S. Léon, lettres choisies - A FLAVIEN, ARCHEVEQUE DE CONSTANTINOPLE, CONTRE L'HÉRÉSIE D'EUTYCHES

A LA TRES PIEUSE IMPÉRATRICE PULCHÉRIE

Nous avons déjà éprouvé en de nombreuses circonstances tout le secours que le Seigneur avait préparé à son Église dans votre Clémence impériale. Mais ce que vous avez fait dans ces temps pour protéger le zèle des évêques contre les ennemis de la vérité catholique tournera à la plus grande gloire de votre Majesté, qui, montrant ainsi qu'elle reçoit les inspirations du saint Esprit, Lui soumet sa puissance en toutes choses et règne par sa Grâce et sa Protection. J'ai appris par les lettres de notre frère et collègue Flavien, et le texte des actes du concile m'a fait connaître d'une manière positive qu'Eutychès a fait naître de grands troubles dans l'Église de Constantinople, en soulevant des questions contraires à la foi catholique. Il est digne de votre gloire de détruire ces erreurs, nées plutôt, comme je le crois, de l'ignorance que de l'iniquité, avant qu'elles puissent se répandre et acquérir des forces par l'approbation des esprits peu éclairés, dont l'opiniâtreté est si dangereuse. Souvent l'ignorance commet des fautes graves; souvent la simplicité imprudente se précipite aveuglément dans les pièges du démon, et je crois que c'est ainsi qu'Eutychès s'est laissé surprendre par l'esprit du mensonge. Il pense rendre hommage à la Majesté du Fils de Dieu, en disant que notre nature n'existe point réellement en Lui, et en pensant que le Verbe, qui S'est fait chair, est d'une seule et même essence. Autant Nestorius, qui affirma que la mère du Christ n'avait enfanté qu'un homme, s'est écarté de la vérité, autant celui-ci s'éloigne de la foi catholique, qui pense que cette même vierge ne donna point le jour à une nature semblable à la nôtre. Il veut ainsi que l'on croie à la seule réalité de la Divinité, et que cette forme d'esclave, qu'Il prit semblable et conforme à la nôtre, ne fût, loin d'être véritable, qu'une image trompeuse de notre nature. Il ne sert à rien de reconnaître que notre Seigneur, fils de la bienheureuse vierge Marie, fut un homme véritable et parfait, si l'on ne croit qu'Il fut un homme de cette race dont parle l'évangile. Matthieu dit: " Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham " et il part ainsi de la source de son origine humaine et parcourt toutes les générations jusqu'à Joseph, qui fut l'époux de la mère du Seigneur. Luc, examinant les générations en sens contraire, remonte jusqu'au père du genre humain, afin de prouver que l'ancien Adam et le nouvel Adam sont de la même nature. La Toute-Puissance du Fils de Dieu aurait pu apparaître aux hommes pour les instruire et les sauver de la même manière qu'elle se révéla sous les apparences de la chair aux patriarches et aux prophètes, soit lorsqu'elle lutta avec Jacob et lui fit entendre sa voix, soit lorsqu'elle accepta l'hospitalité d'Abraham et qu'elle prit la nourriture qu'elle offrit. Mais ces vains fantômes n'étaient que les présages de l'arrivée de l'Homme qui devait venir: mystiques prophéties, elles annonçaient la réalité de la chair qu'Il devait prendre dans le sang de la race des patriarches. Et ces vaines images ne pouvaient accomplir le mystère de notre réconciliation, que Dieu dans sa Sagesse avait préparé avant les temps éternels, parce que le saint Esprit n'avait encore plané sur la Vierge et la Vertu du Très-Haut ne l'avait point encore couverte de son ombre, afin que la Sagesse se construisît une maison dans ces entrailles non profanées, que le Verbe se fît chair en réunissant en une seule Personne la Nature de Dieu et la nature de l'esclave, que le Créateur du temps et de tout l'univers naquît au milieu de toutes les créatures à une époque déterminée. Si l'Homme nouveau, créé à la ressemblance de la chair du péché, n'avait point revêtu notre vieille nature, et, consubstantiel à son Père, n'avait daigné être consubstantiel à sa mère, et, seul impeccable, n'avait point uni notre nature à la sienne, l'humanité gémirait encore sous le joug du démon, et nous n'aurions point triomphé de lui par la Victoire du Christ, s'Il l'avait remportée dans une autre nature que la nôtre. Dans ce partage de son Triomphe, Il nous a octroyé cet admirable sacrement de régénération de telle sorte que, par la Grâce du saint Esprit, qui a fait naître Jésus Christ de la Vierge, nous aussi, qui sommes nés de la concupiscence de la chair, nous naissions de nouveau par une naissance spirituelle. C'est pourquoi le Théologien dit à des fidèles: " Lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ". (Jn 1,13) Il ne peut participer à cette Grâce ineffable et mériter d'être adopté par Dieu, celui qui ne veut point croire à cette vérité, qui est le principe de notre salut. Aussi j'éprouve un vif chagrin et une grande douleur de ce que ce prêtre, dont l'humilité paraissait autrefois si digne d'éloges, ose proférer d'absurdes mensonges contre cette vérité, qui fait notre unique espérance et celle de nos pères. Lorsqu'il vit que sa doctrine était blâmée par les catholiques, il aurait dû la condamner lui-même et ne point attendre que les chefs de l'Église soient forcés de prononcer la sentence de sa condamnation; car le Siège apostolique, qui ne s'écarte jamais des lois de la justice et de la modération, frappe avec plus de sévérité les pécheurs endurcis et pardonne avec joie à ceux qui se repentent. Comme j'ai la plus grande confiance dans la foi sincère de votre piété, je prie la gloire de votre Clémence de déployer en cette occasion le zèle qu'elle a toujours montré pour la religion catholique, et de contribuer à son triomphe. Peut-être le Seigneur a-t-Il permis que ce fléau fondît sur nous pour nous éprouver, afin que l'on puisse connaître ceux des fidèles qui partagent en secret, dans l'Église, les erreurs d'Eutychès; aussi est-il de notre devoir de nous empresser de les éclairer et de les purifier, afin que nous n'ayons point à déplorer leur damnation éternelle. L'empereur très auguste et très chrétien, désirant voir mettre fin à ces troubles le plus tôt possible, a fixé à une époque beaucoup trop rapprochée la célébration du concile, qui, selon sa volonté, doit se tenir à Éphèse. En arrêtant sa convocation au jour des calendes d'août, le temps qui nous reste, à nous qui n'avons reçu les lettres de sa Majesté que le troisième jour des ides de mai, nous suffira à peine pour préparer le départ des évêques qui nous représenteront en cette circonstance; car l'empereur a jugé convenable que j'assistasse en personne à ce concile; mais outre qu'aucun exemple précédent ne m'en fait une loi, je suis dans l'impossibilité de me rendre à son désir, car l'état incertain des affaires publiques ne me permet pas de m'éloigner du peuple d'une si grande ville; les esprits se livreraient au désespoir s'ils voyaient que je veuille abandonner ma patrie et le Siège apostolique pour me rendre au concile. Comme vous voyez qu'il est de l'intérêt public que je ne m'arrache point à l'amour et aux prières des citoyens, pensez que j'assiste aussi au concile d'Éphèse, dans la personne de ceux de mes frères que j'ai envoyés à ma place. Je leur ai enseigné les vérités qu'ils devaient défendre dans cette cause, que les actes du concile de Constantinople et la profession de foi d'Eutychès m'ont fait connaître parfaitement. Ce n'est point sur quelque petit détail de nos dogmes, difficile à comprendre, qu'il a établi son erreur, mais il a osé poursuivre de ses insultes insensées une vérité que notre Seigneur a voulu que personne de l'un ou de l'autre sexe n'ignorât dans son Église. En vérité, cette profession de foi si courte et si parfaite du Symbole catholique qui est composé tout entier des paroles des apôtres, présente des instructions toutes divines, qui suffisent pour anéantir toutes les doctrines des hérétiques. Si Eutychès, animé par des sentiments simples et purs, avait voulu remplir son coeur des instructions salutaires de ce Symbole, il ne se serait jamais écarté en rien du décret du très saint concile de Nicée, et il aurait compris qu'il lui était défendu par les lois des saints pères d'avoir aucune pensée, de proférer aucune parole contre cette foi des apôtres, qui, sans l'unité, n'existe point. Aussi, vous daignerez, avec votre zèle ordinaire, travailler avec nous à bannir de toutes les âmes les blasphèmes insensés qu'il a proférés contre notre salut. Si ce malheureux, qui a succombé à la tentation, vient à se repentir de ses erreurs et les condamner par écrit, on le rétablira dans sa dignité de prêtre et d'archimandrite. Votre Clémence voudra bien aussi prendre connaissance des lettres que j'ai adressées au saint évêque Flavien, dans ce but qu'on n'oublie pas les lois de la charité envers ceux qui reconnaîtront leurs erreurs et les condamneront.

