Homélies St Jean-Paul II 553


  CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE POUR LES FIDÈLES DE BRETAGNE


554 Esplanade «Ker Anna» de Sainte-Anne-d'Auray
Vendredi 20 septembre 1996



1. Le Christ ressuscité envoie ses Apôtres dans le monde entier. « Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés » [1]. Cet envoi en mission a une force divine. Il vient du Fils consubstantiel au Père et, en même temps, il vient d'un Homme crucifié et ressuscité. L'événement pascal a confirmé son pouvoir au ciel et sur la terre. C'est ce qui donne à ce commandement sa force pour toutes les nations et pour tous les temps: enseignez, annoncez l'Évangile, baptisez dans l'eau et l'Esprit Saint. Cette vie nouvelle donnée par le Christ, commencement de la création nouvelle, doit être enracinée par les disciples dans toutes les nations de la terre. Cette semence divine donnera un sens plénier l'existence de l'homme, car il est appelé à participer à la vie de Dieu. Le Christ est l'auteur de cet appel, il en est le garant.

2. Si la Parole de Dieu doit s'enraciner dans le coeur de l'homme, elle doit recevoir de sa part une juste réponse: cette réponse, c'est la foi. La liturgie d'aujourd'hui donne une grande place à cette réponse par la foi. Dans la Lettre aux Hébreux, l'Apôtre écrit: « La foi est le moyen de posséder déjà ce qu'on espère et de connaître des réalités qu'on ne voit pas » [2]. Pour éclairer cette définition, l'Apôtre a recours au témoignage d'Abraham, le père des croyants [3], qui a obéi à l'appel de Dieu. Il est parti en pèlerinage; il montrait ainsi que croire c'est se mettre en chemin vers la Terre Promise. Il ne s'agissait pas seulement de quitter la vallée de l'Euphrate, pour arriver à la terre de Palestine; il s'agissait, et il s'agit toujours, d'un autre pèlerinage, d'une marche fondée sur la confiance totale en la Parole, car Dieu indiquait lui-même le sens des actes d'Abraham et de Sarah. Le chemin parcouru fut le symbole du pèlerinage de la foi vers une autre terre, vers une autre cité. «Il attendait la cité qui aurait de vraies fondations, celle dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l'architecte » [4]. Dieu lui a promis une descendance nombreuse, bien que sa femme Sarah fût sans enfants: cette promesse de fécondité humaine montre aussi la fécondité spirituelle de la foi.

Et l'Apôtre ajoute qu'Abraham et ses descendants « sont tous morts sans avoir connu la réalisation des promesses [ici sur terre]; mais ils l'avaient vue et saluée de loin » [5]. Ils avaient la certitude que la cité construite sur les fondements divins serait leur part pour toujours. Ils ont placé leur confiance dans le Dieu de l'Alliance.

3. «Béni sois-tu, Seigneur, Dieu fidèle » [6]. Ce refrain du psaume responsorial de la liturgie d'aujourd'hui, nous le reprenons avec la lignée des croyants commencée par Abraham. Dans ce sanctuaire de Sainte Anne, nous voulons nous rappeler tous ceux qui sont venus chez vous en témoins du Christ, pour annoncer l'Évangile de l'Alliance, et tous ceux qui, de génération en génération, ont hérité de leur message de salut. Sur votre terre de Bretagne et de l'Ouest de la France, la foi chrétienne, arrivée il y a tant de siècles, s'est peu à peu inculturée et fortifiée. En tout premier lieu, nous nous tournons vers sainte Anne apparue à Yves Nicolazic dans ce village où, avec son épouse Guillemette, il formait un couple chrétien estimé de tous:

« Yves Nicolazic, ne craignez pas. Je suis Anne, mère de Marie.
Dieu veut que je sois honorée en ce lieu »,
[en breton] « Iwán Nikolazig, n'ho pet ket eun.
Me zo Ánna, mámm Mari.
Án Aotrou Doue e fall dehóñ
555 ma vein-me inouret amáñ ».

