Homélies St Jean-Paul II 599

Célébration eucharistique sur l'esplanade de Kubwa à Abuja


«Vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu» (@EP 2,19@).


Très chers frères et soeurs dans le Christ,

600 1. Ces paroles de la Lettre de saint Paul aux Ephésiens prennent une signification particulière, ici, dans la nouvelle capitale fédérale, la Ville d'Abuja. De façon très réelle, cette ville souhaite représenter l'aube d'une nouvelle ère pour le Nigeria et les Nigérians, une ère pleine d'espérance au cours de laquelle chaque citoyen nigérian, chaque homme et chaque femme, est appelé à jouer un rôle dans la construction d'une nouvelle réalité sur cette terre. Le Nigeria, comme toute l'Afrique, recherche les moyens de satisfaire les aspirations de son peuple, pour laisser derrière lui les conséquences de la pauvreté, des conflits, des guerres, du désespoir, pour pouvoir utiliser de façon adaptée les immenses ressources du continent et parvenir à la stabilité politique et sociale. L'Afrique a besoin d'espérance, de paix, de joie, d'harmonie, d'amour et d'unité: c'est ce qu'ont affirmé les Pères de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Evêques (cf. Ecclesia in Africa ). C'est ce que nous demandons aujourd'hui à Dieu dans notre prière.

De la ville d'Abuja, je désire exprimer mon estime et mon affection à tous les Nigérians: à vous qui êtes présents à cette liturgie eucharistique et à ceux qui la suivent à la télévision ou à la radio. J'adresse un salut particulier à Mgr John Onaiyekan, aux autres évêques, aux prêtres, aux religieux et aux fidèles laïcs de toutes les Eglises locales du Nigeria et d'autres parties d'Afrique. Je salue les fonctionnaires du gouvernement, les chefs des religions traditionnelles et les autres représentants des Autorités présentes ce matin. Je souhaite une cordiale bienvenue aux membres des autres Eglises et communautés ecclésiales chrétiennes, représentées par la Christian Association of Nigeria, et aux fidèles des autres Traditions religieuses qui se sont joints à nous, en particulier aux membres de la Communauté musulmane.

2. Chers frères et soeurs dans le Christ, seize ans se sont désormais écoulés depuis ma dernière visite au Nigeria. La chaleur avec laquelle vous m'avez accueilli me donne encore une fois l'impression d'être chez moi. Et ne sommes-nous pas tous invités à nous sentir chez nous en tant que membres de l'unique grande famille de Dieu? C'est précisément ce que nous dit saint Paul: nous sommes de «la maison de Dieu», c'est-à-dire des membres de la famille de Dieu!

Dans l'ordre naturel, la famille représente le fondement et la base de toutes les communautés et sociétés humaines. Du noyau constitué par la famille dérivent les clans, les tribus, les peuples et les Etats; la grande famille des nations africaines naît elle aussi en définitive de la famille humaine composée d'un mari et d'une femme, d'une mère, d'un père et d'enfants.

La culture et la tradition africaine tiennent la famille en très haute considération. C'est pourquoi les peuples de l'Afrique se réjouissent du don d'une vie nouvelle, une vie conçue et née; ils rejettent spontanément l'idée que la vie puisse être détruite dans le sein maternel, même lorsque les soi-disant «civilisations avancées» cherchent à les conduire dans cette direction; ils manifestent du respect pour la vie humaine jusqu'à son terme naturel et réservent une place à leurs parents et aux parents âgés au sein de la famille (cf. Ecclesia in Africa ). Les cultures africaines ont un sens aigu de la solidarité et de la vie communautaire, en particulier en ce qui concerne la famille étendue et le village (cf. ibid.). Ce sont des signes que vous comprenez et qui satisfont aux exigences de cette justice et de cette intégrité dont parle le prophète Isaïe dans la première Lecture (cf. Is
Is 56,1). C'est précisément dans les relations au sein de la famille et entre les familles, que la justice et l'intégrité deviennent une réalité tangible et un engagement pratique.