Fait aux ides de juin, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène.



A L'IMPÉRATRICE PULCHERIE

Si les lettres que nous vous avons adressées par nos clercs pour la défense de la foi vous étaient parvenues, il est certain que votre sainteté, inspirée par le Très-Haut, se serait empressée de porter remède de tout son pouvoir à ce qui a été fait contre la foi. En effet, combien n'avez-vous point manqué aux évêques? Combien n'avez-vous point manqué à la foi et à la religion chrétienne? Ainsi, comme ceux que nous vous avions envoyés n'ont pu parvenir jusqu'à votre bienveillance, car c'est avec la plus grande peine que notre diacre Hilaire est parvenu à s'échapper et à regagner Rome, nous jugeons convenable de vous écrire de nouveau. Pour donner plus de force à nos prières, nous joignons à cette lettre une copie de celle qui n'a pu vous être remise, et nous vous supplions, par tout ce qu'il y a de plus saint, de vous opposer à tout ce qui a été fait de criminel: cette noble tâche que votre dignité impériale vous impose, ajoutera un nouvel éclat à la foi vive qui vous distingue; car le concile qui s'est réuni à Éphèse pour donner la paix à l'Église, en portant un jugement contre l'hérésie, a non seulement agi de manière à rendre toute pacification impossible, mais encore, et ce qu'on ne saurait trop déplorer, a travaillé à la ruine de la foi chrétienne. Nos légats eux-mêmes, dont un seul a su soustraire à la violence de l'évêque d'Alexandrie, qui s'était arrogé la souveraine puissance, et nous faire le récit fidèle de ce qui s'est passé, ont protesté, comme ils devaient le faire dans le concile, non pas tant contre le jugement, mais contre la fureur de Dioscore. Ils se sont écriés qu'une sentence rendue par la crainte et la violence, ne pouvait porter aucun préjudice aux sacrements de l'Église et au Symbole établie par les apôtres; et aucune injure n'a pu les contraindre à s'écarter de cette règle de foi, conçue et exprimée de la manière la plus positive, que le saint Siège leur avait donné pour remettre au saint concile. Les évêques, malgré leurs réclamations, n'ont pu obtenir la lecture de cette pièce: on a voulu, en bannissant du concile le témoignage de foi qui couronna les patriarches, les prophètes, les apôtres et les martyrs, abolir - nous avons horreur de le dire - et la Naissance de notre Seigneur Jésus Christ selon la chair, et la vérité de sa Mort et de sa Résurrection. Dès que nous l'avons pu, nous avons écrit sur ce sujet, et nous vous adressons une copie de cette lettre à notre empereur très glorieux et, ce qui est plus grand, très chrétien, pour le prier de ne point laisser corrompre par aucune innovation la foi dans laquelle il a été baptisé et dans laquelle il règne par la Grâce de Dieu. Comme l'évêque Flavien est resté dans notre communion qui est celle de l'Église universelle, qu'il n'existe aucune raison pour approuver le jugement rendu contre lui, au mépris de tout sentiment de justice et à l'encontre des règles de la discipline ecclésiastique, et comme le synode d'Éphèse, loin de terminer de scandaleux désordres, y a au contraire mis le comble, nous lui avons demandé de convoquer un concile en Italie, et d'en fixer le temps et le lieu, afin que toute discussion et toute condamnation restant suspendues jusque là, on puisse alors revenir sur tout ce qui a été mal fait, rendre à la paix du Seigneur, sans blesser la foi et sans offenser la religion, les évêques qui, par faiblesse, se sont laissés contraindre à souscrire au jugement de Dioscore, et détruire l'hérésie. Que votre piété, dont la foi nous est si bien connue, et qui porte toujours secours à l'Église dans ses travaux, daigne appuyer notre demande auprès du très clément empereur, ainsi que les légats que le bienheureux apôtre Pierre lui envoie pour ce sujet, afin qu'avant que ce fléau funeste de la guerre civile se propage dans l'Église, il nous donne la force et les moyens de rétablir la paix avec l'Aide de Dieu. Il sait que tout ce qu'il accordera à la liberté catholique, doit contribuer à augmenter sa puissance.