La liste est longue de ceux qui sont devenus des intercesseurs auprès de Dieu depuis les saints fondateurs de vos diocèses, les martyrs, comme le bienheureux Pierre-René Rogue dont le diocèse de Vannes célèbre cette année le bicentenaire de la mort, des prêtres comme saint Yves, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, saint Jean Eudes, des religieuses comme sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, la bienheureuse Jeanne Jugan ou encore, en notre siècle, des laïcs comme Marcs Callo que j'ai béatifié récemment. Tant d'autres au long des siècles ont marqué de leur témoignage l'histoire de la foi dans votre région.

4. Sur cette terre de Bretagne, connue pour sa solide tradition chrétienne, je suis heureux de vous saluer, pèlerins venus de toute la région apostolique de l'Ouest pour accueillir le Successeur de Pierre, pèlerins de Sainte-Anne d'Auray ainsi que d'autres sanctuaires dédiés à la mère de la Vierge Marie, comme celui d'Apt qui célèbre son IXème centenaire. Je salue aussi cordialement les représentants des autorités civiles qui ont tenu à s'associer à cette célébration. Je remercie Monseigneur François-Mathurin Gourvès, Évêque de Vannes, pour ses paroles de bienvenue qui témoignent de la vitalité de votre foi et de votre fidélité à l'Église.

Cette foi, qui est votre héritage commun, est affrontée à de nombreux défis.Certes, les causes d'inquiétude sont multiples. Ainsi, on voit se développer un climat d'indifférence et d'individualisme; certains ne savent pas accepter l'autre dans sa différence; certains désespèrent devant le mal du monde. Trop souvent la mémoire chrétienne s'affaiblit, notamment dans les jeunes générations, qui ont bien du mal à s'approprier leur héritage religieux. Mais on perçoit aussi chez vous de nombreux signes de vitalité. L'Esprit Saint est à l'oeuvre dans les coeurs et suscite d'admirables conversions intérieures, des vocations inattendues, un renouveau du sens de la vie conjugale; des laïcs de plus en plus nombreux s'engagent dans l'animation de la communauté chrétienne et dans les structures de la vie publique et sociale. Aujourd'hui, je suis venu vous inviter à faire grandir l'espérance en vous et autour de vous. Comme vos pères dans la foi, soyez des bâtisseurs de l'Église dans les générations nouvelles!

5. Vivez l'espérance, mettez votre confiance en ce Dieu qui a fait alliance avec les hommes dans la personne de son Fils Jésus! Une représentation traditionnelle de sainte Anne nous la montre faisant lire la Bible à sa fille Marie. C'est une invitation à accueillir la parole de Dieu, à s'en imprégner pour en témoigner dans les réalités humaines. Ouvrez vos coeurs au Christ sa parole vous indique le chemin pour aller vers son Père! Dans l'humble fidélité aux appels adressés par Dieu dans la vie quotidienne, chacun donne sa propre réponse de foi à la Parole. C'est ce que firent tant de familles de votre région. Vous gardez ainsi le souvenir exemplaire des époux charitables que furent Claude et Marguerite de La Garaye ou encore de Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de Lisieux. Frères et Soeurs, vous êtes vous aussi en pèlerinage vers la cité de Dieu. Sur votre route, que votre foi soit fermement fondée sur la parole du Christ transmise dans son Église! Qu'elle soit joyeuse et rayonnante! Qu'elle manifeste que la venue du Christ en notre humanité donne un sens à la vie des hommes, de tout homme!

6. Aujourd'hui, le Christ vous appelle a transmettre ce message d'espérance! Le Peuple de Dieu est tout entier un peuple missionnaire. L'Évangile de cette messe souligne avec force l'urgence de poursuivre la mission du Christ parmi toutes les nations et toutes les cultures. L'Église est envoyée à tous les hommes, dans la diversité des sociétés, pour leur annoncer le salut qui leur est offert par Dieu. Les chrétiens sont tous responsables de cette mission.Ensemble, ils ont à oeuvrer pour que s'établisse le Royaume de Dieu, qui est « la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu » [7], tissant les liens de la solidarité qui transforment les rapports entre les hommes et créent dans la société des conditions plus justes et plus fraternelles. « Il est absolument nécessaire que chaque fidèle laïc ait toujours vive conscience d'être un "membre de l'Église", à qui est confiée une tâche originale, irremplaçable et qu'il ne peut déléguer, une tâche à remplir pour le bien de tous » [8]. En communion avec les Pasteurs, je vous encourage à donner un élan vigoureux à l'apostolat des laïcs et à poursuivre la recherche de nouvelles formes de présence de l'Église dans la société.

