S. Léon, lettres choisies




SAINT LÉON LE GRAND

LETTRES CHOISIES



INTRODUCTION



LETTRES CHOISIES

A TURIBIUS, ÉVEQUE D'ASTORGA EN GALICE
A FLAVIEN, ARCHEVEQUEDE CONSTANTINOPLE, CONTRE L'HÉRÉSIE D'EUTYCHES
A LA TRES PIEUSE IMPÉRATRICE PULCHÉRIE
A L'IMPÉRATRICE PULCHERIE
AU CLERGÉ ET AU PEUPLE DE LA VILLE DE CONSTANTINOPLE
A L'EMPEREUR MARCIEN
A SON TRES CHER FRERE THÉODORET, ÉVEQUE
A L'EMPEREUR LÉON, TOUJOURS AUGUSTE
A L'ÉVEQUE ANATOLIUS

Les textes patristiques suivants sont extraits d'une édition de 1838: Chefs d'oeuvre des Pères de l'Église, que nous avons mis en français moderne.

L'original est en latin et les traductions en français sont de Ernest de Montferrier.




LETTRES CHOISIES DE SAINT LÉON LE GRAND, PAPE DE ROME

A TURIBIUS, ÉVEQUE D'ASTORGA EN GALICE

Votre lettre fraternelle que m'a remise votre diacre me prouve le zèle digne d'éloges avec lequel vous défendez la vérité de la foi catholique, et la tendre sollicitude avec laquelle vous exercez vos devoirs de pasteur envers le troupeau que Dieu vous a confié. Ainsi le fléau de l'hérésie dévaste encore vos contrées; la sentine impure du priscillianisme exhale de nouveaux miasmes. Il n'est point, en effet, d'impiété monstrueuse dont ces hérétiques ne se soient fait une règle de foi; ils ont fouillé dans la boue de toutes les pensées mondaines pour réunir les plus infâmes, et il n'en est pas un seul qu'ils ne se soient approprié. Si l'on jette un regard sur les hérésies qui ont pris naissance avant Priscillien, on n'y trouvera point une seule erreur dont il n'ait fait usage; et non content de profiter des mensonges de tous ceux qui s'éloignaient de l'évangile de Jésus Christ, en se cachant sous son divin Nom, il s'est lancé dans les ténèbres du paganisme, et s'est adonné à la science mystérieuse de la magie et aux vaines illusions des mathématiciens, au point de placer sous la puissance des démons et l'influence des astres la foi et la raison des événements. Selon ses dogmes impies, la vertu ne recevra point de récompense, ni le vice de châtiment. Il n'existe ni lois humaines, ni lois divines; car quel jugement serait-il possible de porter sur les bonnes ou les mauvaises actions des hommes, si c'est la fatalité qui dirige leurs actions et les mouvements des astres qui commandent à leur pensée? C'est cette impiété qui dans son incompréhensible folie a marqué des douze signes du ciel le corps entier de l'homme, de telle sorte qu'ils présidassent à ses diverses parties, et que la créature, que Dieu a faite à son image, fût liée aux astres aussi étroitement que ses membres le sont entre eux. C'est avec raison que nos pères, qui virent naître cette hérésie criminelle, se sont efforcés par tout l'univers de préserver les églises du monde de ses fureurs. Quand les princes de la terre ont frappé du glaive des lois Priscillien et plusieurs de ses disciples, ils avaient bien compris que, si les hommes avaient la permission de vivre selon leurs principes, il n'y avait plus ni honnêteté, ni pudeur, ni fidélité conjugale, ni respect pour les lois divines et humaines. Et cette juste rigueur a été d'un grand secours à la clémence de l'Église. Car, bien qu'elle se contente de la douceur des lois ecclésiastiques et qu'elle ne veuille point de sanglantes exécutions, cependant elle reçoit un grand secours des sévères constitutions des empereurs; la crainte du supplice contraint les hérétiques à recourir au remède de la pénitence. Mais les priscillianistes ont profité de l'invasion des barbares dans les provinces, qui fit suspendre l'exercice des lois au milieu des désordres de la guerre, et mit obstacle aux synodes des évêques qui commencèrent dès lors à être peu fréquents, pour semer en liberté le poison de leurs doctrines perfides; et même un grand nombre de ceux qui devaient s'opposer à leur progrès y ont contribué de toutes leurs forces. Et quelle partie du peuple pourrait être exempte de ce fléau, comme vous me le dites, lorsque les coeurs des prêtres eux-mêmes sont en proie à cette maladie mortelle, lorsqu'ils substituent eux- mêmes la doctrine de Priscillien à l'évangile du Christ, qu'ils corrompent le véritable sens des saintes Écritures par de fausses explications, et que, sous les noms des prophètes et des apôtres, ils n'enseignent pas ce que le saint Esprit nous a révélé, mais bien ce que le démon leur inspire? Comme dans votre pieux zèle, vous m'avez adressé dix-sept chapitres qui contiennent ces erreurs déjà condamnées autrefois, je vais y répondre avec beaucoup de soin, afin de faire ressortir jusqu'à l'évidence l'impiété de tous ces blasphèmes.

Telles sont, comme vous le marquez dans votre premier chapitre, leurs croyances impies sur la divine Trinité: ils affirment que le Père, le Fils et le saint Esprit sont une seule et même personne et que ce Dieu unique est tantôt appelé Père, tantôt Fils, tantôt saint Esprit; Celui qui créa, Celui qui fut créé et Celui qui procède de l'Un et de l'Autre ne font qu'un; c'est une unité en trois mots, mais non pas en trois personnes. Ils ont tiré ce blasphème des sabelliens, et ils prétendent ainsi que le Père a souffert la passion. Car, si le Fils est le même que le Père, le Père a été crucifié comme le Fils; et toutes les souffrances que le Fils a éprouvées sous sa forme d'esclave, en obéissant au Père, le Père Lui-même les a partagées. Cette doctrine est entièrement opposée à la foi catholique qui explique ainsi l'unité de la Trinité: le Père, le Fils et le saint Esprit, unis sans se confondre, sont coéternels et égaux: ce n'est pas une seule et même personne, mais une même nature qui forme l'unité de la Trinité.

