Homélies St Jean-Paul II 1168

VOYAGE APOSTOLIQUE À BERN (SUISSE)


5 - 6 JUIN 2004




6 juin 2004, Messe sur l'Esplanade de l’Allmend à Berne

Dimanche 6 juin 2004
«Béni soit Dieu le Père, et le Fils unique de Dieu, ainsi que le Saint-Esprit, car il nous a traités avec amour» (Antienne d’ouverture)


1. En ce premier dimanche après la Pentecôte, l’Église nous invite à célébrer le mystère de la Sainte Trinité. Nous le faisons, chers Frères et Soeurs, dans un décor superbe de sommets enneigés, de vertes vallées riches en fleurs et en fruits, de nombreux lacs et de torrents, qui rendent admirable votre terre. Notre méditation est guidée par la première lecture, qui nous amène à contempler la Sagesse divine «lorsque Dieu affermissait les cieux... chargeait de puissance les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l’abîme; lorsqu’il imposait à la mer ses limites... lorsqu’il établissait les fondements de la terre» (Pr 8,27-29).

Cependant, notre regard ne doit pas uniquement se tourner vers la création, «oeuvre des mains de Dieu» (Psaume responsorial); il se rend spécialement attentif aux personnes qui nous environnent. Je vous salue avec affection, chers Frères et Soeurs de cette merveilleuse région située au coeur de l’Europe. J’aimerais serrer la main à chacun de vous pour le saluer personnellement et lui dire : «Le Seigneur est avec toi et il t’aime !».

Je salue fraternellement les Évêques de Suisse, avec leur Président Monseigneur Amédée Grab, Évêque de Coire, ainsi que Monseigneur Kurt Koch, Évêque de Bâle, que je remercie pour les paroles qu’il m’a adressées en votre nom à tous. J’adresse mes salutations déférentes à Monsieur le Président de la Confédération Helvétique ainsi qu’aux Autorités, qui nous honorent de leur présence.

1169 Enfin, j’adresse un salut particulier et plein d’affection à tous les jeunes catholiques de Suisse, que j’ai rencontrés hier soir au Palais Bern Expo, où nous avons écouté ensemble l’invitation exigeante et enthousiasmante de Jésus : «Levez-vous!». Chers jeunes amis, sachez que le Pape vous aime, qu’il vous accompagne par la prière quotidienne, qu’il compte sur votre collaboration pour l’annonce de l’Évangile et qu’il vous encourage avec confiance à avancer sur le chemin de la vie chrétienne.

2. «Ce que nous croyons de ta gloire, parce que tu l’as révélé», dirons-nous dans la Préface. Notre assemblée eucharistique est le témoignage et la proclamation de la gloire du Très-Haut et de sa présence agissante dans l’histoire. Soutenus par l’Esprit que le Père nous a envoyé par l’intermédiaire de son Fils, «la détresse elle-même fait notre orgueil, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance; la persévérance produit la valeur éprouvée; la valeur éprouvée produit l’espérance» (
Rm 5,3-4).

Chers Frères, je demande au Seigneur de pouvoir être au milieu de vous un témoin de l’espérance, de l’espérance qui «ne trompe pas», parce qu’elle est fondée sur l’amour de Dieu qui «a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint» (Rm 5,5). C’est de cela que le monde a aujourd’hui particulièrement besoin: d’un supplément d’espérance!

3. «Tu es un seul Dieu, tu es un seul Seigneur» (Préface). Les trois Personnes divines, égales et distinctes, sont un seul Dieu. Leur distinction réelle ne divise pas l’unité de la nature divine.

Cette communion profonde, le Christ nous la propose comme modèle, à nous ses disciples : «Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé». (Jn 17,21). La célébration du mystère de la Sainte Trinité constitue chaque année pour les chrétiens un pressant appel à l’engagement pour l’unité. C’est un appel qui nous concerne tous, pasteurs et fidèles, qui nous incite à une conscience renouvelée de notre responsabilité dans l’Église, Épouse du Christ. Comment ne pas voir, avec ces paroles du Christ, l’impérieuse préoccupation oecuménique ? J’affirme aussi de nouveau, à cette occasion, notre volonté d’avancer sur le chemin difficile, mais riche de joie, de la pleine communion de tous les croyants.

