très vivant. Et, même si les circonstances sont tout autres maintenant, le rayonnement de Victoire demeure grand alors que plus d’un siècle s’est écoulé. La béatification confirme qu’elle est un modèle pour les fidèles laïcs d’aujourd’hui.

Chrétienne dans sa maison, chrétienne dans le milieu de la cour dont elle faisait partie, active dans le mouvement des Enfants de Marie, Victoire se trouvait prête à assumer des responsabilités exceptionnelles. Elle avait la confiance de tous; on la chargea d’animer et de protéger l’Union catholique qui devait maintenir vivante la communauté privée de ses prêtres.

L’énergie que Victoire puisait dans la foi et dans la vie de prière, elle la mit au service de tous dans une collaboration active avec le Frère Rafiringa et tous les membres de l’Union. Grâce à son influence, elle put aider à garder la Maison de Dieu ouverte et la communauté solide. Elle animait avec ferveur la prière commune. Elle veillait à ce que la formation spirituelle progresse en même temps que l’instruction sur le sens de la foi. Les Frères et les plus formés parmi les chrétiens dirigeaient des retraites où beaucoup affermissaient leur foi. Elle savait apaiser les tensions. Par ses encouragements, elle aidait ses frères et soeurs à demeurer dans l’unité, en ville et dans les autres postes.

Au cours de cette période difficile, alors que les prêtres étaient éloignés, la communauté ne perdit pas son dynamisme apostolique: des catéchumènes étaient instruits et préparés au baptême. Cela correspondait bien à la passion que Victoire eut toute sa vie de faire connaître Jésus-Christ, de partager la Bonne Nouvelle qui la comblait d’espérance et de joie. Elle fut une vraie missionnaire. Pour elle, il n’y avait pas de plus grand bonheur que de voir ses proches accéder à la foi et recevoir le baptême.

Quand nous contemplons la figure de Victoire au milieu de la jeune Eglise de ce pays, nous comprenons mieux encore le rôle irremplaçable de fidèles laïcs, si fortement mis en valeur par le Concile Vatican II, et récemment par l’Assemblée du Synode des Evêques. Dans une exhortation apostolique, j’ai dit la grandeur de la vocation et de la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde. Je suis heureux d’avoir pu venir chez vous pour célébrer la béatification d’une fille de votre noble peuple malgache, qui a été «colonne et fondement» pour ses frères et coeurs. Désormais, elle le sera plus encore.

6. Victoire illustre en particulier la place qui revient aux femmes dans l’Eglise. Femme laïque, elle rappelle près de vous les femmes de l’Evangile, ou bien celles dont saint Paul a gardé le souvenir: Lydie qui eut un rôle important dans la jeune communauté de la ville de Philippes[6], Damaris qui accueillit l’Evangile à Athènes alors que bien peu l’écoutaient, Loïs et Eunice qui communiquèrent leur foi à Timothée[7]. Avec ses belles qualités de femme, Victoire à son tour a assumé les missions d’évangélisation, de sanctification et d’animation. Elle sut déployer une activité intense en bonne harmonie avec tous les membres de l’Eglise, les hommes comme les femmes, les prêtres comme les laïcs.

A notre époque, il est apparu particulièrement important de réagir à trop d’attitudes négatives dont les femmes ont souffert et souffrent encore, et qui sont étrangères à l’esprit de l’Evangile. «La reconnaissance franche et nette de la dignité personnelle de la femme constitue le premier pas à faire pour promouvoir sa pleine participation tant à la vie de l’Eglise qu’à la vie sociale et publique»[8].

La béatification de Victoire est un encouragement pour toutes ses soeurs de Madagascar. Qu’elles se sentent pleinement reconnues dans leur dignité et dans leurs responsabilités de chrétiennes! Qu’elles n’hésitent pas à apporter leur contribution spécifique à l’évangélisation! Leur aptitude à l’accueil de la Parole de Dieu et à la transmission de la foi, la qualité de leur sens moral, leur sensibilité particulière pour la dignité de l’être humain sont des biens irremplaçables pour l’Eglise[9].

7. Vous reconnaissez en votre première Bienheureuse les qualités traditionnelles de votre peuple. Beaucoup de témoins ont décrit sa patience, non pas une résignation ou une fuite devant les difficultés, mais une attitude profondément pacifiée devant ce qui attriste ou ce qui blesse, même devant le mal que l’on réprouve. Sa patience inlassable renforçait sa conviction chrétienne pour demeurer fidèle aux liens indissolubles du mariage malgré les humiliations et les souffrances qu’elle endurait. Elle impressionnait ceux qui l’approchaient par la joie intérieure qui l’habitait. Elle gardait une confiance optimiste, même aux moments les plus inquiétants. Jamais elle ne se détachait des liens ancestraux de solidarité qui unissent dans son peuple chaque personne à toute la société; elle épanouissait en elle la spiritualité naturelle des Malgaches.

439 C’est avec toute la richesse de sa personnalité que Victoire a donné son adhésion sans réserve à la foi. L’intimité avec le Christ et les dons de sa grâce l’ont amenée à porter très haut ses vertus humaines. Nous admirons en elle une femme à qui il a été donné d’unir merveilleusement ce qu’elle a reçu par la lumière de l’Evangile. Dans sa simplicité spontanée, elle est un magnifique exemple pour votre communauté chrétienne soucieuse de mettre en valeur le meilleur de son héritage dans une rencontre féconde avec la grâce du baptême. Je crois que la sainteté de Victoire pourra éclairer en profondeur les recherches que vous menez pour une juste inculturation de la foi chrétienne sur votre terre.

8. «Que les peuples, Dieu, te rendent grâce;
qu’ils te rendent grâce tous ensemble!
Que les nations chantent leur joie!».[10]

C’est vraiment un jour de grande joie, de joie pascale pour le peuple de Madagascar.

C’est aussi un jour de grande joie pour l’Eglise, qui invite les peuples de toute la terre à s’unir en elle dans la foi et le salut.

L’Eglise entière partage la joie de chacun d’eux, elle partage aujourd’hui votre joie, fils et filles de Madagascar.

Les Bienheureux et les Saints – de génération en génération – sont signes de notre vocation à la Jérusalem céleste que nous rappelle la deuxième lecture de ce dimanche avec le Livre de l’Apocalypse de saint Jean. Ils montrent la route à tous les hommes et à toutes les femmes, la route de la vocation définitive de l’homme. C’est la route de la participation à la gloire éternelle de Dieu lui-même: du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

Frères et Soeurs, fils et filles de Madagascar, avancez sur cette route à la suite de votre compatriote!

En vérité, «dans la maison du Père beaucoup peuvent trouver leur demeure»[11].

Ho tahìn andriamànitra isìka rehètra!
440 [Que le Seigneur nous bénisse!]

[1] Jn 14, 23.

[2] Ibid. 14, 26.

[3] Cf. 1 Co 13, 13.

[4] Jn 14, 23.

[5] Cf. ibid. 14, 26.

[6] Cf. Ac 16, 14-15.

[7] Cf. 2 Tm 1, 5.

[8] Exhortation post-synodale Christifideles laici, 49.

[9] Cf. ibid., 49-52.

[10] Ps 66/67, 4-5.

441 [11] Cf. Jn 14, 2.




Homélies St Jean-Paul II 425