Chrysostome T4 Lettres 212

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LETTRE CXVI. A VALENTIN.

Cucuse. 404.

Pourquoi donc, sachant combien nous nous réjouissons de tout ce qui vous arrive d'heureux, quel bonheur nous ressentons de la gloire acquise par vous, ne nous avez-vous pas notifié les grands honneurs auxquels vous avez été appelé, ainsi que vous le deviez; nous laissant apprendre cette nouvelle par d'autres, et croyant sans doute n'avoir pas besoin d'une longue justification après avoir été cause que nous avons été si longtemps privé, autant qu'il était en vous, d'une joie si grande? Car votre dignité réelle, c'est votre amour de la vérité; votre commandement le plus élevé, c'est celui que vous exercez sur votre âme par la vertu. Mais, puisque vous avez recherché les honneurs de ce monde pour l'utilité de ce monde lui-même, et que vous avez voulu ouvrir à tous ceux qui sont dans le besoin un refuge d'autant plus assuré que vous seriez plus puissant, je me réjouis et je suis dans l'allégresse, sans toutefois cesser de maintenir mon accusation relative à votre silence. De quelle manière nous donnerez-vous une satisfaction suffisante? Par la fréquence de vos lettres et en nous adressant souvent des nouvelles de votre santé et de celle de toute votre maison. Maintenant que vous connaissez le moyen de vous faire pardonner, je vous ferai connaître en même temps la pénalité encourue. Si, après cette lettre reçue, vous gardez encore le silence, vous demeurerez convaincu de grave négligence, et nous en serons profondément affligé. Or, je sais que (485) vous regarderez comme une peine rigoureuse de savoir que nous sommes dans l'affliction pour ce motif, puisque je n'ignore pas combien vous nous aimez sincèrement et chaleureusement.


LETTRE CXVII. A THÉODORA.

Cucuse de 404 à 405, à ce que l'on croit

J'écris rarement à votre grâce parce qu'il m'est difficile de trouver quelqu'un qui vous porte mes lettres; en revanche je pense à vous non-rarement mais sans cesse. Car l'une de ces choses est en notre pouvoir et non l'autre : nous pouvons nous souvenir continuellement et nous ne pouvons disposer d'un courrier. Nous nous servons de celui-ci quand nous l'avons sous la main, tandis que le souvenir ne nous quitte pas. Mes lettres précédentes avaient pour but de vous envoyer mes salutations; je viens solliciter un bienfait par celle-ci. Quel est ce bienfait? C'est un de ceux que vous gagnerez plus à accorder qu'un autre ne gagnera en le recevant, qui sera plus utile à la personne de qui il part qu'à celle à qui il s'adresse. Il est venu jusqu'à nous qu'Eusthasius a gravement offensé votre révérence, qu'il a été chassé de votre maison et éloigné de vos regards. De quelle nature est cette offense et commenta-t-il mérité une si grande colère, je ne puis le dire, ne sachant rien autre chose, sinon qu'il vous faut écouter nos conseils, à nous, qui sommes désireux de votre salut. La vie présente n'est rien; elle ressemble à la fleur du printemps, à l'ombre légère, aux songes décevants; ce qui subsiste véritablement, ce qui est stable et exempt de tout trouble, c'est ce qui nous attend après la vie d'ici -bas. Vous nous avez souvent entendu répéter ces vérités; vous les méditez continuellement dans le secret de votre demeure. Je ne m'étendrai donc pas longuement là-dessus, mais je vous dirai : si c'est injustement que vous l'avez chassé, cédant à la calomnie, reconnaissez les droits de la justice et corrigez ce qui a été fait; si vous avez agi avec justice, considérez les lois de l'humanité, et que votre conduite soit encore la même, car vous en retirerez plus d'avantages que ce malheureux. De même que celui qui redemandait cent deniers à son débiteur, serviteur comme lui, fut moins l'auteur de la ruine de celui-ci que du châtiment mortel qu'il s'attira, puisque sa rigueur envers l'autre serviteur rendit vaine la remise des dix mille talents; ainsi celui qui pardonne les fautes du prochain rendra un compte moins sévère dans l'éternité, et plus il aura pardonné de grandes injures, plus il obtiendra une grande indulgence. Et non-seulement cela, mais encore il aura accordé un bienfait tel qu'un serviteur n'en peut donner, et il recevra une récompense telle que le maître la donne.