Fait aux ides d'octobre, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène.


AU CLERGÉ ET AU PEUPLE DE LA VILLE DE CONSTANTINOPLE

Si ce qui s'est passé dernièrement à Éphèse nous a vivement affligé, car les lois de la justice et celles de la religion ont été foulées aux pieds, d'un autre côté, votre piété sincère et vos acclamations contre l'injuste sentence nous ont fait éprouver une grande joie. Bons fils, vous conserverez toujours votre amour à votre excellent père, et vous ne souffrirez pas qu'on porte le moindre changement aux saintes doctrines qu'il vous a enseignées. Sans doute, comme le saint Esprit vous l'a révélé, ils sont souillés par l'hérésie de Manichée, ces hommes qui nient la vérité de la Nature humaine de notre Seigneur Jésus Christ et attribuent à un vain fantôme toutes ses actions corporelles. De peur que vous ne tombiez dans cette erreur, nous vous avons déjà fait remettre une lettre par nos enfants Épiphane et Denys, notaires de l'Église romaine, et, d'après votre désir, nous vous écrivons de nouveau. Vous ne douterez point ainsi que nous ne veillions sur vous avec une sollicitude toute paternelle et que nous n'employions tous les moyens possibles pour faire cesser, avec le secours de la Miséricorde de Dieu, le scandale que des ignorants et des insensés ont fait naître. Qu'aucun de ceux qui ont pu se laisser convaincre par de pareilles impiétés n'ose se glorifier de son rang dans l'Église: car si l'ignorance est à peine tolérable chez un laïc, quel juste châtiment ne mérite-t-elle pas chez des hommes chargés de conduire les autres, et surtout quand ils défendent des opinions dangereuses et les font adopter par les esprits inconstants, à l'aide des caresses et des menaces? Ils méprisent les saints membres du Corps de Jésus Christ, mais la liberté catholique ne subira pas leur joug. Ils manquent de la Grâce divine et ils doivent être privés du sacrement du salut, ces hommes qui nient la Nature humaine de Jésus Christ et contestent ainsi les vérités de l'évangile et rejettent le Symbole. Ils ne comprennent pas que cette impiété les conduit à détruire la réalité de la Passion et de la Résurrection; car comment auraient pu s'accomplir ces mystères, si notre Sauveur n'a pas la chair d'un homme? Dans quelles ténèbres d'ignorance sont-ils plongés, dans quelle honteuse paresse ont-ils vécu pour ne pas avoir appris, soit par des discours, soit par des lectures, ce qui dans l'Église de Dieu retentit de tous côtés, cette vérité du Corps et du Sang de Jésus Christ, que les enfants eux-mêmes confessent à la communion, distribution mystique de la nourriture spirituelle où notre chair, après avoir reçu cette nourriture céleste, s'unit à la Chair de Celui qui S'est incarné. Aussi, pour vous confirmer dans votre charité qui s'est opposée avec une foi digne d'éloges aux ennemis de la vérité, je vous dirai comme l'Apôtre: " C'est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre charité pour tous les saints, je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mention de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation, dans sa connaissance, et qu'Il illumine les yeux de votre coeur, pour que vous sachiez quelle est l'espérance qui s'attache à son Appel, quelle est la richesse de la gloire de son Héritage qu'Il réserve aux saints, et quelle est envers nous qui croyons l'infinie grandeur de sa Puissance, se manifestant avec efficacité par la vertu de sa Force. Il l'a déployée en Christ, en Le ressuscitant des morts, et en Le faisant asseoir à sa Droite dans les lieux célestes, au-dessus de toute Domination, de toute Autorité, de toute Puissance, de toute dignité, et de tout nom qui se peut nommer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses Pieds, et Il L'a donné pour Chef suprême à l'Église, qui est son Corps, la Plénitude de Celui qui remplit tout en tous ". (Ep 1,15-23) Qu'ils nous disent, les adversaires de la vérité, quelle nature le Père tout-puissant a placée au-dessus de toutes choses, car " toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,3), Il est nécessairement supérieur à toutes les créatures qui, de tout temps, ont été soumises à Celui qui les a créées. Éternel, Il est de la Nature du Père, Il est semblable au Père, Il ne forme qu'un avec Lui. Si donc sa Puissance, sa Dignité, sa Gloire ont été augmentées, c'est qu'Il possédait une nature inférieure qui n'avait ni la puissance, ni la grandeur, ni la gloire de la Nature divine. C'est Arius qui a inspiré son impiété à ces hommes qui nient la nature humaine dans le Verbe, refusent avec mépris de croire que l'humilité de notre nature ait été jointe à la Majesté de Dieu, prétendant que le Corps du Sauveur était un vain fantôme, et attribuent plutôt à sa Divinité qu'à sa Chair toutes ses Actions et toutes ses Souffrances corporelles. Il est bien insensé celui qui ose défendre une pareille doctrine, car elle détruit la foi et la vérité du sacrement; d'après elle, ou la Divinité a souffert, ou bien il n'y a rien eu de réel dans le mystère de la Passion. Le fils de Dieu impassible est de toute éternité de l'essence immuable de la Trinité avec le Père et le saint Esprit. Quand les temps furent venus, temps fixés par l'éternelle Sagesse et révélés au monde par les prophètes, Il S'est fait homme sans perdre sa Substance divine, mais en revêtant notre nature. Il " est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10); Il vint parmi nous, non comme une apparition passagère, mais bien sous des formes visibles et palpables, en prenant la chair et l'âme d'un homme dans le sein de la Vierge, sa mère; Dieu, Il S'unit à la forme de l'esclave, à la nature de la chair du péché: et l'Homme n'a pas altéré la Divinité, et le Dieu a glorifié l'humanité.