Toutefois, il est certain qu’une forte contribution à la cause oecuménique viendra de la volonté des catholiques de vivre l’unité entre eux. Dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j’ai souligné la nécessité de «faire de l’Église la maison et l’école de la communion» (n. 43), tenant le regard du coeur fixé «sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères» (ibid.). C’est ainsi que se nourrit «la spiritualité de la communion», qui, partant des lieux dans lesquels se façonne l’homme et le chrétien, rejoint les paroisses, les associations, les mouvements. Une Église locale dans laquelle fleurira la spiritualité de la communion saura se purifier constamment des «toxines» de l’égoïsme, qui engendrent jalousies, méfiances, replis frileux, oppositions nuisibles.

4. L’évocation de ces risques suscite en nous une prière spontanée à l’Esprit Saint, que Jésus a promis de nous envoyer : «Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière» (Jn 16,13).

Qu’est-ce que la vérité, Jésus a dit un jour: «Je suis le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14,6). La juste formulation de la question n’est donc pas «Qu’est-ce que la vérité ?», mais «Qui est la vérité ?».

Telle est la question que se pose aussi l’homme du troisième millénaire. Chers Frères et Soeurs, nous ne pouvons pas nous taire, parce que nous la connaissons. La vérité est Jésus Christ, venu dans le monde pour nous révéler et nous donner l’amour du Père. Nous sommes appelés à témoigner de cette vérité par la parole mais surtout par notre vie !

5. Chers Amis, l’Église est mission ! Elle a besoin, aujourd’hui encore, de «prophètes» capables de réveiller dans la communauté la foi dans le Verbe, révélateur de Dieu riche en miséricorde (cf. Ep 2,4). Le temps est venu de préparer de jeunes générations d’apôtres qui n’auront pas peur de proclamer l’Évangile. Pour tout baptisé, il est essentiel de passer d’une foi de convenance à une foi mûre, qui s’exprime clairement dans des choix personnels clairs, convaincus et courageux.

Seule une telle foi, célébrée et partagée dans la liturgie et dans la charité fraternelle, peut nourrir et fortifier la communauté des disciples du Seigneur et construire l’Église missionnaire, libérée des fausses peurs parce qu’assurée de l’amour du Père.

1170 6. «L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint» (Rm 5,5). Ce n’est pas un mérite qui nous revient; c’est un don gratuit. Malgré le poids de notre péché, Dieu nous a aimés et nous a rachetés par le sang du Christ. Sa grâce nous a guéris en profondeur.

C’est pourquoi nous pouvons proclamer avec le Psalmiste: «Comme il est grand, Seigneur, ton amour, dans tout l’univers !». Comme il est grand en moi, dans les autres, en tout être humain !

Telle est la véritable source de la grandeur de l’homme, telle est la racine de son indestructible dignité. En tout être humain se reflète l’image de Dieu. C’est ici la plus profonde «vérité» de l’homme qui, en aucun cas, ne peut être niée ou violée. En définitive, tout outrage fait à l’homme constitue un outrage à son Créateur, qui l’aime avec un amour de Père.

La Suisse a en effet une grande tradition de respect pour l’homme. Il s’agit de la tradition qui est placée sous le signe de la Croix: la Croix-Rouge !

Chrétiens de ce noble Pays, soyez toujours à la hauteur de votre glorieux passé ! En tout être humain sachez reconnaître et honorer l’image de Dieu ! En l’homme, créé par Dieu, se reflète la gloire de la Sainte Trinité.

Disons donc: «Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit: au Dieu qui est, qui était et qui vient» (Acclamation à l’Évangile). Amen !



10 juin 2004: Solennité du Corpus Domini

Basilique de Saint-Jean-de-Latran
Jeudi 10 juin 2004



1. "Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne" (1Co 11,26).

Avec ces paroles, saint Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe que la "cène du Seigneur" n'est pas seulement une rencontre conviviale, mais également - et surtout - le mémorial du sacrifice rédempteur du Christ. Celui qui y prend part - explique l'Apôtre - s'unit au mystère de la mort du Seigneur, il s'en fait même l'"annonciateur".

1171 Il existe donc un rapport très étroit entre "célébrer l'Eucharistie" et "annoncer le Christ". Entrer en communion avec Lui dans le mémorial de la Pâque signifie, dans le même temps, devenir missionnaires de l'événement que ce rite actualise; d'une certaine façon, cela signifie le rendre contemporain de chaque époque, jusqu'au retour du Seigneur.