3. Lorsque cet ordre naturel est élevé à l'ordre surnaturel, nous devenons des membres de la famille de Dieu et nous sommes édifiés dans une maison spirituelle où demeure l'Esprit de Dieu. Toutefois, comment ce qui est naturel peut-il accéder à ce qui est surnaturel? Comment se fait-il que nous devenions des membres de la famille de Dieu et que nous soyons transformés en temples saints pour l'Esprit de Dieu?

La réalité de la famille, telle qu'elle existe au niveau culturel et social, est élevée par la grâce et conduite à un niveau supérieur. Parmi les baptisés, les relations au sein de la famille acquièrent un caractère nouveau: elles deviennent une communion de vie et d'amour comblée de grâce, au service de la communauté plus vaste. En outre, elles édifient l'Eglise, la famille de Dieu (cf. Lumen gentium LG 6). L'Eglise, à travers sa mission évangélisatrice et sa présence active dans chaque partie du monde, confère une nouvelle signification au concept même de famille et, en conséquence, au concept de nation comme «famille de familles» et à celui du monde comme «familles des nations».

Hier, à Onitsha, une merveilleuse manifestation du caractère universel de la famille de Dieu, qui inclut réellement tous les peuples, a été la béatification; c'est la première cérémonie de ce genre qui se soit jamais déroulée sur le sol nigérian, en l'honneur de l'un des fils du Nigeria. Il s'est agi d'une fête en famille pour le peuple et la nation nigérians. En même temps, cela a été une célébration pour toute la famille de Dieu: toute l'Eglise de Dieu, dans le monde entier, s'est réjouie avec l'Eglise qui est au Nigeria et qui a reçu à présent du Nigeria l'exemple édifiant de la vie et du témoignage du bienheureux Cyprian Michael Iwene Tansi.

En termes humains, le Père Tansi était un fils de ce pays, né dans l'Etat d'Anambra. Toutefois, dans l'ordre surnaturel de la grâce, il est devenu quelque chose de plus: sans perdre son origine naturelle, il a transcendé ses origines terrestres et est devenu, selon les paroles de saint Paul, un membre «de la maison de Dieu», «car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même» (Ep 2,19-20).

A travers la grâce, il a été comblé «de joie dans la [...] maison de prière» (Is 56,7). Il a compris que la maison de Dieu est «une maison de prière pour tous les peuples» (ibid.). C'est une maison de prière pour les Housa, les Yoruba, les Igbo. C'est une maison de prière pour les Efik, les Tiv, les Edo, les Gwari et pour de nombreux autres peuples, trop nombreux pour être cités, qui habitent cette terre du Nigeria. Cependant, elle ne l'est pas seulement pour tous ces peuples, mais pour tous les peuples de l'Afrique, de l'Europe, de l'Asie, de l'Océanie et des Amériques: «Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples»!

4. Dans l'Evangile d'aujourd'hui, Jésus lui-même nous enseigne comment comprendre la famille de Dieu et pourquoi elle concerne tous les peuples: il nous dit: «Car quiconque fait la volonté de mon père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère» (Mt 12,50).

601 A travers cette phrase, Jésus révèle un des secrets de son Royaume.

Il nous parle de la relation avec Marie, sa mère. Peu importe combien Jésus l'aimait car elle était sa Mère, il l'aimait encore davantage car elle accomplissait la volonté du Père céleste. Lors de l'Annonciation elle a répondu «oui» à la volonté de Dieu, manifestée par l'ange Gabriel (cf.
Lc 1,26-38). Elle a partagé chacune des phases de la vie et de la mission de son Fils, jusqu'au pied de la Croix (cf. Jn 19,25). Comme Marie, nous apprenons nous aussi à accepter que chaque relation humaine est renouvelée, élevée, purifiée et reçoit une nouvelle signification à travers la grâce du Christ: «Grâce à Lui nous trouvons tous, en un seul Esprit, le chemin vers le Père [...] édifiés pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit» (cf. Ep Ep 2, 18, 22).