Votre région a donné à l'Église de nombreux apôtres. Depuis plusieurs siècles, d'innombrables missionnaires, hommes et femmes, sont allés sur tous les continents pour annoncer le Christ. Je voudrais saluer et encourager les prêtres, les religieux, les religieuses, les laïcs missionnaires qui, chez vous et à travers le monde, se consacrent avec générosité à l'annonce de l'Évangile, malgré les difficultés, et parfois au prix de leur vie.

Chers amis les jeunes, n'ayez pas peur de répondre généreusement au Christ qui vous invite à vous mettre à sa suite! Dans la vocation sacerdotale ou religieuse, vous trouverez la richesse et la joie du don de vous-mêmes pour le service de Dieu et de vos frères. Vos diocèses ont une longue tradition missionnaire.Ne la laissez pas s'éteindre. Tant d'hommes et de femmes attendent des témoins de la Lumière et de l'Espérance!

7. Nous bénissons le Dieu de l'Alliance parce que votre pays doit beaucoup au message de l'Évangile dans l'histoire de ses communautés et de sa culture. Nous souhaitons que l'Église en France, poursuivant sa marche sur les traces de ses pères dans la foi, fière de sa tradition millénaire, continue à exercer un rayonnement salutaire dans l'histoire des peuples et des nations. Le témoignage rendu à l'Évangile n'est pas une conquête humaine, il est service de Dieu et du prochain. Exprimant lumineusement ce qui est au centre de l'activité missionnaire, sainte Thérèse de Lisieux écrivait: «Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même ». Vous aussi, allez annoncer l'Évangile à vos frères et à vos soeurs! Avec tous les hommes de bonne volonté, construisez la civilisation de l'amour! En marchant sans hésiter à la suite du Christ, le Sauveur du monde, témoignez de l'amour de Dieu offert à tous les hommes!

Je suis heureux d'avoir prié avec vous tous ici en Bretagne. Je salue avec affection les nombreux jeunes présents; c'est une bonne espérance pour Paris l'an prochain. Au nom du Seigneur je vous dis bon courage! Vous êtes la joie de l'Église. Et encore merci pour votre présence en si grand nombre; surtout de jeunes amis et des jeunes couples. Dieu nous a rassemblés dans la même voie et dans le même amour. Merci de m'avoir accompagné dans ce pèlerinage à Sainte-Anne-d'Auray. Je vous souhaite beaucoup d'espérance et maintenant je dois vous dire que j'ai trouvé ici beaucoup d'espérance.

Merci à tous.

556 [1] Matth. 28, 19-20.

[2] Hebr. 11, 1.

[3] Cfr. Rom. 4, 11-12. 16-17.

[4] Hebr. 11, 10.

[5] Ibid. 11, 13.

[6] Ps. 88, 6.

[7] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, 15.

[8] Eiusdem Christifideles Laïci, 28.




MESSE À L'OCCASION DU XVIe CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT MARTIN




Base aérienne 705 de Tours
Samedi 21 septembre 1996



557 « L'amour du Seigneur, sans fin je le chante » [1].
Chers Frères et Soeurs,

1. En France, voici seize siècles que l'Église chant l'hymne à la charité. Par le témoignage d'hommes vivants, l'Eglise chante la louange de la charité écrite par saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens [2].

Cette louange monte de plusieurs régions de votre pays. Saint Martin de Tours est un témoin remarquable de la charité évangélique. Chaque année, le 11 novembre, la liturgie nous rappelle sa haute figure. Sa vie est un récit des merveilles accomplies par Dieu en lui, Les événements qui la composent devinrent pour ainsi dire symboliques: liés à la figure de ce saint, d'abord soldat puis Évêque, ils furent largement connus dans toute l'Église.