2. Très chers frères et soeurs, nous revivons aujourd'hui cette merveilleuse réalité dans la solennité du Corpus Domini, dans laquelle l'Eglise célèbre non seulement l'Eucharistie, mais la porte solennellement en procession, en annonçant publiquement que le Sacrifice du Christ est pour le salut du monde entier.

Reconnaissante pour ce don immense, elle se rassemble autour du Très Saint Sacrement, car c'est là que se trouve la source et le sommet de son être et de son action. Ecclesia de Eucharistia vivit! L'Eglise vit de l'Eucharistie et sait que cette vérité n'exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais contient de manière synthétique le noyau du mystère qu'elle-même représente (cf. Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia
EE 1).

3. Depuis que, à la Pentecôte, le Peuple de la Nouvelle Alliance "a commencé son pèlerinage vers la patrie céleste, le divin Sacrement a continué à marquer ses journées, les remplissant d'espérance confiante" (ibid.). C'est précisément en pensant à cela que j'ai voulu consacrer la première Encyclique du nouveau millénaire à l'Eucharistie et je suis heureux d'annoncer à présent une Année de l'Eucharistie spéciale. Celle-ci débutera lors du Congrès eucharistique mondial, prévu du 10 au 17 octobre 2004 à Guadalajara (Mexique), et se terminera avec la prochaine Assemblée ordinaire du Synode des Evêques, qui se tiendra au Vatican du 2 au 29 octobre 2005 et dont le thème sera: "L'Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission de l'Eglise".

A travers l'Eucharistie, la Communauté ecclésiale est édifiée comme la Jérusalem nouvelle, principe d'unité dans le Christ entre personnes et peuples différents.

4. "Donnez-leur vous-mêmes à manger" (Lc 9,13).

La page évangélique que nous venons à peine d'entendre offre une image suggestive du lien intime existant entre l'Eucharistie et cette mission universelle de l'Eglise. Le Christ, "pain vivant descendu du ciel" (Jn 6,51 cf. Acclamation à l'Evangile ), est l'unique qui puisse rassasier la faim de l'homme à chaque époque et en chaque lieu de la terre.

Cependant, Il ne veut pas le faire tout seul, et ainsi, comme lors de la multiplication des pains, il interpelle les disciples: "Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, les rompit, et il les donnait aux disciples pour les servir à la foule" (Lc 9,16). Ce signe prodigieux est la représentation du plus grand mystère d'amour qui se renouvelle chaque jour lors de la Messe: à travers les ministres ordonnés, le Christ donne son Corps et son Sang pour la vie de l'humanité. Et ceux qui se nourrissent avec dignité à sa Table, deviennent les instruments vivants de sa présence d'amour, de miséricorde et de paix.

5. "Lauda, Sion, Salvatorem...! - Sion, loue le Seigneur / ton guide, ton pasteur / à travers des hymnes et des cantiques".

C'est avec une profonde émotion que nous entendons retentir dans notre coeur cette invitation à la louange et à la joie. Au terme de la Messe nous porterons en procession le Divin Sacrement jusqu'à la basilique Sainte-Marie-Majeure. En tournant notre regard vers Marie, nous comprendrons mieux la force transformatrice que possède l'Eucharistie. En nous mettant à son écoute, nous trouverons dans le mystère eucharistique le courage et la force pour suivre le Christ Bon Pasteur et pour le servir chez nos frères.





29 juin 2004: Solennité des Sts Pierre et Paul - Homélie du Saint-Père et homélie du PatriarcheBartholomaios I

1172 Mardi 29 juin 2004



Paroles d'introduction du Pape:

Très chers frères et soeurs, le passage de l'Evangile que nous venons d'écouter en grec et en latin, nous invite à approfondir la signification de la fête des saints Apôtres Pierre et Paul d'aujourd'hui.

Je désire à présent vous inviter à écouter les réflexions que le Patriarche oecuménique, Sa Sainteté Bartholomaios I, nous présentera, en tenant compte du fait que nos deux voix parlent d'unité.



Homélie de Sa Sainteté Bartholomaios I, Patriarche oecuménique de Constantinople :

Votre Sainteté,

C'est avec des sentiments de joie et de tristesse que nous venons à Vous en ce jour important de la fête des saints Pierre et Paul, pour manifester notre amour à l'égard de la personne de Votre Sainteté et de tous les membres de l'Eglise-soeur de Rome, qui célèbre sa fête patronale. En nous réjouissant avec vous, nous regrettons toutefois que manque ce qui aurait pleinement complété notre joie à tous deux, c'est-à-dire le rétablissement de la pleine communion entre nos Eglises.

