Homélies St Jean-Paul II 688


HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

À L'OCCASION DE LA CLÔTURE

DU IIème SYNODE PLÉNIER NATIONAL POLONAIS


Vendredi 11 juin 1999, Varsovie



1. «Permets-moi d'aller dans les champs glaner des épis» (Rt 2,2).

La liturgie d'aujourd'hui rappelle à nos yeux l'image de la moisson. La première lecture nous montre Ruth la Moabite qui se rend dans les champs de Booz, un homme riche, pour glaner les épis derrière les moissonneurs. Bien que la façon de glaner en Israël fut probablement différente de celle polonaise, il existait toutefois certainement des similitudes et nous pouvons donc nous référer à notre propre expérience. Avec l'image d'une moisson polonaise devant les yeux, nous pensons au II e Synode plénier, qui se conclut aujourd'hui dans la Cathédrale de Varsovie. Lui aussi constitue une sorte de moisson. Au cours des années de travaux synodaux, l'on s'est efforcé de récolter ce que le sol de l'Eglise a produit au cours des dernières décennies du siècle sur la terre polonaise. A travers les travaux du Synode, vous vous êtes efforcés de de rassembler tout cela. Vous vous êtes efforcés avant tout d'observer, de donner un nom, d'évaluer, et de tirer des conclusions. Aujourd'hui, vous portez tout cela et vous le présentez comme une offrande à Dieu, comme le font les moissonneurs après la moisson, qui apportent les gerbes de blé fauché, confiants que ce qu'ils ont récolté sera utile. Comme le pain fait de blé, dans l'espoir que les générations futures pourront s'en nourrir.

2. Depuis le début, l'Eglise polonaise a vu dans les Synodes un instrument efficace pour la réforme et le renouveau de la vie chrétienne, en suivant la pratique, reconnue depuis les temps apostoliques, d'une réflexion commune sur des problèmes importants et difficiles. Après la période ancienne du développement de la vie synodale dans l'Eglise, le Concile de Trente apporta un nouvel élan à cette pratique. Les synodes qui se sont déroulés après le Concile de Trente devinrent, à travers leurs décrets, des éléments valables d'approfondissement de la foi et une indication du chemin évangélique pour toutes les générations du Peuple de Dieu dans notre patrie. Les Archevêques de Gniezno, qui convoquèrent divers synodes provinciaux, eurent un grand mérite à cet égard: les Archevêques Karnkowski, Maciejowski, Gembicki, Wezyk et Lubienski. Ce furent de véritables propagateurs de la réforme conciliaire, qui voyait dans l'institution synodale une voie de renouveau efficace.

Au cours de notre siècle, l'activité synodale s'est intensifiée après que la Pologne eut recouvré l'indépendance. Et ainsi, en 1936, se déroula le Synode plénier pour les cinq métropoles polonaises et de nombreux synodes diocésains eurent lieu. Leur but était de raviver la vie religieuse des fidèles après les longues années de la perte de l'indépendance, ainsi que d'unifier le droit ecclésiastique. La coutume louable de convoquer les synodes se poursuivit après la Seconde Guerre mondiale. En particulier après le Concile oecuménique Vatican II, l'on commença à célébrer des synodes à caractère pastoral. Dans leurs délibérations, ceux-ci s'appuyaient sur l'enseignement et sur les indications du Concile, en faisant participer toute la communauté ecclésiale. Cette brève histoire nous montre que les générations qui se succédaient cherchaient, à travers ces synodes, des voies nouvelles pour mettre en pratique la vie chrétienne, en apportant une contribution précieuse au développement et à l'activité de l'Eglise. Il y a huit ans, avec tout l'épiscopat polonais, dans la basilique du Très Saint Coeur de Jésus, à Varsovie-Praga, il me fut donné de prier pour obtenir la bénédiction des travaux du II e Synode plénier. Je dis alors: «Votre Synode ouvre ses travaux après le Concile Vatican II (qui a été le Concile de notre siècle). En même temps, il se trouve face au début du troisième millénaire après Jésus-Christ. Ces circonstances à elles seules décident du caractère du Synode plénier et de ses tâches. En effet, il ne peut pas ne pas refléter l'ensemble du "novum" conciliaire uni à Vatican II. Ni éviter de mettre en relief tous les "signes des temps" qui apparaissent à l'horizon de notre siècle, alors qu'il touche à son terme» (Homélie lors de l'ouverture du II e Synode plénier de l'Eglise en Pologne, 08.06.1991, in ORLF n. 30 du 30 juillet 1991).

3. Je sais que les thèmes conciliaires les plus importants ont été présents sur la table des travaux synodaux auxquels ont participé plus de six mille groupes d'étude. Les documents approuvés expriment la sollicitude commune pour le renouveau de la vie chrétienne dans l'Eglise polonaise, dans l'esprit du Concile oecuménique Vatican II et indiquent également les orientations du travail à venir.

Dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, j'ai écrit que la meilleure préparation au Jubilé de l'An 2000 est l'application, aussi fidèle que possible, dans la vie de chacun et de toute l'Eglise, de l'enseignement de Vatican II. Dans le même temps, j'ai indiqué la nécessité d'effectuer un discernement spirituel sur le thème de la «réception du Concile, ce grand don de l'Esprit Saint à l'Eglise au déclin du deuxième millénaire» (nn. 20 et 36). Je suis heureux que le II e Synode plénier en Pologne ait assumé ce devoir, en s'efforçant de relire l'enseignement du Concile et d'assimiler avec une plus grande fidélité ses indications, conformément au thème choisi: «Avec le message du Concile dans le troisième millénaire».