La ville dont il fut l'Évêque reçoit aujourd'hui l'Évêque de Rome, garant de l'unité de l'Église pour laquelle oeuvra Martin. Je remercie cordialement Monseigneur Jean Honoré, Archevêque de Tours et successeur de saint Martin, pour les paroles de bienvenue qu'il m'a adressées et je salue de tout coeur les Cardinaux et les Évêques de France et d'autre pays qui se joignent à nous. Je vous salue tous. Je vous salue, chers fidèles de ce diocèse et des diocèses voisins. L'année martinienne en cours est pour vous une occasion privilégiée de ressaisir le meilleur de votre patrimoine spirituel. Je pense aussi tout particulièrement aux chrétiens de Blois et du Loir-et-Cher dont le diocèse fut fondé voici trois siècles.

Je souhaite la bienvenue aux membres du Bureau du Conseil des Églises chrétiennes en France qui ont bien voulu se joindre à notre prière aujourd'hui, j'adresse aussi un cordial salut aux personnalités ci viles qui prennent part a cette célébration en l'honneur d'une grande figure de votre nation.

2. Né à des centaines de kilomètres d'ici, en Pannonie, ça veut dire en Hongrie, où je viens de me rendre, saint Martin parcourut des distances considérables pour « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres ». Aujourd'hui, merci au Cardinal Lásló Paskai d'avoir pris le même chemin. Pour amour de saint Martin. Son culte se répandit non seulement en France, mais dans toute l'Europe. La puissance durable de son rayonnement joua un rôle important dans la conversion du roi Clovis et dans la vie du peuple français. Des milliers d'églises et de paroisses reçurent le nom de Martin.

Nous connaissons tous l'événement célèbre de la vie de saint Martin, ce qu'il fit le jour ou, étant encore soldat, il rencontra un pauvre, nu et tremblant de froid. Martin prit son manteau, le coupa en deux et en couvrit le malheureux.C'est exactement ce que dit l'Évangile selon saint Matthieu que nous venons d'entendre: « J'étais nu et vous m'avez habillé » [3]. Lors du Jugement dernier, Jésus adressera ces paroles à ceux qu'il mettra à sa droite, à ceux qui auront fait du bien. Ils demanderont alors: « Seigneur, quand t'avons-nous vu? Tu étais nu et nous t'avons habillé? » [4]. Et le Christ leur répondra: « En vérité, je vous le dis: chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » [5].

En donnant au pauvre d'Amiens la moitié de son manteau, Martin traduisit par un geste concret les paroles de Jésus annonçant le Jugement dernier: lorsqu'en présence du Fils de l'homme se rassembleront « toutes les nations, il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres: il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche » [6]. Et il dira à ceux qui sont à sa droite: « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde » [7]. En contemplant la vie de saint Martin, notamment son ardeur à pratiquer l'amour du prochain, l'Église a eu immédiatement la conviction que l'Évêque de Tours se trouvait au nombre des élus.

3. Pour reconnaître le Christ présent dans « chacun de ces petits » qui sont les siens [8], il faut en avoir perçu la présence dans le recueillement intérieur. Homme de prière, Martin laissa le Christ le saisir tout entier. Il pouvait redire comme saint Paul: « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » [9]. Son existence fut caractérisée par une recherche de la simplicité. Appelé contre son gré à l'épiscopat, il conserva le sens de l'humilité et demeura le moine qu'il avait voulu être dès son adolescence. Lui qui avait été l'un des fondateurs du monachisme d'Occident, il eut à coeur d'avoir à ses côtés, près de Tours, une communauté monastique pour mener une vie de louange à la gloire de Dieu et pratiquer les vertus chrétiennes, en particulier le pardon reçu et donné.

4. Évangélisateur des bourgs et des campagnes, Martin fut un fondateur dont l'oeuvre subsiste de nos jours comme un appel à répandre l'Évangile « jusqu'aux extrémités de la terre » [10]. Chers Frères et Soeurs, l'édification de l'Église continue. Animez vos paroisses et vos communautés avec toute la force de l'espérance! Il faut s'interroger: comment la communauté chrétienne peut-elle proposer et défendre les valeurs évangéliques, dans un monde qui souvent les méconnaît? Laissez la parole du Christ vous saisir et mettez-la en pratique dans la vie de chaque jour! Écoutez la parole que l'Église transmet de la part du Seigneur, sachez la comprendre et la transmettre clairement!