Aujourd'hui, nous concentrons notre regard sur l'heureux quarantième anniversaire de la rencontre à Jérusalem - en 1964 - de nos prédécesseurs de vénérée mémoire; une rencontre qui a mis fin au chemin de notre éloignement réciproque et qui a constitué le début du rapprochement entre nos Eglises.

Au cours de ce nouveau chemin, ont été accomplis de nombreux pas vers le rapprochement réciproque. Des dialogues ont été instaurés, des rencontres ont eu lieu, des lettres ont été échangées; l'amour s'est accru, mais nous ne sommes pas encore parvenus à l'objectif désiré. Il n'a pas été possible d'éliminer en quarante ans les oppositions qui se sont accumulées au cours de plus de neuf cent ans.

L'espérance - qui va de pair avec la foi et avec l'amour qui espère toujours - est l'un des dons importants de Dieu. Nous aussi, nous espérons que ce qui n'a pas été possible jusqu'à aujourd'hui sera obtenu à l'avenir, et, nous souhaitons, que ce soit un avenir proche. Peut-être s'agira-t-il d'un avenir lointain, mais notre attente et notre amour ne peuvent être soumis à de brèves limites temporelles. Notre présence ici aujourd'hui exprime dans toute son évidence notre désir sincère d'éliminer tous les obstacles ecclésiaux qui ne sont pas dogmatiques ou essentiels, afin que notre intérêt se concentre sur l'étude des différences essentielles et des vérités dogmatiques qui ont divisé jusqu'à aujourd'hui nos Eglises, ainsi que sur la façon de vivre la vérité chrétienne de l'Eglise unie.

Loin du désir de lier notre nom à des objectifs que seul l'Esprit Saint peut obtenir, nous n'attribuons pas à nos actions une efficacité plus grande que celle que Dieu voudra bien leur donner. Toutefois, en manifestant notre désir, nous oeuvrons inlassablement en vue de l'objectif pour lequel nous prions chaque jour: "l'union de tous". Conscient en écoutant la prière sacerdotale de Jésus Christ de combien notre unité est nécessaire - afin que le monde croie qu'Il vient de Dieu - nous collaborons avec vous afin de parvenir à cette unité et nous exhortons chacun à prier avec ferveur pour le succès de nos efforts communs.

1173 Très chers chrétiens,

L'unité des Eglises - dont nous parlons et pour laquelle nous demandons vos prières - n'est pas une unité terrestre, semblable aux unions d'Etats, aux corporations de personnes et de structures à travers lesquelles se crée une plus haute union organisative. Cela est très facile à réaliser et toutes les Eglises ont déjà constitué diverses organisations au sein desquelles elles collaborent dans différents secteurs.

L'unité à laquelle les Eglises aspirent est une recherche spirituelle qui vise à vivre ensemble la communion spirituelle avec la personne de notre Seigneur Jésus Christ. Elle ne pourra avoir lieu que lorsque nous aurons tous "l'esprit du Christ", l'"amour du Christ", "la foi du Christ", "l'humilité du Christ", "la disposition sacrificielle du Christ" et - en général - lorsque nous vivrons tout ce qui est du Christ comme lui l'a vécu ou, du moins, lorsque nous désirerons sincèrement vivre comme il veut que nous vivions.

Dans le cadre de cet effort spirituel très délicat, apparaissent des difficultés dues au fait que la plupart d'entre nous présentent très souvent leurs positions, leurs opinions et leurs évaluations comme si elles étaient des expressions de l'esprit, de l'amour et, en général, de l'esprit du Christ. Etant donné que ces opinions et ces évaluations personnelles, et parfois les vécus personnels eux-mêmes, ne coïncident ni entre eux, ni avec le vécu du Christ, des désaccords apparaissent. En bonne foi, à travers les dialogues ecclésiaux, nous cherchons à nous comprendre mutuellement avec une surabondance d'amour; de même que nous tentons de constater en quoi et pourquoi se différencient nos vécus, qui s'expriment à travers des formulations dogmatiques diverses. Nous ne faisons pas de discours abstraits sur des questions théoriques, sur lesquelles notre position n'a pas de conséquences pour la vie. Nous recherchons, parmi tant de vécus, qui s'expriment à travers diverses formulations, celui qui exprime correctement, ou du moins le mieux possible, l'esprit du Christ.