La faute de nos premiers parents, dont le péché originel a été transmis à toute leur postérité, ne pouvait être effacée; et nous ne pouvions échapper à la damnation éternelle, si le Verbe ne se faisait Chair et n'habitait parmi nous dans cette même nature, cette même chair et ce même sang que les nôtres. C'est ainsi que l'Apôtre a dit dans son Épître aux Romains: " Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s'étend à tous les hommes. Car, comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul beaucoup seront rendus justes " (Rm 5,18-19). Et dans une autre épître: " Car, puisque la mort est venue par un homme, c'est aussi par un Homme qu'est venue la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ " (1Co 21-22). Ils sont étrangers à tout sacrement de la religion chrétienne ceux qui ne confessent pas la vérité de la nature humaine prise par le fils unique de Dieu dans le sein de la Vierge de la descendance de David; ils ne connaissent ni l'Époux ni l'Épouse; ils ne peuvent assister au banquet nuptial. La Chair de Jésus Christ est la Robe du Verbe; celui qui confesse le Christ en est revêtu. Mais celui qui rougit de ce vêtement et le rejette comme indigne, quoiqu'il s'approche de la table royale et prenne part au banquet sacré, convive parjure, il n'échappera pas à la justice du Roi, comme le Seigneur l'a prédit Lui-même; il sera chassé, ses pieds et ses mains seront chargés de fers et il sera lancé dans les ténèbres extérieures où il y aura des sanglots et des grincements de dents. Aussi quiconque ne confesse pas la Nature humaine de Jésus Christ, est jugé indigne du mystère de l'Incarnation, et ne jouira des bienfaits du sacrement dont l'Apôtre parle en ces termes: " Parce que nous sommes membres de son Corps. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair "; et il a ajouté pour expliquer ces paroles: " Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l'Église ". (Ep 5,30-32) Dès le commencement de la race humaine, l'Avènement du Christ dans la chair a été annoncé à tous les hommes. Ils seront deux dans la même chair, a-t-il été dit; et en vérité, ils sont deux dans la même chair: Dieu et l'homme, le Christ et l'Église qui est née de la chair de l'Époux; quand, par le sang et l'eau qui coulaient de son Côté sur la croix, elle a reçu le sacrement de la rédemption et de la régénération. Et tel est le nouvel état de la créature qui, par l'eau du baptême, n'est point privée de sa chair, mais purifiée de la tache originelle; de telle sorte que son corps devient celui de Jésus Christ, car le Corps du Christ est celui d'un homme. Nous ne devons donc pas dire que le Christ est seulement Dieu, comme les manichéens, ou comme l'hérétique Photinus, qu'Il est seulement homme; nous ne devons pas croire qu'il Lui manque rien de la nature humaine, soit l'âme, soit la raison, soit la chair; proposition impie développée par les apollinaristes, qui prétendaient que le Verbe n'avaient pas pris sa chair dans le sein d'une vierge, mais qu'Il était Lui-même changé en chair. Nous ne devons pas admettre davantage que la bienheureuse vierge Marie ait conçu un homme sans la Divinité, homme qui, une fois créé du saint Esprit, ait été habité par le Verbe ensuite, erreur qui a été justement condamnée dans la personne de Nestorius; mais telle doit être notre croyance: Le Christ, fils de Dieu, Dieu véritable, né de Dieu le Père, de toute éternité, est aussi un homme véritable, né d'une femme à une époque déterminée; son Humanité, par laquelle Il est inférieur au Père, n'a porté aucune altération à sa Nature divine, par laquelle Il est égal à Dieu. Il n'y a qu'un seul Christ en deux natures; Il l'a prouvé Lui-même quand Il a dit comme Dieu: " Moi et le Père nous sommes un " ); et comme Homme: " Le Père est plus grand que Moi " (Jn 14,28). Cette profession de foi est la seule qui soit aux coeurs des véritables chrétiens; c'est la seule qui soit bonne et impérissable; vous la défendrez avec zèle et amour; vous y persévérerez; vous la confesserez avec constance. Et, comme après la Miséricorde de Dieu il faut aussi mériter les bonnes grâces de vos princes chrétiens, demandez avec sagesse et humilité au très clément empereur qu'il daigne ordonner la convocation d'un concile général, comme je l'en ai déjà prié, afin de retremper le courage et l'ardeur des bons catholiques et de purifier les hérétiques qui consentiront à rentrer dans la bonne voie.