Je vois dans le second chapitre qu'ils prétendent que Dieu ne posséda pas certaines vertus de toute éternité. Il paraît qu'ils ont adopté en cela cette erreur d'Arius, qui fait le Père antérieur au Fils, et ne Le regardent comme Père que lorsqu'Il eût créé le Fils. L'Église catholique les maudit, et ceux qui pensent comme eux que Celui qui est de la même essence que Dieu, fut jamais séparé de Lui, comme si Dieu pouvait changer ou augmenter. Dieu ne serait pas immuable s'Il pouvait diminuer ou augmenter.

Le troisième chapitre désigne ces insensés qui avancent que Jésus Christ est appelé Fils unique de Dieu, parce que seul Il est né d'une vierge; ce qu'ils n'auraient pas osé dire s'ils ne s'étaient inspirés de Paul de Samosate et de Photinus, qui prétendirent que notre Seigneur Jésus Christ n'existait pas avant de naître de la Vierge. Ils donnent encore un autre sens à ces paroles; ils disent que Dieu n'a pas eu un seul Fils, mais plusieurs autres et que Jésus, qui seul naquit d'une femme, fut appelé unique parce que seul des enfants de Dieu Il naquit de cette manière. De quelque façon qu'ils expliquent leurs paroles, soit qu'ils veuillent que Jésus Christ ait tiré son principe de sa mère, soit qu'ils nient qu'Il est Fils unique de Dieu le Père, ils sont tombés dans l'impiété la plus horrible, puisque Jésus Christ, Dieu et Verbe, est né de la vierge Marie, et que le Verbe seul est né de Dieu le Père.

Dans le quatrième chapitre il est dit qu'ils ne fêtent pas comme nous le jour de la naissance du Christ, jour que l'Église a consacré, parce que Jésus Christ prit à cette époque un corps véritable, parce que, Verbe, Il S'incarna et habita parmi nous. Ils jeûnent ce jour-là, ainsi que le dimanche qui est sanctifié par la résurrection du Christ. S'ils en agissent ainsi, c'est qu'à l'exemple des marcionites, des manichéens, leurs alliés, comme nous nous en sommes assurés nous-mêmes, ils ne croient pas que Jésus Christ soit né sous une véritable forme humaine, mais qu'Il n'en prit que les apparences. Ils passent le dimanche, consacré par la résurrection du Sauveur, dans les austérités du jeûne en l'honneur du Soleil, comme nous l'avons découvert, afin de différer en tout point de nos croyances, et donner aux austérités le jour que nous consacrons à la joie. Que ces ennemis de la Croix de Jésus Christ et de sa Résurrection soient donc jugés selon leurs doctrines.

Le cinquième chapitre se réfère à leurs assertions selon lesquelles l'âme de l'homme est d'essence divine et de même nature que le Créateur. La foi catholique condamne cette impiété tirée de certains philosophes et des manichéens, car elle sait que rien ne peut être fait d'aussi grand et aussi sublime que la nature de Dieu Lui-même. Il n'y a que le Fils et le saint Esprit qui soient de la même nature que Dieu. Excepté cette Trinité, consubstantielle, coéternelle et immuable, toutes les créatures dans le principe ont été tirées du néant. Tout ce qui brille parmi les créatures n'est pas Dieu; tout ce qui est grand et admirable parmi elles n'est point la Divinité même qui fit toutes ces grandes et admirables choses. Aucun homme n'est la Vérité ni la Sagesse, ni la Justice elle-même; mais beaucoup participent à la Vérité, à la Sagesse, à la Justice: Dieu seul ne participe à rien; le Bien n'est pas une de ses Qualités, mais son Essence même. Immuable, Il ne reçoit aucune diminution, aucune augmentation; Il reste éternellement le même. Immuable, Il crée toutes choses, et rien ne se fait qu'Il n'ait ordonné. Ils sont donc par trop superbes et par trop aveugles ceux qui disent que l'âme de l'homme est d'essence divine; ils ne comprennent pas qu'ils attaquent l'immutabilité du Créateur, et abaissent sa Divinité à toutes les infirmités de la nature de nos âmes.

La sixième remarque indique qu'ils disent que le démon ne fut jamais bon, que Dieu ne le créa point, mais qu'il sort du chaos et des ténèbres: ainsi personne ne l'a créé; il est le principe et la substance de tout mal. La foi catholique enseigne que la substance de toutes les créatures fut bonne, et qu'il n'existait dans le principe aucune nature du mal. Dieu, qui a créé toutes choses, n'a rien fait que de bon. Le démon serait donc bon, s'il était resté tel qu'il a été créé. Mais, parce qu'il abusa de l'excellence de sa nature et s'écarta de la vérité, il ne changea point de substance, mais il dégénéra du souverain bien, comme ces hommes qui de la vérité se précipitent dans l'erreur, et sont condamnés pour la perversité de leur propre volonté. Le mal était en eux, mais ne formait pas leur nature; c'était seulement une condition de leur nature.

En septième lieu, ils condamnent le mariage et ont horreur de la procréation des enfants, imitant en cela, comme en presque toutes choses, l'immoralité des manichéens. Ils réprouvent ainsi l'union conjugale, comme leurs moeurs le prouvent, parce qu'ils ne trouvent pas la liberté du vice, là où la pudeur et l'espoir de la procréation doivent être conservés.

Leur septième erreur est d'attribuer au démon la création de l'homme et du principe de la reproduction; aussi ne croient- ils pas à la résurrection de la chair, parce que la nature du corps, selon eux, n'est pas conforme à la dignité de l'âme. Cette erreur est sans doute l'oeuvre du démon; elle tire sa source du poison immonde de la doctrine de Manichée: les catholiques en ont déjà fait justice.