Rappelez-vous du comportement des deux disciples du Christ lorsqu'il ne fut pas accepté par les habitants d'une certaine région. Les deux disciples s'indignèrent et demandèrent au Christ s'ils pouvaient prier Dieu de faire descendre le feu du ciel contre ceux qui avaient refusé de l'accueillir. La réponse du Seigneur fut celle qui a été donnée à tant de chrétiens au cours des siècles: "Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. Car le fils de l'homme n'est pas venu perdre les âmes des hommes, mais les sauver" (
Lc 9,55-56). De nombreuses fois des fidèles, au cours des siècles, ont demandé au Christ d'approuver des oeuvres qui ne s'accordaient pas avec son esprit. Plus encore, ils ont attribué au Christ leurs opinions et enseignements, en soutenant que les uns et les autres interprétaient l'esprit du Christ. C'est de là qu'ont découlé les désaccords entre les fidèles, qui, par conséquent, se sont divisés en groupes prenant la forme actuelle des diverses Eglises.

Aujourd'hui, les efforts communs tendent à vivre l'esprit du Christ, d'une façon qu'il approuverait si on le lui demandait. Un tel vécu présuppose une pureté de coeur, des buts désintéressés, une sainte humilité, en un mot: une sainteté de vie. Les oppositions accumulées et les intérêts séculaires ne nous permettent pas de voir avec clarté et retardent la compréhension commune de l'esprit du Christ, à laquelle succédera également l'unité tant désirée des Eglises, dans le même esprit, dans le même Corps et dans son même Sang. Naturellement, du point de vue spirituel, cela n'a aucun sens d'accepter et de réaliser une union extérieure lorsque demeure la diversité en ce qui concerne l'esprit.

Ainsi, on comprend que l'on ne cherche pas à niveler les traditions, les usages et les habitudes de tous les fidèles et que l'on cherche seulement à vivre en commun la personne de Jésus Christ un, unique et immuable dans l'Esprit Saint, la communion du vécu dans l'événement de l'Incarnation du Logos de Dieu, et de la descente de l'Esprit Saint sur l'Eglise, ainsi que le vécu commun de l'événement de l'Eglise comme Corps du Christ qui récapitule toute chose en lui. Ce vécu spirituel recherché constitue le vécu suprême de l'homme, constitue son union avec le Christ et, par conséquent, le dialogue sur ce point est le plus important de tous. C'est pourquoi nous avons demandé et nous demandons aux chrétiens de prier avec ferveur notre Seigneur Jésus Christ, afin qu'il guide les coeurs vers la réalisation de cette aspiration de façon à ce que, une fois obtenue, nous puissions fêter ensemble, si Dieu le veut, chaque célébration ecclésiale dans la pleine communion spirituelle et la joie. Amen.



Homélie du Saint-Père:

1. "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16). Interrogé par le Seigneur, Pierre, au nom des autres Apôtres également, prononce sa profession de foi.

En celle-ci est affirmé le fondement certain de notre chemin vers la pleine communion. Si, en effet, nous voulons l'unité des disciples du Christ, nous devons repartir du Christ. Comme à Pierre, il nous est demandé à nous aussi de confesser qu'Il est la pierre d'angle, le Chef de l'Eglise. J'ai écrit dans la Lettre encyclique Ut unum sint: "Croire au Christ signifie vouloir l'Eglise; vouloir l'Eglise signifie vouloir la communion de grâce qui correspond au dessein du Père de toute éternité" (n. 9).

2. Ut unum sint! Voilà d'où jaillit notre engagement de communion, en réponse à l'ardent désir du Christ. Il ne s'agit pas d'un vague rapport de bon voisinage, mais du lien indissoluble de la foi théologale en vertu duquel nous avons été destinés non pas à la séparation, mais à la communion.

1174 Nous vivons aujourd'hui avec douleur ce qui, au cours de l'histoire, a rompu notre lien d'unité dans le Christ. Dans cette optique, notre rencontre d'aujourd'hui n'est pas seulement un geste de courtoisie, mais une réponse au commandement du Seigneur. Le Christ est le Chef de l'Eglise et nous voulons ensemble continuer à faire ce qui est humainement possible pour combler ce qui nous sépare encore et qui nous empêche de communier au même Corps et Sang du Seigneur.