Fait aux ides d'octobre, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène.



A L'EMPEREUR MARCIEN

Toute l'Église a tressailli de joie lorsque, par un bienfait de la Miséricorde de Dieu, l'hérésie la plus pernicieuse a été détruite par le zèle saint et glorieux de votre Clémence; vous avez consacré votre puissance au service de Dieu; vous avez aidé les prêtres du Seigneur de toute votre foi et de tout votre pouvoir à parvenir plus promptement au but de leurs travaux. Quoique, en vertu du saint Esprit qui les inspire, ce soit le devoir des serviteurs du Siège apostolique de défendre en toute circonstance les vérités et la liberté de l'évangile, cependant cette fois, c'est par la seule Grâce de Dieu que nous avons triomphé; et dans cette victoire de la vérité Dieu a permis que les seuls auteurs de l'hérésie périssent et que l'Église recouvrât son unité. Cette guerre que l'ennemi de notre paix avait suscitée s'est donc terminée d'une manière si heureuse que, le Christ triomphant, les mêmes lauriers couronnèrent tous les évêques; et, la lumière de la vérité brillant avec éclat, les ténèbres de l'erreur et ses partisans furent seuls chassés au loin.

Sur ce qui concerne nos croyances touchant la résurrection de notre Seigneur, il fut très avantageux, pour jeter les bases de la foi, que certains apôtres aient douté de la réalité de la Chair de Jésus Christ; car, en se convainquant eux-mêmes par les sens de la vue et du toucher, lorsqu'ils examinèrent la marque des clous et la cicatrice du coup de lance, ils mirent fin aux doutes de tous ceux qui pourraient hésiter à croire; il en est de même aujourd'hui, lorsque l'infidélité de quelques-uns est confondue; tous ceux qui chancelaient dans leurs croyances s'y trouvent confirmés, et l'aveuglement des uns sert à éclairer les autres. Il est digne et juste que votre Clémence se glorifie de ses travaux; car elle a pourvu avec sagesse à ce que les embûches du démon ne puissent nuire aux Églises d'Orient, et elle a compris avec fidélité qu'on ne saurait jamais offrir d'holocauste plus agréable à Dieu qu'en réunissant les peuples, les évêques et les rois, pour confesser tous de la même manière la Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme Jésus Christ.

Après cette heureuse pacification de l'Église universelle qui nécessita la réunion d'un si grand nombre d'évêques, je m'étonne et je me plains de ce que le souffle de l'ambition vient encore troubler cette paix que Dieu nous a accordée. Quoique mon frère Anatolius ait compris qu'il était du dernier intérêt pour lui d'abandonner les erreurs de ceux qui l'avaient ordonné et de revenir à la foi catholique par une correction salutaire, il eût dû se garder néanmoins de troubler par sa cupidité cette Église qu'il sait ne devoir qu'à notre bienveillance. Il devrait se rappeler que, par égard pour votre demande et rassuré par votre piété, quand l'illégalité de sa consécration le faisait chanceler sur son siège, j'ai plutôt écouté ma bonté que la justice, désireux que j'étais d'apaiser tous les troubles que le démon avait suscités, même par des moyens peu licites. Le souvenir de ces faits devrait lui inspirer plus de modestie que d'orgueil. Et quand ses vertus l'auraient porté à l'épiscopat, quand même il aurait été consacré légalement après un mûr examen et d'une manière solennelle, il n'en serait pas moins criminel en violant les anciennes règles, les canons des pères et les décrets du saint Esprit. Je vous le dis à vous, chrétien vraiment pieux, à vous, prince vraiment orthodoxe, l'évêque Anatolius perd ses propres mérites en voulant augmenter ses droits d'une manière injuste.

Que la cité de Constantinople soit glorieuse comme nous le désirons par la protection de Dieu; qu'elle jouisse longtemps, sous le règne de votre Clémence, des privilèges d'une ville impériale. Mais il ne faut pas confondre les choses divines et les choses humaines; aucune construction ne sera éternelle et stable, à l'exception de cette seule pierre que le Seigneur a posée Lui-même pour être le fondement de son Église. Celui qui convoite le bien d'autrui, perd son propre bien. Qu'il suffise à Anatolius d'avoir obtenu l'épiscopat dans une si grande ville, à l'aide des recommandations de votre Majesté et de mon approbation. Qu'il ne dédaigne point la Cité Impériale dont il ne peut faire un siège apostolique, et qu'il n'espère point non plus s'élever jamais sur les ruines des autres. Les décrets des saints pères ont établi les privilèges des Églises, et les canons du concile de Nicée les ont déterminés; l'ambition d'aucun homme ne peut y rien retrancher, y rien ajouter. Avec l'Aide du Christ je maintiendrai fidèlement, dans leur intégrité, ces règles saintes de nos pères qui furent faites, pour la discipline de toute l'Église, dans le concile de Nicée par l'inspiration du saint Esprit; c'est à moi qu'a été confié le soin de les faire observer, et je me montrerai bon et fidèle serviteur; car si je prêtais les mains à ce qu'on les violât, ce qui n'arrivera jamais, si la volonté d'un seul de mes frères avait plus de poids auprès de moi que l'utilité générale de toute l'Église, je me rendrais coupable d'un grand crime.