La neuvième remarque manifeste leur assertion selon laquelle les prophètes sont nés, à la vérité, des femmes, mais que le saint Esprit les a conçus, pour qu'on ne croie pas qu'une race, sortie de la semence de la chair, puisse être inspirée par Dieu. La foi catholique enseigne que le Père de toutes choses a créé la substance de l'âme et du corps et qu'Il anime dans le sein de la mère le corps qui reste soumis au péché et à la mort qui nous ont été transmis par nos premiers parents. Le saint Esprit régénéra les prophètes non dans le sein de la mère, mais en vertu du baptême. C'est pourquoi David, qui était un prophète, dit à Dieu: " Tes Mains m'ont fait et façonné ". (Ps 118,73 Jb 10,8) C'est pourquoi le Seigneur dit à Jérémie: " Avant que Je t'eusse formé dans le ventre de ta mère, Je te connaissais " (Jr 1,5).

Dans le dixième chapitre il est dit qu'ils prétendent que les âmes qui sont enfermées dans les corps des humains ont péché dans un corps et dans une demeure célestes, et que c'est en punition de ces fautes qu'elles tombent de cette condition sublime dans une inférieure. Ils ajoutent que dans les astres et dans les airs elles ont été renfermées dans des corps sous des conditions plus ou moins douces, dans un rang plus ou moins élevé, et que l'inégalité des conditions et des destinées des hommes sur cette terre n'est ainsi que la conséquence de causes précédentes. La religion catholique, qui est la vérité, a constamment prêché que les âmes n'existaient pas avant leur introduction dans les corps, et n'étaient incorporées que par l'Oeuvre de Dieu, qui est leur Créateur; et parce que la prévarication du premier homme soumit au péché toute la race humaine, on ne peut être libéré de la condition du vieil homme que par le sacrement du baptême; et l'Apôtre dit: " Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ " (Ga 3,27-28). Que signifient donc le cours des astres et les illusions des destins? Qu'importe l'instabilité des choses humaines et leur diversité? Dieu par sa Grâce a rendu tous les hommes égaux; et ils ne peuvent être malheureux ceux qui dans les périls de cette vie resteront fidèles à sa Loi et répéteront dans la tentation ces paroles de l'Apôtre: " Qui nous séparera de l'Amour de Christ? Sera-ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée? Selon qu'il est écrit: C'est à cause de Toi qu'on nous met à mort tout le jour, qu'on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés ". (Rm 8,35-37) Aussi l'Église, qui est le Corps de Jésus Christ, ne redoute rien de l'inconstance des événements, car ses richesses ne sont pas de ce monde. Elle ne craint rien des destins contraires, Elle qui grandit par sa patience dans les tribulations.

Leur onzième blasphème est de penser que les corps des hommes sont soumis aux influences des astres; aussi s'étudient-ils à se les rendre favorables par leurs prières. Ceux qui à l'exemple des païens s'adonnent à de pareilles folies, ne font point partie de l'Église, car ils se sont entièrement séparés du Corps de Jésus Christ.

En douzième lieu, ils divisent les membres des corps en douze parties, ainsi que les qualités de l'âme; ils placent les premières sous la protection des douze signes du zodiaque, et les secondes en opposition sous celle des noms des patriarches. Aussi, confondus dans ces inextricables erreurs, ils n'entendent plus ces paroles de l'Apôtre: " Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s'appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur Christ. Car en Lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. Vous avez tout pleinement en Lui, qui est le Chef de toute domination et de toute autorité ". (Col 2,8-10). Ils ne comprennent pas celles-ci: " Qu'aucun homme, sous une apparence d'humilité et par un culte des anges, ne vous ravisse à son gré le prix de la course, tandis qu'il s'abandonne à ses visions et qu'il est enflé d'un vain orgueil par ses pensées charnelles, sans s'attacher au Chef, dont tout le Corps, assisté et solidement assemblé par des jointures et des liens, tire l'accroissement que Dieu donne ". (Col 2,18-19) Qu'est-il donc besoin d'apprendre ce que la Loi n'a point enseigné, ce que les prophéties n'ont point annoncé, ce qui ne se trouve ni dans les vérités de l'évangile, ni dans la doctrine apostolique? Certes, ils ignorent aussi le sens de cette autre phrase de l'Apôtre: " Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l'oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables ". (2Tm 4,3-4) Nous ne devons rien avoir de commun avec des gens qui veulent enseigner ou croire de semblables doctrines, et qui s'efforcent par tous les moyens possibles de persuader que la résurrection de la chair est un mensonge, et qui rejettent ainsi les bienfaits du mystère de l'Incarnation du Christ. Car Il n'aurait pas revêtu l'homme tout entier, si l'homme tout entier n'avait dû être sauvé.

Treizièmement, ils disent que chaque livre des saintes Écritures doit être placé sous le nom des patriarches, qui sont douze vertus qui opèrent la réforme de l'homme intérieur, et que, sans la science de ces livres ainsi consacrés, aucune âme ne peut retourner en cette substance dont elle est émanée, c'est-à-dire Dieu Lui-même. Elle méprise cette vanité impie, la sagesse chrétienne qui connaît la Nature inviolable et incorruptible du vrai Dieu, et qui sait que l'âme, soit dans le corps, soit séparé de lui, est soumise à la souffrance; certes, si elle était de la même nature que le Créateur, elle serait impassible comme Lui. Il n'y a aucune comparaison à établir entre le Créateur et la créature; le Créateur est immuable et n'éprouve par conséquent jamais aucun changement, mais la créature est muable même quand elle n'éprouve pas de changement. Car, si elle reste ainsi intacte, ce ne peut être que par la Grâce de Dieu, et non par sa propre nature.