3. Avec ces sentiments, je désire exprimer ma profonde reconnaissance à Votre Sainteté, pour sa présence et pour les réflexions qu'elle nous a proposées. Je suis également heureux de célébrer avec vous le souvenir des saints Pierre et Paul, qui coïncide cette année avec le quarantième anniversaire de la rencontre bénie, qui a eu lieu à Jérusalem les 5 et 6 janvier 1964, entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras I.

Votre Sainteté, je désire Vous remercier de tout coeur d'avoir accueilli mon invitation à rendre visible et à réaffirmer aujourd'hui, à travers cette rencontre, l'esprit qui animait ces deux pèlerins particuliers, qui dirigèrent leurs pas l'un vers l'autre, et choisirent de s'embrasser pour la première fois précisément sur le lieu où naquit l'Eglise.

4. Cette rencontre ne peut pas être qu'un souvenir. Elle est un défi pour nous! Elle nous indique le chemin de la redécouverte et de la réconciliation réciproque. Un chemin qui n'est certainement ni facile, ni dépourvu d'obstacles. Dans le geste émouvant de nos prédécesseurs à Jérusalem, nous pouvons trouver la force de surmonter tout malentendu et difficulté, pour nous consacrer sans relâche à cet engagement d'unité.

L'Eglise de Rome s'est placée avec une ferme volonté et une grande sincérité sur la voie de la pleine réconciliation, à travers des initiatives qui se sont révélées, à chaque fois, possibles et utiles. Je désire exprimer aujourd'hui le souhait que tous les chrétiens intensifient leurs efforts, chacun de leur côté, afin d'hâter le jour où se réalisera pleinement le désir du Seigneur: "Que tous soient un" (
Jn 17,11 Jn 17,21). Que notre conscience ne nous reproche pas d'avoir oublié des étapes, d'avoir négligé des opportunités, de n'avoir pas tenté toutes les voies!

5. Nous le savons bien: l'unité que nous recherchons est avant tout un don de Dieu.Mais nous sommes conscients que hâter l'heure de sa pleine réalisation dépend également de nous, de notre prière, de notre conversion au Christ.

Votre Sainteté, en ce qui me concerne, je tiens à confesser que sur la voie de la recherche de l'unité, je me suis toujours laissé guider, comme par une boussole sûre, par l'enseignement du Concile Vatican II. La Lettre encyclique Ut unum sint:, publiée quelques jours avant la mémorable visite de Votre Sainteté à Rome, en 1995, réaffirmait précisément ce que le Concile avait annoncé dans le Décret sur l'oecuménisme Unitatis redintegratio, dont nous célébrons cette année le quarantième anniversaire de la promulgation.

J'ai eu plusieurs fois l'occasion de souligner, en des circonstances solennelles, et je le répète aujourd'hui également, que l'engagement pris par l'Eglise catholique lors du Concile Vatican II est irrévocable. On ne peut y renoncer!

6. Le rite de l'imposition du Pallium aux nouveaux Archevêques métropolitains contribue à compléter la solennité et la joie de la célébration d'aujourd'hui et à l'enrichir de contenus spirituels et ecclésiaux.

Vénérés Frères, le Pallium, que vous recevrez aujourd'hui en présence du Patriarche oecuménique, notre Frère dans le Christ, est un signe de la communion qui vous unit à titre particulier au témoignage apostolique de Pierre et de Paul. Il vous lie à l'Evêque de Rome, Successeur de Pierre, appelé à accomplir un service ecclésial particulier à l'égard du Collège épiscopal tout entier. Je vous remercie de votre présence et je vous présente tous mes voeux pour votre ministère en faveur des Eglises métropolitaines présentes dans diverses Nations. Je vous accompagne volontiers de mon affection et de ma prière.

7. "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!". Combien de fois reviennent dans ma prière quotidienne ces paroles, qui constituent la profession de foi de Pierre! Dans la précieuse icône donnée par le Patriarche Athénagoras I au Pape Paul VI le 5 janvier 1964, les deux saints Apôtres, Pierre le Coryphée et André le Protoclite, s'embrassent, dans un langage éloquent d'amour, sous le Christ glorieux. André a été le premier à se placer à la suite du Seigneur, Pierre a été appelé à confirmer ses frères dans la foi.

1175 Leur baiser sous le regard du Christ est une invitation à poursuivre le chemin entrepris, vers cet objectif d'unité que nous voulons atteindre ensemble.

Qu'aucune difficulté ne nous freine. Mais allons plutôt de l'avant avec espérance, soutenus par l'intercession des Apôtres et par la protection maternelle de Marie, Mère du Christ, Fils du Dieu vivant.