Ne me dites donc pas qu'il a manqué sur ce point, et sur cet autre encore. Car, plus vous me montrerez qu'il s'agit de choses graves, plus vous me fournirez de motifs puissants sur la nécessité de pardonner, puisque vous vous ménagerez ainsi pour la vie future une plus grande matière de miséricorde. Bannissez tout ressentiment, même juste; domptez la colère par un saxe raisonnement; offrez ce sacrifice à Dieu ; réjouissez-nous, nous qui vous aimons, et montrez qu'il nous a suffi d'une courte lettre pour obtenir une grâce si grande; cherchez pour vous-même une cause de joie, ainsi que je l'ai dit, en cherchant la paix et bannissant de votre âme tout trouble, afin que vous puissiez demander avec une grande confiance au Dieu des miséricordes l'entrée dans son royaume céleste. La charité envers le prochain efface les péchés, car il est dit : Si nous remettez aux hommes leurs fautes, mon Père céleste vous remettra les vôtres. (Mt 6,14) Réfléchissez sur tout ceci et écrivez-nous une lettre qui nous fasse savoir que la nôtre n'a pas été inutile. Car, nous avons fait ce qui nous appartenait, nous avons accompli ce qui était en notre pouvoir; nous avons exhorté, nous avons prié, nous avons sollicité à titre de grâce, nous avons conseillé ainsi qu'il le fallait. C'est maintenant sur vous seule que se porte toute notre sollicitude. Pour nous, la récompense nous est assurée, soit qu'il résulte quelque chose de nos exhortations ou qu'il n'en résulte rien, car les paroles ont aussi leur récompense. Mais tout notre effort tend présentement à vous gagner vous-même, de telle sorte que. par vos bonnes actions en ce monde vous pissiez acquérir sûrement les biens éternels de la vie future.

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LETTRE CXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX PRÉTRES RETENUS DANS LA PRISON.

404, dans les commencements de l'exil.

Vous habitez la prison, vous êtes chargés de chaînes, vous êtes renfermés avec des hommes sordides et couverts de haillons; mais que pouvait-il vous arriver de plus heureux pour une telle cause? Qu'est-ce qu'une couronne d'or, dont on ceindrait sa tête, en comparaison de cette chaîne dont vos mains sont liées pour Dieu? Quelles sont les grandes et splendides habitations qui valent la prison remplie de ténèbres et d'ordures, séjour d'affliction et d'horreur, lorsqu'on la subit pour une telle cause ? Tressaillez donc et bondissez de joie, couronnez vos fronts et livrez-vous à vos transports, parce que les afflictions dans lesquelles vous êtes seront la cause d'un grand gain. Elles sont comme la semence qni annonce la,récolte la plus abondante; elles sont comme le combat des lutteurs qu'attendent la victoire et les palmes; elles sont comme la navigation pénible qui rapporte un large bénéfice. Considérant toutes ces choses, seigneurs très-vénérés et très-pieux, soyez dans l'allégresse et dans la joie, ne négligez point de louer Dieu en toutes choses et d'infliger à Satan des plaies mortelles, vous préparant pour vous-mêmes une riche récompense dans le ciel. Car les tourments du siècle présent ne sont pas comparables à la gloire future qui sera manifestée en vous. (Rm 8,18) Ecrivez-nous souvent. Nous désirons ardemment recevoir des lettres envoyées par des hommes qui sont enchaînés pour Dieu, lettres qui nous feront connaître tout ce que vous endurez : même durant notre séjour sur cette terre étrangère, nous en retirerons une grande consolation.


LETTRE CXIX. AU PRÊTRE THÉOPHILE.

Écrite en 404, comme il se rendait à Cucuse.

Puisque maintenant je vous ai ouvert la voie pour m'écrire, faites en sorte de montrer,que la négligence n'a point causé votre silence antérieur, mais que vous attendiez seulement pour m'écrire que je vous eusse enhardi à le faire; envoyez-moi une nuée de lettres qui me parlent de la gloire acquise à votre nom, car je sais combien elle vous est précieuse, et ne permettez pas que la crainte du tyran vous contraigne au silence, mais, brisant cet obstacle avec plus de facilité que la toile de l'araignée, montrez-vous avec éclat dans la mêlée, confondant vos adversaires par votre liberté et par votre confiance. C'est maintenant le temps d'acquérir une grande gloire et de précieuses richesses. Le marchand qui reste dans le port n'amasse pas une cargaison; il faut pour cela qu'il traverse de vastes mers, qu'il brave les flots avec audace, qu'il lutte contre la faim et contre les monstres de l'onde, qu'il supporte beaucoup d'autres ennuis. Considérez tout cela et voyez que le temps des périls est aussi le temps d'un grand gain pour vous, d'une gloire abondante, d'un salaire inestimable; étendez les ailes de votre âme, secouez la poussière de la tristesse et de l'abattement, parcourez d'un pied agile le front de bataille, assignant à chacun sa place, excitant, exerçant, fortifiant, allumant le zèle. En même temps, instruisez-nous de tout par vos lettres; ne craignez point d'avoir à nous raconter vos propres actions, mais accomplissez l'ordre que nous vous donnons et procurez-nous cette joie, afin que, dans cet éloignement où nous vivons, nous éprouvions un grand bonheur en apprenant de votre piété ce que nous désirons le plus vivement savoir.