558 Vous avez reçu des dons variés, mais dans un même Esprit [11]. Les uns se dévouent davantage à l'animation de la communauté avec leurs pasteurs, notamment pour rendre la liturgie vivante et belle; d'autres se mettent plus spontanément au service humble et généreux des pauvres, des étrangers, des malades; d'autres sauront mieux porter à leurs frères et soeurs la Bonne Nouvelle pour leur dire comment le Christ éclaire les routes de la vie. Que chacun accueille dans la prière ce que l'Esprit lui suggère, que chaque baptisé, à tout âge, prenne sa part de responsabilité et de service, dans des communautés d'Église unies, ouvertes et amicales! Vous avancerez ainsi sur la route tracée par saint Martin: il avait compris que le Christ veut rejoindre tous les hommes et leur dire qu'ils sont aimés par Dieu et appelés à le connaître. Jésus a livré sa vie par amour pour l'humanité entière. Et vous qui êtes configurés au Christ par le baptême, comment répondrez vous à son amour?

5. Saint Martin demeura bon pasteur jusqu'au bout. Un récit de sa mort nous a été transmis. Il fit siennes les paroles de saint Paul: « Soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps » [12]. Ce que nous lisons dans la lettre aux Philippiens constitue d'une certaine manière le modèle auquel il s'est conformé. Comme saint Paul, il. pouvait dire: « Pour moi, vivre, c'est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux: je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » [13]. À l'approche de sa mort, comme l'Apôtre, Martin exprime son désir de mourir, pour être avec le Christ, et il accepte de continuer à servir comme pasteur, si les hommes ont besoin de lui. Cette attitude symbolise toute la vérité de l'existence chrétienne.

6. L'Évangile est la voie qui conduit au Christ et, par Lui, à la maison du Père. Et tous ses disciples veulent parvenir à cette maison; ils désirent être avec le Christ. Mais une telle perspective ne dispense pas ceux qui confessent le Christ de s'engager dans la vie quotidienne. En suivant le Christ, les hommes de la trempe de saint Martin sont conscients que ce chemin passe par les multiples formes de service du prochain, à commencer par la première d'entre elles, l'annonce du salut opéré par le Christ. Ce service vous fera avancer vers la maison du Père, sur les voies ouvertes par le Christ.

Frères et Soeurs, saint Martin vous laisse un témoignage exceptionnel d'appartenance au Christ. Sa disponibilité totale est pour vous un modèle et un encouragement: continuez à annoncer l'Évangile, comme il le fit lui-même, « à temps et à contretemps » [14]! Offrez votre vie au Christ avec confiance et sérénité: il la prendra et lui fera donner le meilleur d'elle-même.

Saint Martin a été un apôtre admirable, mais il ne suffit pas de sen souvenir. Dans les conditions différentes d'aujourd'hui, soyez à votre tour des membres vivants de l'Église vivante, des communautés unies et accueillantes, sachant « rendre compte de l'espérance qui est en elles » [15]. Quelques années seulement nous séparent du troisième millénaire: soyez au rendez-vous! Saint Martin de Tours vous accompagne.

Heureux êtes-vous, chrétiens de France, d'avoir mérité de recevoir un tel Patron à l'aube de votre histoire!

Merci, Église de Tours. Que le soleil t'accompagne aujourd'hui comme hier, à Sainte-Anne-Auray! Félicitations!

[1] Cfr. Ps 88 (87), 2.

[2] Cfr. 1 Cor. 13, 1-13.

[3] Matth. 25, 36.

[4] Ibid. 25, 38.

559 [5] Ibid. 25, 40.

[6] Ibid. 25, 32-33.

[7] Ibid. 25, 34.

[8] Cfr. ibid. 25, 35.

[9] Gal. 2, 20.

[10] Cfr. Matth. 28, 20.

[11] Cfr. Cor. 12, 4.

[12] Phil. 1, 20.