6 août 2004: Messe en la mémoire de Paul VI

Chapelle du Palais pontifical de Castel Gandolfo
Fête de la Transfiguration du Seigneur
Vendredi 6 août 2004




Très chers amis,

ce jour, au cours duquel on célèbre la fête de la Transfiguration du Seigneur, évoque pour nous le souvenir cher et vénéré du Serviteur de Dieu, le Pape Paul VI: le soir du 6 août 1978, c'est précisément dans cette maison qu'il conclut son pèlerinage terrestre. Fidèle imitateur de son Seigneur, il portait dans son coeur la lumière du Mont Thabor, et avec cette lumière, il marcha jusqu'à la fin, portant sa croix avec une joie évangélique.

Le 6 août n'est pas seulement l'anniversaire de sa mort, mais également celle de sa première Encyclique, Ecclesiam suam, qui porte la date de la Transfiguration d'il y a quarante ans. Dans cet extraordinaire Document, Paul VI traça les lignes programmatiques de son Pontificat.

En célébrant l''Eucharistie, une fois encore, nous rendons grâce à Dieu pour avoir donné à l'Eglise cet inoubliable Pasteur. En nous confiant à l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie, nous demandons au Seigneur que l'Eglise d'aujourd'hui et de demain sache toujours tirer profit de ses exemples et de ses enseignements.

PÈLERINAGE APOSTOLIQUE


DU PAPE JEAN-PAUL II


À LOURDES À L'OCCASION DU 150ème ANNIVERSAIRE


DE LA PROMULGATION DU DOGME


DE L’IMMACULÉE CONCEPTION


1176 15 août 2004: Messe dans la Prairie du Sanctuaire de Lourdes

Prairie de la Ribère
Dimanche 15 août 2004



1. «Que soy era Immaculada Councepciou». Les paroles que Marie adressa à Bernadette le 25 mars 1858 résonnent avec une intensité toute particulière en cette année au cours de laquelle l’Église célèbre le cent cinquantième anniversaire de la définition solennelle du dogme proclamé par le Bienheureux Pie IX dans la Constitution apostolique Ineffabilis Deus.

J’ai vivement désiré accomplir ce pèlerinage à Lourdes pour rappeler un événement qui continue à rendre gloire à la Trinité une et indivise. La conception immaculée de Marie est le signe de l’amour gratuit du Père, l’expression parfaite de la rédemption accomplie par le Fils, le point de départ d’une vie totalement disponible à l’action de l’Esprit.

2. Sous le regard maternel de la Vierge, je vous salue tous cordialement, chers Frères et Soeurs venus à la grotte de Massabielle pour chanter les louanges de Celle que toutes les générations proclament bienheureuse (cf.
Lc 1,48).

Je salue en particulier les pèlerins français et leurs évêques, notamment Monseigneur Jacques Perrier, Évêque de Tarbes et Lourdes, que je remercie pour les aimables paroles qu’il m’a adressées au début de cette célébration.

Je salue Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui représente ici le Gouvernement français, ainsi que les autres personnes qui font partie des Autorités civiles et militaires présentes.

Ma pensée affectueuse rejoint aussi tous les pèlerins venus ici de diverses parties de l’Europe et du monde, et tous ceux qui sont unis spirituellement à nous par la radio et la télévision. Je vous salue avec une particulière affection, chers malades, qui êtes venus dans ce lieu béni pour chercher soulagement et espérance. Que la Vierge sainte vous fasse percevoir sa présence et qu’elle réconforte vos coeurs !

3. «En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne...» (Lc 1,39). Les paroles du récit évangélique nous font percevoir avec les yeux du coeur la jeune fille de Nazareth en chemin vers la «ville de Judée» où demeurait sa cousine, pour lui offrir ses services. Ce qui nous touche avant tout en Marie, c’est son attention pleine de tendresse envers sa parente âgée. C’est un amour concret qui ne se limite pas à des paroles de compréhension mais qui s’engage personnellement dans une véritable assistance. A sa cousine, la Vierge ne donne pas simplement quelque chose qui lui appartient; elle se donne elle-même, sans rien demander en retour. Elle a parfaitement compris que, plus qu’un privilège, le don reçu de Dieu est un devoir, qui l’engage envers les autres dans la gratuité qui est le propre de l’amour.