L'Eglise, en tant que réalité humaine et divine, plongée dans le monde temporel, a besoin d'un renouveau permanent pour pouvoir être toujours plus semblable à son Fondateur. Ce renouveau est, avant tout, l'oeuvre de l'Esprit Saint, qui «habite dans l'Eglise et en vertu de l'Evangile, la rajeunit et l'achemine à l'union parfaite avec le Christ» (cf. Lumen gentium LG 4).

Le Concile oecuménique Vatican II a joué un rôle immense dans ce processus de renouveau de l'Eglise, qui exige la collaboration de tous ses membres. Au cours de ses travaux, l'Eglise a accompli une réflexion approfondie sur elle-même et sur ses relations avec le monde contemporain. Dans le même temps, elle a tracé le chemin à parcourir pour pouvoir accomplir la mission reçue du Christ. Avec une grande fermeté, le Concile a placé l'accent sur la corresponsabilité de tous ses membres pour le bien de l'Eglise: évêques, prêtres, personnes consacrées et laïcs. La variété des charismes et des devoirs accordée par l'Esprit Saint au clergé et aux laïcs doit servir à la construction d'une communauté ecclésiale aux divers niveaux de la vie paroissiale, diocésaine, nationale ou internationale.

689 4. La formation d'une société fondée sur le respect des droits de l'homme, de la vérité et de la liberté, exige de la part de toutes les filles et de tous les fils de l'Eglise une conscience qui soit en mesure de constituer le point de départ pour une plus ample responsabilité ecclésiale. Il est bon que dans une situation de ce genre, le Synode plénier ait reconnu comme son devoir fondamental de travailler à la reconstruction et à l'approfondissement de cette conscience ecclésiale, et ce tant parmi les laïcs que dans le clergé. La longue période de lutte contre le système totalitaire communiste a affaibli chez de nombreuses personnes le sens religieux, en favorisant la tendance à réduire l'Eglise au rang des institutions purement humaines et à reléguer la religion au domaine du privé. On a tenté d'affaiblir l'Eglise en tant que communauté rassemblée autour du Christ, qui apporte un témoignage public de la foi qu'elle professe.

Si, grâce aux travaux du Synode, l'Eglise est appelée à se consolider en tant que communauté de croyants, cela peut être réalisé principalement à travers une participation consciente à sa vie, conformément au charisme propre à l'état de vie de chacun et selon le principe de subsidiarité. Le Synode pourra donc réaliser son devoir dans la mesure où il réussira à raviver dans le coeur de tous - que ce soit du clergé ou des laïcs - le sens de responsabilité ecclésiale et la volonté de coopérer à la réalisation de la mission salvifique de l'Eglise.

Le message hérité du Concile Vatican II est toutefois beaucoup plus vaste. Il ne concerne pas seulement la vérité sur l'Eglise en tant que communauté visible de foi, d'espérance et de charité, mais aussi sa relation avec le monde qui nous entoure. L'évangélisation exige aujourd'hui un dynamisme apostolique qui ne se ferme pas face aux problèmes du monde. Je rends grâce à Dieu tout puissant pour toutes les inspirations, pour tous les enseignements qui, à travers le Seigneur, ont atteint les esprits et les coeurs de ses participants et leur a permis de se présenter au monde en tant que témoins de l'Evangile.

Le Synode plénier polonais s'inscrit dans la préparation de tout le Peuple de Dieu à la rencontre de l'An 2000, dans la série de Synodes qui se déroulent en ce moment dans l'Eglise. En font partie les Synodes ordinaires com- me ceux extraordinaires, les Synodes continentaux, régionaux, nationaux ou diocésains. Le II e Synode plénier et sa réalisation répondent au grand défi qui se présente aujourd'hui à l'Eglise qui est en Pologne. Ce défi consiste dans la nécessité d'une nouvelle évangélisation, c'est-à-dire la réalisation de l'oeuvre salvifique de Dieu qui exige de nouvelles voies pour la diffusion de l'Evangile du Christ.

5. Je voudrais remercier tous ceux qui ont apporté leur contribution à la préparation de ce Synode et qui ont prêté leur collaboration tout au long de sa durée. Je remercie le Cardinal-Primat, Président du Synode, les évêques, les prêtres et les laïcs qui ont travaillé à la Commission permanente et au Secrétariat du Synode. Je remercie de façon particulière tous ceux qui se sont engagés dans les divers groupes synodaux et qui, à travers leur prière, leur réflexion et des initiatives apostoliques concrètes ont construit ce Synode. Que Dieu récompense vos efforts et votre zèle, à travers lesquels vous avez démontré combien vous aimez l'Eglise et combien son avenir vous tient à coeur.

6. «Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui aurait jeté du grain en terre» (
Mc 4,26). L'Evangile d'aujourd'hui parle de la croissance du Royaume de Dieu. Celui-ci est semblable à un grain. Peu importe que l'homme «dorme et qu'il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment. D'elle même, la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, puis plein de blé dans l'épi. Et quand le fruit s'y prête, aussitôt il y met la faucille, parce que la moisson est à point» (Mc 4,27-29). Tandis que nous nous apprêtons à conclure le Synode plénier, le Christ nous indique ce à quoi il a servi depuis le début et ce à quoi il doit servir à l'avenir. Il a servi à l'extension du Royaume de Dieu. Les paroles de l'Evangile montrent la façon dont ce Royaume croît dans l'histoire de l'homme, dans celle des nations et des sociétés. Il croît de façon organique. D'un début timide, comme le grain de sénévé, il devient petit à petit un grand arbre. Je souhaite qu'il en soit ainsi également pour ce II e Synode plénier et pour tant d'autres initiatives de l'Eglise sur la terre polonaise.

