S. Léon, Sermons - SERMON SUR LE GRAND CAREME (5)

SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR

Nous célébrons, bien-aimés, cette fête tant désirée, que l'univers entier voit toujours venir avec joie, la fête de la Passion du Seigneur. Dans les transports de notre allégresse, il ne nous est pas permis de garder le silence, et quoiqu'il soit difFIcile de parler souvent et d'une manière convenable de la même solennité, il est du devoir d'un pontife, dans cette grande circonstance, de faire entendre à son peuple les accents de sa voix paternelle. Cet admirable sacrement de la Miséricorde divine est un sujet intarissable, et on ne saurait jamais l'épuiser, parce qu'on ne saurait jamais en dire assez. Que notre faiblesse succombe donc sous le poids de la Gloire du Seigneur, et que les paroles nous manquent pour expliquer les oeuvres de sa Miséricorde. Que notre intelligence soit trop faible, notre esprit trop borné, notre éloquence insufFIsante, il est avantageux pour nous de ne pouvoir comprendre dans toute sa grandeur la majesté de Dieu. Le Prophète a dit: " Cherchez le Seigneur et Il vous fortiFIera, cherchez continuellement sa Face " (Ps 104,4), car personne ne doit avoir la présomption de croire qu'il a parfaitement approfondi ce qu'il tâche de connaître, de peur qu'il ne cesse d'approcher de la vérité en cessant de la chercher. Mais entre tous les actes de la divinité qui sont l'objet de notre admiration, en est-il un qui soit plus au-dessus des forces de notre intelligence que le mystère de la Passion et qui mérite davantage nos réflexions? Toutes les fois que nous pensons, selon notre faiblesse, à la Puissance de Jésus Christ, qui est égale à celle de son Père, puisque son essence est la même, son Humilité nous paraît bien plus admirable que sa Toute-Puissance elle-même, et il est bien plus difficile de comprendre l'abaissement de la Majesté divine, que l'élévation de la Nature humaine. Mais ce qui nous facilite l'intelligence de ce mystère, c'est que, bien que le Créateur soit bien différent de la créature, et la Divinité impassible de la chair soumise à la souffrance, cependant les propriétés des deux natures sont réunies en une seule Personne, et les faiblesses et la toute-puissance, les humiliations et la gloire sont le propre de cette personne.

Telle est, bien-aimés, la règle de notre foi que nous avons tirée du Symbole et qui est fondée sur l'autorité de l'institution apostolique: nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu, le Père tout-puissant, est né de la vierge Marie et du saint Esprit; et nous n'avons point de sentiments contraires à sa Majesté, lorsque nous disons qu'Il a été crucifié, qu'Il est mort sur la croix et qu'Il est ressuscité le troisième jour. L'humanité et la divinité, unies ensemble, ont agi toutes deux d'une manière propre à leur nature; le passible est joint à l'impassible, sans que la faiblesse de l'une fasse tort à la puissance de l'autre, et sans que cette même faiblesse de la nature humaine soit indigne de la Majesté divine. C'est avec justice que saint Pierre a été loué d'avoir compris et confessé cette unité: lorsque le Sauveur du monde demanda ce que les disciples pensent de sa Personne, il répondit aussitôt sans hésiter: " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant " (Mt 16,16). Ce n'est point la chair et le sang qui lui ont révélé cette vérité; au contraire, ils ne pouvaient que mettre obstacle aux connaissances intérieures; c'est l'Esprit de Dieu qui agissait dans le coeur de saint Pierre,S pour qu'il apprenne d'abord ce qu'il devra enseigner et qu'il entende, pour la confirmation de la foi qu'il devra prêcher: " Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle " (Mt 16,18). La foi chrétienne qui est fondée sur une pierre inébranlable et qui ne redoute point les portes de la mort, confesse dans sa puissance que Jésus Christ est vrai Dieu et vrai homme; qu'Il est FIls de la vierge Marie et qu'Il est le Créateur de sa mère; que Lui, Maître du temps, est né dans le temps, que Lui, le Seigneur de toutes les Vertus célestes, est cependant de la race des mortels et que Lui-même ignorant le péché, a été immolé pour les pécheurs dans une chair semblable à celle du péché.