Dans le quatorzième chapitre l'on apprend que, comme ils pensent que les actions du corps sont, à cause de la nature terrestre de celui-ci, soumises à l'influence des astres et des signes du zodiaque, ils prétendent avoir trouvé dans les Livres saints des choses qui ont été écrites par l'homme extérieur et terrestre (c'est-à-dire sous l'influence de la chair qui procède du mauvais principe, et sous ce prétexte ils rejettent l'ancien et une partie du nouveau Testament); de telle sorte que dans ces mêmes Écritures on remarquait une lutte entre la Divinité et l'humanité, et que le principe de l'âme était en opposition avec le principe du corps. Ces fables découlent de ce qu'ils croient l'âme d'essence divine, et la chair d'une mauvaise nature; car selon eux, ce n'est pas Dieu qui a créé le monde, les éléments et la chair, c'est l'auteur du mal, c'est le démon. Pour donner quelque apparence de vérité à leurs mensonges sacrilèges, ils ont donné de fausses interprétations aux paroles du saint Évangile.

Le quinzième chapitre dit qu'ils publient de fausses écritures à la place des véritables, dans des livres apocryphes qu'ils font passer pour canoniques; des personnes dignes de foi nous ont rapporté cette action détestable et digne du démon; nous avons plusieurs exemples de ces ouvrages. En effet, comment pourraient-ils tromper les simples d'esprit s'ils ne se servaient de ce faux titre, s'ils ne frottaient de miel les bords de la coupe empoisonnée, de peur qu'on ne s'aperçût du venin qui s'y trouve et qui doit donner la mort. Il faut donc que les évêques veillent avec le plus grand soin à ce que personne ne se serve de ces fausses écritures. Il faut que tous ces livres apocryphes, mis sous les noms des apôtres, soient non seulement défendus, mais encore confisqués et livrés aux flammes. Quoiqu'il se trouve dans certains d'entre eux des apparences de piété, ils n'en sont pas moins dangereux; le charme des fables qui s'y trouvent glisse dans le coeur à son insu le poison mortel de l'erreur. Si donc quelque évêque ne défend pas de conserver ces livres, et permet aux fidèles de lire, comme s'ils étaient canoniques, ces exemplaires que Priscillien a falsifiés, il sera jugé comme hérétique. Celui qui ne s'efforce pas de tirer les autres de leurs erreurs, fait voir qu'il les partage.

Vous me marquez, dans le seizième chapitre, votre juste chagrin de voir que les traits écrits par Dictinius, avant sa conversion, suivant les dogmes de Priscillien, sont lus avec respect par une foule de gens qui croient ainsi honorer sa mémoire, comme s'ils ne devaient pas admirer sa conversion de préférence à louer sa chute. C'est Priscillien qu'ils lisent et non pas Dictinius; les doctrines qu'il enseigna dans son erreur ne sont pas celles qu'il professa dans son repentir. Mais cette faute ne peut pas rester impunie; on ne doit pas tenir pour catholiques ceux qui se servent de ces livres qui ont été condamnés non seulement par l'Église, mais encore par l'auteur lui-même. On doit arracher aux méchants leur masque d'hypocrisie et ne point les laisser échapper à la justice des décrets impériaux à l'aide du nom de chrétien. S'ils se réunissent en apparence à l'Église catholique tandis que leurs coeurs en sont si éloignés, c'est pour rendre leurs complices ceux de nos frères qu'ils peuvent corrompre, et pour échapper, en se disant les nôtres, à la sévérité des lois. C'est ce que font les priscillianistes, c'est ce que font les manichéens dont les coeurs sont si étroitement unis, qu'ils ne diffèrent que de nom, et se rendent coupables des mêmes sacrilèges. Les croyances que les priscillianistes feignent de partager, les manichéens les combattent, et cependant la même pensée les conduit au même but; ceux-ci corrompent les croyances qu'ils ont feint de recevoir, et s'efforcent de les ébranler en les combattant. Dans leurs mystères exécrables qu'ils tiennent d'autant plus secrets qu'ils sont plus immondes, on trouve chez les uns comme chez les autres la même ardeur criminelle, la même obscénité, la même turpitude. Quoique nous rougissions de honte de parler de ces choses, cependant nous avons fait de grands efforts pour découvrir ces hideux mystères, et nous les avons dévoilés au peuple. Les manichéens dont nous nous sommes emparés, nous les ont confessés. Et pour que personne ne puisse douter de notre jugement, auquel ont assisté un grand nombre de prêtres, les premiers dignitaires de Rome, une grande partie du sénat et du peuple, ceux qui avaient commis le crime l'ont déclaré eux-mêmes. La lettre que je vous écrivis alors a dû vous donner connaissance de ces faits. Mais ce crime impur des manichéens, on a découvert depuis longtemps, et beaucoup de gens le savent que c'est l'une des coutumes adultères et incestueuses des priscillianistes. En effet, ces gens qui professent les mêmes doctrines impies pourraient-ils différer par les cérémonies? Aussi j'ai répondu dans cette instruction à chacune des questions posées dans votre libelle, et j'en ai suivi l'ordre avec exactitude. Comme je le pense, j'ai clairement exposé ma pensée sur les sujets que votre fraternité m'a soumis; et j'ai montré qu'il ne fallait pas souffrir que les prêtres du Seigneur partageassent des erreurs si profanes; ou, pour parler avec moins de sévérité, se laissassent entraîner vers elles. Comment osent-ils réclamer le respect dû à leur rang, ceux qui ne veillent pas sur les âmes qui leur sont confiées? Les bêtes féroces s'élancent vers le bercail, et ils n'en ferment point les portes; les loups dévorants rôdent autour de la bergerie, et ils ne posent pas de sentinelles pour les éloigner; les maladies fondent sur le troupeau, et ils ne savent leur opposer aucun remède. Bien plus, ils refusent de s'unir à ceux qui remplissent leurs devoirs avec fidélité. Et ce n'est que par feinte qu'ils anathématisent par de vaines souscriptions des impiétés que tout l'univers a déjà condamnées autrefois; que veulent-ils qu'on pense d'eux, si ce n'est qu'ils ne sont point du nombre de nos frères, mais qu'ils combattent pour nos ennemis ?