La Divine Providence a certainement voulu que la conclusion du Synode tombât le jour de la solennité du Très Saint Coeur de Jésus, instituée par le Siège apostolique au XVIII e siècle suite aux insistantes requêtes des évêques polonais. Aujourd'hui, toute l'Eglise médite et vénère de façon particulière l'ineffable amour de Dieu, qui trouva son expression humaine dans le Coeur du Sauveur percé par la lance du centurion. Aujourd'hui, nous rappelons également le centième anniversaire de la consécration de tout le genre hu- main au Très Saint Coeur de Jésus, un grand événement dans l'Eglise qui contribua au développement du culte et qui produisit des fruits salvifiques de sainteté et de zèle apostolique.

«Dieu est amour» (Jn 4,8) et le christianisme est la religion de l'amour. Tandis que les autres systèmes de pensée et d'action veulent construire le monde sur la richesse, sur le pouvoir, sur la domination, sur la science ou sur la jouissance, l'Eglise annonce l'amour. Le Très Saint Coeur de Jésus est précisément l'image de cet amour infini et miséricordieux que le Père céleste a reversé dans le monde à travers son Fils, Jésus Christ. La nouvelle évangélisation a pour objectif de conduire les hommes à la rencontre de cet amour. Seul l'amour, révélé par le coeur du Christ, est capable de transformer le coeur de l'homme et de l'ouvrir au monde entier, pour le rendre plus humain et plus divin.

Le Pape Léon XIII écrivit il y a cent ans que c'est dans le coeur de Jésus «qu'il fallait déposer toute espérance. C'est en Lui qu'il faut chercher et de Lui qu'il faut attendre le salut de tous les hommes» (Annum sacrum, n. 6). Je vous exhorte moi aussi à renouveler et à développer le culte du Très Saint Coeur de Jésus. Approchez de cette «Source de vie et de sainteté» les personnes, les familles, les communautés paroissiales et les divers milieux, afin qu'ils puissent puiser en Lui «les richesses insondables du Christ» (Ep 3,8). Seuls ceux qui sont «enracinés, fondés dans l'amour» (Ep 3,17) savent s'opposer à la civilisation de la mort et édifier sur les ruines de la haine, du mépris et de l'abus, une civilisation qui a sa source dans le Coeur du Sauveur.

Pour conclure ma rencontre avec vous, en cette solennité si chère à toute l'Eglise, je confie toute l'oeuvre du II e Synode plénier, sa réalisation et ses fruits sur la terre polonaise, au Très Saint Coeur de Jésus et au Coeur immaculé de sa Mère qui, en prononçant son fiat, s'est unie sans réserve au sacrifice rédempteur de son Fils.

CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE SUR L'ESPLANADE BLONIA RYBITWY

HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

Samedi 12 juin 1999, Sandomierz



690 1. «Sa mère lui dit: "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? Vois! ton père et moi nous te cherchons, angoissés"» (Lc 2,48).

Aujourd'hui, la liturgie de l'Eglise fête le Coeur Immaculée de la Bienheu- reuse Vierge Marie. Nous tournons notre regard vers Marie qui, pleine d'attention et d'inquiétude, cherche Jésus qui s'est égaré au cours du pèlerinage à Jérusalem. Comme de pieux israélites, Marie et Joseph se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de Pâques. Lorsque Jésus eut douze ans, il alla avec eux pour la première fois. C'est précisément alors qu'eut lieu l'événement que nous contemplons dans le cinquième mystère glorieux du saint Rosaire, le mystère des retrouvailles. Saint Luc le décrit de façon très touchante, à partir de nouvelles, comme on peut le supposer, reçues de la mère de Jésus: «Mon enfant, pourquoi nous as tu fait cela? [...] nous te cherchons, angoissés». Marie, qui avait porté Jésus contre son coeur et l'avait protégé contre Hérode en fuyant en Egypte, confesse de façon humaine sa profonde angoisse pour son Fils. Elle sait qu'elle doit être présente sur son chemin. Elle sait qu'à travers l'amour et le sacrifice, elle collaborera avec Lui à l'oeuvre de la Rédemption. Nous entrons ainsi dans le mystère du grand amour de Marie envers Jésus, de l'amour qui, avec son Coeur Immaculé, embrasse l'Amour ineffable, le Verbe du Père éternel.

L'Eglise nous rappelle ce mystère, précisément ici, à Sandomierz, dans cette ville très ancienne, où depuis plus de mille ans vivent l'histoire de l'Eglise et celle de la patrie. Je salue toute l'Eglise de Sandomierz avec son Pasteur, Mgr Waclaw, ainsi que les évêques auxiliaires, les prêtres et les Ordres masculins et féminins. Je vous salue tous, bien-aimés frères et soeurs, qui participez à ce Très Saint Sacrifice. Je salue l'Evêque aux armées de l'Armée polonaise et, avec lui, les soldats, les sous-officiers, les officiers et les généraux. Je salue les représentants de l'épiscopat polonais, et également les évêques hôtes des Autorités de l'Etat et des Autorités locales ici présentes.

Je salue avec déférence la très ancienne ville de Sandomierz qui m'est si chère. J'embrasse de tout coeur les autres villes et les centres industriels, en particulier Stalowa Wola, ville symbole du grand travail, de la foi profonde des travailleurs, qui avec une générosoité digne d'admiration et avec un grand courage édifièrent leur temple, malgré les difficultés et les menaces du régime de l'époque. J'ai eu la joie de bénir cette église. Que de fois j'ai visité cette terre de Sandomierz! J'ai souvent eu l'occasion de participer à l'histoire de votre ville et d'apprendre ici l'histoire de la culture nationale. En effet, cette ville recèle une force admirable, dont la source est enracinée dans la tradition chrétienne. En réalité, Sandomierz est un grand livre de la foi de nos ancêtres. Un grand nombre de ses pages ont été écrites par des saints et des bienheureux. Je citerai tout d'abord le Patron de la ville, le bienheureux Wincenty Kadlubek, qui fut curé de la cathédrale de Sandomierz et Evêque de Cracovie et qui, plus tard, devint un moine pauvre de l'Ordre cistercien à Jedrzejów. Ce fut le premier, parmi les Polonais, qui écrivit l'histoire de la Nation dans la «Chronique polonaise».