Pour briser les fers du genre humain, qui était esclave depuis sa prévarication fatale, Jésus Christ a caché sa Puissance et sa Majesté au démon, et ne S'est présenté à lui qu'avec nos faiblesses et nos imperfections. Si cet ennemi cruel et superbe eût pu pénétrer la Sagesse de la divine Miséricorde, il se serait plutôt appliqué à adoucir et à calmer l'esprit des Juifs, qu'à leur inspirer une haine injuste, de crainte de perdre ses nombreux esclaves en voulant attaquer la liberté de Celui qui ne lui devait rien. Sa propre ruse l'a trompé: il a fait condamner le Fils de Dieu au supplice qui a régénéré tous les enfants des hommes; il a versé le sang innocent, qui a été le prix de la réconciliation du monde et qui a servi de breuvage salutaire à l'humanité. Le Sauveur a souffert le genre de mort qu'Il avait choisi Lui- même. Il a permis que des hommes furieux portassent sur Lui leurs mains impies et concourussent ainsi par leur crime même à l'accomplissement de ses projets. Et sa Bonté pour ses bourreaux fut si grande, que du haut de la croix Il priait son Père de ne point Le venger et de leur pardonner sa mort. Il disait: " Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font " (Lc 23,34). L'efficacité de cette prière fut telle qu'un seul sermon de saint Pierre convertit à la pénitence un grand nombre de ces mêmes hommes qui venaient de crier: " Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants ! " (Mt 27,25), et on baptisa dans un seul jour près de trois mille Juifs (Ac 2,41), et ils n'avaient tous qu'un même coeur et qu'une même âme (Ac 4,32); ils étaient tous prêts à mourir pour Celui dont ils avaient demandé le supplice à grands cris. Le traître Judas ne put participer à cette grâce, parce qu'il était le fils de la perdition et que le démon s'était emparé de lui; il s'abandonna à son désespoir avant que le Sauveur eût accompli le sacrement de la rédemption de tous les hommes. Comme le Seigneur est mort pour tous les impies, Il aurait peut-être trouvé remède à ses crimes s'il ne s'était hâté à s'étrangler lui-même. Ce coeur rempli de fiel, adonné au vol et au mensonge et rempli de l'idée de son parricide, n'avait jamais réfléchi aux maximes de son Maître ni à la Grâce dont Il parlait si souvent; il ne se souvenait plus de ces paroles du Sauveur: " Car Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs " (Mt 9,13), et " le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10). Judas ne s'était point fait une idée véritable de la Clémence de Jésus Christ, qui, non content de guérir les impuretés du corps, cicatrisait aussi les blessures des âmes faibles, comme on peut le voir par les paroles qu'Il adressa au paralytique: " Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés " (Mt 9,2), ou par ce qu'Il dit à la femme adultère qu'on Lui amena: " Je ne te condamne pas non plus: va, et ne pèche plus " (Jn 8,11). Jésus Christ prouvait par toutes ses actions qu'Il était venu sur la terre pour être le Sauveur du monde et non son Juge. Le traître Judas ne comprit point ces vérités; il porta sur lui-même ses mains criminelles, et ce ne fut point par un sentiment de repentir, mais avec la fureur d'un homme qui veut mourir: après avoir vendu l'Auteur de la vie à ses meurtriers, il mit le comble à sa damnation en terminant sa vie par un crime.

Ce que les faux témoins, ce que les cruels princes du peuple, ce que les prêtres impies de Jérusalem ont osé faire contre la Personne de Jésus Christ, grâce à la lâcheté du juge et avec le secours d'une populace ignorante, doit être détesté dans tous les siècles et pourtant il fallait qu'il en fût ainsi. Autant le supplice de Jésus Christ était cruel dans l'esprit des Juifs, autant il est admirable par la vertu du Crucifié. Le peuple déploie sa fureur contre un seul Homme, et Jésus Christ a compassion de tous les hommes. Il permet à la cruauté de Le faire souffrir, et cette licence du crime sert à l'accomplissement de la Volonté éternelle. Ainsi, les fidèles doivent considérer les choses qui se sont passées à la mort du Fils de Dieu et que l'Évangile nous a apprises, non seulement comme des mystères opérés pour la rédemption des pécheurs, mais encore comme des exemples de justice qui nous sont proposés. Pour examiner cette proposition avec soin, nous la développerons mercredi: j'espère que nous serons secondé par la Grâce de Dieu et que nous pourrons nous acquitter de nos promesses par le secours de vos prières et par la protection de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.