Vous m'avez annoncé à la fin de votre lettre que certains catholiques s'inquiètent de savoir si la Chair de Jésus Christ était restée dans le sépulcre quand Il descendit aux enfers, comme s'il y avait le moindre doute sur cette question. De même qu'elle est morte et qu'elle a été ensevelie réellement, de même elle a été ressuscitée réellement le troisième jour; Le Seigneur Lui-même l'avait résolu quand Il dit aux Juifs: " Détruisez ce temple et Je le relèverai en trois jours "; l'évangile ajoute: " Mais Il parlait du temple de son Corps ". (Jn 2,21) Le prophète David nous avait déjà prédit cette vérité; il a dit, en parlant au Nom du Seigneur: " AussiS ma Chair elle-même reposera dans l'espérance. Car Tu n'abandonneras pas mon Âme aux enfers, et Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption ". (Ps 15,9) Ces paroles prouvent que la Chair du Seigneur reposa réellement dans le sépulcre et ne put se corrompre, car le prompt retour de l'âme la rendit à la vie. C'est une impiété digne des priscillianistes ou des manichéens, qui feignent d'adorer le Christ, et nient son Incarnation, sa Mort et sa Résurrection, que de ne pas croire à cette vérité. Il faudra donc convoquer dans le lieu le plus convenable un concile général auquel assisteront les évêques des provinces voisines, afin d'examiner avec la plus sérieuse attention si quelques évêques ne se trouvent point souillés de quelques-unes des hérésies sur lesquelles je viens de vous faire savoir notre opinion. Si l'un d'entre eux en est infecté, il faudra le séparer de notre communion, à moins qu'il ne condamne positivement toutes les impiétés de cette secte criminelle. Sous aucun prétexte on ne doit point souffrir que celui qui a reçu la mission de prêcher les vérités de la foi ose se permettre de disputer contre l'évangile du Christ, la doctrine des apôtres et le Symbole de l'Église universelle. Quels seraient les disciples de pareils maîtres? Quelle serait donc la religion du peuple? Comment obtiendrait-il son salut s'il suivait les lois de ces impies qui, pour la ruine de la société, s'affranchissent des lois de la pudeur qu'ils méprisent; brisent les liens sacrés du mariage; défendent la propagation de l'espèce; condamnent la nature de la chair, et qui, insultant Dieu Lui-même, rejettent la Trinité comme un mensonge; confondent la propriété des Personnes qui la composent; enseignent que l'âme de l'homme est d'essence divine, eux qui ont dit que sa chair était soumise au démon; nomment Jésus Christ Fils unique, parce qu'Il est né d'une vierge, et non parce qu'Il est le Fils du Père éternel; et qui, dans leur contradiction, vont jusqu'à dire que le Christ n'est point réellement de la race de Dieu ni de celle d'une vierge; car ils affirment que sa Passion et sa Mort n'ont été que de trompeuses apparences, et que la résurrection de la Chair, s'élançant triomphante du sépulcre, n'est qu'un vain mensonge? C'est en vain qu'ils portent le nom de chrétien ceux qui ne s'opposent point à ces impiétés. Il faut y croire pour ne point se sentir embrasé d'un saint zèle au récit de ces infamies. En conséquence, j'ai écrit aux frères et co-évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Lusitanie et de Galice pour les inviter à se réunir en concile général. Je laisse au zèle de votre charité le soin de communiquer ma décision aux évêques de ces provinces. Si toutefois quelque obstacle s'opposait à cette réunion générale, il faudrait du moins vous rassembler avec les évêques de la Galice et nos frères Idacius et Céponius. Vous aviseriez ensemble aux moyens les plus prompts à employer pour cicatriser les blessures de cette malheureuse province.




A FLAVIEN, ARCHEVEQUE DE CONSTANTINOPLE, CONTRE L'HÉRÉSIE D'EUTYCHES


La lettre que vous m'avez envoyée si tard, à mon grand étonnement, et les actes de votre dernier concile m'ont fait enfin connaître la cause du scandale qui a troublé votre Église, ainsi que la nouvelle hérésie qui s'est élevée contre la foi. Ces choses que je ne pouvais comprendre avant me sont à cette heure parfaitement connues. J'y vois qu'Eutychès, que son nom de prêtre rendait recommandable, est privé de l'intelligence de la religion et qu'il a montré une assez grande ignorance pour qu'on puisse lui appliquer ces paroles du prophète: " Il n'a pas voulu avoir l'intelligence pour faire le bien; il a ruminé l'iniquité sur sa couche " (Ps 35,4). N'est-ce pas le comble de l'injustice, que de se complaire dans l'impiété au mépris des conseils des sages et des docteurs? Ils se rendent coupables de ce péché ceux qui, ne pouvant franchir les obstacles qui les empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, ne s'empressent pas de recourir aux écrits des prophètes, aux épîtres des apôtres et aux autorités de l'évangile, mais ne consultent qu'eux- mêmes. Ils enseignent l'erreur, parce qu'ils ne se sont pas faits disciples de la vérité. En effet, quelle étude peut-il avoir faite des pages sacrées de l'ancien et du nouveau Testament, celui qui ne comprend pas même les premières lignes du Symbole? Ce vieillard ne sait point encore par coeur ces vérités que les chants des hommes régénérés font retentir par tout l'univers.