Au XIII e siècle, cette terre fut fécondée par le sang des bienheureux martyrs de Sandomierz, clercs et laïcs, qui moururent nombreux pour leur foi de la main des Tartares et, avec eux, le bienheureux Sadok et 48 pères dominicains du couvent situé près de l'Eglise romaine de saint Jacques. Dans les temples de Sandomierz, saint Jacinthe, le bienheureux Czeslaw, saint André Bobola annoncèrent l'Evangile. Les Pères dominicains diffusaient ici avec ferveur le culte de la Madone. Dans le Collège «Gostomianum» les jésuites ont instruit et formé la jeunesse. Près de l'église du Saint-Esprit les religieux de la Congrégation du Saint-Esprit géraient l'hôpital pour les malades, la maison pour les pauvres et des écoles pour les enfants. Cette ville rappelle la mémoire de Jan Dlugosz et de la reine sainte Edwige, dont nous célébrons cette année le 600 e anniversaire.

A une époque récente également, cette terre a porté des fruits de sainteté. L'orgueil de l'Eglise de Sandomierz sont les laïcs et les clercs, qui à travers leur vie témoignèrent de leur amour pour Dieu, la patrie et l'homme. Je désire rappeler ici de façon particulière le serviteur de Dieu, Mgr Piotr Golebiowski, qui garda le troupeau qui lui était confié avec douceur et persévérance. Comme nous le savons, le procès en béatification de ce bon pasteur du diocèse de Sandomierz est actuellement en cours. J'évoquerai également le serviteur de Dieu, le prêtre Wincenty Granat, éminent théologien et Recteur de l'Université catholique de Lublin, que j'ai rencontré de nombreuses fois, en diverses occasions. Je désire également rappeler avec reconnaissance Franciszek Jop, Evêque auxiliaire de ce diocèse, nommé plus tard Vicaire capitulaire à Cracovie et, plus tard, Evêque d'Opole. L'archidiocèse de Cracovie, dont il fut l'Administrateur au cours des années cinquante, lui doit beaucoup. Mgr Jop fut également l'un des évêques qui m'ont consacré.

Aujourd'hui, à Sandomierz, avec vous tous ici réunis, je loue Dieu pour ce grand patrimoine spirituel qui, à l'époque des divisions, de l'occupation allemande et de la domination totalitaire du système communiste, permit à la population de cette terre de conserver son identité nationale et chrétienne. Nous devons, avec une très grande sensibilité, nous mettre à l'écoute de cette voix du passé, pour conduire au-delà du seuil de l'An 2000 la foi et l'amour pour l'Eglise et pour la patrie, et les transmettre aux générations futures. Ici, nous pouvons facilement nous rendre compte de la façon dont le temps de l'homme, le temps des communautés et celui des nations est imprégné de la présence de Dieu et de son action salvifique.

2. L'Evangile des huit béatitudes, prononcées par le Christ dans le discours de la montagne, m'accompagne sur le parcours de mon pèlerinage à travers la Pologne. Ici, à Sandomierz, le Christ s'adresse à nous: «Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu» (Mt 5,8). Ces paroles nous introduisent au plus profond de la vérité évangélique sur l'homme. Ceux qui trouvent Jésus sont ceux qui le cherchent, comme le cherchaient Marie et Joseph. Cet événement éclaire cette grande tension présente dans la vie de chaque homme, qui est la recherche de Dieu. Oui, l'homme recherche vraiment Dieu; il le recherche avec son esprit, avec son coeur et tout son être. Saint Augustin nous dit: «Notre coeur est inquiet tant qu'il ne repose pas en Dieu» (cf. Les Confessions, I). Cette inquiétude est une inquiétude créative. L'homme cherche Dieu car en Lui, en Lui seulement, il peut trouver son accomplissement, l'accomplissement de ses aspirations à la vérité, au bien et à la beauté. «Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé, écrit Blaise Pascal à propos de Dieu et de l'homme (Pensées, sec. VII, n. 555). Cela signifie que Dieu lui-même prend part à cette recherche, désire que l'homme le recherche et crée en lui les conditions nécessaires afin qu'il puisse le trouver. Du reste, Dieu lui-même s'approche de l'homme, lui parle de lui, lui permet de se connaître. L'Ecriture Sainte est une grande leçon sur le thème de cette recherche et de cette façon de trouver Dieu. Elle nous présente de nombreuses et magnifiques figures de ceux qui cherchent et trouvent Dieu. Dans le même temps, elle enseigne comment l'homme devrait se rapprocher de Dieu, quelles conditions il devrait remplir pour rencontrer ce Dieu, pour le connaître et pour s'unir à Lui.

L'une de ces conditions est la pureté du coeur. De quoi s'agit-il? A ce stade, nous touchons l'essence même de l'homme qui, en vertu de la grâce de la rédemption opérée par le Christ, a retrouvé l'harmonie du coeur perdue au paradis à cause du péché. Avoir le coeur pur signifie être un homme nouveau, rendu à la vie en communion avec Dieu et avec toute la création par l'amour rédempteur du Christ, ramené à la communion qui est son destin originel.

La pureté du coeur est avant tout un don de Dieu. En se donnant à l'homme dans les sacrements de l'Eglise, le Christ prend racine dans son coeur et l'illumine par la «splendeur de la vérité». Seule la vérité qui est Jésus-Christ est capable d'illuminer la raison, de purifier le coeur et de former la liberté humaine. Sans la compréhension et l'acceptation la foi s'éteint. L'homme perd la vision du sens des choses et des événements, et son coeur recherche la satisfaction là où il ne peut pas la trouver. C'est pourquoi la pureté du coeur est tout d'abord la pureté de la foi.