C'est la maison spirituelle que les missionnaires ont commencé à édifier, il y a plus de cent ans. Le Nigeria a contracté à leur égard une grande dette de gratitude pour leurs efforts d'évangélisation, accomplis en particulier dans les écoles, les hôpitaux et les autres domaines du service social. A l'exemple de ces courageux messagers de l'Evangile, l'Eglise catholique qui est au Nigeria est profondément engagée dans la lutte pour le développement humain intégral. Dieu a béni l'Eglise qui est au Nigeria, au point que les missionnaires nigérians travaillent en dehors de leurs diocèses, dans d'autres pays africains et sur d'autres continents. Guidés par vos évêques et vos prêtres, toute la communauté catholique doit continuer à suivre ce chemin, en collaborant avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, à travers un intense dialogue oecuménique et interreligieux.

Dans le but d'édifier la maison spirituelle de Dieu, l'Eglise invite tous ses membres à répondre avec une inépuisable compassion à ceux qui sont dans le besoin: aux pauvres, aux malades et aux personnes âgées, aux réfugiés qui ont dû fuir la violence et les conflits dans leur pays natal, aux hommes, aux femmes et aux enfants frappés par le SIDA, qui continue à faire de nombreuses victimes sur ce continent et dans le monde entier, à toutes les personnes victimes de persécutions, de la douleur et de la pauvreté. L'Eglise enseigne le respect à l'égard de chaque personne humaine, pour chaque vie humaine. Elle prêche la justice et l'amour et insiste sur les devoirs autant que sur les droits: les droits et les devoirs des citoyens, des patrons et des travailleurs, du gouvernement et du peuple.

En effet, il existe des droits humains fondamentaux dont aucun individu ne pourra jamais légitimement être privé, car ils sont enracinés dans la nature même de la personne humaine et reflètent les exigences objectives et inviolables d'une loi morale universelle. Ces droits servent de fondement et de paramètre à toute société et organisation humaine. Le respect pour chaque personne humaine, pour sa dignité et ses droits, doit toujours inspirer et être le principe à la base de vos efforts pour développer la démocratie et renforcer le tissu social de votre pays. La dignité de chaque être humain, ses droits fondamentaux inaliénables, l'inviolabilité de la vie, de la liberté et de la justice, le sens de la solidarité et le refus de la discrimination: telles sont les pierres avec lesquelles il faut construire un Nigeria nouveau et meilleur.

5. Toute l'Eglise se prépare à célébrer le second millénaire de la naissance du Christ, le Verbe de Dieu qui s'est fait homme. Je vous dis donc: aujourd'hui, vous êtes l'espérance de notre Eglise qui va avoir deux mille ans. Etant jeunes dans la foi, vous devez être comme les premiers chrétiens et faire rayonner l'enthousiasme et le courage. Empruntez le chemin de la sainteté. Vous serez ainsi un signe de Dieu dans le monde et vous revivrez dans votre pays l'aventure missionnaire de l'Eglise primitive (cf. Ecclesia in Africa ).

Le grand Jubilé souhaite donner vie à l'esprit de renouveau proclamé par le prophète Isaïe et confirmé par Jésus: annoncer l'heureux message aux pauvres, proclamer la libération aux prisonniers, rendre la vue aux aveugles, remettre en liberté les opprimés (cf. Lc 4,18). Faites de cet esprit le climat authentique de votre vie nationale. Que cette période de transition soit une période de liberté, de pardon, d'union et de solidarité!

Le bienheureux Cyprian Michael Tansi comprit clairement qu'il est impossible d'obtenir quelque chose de durable au service de Dieu et du pays sans une véritable sainteté et une véritable charité. Prenez-le comme exemple. Adressez-lui vos prières pour les besoins de vos familles et de toute la nation.

Avec gratitude pour tout ce que la Divine Providence continue à accomplir pour le peuple du Nigeria, nous répétons avec les paroles du Psalmiste:

«Chantez à Yahvé, bénissez son nom! [...]
Racontez au païens sa gloire,
602 à tous les peuples ses merveilles!» (Ps 95,2-3).
Amen.

A la fin de la Sainte Messe, le Pape a ajouté les paroles suivantes:

Merci pour cette belle liturgie. Je suis certain que le Cardinal Arinze est très fier de vous, ainsi que le Cardinal Gantin et le Cardinal Tomko, mais surtout votre Archevêque d'Abuja.


CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX


XIIIe Journée mondiale de la Jeunesse
Dimanche 5 Avril 1998


1. « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » (Lc 19,38).