Eutychès ignorant donc ce qu'il devait savoir du Verbe de Dieu et refusant de s'éclairer par l'étude des saintes Écritures, aurait du moins pu rester dans la communion de l'Église et répéter avec les fidèles, s'il les avait écoutés attentivement, ces paroles qu'ils prononcent chaque jour: " Je crois en Dieu tout-puissant et en Jésus Christ son Fils unique, notre Seigneur qui est né du saint Esprit et de la vierge Marie ". Ces trois propositions détruisent toutes les erreurs des hérétiques. En croyant en Dieu tout-puissant et au Père éternel, on croit aussi au Fils coéternel, en tout semblable au Père, car Dieu, Il est né tout-puissant et coéternel de Dieu tout-puissant et éternel: égal à Dieu en éternité, en puissance, en gloire, et composé de la même essence, Il est né du saint Esprit et de la vierge Marie, Fils unique éternel de ce Père éternel. Cette existence temporelle ne porta aucun préjudice à son Existence divine et éternelle, et Il la consacra tout entière à réhabiliter l'homme qui était déchu, à vaincre la mort et à terrasser le démon qui avait l'empire de la mort. Nous ne pourrions, nous, dompter l'auteur de la mort et du péché, si le Fils de Dieu n'avait revêtu notre nature et ne Se l'était appropriée, de sorte que le péché ne pût la souiller et que la mort ne pût la retenir. En effet, Il a été conçu par le saint Esprit dans le sein de la vierge Marie, qui, vierge, Le mit au monde, comme, vierge, elle L'avait conçu. Si Eutychès, qui ne pouvait puiser la foi à cette source pure de la religion chrétienne, parce que dans son propre aveuglement il s'était dérobé aux splendeurs éclatantes de la vérité, avait eu recours à la doctrine de l'évangile et avait dit avec Matthieu: " Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham " (Mt 1,1); s'il avait cherché la lumière dans les prédications de l'Apôtre et lu cette phrase de l'Épître aux Romains: " Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l'évangile de Dieu, qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par ses prophètes dans les saintes Écritures, et qui concerne son Fils né de la postérité de David, selon la chair " (Rm 1,1-3); s'il avait parcouru avec soin les pages prophétiques de l'Écriture et trouvé cette promesse de Dieu à Abraham: " Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité " (Gn 22,18); si, pour ne conserver aucun doute sur ce Nouveau-né, il avait cherché ces paroles de l'Apôtre: " Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité " (Ga 3,16); " Il n'est pas dit: et aux postérités, comme s'il s'agissait de plusieurs, mais en tant qu'il s'agit d'une seule: et à ta postérité, c'est-à-dire, à Christ " (Ibid.); si enfin il avait étudié dans son coeur cette prophétie d'Isaïe: " Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel " (Is 7,14), c'est-à-dire Dieu avec nous, et qu'il se fût appliqué à lire ces paroles du même prophète: " Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la domination reposera sur son Épaule; on L'appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix " (Is 9,6): alors, s'il avait lu et étudié toutes ces choses, il n'enseignerait point cette erreur que le Verbe S'est fait chair de cette sorte, qu'Il a pris l'apparence d'un homme dans le sein de la Vierge, mais que son Corps n'est point un vrai corps de la même nature que celui de sa mère. Peut-être aussi a-t-il cru que notre Seigneur Jésus Christ n'avait point un corps semblable aux nôtres, parce que l'ange dit à la bienheureuse Marie toujours vierge: " Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint Enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu " (Lc 1,35), et que, formée dans le sein de la Vierge par l'oeuvre de la Divinité, la Chair de Celui qui fut conçu ne fut pas de la même nature que celle de sa mère. Ce n'est point ainsi qu'il faut comprendre cette admirable conception: on ne doit pas croire que la singularité de sa création priva ce Corps des conditions de la nature humaine. Le saint Esprit féconda la Vierge, mais la matière du Corps fut formée par le corps de celle-ci; " La sagesse a bâti sa maison " (Pr 9,1); " Et le Verbe S'est fait chair, et Il a habité parmi nous " (Jn 1,14), dans cette chair qu'Il tira de l'homme et que le saint Esprit anima.

Les propriétés des deux natures restant ainsi intactes et se réunissant en une seule personne, la majesté, la perfection et l'éternité de la Nature divine s'unirent à la faiblesse, à l'imperfection et à la mortalité de la nature humaine. Pour acquitter la dette de notre condition, pour racheter l'homme, la nature inviolable se lia à la nature qui souffre, afin que le Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus Christ Homme, pût mourir, tandis qu'Il restait éternel comme Dieu. Homme parfait, Il est donc né Dieu véritable, parfait dans sa Nature, parfait dans la nôtre, c'est-à-dire qu'll la revêtit pour régénérer notre nature telle qu'elle était quand Dieu la créa dans le principe; et comme Il ne S'était point soumis aux infirmités humaines, Il vécut parmi nous sans participer à nos fautes. Il prit la forme de l'esclave, sans la souillure du péché; Il glorifia sa Nature humaine sans porter atteinte à sa Nature divine, car cette volonté qu'Il eut de Se rendre visible, Lui qui était invisible, et de Se faire mortel, Lui le Créateur et le souverain Maître de toutes choses, fut l'effet de sa Miséricorde et non point un abaissement de sa Toute-Puissance; ainsi Lui, qui dans sa Nature de Dieu créa l'homme, Se fit homme Lui-même dans sa Nature d'esclave. Comme le démon se glorifiait d'avoir trompé l'homme par sa ruse, de l'avoir privé des Bienfaits de la Divinité, dépouillé de son immortalité et soumis à la mort; comme il se glorifiait, dis- je, d'avoir trouvé dans son malheur une consolation soeur de son péché et d'avoir ainsi changé à l'aide de la propre sentence de Dieu, par la raison de sa Justice, la condition de l'homme qu'Il avait rendue si glorieuse, le Seigneur, Dieu immuable, dont la bienveillance ne saurait être enchaînée, sut, dans sa Sagesse impénétrable, mettre le comble à ses Bontés pour nous par ce mystère sacré, et empêcher que l'homme, tombé dans le péché par la ruse du démon, ne pérît à l'encontre des décrets de la Divinité.