Comme je sais que votre glorieuse Clémence aime à veiller sur la paix des Églises et qu'elle donne une pieuse approbation à tout ce qui est convenable au maintien de l'ordre, je la prie et la supplie de se garder de prêter le moindre assentiment à d'injustes tentatives contre la paix des fidèles et l'unité catholique, et de réprimer d'une manière salutaire l'ambition de mon frère Anatolius, qui, s'il y persiste, pourra lui devenir préjudiciable. Il ne faut pas que, dans son ambition hostile à votre gloire et à l'Église, il veuille s'élever au- dessus de ses mérites; il lui appartient de briller par toutes les vertus qu'il pourra réunir; mais certes, il n'en possédera aucune si, au lieu de se gonfler d'orgueil, il ne s'empresse de faire place dans son coeur à la charité. Il n'aurait jamais dû concevoir cet injuste désir; et quand mes frères et collègues, qui me remplaçaient au concile, s'opposèrent à ses prétentions illicites, il eût agi convenablement en se désistant de ses projets devant leurs remontrances salutaires. Les actes de votre piété et les lettres d'Anatolius lui-même prouvent que les légats du Siège apostolique lui ont opposé, comme il était nécessaire, de justes réclamations; sa présomption, qui ne s'arrêta pas même après avoir été réprimandée, est donc inexcusable.

Déployez contre toute ambition condamnable cette vigueur que vous avez montrée en terrassant l'hérésie par la Grâce de Dieu; et, ce qui convient à votre piété et à votre gloire, ce qui est digne de votre justice de chrétien et d'empereur, contraignez cet évêque à obéir aux pères et à respecter la paix de l'Église, et défendez-lui de se faire un droit de ce que, dans mon zèle à cicatriser les plaies de l'Église, et dans mon amour pour la paix, j'ai bien voulu ne point annuler l'ordination sans exemple de l'évêque d'Antioche qu'il avait faite au mépris des canons. Qu'il s'abstienne donc de violer les lois ecclésiastiques; qu'il réprime les excès de son ambition, de peur qu'il ne soit retranché de l'Église universelle dont il veut troubler la paix. Cependant, j'aimerais mieux le chérir à cause de ses vertus que de le voir persévérer dans ses pensées d'orgueil qui pourraient le séparer de nous. Mon frère et collègue Lucien, qui m'a apporté les lettres de votre Clémence, avec mon fils, le diacre Basile, a accompli la mission dont vous l'avez chargé, avec le plus grand zèle, et, s'il n'a point eu de succès, on peut dire qu'il n'a point manqué à la cause, mais c'est plutôt la cause qui lui a manqué.

Fait le onzième jour des calendes de juin, sous le consulat du très illustre Herculanus.


A SON TRES CHER FRERE THÉODORET, ÉVEQUE

Nous avons appris par nos frères et collègues, qui sont de retour du saint concile, où le Siège du bienheureux Pierre les avait envoyés, que, protégé comme nous par le Bras du Tout- Puissant, tu es resté victorieux de l'impiété de Nestorius et de la fureur des eutychéens. Glorifions-nous donc en notre Seigneur et chantons avec le prophète: " Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre " (Ps 123,8). Il n'a pas permis qu'on nous portât préjudice dans la personne de nos frères; et ce divin mystère qu'Il avait défini par ma bouche, Il l'a confirmé par l'assentiment irrévocable de tous nos collègues. Il a voulu prouver ainsi que cette exposition de foi, donnée par le premier des Sièges et approuvée par tout l'univers chrétien, avait été composée sous son Inspiration; et en faisant ainsi concourir au même but les membres et le corps, Il nous a donné d'autant plus matière à nous réjouir, qu'Il a frappé notre ennemi avec d'autant plus de rigueur, qu'il avait sévi plus cruellement contre les ministres du Christ. Pour augmenter l'éclat du témoignage que tous les autres Sièges rendirent à celui que le Seigneur établit le premier de tous, il s'en trouva d'abord qui se laissèrent aller à de soupçons injustes et qui doutèrent de notre jugement; mais tandis que le démon, le père de la discorde, excitait quelques-uns à nous contredire, à lutter contre nous, par la Grâce du Dieu de bonté, le mal que celui-là nous faisait a été remplacé par un plus grand bien. En vérité, les présents de la Grâce divine paraissent bien plus doux toutes les fois qu'on les a acquis au prix de grandes sueurs; et la paix qui s'écoule dans le repos paraît bien moins agréable que celle qui nous est rendue après de grands travaux; et la vérité elle-même brille d'un plus vif éclat et se grave plus profondément dans les esprits, lorsque, enseignée d'abord par la foi, elle est ensuite confirmée par l'examen. Enfin, la dignité des évêques paraît plus grande, lorsque l'autorité du plus puissant est respectée de telle sorte qu'on ne voit pas qu'aucune atteinte ait été porté à la liberté des inférieurs.