SERMON SUR LA FETE DES APOTRES SAINTS PIERRE ET PAUL

Tout l'univers, bien-aimés, prend part aux fêtes de l'Église; l'unité de la foi exige que l'on célèbre de tous côtés avec une joie commune les mystères qui ont été accomplis pour le salut de tous. Mais la fête de ce jour, outre la vénération générale qui lui est due par toute la terre, demande de nous et de notre cité des hommages tout particuliers. Dans ces lieux où les premiers des apôtres ont souffert une mort si glorieuse, nous devons, le jour de leur martyre, faire éclater notre allégresse et notre amour d'une manière plus grande que dans toutes les autres villes du monde. O Rome ! Ce sont ces hommes illustres qui ont fait briller pour toi les lumières de l'évangile; tu étais le centre de l'erreur, et par eux tu es devenue l'école de la vérité. Ils sont tes pères et tes véritables pasteurs; ils ont jeté sur ton sein les bases éternelles d'un royaume qui ne périra jamais; tu leur dois plus qu'aux hommes qui ont creusé les fondements de tes premières murailles, qu'à ces hommes dont l'un, celui qui t'a donné ton nom, rougit ton sol du sang de son frère. Ce sont ces glorieux apôtres qui t'ont donné cette gloire dont tu brilles maintenant, pour que, nation sainte, peuple élu, ville sacerdotale et impériale,... tu présides plus largement par la religion divine que par la domination terrestre. Quoique des victoires sans nombre aient porté au loin les limites de ta puissance, que la terre et la mer aient subi ton joug, cependant tu as fait moins de conquêtes les armes à la main que par la paix chrétienne.

Dieu dont la puissance est infinie, qui est également juste et bon, qui n'a jamais refusé sa Miséricorde aux hommes, qui les a toujours comblés de bienfaits et qui les a assistés de ses Grâces, afin qu'ils Le connussent, a envoyé au monde son Verbe, qui Lui est égal et coéternel, par compassion pour leur aveuglement et le penchant qu'ils ont à faire le mal. Le Verbe S'est fait chair et Il a uni la nature divine à la nature humaine de telle sorte que l'abaissement de la Divinité faisait la gloire de l'humanité. La divine Providence a étendu les limites de l'Empire romain, afin que les effets de sa Grâce ineffable se répandissent parmi tout l'univers. Dieu a réuni ainsi en une seule toutes les nations de la terre; cette unité convenait à ses Desseins; il devait être plus facile de prêcher l'évangile à l'univers quand tous les empires, n'en formant plus qu'un seul, seraient soumis aux lois d'une seule ville. Mais cette ville, qui ne connaissait point l'Auteur de sa puissance, tandis qu'elle commandait à tous les peuples du monde, pliait sous le joug de l'erreur de toutes les nations, et elle croyait être très religieuse parce qu'elle accueillait avec avidité toutes les folies qui désolaient le monde; aussi, plus les liens avec lesquels le démon la tenait enchaînée étaient solides, plus la liberté que Jésus Christ lui a donnée doit paraître admirable.

Lorsque les douze apôtres eurent reçu du saint Esprit le don des langues et qu'ils se partagèrent l'univers pour y propager la parole divine, Pierre, le prince des apôtres, eut en partage la capitale de l'Empire romain, afin que cette lumière de la vérité, qui devait éclairer tout le genre humain, étant placée au centre de l'univers, répandît plus aisément ses rayons de tous côtés. Y avait-il quelque nation au monde dont il n'y eût alors des hommes dans cette ville, ou qui ignorât ce que Rome avait appris? C'était donc là qu'il fallait terrasser la philosophie ! C'était là qu'il fallait détruire les vains mensonges de la sagesse humaine, là qu'il fallait renverser le culte des démons, là enfin qu'il fallait anéantir l'impiété de toutes les erreurs sacrilèges, puisque dans cette ville toutes les superstitions et toutes les erreurs étaient réunies !