Ainsi, le Fils de Dieu entre dans ce monde corrompu; Il descend du ciel avec toute la Gloire de son Père, et Il naît par un nouvel ordre de choses, par une nouvelle manière de naître. Par un nouvel ordre de choses; car invisible dans sa Divinité, Il devient visible dans notre nature; infini, Il veut être fini; plus ancien que les temps, Il Se soumet au temps; Maître de l'univers, Il couvre d'un voile l'immensité de sa Toute-Puissance et prend la forme d'un esclave; Dieu impassible, Il daigne devenir un homme sujet à la souffrance; Dieu immortel, Il Se soumet aux lois de la mort. Il vient au monde par une nouvelle manière de naître, car c'est une vierge pure, non souillée par la concupiscence, qui donne le jour à son Corps. Il prend ce Corps impeccable dans le sein de la Vierge, et ce Corps, né d'une vierge, n'en est pas moins de la même nature que le nôtre. Vrai Dieu, c'est un homme véritable; il n'existe aucun mensonge dans cette alliance, l'humilité de l'homme et la Puissance de Dieu sont réunies. Sa Divinité n'est point altérée par son Oeuvre de miséricorde, et elle laisse son humanité intacte. Chaque nature agit avec la participation de l'autre; mais le Verbe opère comme le Verbe, et la chair comme la chair. L'une brille par des miracles, l'autre succombe sous les injures. Le Verbe partage toujours la Gloire de Dieu son Père, et la chair les faiblesses de notre nature. Jésus, comme on doit le répéter, est seul à la fois le vrai Fils de Dieu et le vrai Fils de l'homme. Dieu, car " au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu " (Jn 1,1); homme, car " le Verbe S'est fait chair, et Il a habité parmi nous " (Jn 1,14). Dieu, car " toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,3); homme, car Il est né d'une femme et soumis à la loi. La naissance de sa Chair prouve sa Nature humaine, et sa conception dans le sein d'une vierge, sa Nature divine. Son humble berceau montre qu'Il n'était qu'un petit enfant, et les chants des anges révèlent sa Grandeur toute puissante. Il est, comme les hommes, enveloppé dans des langes, Lui dont l'impie Hérode conspire la mort; mais Il est le souverain Maître de tous les mortels, Lui devant qui les mages viennent se prosterner avec joie. Quand Il vint recevoir le baptême de Jean, son précurseur, on put s'assurer de la réalité de sa Nature divine, par ces mots que Dieu le Père fit retentir du haut des cieux: " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J'ai mis toute mon affection " (Mt 3,17). Homme, Il est tenté par le démon; Dieu, Il est servi par les anges. Enfin, Il donne une preuve évidente de son Humanité en étant soumis à la faim, à la soif, à la fatigue et au sommeil, et une non moins frappante de sa Divinité, lorsqu'Il rassasie cinq mille hommes avec cinq pains, qu'Il donne l'eau vive à la Samaritaine et la désaltère de telle sorte qu'elle n'ait jamais soif, qu'Il marche sur la mer sans Se mouiller les pieds et qu'Il apaise les fureurs de la tempête. Pour m'arrêter à ces derniers exemples, ce n'est pas la même nature qui pleure sur la mort de son ami Lazare, le fait sortir du sépulcre et le ressuscite quatre jours après; qui Se laisse attacher à la croix et change le jour en ténèbres et bouleverse les éléments; qui, fixée par des clous, ouvre les portes du ciel au bon larron. Ce n'est pas la même nature qui dit: " Moi et mon Père ne sommes qu'un "; et ensuite: " Mon Père est plus grand que Moi ". Quoiqu'il n'y ait qu'une seule et même Personne en notre Seigneur Jésus Christ, cependant on ne doit point en conclure que ses Souffrances et sa Gloire soient communes à ses deux Natures; car Il est inférieur à son Père comme homme, et comme Dieu Il est son égal.