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LETTRE CXX. A THÉODORA.

Ecrite à Césarée de Cappadoce comme il allait en exil, en 404.

Je suis disloqué, épuisé, je me suis vu mille fois aux portes de la mort, et ceux que nous avons chargés de nos lettres sauront vous le raconter avec exactitude, bien qu'ils ne se soient trouvés avec nous que peu de temps. Car nous n'avons pu même nous entretenir avec eux, accablé comme nous l'étions par des fièvres continuelles, malgré lesquelles il nous fallait marcher le jour et la nuit, obsédé par la chaleur, affaibli par les veilles, privé de tous ceux dont j'eusse pu recevoir des soins, et dans la disette de toutes les choses nécessaires. Nous (487) avons souffert et nous souffrons plus que ceux qui sont condamnés aux mines ou renfermés dans les cachots. Nous sommes entrés, non sans peine, il est vrai, à Césarée, comme dans un port et dans un lieu de repos après la tempête. Cependant, le port n'a pas eu la vertu de chasser les maux causés par les flots, tant les jours antérieurs nous ont épuisé. A Césarée, du moins, nous avons repris un peu haleine, car nous avons bu de l'eau fraîche, nous avons mangé du pain qui n'était ni moisi ni durci outre mesure, nous avons pu laver notre corps, non dans des débris de tonneau, mais dans un bain quelconque, et nous coucher enfin dans un lit. Je pourrais vous en dire plus long, mais je m'arrête ici, ne voulant pas jeter votre esprit dans le trouble. J'ajoute seulement que vous ne devez cesser d'adresser des reproches à ceux qui nous aiment, parce que, comptant beaucoup d'amis et des amis revêtus d'une si grande puissance, nous n'avons pu obtenir ce qu'obtiennent des hommes chargés de crimes, savoir : d'habiter une région moins éloignée et plus douce, de telle sorte que ni la faiblesse de notre corps, ni la crainte des Isauriens, maîtres de tout le pays, ne nous ont point fait accorder une si faible et si mince faveur. Gloire soit rendue à Dieu, même en de telles circonstances! car nous ne cessons de le louer en toutes choses. Que son nom soit béni dans tous les siècles! (Jb. I, 21.) Mais je suis vraiment étonné, pour ce qui vous concerne, dé n'avoir reçu qu'une seule lettre de vous, bien que celle-ci soit la quatrième ou la cinquième que j'adresse à votre bienveillance et à votre grâce. Pourtant, il ne vous est pas difficile d'écrire plus souvent. Je ne le dis pas pour en faire un motif d'accusation; car les devoirs de la charité ne s'imposent pas, ils sont rendus par un libre choix. Mais je gémis de ce que vous m'avez si vite exclu de votre pensée, ne m'envoyant qu'une seule lettre dans un temps si long. Si donc je ne demande pas une chose trop difficile et trop pénible, accordez-la, puisque vous le pouvez, puisque vous en êtes la maîtresse. Je ne veux pas vous préoccuper d'autres affaires, car je n'en tirerais aucun profit et je vous paraîtrais importun et à charge.

LETTRE CXXI. A ARABIUS.

Avant d'arriver à Cucuse en 404.