L'examen tourne d'autant plus à la Gloire de Dieu, qu'on ne craint point d'arracher le masque à l'hérésie pour la vaincre, de peur que ce qui est évidemment injuste par soi-même, ne paraisse opprimé dans un injuste silence. Exulte donc, très cher frère, et exulte, vainqueur en Jésus Christ, le Fils unique de Dieu. Il a triomphé par nous, Celui dont on niait la vérité de la chair; Il a triomphé par nous et pour nous, Celui en qui nous vivons et dont l'arrivée en ce monde est un nouveau jour de gloire pour l'univers. Le divin mystère de l'Incarnation fut rendu au monde après la défaite de l'ennemi du genre humain, qui, ne pouvant l'abolir et le faire oublier, s'était efforcé de le rendre incompréhensible par ses mensonges. Bien plus, ce mystère immortel avait été banni du coeur des incrédules, car un si grand sacrement de salut ne peut servir à l'incrédule. Jésus Christ Lui-même a enseigné cette vérité à ses disciples par ces paroles: " Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné " (Mc 16,16). Les rayons du Soleil de justice, interceptés par les ténèbres épaisses de Nestorius et d'Eutychès, ont brillé d'un nouvel éclat sur l'Orient, où le Seigneur a placé de préférence le Siège des enseignements des apôtres et des docteurs; et dans ces contrées qu'il n'est pas permis de croire que le Seigneur abandonne jamais, là où Il avait placé ces illustres confesseurs, notre antique ennemi s'efforçait de nouveau, à l'aide du coeur corrompu d'un second pharaon, de détruire la race fidèle d'Abraham et les enfants de la nouvelle promesse; mais Dieu, dans sa Miséricorde, rendit vains les efforts des démons, et il ne peut nuire qu'à lui seul. Dieu, dans sa Toute-Puissance, agit d'une manière si admirable, que loin de condamner avec leur maître ceux qui s'étaient armés avec lui pour massacrer les enfants d'Israël, Il les réunit à son peuple. Et comme il était digne de Lui, Source des miséricordes et comme il était possible à Lui seul de le faire, Il réunit les vaincus avec nous pour leur faire partager notre victoire; car l'esprit de mensonge est le seul véritable ennemi du genre humain, et il n'est point douteux que tous ceux que la vérité a appelés vers elle ne puissent le terrasser. Les paroles suivantes de notre Sauveur prouvent bien qu'elles sont d'autorité divine; elles s'adressent si bien aux ennemis de la foi qu'on ne peut douter que ce ne soit d'eux qu'Il ait voulu parler: " Vous, dit-Il, vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds; car il est menteur et le père du mensonge " (Jn 8,44).

On ne doit donc pas s'étonner de ce que ceux qui ont regardé comme un mensonge la vérité de la Chair de Jésus Christ s'accordent avec leur père, prétendant que tout ce qui a été vu, entendu, touché et palpé, comme le témoigne l'évangile, ne présente point des preuves solides de cette réalité de la nature humaine, mais que Jésus Christ était d'une seule nature coéternelle et consubstantielle au Père, comme si la Nature divine avait été attachée au bois de la croix, comme si cette Nature immuable avait pu grandir avec l'âge, comme si la Sagesse éternelle avait pu croître en sagesse, comme si l'Esprit de Dieu, qui est l'Esprit Lui-même, S'était développé et avait augmenté. Cette folie furieuse montra bien quel était son père, en s'efforçant par tous les moyens possibles de faire partager son impiété à tous les hommes. Quoiqu'elle nous eût déjà frappé dans chacun de nos frères, qui sont nos membres, elle ne voulut pas nous épargner nous-même; avec une audace nouvelle, inouïe, incroyable, elle déversa l'injure contre le chef des Églises. Mais plût à Dieu que, se repentant après tant de crimes, elle ne nous ait fait point pleurer sur sa damnation éternelle. Elle voulut mettre le comble à tous ses crimes; ceux qu'elle avait commis ne lui suffisaient pas; elle n'épargna ni les vivants ni les morts; ennemie de la vérité, protectrice de l'erreur, elle trempa ses mains déjà souillées dans le sang d'un innocent, dans le sang d'un évêque catholique. Tandis qu'il a été écrit: " Quiconque hait son frère est un meurtrier " (1Jn 3,15), l'impie qui s'était déjà rendu meurtrier en haïssant son frère, accomplit son oeuvre criminelle, comme s'il n'avait point entendu ces paroles du Seigneur: " Recevez mes instructions, car Je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger " (Mt 11,29-30). Ce digne apôtre des mensonges du démon, cet Égyptien dévastateur s'éleva comme un tyran farouche. A l'aide d'une foule furieuse de séditieux, il imposait à l'Église des blasphèmes criminels qu'il faisait approuver par nos vénérables frères avec les mains sanglantes des soldats. La Voix de notre divin Rédempteur nous a assuré qu'il n'y avait qu'un seul et même auteur de l'homicide et du mensonge; eh bien, il s'est rendu coupable d'homicide et de mensonge comme s'il n'avait reçu les conseils que le Fils de Dieu nous a donnés pour notre salut, que pour faire les choses contre lesquelles Il nous mettait en garde et ainsi se damner à jamais. Il n'avait point non plus prêté une oreille attentive à ces paroles du Seigneur: " Je dis ce que J'ai vu chez mon Père; et vous, vous faites ce que vous avez entendu de la part de votre père " (Jn 8,38).