Le Dimanche des Rameaux nous fait revivre l'entrée de Jésus à Jérusalem, à l'approche de Pâques. Le passage évangélique nous l'a présenté alors qu'il entre dans la ville, entouré d'une foule en fête. On peut dire que ce jour-là, les attentes d'Israël à l'égard du Messie atteignirent leur sommet. Il s'agissait d'attentes alimentées par les paroles des prophètes antiques et confirmées par Jésus de Nazareth à travers son enseignement et, en particulier, à travers les signes accomplis.

Jésus répondit ainsi aux pharisiens qui lui demandaient de faire taire la foule: « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19,40). Il se référait, en particulier, aux murs du temple de Jérusalem, construit en vue de la venue du Messie et reconstruit avec un grand soin après avoir été détruit au moment de la déportation babylonienne. La mémoire de la destruction et de la reconstruction du temple était demeurée vivante dans la conscience d'Israël et Jésus faisait référence à cette conscience lorsqu'il affirmait: « Détruisez ce Sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2,19). De la même façon que l'antique temple de Jérusalem fut détruit et reconstruit, le nouveau temple parfait du corps de Jésus devait mourir sur la Croix et ressusciter le troisième jour (cf. ibid., 2, 21-22).

2. En entrant à Jérusalem, Jésus sait cependant que la joie manifestée par la foule l'introduit au coeur du « mysterium » du salut. Il est conscient qu'il va à la rencontre de la mort et qu'il ne recevra pas une couronne royale, mais une couronne d'épine.

Les lectures de la célébration d'aujourd'hui portent l'empreinte de la souffrance du Messie et atteignent leur sommet dans la description que l'évangéliste Luc fait de celle-ci dans le récit de la passion. Cet indicible mystère de douleur et d'amour est présenté par le prophète Isaïe, qui est considéré comme l'évangéliste de l'Ancien Testament, ainsi que par le Psaume responsorial et le refrain que nous venons de chanter: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? »Saint Paul le reprend dans sa Lettre aux Philippiens, dont s'inspire l'antienne qui nous accompagnera au cours du « Triduum Sacrum »: « Obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! » (cf. 2, 8). Lors de la veillée pascale, nous ajouterons: « Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom, qui est au dessus de tout nom » (Ph 2,9).

603 Lors de la célébration eucharistique, l'Eglise fait chaque jour mémoire de la passion,dela mort et de la résurrection du Seigneur: « Nous annonçons ta mort, Seigneur,— reprennent les fidèles après la consécration — nous proclamons ta résurrection, en attendant ta venue ».

3. Depuis plus de dix ans, le Dimanche des Rameaux est devenu un rendez-vous attendu pour la célébration de la Journée mondiale de la Jeunesse. Le fait que l'Eglise, précisément en ce jour, prête son attention aux jeunes est, en lui-même, très éloquent. Et non seulement parce qu'il y a deux mille ans, ce furent les jeunes en fête qui accompagnèrent le Christ, lors de son entrée triomphale à Jérusalem — pueri Hebraeorum —, mais surtout parce qu'après vingt siècles d'histoire chrétienne, les jeunes, guidés par leur sensibilité et une juste intuition, découvrent dans la liturgie du Dimanche des Rameaux un message qui leur est adressé en particulier.

Chers jeunes, le message de la Croix vous est aujourd'hui reproposé. C'est à vous, qui serez les adultes du troisième millénaire, qu'est confiée cette Croix qui sera remise d'ici peu par un groupe de jeunes français à une délégation de la jeunesse de Rome et d'Italie. De Rome à Buenos Aires; de Buenos Aires à Saint-Jacques-de-Compostelle; de Saint-Jacques-de-Compostelle à Czéstochowa; de Jasna Góra à Denver; de Denver à Manille; de Manille à Paris; cette Croix a pérégriné avec les jeunes, d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre. Votre choix, jeunes chrétiens, est clair: découvrir dans la Croix du Christ le sens de votre existence et la source de votre enthousiasme missionnaire.