Votre lettre nous a fait savoir quel foyer de tristesse vous portez dans votre âme, à la suite de tout ce qui nous est arrivé, et déjà nous en étions auparavant informé; car, nous n'avons point oublié cette abondance de larmes que vous avez versées dès le commencement, lorsque l'on ourdissait ces maux. Au reste, votre lettre non moins que vos larmes et vos gémissements a mis au jour cette dévorante tristesse qui est dans votre coeur. Attendez-en la récompense du Dieu des miséricordes, car il y a aussi pour la tristesse une grande et abondante miséricorde. Au milieu de la perversité juive, plusieurs qui, ne pouvant arrêter les crimes, se contentaient de pleurer et de gémir, furent récompensés, car tandis que la foule des autres périssaient et succombaient livrés au carnage, eux seuls évitaient les effets de la colère divine. Placez, dit l'Ecriture, un signe sur le visage de ceux qui gémissent et qui pleurent. (Ezéch. IX, 4.) Cependant, ils n'avaient rien empêché; mais parce qu'ils avaient accompli ce qui était en leur pouvoir, parce qu'ils gémissaient et pleuraient sur ces désordres, ils ont obtenu leur salut. Pour vous, nos maîtres, pleurez sans cesse sur nos malheurs actuels, et suppliez le Dieu des miséricordes, de nous donner le salut dans ce commun naufrage de toute la terre. Car vous savez, vous n'ignorez pas que les troubles et la discorde sont en tous lieux, et qu'il ne suffit pas de prier seulement pour Constantinople, mais pour le monde entier, puisque le cours du mal ayant commencé là, il s'est porté ensuite dans toutes les contrées, comme un fleuve aux ondes corrompues, pour ravager toutes les Eglises. Quant à ce que vous me demandez, je le demande aussi de vous tant que nous serons éloigné de corps, car nous sommes étroitement uni par l'âme avec votre noblesse ainsi qu'avec toute votre maison; ne craignez point de nous écrire souvent des nouvelles de votre santé, puisque vous savez quelle grande joie vous nous procurerez. J'ai appris, depuis mon départ, que vous m'aviez demandé de demeurer chez vous ; il ne nous a pas été permis de séjourner à Sébaste, mais à Cucuse, le lieu le (488) plus désert de l'Arménie et le plus dangereux en raison des courses des Isauriens. Néanmoins, nous rendons grâces à votre noblesse et nous apprécions comme il le mérite, l'honneur que vous nous avez fait lorsque nous partions pour l'exil, en songeant à nous offrir l'hospitalité et en nous appelant sous votre toit. Mais si vous avez quelques amis à Cucuse; veuillez leur écrire.

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LETTRE CXXII. A MARCIEN.

Cucuse, 404 ou 405.

Vous êtes heureux, trois fois heureux, et plus encore, vous qui avez montré une si grande libéralité envers ceux qui sont dans le besoin, au milieu de cette horrible tempête et de ce bouleversement de toutes choses. Car, la grandeur de votre charité ne nous a point été cachée, et nous savons que votre maison a été comme un port ouvert à tous les orphelins, que vous avez consolé les veuves et soulagé leur pauvreté, apportant un remède à leur indigence et ne les abandonnant pas au sentiment de leur détresse, mais leur tenant lieu de tout et nourrissant tout un peuple de froment, de vin, d'huile, de toutes les choses nécessaires à la vie. Que Dieu récompense, et dans ce monde et dans l'autre, votre grandeur d'âme, votre générosité, votre ardeur, votre zèle, votre amour des pauvres, votre charité sincère, puisque toutes ces vertus abondent et fleurissent en vous pour vous mériter la palme dans le siècle futur. Nous n'avons rien ignoré dans ce désert où nous vivons entouré de mille difficultés, où la crainte des Isauriens nous assiégé, où la solitude de la contrée et la rigueur de la saison nous accablent. Lorsque nous avons appris toutes ces choses concernant votre révérence, nous n'avons plus ressenti nos chagrins, mais nous avons éprouvé une grande joie, notre âme a tressailli, nous nous sommes livré à nos transports, nous avons été dans l'allégresse pour des couvres si excellentes par lesquelles vous amassez dans le ciel un trésor inappréciable. Donnez-nous encore une autre joie; écrivez-nous souvent des nouvelles de votre santé, car vous savez que nous désirons vivement les recevoir, vous le savez puisque vous n'ignorez pas combien nous vous aimons.


LETTRE CXXIII. AUX PRÊTRES ET AUX MOINES DE LA PHÉNICIE, CHARGES DE L'INSTRUCTION DES CATÉCHUMÈNES.

Cucuse, 405.

Les pilotes, lorsqu'ils voient la mer agitée et furieuse, lorsque la tempête et l'ouragan sont déchaînés, non-seulement n'abandonnent pas le navire, mais déploient un plus grand zèle, une plus grande ardeur, veillant eux-mêmes et excitant les autres. Les médecins, lorsqu'ils sont en présence d'une fièvre qui augmente et devient violente n'abandonnent pas le malade, mais ont recours à tous les moyens, déployant leur zèle et mettant en oeuvre celui des autres personnes pour vaincre le mal. Pourquoi ai-je rapporté ces exemples ? afin que personne, d'entre vous ne se laisse entraîner par les troubles présents à quitter la Phénicie, et à s'en éloigner, afin que plus les difficultés sont grandes, plus les flots sont irrités et plus vive est l'agitation, plus aussi vous demeuriez vigilants, actifs, animés par le zèle, déployant une ardeur toute nouvelle, en sorte que votre édifice splendide ne soit pas renversé, que tant de fatigues ne restent point vaines, que les soins donnés à votre champ ne soient pas perdus. Dieu est assez puissant pour mettre fin à ces agitations et assez riche pour vous accorder la récompense. Cette récompense ne pouvait être aussi brillante lorsque tout s'accomplissait avec facilité, qu'elle le sera maintenant, alors que le tumulte et la confusion sont partout et que le nombre de ceux qui donnent le scandale est grand. Considérez donc les travaux que vous avez entrepris, les fatigues que vous avez supportées, les actions héroïques que vous avez accomplies, et l'impiété que, par la grâce de Dieu, vous avez en partie détruite, et les affaires de la, Phénicie entrant dans une voie meilleure, et la récompense plus grande, et le salaire plus riche qui vous attendent, et Dieu qui mettra fin bientôt à tant d'iniquités, et qui vous réserve le prix de la patience, et, pour toutes ces raisons, demeurez et persistez dans votre oeuvre.