En effet, la pureté du coeur prépare à la vision de Dieu, face à face, dans la dimension du bonheur éternel. C'est ce qui se produit, car déjà dans la vie temporelle ceux qui ont le coeur pur sont capables d'apercevoir dans toute la création ce qui est de Dieu. Ils sont capables, dans un certain sens, de révéler la valeur divine, la dimension divine, la beauté divine de toute la création. La béatitude du discours de la montagne, en un certain sens, nous indique toute la richesse et toute la beauté de la création et elle nous exhorte à savoir découvrir en chaque chose ce qui provient de Dieu et ce qui mène à Lui. En conséquence, l'homme charnel et sensuel doit céder, doit laisser place à l'homme spirituel, spiritualisé. C'est un processus profond, lié à l'effort intérieur. Celui-ci, soutenu par la grâce de Dieu, porte des fruits merveilleux.

691 La pureté du coeur est donc donnée comme un devoir à l'homme. Il doit constamment assumer l'effort de s'opposer aux forces du mal, à celles qui font pression de l'extérieur et à celles qui agissent de l'intérieur, qui veulent le détourner de Dieu. Ainsi, dans le coeur de l'homme une lutte incessante est menée pour la vérité et pour le bonheur. Pour remporter la victoire dans cette lutte, l'homme doit s'adresser au Christ. Il n'est en mesure de gagner que s'il est affermi par sa force, par la force de sa Croix et de sa résurrection. «Crée en moi, ô Yahvé, un coeur pur» (Ps 51 [50], 12), s'exclame le Psalmiste, conscient de la faiblesse humaine, car il sait que pour être juste devant Dieu l'effort humain à lui seul ne suffit pas.

3. Très chers frères et soeurs, ce message sur la pureté du coeur devient aujourd'hui très actuel. La civilisation de la mort veut détruire la pureté du coeur. Une de ses méthodes d'action est de mettre intentionnellement en doute la valeur d'une attitude de l'homme, que nous définissons comme la vertu de la chasteté. Il s'agit d'un phénomène particulièrement dangereux lorsque l'objectif de l'attaque sont les consciences sensibles des enfants et des jeunes. Une civilisation qui, agissant ainsi, blesse, ou même tue, une relation correcte entre les hommes, est une civilisation de la mort, car l'homme ne peut pas vivre sans le véritable amour. J'adresse ces paroles à vous tous qui participez au Sacrifice eucharistique d'aujourd'hui, mais je les adresse de façon particulière aux jeunes ici présents, aux soldats et aux scouts. Annoncez au monde la «Bonne Nouvelle» sur la pureté du coeur et, à travers l'exemple de votre vie, transmettez le message de la civilisation de l'amour. Je sais combien vous êtes sensibles à la vérité et à la beauté. Aujourd'hui la civilisation de la mort vous propose, entre autres choses, ce que l'on appelle «l'amour libre». Dans ce genre de déformation de l'amour, on en arrive à profaner l'une des valeurs les plus chères et les plus sacrées, car le libertinage n'est ni amour, ni liberté. «Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quel- le est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait» (Rm 12,2), nous avertit saint Paul. N'ayez pas peur de vivre contre les opinions à la mode et les propositions s'opposant à la loi de Dieu. Le courage de la foi coûte très cher, mais vous ne pouvez pas perdre l'amour! Ne permettez à personne de vous rendre esclaves! Ne vous laissez pas séduire par les illusions du bonheur, pour lesquelles vous devrez payer un prix trop élevé, le prix de blessures souvent incurables ou même d'une vie brisée, la vôtre et celle des autres! Je désire vous répéter ce que j'ai déjà dit un jour aux jeunes d'un autre continent: «Seul un coeur pur peut aimer pleinement Dieu! Seul un coeur pur peut mener à bien, jusqu'au bout, la grande entreprise de l'amour qu'est le mariage! Seul un coeur pur peut pleinement servir les autres. Ne laissez pas détruire votre avenir. Ne vous laissez pas dérober la richesse de l'amour! Consolidez votre fidélité, celle de vos futures familles, que vous formerez dans l'amour du Christ» (Asunción, 18.5.1988).

Je m'adresse également à nos familles polonaises, à vous pères et mères. Il faut que la famille prenne une position ferme en défense de la protection du seuil de sa maison, en défense de la dignité de chaque personne. Protégez vos familles de la pornographie, qui aujourd'hui envahit sous diverses formes la conscience de l'homme, en particulier des enfants et des jeunes. Défendez la pureté des moeurs dans vos foyers domestiques et dans la société. L'éducation à la pureté est l'une des grandes tâches de l'évangélisation qui se trouvent à présent devant nous. Plus la famille sera pure, plus la nation sera saine. Et nous voulons rester une nation digne de son nom et de sa vocation chrétienne.

«Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu» (Mt 5,8).

4. Tournons le regard vers la Vierge Immaculée de Nazareth, Mère du Bel Amour, qui accompagne les hommes de toutes les époques, et en particulier de notre époque, dans la «pérégrination de foi» vers la maison du Père. La fête liturgique d'aujourd'hui nous la rappelle, mais également la magnifique Basilique-Cathédrale qui domine cette ville. Elle porte son nom: il s'agit d'une coïncidence éloquente entre le lieu et le moment. Même la Mère de Jésus, à qui fut révélée de la façon la plus complète le mystère de la filiation divine du Christ, a dû apprendre le mystère de la Croix: «Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? - nous rappelle l'Evangile d'aujourd'hui - Vois! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés» et il répond: «Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père?». «Mais eux ne comprirent pas la parole qu'il venait de leur dire» (Lc 2,48-50). En effet, Jésus leur parlait de son oeuvre messianique.