Dès d'aujourd'hui, elle partira en pèlerinage dans les diocèses d'Italie, jusqu'à la Journée mondiale de la Jeunesse de l'An 2000, qui sera célébrée ici à Rome, à l'occasion du grand Jubilé. Ensuite, à l'arrivée du nouveau millénaire, elle reprendra sa marche à travers le monde entier, montrant ainsi que la Croix marche avec les jeunes et que les jeunes marchent avec la Croix.

4. Comment ne pas rendre grâce au Christ pour cette alliance singulière, qui rassemble les jeunes croyants? A présent, je voudrais remercier tous ceux qui, en guidant les jeunes dans cette initiative providentielle, ont contribué au grand pèlerinage de la Croix sur les routes du monde. Je pense en particulier avec affection et reconnaissance au très cher Cardinal Eduardo Pironio, récemment disparu. Il fut présent et présida de nombreuses célébrations de la Journée mondiale de la Jeunesse. Que le Seigneur le comble des récompenses célestes promises aux serviteurs bons et fidèles!

Tandis que dans un instant, la Croix passera de façon symbolique de Paris à Rome, permettez que l'Evêque de cette ville proclame avec la liturgie: Ave Crux, spes unica! Nous te saluons, ô Sainte Croix! En toi, vient à nous Celui qui, il y a vingt siècles, fut acclamé par d'autres jeunes et par la foule à Jérusalem: « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ».

Nous nous unissons tous à ce chant en répétant: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!

Oui! Béni sois-tu, ô Christ, qui aujourd'hui aussi viens à nous avec ton message d'amour et de vie. Et bénie ta Sainte Croix, de laquelle jaillit le salut du monde hier,a ujourd'hui et à jamais.

Ave Crux! Loué soit Jésus-Christ!



MESSE CHRISMALE


Basilique Saint-Pierre
Jeudi Saint 9 avril 1998


604 1. «L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction» (Lc 4,18).

Ces paroles du Livre du prophète Isaïe, rapportées par l'évangéliste Luc, reviennent plusieurs fois dans la liturgie chrismale d'aujourd'hui, et en constituent presque le fil conducteur. Elles rappellent un geste rituel qui possède une longue tradition dans l'Ancienne Alliance, car il se répète dans l'histoire du Peuple élu lors de la consécration de prêtres, de prophètes et de rois. A travers le signe de l'onction, Dieu lui-même confie la mission sacerdotale, royale et prophétique aux hommes qu'Il appelle, et il rend sa bénédiction visible pour l'accomplissement de la tâche qui leur est confiée.

Ceux qui ont été oints dans l'Ancienne Alliance, l'ont été en vue d'une seule personne, de celui qui devait venir: le Christ, l'unique et définitif «Consacré», l'«Oint» par excellence. Ce sera l'Incarnation du Verbe qui révélera le mystère de Dieu Créateur et Père qui, à travers l'onction de l'Esprit Saint, envoie son Fils unique dans le monde.

A présent, il se tient dans la synagogue de Nazareth. Nazareth est son village: c'est là qu'Il a vécu et travaillé pendant des années à un humble établi de charpentier. Aujourd'hui, cependant, Il est présent dans la synagogue revêtu d'une qualité nouvelle: sur les rives du Jourdain, après le baptême de Jean, il a reçu l'investiture solennelle de l'Esprit, qui l'a poussé à commencer la mission messianique pour accomplir la volonté salvifique du Père. Et maintenant, il se présente à ses concitoyens en prononçant les paroles d'Isaïe: «L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur» (Lc 4,18-19). C'est là qu'il conclut sa lecture et, après une pause, il prononce quelques paroles qui coupent le souffle à ses auditeurs: «Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture» (Lc 4,21). La déclaration ne laisse place à aucun doute: Il est l'«Oint», Il est le «Consacré»; c'est à Lui que le prophète Isaïe fait allusion. C'est en Lui que s'accomplit la promesse du Père.

2. Aujourd'hui, Jeudi saint, nous sommes rassemblés dans la Basilique Saint-Pierre pour méditer sur cet événement: comme les consacrés de l'Ancienne Alliance, nous aussi, nous tournons notre regard vers Celui que le Livre de l'Apocalypse appelle «le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts, le Prince des rois de la terre» (1, 5). Nous regardons vers Celui qu'ils ont transpercé (cf. Jn 19,37). En donnant sa vie pour nous libérer du péché (cf. Jn 15,13), Il nous a révélé son «grand amour»; il s'est présenté comme le véritable et définitif Consacré par l'onction qui, dans la puissance de l'Esprit Saint, nous rachète au moyen de la Croix. C'est sur le Calvaire que s'accomplissent en plénitude les paroles suivantes: «L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction» (Lc 4,18).