Car, rien ne doit vous manquer présentement; j'ai donné l'ordre de vous fournir avec (489) la même abondance, avec la même libéralité, soit les vêtements, soit les chaussures, soit ce qui est nécessaire à la nourriture des frères. Or, si nous qui sommes dans une telle affliction et de si graves embarras, habitant ce désert de Cucuse, nous avons un si grand souci de votre couvre, à plus forte raison faut-il que vous-mêmes, jouissant d'une grande abondance, je parle de celle des choses nécessaires, vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir. Je vous en conjure, que personne ne puisse vous inspirer de crainte. D'ailleurs, les espérances sont présentement meilleures, comme vous le verrez par les lettres que nous envoie le seigneur Constantin, prêtre très-pieux. Demeurez, et dussent les obstacles être comptés par milliers, vous les surmonterez tous. Car, il n'est rien de plus fort que la patience. Elle ressemble à un rocher, de même que les troubles et les complots suscités contre les Eglises, ressemblent aux flots qui se précipitent contre le rocher et qui s'évanouissent dans leur propre écume. Remettez-vous devant les yeux tout ce que les bienheureux apôtres ont souffert de la part de leurs proches et de celle des étrangers, et comment ils ont passé le temps de leurs prédications au milieu des épreuves, des dangers, des embûches, dans les prisons, dans les liens, dans l'exil, en butte à la faim, à la nudité, aux fouets. Et cependant, même dans la prison, ils ne négligeaient pas la charge qui leur était confiée; mais le bienheureux Paul, habitant la prison, accablé par le fouet et versant son sang, retenu dans les entraves, endurant tant de maux, initiait aux mystères du fond de son cachot, baptisait son gardien et ne négligeait aucun devoir de son apostolat. Repassant ces choses clans votre esprit, selon que j'exhorte votre charité, tenez-vous fermes, inébranlables, incorruptibles, mettant votre espérance en Dieu et en son secours que rien ne peut égaler; enfin, ayez soin de nous écrire sur toutes ces choses. Nous vous avons envoyé le très-pieux prêtre Jean, afin qu'il raffermisse vos esprits et que vous ne vous laissiez abattre par quoi que ce soit. J'ai fait moi-même ce que je devais, vous exhortant par mes paroles, vous relevant par mes conseils, fournissant abondamment à vos besoins pour que rien ne vous fasse défaut. Que si vous refusez mes conseils, si vous vous attachez à ceux qui vous séduisent et qui vous excitent contre nous, la faute n'en est pas à moi. Vous savez sur qui retombera la condamnation et la peine. Qu'il n'en soit pas ainsi, je vous en prie, accueillez les conseils d'un homme qui vous aime beaucoup. Dès que vous aurez besoin de quelque chose, écrivez-moi, ou si vous voulez, députez-moi quelqu'un et vous ne manquerez de rien.


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LETTRE CXXIV. A GÉMELLUS.