Avant de le comprendre, l'homme apprend «par la douleur du coeur» l'Amour crucifié. Mais si, comme Marie, - il «garde fidèlement toutes ces choses en son coeur» (cf. Lc 2,51) tout ce que dit le Christ, - s'il est fidèle à l'appel divin, il comprendra au pied de la Croix, la chose la plus importante, c'est-à-dire que seul est véritable l'amour uni à Dieu, qui est Amour.

CÉLÉBRATION DE LA PAROLE À ZAMOSC

HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

Samedi 12 juin 1999
1. «Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur» (Lc 1,45).


Le long du parcours de notre pèlerinage à travers la terre polonaise, nous rencontrons à nouveau Marie. Le fait que précisément à Zamosc, où depuis des générations Marie est vénérée comme Mère de la Divine Providence dans le sanctuaire cathédrale, nous célébrions presque une seconde étape de la solennité de son Coeur immaculé, est un don particulier de la grâce divine. Dans la liturgie d'aujourd'hui, nous rencontrons Marie de la Visitation. Son chemin après l'Annonciation est bien connu: de Nazareth vers la région montagneuse autour de Juda, où habitait sa parente Elisabeth. Marie va l'aider au cours des journées de préparation à la maternité. Elle marche sur les routes de sa terre en portant en elle le mystère suprême.

Nous lisons dans l'Evangile que la révélation de ce mystère a eu lieu de façon insolite. «Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein» (Lc 1,42): c'est avec ces paroles qu'Elisabeth salue Marie. «Et comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?» (Lc 1,43). Elisabeth connaît désormais le projet de Dieu et ce qui, en cet instant, est son secret ainsi que celui de Marie. Elle sait que son fils, Jean-Baptisite, devra préparer la voie du Seigneur. Il devra devenir le messager du Messie, de celui que la Vierge de Nazareth a conçu par l'oeuvre de l'Esprit Saint. La rencontre entre les deux mères, Elisabeth et Marie, précède les événements qui devront se réaliser et, en un certain sens, les prépare. Bienheureuse sois-tu, toi qui as cru à la parole de Dieu qui t'annonce la naissance du Rédempteur du monde, dit Elisabeth. Et Marie répond par les paroles du Magnificat: «Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur» (Lc 1,46-47). Vraiment, les grandes oeuvres de Dieu, les grands mystères de Dieu s'accomplissent dans le secret, dans la maison de Zacharie. Toute l'Eglise se référera continuellement à eux, et répétera avec Elisabeth: «Bienheureuse celle qui a cru» et avec Marie, chantera le Magnificat.

En effet, l'événement qui s'accomplit en terre de Juda renferme en lui un contenu ineffable. Voilà que Dieu est venu au monde. Il s'est fait homme. A travers l'oeuvre de l'Esprit Saint, il a été conçu dans le sein de la Vierge de Nazareth pour naître dans l'étable de Bethléem. Avant que tout cela n'ait lieu, toutefois, Marie porte Jésus, comme toute Mère porte en elle le fils de son sein. Elle ne porte pas seulement son existence humaine, mais tout son mystère, le mystère du Fils de Dieu, Rédempteur du monde. C'est pourquoi également la visite de Marie à la maison d'Elisabeth constitue, dans un certain sens, un événement commun et, dans le même temps, un événement unique, extraordinaire et qui ne peut être répété.

692 Voici qu'avec Marie vient le Verbe éternel, le Fils de Dieu. Il vient pour être parmi nous. Tout comme jadis, le temps précédant sa naissance l'avait lié à Nazareth, puis à la Judée, où demeurait Elisabeth, et enfin de façon définitive à la petite ville de Bethléem, où il devait venir au monde, ainsi, aujourd'hui, chacune de ses visites le relie toujours à un autre lieu de la terre, où nous la célébrons dans la liturgie.

2. Nous lisons aujourd'hui l'Evangile de la Visitation sur la terre de Zamosc. Le mystère de la venue de Marie et de son Fils, devient dans un certain sens également le nôtre. Comme le fait de pouvoir vivre ce mystère avec vous, dans la communauté du diocèse de Zamosc-Lubaczów me réjouit! Il s'agit d'un diocèse jeune, mais ayant une tradition religieuse et culturelle très riche, qui remonte au XVI e siècle. Dès le début, elle a été le cadre de vifs contacts avec le Siège apostolique: un fruit particulier en est la célèbre Académie de Zamosc - la troisième, après Cracovie et Wilno - une institution académique dans la République de Pologne, fondée avec l'appui du Pape Clément VIII. La Collégiale de Zamosc, que j'ai eu l'honneur d'élever au rang de Cathédrale, est le témoin silencieux mais éloquent de l'héritage des siècles. Elle recèle non seulement de magnifiques monuments de l'architecture et de l'art religieux, mais également les cendres de ceux qui formaient cette grande tradition. En visitant cette belle ville et la terre de Zamosc, je suis heureux aujourd'hui de pouvoir retourner à ce trésor pluriséculaire de notre foi et de notre culture.

Je salue cordialement tous les fidèles ici réunis ainsi que tous ceux qui se sont unis à nous spirituellement. Je salue le Pasteur de cette communauté, Mgr Jan avec l'Auxiliaire, Mgr Mariusz, ainsi que tous les prêtres et les personnes consacrées. J'adresse des paroles de salut également aux représentants des Autorités de l'Etat et de la région. Je voudrais exprimer une gratitude particulière à ceux qui accompagnent mon pèlerinage par la prière et par l'offrande de leur souffrance. Je prie Dieu afin qu'ils participent aux grâces de cette visite.