[13] Ibid. 1, 21-24.

[14] 2 Tim. 4, 2.

[15] Cfr. 1 Petr. 3, 15.





CÉLÉBRATION DE LA PAROLE

AVEC LES MALADES ET LES PERSONNES QUI SOUFFRENT

560 Basilique saint Martin à Tours
Samedi 21 septembre 1996



Chers Frères et Soeurs,
« Heureux êtes-vous, car le Royaume des cieux est â vous! ».

1. Je vous salue tous avec affection, car j'attache une importance à notre rencontre. Vos visages expriment l'espérance; vos visages parlent aussi de Dieu, car vous avez du prix à ses yeux. Saint Martin nous réunit cet après-midi dans la basilique où se trouve son tombeau. Toute son existence, il a cherché à vivre en plénitude le message des Béatitudes, tel que nous venons de l'entendre à nouveau. Il nous accompagne invisiblement et je lui demande de venir nous éclairer, puisqu'il fut l'un des plus grand: apôtres de l'Évangile sur le sol de votre pays. En lui, l'Église reconnaît l'exemple du chrétien totalement tourné vers son prochain: il a donné vie pour ses frères, à la suite du Christ.

Chacune des béatitudes a été vécue par saint Martin: pauvre de coeur, il a tout attendu de Dieu, sans compter sur ses propres forces physiques, intellectuelles ou spirituelles. Dans un esprit d'abandon, il a su que la volonté du Christ sur lui était son unique raison de vivre. Doux, il a abandonné les armes pour servir son prochain. Ému par la détresse spirituelle de son époque, il a parcouru les campagnes, « annonçant aux pauvres la Bonne Nouvelle, aux captifs la délivrance, aux affligés la joie ». Affamé et assoiffé de justice, il a su instaurer une manière de vivre selon la justice de Dieu, qui surpasse celle des hommes. «Uni au Seigneur par une très tendre miséricorde » [1], il fut un homme de pardon et vint au secours des pauvres que Dieu mettait sur son chemin. Homme au coeur pur, il sut résister aux tentations. Artisan de paix, il réussit à résoudre bien des conflits de son époque, sans refuser « le poids du jour et des travaux » [2]. Persécuté pour la justice, il montra que le Christ remplit toute une vie et mérite d'être suivi coûte que coûte.

2. Dans la société actuelle, nous connaissons trop de formes de pauvreté, de tristesse et d'affliction. La pauvreté matérielle, la maladie, la souffrance physique, les divers types d'exclusion qui frappent nos contemporains, ces formes du malheur sont multiples: personne ne peut être sûr d'y échapper au cours de sa vie. Certains en subissent même plusieurs, car elles s'engendrent mutuellement. Et il vient un moment où toute issue semble fermée, où la vie n'apparaît plus comme un don de Dieu, mais comme un fardeau. C'est alors que la béatitude des affligés prend tout son sens. Le Christ a osé proclamer que ceux qui pleurent sont heureux et seront consolés [3]. Il affirme qu'ils sont appelés au bonheur sans fin. Par son amour infini, le Seigneur répond ainsi au désir d'être heureux qui habite le coeur de tout homme. Qu'y a t-il, en effet, de plus grand et de plus important que d'être aimé et d'être reconnu pour soi-même, pour la beauté de son être intérieur, qui ne dépend ni des apparences ni de l'intérêt immédiat que l'on peut représenter pour les autres?

Comme saint Martin, nous sommes invités à ouvrir les yeux et à reconnaître dans le pauvre qui meurt de froid à la porte de la ville dans l'étranger qui frappe â notre porte, un frère à accueillir et à aimer. Une société est jugée au regard qu'elle porte sur les blessés de la vie et à l'attitude qu'elle adopte à leur égard. Chacun de ses membres devra un jour répondre de ses paroles et de ses actes envers ceux que personne ne regarde, envers ceux devant qui on se détourne. Le pauvre d'Amiens, est-il dit dans la «Vie de saint Martin », «avait beau supplier les passants d'avoir pitié de sa misère, ils passaient tous leur chemin » [4]. Par leur indifférence, ils n'ont pas su reconnaître leur frère. En ignorant le prochain, ils ont bafoué une part de leur propre humanité. Ce jour-là, aucun d'eux n'a su voir le Christ qui mourait de froid dans la personne du pauvre.