Cette consécration et le sacrifice de la Croix constituent respectivement l'inauguration et l'accomplissement de la mission du Verbe incarné. De l'acte suprême d'amour consommé sur le Golgotha, le Jeudi saint commémore la manifestation sacramentelle instituée par Jésus au Cénacle, alors que le Vendredi saint en souligne l'aspect historique dramatique et cruel. Dans sa double dimension, ce sacrifice marque le début de la «nouvelle» onction de l'Esprit Saint et représente le gage de la descente du Paraclet sur les Apôtres et sur l'Eglise qui, dans un certain sens, célèbre donc aujourd'hui sa naissance.

3. Chers frères prêtres, nous sommes réunis ce matin autour de la table eucharistique le jour saint où nous faisons mémoire de la naissance de notre sacerdoce! Aujourd'hui, nous célébrons l'«onction» particulière qui, dans le Christ, est aussi devenue la nôtre. Lorsque, durant le rite de notre Ordination, nos mains ont été ointes par l'évêque avec le saint chrême, nous sommes devenus des ministres saints et des signes efficaces de la rédemption et participants de l'onction sacerdotale du Christ. A partir de ce moment, la puissance de l'Esprit Saint, qui s'est répandue sur nous, a transformé notre existence pour toujours. Cette puissance divine est toujours présente en nous et elle nous accompagnera jusqu'à la fin.

Alors que nous nous apprêtons à entrer dans les jours saints où nous commémorerons la mort et la résurrection du Seigneur, nous voulons renouveler notre action de grâce à l'Esprit Saint pour le don inestimable qui nous a été fait dans le sacerdoce. Comment ne pas nous sentir les débiteurs de Celui qui a voulu nous associer à cette admirable dignité? Que ce sentiment nous pousse à rendre grâce au Seigneur pour les merveilles qu'il a accomplies au cours de notre existence; qu'il nous aide à considérer avec une ferme espérance notre ministère, en demandant humblement pardon pour nos infidélités éventuelles.

Que Marie nous soutienne car, comme Elle, nous nous laissons conduire par l'Esprit pour suivre Jésus jusqu'au terme de notre mission terrestre. J'ai écrit dans la Lettre de cette année aux prêtres: «Accompagné par Marie, le prêtre saura renouveler chaque jour sa consécration, jusqu'à ce que, sous la conduite de l'Esprit lui-même, invoqué avec confiance sur la route humaine et sacerdotale, il pénètre dans l'océan de lumière de la Trinité» (n. 7).

Dans cette perspective et avec cette espérance, nous poursuivons avec confiance la route que le Seigneur ouvre devant nous jour après jour. Son Esprit divin nous soutient et nous aide.

Veni, Sancte Spiritus! Amen.



605 Le Saint-Père préside la Messe «in Cena Domini» dans la basilique Saint-Jean-de-Latran

HOMÉLIE


Jeudi 9 avril 1998


1. «Verbum caro, panem verum/ Verbo carnem efficit...».

«La Parole du Seigneur/transforma le pain et le vin:/ le pain en chair, le vin en sang,/il les consacra en mémoire./Ce ne sont pas les sens, mais la foi, qui prouva cette vérité».

Ces expressions poétiques de saint Thomas d'Aquin résument bien la liturgie des Vêpres «in Cena Domini» d'aujourd'hui, et nous aident à entrer dans le coeur du mystère que nous célébrons. Nous lisons dans l'Evangile: «Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (Jn 13,1). Aujourd'hui est le jour au cours duquel nous rappelons l'institution de l'Eucharistie, don de l'amour et source intarissable d'amour. C'est en elle qu'est écrit et enraciné le nouveau commandement: «Mandatum novum do vobis...»: «Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres» (Jn 13,34).