Il y a des gens qui félicitent Votre Révérence au sujet de sa magistrature; moi, j'en félicite la ville; ce dont je suis heureux pour votre magnificence, ce n'est pas l'honneur que lui vaut cette charge (vous avez su vous élever au-dessus de ces misères), c'est l’occasion et la facilité qu'elle vous procure de faire éclater aux yeux de tous votre prudence, votre douceur, et d'en recueillir le fruit; vous saurez prouver, j'en suis convaincu, aux hommes trop attachés à la terre, trop éblouis du vain prestige de la renommée que ce n'est point le manteau, la ceinture, la voix d'un héraut qui font le magistrat, mais la vigilance à réparer les dommages., à remédier aux maux, à punir l'iniquité, tout en défendant contre la puissance la cause de la justice opprimée. Je connais votre indépendance, la liberté de votre langage, la hauteur de votre âme, votre mépris des choses temporelles, votre haine contre le vice, votre douceur, votre charité : qualités nécessaires principalement au magistrat. Aussi, je sais de reste que vous serez un port pour les naufragés, un bâton pour les chancelants, une tour pour ceux qu'assiége un pouvoir inique, et tout cela sans peine. Vous n'avez besoin ni de fatigues, ni de sueurs, ni d'années pour remettre les choses dans l'ordre. De même que le soleil n'a qu'à paraître pour dissiper tous les brouillards; ainsi vous n'avez eu vous, qu'à paraître sur votre siège, j'en suis certain, pour réprimer du premier jour les tentatives injustes, pour arracher les opprimés avant tout jugement, aux mains de leurs persécuteurs. Il a suffi pour cette couvre de la réputation de sagesse dont vous jouissez. Aussi, malgré l'isolement où je suis confiné, malgré les maux qui m'assiègent, suis-je pénétré d'une joie profonde, considérant comme un bonheur pour moi le secours que reçoivent les opprimés.


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LETTRE CXXV. A L'ÉVÈQUE CYRIAQUE EXILÉ AUSSI LUI-MÊME (1).

Cucuse, 404.
Je vais essayer encore de soulager votre blessure et votre chagrin, et de dissiper les pensées qui vous assombrissent. Quelle est donc la cause de votre douleur, de votre découragement? Est-ce l'affreuse, la formidable tempête déchaînée sur l'Eglise? Je connais ces maux, et personne ne les niera; mais si vous voulez je vais vous retracer une image de ces événements. Nous avons sous les yeux une mer soulevée du fond des abîmes, des nochers qui délaissent la rame et le gouvernail pour embrasser les genoux les uns des autres qui, découragés, impuissants contre la tempête, au lieu de regarder le ciel, la mer, la terre ferme, restent gisants sur le pont à gémir, à pleurer. En mer, c'est ainsi que les choses se passent mais aujourd'hui, sur notre mer, a nous, plus violent est l'orage, plus terribles les vagues. Eh bien! invoquez notre Maître le Christ: il n'a pas besoin d'industrie pour triompher de la tempête; d'un signe, il calme les flots. Que si vous l'avez souvent invoqué sans être exaucé, persistez néanmoins. Telle est la coutume du Dieu de bonté. N'est-il pas vrai qu'il a su racheter les trois enfants du supplice de la fournaise ? Ils étaient captifs, jetés dans un pays barbare, déchus de l'héritage paternel; réputés perdus par tout le monde, aucun recours ne leur restait. C'est alors que le Christ, notre vrai Dieu, opéra le miracle et dissipa la flamme. Ne pouvant tenir bon devant la vertu de ces justes, le feu s'échappade la fournaise et consuma les Chaldéens qui étaient alentour. Et dès lors cette fournaise était pour eux une église; ils invoquaient toute la création, les choses visibles et les invisibles, les anges, les puissances, et réunissant tous les êtres en une seule apostrophe, ils s'écriaient: Ouvrages dit Seigneur, bénissez tous le Seigneur! (Dan. III, 57.) Voyez-vous comment la résignation de ces justes changea le feu même en rosée, et confondit

1. L'authenticité de cette lettre a été contestée, mais sans raisons suffisantes : les objections sont tirées, soit du style et de la grécité, soit de certains passages qui ont semblé peu conformes à l'esprit de douceur et de modestie du saint évêque. Un examen plus attentif, donne raison à la critique moderne, qui parait unanime pour admettre l'authenticité. Toute cette controverse a d'ailleurs été résumée dans l'édition grecque-latine de Migne. (Tom. III, pag. 679-680.)