3. L'emplacement providentiel de la scène de la Visitation de Marie dans le cadre exceptionellement beau de cette ville et de cette terre, rappelle à mon esprit le récit biblique de la création, qui trouve son explication et son complément dans le mystère de l'Incarnation. Aux jours de la création, Dieu regardait l'oeuvre de son dessein et voyait que ce qu'il avait fait était bon. Il ne pouvait en être autrement. L'harmonie de la création reflétait la perfection intime du Créateur. A la fin, Dieu créa l'homme. Il le créa à son image et à sa ressemblance. Il lui confia toute la magnificence du monde afin que, jouissant de celui-ci et utilisant ses biens de façon libre et rationnelle, il collaborât activement au perfectionnement de l'oeuvre de Dieu. Et l'Ecriture dit alors que «Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon» (
Gn 1,31). Après la chute originelle de l'homme, toutefois, le monde, en tant que sa propriété particulière, partagea en quelque sorte son destin. Le péché ne brisa pas seulement le lien d'amour entre l'homme et Dieu et détruisit l'unité entre les hommes, mais bouleversa également l'harmonie de toute la création. L'ombre de la mort plana non seulement sur le genre humain, mais également sur tout ce qui, par volonté de Dieu, devait exister pour l'homme.

Si, toutefois, nous parlons de la participation du monde aux effets du péché de l'homme, nous nous rendons compte que celui-ci non plus ne pouvait être privé de la participation à la promesse divine de la Rédemption. Le temps de l'accomplissement de cette promesse pour l'homme et pour toute la création se réalisa lorsque Marie, à travers l'oeuvre de l'Esprit Saint, devint Mère du Fils de Dieu. Lui est le Premier-né de la création (cf. Col Col 1,15). Tout ce qui est créé était depuis toujours en Lui. S'il vient au monde, il vient dans sa propriété, comme le dit saint Jean (cf. Jn Jn 1,11). Il vient embrasser à nouveau la création, pour commencer l'oeuvre de la rédemption du monde, pour restituer à la création sa sainteté et sa dignité originelles. Il vient nous faire voir, à travers sa venue même, cette dignité particulière de la nature créée.

Tandis que je parcours la terre polonaise - de la Baltique, à travers la Wielkopolska, la Mazovie, la Warmie et la Mazurie - et ses régions orientales - de celle de Bialystok jusqu'à celle de Zamosc - et que je contemple la beauté de cette terre patrie, cette dimension particulière de la mission salvifique du Fils de Dieu me vient à l'esprit. Ici semblent parler, avec une puissance exceptionnelle, le bleu du ciel, le vert des forêts et des campagnes, l'argenté des lacs et des fleuves. Ici, le chant des oiseaux retentit de façon particulièrement familière, polonaise. Et tout cela témoigne de l'amour du Créateur, de la puissance vivifiante de son Esprit et de la rédemption opérée par son Fils pour l'homme et pour le monde. Toutes ces créatures parlent de leur sainteté et de leur dignité, recouvrées lorsque celui qui fut «engendré avant toute créature» prit son corps de la Vierge Marie.

Si je parle aujourd'hui de cette sainteté et de cette dignité, je le fais dans un esprit d'action de grâce à Dieu, qui a accompli de grandes choses en nous; dans le même temps, je le fais dans un esprit de sollicitude pour la préservation du bien et de la beauté prodigués par le Créateur. Il existe en effet, le danger que ce qui fait tant réjouir l'oeil et exulter l'esprit puisse subir la destruction. Je sais que les évêques polonais ont exprimé cette préoccupation il y a déjà dix ans, en s'adressant à tous les hommes de bonne volonté, dans une Lettre pastorale sur le thème de la protection de l'environnement. Ils écrivirent à juste titre que «toute activité de l'homme, comme d'un être responsable, possède une dimension morale. La dégradation de l'environnement frappe le bien de la création offert à l'homme par Dieu le Créateur comme indispensable pour sa vie et son développement. Il existe l'obligation de faire un usage correct de ce don dans un esprit de gratitude et de respect. D'autre part, la conscience que ce don est destiné à tous les hommes constitue un bien commun et engendre une obligation opportune à l'égard de l'autre. C'est pourquoi, il faut reconnaître que toute action qui ne considère pas le droit de Dieu sur son oeuvre, ainsi que le droit de l'homme, objet de dons de la part du Créateur, est en contraste avec le commandement de l'amour [...] il faut donc se rendre compte qu'il existe un péché grave contre l'environnement naturel qui pèse sur nos consciences, qui engendre une grave responsabilité à l'égard de Dieu le Créateur» (02.05.89).

Si nous parlons de la responsabilité à l'égard à Dieu, nous sommes conscients qu'il ne s'agit pas ici de ce que, dans le langage d'aujourd'hui, l'on a l'habitude d'appeler écologie. Il ne suffit pas de rechercher la cause de la destruction du monde uniquement dans l'industrialisation excessive, dans l'application inconsidérée dans l'industrie et dans l'agriculture de conquêtes scientifiques et technologiques, ou dans la recherche désespérée de la richesse sans tenir compte des effets futurs de telles actions. Bien que l'on ne puisse pas nier le fait que de telles actions apportent de grands maux, il est facile d'observer que leur source se trouve plus en profondeur: dans l'attitude même de l'homme. Il semble que ce qui est le plus dangereux pour la création et pour l'homme soit le manque de respect pour les lois de la nature et la disparition du sens de la valeur de la vie.

La loi inscrite par Dieu dans la nature et qui peut être lue à travers la raison, conduit au respect du dessein du Créateur, d'un dessein qui vise au bien de l'homme. Cette loi établit un certain ordre intérieur que l'homme trouve et qu'il devrait conserver. Toute activité qui s'oppose à cet ordre frappe inévitablement l'homme lui-même.