Bienheureux apôtre Pierre, tu ne crains pas de venir dans cette grande cité, tandis que l'apôtre Paul, ton compagnon de gloire et de travaux, est occupé à l'organisation d'autres églises; tu entres dans cette forêt remplie de bêtes féroces; tu marches sur cet océan tumultueux avec plus de constance que sur la mer; tu ne trembles point à l'aspect de cette maîtresse du monde, toi qui fus saisi de crainte, dans la maison de Caïphe, à la voix d'une simple servante. Est-ce que la tyrannie de Claude et la férocité de Néron étaient moins à craindre que le jugement de Pilate ou que la méchanceté des Juifs? Mais ton amour vainquit tes craintes; tu ne pensas point devoir céder à la terreur alors que tu travaillais au salut de ceux que tu avais pris en affection. Tu pris le sentiment de cette charité intrépide, lorsque tu donnas des témoignages d'un amour sincère à ton Maître, qui t'interrogea par trois fois et qui te confia la garde de son troupeau, en te recommandant de lui faire part de la même nourriture dont tu avais été nourri toi-même.

Les miracles que tu avais opérés, la grâce dont tu étais comblé et l'épreuve que tu avais faite de tes vertus, augmentaient ta confiance. Tu avais déjà instruit les Juifs, qui avaient cru; tu avais déjà fondé l'Église d'Antioche, où le nom de chrétiens fut donné aux premiers fidèles; tu avais déjà prêché l'évangile dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bythinie et tu ne doutais plus du succès de ton ouvrage et du temps qui te restait pour l'accomplir, lorsque tu faisais entrer l'étendard de la croix du Christ dans les murs de la cité romaine, où la gloire de ton martyre et l'honneur de ta dignité t'attendaient, selon les décrets de la Providence.

Paul, ton collègue à l'apostolat, ce vase d'élection, cet illustre docteur des Gentils, accourut alors et vint partager tes travaux dans cette ville où la pudeur, l'innocence et la liberté étaient aux abois sous la tyrannie du cruel Néron, dont la rage, excitée par toutes les mauvaises passions, en vint à cet excès de folie de soulever le premier contre le nom chrétien les fureurs d'une persécution générale, comme s'il eût prétendu anéantir la Grâce de Dieu en massacrant les saints. L'un des plus grands bienfaits de cette grâce est que le mépris de cette vie temporelle nous ouvre la porte des félicités éternelles. La mort des saints du Seigneur est précieuse devant ses Yeux. La religion fondée sur la Croix du Christ et cimentée de son Sang ne peut être ébranlée par les supplices les plus cruels. Les persécutions, loin d'abattre l'Église, la font briller d'une nouvelle splendeur: le champ du Seigneur produit alors au contraire une plus riche moisson, tous les grains qui tombent renaissent multipliés. Les milliers de martyrs qui reçurent les palmes du triomphe prouvent d'une glorieuse manière combien se multiplièrent ces deux illustres grains de la Semence divine; ces dignes émules des glorieux apôtres entourèrent notre cité d'une vaste ceinture de tombeaux qui couronnent son front comme un diadème composé de perles précieuses.

Nous devons nous réjouir, bien-aimés, d'une si puissante protection, nous fortifier dans la foi et nous encourager à la patience par leur exemple; mais la fête des bienheureux apôtres doit encore exciter notre joie; Dieu les a choisis entre tous les membres de son Église, et Il en a fait les yeux mystiques du Corps dont la tête est le Christ. Nous ne devons établir aucune différence entre leurs mérites et leurs vertus qui sont inénarrables. Leur élection, leurs travaux et leur mort les rendent tous deux parfaitement égaux. Notre propre expérience nous l'a appris et nos aînés nous l'ont confirmé: les prières de ces deux illustres patrons nous sera d'un grand secours pour obtenir la Miséricorde de Dieu dans les travaux de cette vie; car, si nous sommes accablés par le poids de nos propres péchés, les mérites des apôtres nous soutiennent par notre Seigneur Jésus Christ, qui forme, avec le Père et le saint Esprit, une seule Puissance et une seule Divinité dans les siècles des siècles. Amen.




S. Léon, Sermons - SERMON SUR LE GRAND CAREME (5)