Aussi, en conspirant d'arracher la vie de ce monde à Flavien, de sainte mémoire, il se priva de la lumière de la véritable vie. En voulant vous arracher à vos Églises, il se sépara du nombre des chrétiens. En entraînant vers l'erreur un grand nombre de fidèles et en les y faisant tomber, il a percé son âme de nombreuses blessures; seul il fut criminel plus que tous, par tous et pour tous; car il fut la cause des crimes de tous. Quoique tu sois fortifié par une solide nourriture spirituelle et que tu n'aies point du tout besoin de ce conseil, cependant je te dirai de te conduire de même que l'Apôtre, comme c'est notre devoir, afin que nous puissions répéter avec lui: " Et, sans parler d'autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, que je ne brûle? " (2Co 11,28-29) Je crois surtout devoir t'avertir en cette occasion, mon très cher frère, que toutes les fois que, par un effet de la Grâce divine, nous condamnons ou nous recevons à la pénitence, de vive voix ou par écrit, ceux qui sont tombés, il nous faut prendre garde de nous écarter en rien des règles de foi que la Divinité du saint Esprit a révélées au concile de Chalcédoine et avoir soin, placés entre deux ennemis comme nous le sommes, de peser toutes nos paroles avec la plus grande attention, de crainte d'une nouvelle perfidie. Il ne faut point parler comme si nous avions à traiter des sujets douteux, ce qui ne se présente pas ici, mais nous baser sur des autorités qui ont été mûrement définies. Nous savons que dans la lettre du saint Siège apostolique, confirmée par l'approbation du saint concile universel, sont réunis des témoignages d'une autorité si divine, que nul ne peut élever le moindre doute sur leur validité, à moins qu'il ne préfère se plonger dans les ténèbres de l'erreur; et les actes du concile, soit ceux qui renferment la définition de foi qui fut composée, soit ceux où se trouvent les lettres précitées du Siège apostolique, lettres que tu as défendues avec tant de zèle, et principalement l'allocution de tout le concile, à nos princes très pieux, sont appuyés par un si grand nombre de témoignages des anciens pères de l'Église, qu'ils suffisent pour convaincre un esprit, quelque imprudent et quelque opiniâtre qu'il soit, à moins qu'il ne soit déjà condamné avec le démon pour son impiété.

Aussi, est-il nécessaire, dans notre manière d'agir contre les ennemis de l'Église, de veiller à ne leur jamais laisser, en ce qui nous concerne, aucune occasion de calomnie, et dans notre lutte contre Nestorius et Eutychès, de ne jamais paraître éviter l'un ou l'autre, mais de frapper de la même lance ces deux ennemis du Christ et de les condamner. Ainsi, toutes les fois que cela peut être utile à ceux qui nous écoutent, il faut formuler contre eux et contre leurs dogmes un anathème prompt et clair, de crainte que, si nous paraissions tarder à le faire et si nous le formulions en termes obscurs, on ne croie que nous agissons malgré nous. Tu as éprouvé naguère la vérité de ce que j'avance, quoique je n'aie à adresser d'admonition qu'à ta prudence, car notre Seigneur très saint, dans sa Vérité invincible, a démontré par le jugement du saint Siège que tu étais pur de toute souillure des hérétiques. Tu Lui rendras de grandes actions de grâces pour tant d'épreuves qu'Il t'a fait subir, si tu t'es conservé tel que nous t'avons reconnu et tel que nous te reconnaissons, pour la défense de l'Église universelle. En ce que le Seigneur a confondu les mensonges de tous les calomniateurs, je reconnais que le bienheureux Pierre a intercédé pour nous tous: après avoir confirmé dans la définition de foi le jugement de son Siège, il n'a pas permis qu'on pût trouver rien de condamnable dans la personne de ceux qui avaient combattu avec nous pour la foi catholique; au jugement du saint Esprit, ceux-là ne pouvaient être que triomphants dont la foi avait déjà triomphé.

Pour terminer, je t'exhorterai à collaborer avec le Siège apostolique; car nous avons appris qu'il existait encore dans vos contrées quelques restes de l'erreur eutychéenne et nestorienne. La victoire que Jésus Christ notre Seigneur et notre Dieu a donnée à son Église, tout en nous inspirant une plus grande confiance, tant que nous restons en ce monde, ne doit pas cependant nous faire perdre toute sollicitude; elle ne nous a point été accordée pour que nous nous endormions, mais pour que nous travaillions avec plus de plaisir. D'après le rapport que tu nous as fait, nous voulons t'aider dans ta sollicitude pastorale, afin que la doctrine du Seigneur fructifie parmi ces hérétiques. Hâte-toi donc d'instruire le Siège apostolique, afin que nous puissions prêter secours, autant qu'il me sera convenable et nécessaire, aux prêtres de la religion. Sur ce qui concerne les choses illicites qui ont été tentées par un esprit d'orgueil au dernier concile, à l'encontre des vénérables canons de Nicée, nous avons écrit à notre frère et collègue, l'évêque d'Antioche, et nous avons ajouté, d'après un rapport que nous avaient fait nos vicaires sur l'iniquité de certains moines de votre Église, que nous arrêtions d'une manière toute spéciale que personne ne se permît de prêcher, à l'exception des prêtres du Seigneur, soit moine, soit laïc, et de quelque science qu'il pût se glorifier. Nous voulons que cette lettre, pour l'utilité de toute l'Église, soit rendue publique par notre frère et collègue Maxime; et comme nous ne doutons point qu'il ne s'empresse de remplir cette recommandation, nous n'avons pas voulu joindre une copie à la présente.

Que Dieu te garde intègre, très cher frère.

Fait le 4 des ides de juin, sous le consulat du très illustre Opilion.



S. Léon, lettres choisies - A FLAVIEN, ARCHEVEQUE DE CONSTANTINOPLE, CONTRE L'HÉRÉSIE D'EUTYCHES