C'est ce qui a lieu lorsque disparaît le sens de la valeur de la vie en tant que telle, et en particulier de la vie humaine. Comment est-il possible de défendre de façon efficace la nature si l'on justifie les initiatives qui frappent le coeur même de la création qu'est l'existence de l'homme? Est-il possible de s'opposer à la destruction du monde, si au nom du bien-être et de la commodité, l'on admet l'extermination d'enfants à naître, la mort provoquée des personnes âgées et des malades et, que, au nom du progrès, l'on conduit des interventions et des manipulations inadmissibles dès le début de la vie humaine? Lorsque le bien de la science ou les intérêts économiques prévalent sur le bien de la personne, et même de sociétés entières, les destructions provoquées dans l'environnement sont le signe d'un authentique mépris de l'homme. Il faut que tous ceux qui ont à caeur le bien de l'homme dans ce monde apportent un témoignage constant que «la norme fondamentale que doit respecter un juste progrès économique, industriel et scientifique, c'est le respect de la vie et, en premier lieu, de la dignité de la personne humaine» (Message pour la XXIII e Journée mondiale de la Paix, 01.01.1990).

4. «Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose et tout subsiste en lui [...] car Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux» (Col 1,16-17 Col 1,19-20). Ces paroles de saint Paul semblent tracer la voie chrétienne de défense de ce bien qu'est tout le monde créé. C'est la voie de la réconciliation dans le Christ. A travers le sang de la croix et la résurrection, il a restitué à la création l'ordre originel. Désormais, le monde entier, et à son centre l'homme, a été arraché à l'escla- vage de la mort et de la corruption (cf. Rm 8,21), dans un certain sens, il a été nouvellement créé (cf. Ap 21,5) et existe non plus pour la mort, mais pour la vie, pour la vie nouvelle dans le Christ. Grâce à l'union avec le Christ, l'homme redécouvre sa place dans le monde. Dans le Christ, il ressent à nouveau l'harmonie originelle qui existait entre le Créateur, la création et l'homme avant de succomber sous les effets du péché. En Lui, il relit l'appel originel à soumettre la terre, qui est la poursuite de l'oeuvre divine de la création, et non pas son exploitation incontrôlée.

693 La beauté de cette terre me pousse à invoquer sa préservation pour les générations futures. Si vous aimez cette terre, votre patrie, que cette invocation ne reste pas sans réponse! Je m'adresse en particulier à ceux auxquels a été confiée la responsabilité de ce pays et de son développement, les invitant à ne pas oublier le devoir de le protéger contre la destruction écologique! Qu'ils préparent des programmes pour la protection de l'environnement et qu'ils veillent à leur application efficace! Qu'ils adoptent surtout des comportements de respect pour le bien commun, pour les lois de la nature et de la vie! Qu'ils soient soutenus par des organisations ayant pour objectif la défense des biens naturels! Dans la famille et dans l'école ne peut manquer l'éducation au respect pour la vie, pour le bien et pour la beauté. Tous les hommes de bonne volonté devraient coopérer à cette grande oeuvre. Que chaque disciple du Christ revoie son style de vie, afin que la juste aspiration au bien-être n'offusque pas la voix de la conscience, qui examine ce qui est juste et ce qui est authentiquement bon.

5. Si je parle du respect de la terre, je ne peux oublier ceux qui sont liés plus profondément à elle et qui en connaissent la valeur et la dignité. Je pense aux agriculteurs, qui, non seulement en terre de Zamosc, mais dans toute la Pologne, affrontent la dure fatigue des champs, en y puisant les produits indispensables à la vie des habitants des villes et des villages. Qui mieux que ceux qui cultivent la terre peuvent témoigner que si elle est stérile, elle ne donne pas de fruits, tandis que si elle est traitée avec amour, elle est une nourricière généreuse. Avec gratitude et respect, je m'incline devant ceux qui pendant des siècles, ont rendu cette terre fertile à la sueur de leur front et qui, lorsqu'il s'agissait de prendre sa défense, n'ont épargné pas même leur sang. C'est avec la même reconnaissance et le même respect que je m'adresse à ceux qui aujourd'hui également entreprennent le dur métier de cultiver la terre. Que Dieu bénisse le travail de vos mains!

Je sais qu'à une époque de mutations sociales et économiques, ne manquent pas les problèmes qui tourmentent souvent douloureusement la campagne polonaise. Il faut que dans le processus des réformes, les problèmes des agriculteurs soient reconnus et résolus dans un esprit de justice sociale.

Je parle de cela sur la terre de Zamosc, où la question des agriculteurs est traitée depuis des siècles. Il suffit de rappeler les oeuvres de Szymon Szymonowic, ou l'activité de la Société rurale fondée à Hrubieszów il y a deux cents ans. Le Cardinal Stefan Wyszynski lui aussi, en tant qu'Evêque du lieu, puis Primat de Pologne, rappelait souvent l'importance de l'agriculture pour la nation et l'Etat, la nécessité de la solidarité avec la population rurale de la part de tous les groupes sociaux. Je ne peux manquer de m'inscrire aujourd'hui dans cette tradition. Je le fais en répétant avec le Prophète ces paroles emplies d'espérance: «Car de même que la terre fait éclore ses germes et qu'un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Yahvé fait germer la justice et la louange» (
Is 61,11).

6. Tournons notre regard vers Marie et invoquons-la avec les paroles d'Elisabeth: «Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur» (Lc 1,45).

Bienheureuse sois-tu, Marie, Mère du Rédempteur. Nous te confions aujourd'hui le destin de la terre de Zamosc et de la terre polonaise, ainsi que tous ceux qui y vivent et y travaillent, en réalisant l'appel du Seigneur à la soumettre. Guide-nous à travers ta foi en ce temps nouveau, qui s'ouvre à nous. Sois près de nous avec ton Fils, Jésus-Christ, qui veut être pour nous le Chemin, la Vérité et la Vie.

Homélies St Jean-Paul II 688