2. L'amour atteint son sommet dans le don que la personne fait d'elle-même, sans réserve, à Dieu et à ses frères. En lavant les pieds des Apôtres, le Maître leur présente une attitude de service: «Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres» (Jn 13,13-14). A travers ce geste, Jésus révèle un trait caractéristique de sa mission: «Je suis au milieu de vous comme celui qui sert» (Lc 22,27). Le véritable disciple du Christ est donc uniquement celui qui «prend part» à son expérience, devenant comme Lui prêt à servir les autres également à travers le sacrifice personnel. En effet, le service, c'est-à-dire prendre soin des besoins de son prochain, constitue l'essence de tout pouvoir bien ordonné: régner signifie servir. Le ministère sacerdotal, dont nous célébrons et vénérons l'institution, suppose une attitude de disponibilité humble, avant tout envers les plus indigents. Ce n'est qu'à cette lumière que nous pouvons saisir pleinement l'événement de la dernière Cène, que nous commémorons.

3. Le Jeudi saint est qualifié par la liturgie d'«aujourd'hui eucharistique», jour au cours duquel «Jésus-Christ notre Seigneur confia à ses disciples le mystère de son Corps et de son Sang, afin qu'ils le célébrassent en sa mémoire» (Canon romain pour le Jeudi saint). Avant d'être immolé sur la Croix le Vendredi saint, Il institua le Sacrement qui perpétue son offrande en tout temps. Au cours de toute Sainte Messe, l'Eglise fait mémoire de cet événement historique décisif. Avec une vive émotion, le prêtre, sur l'autel, se penche sur les dons eucharistiques pour prononcer les mêmes paroles que prononça le Christ «la nuit où il fut livré». Il répète sur le pain: «Ceci est mon corps, qui est [donné] pour vous» (1Co 11,24), puis sur la coupe de vin: «Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang» (1Co 11,25). Depuis ce Jeudi saint, il y a presque deux mille ans, jusqu'à ce soir, Jeudi saint de l'année 1998, l'Eglise vit à travers l'Eucharistie, se laisse former par l'Eucharistie, et continue de la célébrer dans l'attente du retour de son Seigneur.

Faisons nôtre, ce soir, l'invitation de saint Augustin: O Eglise bien-aimée, «manduca vitam, bibe vitam: habebis vitam, et integra est vita!»: «mange la vie, bois la vie: tu auras la vie et elle restera intacte!» (Sermo CXXXI, I, 1).

4. «Pange, lingua, gloriosi/Corporis mysterium/Sanguinisque pretiosi...». Nous adorons ce «mysterium fidei», dont se nourrit sans cesse l'Eglise. Le sens vif et émouvant du don suprême qu'est pour nous l'Eucharistie se ravive dans notre coeur.

Tout comme se ravive la gratitude liée à la reconnaissance du fait qu'il n'y a rien en nous qui n'ait été donné par le Père de toute miséricorde (cf. 2Co 1,3). L'Eucharistie, le grand «mystère de la foi», reste avant tout et surtout un don, quelque chose que nous avons «reçu». C'est ce que répète saint Paul, en commençant son récit de la dernière Cène par ces paroles: «Pour moi, en effet, j'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis» (1Co 11,23). L'Eglise l'a reçu du Christ et, en célébrant ce sacrement, elle rend grâce au Père céleste pour ce qu'Il a fait pour nous dans Jésus, son Fils.

Nous accueillons lors de chaque célébration eucharistique ce don toujours nouveau: laissons son pouvoir divin imprégner nos coeurs et les rendre capables d'annoncer la mort du Seigneur dans l'attente de sa venue. «Mysterium fidei» chante le prêtre après la consécration, et les fidèles répondent: «Mortem tuam annuntiamus, Domine...»: «Nous annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue». La somme de la foi pascale de l'Eglise est contenue dans l'Eucharistie.

606 Ce soir également, nous rendons grâce au Seigneur, qui a institué ce grand sacrement. Nous le célébrons et nous le recevons pour trouver en lui la force d'avancer sur les chemins de l'existence en attendant le jour du Seigneur. Nous serons alors introduits dans la demeure où le Christ, le Prêtre suprême, est entré à travers le sacrifice de son Corps et de son Sang.