Aussi, on comprend que les deux natures soient réunies en une seule personne, et on lit que le Fils de l'homme est descendu du ciel, lorsque le Fils de Dieu eut pris dans le sein de la Vierge cette chair dans laquelle Il naquit. On dit aussi que le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli et ce n'est point dans sa Nature de Fils unique de Dieu, consubstantiel et coéternel à son Père qu'Il a été soumis à ces souffrances, mais bien dans sa Nature d'homme. C'est pourquoi nous confessons tous dans le Symbole le Fils unique de Dieu, qui a été crucifié et enseveli suivant ces paroles de l'Apôtre, " car, s'ils l'eussent connue, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire " (1Co 2,8). Lorsque le Seigneur notre Sauveur interrogeait ses disciples sur ce qu'ils pensaient de Lui, Il leur dit: " Qui croyez-vous que soit Celui qu'ils appellent le Fils de l'homme? ", les disciples Lui rapportèrent les opinions des étrangers et Il leur dit: " Et vous, qui dites-vous que Je suis? ", Moi qui suis en vérité Fils de l'homme et que vous voyez sous la forme d'un esclave, d'un homme véritable, dites-Moi qui Je suis? Alors le bienheureux Pierre, inspiré par le Très-Haut, rendit ce témoignage qui devait servir à toutes les nations: " Tu es, répondit-il, le Christ, le Fils du Dieu vivant ". (Mt 16,16) C'est avec raison que le titre de bienheureux lui est donné par le Seigneur et qu'il tire la solidité de sa vertu et de son nom de la pierre même; car éclairé par la révélation du Père tout-puissant, il avait confessé que le Fils de Dieu était le Christ, parce qu'il n'aurait rien servi à notre salut de recevoir parmi nous l'un sans l'autre, et il était aussi malheureux pour nous de croire que notre Seigneur Jésus Christ était seulement Dieu sans être homme, qu'homme seulement sans être Dieu. Après sa Résurrection, qui fut celle de sa véritable Nature humaine dans laquelle Il avait été crucifié et enseveli, pourquoi notre Seigneur resta-t-Il quarante jours sur la terre, si ce n'est pour débarrasser notre foi des ténèbres de l'incertitude? En effet, Il S'entretenait avec ses disciples, Il habitait et mangeait avec eux, Il permettait à leur avide curiosité de Le palper de leurs propres mains, eux qui étaient tourmentés par le doute; Il Se présentait tout à coup au milieu d'eux, les portes étant fermées; par son Souffle, Il leur donnait l'Esprit, et en leur faisant don du feu de l'intelligence, Il leur découvrait le sens mystérieux des saintes Écritures. Il leur montrait aussi la blessure de son Côté, les marques des clous et toutes les traces de sa Passion récente, et leur disait: " Voyez mes Mains et mes Pieds, c'est bien Moi; touchez-Moi et voyez: un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'ai. " (Lc 24,39) Il nous faisait connaître ainsi que les propriétés des deux natures restent indivisibles en Lui, que le Verbe n'est pas la chair, et que nous devons confesser l'union du Verbe et de la chair dans le Fils unique de Dieu. On doit croire qu'Il est trop éloigné de nos croyances, cet Eutychès, qui n'a pas reconnu notre nature dans le Fils unique de Dieu ni à l'humilité de la mort, ni à la Gloire de la résurrection. Il n'a pas non plus redouté cette sentence du bienheureux apôtre et évangéliste Jean: " Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu en chair est de Dieu; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu, c'est celui de l'Antichrist. (1Jn 4,2-3) N'est-ce pas diviser Jésus que de nier sa Nature humaine et d'anéantir par d'odieux mensonges ce mystère de la foi qui nous a sauvés? Puisqu'il est dans l'erreur sur la nature du Corps de Jésus Christ, il doit être nécessairement aussi dans l'erreur sur sa Passion; car s'il ne pense point que la croix de notre Seigneur soit un mensonge et qu'il ne doute point de la vérité du supplice qu'Il a souffert pour le salut du monde, il doit reconnaître la vérité de la Chair de Celui dont il croit la mort. Il ne peut non plus douter qu'Il ne soit un homme semblable à nous, s'il admet qu'Il a souffert; car en niant la vérité de la chair, il nie la passion du Corps de Jésus. Si la foi chrétienne est dans son coeur, s'il ne ferme point l'oreille aux enseignements de l'évangile, qu'il voie quelle nature fut attachée avec des clous au bois de la croix, et qu'il comprenne d'où coulèrent, après que le soldat eut percé le Côté du Sauveur d'un coup de lance, l'eau et le sang qui ont arrosé l'Église du Christ par le baptême et l'Eucharistie. Qu'il écoute le bienheureux apôtre Pierre enseignant que l'esprit est sanctifié par l'aspersion du Sang de Jésus Christ; qu'il lise avec attention ces paroles du même apôtre: " Ssachant que ce n'est pas par des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous aviez héritée de vos pères, mais par le Sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache ". (1P 1,18-19) Qu'il ne résiste point non plus au témoignage du bienheureux apôtre Jean qui dit: " Le Sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché " (1Jn 1,7); et plus loin: " Set la victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi. Qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu? C'est Lui, Jésus Christ, qui est venu avec de l'eau et du sang; non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang; et c'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage: l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont d'accord ". (1Jn 5,4-8) L'esprit de sainteté, le sang de la rédemption et l'eau du baptême, qui tous trois sont d'accord pour attester la même chose, et ils restent toujours unis, ils ne diffèrent point d'une syllabe de ce qu'ils prouvent; car l'Église catholique vit et prospère dans cette croyance que dans notre Seigneur Jésus Christ l'humanité est unie à la vraie Divinité et la Divinité à la véritable humanité.

Aussi, quand Eutychès vous répondit dans son interrogatoire: " Je confesse qu'il y avait deux natures en notre Seigneur Jésus Christ avant son Incarnation, mais qu'il n'en restait qu'une seule après "; je m'étonne qu'une profession de foi aussi perverse et aussi absurde n'ait point fait crier anathème à tous les juges; qu'une telle folie, qu'un tel blasphème ait passé sous silence, comme si nos plus chères croyances n'étaient point attaquées. C'est une impiété aussi grande de dire qu'il y avait avant l'incarnation deux natures distinctes dans le Verbe, Fils unique de Dieu, que d'affirmer qu'Il n'en avait qu'une seule après qu'Il Se fut fait chair. De crainte qu'Eutychès ne croie que sa proposition est vraie et qu'elle ne peut être condamnée, parce que vous ne vous êtes point efforcés de la réfuter, je vous engage, très cher frère, à employer votre pieuse sollicitude, si cette affaire se termine comme elle le doit par la pénitence du coupable, à éclairer cet homme ignorant sur l'impiété des paroles qu'il a prononcées. Comme la suite des actes me l'a fait connaître, il avait presque commencé à revenir de son erreur, lorsque, menacé par votre sentence, il protesta qu'il dirait ce qu'il ne disait point auparavant et qu'il adoptait une doctrine qui n'était pas la sienne. Mais comme il refusa de prononcer l'anathème contre son dogme impie, vous avez compris avec raison qu'il persistait dans son crime et qu'il était convenable de formuler la sentence de sa condamnation. S'il élève contre ce jugement les plaintes d'un coeur fidèle et contrit; s'il reconnaît, quoique tard, que l'autorité de son évêque l'a frappé avec justice, et si, pour accomplir entièrement l'acte de sa réconciliation avec l'Église du Christ, il condamne toutes ses erreurs de vive voix et par écrit, alors vous ne serez point répréhensible d'user de miséricorde à l'égard de ce pécheur converti, car notre Seigneur est le véritable et bon Pasteur, qui est mort pour ses brebis et qui, étant venu pour sauver et non pour perdre les âmes des hommes, veut que nous imitions sa douce Piété, et que si notre justice sait punir les pécheurs, du moins nous leur accordions leur pardon s'ils prouvent leur repentir. Mais enfin, pour défendre la vraie foi d'une manière efficace, il faut toujours condamner les hérésies dans la personne de ceux qui les professent. Pour suivre cette cause avec piété et fidélité, je vous envoie nos frères Julien, évêque, et René, prêtre du titre de saint Clément, et mon fils, le diacre Hilaire. Je leur ai adjoint notre notaire Dulcitius, dont la foi m'a été souvent prouvée. Nous espérons qu'avec l'aide de la Grâce de Dieu, celui qui est tombé dans l'erreur sera sauvé après avoir condamné son erreur.

Que Dieu vous garde, très cher frère.

Fait aux ides de juin, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène, en l'an 456.



S. Léon, lettres choisies