à ce point le tyran qu'il publia un édit par toute la terre : Grand, dit-il, est le Dieu de Sidrach, de Misach et d'Abdénago. (Ib. V, 95.) Et voyez quelle sévérité: il condamne quiconque aura mal parlé d'eux, à perdre sa maison, à se voir priver de tous ses biens. Gardez-vous donc du découragement et du désespoir. Moi-même, quand on me chassait de la ville, je m'en inquiétais peu, et je me disais à moi-même : Si l'impératrice veut m'exiler, qu'elle m'exile: Au Seigneur appartient la terre et ce qui la couvre. (Ps. XXIII, 1.) Si elle veut scier mon corps, qu'elle le fasse; je saurai suivre l'exemple d'Isaïe. Si elle veut me précipiter dans la mer, je n'ai point oublié Jonas. Si elle veut me jeter dans une fournaise, j'ai un modèle dans les trois enfants qui ont été condamnés à ce supplice. Si elle veut me livrer aux bêtes, je songe à Daniel, abandonné aux lions dans une fosse. Si elle veut me lapider, qu'elle me lapide; Etienne, le premier martyr, m'a donné l'exemple. Si elle veut ma tête, qu'elle la prenne; j'ai pour maître Jean-Baptiste. Si elle veut mes biens, qu'elle les prenne. Nu je suis sorti du sein de ma mère, nu aussi je m'en irai. (Jb, I, 21 .) J'entends l'Apôtre qui me conseille: Dieu ne fait point acception de la personne de l'homme, et ailleurs: Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ. (Ps. II, 6 et I, 10.) Et voici David qui m'arme en disant : Je parlais de vos témoignages en présence des rois, et je n'étais pas confondu. (Ps. CXVIII, 46.) Ils ont inventé contre moi nombre d'artifices ; ils disent que j'ai donné la communion à des personnes qui venaient de manger. Si je l'ai fait, que mon nom soit rayé du livre des évêques, et qu'il ne soit pas inscrit sur celui de l'orthodoxie, attendu que si j'ai commis une semblable prévarication, le Christ m'exclura de son royaume. Mais si après avoir prétendu cela une fois pour toutes, ils persistent dans leur imputation, qu'alors ils dégradent aussi saint Paul, qui baptisa toute une maison après un repas: qu'ils dégradent le Christ lui-même, qui donna à la suite d'un repas la communion à ses Apôtres. Ils disent que j'ai eu commerce avec une femme. Mettez à nu mon corps, et vous connaîtrez la mortification de mes membres. Toutes ces imputations sont l'ouvrage de l'envie. Mais vous ne pouvez apprendre sans douleur, mon frère Cyriaque, que ceux qui m'ont exilé, se montrent librement en public, qu'ils (491) sont escortés d'une foule de satellites? Rappelez-vous donc le riche et Lazare : songez lequel des deux fut affligé, lequel heureux ici-bas. Quel dommage la pauvreté de Lazare lui causa-t-elle? N'a-t-il pas été transporté, athlète victorieux, dans le sein d'Abraham? et quel profit l'autre a-t-il retiré de l'opulence où il vivait, couché sur la pourpre et le lin? Où sont désormais ses licteurs? ses satellites? ses chevaux enharnachés d'or ? ses parasites ? sa table royale? N'a-t-il pas été conduit au tombeau comme un brigand chargé de liens, emportant du monde son âme toute nue, et n'est-ce pas inutilement que sa voix crie : Père Abraham, envoyez Lazare, afin qu'il trempe le bout de son doigt clans l'eau pour rafraîchir ma langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. (Lc, XVI, 24.) Pourquoi nommes-tu cet Abraham dont tu n'as pas imité la vie? Abraham accueillait tout le monde dans sa maison, et un seul mendiant n'a pas pu exciter ta sollicitude ? Il ne faut ni pleurer ni gémir de ce qu'un homme aussi opulent ne mérita point une goutte d'eau. En effet, c'est parce qu'il avait refusé des miettes au mendiant, qu'une goutte d'eau lui fut refusée. Il avait laissé l'hiver se passer sans semer la miséricorde ; l'été arriva, et il n'eut pas de moisson. Et la providence de Dieu se reconnaît encore dans ceci, qu'il mit la punition infligée aux méchants en regard du repos donné aux bons, afin qu'ils se vissent mutuellement et pussent se reconnaître. En effet, dans ce jour, chaque martyr reconnaîtra son tyran, et chaque tyran le martyr contre lequel il aura sévi. Et ce n'est pas moi qui l'avance; écoutez la parole de la Sagesse : Alors le juste se tiendra debout, dans une complète liberté de langage, vis-à-vis de ses oppresseurs. (Sap. V, 4.) Le voyageur qui fait route dans le fort des chaleurs, vient-il à trouver une eau pure pour étancher la soif qui le consume; pressé par une faim dévorante, se voit-il inviter à une table chargée de mets de toute espèce : si alors une personne plus puissante que lui interdit de prendre part au festin et de goûter aux mets, le voilà en proie à une vive douleur, à un affreux supplice: il est à table, et il ne peut manger; il est assis près d'une source, et il ne peut se désaltérer. Ainsi, au jour du jugement, les impies sont témoins du bonheur des justes, et ils ne peuvent prendre place au royal banquet.