Tout être meurtri dans son corps ou dans son esprit, toute personne privée de ses droits les plus élémentaires, est une vivante image du Christ. « Dans les pauvres et les souffrants, l'Église reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant » [5]. Par sa mort sur la Croix, le Christ, qui a connu la souffrance extrême, nous demeure proche. Mais en contemplant le mystère de sa Passion, nous découvrons l'espérance offerte par le Seigneur. Par son amour pour nous, Il nous a ouvert un chemin nouveau. Par sa Résurrection au matin de Pâques, Il atteste que la mort et la souffrance n'ont plus sur l'homme le dernier mot et qu'un avenir est toujours possible. Une existence qui, à échelle humaine, pouvait paraître engagée dans une impasse est devenue un passage. Oui, chers amis, vous sur qui pèse la souffrance, vous êtes au premier rang de ceux que Dieu aime. Comme pour tous ceux qu'Il rencontrait sur les routes de Palestine, Jésus a posé sur vous un regard plein de tendresse; son amour ne vous fera jamais défaut. Parce que depuis votre origine vous êtes enfants de Dieu, vous avez, dans l'Église, Corps du Christ, une place de choix.

Devant la multiplication des atteintes à la dignité et à l'intégrité des personnes, devant l'augmentation du nombre des exclus, il faut trouver de nouveaux modes de vie personnels et collectifs qui permettent de surmonter les crises, surtout dans des pays qui, comme le vôtre, disposent d'abondantes ressources humaines et naturelles. De nouvelles formes de solidarité sont à mettre en place, aussi bien à l'intérieur de chaque société qu'entre les nations. Pour garantir à tous l'accès au travail, ne conviendrait-il pas de revoir certaines pratiques et d'aider à une plus juste répartition des biens? Ceux qui ont la chance d'avoir des revenus suffisants sont-ils prêts à partager davantage avec ceux qui ne parviennent pas à vivre décemment? Un style de vie plus sobre permettrait à beaucoup d'éviter le gaspillage et d'être plus attentifs aux besoins de leur prochain.

Chaque être humain, aussi démuni soit-il, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et rien ne peut lui faire perdre cette dignité. Quelle que soit son origine, quel que soit le poids de son épreuve, refuser de le voir, c'est se condamner à ne rien comprendre à la vie.

561 3. Écoutons le message des Béatitudes: « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde! » [6]. La miséricorde dont parle le Christ, c'est la tendresse de Dieu; le pardon en est une expression éminente. Le coeur miséricordieux se laisse aussi toucher par la misère d'autrui et demeure inquiet tant qu'il n'a pas fait tout ce qui est en son pouvoir pour apporter réconfort à ceux qui sont dans le besoin. Pour entrer dans le Royaume, il faut avoir ce coeur miséricordieux, non seulement sensible à la détresse, mais aussi capable de soulager la souffrance, de briser les solitudes et de s'engager activement pour accueillir ses frères et ses soeurs démunis.

Les miséricordieux obtiendront miséricorde. « Tout ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait » [7], leur dira le Christ au dernier jour. Le bonheur de l'éternité sera le bonheur de voir Dieu et de le reconnaître dans la personne de tous ceux qui auront été mis par lui sur notre route, avec lesquels nous vivrons définitivement de l'amour qui ne passera jamais. Ce bonheur, nous le pressentons dès aujourd'hui. L'Évangile nous invite à agir fraternellement à l'égard de notre prochain, précisément parce qu'en lui Dieu est présent et nous attend. La relation a Dieu est indissociable de l'amour du prochain, et notamment du pauvre que nous rencontrons.