4. «Mon âme exalte le Seigneur...» (Lc 1,46). Lors de sa rencontre avec Élisabeth, les sentiments de Marie jaillissent avec force dans le cantique du Magnificat.Par ses lèvres s’expriment l’attente pleine d’espérance des «pauvres du Seigneur» ainsi que la conscience de l’accomplissement des promesses, parce que Dieu «s’est souvenu de son amour» (cf. Lc Lc 1,54).

1177 C’est précisément de cette conscience que jaillit la joie de la Vierge Marie, qui transparaît dans l’ensemble du cantique: joie de se savoir «regardée» par Dieu malgré sa «faiblesse» (cf. Lc 1,48); joie en raison du «service» qu’il lui est possible de rendre, grâce aux «merveilles» auxquelles l’a appelée le Tout-Puissant (cf. Lc 1,49); joie pour l’avant-goût des béatitudes eschatologiques, réservées aux «humbles» et aux «affamés» (cf. Lc 1,52-53).

Après le Magnificat vient le silence; rien n’est dit des trois mois de la présence de Marie aux côtés de sa cousine Élisabeth. Ou peut-être il nous est dit la chose la plus importante: le bien ne fait pas de bruit, la force de l’amour s’exprime dans la tranquille discrétion du service quotidien.

5. Par ses paroles et par son silence, la Vierge Marie nous apparaît comme un modèle sur notre chemin. C’est un chemin qui n’est pas aisé: par la faute de ses premiers parents, l’humanité porte en elle la blessure du péché, dont les conséquences continuent encore à se faire sentir chez les rachetés. Mais le mal et la mort n’auront pas le dernier mot ! Marie le confirme par toute son existence, en tant que témoin vivant de la victoire du Christ, notre Pâque.

Les fidèles l’ont compris. C’est pourquoi ils accourent en foule près de la grotte, pour écouter les avertissements maternels de la Vierge, reconnaissant en elle «la femme revêtue de soleil» (Ap 12,1), la Reine qui resplendit près du trône de Dieu (cf. Psaume responsorial) et intercède en leur faveur.

6. Aujourd’hui, l’Église célèbre la glorieuse Assomption au Ciel de Marie avec son corps et son âme. Les deux dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption sont intimement liés. Ils proclament tous deux la gloire du Christ Rédempteur et la sainteté de Marie, dont la destinée humaine est dès à présent parfaitement et définitivement réalisée en Dieu.

«Quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi; et là oj je suis, vous y serez aussi», nous a dit Jésus (Jn 14,3). Marie est le gage de l’accomplissement de la promesse du Christ. Son Assomption devient pour nous «un signe d’espérance assurée et de consolation» (Lumen gentium LG 68).

7. Chers Frères et Soeurs ! De la grotte de Massabielle, la Vierge Immaculée nous parle à nous aussi, chrétiens du troisième millénaire. Mettons-nous à son écoute !

Écoutez d’abord, vous les jeunes, vous qui cherchez une réponse capable de donner sens à votre vie. Vous pouvez la trouver ici. C’est une réponse exigeante, mais c’est la seule réponse qui vaut. En elle, réside le secret de la vraie joie et de la paix.

De cette grotte, je vous lance un appel spécial à vous, les femmes. En apparaissant dans la grotte, Marie a confié son message à une fille, comme pour souligner la mission particulière qui revient à la femme, à notre époque tentée par le matérialisme et par la sécularisation: être dans la société actuelle témoin des valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu’avec les yeux du coeur. A vous, les femmes, il revient d’être sentinelles de l’Invisible ! A vous tous, frères et soeurs, je lance un appel pressant pour que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour que la vie, toute vie, soit respectée depuis la conception jusqu’à son terme naturel. La vie est un don sacré, dont nul ne peut se faire le maître.

La Vierge de Lourdes a enfin un message pour tous: le voici: soyez des femmes et des hommes libres ! Mais rappelez-vous: la liberté humaine est une liberté marquée par le péché. Elle a besoin elle aussi d’être libérée. Christ en est le libérateur, Lui qui «nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres» (Ga 5,1). Défendez votre liberté !

Chers Amis, pour cela nous savons que nous pouvons compter sur Celle qui, n’ayant jamais cédé au péché, est la seule créature parfaitement libre. C’est à elle que je vous confie. Marchez avec Marie sur les chemins de la pleine réalisation de votre humanité !



1178 25 août 2004, Célébration de la Parole pour la vénération et la remise de l'Icône de la Mère de Dieu de Kazan'


Homélies St Jean-Paul II 1168