Lorsque Dieu voulut punir Adam, il lui fit cultiver une terre située en face du paradis, afin que chaque jour, à toute heure, en voyant le lieu de délices d'où il était sorti, il ne cessât d'avoir l'âme pénétrée de douleur . — Ici-bas, il nous est interdit de nous visiter l’un l’autre; mais là-haut, personne ne nous empêchera de vivre en société, et nous verrons ceux qui nous ont exilés, comme Lazare voit le juste, contre les martyrs voient les tyrans. — Gardez-vous donc de vous décourager, et rappelez-vous lés paroles du Prophète : Ne craignez pas l'injure des hommes, et ne vous laissez point vaincre par leur mépris : comme la laine est mangée par le ver, ainsi ils seront dévorés, et deviendront pareils à un vêtement hors d'usage. (Isïe, LI, 7, 8.) Songez à notre Maître, rappelez-vous comment il fut persécuté dès le berceau, comment il fut relégué dans un pays barbare, lui, le souverain du monde : exemple à notre usage, afin que nous ne perdions point courage dans les tentations. Rappelez-vous la passion du Sauveur, et combien d'outrages il a subis pour nous. Les uns l'appelaient samaritain, les autres possédé, glouton, ou faux prophète. Voilà, disait-on, ce gourmand, ce buveur de vin (Lc, VII, 34), et encore : C'est par le prince des démons, qu'il chasse les démons. (Mt. IX, 34.) Qu'était-ce donc, lorsqu'ils l'emmenaient pour le précipiter et qu'ils lui crachaient au visage? lorsqu'ils lui mettaient la chlamyde, et qu'ils le couronnaient d'épines, et qu'ils tombaient à ses pieds par dérision, en l'abreuvant de tous les outrages? qu'était-ce, lorsqu'ils le souffletaient, lorsqu'ils lui donnaient à boire du vinaigre et du fiel? lorsqu'ils lui frappaient la tête avec un roseau, et qu'ils le traînaient çà et là comme des chiens altérés de sang? qu'était-ce quand on le conduisait, dépouillé de ses vêtements, au supplice, quand tous ses disciples l'avaient abandonné, et que l'un l'avait trahi, un autre renié, les autres délaissé pour fuir, quand il restait seul et désarmé au milieu de cette populace assemblée comme pour une fête? Qu'était-ce, quand ils le crucifiaient comme un scélérat entre des malfaiteurs, et qu'il restait sans sépulture, attaché sur la croix, et qu'ils ne l'en ôtaient point jusqu'à ce qu'il vînt quelqu'un le réclamer pour l'ensevelir? Souvenez-vous qu'il ne fut pas jugé digne de funérailles, et qu'on fit courir contre lui cette calomnie, que ses disciples l'avaient dérobé, et qu'il n'était point ressuscité. Représentez-vous également les (492) apôtres, chassés de tous lieux, réduits à se cacher, à ne point se montrer dans les villes; Pierre retiré chez Simon le corroyeur, Paul chez la marchande de pourpre, parce que les riches ne leur permettaient point de parler. Néanmoins dans la suite, tous les obstacles s'aplanirent pour eux. Ainsi n'allez pas non plus vous décourager. Moi aussi, j'ai appris une nouvelle au sujet d'Arsace, de ce fou que l'impératrice a mis sur le siège : il a persécuté tous ceux de nos frères qui ne voulaient pas communier avec lui; et beaucoup d'entre eux sont morts en prison à cause de moi. — C'est un loup sous les apparences d'une brebis : un évêque par les dehors, au fond un adultère ; car de même que la femme qui se remarie du vivant de son premier époux, est considérée comme adultère : cet homme est adultère, non de chair, mais d'esprit, en tant que m'ayant ravi, moi vivant, le trône de l'Eglise. Je vous mande ceci de Cucuse, où l'impératrice nous a déporté. Beaucoup de tribulations nous sont survenues pendant le voyage, mais rien ne nous a ému. A notre arrivée en Cappadoce, ainsi que dans la Cilicie du Taurus, nous avons vu venir à notre rencontre des troupes nombreuses de saints prêtres, sans parler d'une multitude de solitaires et de vierges, dont les yeux répandaient d'intarissables sources de larmes. — Et en nous voyant prendre le chemin de l'exil, ils gémissaient et se disaient entre eux: Le soleil dérobant ses rayons, eût été un moindre malheur que Jean réduit au silence. — J'étais troublé, contristé, en les voyant tous pleurer sur mon sort : car pour tous les autres accidents qui me sont survenus, je né m'en suis pas inquiété.. D'ailleurs l'évêque de cette ville nous a parfaitement accueilli et nous a prodigué les marques d'affection: au point que s'il eût été possible, et si nous n'avions pas eu de limites à respecter, il serait allé jusqu'à nous céder son siège. Je vous prie donc, et vous conjure en embrassant vos genoux, de secouer votre deuil et votre chagrin, toutefois sans nous oublier dans vos prières; et daignez nous répondre.



Chrysostome T4 Lettres 212