4. L'attention portée aux pauvres est l'un des critères majeurs de l'appartenance au Christ. Elle doit marquer l'engagement temporel du chrétien. La foi s'accompagne d'une action en faveur de nos frères en humanité, car « l'amour du Christ nous presse » [8] à servir tout homme, celui que nous aimons et celui que nous n'aimons pas assez. C'est pourquoi je lance un appel en faveur d'une solidarité réelle entre tous. Quand donc seront véritablement respectés les droits de chacun au travail, au logement, à la culture, à la santé, à une existence digne de ce nom? L'Église manquerait gravement à sa mission si elle ne rappelait ce devoir impérieux de tout mettre en oeuvre, dans les sociétés riches de l'Occident comme dans toute société, pour extirper les fléaux qui ne cessent de sévir sur la surface de notre planète. Le Christ est venu « apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres » [9]. Aucun de ses disciples, aucun de ses frères n'est dispensé de prendre part à ce travail exigeant, salutaire et gratifiant..

5. Que saint Martin vous guide chaque jour! Qu'il vous inspire les paroles, les gestes, les attitudes d'amour, de fraternité, de compassion qui vous aideront à vivre! Voici mille six cents ans qu'il intercède auprès du Père pour ceux qui ont recours à lui avec confiance. Si vous le priez, il n'abandonnera aucun de vous, aucun de ceux qu'il voit peiner sur les chemins sinueux de la vie. À la porte d'Amiens, Martin donna la moitié de son manteau. Qu'il demeure notre modèle de charité réelle et vraie!

En signe de l'amour qui vient de Dieu, en gage de l'espérance fondée sur le Christ, je vous donne de grand coeur la Bénédiction Apostolique et je l'étends à tous ceux que vous représentez, à tous ceux qui souffrent d'une blessure et demandent au Seigneur de venir la guérir. Je veux le dire à notre monde: le partage est source de bonheur! La Joie est possible! Que Dieu vous garde toujours!

[1] Sulpicius Severus.

[2] Matth. 20, 12.

[3] Cfr. ibid. 5, 5.

[4] Vita Sancti Martini, 3, 1.

[5] Lumen Gentium, 8.

[6] Matth. 5, 7.

562 [7] Ibid. 25, 40.

[8] 2 Cor. 5, 14.

[9] Luc. 4, 18.


MESSE À L'OCCASION DU XVe CENTENAIRE

DU BAPTÊME DE CLOVIS


Aéroport de Reims
Dimanche 22 septembre 1996



Chers Frères et Soeurs de France ici rassemblés,

L'Évêque de Rome salue en cette commémoration solennelle. d'un événement marquant de l'histoire de votre pays. Je remercie l'Archevêque de Reims, Monseigneur Defois, de son accueil, ainsi que tous les Évêques qui m'entourent. Et je suis heureux de la présence de pasteurs et de fidèles venus des pays voisins qui partagent le même héritage. Je salue spécialement les Cardinaux et les Évêques venus de nombreux pays d'Europe.

J'adresse un salut fraternel aux représentants des autres confessions chrétiennes, dont la présence témoigne de leurs liens amicaux avec les catholiques de France. Je voudrais aussi offrir mes voeux fervents à la communauté juive, qui entre ce soir dans le jeûne et la prière de Kippour. Je salue cordialement les Autorités civiles qui s'associent à cette célébration festive.

2. « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » [1].

La liturgie de cette Messe nous invite à retrouver les sources de notre baptême.Voici quinze siècles, le roi des Francs, Clovis, reçut ce sacrement. Son baptême eut le même sens que tout autre baptême. Rappelons-nous les paroles du Christ: « Personne, à moins de naître de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » [2]. Il fut ainsi donné au souverain des Francs d'être appelé à la vie du Royaume de Dieu. Il avait longtemps médité le message chrétien dont témoignaient auprès de lui Clotilde, Remi, Vaast, Geneviève. Il fit le choix de renoncer à l'esprit du mal, à tout ce qui conduit au mal et à tout orgueil; en même temps, il professait la foi de l'Église et il adhérait au Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour la rédemption du monde. Le baptême l'a libéré du péché originel et de tout péché commis antérieurement et, par la grâce sanctifiante, l'a fait participer à la vie de Dieu. Ses compatriotes baptisés avec lui reçurent les mêmes dons, Ils devinrent chrétiens, fils adoptifs de Dieu. Ils devinrent aussi membres du Peuple de Dieu, l'Église.


Homélies St Jean-Paul II 553