5. «Ave, verum corpus, natum de Maria Vergine»: «Nous te saluons, véritable corps, né de la Vierge Marie», prie aujourd'hui l'Eglise. Que Marie nous accompagne dans cette «attente de sa venue», elle dont Jésus a pris corps, le même corps que nous partageons ce soir fraternellement dans le banquet eucharistique.

«Esto nobis praegustatum mortis in examine»: «Qu'il nous soit déjà donné de goûter ta personne au moment décisif de la mort». Oui, prends-nous par la main, ô Jésus Eucharistie, en cette heure suprême qui nous introduira dans la lumière de ton éternité: «O Iesu dulcis! O Iesu pie! O Iesu, fili Mariae!».

JEAN-PAUL II

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE POUR LA VEILLÉE PASCALE

(11 avril 1998)

1. «Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance» (Gn 1,26). «Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme» (Gn 1,27).


En cette Veillée pascale, la liturgie proclame le premier chapitre du Livre de la Genèse, qui évoque le mystère de la création et, en particulier, de la création de l'homme. Une fois encore notre attention se concentre sur le mystère de l'homme, qui se manifeste pleinement dans le Christ et par le Christ.

«Fiat lux», «faciamus hominem» [Que la lumière soit - Faisons l'homme] : ces paroles de la Genèse trouvent toute leur vérité, quand elles sont passées au creuset de la Pâque du Verbe (cf. Ps Ps 11 [12], 7). Pendant le calme du Samedi saint, dans le silence de la Parole, elles arrivent à la plénitude de leur signification : cette «lumière» est une lumière nouvelle, qui ne connaît pas de déclin; cet «homme» est «l'homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l'image de Dieu» (Ep 4,24).

La nouvelle création se réalise dans la Pâque. Dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ tout est sauvé, et tout redevient parfaitement bon, selon le dessein originel de Dieu.

Avant tout, l'homme, fils prodigue qui a dilapidé dans le péché le bien précieux de sa liberté, recouvre sa dignité perdue. «Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram» [Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance]. Comme ces paroles résonnent vraies et profondes dans la nuit de Pâques ! Et quelle ineffable actualité elles revêtent pour l'homme de notre temps, si conscient de sa capacité à dominer l'univers, mais souvent si désorienté par rapport au sens authentique de son existence, dans laquelle il ne sait plus reconnaître les traces du Créateur !

2. À ce propos, me viennent à l'esprit quelques passages de la Constitution Gaudium et spes du Concile Vatican II, qui s'harmonisent bien avec l'admirable symphonie des lectures de la Veillée pascale. En effet, à le considérer attentivement, ce document conciliaire révèle un caractère profondément pascal, aussi bien dans son contenu que dans son inspiration originelle. Nous y lisons : «En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. En effet, Adam, le premier homme, était la figure de l'homme à venir (cf. Rm Rm 5,14), c'est-à-dire, du Christ Seigneur. Le Christ...est "l'Image du Dieu invisible" (Col 1,15). Il est l'homme parfait qui a restauré pour les fils d'Adam la ressemblance divine, déformée depuis le premier péché... Par son incarnation, le Fils de Dieu lui-même s'est en quelque sorte uni à tout homme... En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous suivions ses traces, mais il a ouvert une voie nouvelle : si nous la suivons, la vie et la mort sont sanctifiées et acquièrent un sens nouveau. Devenu conforme à l'image du Fils qui est le Premier-né d'une multitude de frères, le chrétien reçoit les "prémices de l'Esprit" (Rm 8,23)... Par cet esprit, qui est le "gage de l'héritage" (Ep 1,14), tout l'homme est intérieurement renouvelé jusqu'à la "rédemption du corps" (Rm 8,23) : "Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par l'Esprit qui habite en vous" (Rm 8,11). Le chrétien... associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l'espérance, va au-devant de la résurrection» (n. 22).

3. Ces paroles du récent Concile nous proposent de nouveau le mystère de la vocation de tout baptisé. Elles vous le proposent de façon particulière à vous, chers catéchumènes, qui, selon l'antique tradition de l'Église, allez recevoir le Baptême au cours de cette Veillée sainte. Nous vous saluons avec affection et nous vous remercions de votre témoignage.


Homélies St Jean-Paul II 599